Cet article traite de trois cas d'expression d'identité dans l'art qui sont des plaques tournantes dans l'évolution du vocabulaire artistique. --Prof. Elisheva Revel-Neher
This article is about three cases of identity expression which are fundamental at the time of considering the evolution of the artistic vocabulary in its own historical context.
El presente trabajo explora tres casos de expresión identitaria que son clave al considerar la evolución del vocabulario artístico en su propio contexto histórico.
1. Jadis et aujourd’hui : art et identité dans le pays du lait et du miel
Luis Mariano Akerman
À la page : revue culturelle de langue française, vol. 1, nº 1, 2018, pp. 40-43.
L’article qui suit traite de « trois cas d'expression
de l'identité juive dans l'art qui sont des plaques
tournantes dans l'évolution du vocabulaire
artistique » (Prof. Elisheva Revel-Neher). Le choix de
ces trois exemples est intimement lié à mon premier
voyage en Israël en 1980 alors que j’avais à peine 17
ans. Si plusieurs questions d’ordre culturel et
identitaire se sont posées à moi à cette époque,
certaines d’entre elles m’ont depuis lors
accompagné et n’ont trouvé une réponse
satisfaisante que très récemment - 35 années plus
tard - à l’occasion de mon dernier retour dans le
pays. Elles concernent, entre autres, trois œuvres :
le panneau central de la mosaïque hébréo-
byzantine de la synagogue de Beth Alpha en Galilée,
deux répliques de sculptures médiévales
symbolisant l’Église et la Synagogue exposées à Beit
Hatefutsoth à Tel Aviv, et enfin un arc solitaire en
pierre reconstruit il y a peu à l’emplacement des
ruines de l’ancienne synagogue Hourva dans la
vieille ville de Jérusalem.
Marianos et Hanina, Mosaïque-pavement byzantine de la
synagogue de Beth Alpha, Vallée de Jezreel,
VIème siècle de notre ère.
1 Personnification du soleil dans la mythologie grecque.
Comment comprendre le décalage présent dans
la mosaïque entre les signes du zodiaque et les
personnifications des quatre saisons de l’année ? Les
vestiges de la synagogue de Beth Alpha remontent
au VIème
siècle de notre ère et comprennent une
mosaïque de pavement tripartite réalisée par
Marianos et son fils Hanina.
Proverbes 6, 23 : « Car le précepte est une lampe et la
Torah lumière »
(כג ,ו )משלי אור ותורה מצווה נר כי
En partant de l’entrée, le panneau inferieur,
représente la scène du Sacrifice d’Isaac alors que le
deuxième panneau, de forme carrée, produit en son
centre un cercle contenant un homme conduisant
un chariot à quatre chevaux. Cette représentation
est encerclée par les signes du zodiaque tandis que
dans les quatre coins, des bustes féminins
symbolisent les saisons. Le troisième et dernier
panneau montre une vue frontale de l’Arche Sainte
et des objets qui l’accompagnaient. Dans leur
ensemble, les trois parties de la mosaïque évoquent
le passé, le présent et le futur de la foi hébraïque. Le
jeune homme du panneau central - identifié à
maintes reprises, par erreur, à Hélios1
mais dans
lequel je vois un aurige triomphant - irradie la
lumière, car il s’agit d’un Hébreu profondément
2. croyant, être exemplaire, qui renvoie par allusion au
prophète Élie s’élevant au ciel.
Expliquer le décalage constaté dans le panneau
central entre les signes du zodiaque et les saisons de
l’année en soutenant l’hypothèse selon laquelle
nous serions en présence d’un calendrier agricole
n’est pas d’après nous satisfaisant. En effet, nous
sommes d’avis que Marianos et Hanina n’étaient
pas naïfs et n’ont commis aucune erreur d’un point
de vue purement conceptuel. Selon nous, la
composition de l’œuvre ne répond pas à des critères
utilitaires, mais reflète une dimension symbolique
où la lumière bénéficie d’une place centrale. Cela
permet de comprendre pourquoi le signe du Cancer
n’est pas représenté en face de la saison d’été qui
lui correspond, mais occupe la place la plus proche
de l’Arche Sainte. Ceci n’est pas fortuit puisque la
période du Cancer qui va du 21 juin au 22 juillet
connaît les journées les plus lumineuses et les plus
longues de l’année (solstice d’été). Or, considérant
que selon l’Ecriture, « le précepte est une lampe et
la Torah lumière » (Proverbes 6, 23), il semble donc
logique que le signe du Cancer trouve sa place
directement en-dessous de l’Arche Sainte.2
Répliques de Église et Synagogue, Beth Hatefutsoth,
Musée de la Diaspora, Tel Aviv, 1980.
Comment transcender le contraste dérangeant
émanant des sculptures médiévales représentant
l’Église et la Synagogue ? Le Musée de la Diaspora
2
Luis Mariano Akerman, "Simbolismo hebraico", dans :
Rio de Janeiro, Universidade Federal do Estado do Rio de
Janeiro, VI Jornada de Estudos Medievais: A cultura
medieval para além da cristandade latina, 2 septembre
2015.
3
Promulguée en 1965, Nostra Ætate est la déclaration
du Concile Vatican II sur les relations de l'Église avec les
juive de Beth Hatefutsoth à Tel Aviv expose les
répliques de deux sculptures féminines inspirées par
la théologie médiévale chrétienne. Datant de 1230,
Église et Synagogue sont deux belles allégories de la
Foi, chrétienne et juive. La statue de l’Église porte
fièrement une couronne, un étendard cruciforme et
un calice pour l’Eucharistie, alors que la statue de la
Synagogue, dépouillée de toute parure, les yeux
bandés, repliée sur elle-même, soutient avec peine
un étendard rompu et les Tables de la Loi. Les
œuvres originales ornent la cathédrale de
Strasbourg.
