1. MAITRISE UNIVERSITAIRE EN SCIENCES DE L’ENVIRONNEMENT
______________________________________________________________
Evaluation d’impact sur la santé
sur l’application du principe
« Cassis de Dijon »
aux denrées alimentaires en Suisse
Mémoire présenté par
Sabine Jaccard
Bachelière universitaire en géographie
Sous la co-direction du Professeur Jean Simos
Responsable du groupe de recherche en environnement et santé
et
Natacha Litzistorf
Directrice de l’ONG Equiterre
Mémoire No 144
2014
2. EIS : application du principe « Cassis de Dijon » aux denrées alimentaires
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DROITS D’AUTEUR
Les citations tirées du présent mémoire ne sont permises que dans la mesure où
elles servent de commentaire, référence ou démonstration à son utilisateur. La
citation doit impérativement indiquer la source et le nom de l’auteur. La loi fédérale
sur le droit d’auteur est applicable.
3. EIS : application du principe « Cassis de Dijon » aux denrées alimentaires
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Avant-propos
Ce travail est effectué dans le cadre du Master en Sciences de l’Environnement
(MUSE) de l’Université de Genève en partenariat avec l’ONG Equiterre. Il consiste en
une évaluation d’impact sur la santé (EIS) sur la décision parlementaire d’appliquer le
principe dit « Cassis de Dijon » dans le domaine des denrées alimentaires en Suisse.
L’intérêt d’une telle démarche est de fournir les outils nécessaires à la prise de
décision. Certains acteurs de la protection des consommateurs ou de l’environnement
semblent reconsidérer leur adhésion antérieure à cette introduction du principe en
Suisse et se demandent si leur position n’aurait pas été différente si à l’époque ils
avaient disposé des résultats d’une telle EIS. Compte tenu des moyens à disposition il
s’agit d’une EIS rapide.
4. EIS : application du principe « Cassis de Dijon » aux denrées alimentaires
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Remerciements
Je tiens à remercier M. le professeur Jean Simos et Mme Natacha Litzistorf pour leur
supervision et leurs conseils ainsi que M. Antoine Casabianca qui a accepté d’officier
en tant qu’expert lors de la défense du mémoire. J’aimerais associer à ces
remerciements M. Thierno Diallo qui a accepté de remplacer Natacha Litzistorf à la
soutenance du mémoire au pied levé.
Je remercie chaleureusement Jacqueline Schüpbach, Adrien Kunz, Patrick Edder,
Valentina Hemmeler Maïga, Willy Cretegny, Carmelo Laganà, Christophe Perritaz,
Martin Rufer, Jacques Chavaz, Aline Clerc et Antoine Casabianca de m’avoir accordé
un entretien.
J’associe également à ces remerciements Pierre Jaccard qui a eu la gentillesse de
relire une version de ce travail et d’y apporter ses commentaires ainsi que Bernard
Ducret le relecteur final de ce travail.
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Résumé
Introduction
Dans le cadre de la révision de la loi sur les entraves techniques au commerce (LETC), en vue
de baisser les prix des denrées alimentaires, le Parlement a décidé d’introduire de manière
unilatérale le principe « Cassis de Dijon » (CdD) en Suisse. Trois ans après son introduction, le
principe CdD fait l’objet de vives critiques et plusieurs acteurs sociétaux souhaitent exclure les
denrées alimentaires du champ d’application du principe en raison de ses incidences négatives
sur l’environnement et la protection des consommateurs notamment. En adoptant la
démarche d’une évaluation d’impact sur la santé (EIS), ce travail vise à identifier les impacts
potentiels sur la santé liés à l’introduction du principe CdD aux denrées alimentaires. L’intérêt
d’une telle démarche est d’apporter une aide à la prise de décision.
Objectifs
Le but de la présente EIS consiste à fournir les outils pour répondre aux questions : est-il
intéressant en matière de santé publique de garder les denrées alimentaires dans l’application
du principe CdD ? Et si oui, des mesures d’accompagnement ou des ajustements de la décision
sont-ils nécessaires ?
Méthodologie
Dans un premier temps, un cadre de recherche dans lequel conduire l’EIS est défini sur la
base d’un examen de la littérature. Ce cadre permet de conduire la deuxième étape qui
consiste à identifier les impacts potentiels du principe CdD sur les déterminants de la santé
ainsi que les populations plus vulnérables face au principe. Des données qualitatives sont
collectées : dix entrevues sont menées avec des parties prenantes et informateurs-clés sur le
sujet. Les données des entretiens sont ensuite combinées à des données existantes sur le
sujet pour évaluer l’ampleur des impacts sur les déterminants de la santé identifiés. Des
recommandations sont ensuite établies sur la base des résultats de l’analyse et de l’évaluation
des impacts.
Résultats principaux
La baisse des prix escomptée n’a pas eu lieu et l’image globale des impacts est plutôt négative.
