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La Lecture en Couleurs en France 1996
Glenys Hanson & Roslyn Young
Une Ecole Pour Demain est une Association loi 1901 d’enseignants et de formateurs, créée
pour faire connaître l’œuvre de Caleb Gattegno, auteur de la Lecture en couleurs. En tant que
distributeur unique de la Lecture en couleurs en France, nous sommes bien placés pour
décrire l’utilisation de cette approche dans ce pays où l'on estime qu’entre 10 et 20% de la
population adulte est soit analphabète, soit illettrée.
Nous avons vendu près de 300 jeux de la Lecture en couleurs entre 1993 et 1995. La moitié
d’entre eux ont été achetés par des associations qui travaillent dans le domaine de
l’alphabétisation des adultes. Pour les autres, plus de la moitié des jeux ont été achetés par des
personnes qui travaillent avec des enfants en difficulté scolaire. Les autres utilisateurs sont
des instituteurs. D’après ces statistiques, et aussi d’après le public qui fréquente nos stages, il
paraîtrait que cette approche attire ceux qui sont confrontés aux problèmes les plus aigus
d’analphabétisme.
Pour connaître les raisons de leur choix, nous avons posé à une vingtaine d’entre eux les
questions suivantes :
▪ Avec quel public travaillez-vous ?
▪ Qu’apporte la Lecture en couleurs à ce public ?
Voici quelques-unes des réponses que nous avons reçues.
Entretien avec Alain L’Hôte - instituteur
J’enseigne les premiers pas de la lecture aux enfants depuis 1977 et ceci de manière non-
continue puisque certaines années, j’ai la charge d’enfants plus âgés. Je n’ai pas toujours
utilisé la Lecture en couleurs, j’ai commencé avec des méthodes syllabiques traditionnelles
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qui n’étaient très excitantes ni pour les enfants, ni pour moi-même. Ensuite j’ai utilisé la
méthode Le Sablier avant de passer à la Méthode Gestuelle et enfin à une méthode
personnelle qui était un mélange de beaucoup de choses. Je n’étais pas satisfait de ce que je
faisais parce que j’avais l’impression que les enfants ne progressaient pas à leur propre
rythme, que je retardais les plus avancés et que je laissais de côté les enfants les plus en
difficulté. C’est ce qui m’a motivé à chercher une approche différente. J’ai entendu parler de
la Lecture en couleurs par ma femme qui observait des résultats intéressants avec des
étudiants qui apprenaient l’anglais avec le Silent Way. J’ai donc décidé de suivre quelques
formations et je me suis lancé. Au début j’ai utilisé le matériel de manière tout à fait
traditionnelle, sans changer en profondeur mes habitudes de travail. Je prenais plaisir à
l’utiliser parce que je faisais tous les jours des découvertes sur la langue française. De ce fait,
j’étais plus avec la langue qu’avec mes élèves. J’en étais conscient mais je n’arrivais pas à
inverser la tendance. C’est beaucoup moins le cas maintenant, mais je continue à faire des
découvertes sur le français en utilisant ce matériel, ce qui ne m’était jamais arrivé avec les
autres méthodes.
Pensant à cette approche du point de vue des enfants, je voudrais raconter deux anecdotes. La
première fois que j’ai installé les tableaux de mots en classe, les élèves ont applaudi. L’aspect
extérieur du matériel est si attractif pour les enfants qu’ils ont envie d’y entrer. Cela
correspond à un besoin pour eux d’explorer et de découvrir des choses nouvelles, surtout si
ces choses nouvelles les captivent d’emblée. C’est ainsi qu’en présence des tableaux, ils sont
avides de découvrir ce nouvel inconnu. C’est un phénomène que j’observe tous les ans et c’est
très spectaculaire. Je me souviens qu’un jour nous étions en train de travailler sur “chez moi
(chez toi...)”. Les élèves avaient déjà proposé et pointé beaucoup de phrases en utilisant cette
expression quand une élève a levé son doigt pour dire “Ca y est, je l’ai vu, schéma” et elle est
venue montrer ce mot sur les tableaux pensant qu’elle venait de faire une grande découverte.
Son erreur et le mouvement de ses yeux pendant tout le travail avec les autres enfants me
montraient qu’elle était engagée dans sa propre recherche. Le matériel par lui-même favorise
la recherche personnelle.
Quelle que soit l’activité proposée, ils aiment faire leurs propres recherches dans les tableaux.
Ils adorent les mots longs ou difficiles ou “étranges”, ils aiment trouver les graphies nouvelles
etc. Souvent juste après la classe, quand ils peuvent parler avec qui ils le désirent, ils se
racontent entre eux leurs découvertes : “As-tu vu ceci ?”, “As-tu vu cela ?”, “T’as vu le /o/
comme ceci ?”...
Après plusieurs semaines de classe, la différence entre les enfants devient plus prononcée.
Quelques-uns sont prêts à lire des livres de leur niveau; d’autres sont presque prêts; certains,
qui ne sont pas suffisamment à l’aise avec le décodage pour que l’écrit prenne du sens tout de
suite, en sont au niveau des phrases simples ; et puis il y a ceux qui viennent juste de rentrer
dans la lecture et qui en sont au niveau des mots.
