ﻗـﻮﻯ ﺗـﻮﻧـﺲ ﺍﻟﺤــﺮّﺓ
Forces
de la Tunisie Libre
Un visage de la révolution
Ridha Chiheb Mekki :
« l’expression de la révolution n’est pas encore construite »
Les lectures politiques de la Révolution du 14 janvier ne cessent de se
multiplier. L’initiateur de la formation ‘Forces de la Tunisie libre’, Ridha
Chiheb Mekki, nous présente la sienne. Interview :
Quelle est votre lecture de la révolution tunisienne ?
Il est clair que c’est d’abord une révolution sociale. Ceux qui ont entamé
le processus de la révolution luttaient contre la précarité, voulaient de
l’emploi et de la dignité. Emploi, dignité et lutte contre la précarité sont
les principaux slogans autour desquels se sont soulevés ces marginaux
dont le nombre dépasse les 700.000. Leur composition est cosmopolite
avec des chômeurs classiques, des diplômés, des paysans qui
n’arrivent pas à rémunérer les coûts de production au bout d’un cycle de
production annuel, les petits commerçants et les ambulants dont les
revenus nets sont loin de satisfaire les besoins essentiels de leur vie.
Ce sont ces couches qui ont été à l’origine de la révolte populaire. Elles
ont compris que les programmes de développement préconisés ne
peuvent, en aucune manière, correspondre à leurs revendications
sociales. Elles ont été à l’origine de cet affrontement avec le régime
déchu, protecteur d’un modèle de développement. De nouvelles
couches se sont ralliées à cet affrontement massif (petits bourgeois,
étudiants, cadres moyens, employés, etc.).
C’est avec ce ralliement que le soulèvement est devenu populaire.
Ainsi, un certain nombre d’intérêts se sont rassemblés pour destituer
d’abord le régime en place et, à sa tête, le président déchu. Ensuite,
l’abolition du RCD, la machine idéologique de destruction massive.
Enfin, toutes les croies de transmission, administratives et policières. La
Révolution s’est ainsi transformée d’une révolution sociale en une
révolution sociopolitique. Son caractère principal, c’est la spontanéité et
l’absence de toute forme d’encadrement. C’est une Révolution qui
s’ouvre sur une nouvelle époque.
Et quels sont les slogans du moment ?
Le monde n’a jamais connu une révolution pareille, aussi originale,
aussi généreuse. C’est un apprentissage collectif. Tout le monde
apprend et cet apprentissage se fait au jour le jour. Entretemps, des
lignes sont encore de se dessiner, d’une part, à travers les comités de
protection de la révolution. Et, d’autre part, avec l’octroi à ces comités
d’une représentation sociale à l’échelle locale et régionale, vu le vide
politique dominant. Pourtant, il est impératif que cette révolution ait son
expression politique propre le plus rapidement possible, ce qui n’est pas
le cas actuellement.
Par contre, celle de la contre-révolution existe. Elle commence même à
s’exprimer. Elle a un projet commun qui est celui d’un corps à triple-tête.
D’abord, le gouvernement provisoire qui n’est que la succession du
régime déchu avec un premier ministre recherché dans les archives.
Ensuite, l’Instance supérieure pour la réalisation des objectifs de la
révolution, la réforme politique et la transition démocratique qui propose
un scrutin proportionnel de listes aux plus forts restes, qui renforce la
politocratie, maquillée par la parité et l’exclusion des RCDistes. Enfin, le
Conseil supérieur de la protection de la révolution.
Grosso modo, la révolution vit une dualité et un certain blocage.
Blocage dû à l’absence de son expression politique propre et dualité
parce qu’elle se moule dans une double structure. D’une part, celle de
ce qui reste de l’ancien régime et, d’autre part, envie et volonté de se
procurer ses propres dynamiques
Quelle est votre alternative et quels sont vos objectifs ?
L’expression de la révolution n’est pas encore construite. Elle est en
cours d’édification. Laissons au peuple le temps qu’il faut pour aiguiser
ses armes. Laissons du temps au temps. Le peuple tunisien a toujours
fait preuve de patience. Il est à l’image d’un chasseur attendant sa
proie. Il n’est pas encore satisfait.
Le métro de la Révolution a rassemblé des passagers qui n’ont pas de
destination commune. Il y a un affrontement au niveau de chaque
station, équivalente à une mission. Chaque expression politique veut
faire descendre tout le monde lorsqu’elle pense que ses objectifs sont
atteints.
Quel est votre terminus à vous ?
Nous ne sommes pas dans un schéma préétabli qui nous emprisonne.
Notre mouvement ‘Forces de la Tunisie libre’ se refuse tout débat à
caractère idéologique. Nous sommes pour un Etat social, des élections
à toutes les échelles mais, avant tout, une redistribution des
compétences entre le central et le régional, au profit des régions. Nous
ne sommes pas pour une démocratie dans l’absolu mais, en miettes.
Nous voulons, d’une part, plus de centres démocratiques et, d’autre
part, plus de protection contre les chocs financiers et économiques
mondiaux.
Un Etat social, c’est d’abord un Etat des services publics qui est loin
d’être un Etat interventionniste ou keynésien. C’est un Etat dont la
responsabilité est d’assurer des services essentiels à la majorité
écrasante du peuple, soient : scolarité, santé, travaux publics,
infrastructures urbaines et sociales, ainsi que toute structure de
recherche dans les domaines scientifique et technologique.
Que constitue le 24 juillet pour vous ?
Le 24 juillet est une date qui n’est pas nécessairement la bonne. Il se
peut que le peuple fasse ses choix avant ou après cette date. Si cette
date va s’imposer aux Tunisiens, elle le serait avec un contenu négatif
pour les Tunisiens, dans la mesure que, d’une part, le mode de scrutin
n’est pas adéquat. D’autre part, le débat sur le contenu des projets
demeure le grand absent. Le débat doit se faire maintenant. Est-ce
qu’ils attendent la campagne pour s’exprimer ?
Vous êtes optimiste ?
Très.. Il se pourrait que je sois en train d’exposer soit la volonté du
peuple. Je n’ai aucun intérêt personnel. J’ai grandement confiance dans
la volonté et le potentiel de ce peuple. Il attend. Il réagira au temps
voulu.
Interview conduite par Mourad SELLAMI