Le principe CdD conduit à la diminution de la qualité de l’information, des qualités gustatives et
nutritionnelles des denrées alimentaires, voire même de la sécurité sanitaire des aliments. Il
affecte la cohérence des politiques publiques et l’expression démocratique. Il n’est pas exclu
que le principe péjore également le revenu et les conditions de travail en particulier des
personnes employées dans la chaîne agro-alimentaire, la culture et le bien-être de manière
plus générale et qu’il contribue à l’augmentation des inégalités sociales en accentuant des
mauvaises habitudes alimentaires dans les populations les plus vulnérables, notamment les
personnes au statut socio-économique inférieur. Dans la situation actuelle, compte tenu du
volume négligeable de produits CdD vendus sur le marché suisse, ces impacts n’ont toutefois
pas d’influence significative sur la santé.
Conclusion et recommandations
Il est possible de maintenir le principe CdD pour autant qu’un certain nombre de corrections
soient effectuées au niveau de la LETC, des ordonnances et mesures d’accompagnement dont
des exigences plus strictes pour les autorisations de portée générale et une liste d’exceptions
plus conséquente. Dans ce cas, le nombre d’autorisations de portée générale diminuerait très
probablement et le volume de produits vendus sous le principe CdD serait d’autant plus
négligeable, mais l’opportunité de pouvoir ôter les barrières d’importations considérées
comme de véritables entraves techniques au commerce serait toujours existante. La deuxième
option consisterait à éliminer les denrées alimentaires du champ d’application du principe.
Dans ce cas-ci, les entraves techniques au commerce devraient être éliminées par une
procédure habituelle de modification de la loi.
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Table des matières
Acronymes et abréviations 8
Définitions et concepts clés 9
1. Introduction 11
2. Présentation du contexte et description de l’étude 12
2.1. Contexte général ............................................................................................ 12
Développement du commerce mondial des denrées alimentaires ....................122.1.1.
Libéralisation du commerce, élimination des entraves techniques au commerce2.1.2.
13
Système alimentaire global .................................................................................142.1.3.
Marché alimentaire suisse...................................................................................152.1.4.
2.2. Décision de l’application unilatérale du principe « Cassis de Dijon » .......... 16
Contexte de la décision ........................................................................................162.2.1.
Principe « Cassis de Dijon ».................................................................................182.2.2.
Principe « Cassis de Dijon » en Suisse : base légale et exigences .....................182.2.3.
2.3. Incidences sur la santé .................................................................................. 19
2.4. Evaluation d’impact sur la santé.................................................................... 21
2.5. Problématique et objectifs............................................................................. 23
Objectifs principaux et spécifiques ......................................................................232.5.1.
2.6. Hypothèse de recherche ................................................................................ 24
2.7. Plan du mémoire............................................................................................ 24
Remarque au sujet de la structure du travail......................................................242.7.1.
3. Travail préparatoire, analyse préliminaire 25
3.1. Etat de la littérature ....................................................................................... 25
Alimentation et santé ...........................................................................................253.1.1.
Une alimentation de qualité .................................................................................283.1.2.
Modes de consommations et choix des consommateurs....................................293.1.3.
Information et consommation..............................................................................303.1.4.
Alimentation locale et santé ................................................................................313.1.5.
Exemples d’évaluation d’impact sur la santé......................................................333.1.6.
3.2. Conclusions .................................................................................................... 34
4. Cadrage 36
4.1. Analyse de la décision considérée dans l’EIS................................................ 37
Aspects et options de la décision évalués............................................................374.1.1.
Aspects non négociables......................................................................................384.1.2.
Aspects importants et conditions particulières à prendre en considération .....384.1.3.
Portée de l’EIS ......................................................................................................394.1.4.
Idées préexistantes sur les effets non voulus de l’introduction du principe4.1.5.
« Cassis de Dijon » .............................................................................................................39
4.2. Déterminants de la santé potentiellement importants, impacts potentiels sur
la santé et populations affectées ............................................................................. 39
4.3. Groupes cibles et groupes de personnes vulnérables .................................. 43
Style de vie............................................................................................................434.3.1.
Environnement physique et naturel.....................................................................444.3.2.
Environnement socio-économique et culturel ....................................................484.3.3.
4.4. Parties prenantes et informateurs-clés........................................................ 50
4.5. Conclusions, méthodes à utiliser et informations nécessaires.................... 51
5. Analyse sommaire et évaluation rapide 53
5.1. Entrevues avec des parties prenantes........................................................... 53
Processus d’entretien ..........................................................................................535.1.1.
7. EIS : application du principe « Cassis de Dijon » aux denrées alimentaires
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Compte rendu des entretiens et éléments ressortant........................................545.1.2.
Conclusions ..........................................................................................................685.1.3.