Au début, je n’affiche qu’une partie du matériel et nous créons petit à petit notre propre Fidel
restreint. Cette année, pour ces enfants faibles qui n’étaient pas prêts à commencer
l’apprentissage de la lecture en septembre, j’ai utilisé le tableau de rectangles. De cette
manière, ils pouvaient par la suite être plus indépendants avec le Fidel puisqu’ils maîtrisaient
tout ou une partie du code couleur et ils pouvaient aller à leur propre rythme. Une autre chose
unique au sujet de ce matériel est qu’il reste tout le temps visible au mur. Les enfants ont ainsi
à disposition l’ensemble de la langue française. Je me souviens d’au moins deux élèves qui
ont refusé d’apprendre à lire avec mon aide. Dans les deux cas, c’étaient des enfants qui
subissaient des vouloirs venant de la part des adultes dans leur famille, et moi, en classe je
“voulais” qu’ils apprennent à lire. L’un d’eux, en particulier, refusait le travail dès que je
m’intéressais à lui, mais, chaque fois qu’il pensait que je ne le voyais pas, il observait les
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tableaux. Quand je me suis rendu compte de tout cela, j’ai changé la disposition de l’ensemble
des bureaux de la classe pour pouvoir le placer face aux tableaux. C’est ainsi que cet enfant a
appris à lire par lui-même. Cela a été possible parce que le matériel lui était toujours visible et
qu’il est une description adéquate de la langue française. Ceci est très important parce que
cela signifie que l’on peut avoir confiance qu’ils vont, eux-mêmes, avoir l’opportunité
d’aborder l’ensemble des particularités de la langue.
Le matériel de la Lecture en couleurs respecte autant la langue que les apprenants. Il n’y a
pas de mots enfantins, pas de phrases créées par des adultes dans le but de plaire aux enfants.
Il y a seulement des mots de tous les jours et le matériel est toujours adapté au niveau de
chacun. Je pense que le point important dans tout cela est le respect des apprenants. Il faudrait
parler aussi de l’ensemble des exercices algébriques sur la langue que propose Caleb
Gattegno : ils sont un exemple du respect des pouvoirs mentaux des enfants.
Les différentes facettes de la Lecture en couleurs respectent et coïncident avec ce qu’il y a
d’humain en chacun d’entre nous, apprenants ou enseignants. C’est probablement pour cela
que la plupart des élèves s’engagent immédiatement dans le travail et s’y maintiennent en y
trouvant toujours du plaisir.
Contribution de Françoise Lazare : La Lecture en couleurs en milieu défavorisé
Pourquoi des élèves de six à huit ans, en zone sensible, où règnent agitation, instabilité,
désintérêt, violence, souffrance... lorsqu’ils ont “le déclic” de la lecture, changent-ils de
comportement face à l’apprentissage ?
L’entrée dans la Lecture en couleurs permet de nombreux jeux qui (humour aidant) font
vivre des états émotionnels qui resteront référents essentiels pour l’apprentissage et font
qu’une rencontre a lieu, que les angoisses (ou résistances) tombent, que chaque individu du
groupe entre dans le moment présent. Ces jeux donnent et installent une cohésion dans le
groupe.
Envie, curiosité, dynamisme mental sont stimulés, l’apprenant sait que le matériel permet de
retrouver cet état “vivre au présent” et simultanément d’ouvrir une porte sur un nouveau
champ d’investigations qui avive sa créativité.
Confiance et relation établies, le maître peut proposer à l’enfant un défi à sa portée, toujours
plus grand.
L’apprenant :
▪ retrouve un fonctionnement (celui d’apprendre) qu’il a mis en marche depuis bien
longtemps,
▪ renaît devant cet inconnu (le matériel) en faisant revivre un état et un fonctionnement
connus (celui d’apprendre),
▪ rencontre cet autre soi-même qui sait et aime apprendre,
▪ découvre une autre image de lui-même qui ébranle ce qu’il croyait être (nul, agité... ou tout
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autre étiquette négative qui le catalogue). Ce stade est souvent un choc et n’est pas
sans conséquences, l’apprenant peut arrêter ses apprentissages, voire “régresser”,
▪ est au contact d’un grand dilemme, d’une ambivalence douloureuse, d’un conflit intérieur...
Qui gagnera ?
Un combat “d’ordre spirituel” s’engage, semblable à celui du Bien contre le Mal et pose la
question de la vérité... de la relativité...
Le matériel ici permet :
a. le respect de ce que l’apprenant est à un moment donné,
b. au temps d’avoir le temps (à l’apprenant de s’arrêter, d’avoir droit à ses difficultés, -
d’évacuer ce qui l’empêche d’être présent à la situation).
L’enfant qui reprend ou poursuit son apprentissage :
a. s’autorise à nouveau à exister, à avoir une identité, à avoir le droit d’apprendre,
b. est au contact de son énergie et de sa propre volonté à la mettre au service de
l’apprentissage ou à celui de la destruction,
c. sait désormais qu’il est le seul acteur de son apprentissage et a pouvoir de décision.
Par sa dynamique, le matériel offre des situations d’apprentissage référentielles,
mobilisatrices, stimulant la construction de l’apprenant et la puissance de son pouvoir créatif.
Le fait qu’un apprentissage (ici la lecture) permette un changement de comportement, met en
garde contre l’amalgame facile et rapide qui associe “enfants difficiles” et “échec scolaire”.
Les termes “zone sensible”, “banlieue”, deviennent à eux seuls, une explication et donnent un
schéma simpliste de causes extérieures aux situations d’apprentissage pur et empêchent
l’étude du vrai problème.