La dichotomie entre les représentations
manichéistes de l’Église triomphante et de la
Synagogue en déroute est très ancienne dans
l’imaginaire européen et c’est seulement depuis
1945 que l’on observe une nouvelle attitude sur le
chemin de la réconciliation, notamment en
Amérique.
Joshua Koffman, Synagogue et Église à Notre Époque,
modèle préliminaire en plâtre, Saint Joseph’s University,
Philadelphie, 2015.
Dans cet esprit, le sculpteur nord-américain
Joshua Koffman produisit en 2015, à l’occasion du
50ème
anniversaire de la Déclaration Nostra Ætate,3
la composition Synagogue et Église à Notre Époque,
une œuvre harmonieuse où les deux allégories sont
représentées ensemble au sein d’un fructueux
dialogue. Toutes les deux également assises et
couronnées, elles expriment noblesse et dignité : la
Synagogue portant la Torah et l’Église les Evangiles,
les deux Ecritures étant présentées ouvertes sur
leurs genoux. La volonté de communication et de
religions non chrétiennes. Nostra Ætate sont les premiers
mots du texte latin et signifient « À notre époque ». Le
plus révolutionnaire par rapport à la doctrine jusqu’alors
en vigueur dans l’Église catholique romaine, ce document
est fondateur d’un grand dialogue interreligieux
contemporain.
3. rencontre dans le respect mutuel est renforcée par
le clair message corporel imprimé par l’artiste aux
statues dont la position des corps souligne l’intérêt
commun pour les Ecritures soutenues par chacune
d’entre elles.4
Pourquoi reconstruire un arc sur une synagogue
en ruine ? La synagogue Hourva a été construite sur
les décombres de synagogues détruites et relevées
à maintes reprises dans le passé. Ceci explique
qu’elle porte un nom hébreu qui signifie « ruine ».
Les restaurations de 1721 et 1864 furent parmi les
plus importantes. Après la déclaration de
l’Indépendance de l’Etat d’Israël, la synagogue fut
complètement rasée en 1948 par l’armée
jordanienne. Le site est resté dans cet état durant
de nombreuses années même après la reprise de
Jérusalem en 1967 par les troupes israéliennes,
année à partir de laquelle plusieurs projets de
reconstruction furent successivement présentés et
rejetés, parmi lesquels il convient de mentionner la
proposition originale de l’architecte Louis I. Kahn,
qui avait conçu un temple à partir d’un audacieux
dialogue architectural entre piliers égyptiens et
colonnes hébraïques (1967-1974). Un des arcs de
l’ancienne synagogue fut reconstruit en 1977. Ce
geste avait pour objectif d’exprimer l’espoir que la
synagogue Hourva serait une fois de plus
reconstruite. Malgré cela, en 1996, un demi-siècle
après sa dernière destruction, l’état de la synagogue
en ruines n’avait toujours pas changé, à l’exception
de la présence solitaire de l’arc dominant le vide.
Arc reconstruit sur les vestiges de l’ancienne synagogue
Hourva, Vieille Ville de Jérusalem, 1977.
Dans une conférence prononcée cette même
année, je comparai la situation de la synagogue
Hourva avec la chute théorique de la statue
allégorique « Synagogue » de la cathédrale de
4 Akerman, "Las alegorías de la Fe en el arte occidental"
(2015), Atualidade Teológica, Vol. XX, No. 54, Rio de
Janeiro, Pontifícia Universidade Católica, septembre 2016,
807-831.
Strasbourg.5
Les travaux de reconstruction de la
synagogue commencèrent peu après, sous la
supervision éclairée de l’architecte Nahum Meltzer
qui, entre 2000 et 2010, réussit à réaliser, par le biais
d’un travail austère et respectueux de l’édifice
original, une subtile restauration qui incorpore les
vestiges de l’ancien édifice et les intègre
parfaitement dans un nouveau ensemble
architectural. C’est ainsi que le présent retrouve le
passé, en particulier dans le mur principal de la
synagogue, où les vestiges du passé sont sauvés de
l’oubli et réincorporés de façon visible dans le
nouvel édifice. C’est pourquoi, grâce à l’architecte
Meltzer - à qui nous souhaitons la reconnaissance de
l’Histoire - la synagogue Hourva a été nouvellement
pourvue d’une identité originale, non exempte
d’admirables qualités esthétiques.
Vue de l'intérieur de la synagogue Hourva, après la
restauration de Nahum Meltzer, 2010.
Luis Mariano Akerman. Peintre, architecte et historien d’art.
Né à Buenos Aires en 1963, Akerman a étudié à l’École
d’Architecture de l’Université de Belgrano, ou il a validé sa
formation en 1987 avec un projet sur les limites et l’espace
en architecture moderne. Depuis 1991 il développe projets,
expositions et cycles de conférences éducatives en Argentine
et en Terre Sainte, mais aussi en Philippines, au Pakistan et au
Brésil. Spécialiste en communication visuelle, Akerman est un
éducateur expérimenté s’intéressant particulièrement à l’art
moderne. Également plasticien, Akerman expose ses
tableaux et collages depuis 1979. Il a reçu plus de douze prix
et distinctions internationales. Selon l'écrivaine anglo-
pakistanaise Sara Mahmood, « Mariano Akerman construit
des ponts entre les cultures dispersées tout autour du
monde ».
5
Akerman, "The Evocative Character of Louis I. Kahn's
Hurva Synagogue Project" (1996), dans : The Real and
Ideal Jerusalem in Jewish, Christian and Islamic Art,
Université Hébraïque de Jérusalem, 1997-98, 245-253.