5.2. Analyse des données existantes .................................................................... 69
Aperçu des demandes déposées auprès de l’OSAV ............................................695.2.1.
Données secondaires du rapport du SECO..........................................................715.2.2.
Conclusions ..........................................................................................................735.2.3.
5.3. Constatations et résultats : évaluation sommaire ........................................ 74
Evaluation sommaire des impacts de l’introduction du principe « Cassis de5.3.1.
Dijon » 79
Conclusions ..........................................................................................................835.3.2.
6. Discussion et recommandations 86
6.1. Recommandations et piste d’actions pour décideurs ................................... 90
Maintenir les denrées alimentaires dans le champ d’application du principe6.1.1.
« Cassis de Dijon » .............................................................................................................90
Conclusion ............................................................................................................926.1.2.
7. Conclusion 93
Bibliographie 94
Annexes 98
Liste des tableaux
Tableau 1 : Principaux pays de provenance des denrées alimentaires importées en 2000 et
2010. Principaux pays de provenance par poids importés. (USP 2012, p. 27) .................... 16
Tableau 2 : Valeurs fondamentales d’une évaluation d’impact sur la santé (Gothenburg
consensus paper 1999, p.4).................................................................................................. 22
Tableau 3 : Etapes d’une évaluation d’impact sur la santé (Plateforme EIS 2010; Health Impact
Project 2012; Forbes et al. 2013) ......................................................................................... 22
Tableau 4 : Questions pour le cadrage de l’EIS (repris de Plateforme EIS 2010, p.24)............... 37
Tableau 5 : Liste des déterminants de la santé basée sur le classement proposé dans le cadre
du travail sur les EIS du canton du Jura (Plateforme EIS 2010, p. 11) ............................... 40
Tableau 6 : Thèmes et questions de recherche, élaborés à partir du schéma logique I ............ 52
Tableau 7 : Résultats d’analyse et évaluation des impacts liés à l’introduction du principe CdD
sur les déterminants de la santé......................................................................................... 76
Liste des figures
Figure 1 : les multiples déterminants de la santé (Dahlgren 1995) (Plateforme Suisse sur
l’Evaluation d’Impact sur la Santé 2010, p.10)……………………………………………………………….20
Figure 2 : Schéma logique I : décision d’introduire de manière unilatérale du principe « Cassis
de Dijon » aux denrées alimentaires en Suisse……………………………………………………………..41
Figure 3 : Nombre d’autorisations de portée générale classées selon la nature de la divergence
à la loi suisse……………………………………………………………………………………………………………..…70
Figure 4 : Schéma logique II : décision d’introduire de manière unilatérale du principe « Cassis
de Dijon » aux denrées alimentaires en Suisse……………………………………………………………..85
8. EIS : application du principe « Cassis de Dijon » aux denrées alimentaires
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Acronymes et abréviations
ACSI Associazione consumatrici e consumatori della Svizzera italiana
CdD Cassis de Dijon
CE Communauté européenne
CEE Communauté économique européenne
CI CDS Communauté d’intérêt du commerce de détail suisse
CJCE Cour de justice des Communautés européennes
DEFR Département fédéral de l’économie, de la formation et de la
recherche
EIS Evaluation d’impact sur la santé
FAO Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture
FRC Fédération Romande des Consommateurs
LDAI Loi fédérale sur les denrées alimentaires et les objets usuels
LETC Loi fédérale sur les entraves techniques au commerce
OFAG Office fédéral de l’agriculture
OFEV Office fédéral de l’environnement
OFSP Office fédéral de la santé publique
OMC Organisation mondiale du commerce
OMS Organisation mondiale de la Santé
OPPEtr Ordonnance sur la mise sur le marché de produits fabriqués selon
des prescriptions étrangères
OSAV Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires
PAC Politique agricole commune
SCAV Service de la consommation et des affaires vétérinaires
SECO Secrétariat d’Etat à l’économie
UE Union Européenne
USP Union Suisse des Paysans
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Définitions et concepts clés
Par ordre d’apparition dans le texte.
Entraves techniques au commerce : « obstacles aux échanges internationaux de
produits qui résultent de prescriptions ou de normes techniques différentes, de leur
application divergente ou de la répétition d’essais ou d’homologations déjà effectués à
l’étranger »1
Maladies non transmissibles (MNT) ou maladies chroniques : « Les quatre principaux
types de maladies non transmissibles sont les maladies cardiovasculaires (accidents
vasculaires cardiaques ou cérébraux), les cancers, les maladies respiratoires
chroniques (comme la broncho-pneumopathie chronique obstructive ou l’asthme) et
le diabète. (…) Ces maladies sont induites par des phénomènes tels que le
vieillissement, l’urbanisation rapide et non planifiée et la mondialisation des modes de
vie défavorables à la santé. Par exemple, la mondialisation de la mauvaise
alimentation peut se traduire au niveau individuel par une augmentation de la tension
artérielle, de la glycémie, de la lipidémie, par le surpoids et l’obésité. On les appelle
des «facteurs de risque intermédiaires» pouvant entraîner des maladies
cardiovasculaires, qui font partie des MNT. »2
Sécurité alimentaire [d’approvisionnement] (food security) : « La sécurité
alimentaire existe lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, la possibilité
physique, sociale et économique de se procurer une nourriture suffisante, saine et
nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins et préférences alimentaires pour
mener une vie saine et active. »3
Sécurité alimentaire [sanitaire] (food safety) : ce terme renvoie à l’hygiène et
l’innocuité des aliments.