Par sa forme (conception) le matériel de la Lecture en couleurs :
a. est un référent sécurisant sur lequel l’apprenant sait qu’il peut compter, qui lui assure
d’avoir le temps nécessaire à son apprentissage et ainsi lui offre quiétude et bien-être
intérieurs,
b. permet de mettre en place des critères intérieurs fiables qu’il apprend à utiliser et à avoir
toujours à disposition,
c. apporte et apprend rigueur, discipline dans le cheminement de son apprentissage et auto-
évaluation permanente (conscience d’être et rester avec le vrai problème),
d. permet une prise en charge de son apprentissage à son propre rythme dans le respect total
de ce qu’il est et lui donne donc autonomie et indépendance par rapport au maître,
e. permet l’accès à la conscience de ses fonctionnements qui apparaissent transparents à lui-
même et au maître,
f. permet l’accès à la conscience de la puissance que procure la créativité qui donne envie
d’un défi toujours plus grand.
En outre, dans une même classe, le maître peut proposer des défis différents à ses apprentis à
la mesure de l’appétit de chacun.
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Contribution d’Yvette Gomez : Expérimentation de la Lecture en couleurs en milieu
institutionnel avec des enfants âgés de 10 à 13 ans
Ces élèves ne présentent pas de handicap physique, ni de déficits visuels ou auditifs, mais un
déficit intellectuel associé à des troubles du comportement, de la personnalité. Leur quotient
intellectuel est situé à la zone inférieure à la normale. Tous ces enfants ont vécu des carences
affectives et éducatives pendant leur petite enfance et même actuellement. Ils sont instables,
perturbés par leurs problèmes affectifs et familiaux. Ces enfants arrivent dans l’institution
porteurs d’une expérience de l’échec dans les apprentissages en général. Nous sommes
confrontés à leur refus d’apprendre.
En prenant conscience que l’enseignement, dispensé dans l’institution, répétait ce qui avait
déjà été tenté pour chacun d’eux, j’entrepris différentes démarches pour répondre à la
question : Comment peut-on apprendre à apprendre autrement ?
J’ai participé en 1994 à un séminaire intitulé la Lecture en couleurs. L’approche Gattegno
m’intéressa immédiatement parce qu’elle a l’avantage d’aider le maître à prendre conscience
de ce qu’est un apprentissage en général en subordonnant l’enseignement aux apprentissages
basés sur la prise de conscience et l’implication affective.
J’ai mis en œuvre dans ma classe les applications techniques proposées par Gattegno. Elles
ont induit une facilité d’accès à l’apprentissage de la lecture. Est-ce le plus important ?
Le travail que fait chaque enfant basé sur les prises de conscience, lui apprend “quelque
chose” de lui, il prend conscience de ses capacités à résoudre tel ou tel problème. Ce qu’il
apprend ainsi est transférable à d’autres domaines. Nous pouvons assister à un changement
profond du fonctionnement de chaque enfant, non seulement au niveau des apprentissages dits
cognitifs, mais aussi sur le plan du comportement social.
La prise de conscience de ses difficultés entraîne une lucidité et l’invite à s'auto corriger en
prenant appui sur l’erreur. L’erreur ne génère plus l’échec mais une possibilité d’atteindre
l’objectif déterminé par l’enfant. Elle est une invitation à forcer une prise de conscience,
l’élève travaillera enfin sur lui-même et par lui-même.
Je souligne que j’enseigne depuis plus de vingt ans en milieu spécialisé, que les techniques de
Gattegno par leur rigueur et la qualité des analyses qui les sous-tendent, sont un moyen pour
les élèves en grandes difficultés psychiques et scolaires d’entrer dans les apprentissages et de
découvrir un plaisir à apprendre.
Contribution de Carol F.C. Rose et Maïté Auzanneau : La spécificité de l’emploi de la
Lecture en couleurs avec une population de non-lecteurs
La Lecture en couleurs a été utilisée exclusivement au cours d’une recherche
pluridisciplinaire longue de cinq années, émanant de trois laboratoires parisiens qui ont étudié
et remédié à l’incapacité totale de lire, d’un groupe d’enfants normaux âgés de neuf ans et
plus qui étaient qualifiés de non-lecteurs. Toutes les autres méthodes pour apprendre à lire
connues en France avaient été essayées avec cette population, sans résultat.
La spécificité et le succès de cette approche semblent être liés à l’utilisation initiale, brève
(une heure) et unique d’un tableau de rectangles de couleur représentant un nombre limité de
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phonèmes (environ sept). Nous sommes d’avis que la raison de ce succès tient à l’introduction
d’un code rationnel qui n’a pas été immédiatement reconnu comme étant relié aux lettres ou à
la lecture. Les systèmes de croyance de chaque enfant avaient été si compartimentés durant
leur scolarisation précédente que chaque fois qu’ils voyaient des lettres ou des mots, ils
retombaient dans leurs anciennes habitudes aberrantes de les traiter. Dans la première heure
de travail, ces difficultés ont été complètement contournées par l’absence de lettres elles-
mêmes. Ceci a conduit dans la majorité des cas à la réalisation que l’acte de lire n’était pas si
difficile et cela les a menés à la prise de conscience du phonème accompagné de sens sans
placer de poids injustifié sur la mémoire.