Santé : « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne
consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité. »4
Transition alimentaire : ce terme désigne le processus global de changement du
comportement alimentaire avec l’augmentation du niveau économique d’une population,
passant d’un régime basé sur les aliments d’origine végétale vers des régimes plus
caloriques et une plus grande consommation de produits d’origine animale. (Rayner et al.
2007)
Prescriptions techniques : « Règles de droit fixant des exigences, dont la réalisation
constitue une condition de l’offre, de la mise sur le marché, de la mise en service, de
l’utilisation ou de l’élimination d’un produit et qui portent notamment sur la
composition, les caractéristiques, l’emballage, l’étiquetage ou le signe de conformité
des produits ; la production, le transport ou l’entreposage des produits ; les essais,
1
« Message du Conseil Fédéral du 25 juin 2008 concernant la révision de la LETC », Parlement suisse
2008, p. 6644
2
Aide-mémoire n°355 de l’OMS : http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs355/fr/
3
Comité de la sécurité alimentaire mondiale : http://www.fao.org/cfs/fr/
4
Préambule à la Constitution de l'Organisation mondiale de la Santé, tel qu'adopté par la Conférence
internationale sur la Santé, New York, 19-22 juin 1946.
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l’évaluation de la conformité, l’enregistrement, l’homologation ou la procédure
d’obtention du signe de conformité. »5
Alphabétisation alimentaire (food literacy) : « Compétence à organiser son
alimentation quotidienne d'une manière autonome, responsable et plaisante. (…) De
plus en plus de gens méconnaissent l'origine et la qualité des aliments et ne savent
pas préparer leurs repas. Ceci a pour conséquence d'augmenter les risques pour la
santé et la part du budget alloué à l'alimentation. En même temps les habitudes et
cultures alimentaires changent en raison des modifications de comportements
sociaux. Les savoirs traditionnels en matière d'alimentation perdent leur importance.
Les scandales alimentaires, l'abondance de produits et les recommandations parfois
contradictoires engendrent d'autant plus de difficultés dans la préparation des repas
quotidiens. Des demandes d'éducation à l'alimentation se font jour en particulier pour
les personnes défavorisées. »6
Alimentation locale : La définition du concept d’alimentation locale est complexe. La
production locale n’est pas seulement basée sur le local comme un lieu mais sur les
dimensions socio-culturelles, ainsi que l’aspect du savoir-faire par exemple. (Holt et
Amilien 2007; Tregear 2007) Les petites exploitations, l’économie locale, les règles de
production, de commerce et de consommation, la préservation de variétés
traditionnelles, la qualité des produits, la philosophie biodynamique et les relations
spécifiques aux sols et climat du lieu d’origine représentent divers objectifs et valeurs
de la multitude d’initiatives et mouvements sociaux qui partagent pour objectif
commun celui de se désengager des voies d’approvisionnement globales et
industrialisées. (Holt et Amilien 2007)
Un produit local est un produit issu de l’agriculture de proximité. Dans le cadre de ce
travail, une denrée alimentaire produite en Suisse est considérée comme un produit
local.
Souveraineté alimentaire : « La souveraineté alimentaire est le droit des peuples à
une alimentation saine et culturellement appropriée produite avec des méthodes
durables, et le droit des peuples de définir leurs propres systèmes agricoles et
alimentaires. Elle place au cœur des systèmes politiques et alimentaires les
aspirations, les besoins et les moyens de subsistance de ceux qui produisent,
distribuent et consomment des aliments, plutôt que les exigences des marchés et des
entreprises multinationales. »7
5
« Examen des divergences entre les prescriptions techniques suisses et le droit en vigueur dans la CE”,
Parlement suisse 2006, p. 6
6
Food litteracy : http://www.food-literacy.org/fr/accueil
7
La Via campesina : http://viacampesina.org/fr/index.php/organisation-mainmenu-44
11. EIS : application du principe « Cassis de Dijon » aux denrées alimentaires
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1. Introduction
Suite à une décision du Parlement, le principe « Cassis de Dijon » (CdD) a été introduit
en Suisse en tant qu’instrument permettant de lutter contre l’îlot de cherté suisse. Ce
principe, qui vise à diminuer les entraves techniques au commerce, s’applique
notamment au champ des denrées alimentaires.