Il pourrait être utile d’expliquer que les “non-lecteurs” sont souvent efficaces pour reconnaître
les “formes” des mots et celles des lettres. Ils obtiennent constamment des notes respectables
avec des programmes d’ordinateurs spécialement conçus pour explorer ce domaine. Cette
capacité à reconnaître, retenir et comparer n’implique aucune lecture que ce soit des mots en
question. Les “non-lecteurs” tendent à fonctionner entièrement avec des mots comme des
images ou encore comme des chaînes de lettres.
Cette recherche a abouti à un livre appelé Les enfants hors du lire, Presse Phaidon, un
programme d’ordinateur interactif de rattrapage (Rose, Royer) et à de nombreux articles.
Contribution de Marie-Sylvie Jore
Au cours des deux dernières années, j’ai eu l’occasion de travailler avec des groupes
“d’illettrés”, jeunes ou adultes. Ceux-ci présentaient des problèmes divers et souvent mêlés.
Ils relevaient :
a. soit du FLE - étant analphabètes ou illettrés dans leur propre langue;
b. soit de l'illettrisme (français langue maternelle) - scolarité lointaine, insuffisante ou en
échec. Causes multiples : familiales, sociales, médicales...
Ces stages rentrent dans le cadre de l’insertion professionnelle, "l'illettrisme" étant
évidemment le premier obstacle à franchir dans le parcours de la socialisation. Un travail très
important de revalorisation personnelle sous-tend la conduite du stage.
J’ai trouvé dans l’esprit et les outils de la pédagogie de C. Gattegno un guide et un appui
constant. En voici pour moi les effets moteurs :
1. L’effet de coupure avec le monde habituel. Le fait, pour l’apprenant, d’être plongé
dans un monde de sons, de formes et de couleurs, élimine d’emblée tous les faux
repères, les a priori, les habitudes erronées et les clichés réducteurs (par exemple, ces
photos et dessins fréquents dans les livres d’apprentissage qui le replongent dans son
univers quotidien). Ainsi “libéré”, il se retrouve connecté avec l’état d’enfance de ses
premiers apprentissages, en “prise directe” avec ses propres perceptions. Travail de ré
appropriation de soi-même. Quoi de mieux pour ce type de public !
2. L’effet facilitateur du groupe. Le fait de repartir à zéro met tous les stagiaires sur un
même pied d’égalité, ce qui atténue peu à peu les peurs, les méfiances ou les volontés
de puissance ! Chacun se trouve confronté à son propre apprentissage mais embarqué
dans le même processus que le reste du groupe. On voit donc celui-ci progressivement
se souder et l'entraide s'établir spontanément. En chemin vers la socialisation de la
revalorisation, les plus lents s’appuient sur les plus avancés.
3. L’effet “table rase”. Pour un public submergé de préoccupations multiples, souvent
dans l’incapacité de maintenir une attention soutenue, qui a perdu confiance en ses
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propres possibilités, le tableau des couleurs opère un effet de “table rase”. L’apprenant
n’est plus qu’écoute et regard, avec une intensité telle que tout parasitage est éliminé.
Seul ne compte plus que l’instant présent avec toute la richesse de ses possibles.
4. Dans les actions de lutte contre l'illettrisme, le matériel Gattegno est particulièrement
efficace.
Dans tous mes stages, le tableau des couleurs a été l’introducteur ludique, le sésame ouvre-toi,
le capteur d’attention et paradoxalement le correcteur muet de la parole, court-circuitant celle
de l’enseignant, ce qui appuie l’autonomie de l’apprenant. Il devient ainsi le référent que ce
dernier s’approprie peu à peu. Que d’heures passées en va-et-vient entre le tableau des
couleurs et les tableaux de lecture, à identifier, reconnaître, comparer, vérifier !
Grâce aux tableaux de lecture, l’apprentissage de l’acte le plus complexe qui soit : la lecture
et son corollaire l’écriture, devient le résultat d’une suite d’opérations simples et accessibles à
tous. Tout est dans “m a” du premier tableau : assembler deux sons qui soudain sont reconnus
et prennent sens. L’acte de lire devient pour l’apprenant directement accessible et se
débarrasse à ses yeux de ses attributs socioculturels.
Enfin, passage à l’écriture oblige, le Fidel met à plat, d’un seul coup d’œil, toutes les
correspondances son/graphie, et Dieu sait que le scripteur français est gâté dans ce domaine !
Il apprendra petit à petit à faire ses propres choix, soulevant ainsi les problèmes
grammaticaux de base.
La Lecture en couleurs permet d’échapper à l’écueil habituel de ce type d’apprentissage où le
mot SIMPLE se marie souvent avec BETIFIANT ! C’est au contraire aux soubassements
profonds de la personne que Gattegno fait appel. L’apprenant est constamment sollicité dans
ses facultés d’attention (écoute et observation), dans ses prises de conscience, dans ses
critères de décision, dans sa créativité.
Acteur de son apprentissage, il apprend à devenir auteur de sa vie.
Contribution de Francine Rochereuil
La ville de Chilly-Mazarin et le Conseil Général de l’Essonne m’ont demandé de créer un
atelier d’alphabétisation et de lutte contre l'illettrisme. Pour ce faire j’ai étudié diverses
méthodes et m'y suis formée. Je me suis arrêtée sur l’apprentissage proposé par l’approche
pédagogique du Docteur C. Gattegno : la Lecture en couleurs pour les apprenants dont la
langue maternelle est le français et le Silent Way pour les étrangers.
Devant son efficacité, j’ai choisi cet enseignement lorsqu’en 1994, j’ai créé un établissement
à Morlaix (Bretagne Finistère). La possibilité de poursuivre ces recherches dans une
dynamique sans cesse en évolution a été, pour moi, un choix déterminant.
Les publics rencontrés sont :
• des enfants ou adolescents en difficulté scolaire. Primaire, secondaire surtout cycle
technique, BEP, etc...
• des enfants ou adolescents en grand échec scolaire donc social, confiés par les
professeurs Berges et Bailly de l’hôpital Henri Roussel de Paris,
• des adolescents dit “délinquants”, confiés par la Prévention judiciaire pour les jeunes
(PJJ),
• des adultes non-lecteurs,
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• des primo-arrivants (Silent Way).
Les personnes de langue française qui me sont confiées, sont toutes illettrées donc hors de
notre société moderne, souvent rendues “hors norme” dès la première rencontre avec
l’apprentissage scolaire. Cet échec atteint le psychisme et le corporel du non-lecteur.
J’ai donc opté pour l’enseignement de la Lecture en couleurs pour :
• Ne pas reproduire un échec avec une pédagogie conventionnelle déjà mal vécue.
• La pédagogie qui est une constante recherche sur soi-même en tant qu’apprenant ou
ouvrant sur un regard plus attentif, permet l’échange de connaissances et entraîne un
réel travail collectif. Puisque nous partons des connaissances de chacun, langage et
couleurs, cette pédagogie par prises de conscience successives, amène rapidement un
changement de comportement et rend enfin positif le droit à l’erreur, évitant les
critères de valeur.
• Ces outils permettent un travail sur des structures mathématiques rigoureuses, alliant
les connaissances du gestuel, la recherche intellectuelle, complétée par celle de
l’imagerie mentale. Ils rendent l’apprenant entier et acteur de son savoir.
L’apprenant développe sa curiosité, la recherche indépendante au sein d’un groupe pour
arriver à des prises de conscience successives. Il conforte ses acquis grâce aux tableaux
couleurs, avec l’aide de ses mémoires visuelles, auditives et gestuelles.
a) Une certaine qualité de silence qui, si elle diffère de celle du Silent Way, amène aussi
le calme, permet la réflexion et la concentration, me donne le temps et le plaisir d’être
là où je suis, entraînant une ambiance chaleureuse qui me semble indispensable dans
toutes recherches pour combattre l'illettrisme.
b) L’efficacité, la rapidité du changement de comportement, les résultats fiables de cet
enseignement m’ont incitée à développer l’application de cette approche en animant
des formations professionnelles sur la Lecture en couleurs.
Contribution de Christian Duquesne : L’utilisation de la Lecture en couleurs avec des
mineurs de charbon - une expérience en cours
En 1994, Les Houillères du Bassin de Lorraine ont décidé d’améliorer les qualifications des
ouvriers considérés comme illettrés ou analphabètes. La société a lancé une expérience avec
la Lecture en couleurs.
A) Extraits du rapport rédigé par la société à la suite du premier stage en 1994 :
Avec la participation du Conseil Régional de Lorraine, Les Houillères du Bassin de Lorraine
ont expérimenté avec succès une méthode pédagogique permettant aux stagiaires d’apprendre
le français et de se familiariser avec la langue de Molière.
L’Institut National de Service et de Formation - INSEF Conseil à Pont-à-Mousson a été
responsable de l’organisation et de l’animation de ce stage.
Contexte et objectifs
Les Houillères du Bassin de Lorraine considèrent qu’il est essentiel de maintenir le niveau de
compétence nécessaire pour le bon fonctionnement de la société et pour l’avenir de ses
salariés. Dans cette société, beaucoup de personnes ont un faible niveau d’instruction, ce qui
nécessite une remise à niveau individualisée. Dans ce cadre, la Lecture en couleurs de
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Gattegno a été choisie parmi plusieurs méthodes possibles pour les illettrés et analphabètes.
Les objectifs de cette session de formation étaient de permettre à 20 salariées de la société :
a) d’atteindre leur niveau de formation 5 à la fin de la session
b) d’accroître leur confiance en apprenant à lire et à écrire
c) de redécouvrir leur capacité à apprendre :
d) “apprendre à apprendre”
e) “apprendre à penser”
f) d’atteindre un niveau acceptable par la maîtrise des savoir-faire de la vie quotidienne
g) d’acquérir une culture professionnelle
h) d’améliorer leur qualification professionnelle.
Le stage
Le groupe composé de 20 stagiaires était constitué comme suit :
a) 4 personnes qui avaient besoin d’un stage de Français Langue Étrangère et qui étaient
analphabètes,
b) 7 personnes qui avaient besoin d’un stage de Français Langue Étrangère mais qui
savaient lire et écrire dans leur langue maternelle (4 connaissaient l’alphabet français),
c) 7 Français considérés comme illettrés,
d) 2 (1 Marocain et 1 Sénégalais) qui avaient quelques problèmes avec la langue orale et
qui avaient un niveau moyen VI/V.
Le stage a eu lieu au Centre de Formation des Houillères du Bassin de Lorraine de septembre
1994 à janvier 1995; la durée du stage a été de 280 heures de formation, 5 jours par semaine,
une semaine sur deux, donc 8 semaines de formation sur 16 semaines
Résultats
La langue orale
Tous les stagiaires, y compris ceux d’origine française - qui avaient des problèmes à
distinguer entre les nasales - ont fait des progrès considérables en expression spontanée de la
langue et dans l’utilisation d’une syntaxe appropriée.