Or l’alimentation est au centre de nombreuses préoccupations. Dans le contexte
actuel, les enjeux de santé publique liés à l’alimentation jouent un rôle majeur :
l’augmentation des maladies non transmissibles va de pair avec la mondialisation de
la mauvaise alimentation. Le système alimentaire est aussi en lien avec de grands
problèmes environnementaux et il pose des questions d’éthique et d’équilibre des
échanges.
Cette décision de libéralisation du commerce alimentaire se heurte à la complexité du
système alimentaire. Ce dernier agit comme un prisme à l’interface du
développement durable et des grands défis de santé publique (Kickbusch 2011). Il
comprend les activités liées à la production, la transformation, la distribution, la
préparation et la consommation des aliments ainsi que les résultats de ces activités
qui contribuent à la sécurité alimentaire8
, la disponibilité alimentaire, l’accès aux
denrées alimentaires et leur utilisation. Le système alimentaire comprend ainsi une
série d’éléments socio-économiques et environnementaux qui interagissent
simultanément, avec des relations de cause à effet complexes et des boucles de
rétroaction. (Lang 2009; Kickbusch 2011) Aujourd’hui, les décideurs politiques doivent
répondre à de grands défis de santé publique : une coïncidence de sous-, mal- et
surconsommation accompagnées d’une augmentation des maladies non
transmissibles. Ils doivent en outre répondre à d’énormes défis environnementaux et
sociaux : changement climatique, stress hydrique, pression énergétique, évolution
démographique, etc. (Lang 2009)
Les coûts de la santé sont ainsi une externalité cachée du système alimentaire
contemporain (Lang 2009). Du point de vue de la santé publique, les soucis en termes
de nourriture, nutrition et alimentation doivent être élargis à une approche qui
considère le système alimentaire dans ses multiples dimensions (Kickbusch 2011).
Dans ce contexte, il est essentiel d’adopter une approche systémique. L’introduction
du principe CdD aux denrées alimentaires en Suisse ne peut pas être considéré dans
une perspective économique uniquement mais doit être considérée de manière
transversale. Ce travail suppose que la santé devrait être au centre des politiques
commerciales alimentaires. Il cherche à identifier les impacts potentiels sur la santé
liés à l’introduction du principe CdD aux denrées alimentaires et adopte la démarche
d’une évaluation d’impact sur la santé (EIS).
8
Le terme sécurité alimentaire fait référence à la sécurité sanitaire des aliments, en termes d’hygiène et
d’innocuité des aliments. Les termes sécurité alimentaire ou sécurité sanitaire utilisés dans le texte font
référence à cette définition.
12. EIS : application du principe « Cassis de Dijon » aux denrées alimentaires
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2. Présentation du contexte et description de l’étude
2.1. Contexte général
Développement du commerce mondial des denrées alimentaires2.1.1.
Alors que le commerce entre les nations et les continents remonte à plusieurs
siècles, le développement du commerce international tel qu’on le connaît aujourd’hui
a commencé après la seconde guerre mondiale avec les « accords de Bretton
Woods ». Ces négociations ont conduit à la création du Fonds monétaire international
et de la Banque mondiale ainsi que la mise en place en 1947 de l’accord général sur
les tarifs douaniers et le commerce (GATT), qui cédera plus tard à l’Organisation
mondiale du commerce (OMC) (Shaffer et al. 2005).
Au cours des années 1980, le libre-échange devient le paradigme politique dominant,
la politique de libre-échange est considérée comme un moyen essentiel pour
promouvoir la croissance économique nationale et mondiale. Basé sur l’économie
néoclassique introduite par Adam Smith et David Ricardo il y a 200 ans, le modèle de
libre-échange soutient que les barrières commerciales, comme les tarifs, le soutien
de l'État au commerce ou les subventions à l'exportation entravent la libre circulation
des marchandises et font donc obstacle à la maximisation du bien-être global.
(Hawkes et al. 2010)
Bien que cela soit envisagé dans l’accord du GATT, les Etats n’ont pas intégré
l’agriculture à la recherche d’une plus grande ouverture. L’agriculture a
généralement été exclue des règles commerciales de base jusque dans les années
1990, nouvelle ère dans le commerce alimentaire, marquée par le cycle d’Uruguay ou
Uruguay Round. (Hawkes et al. 2010) Ce cycle de négociations internationales a eu lieu
dans le cadre du GATT. Il a abouti aux accords de Marrakech en avril 1994 avec
notamment l’accord sur l’agriculture (AoA) et a marqué un remaniement complet du
système commercial mondial avec la création de l’Organisation mondiale du
commerce (OMC) en 1995.