Pour 2 stagiaires analphabètes, le travail a été si efficace qu’il a donné des résultats
spectaculaires dans la maîtrise des fondements de la langue écrite.
La lecture
La majorité du groupe a acquis les bases nécessaires pour surmonter les difficultés associées à
divers types de lecture. Ils sont maintenant capables de trouver le vocabulaire dont ils ont
besoin lorsqu’il n’est pas à leur disposition. Quelques-uns sont encore limités par leur niveau
de compréhension de la langue mais sont capables de lire des textes simples. Il faut noter que
pour un membre du groupe la vitesse d’apprentissage était telle qu’il est devenu un des
meilleurs lecteurs du groupe.
L’écrit
Le progrès des 6 Français a été considérable. Ils ont maintenant assez de confiance pour
rédiger des textes personnels. Certains sont devenus plus à l’aise dans cet exercice que dans la
dictée traditionnelle dans laquelle certaines des vieilles peurs datant de leur scolarité refont
surface. Ils ont maîtrisé la conjugaison (utilisation du présent, passé composé, futur, etc.).
En partant de textes qui étaient illisibles, parce qu’écrits phonétiquement, les stagiaires sont
parvenus à des productions qui, bien que présentant encore des fautes, peuvent être corrigées
par la réflexion sur leur travail. Certains peuvent maintenant écrire des rapports courts liés à
10. http://www.uneeducationpourdemain.org
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leur situation professionnelle.
Tous font preuve d’initiative et d’autonomie dans leur apprentissage. Les étrangers sont
capables d’écrire de petites phrases qui peuvent être comprises et ils sont tous capables
maintenant d’écrire leurs propres chèques.
Les suites
Puisque
les
objectifs
atteints
étaient
bien
supérieurs
aux
prévisions,
Les
Houillères
du
Bassin
de
Lorraine
ont
décidé
de
renouveler
l’expérience
avec
un
deuxième
groupe
de
20
stagiaires
sur
les
mêmes
bases
que
le
premier
groupe
avec
des
personnes
d’origines
diverses
(des
participants
français
et
étrangers)
du
13
mars
au
23
juin
1995.
B) Qu’apporte la Lecture en couleurs à ces stagiaires ?
Le premier contact les déstabilise mais tous comprennent rapidement qu’ils ont un lien direct
entre ce qu’ils savent oralement et les exigences de la lecture et de l’écriture (le code de
l’écrit).
La sollicitation permanente et simultanée de leurs sens (vue, ouïe, toucher) leur convient
particulièrement bien et les mène de façon constante et autonome à l’apprentissage.
C’est cette autonomie qui leur donne la confiance en eux-mêmes et souvent la dignité auprès
de leur entourage (en particulier de leur famille).
D’un point de vue technique, ils ont tous été capables de travailler à temps complet (40 heures
par semaine) sur les différents tableaux associés à la Lecture en couleurs. Sur les 100
personnes formées en 1994-95, seules deux ont échoué dont l’une est restée 4 semaines bien
qu’on ne l’ait jamais vue jusque là suivre une session de formation plus de deux jours.
Le français est une langue complexe, même pour les francophones. Les confusions de sons
dans le français oral très fréquentes au début de stage avaient pratiquement disparu à la fin.
Des représentants des différents organismes (L’ANPE, le Directeur de formation de la société,
les chefs de départements, etc.) ont assisté à toutes les sessions d’évaluation. Ces évaluations
ont démontré de la part des stagiaires une liberté croissante dans la prise de parole et dans
l’expression personnelle. La peur de montrer leurs écrits et de parler en public a disparu.
En 1995, tous les membres d’un groupe (à l’exception d’un seul) ont décidé de participer au
Concours national d’orthographe organisé par le CLAP. Sur plus de 500 candidats, 3 ont reçu
des prix. Ceci est considéré comme important pour la socialisation des stagiaires.
Contribution de Suzanne
Lachaise :
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Apports de la Lecture en couleurs et de l’Approche Gattegno dans l’enseignement de la
lecture aux enfants déficients auditifs
Les enfants dont je me suis occupée - et m’occupe encore - durant ces vingt-cinq dernières
années sont et étaient atteints de déficiences auditives variées, de la plus profonde à la plus
légère. Tous étaient appareillés en contours d’oreille, c’est-à-dire bénéficiaient d’un gain
prothétique leur permettant de percevoir au moins des bruits (différence silence/bruit) donc,
des rythmes, et au mieux la parole dont la discrimination fine nécessite l’apport de
l’observation des mouvements des lèvres (ou lecture labiale).
La vision est la voie de connaissance privilégiée pour les personnes mal ou non entendantes.
Or, les matériels de la Lecture en couleurs s’adressent structurellement à la vision :
séparation claire des mots, impacts colorés des graphèmes, identification des formes des
lettres par le choix de la police de caractères. D’autre part, le fait que les mots sur les tableaux
soient organisés non pas en phrases mais par rapport à leur constitution algébrique, délivre de
l’obligation prioritaire de la compréhension sémantique (ceci fera l’objet d’un prochain
paragraphe) et favorise les prises de conscience fondamentales qui sous-tendent les
fonctionnements humains demandés par l’acte de lire.
Je m’explique :
Lire le français à notre époque, c’est-à-dire au point d’évolution où est parvenue notre langue
écrite, signifie rencontrer visuellement des signes graphiques organisés sur une page : de
gauche à droite, puis de haut en bas, groupés premièrement en graphèmes, deuxièmement en
mots, se succédant comme le français académique le demande et agrémentés de signes de
ponctuation. Rencontrant ces signes, le premier geste mental du lecteur confirmé comme du
débutant est de transformer ces signaux visuels en signaux sonores mentaux qui déclenchent
le deuxième geste mental : l’accès à la compréhension si le niveau de langue du texte est
compatible avec celui du lecteur.
Mon rôle d’enseignante ici est de rendre possible le premier geste mental par l’apprentissage
de la lecture et le deuxième par l’apprentissage de la langue - alors que ce deuxième geste est
automatique pour toute personne qui parle la langue avant d’entrer dans l’apprentissage de la
lecture. Je m’occuperai ici de l’accès à ce premier geste mental indépendamment du second
bien qu’ils deviennent de plus en plus intimement liés au cours de l’apprentissage, le second
étant traité avec les tableaux conçus pour l’apprentissage du français langue étrangère (Silent
Way). Moins les enfants sont atteints dans leur surdité et dans leur niveau de pratique
préalable de la langue orale, plus je peux utiliser le matériel tel quel pour l’apprentissage de la
lecture.
Si ce n’est pas possible, j’utilise le même schéma d’apprentissage en utilisant d’abord les sons
de la langue qui leur sont accessibles, soit :
a) travail sur la langue de /æ/ (cf. la Lecture en couleurs : Guide du maître)
b) transfert à une autre voyelle
c) intégration des deux voyelles (pour l’ouverture que donne la combinatoire)
d) extension de ce travail par ajout de 2 ou 3 autres voyelles sous réserve que leur
écriture soit simple (pas /u/ par exemple mais /e/ ou /è/ selon les possibilités
articulatoires des enfants).
Le travail proposé sur le tableau de mots qui ne contient que des voyelles va porter par
exemple sur les sons /æ/, /i/, /o/ ou /ô/, /e/ ou /è/ ... /e/ et /y/ sont plus aléatoires.
A ce point, les enfants savent :
a) prononcer de manière différenciée les sons étudiés,
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b) quelle couleur est associée à chacun d’eux,
c) former et reconnaître une lettre pour chacun,
d) identifier ces sons produits isolément ou dans une chaîne sonore, perçus visuellement
(et auditivement pour les mieux entendants), chacun de ces quatre plans (articulatoire,
coloré, graphique, perçu d’un locuteur) renvoyant à n’importe lequel des trois autres.
Ils sont habiles à construire et à décoder des chaînes qui se déduisent l’une de l’autre par l’une
des quatre opérations algébriques qui sous-tendent l’activité de lecture : addition, insertion,
substitution d’un son (donc d’une couleur, donc d’un signe graphique) dans la chaîne et
renversement de l’ensemble de cette chaîne.
Ils savent faire correspondre une succession temporelle (dite ou donnée par le pointeur qui
touche successivement les signes colorés (pour le moment, les lettres) à une succession
spatiale organisée de gauche à droite comme le français le demande.
Ils peuvent donc faire une dictée visuelle et produire eux-mêmes des ensembles qu’ils
peuvent relire et donner à lire à leurs pairs, classer de tels ensembles selon des critères
numériques (nombre de lettres ou sons) ou d’identité partielle (commencent ou finissent par
/x/, contiennent /x/, contiennent /x/ et /y/, ne contiennent pas /x/… etc.…
Ils savent aussi scander les propositions ou les lire de manière fluide. Le fait d’être conscient
de la scansion et de maîtriser l’algèbre permet maintenant d’aborder, comme pour les élèves
entendants, une syllabe plus complexe formée d’une consonne et de n’importe quelle voyelle
connue. Cette consonne sera celle qui peut être produite par le plus grand nombre dans le
groupe. C’est souvent /m/, quelquefois /c/. Je la détermine par l’observation de leur langue
personnelle spontanée et dans le travail de mise en correspondance des sons qu’ils peuvent
produire avec les couleurs du tableau des rectangles colorés, activité que je pratique à un autre
moment, car alors il ne s’agit pas de lecture mais, pour les élèves, des prises de conscience de
leur propre système phonatoire et des sons qui sortent d’eux lorsqu’ils l’utilisent de telle ou
telle manière; les rectangles colorés me permettent alors de donner à mes élèves le feed-back
visuel de leurs productions vocales. On peut dire que ce tableau permet la perception visuelle
des sons : il en provoque le déclenchement, l’autocorrection, et l’adéquation de l’intention à la
réalisation motrice.
L’introduction de cette nouvelle syllabe se fait comme pour n’importe quel élève qui
bénéficie de cette approche, c’est-à-dire qu’elle est présentée comme une entité nouvelle qui
contient une part de connu et une part d’inconnu. La présence de ce nouveau venu fait qu’on
ne peut plus produire ce que l’on reconnaît comme on le faisait jusqu’à maintenant : /a/ est
devenu /ma/; si on enlève la nouveauté, on retrouve /a/. La consonne joue son rôle de
modificateur de la voyelle, elle n’apparaît pas telles les voyelles précédemment utilisées
comme un son pur de plus, elle donne à la conscience syllabique, forcée par la scansion, un
statut plus évolué, plus élaboré. Par contre, cette nouvelle syllabe - disons /ma/ - venant
s’ajouter aux 4 ou 5 syllabes élémentaires que nous avions déjà à disposition, peut se
combiner à elles par le jeu de l’algèbre que nous savons jouer et, en le jouant, les enfants
construisent et développent leur maîtrise à la fois de cette algèbre et de la prononciation du
nouveau venu (dans notre exemple, /ma/, et non /m/) ensuite un simple jeu de substitution de
voyelles engendre toutes les syllabes de second niveau possibles en l’état actuel de leurs
connaissances, entraînant des créations d’ensembles, (de “mots”) de plus en plus variés et
riches.