L’AoA est le seul accord qui touche explicitement à l’agriculture, mais d’autres
accords ont des implications directes sur les produits agricoles et alimentaires
comme l’accord sur les barrières techniques au commerce (TBT), l’accord général sur
le commerce des services (GATS) ou les mesures concernant les investissements liés
au commerce. (Hawkes et al. 2010) L’accord sur l’application des mesures sanitaires
et phytosanitaires (SPS) établit des normes pour la santé des humains, des animaux et
des plantes. Il appelle à une intégration des sciences de la santé en matière de
sécurité alimentaire pour accroître la cohérence et la transparence. (Miyagishima et
al. 1995) En 1963, le commerce des denrées alimentaires est également affecté par le
Codex Alimentarius, programme commun de l’Organisation des Nations Unies pour
l’alimentation et l’agriculture (FAO) et l’Organisation mondiale de la Santé (OMS)
(Hawkes et al. 2010). Ce programme s’applique de manière volontariste par les Etats,
il consiste en un ensemble de normes, codes d’usages, directives et autres
recommandations relatives à la production et transformation de produits agro-
alimentaires. Il a été élaboré en vue de protéger la santé des consommateurs et des
travailleurs, de préserver l’environnement et de faciliter le commerce en
encourageant les pays à harmoniser les réglementations qui pourraient autrement
constituer des obstacles non tarifaires, comme les lois sur la sécurité alimentaire, la
composition et l'étiquetage (Codex Alimentarius 2013).
13. EIS : application du principe « Cassis de Dijon » aux denrées alimentaires
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Depuis le début du 21ème
siècle, l’OMC fait face à de nombreux différends
commerciaux à l’échelle internationale, de plus elle peine à parvenir à des accords
autour des réformes agraires. Cette absence de progrès sur le commerce des
produits alimentaires et agricoles à l’OMC a détourné l'attention sur des accords
bilatéraux régionaux comme un moyen de libéraliser le commerce des aliments. Dans
l’ensemble, l’AoA a établi un plan d’ouverture de l’agriculture. Elle a ainsi fortement
contribué à fixer les normes avec lesquelles l’agriculture est abordée dans les
accords régionaux et bilatéraux. (Hawkes et al. 2010)
Un des premiers exemples d'un tel accord régional était l’union douanière de six pays
européens en 1957 qui donna naissance à la Communauté économique européenne
(CEE), devenue la communauté européenne (CE), un des trois piliers de l’Union
Européenne (UE). La CEE avait pour mission de créer un véritable marché commun et
un rapprochement économique des Etats membres passant par la libre circulation
des personnes, des biens, des capitaux et des services, par l’abolition des restrictions
douanières entre Etats membres et par l’instauration d’une politique agricole
commune9
(PAC). (Hawkes et al. 2010)
Libéralisation du commerce, élimination des entraves techniques2.1.2.
au commerce
La libéralisation du commerce se fait de deux manières. Le premier mécanisme
consiste à s’ouvrir unilatéralement au marché par le biais de réformes domestiques
pour augmenter l’importation ou alors encourager les exportations, en enlevant par
exemple les taxes d’exportation. Plus fréquent aujourd’hui, le deuxième mécanisme
consiste à créer des accords de commerce multilatéraux, régionaux ou bilatéraux
avec d’autres pays de manière à diminuer les barrières au commerce pour chaque
partie. (Hawkes et al. 2010)
Parmi les différentes mesures, bilatérales, multilatérales et régionales, les mesures
d’élimination d’entraves au commerce, i.e. la diminution des barrières tarifaires et
non tarifaires aux importations et exportations de produits alimentaires, ont les
répercussions les plus directes sur le commerce des denrées alimentaires. Ces
mesures comprennent la taxation, l’adhésion aux normes alimentaires et à la
normalisation des processus. Les accords commerciaux comportent souvent des
mesures qui visent à protéger l’agriculture domestique, telles que les exonérations
pour les produits spéciaux et sensibles. (Hawkes et al. 2010)
D’après le rapport conjoint de l’OMS et de la FAO « Diet, Nutrition and the Prevention
of chronic diseases », le commerce joue un rôle important dans l’amélioration de la
sécurité alimentaire, l’amélioration de la nutrition et dans la prévention de maladies.
En matière d’importation, la diminution des barrières commerciales réduit les prix
des produits alimentaires, augmente le pouvoir d’achat des consommateurs et offre
une variété de produits alimentaires plus grande. La libéralisation des échanges peut
ainsi contribuer à une alimentation plus équilibrée en améliorant la disponibilité et
l’accessibilité de la nourriture. En ce qui concerne l’exportation, ouvrir l’accès aux
marchés étrangers crée des opportunités de revenus dans les activités agricoles et de
transformation de l’alimentation des pays domestiques. Les agriculteurs des pays en
développement peuvent tirer avantage de la suppression des obstacles au commerce
9
La politique agricole commune (PAC) a été créée en 1957 et mise en place en 1962 en vue d’harmoniser
l’intervention des Etats membres de l’UE dans l’agriculture.
14. EIS : application du principe « Cassis de Dijon » aux denrées alimentaires
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pour les produits de base comme le sucre, les fruits et les légumes tropicaux dont ils
ont l’avantage comparatif (WHO/FAO 2003).
D’un certain point de vue, la logique du commerce international est convaincante pour
le commerce des denrées alimentaires. Les frontières politiques ne coïncidant pas
avec les terres nécessaires pour soutenir chaque population nationale, certains pays
auront besoin d’importer pour subvenir à leurs besoins alors que d’autres pays
chercheront à exporter le surplus de denrées alimentaires non absorbé par le marché
national (Hawkes et al. 2010). De plus, la production alimentaire est précaire. Elle
dépend fortement des conditions météorologiques et climatiques et nécessite du
temps pour s’adapter aux changements. Ainsi, d’après la théorie de l’avantage
comparatif, théorie centrale des commerces internationaux, le commerce
international de l’alimentation permet aux pays de se spécialiser dans la production
de nourriture en cohérence avec leurs ressources. En théorie, ce modèle conduit à un
système alimentaire mondial efficace caractérisé par une production à faible coût, un
approvisionnement fiable et des aliments à bas prix pour les consommateurs. Dans
cette perspective, le commerce de l’alimentation est perçu comme promouvant la
croissance économique et stabilisant le marché (Hawkes et al. 2010) et permettant
d’assurer la sécurité alimentaire (food security) au sens de la sécurité des
approvisionnements10
. (Bourrinet et Snyder 2003)
Système alimentaire global2.1.3.
Pourtant, le système alimentaire actuel « ouvert aux pressions de l’économie
néoclassique et à l’impératif du commerce international » (Hawkes et al. 2010) est de
plus en plus critiqué. Depuis la fin du 20ème
siècle, la viabilité de ce système se voit
remise en question et le système alimentaire attaqué sur tous les fronts. De
nombreux analystes s’accordent à dire que le système alimentaire mondial n’est pas
viable sous sa forme actuelle et que son fonctionnement soumet les ressources
naturelles, la santé humaine et animale à rude épreuve (Kickbusch 2011). Dans
l’ouvrage « Food Policy : integrating health environement and society » (2009), Tim
Lang et al. dénoncent la volatilité des prix des denrées alimentaires ; la course à une
productivité qui a atteint un sommet ; les stocks de poissons mis à rude épreuve ; les
graves conséquences du changement climatique ; l’augmentation du stress hydrique
et les pénuries d’eau pour l'agriculture et la consommation directe ; la dépendance du
système alimentaire sur le pétrole et l’augmentation du prix de ce dernier ; la
profonde crise écologique qui menace les sols, la biodiversité et la production
alimentaire ; l’insécurité d’approvisionnement alimentaire continuelle dans certains
pays ; les préoccupations liées à l’augmentation de la consommation de viande et de
produits laitiers ; l’impact et le prix du changement des comportements alimentaires
et de la transition alimentaire11
en partie dus à l’augmentation de la richesse mais
aussi au marketing ; l’augmentation des déchets générés par les emballages et la
consommation inappropriée.
Par ailleurs, Shaffer et al. (2005) soutiennent que le commerce mondial et les accords
commerciaux internationaux ont transformé la capacité des gouvernements à
10
Il est important de ne pas confondre la sécurité alimentaire (food safety) en termes de sécurité
sanitaire et la sécurité alimentaire d’approvisionnement (food security).
11
La transition alimentaire désigne le processus global de changement du comportement alimentaire
avec l’augmentation du niveau économique d’une population, passant d’un régime basé sur les aliments
d’origine végétale vers des régimes plus caloriques et une plus grande consommation de produits
d’origine animale. (Rayner et al. 2007)
15. EIS : application du principe « Cassis de Dijon » aux denrées alimentaires
!
15
!
! !
surveiller et protéger la santé publique, à réglementer les conditions
environnementales et professionnelles de santé, et à règlementer les produits
alimentaires. Ils admettent que l’harmonisation des normes et des lois à l’échelle
supranationale peut motiver les pays les moins développés à initier des normes du
travail et environnementales là où il n’y en avait pas auparavant, mais dénoncent le
fait que cette harmonisation des lois peut aussi conduire à l'érosion de normes
existantes, requérant l’uniformisation globale des normes au niveau le moins restrictif
pour le commerce. Bien que l’OMC permette des mesures nationales et
internationales pour protéger la santé et la vie humaine, animale ou végétale, d'autres
dispositions rendent cette exception difficile à maintenir dans la pratique. Notamment
lorsque, selon le cadre fixé par l’OMC, un pays est tenu de prouver que ses lois et
réglementations en vigueur représentent les solutions les moins restrictives en
matière de commerce et qu'elles ne sont pas des obstacles au commerce dissimulés.