A ce niveau de connaissance, les enfants sourds et mal entendants auxquels je fais référence
ont tous connu une vive excitation, stimulée par la découverte du pouvoir de création que si
peu d’éléments permet (a - o - i - e - ma - mo - mi - me). Activité dans laquelle personne, pour
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une fois, ne leur demande de comprendre autre chose que la nature et le fonctionnement de
l’activité elle-même. C’est vers ce moment que spontanément leur intérêt pour l’apprentissage
du reste de la lecture se manifeste, et qu’ils demandent à entrer plus avant dans l’univers qui
s’ouvre à eux et où ils pénètrent avec enthousiasme et confiance en eux.
L’introduction d’autres consonnes selon le principe de la syllabe de second niveau, se fait
progressivement au rythme impulsé par les enfants, sous réserve que les prises de conscience
aient le temps de “prendre”, que les exercices d’accession aux différentes maîtrises aient leur
place pour que la rétention ne demande pas d’effort et que la construction des structures
mentales appropriées engendre une imagerie riche et à disposition, conformément aux
demandes spécifiques de la langue française écrite que je représente devant les enfants.
Dans cette progression adaptée de l’apprentissage, je construis si besoin est, les supports
correspondants. Le matériel standard des tableaux de mots sert de déclencheur pour certaines
activités, de réservoir de mots présentant des défis spécifiques en eux-mêmes ou dans les
rapports algébriques qu’ils présentent avec les autres mots de ces tableaux (agent et nagent -
fils, fils et fusils - six, six, six - barque et crabe - diagnostic...), à l’illustration de certaines
graphies trouvées dans le Fidel, assurant qu’il existe un mot au moins contenant cette graphie.
Il stimule aussi l’investigation spontanée des enfants et les allers-retours mots/graphies
(tableaux de mots/tableaux d’orthographe) et mots en couleurs/ mots non colorés (tableaux de
mots et livres) et réciproquement.
Je les utilise évidemment pour constituer des phrases qui permettent de traiter la fluidité, le
groupement de certains mots, les liaisons, l’intonation et la mélodie - la dimension
sémantique ne devenant pas un frein au travail technique de lecture. Le contexte linguistique
de telles phrases n’étant pas limité au niveau de langue des élèves, il sert aussi à leur donner
une expérience pratique de la variété linguistique, même si son contenu est transcendant,
expérience courante pour les enfants entendants devant qui on parle de sujets qui les
dépassent sans que cela inquiète les personnes qui mettent ces thèmes en circulation,
tellement nous savons qu’un jour ils pourront y accéder. Nul ne sait ce que les enfants et les
bébés présents peuvent en extraire mais l’expérience de la confrontation des niveaux de
langue leur est offerte. Pourquoi pas aux enfants sourds ?
Quant au Fidel - tableau regroupant pour chaque son dans la couleur qui lui correspond, toutes
les graphies françaises - il est le matériel privilégié de l’étude de l’orthographe mais aussi de
l’analyse phonétique de la parole et/ou de l’écrit. Je ne l’utilise pas avant que les enfants ne
soient capables d’engendrer mentalement les associations syllabiques (quand le pointage
d’une consonne, suivi de celui d’une voyelle déclenche en eux l’élaboration d’une syllabe
produite comme une unité phonatoire) - s’ils ne le peuvent pas, ce travail retarde d’autant
leurs apprentissages - mais ensuite le travail au Fidel devient un outil privilégié pour traiter la
précision articulatoire, la succession phonétique, les prises de conscience orthographiques :
les élèves pointent souvent les têtes de colonnes, de nombreux mots terminés par un son
consonne ont une lettre “e” finale, ceux qui se terminent par une voyelle requièrent souvent
une lettre dite muette, quand on dit /è/ dans un mot, on ne sait pas vraiment lequel il faut
choisir, mais la graphie “e” seule se rencontre souvent, (comme dans “belle”)...
La conjugaison et les accords singulier/pluriel, masculin/féminin, demandent d’être vigilants
pour la transcription du dernier son du mot, (par exemple, mange, manges, mangent). C’est
l’outil qui favorise le mieux le senti, l’intuition orthographique et les enfants, comme moi-
même s’y réfèrent très souvent.
Par ailleurs, nous travaillons comme indiqué plus tôt avec le tableau des couleurs pour la
prononciation des sons du français, mais aussi, entre autres choses, avec les tableaux utilisés
pour l’enseignement du français langue étrangère (Silent Way). Cette dernière activité a pour
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Page 15 sur 15
"La Lecture en Couleurs en France 1996" de Glenys Hanson, Roslyn Young et al est mis à
disposition selon les termes de la licence Creative Commons Paternité - Pas d’Utilisation
Commerciale - Pas de Modification 3.0 non transcrit...