De surcroît, les organisations et les professionnels de la santé publique participent
rarement aux négociations commerciales ou à la résolution des différends
commerciaux (Shaffer et al. 2005). Dans son ouvrage de 2002, Tim Lang accuse
l’influence des monopoles et oligopoles émergeant dans le domaine de l’alimentation
où ni les agriculteurs, ni les consommateurs, mais les détaillants et les commerçants
sont souverains. Il déplore finalement que « la nourriture est trop importante pour
être laissée aux forces du marché. »12
Bien que les questions d’approvisionnement alimentaire ne soient pas aussi
désastreuses dans les pays développés, l’accès équitable à une alimentation de
qualité est très inégal (Blay-Palmer 2010). Le commerce international diminue le prix
de l’alimentation à forte densité énergétique dont la consommation mène à l’obésité.
Les groupes au statut socio-économique inférieur sont plus susceptibles de
consommer ces produits (Hawkes et al. 2010).
Ainsi, de nombreuses critiques sont émises sur le système alimentaire actuel
mondialisé qui est notamment qualifié de « hors normes », « dégradant pour
l’environnement », « injuste » et « malsain » par Blay-Palmer (2010). Ce dernier
mentionne les mouvements sociaux tels que le mouvement « Slow Food »13
comme
résistants à la domination des entreprises et à l’injustice des règles du commerce de
l'OMC (Blay-Palmer 2010). Lang et al. (2009) partagent également une opinion mitigée
de la libéralisation du commerce et dénoncent l’injustice des règles du commerce, la
situation difficile qui en résulte pour l’agriculture à petite échelle, et l’existence de
spéculation sur les denrées alimentaires.
Marché alimentaire suisse2.1.4.
Pauvre en matières premières et disposant d’une surface réduite, la Suisse est
fortement tributaire de l’étranger pour son approvisionnement en denrées
alimentaires. Elle importe 40% des denrées alimentaires, voire 50% en tenant compte
de l’importation du fourrage (USP 2012). Il convient de relever que la part de la
production suisse s’avère nettement plus élevée pour les denrées d’origine animale
12
Traduction de l’anglais : « Food is too important to be left to the market forces » (Lang, Barling, et
Caraher 2009)
13
Le mouvement « slow food » fait opposition au « fast food ». Il prône la redécouverte des variétés
riches et des arômes de la cuisine locale. Il considère la production alimentaire et le mode de
consommation actuel comme nuisible pour les terres, les écosystèmes et les populations. (Slow Food
2013)
16. EIS : application du principe « Cassis de Dijon » aux denrées alimentaires
!
16
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que pour les produits d’origine végétale, avec respectivement 94%14
de production
indigène de denrées d’origine animale en 2012 contre 44% de production suisse des
produits d’origine végétale. Le tableau d’auto-approvisionnement alimentaire de la
Suisse pour différents groupes d’aliments en 2000 et 2010 est disponible en annexe A.
Le tableau 1 ci-dessous donne un aperçu des principaux partenaires commerciaux de
la Suisse pour les produits alimentaires. Il s’agit principalement des pays européens
et plus particulièrement des pays limitrophes (France, Allemagne, Italie). Il faut
toutefois noter que certains pays exportateurs européens sont les pays producteurs
au sens de la loi sur les douanes mais ne sont pas les pays de provenance (USP 2012).
Tableau 1 : Principaux pays de provenance des denrées alimentaires importées en 2000 et 2010.
Principaux pays de provenance par poids importés. (USP 2012, p. 27)
Dans son rapport de 2010, l’USP met en avant le fait que, n’étant pas un pays membre
de l’UE, la Suisse garde une grande liberté pour mettre en place une politique agricole
conforme à ses propres idées et aux attentes de la population.
2.2. Décision de l’application unilatérale du principe « Cassis de
Dijon »
Contexte de la décision2.2.1.
La Suisse est un îlot de cherté : en comparaison avec ses voisins européens, les prix
des biens de consommation y sont environ un cinquième plus élevés (DEFR 2013). Le
département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche (DEFR)
explique ce phénomène par « le manque de concurrence, les prix administrés et le
cloisonnement du marché suisse à coups d’entraves techniques au commerce ou de
droits de douane sur les produits agricoles »15
. La majoration des prix provenant des
entraves techniques au commerce16
est évaluée de 10% à 25% selon les produits
(Parlement suisse 2008). En outre, les entraves techniques au commerce freinent les
14
Proportions exprimées en % d’énergie alimentaire assimilable.
15
Citation tirée de la page web du DEFR (mars 2013) :
http://www.wbf.admin.ch/themen/00129/00169/?lang=fr
16
Par entraves techniques au commerce, le Conseil Fédéral entend « les obstacles aux échanges
internationaux de produits qui résultent de prescriptions ou de normes techniques différentes, de leur
application divergente ou de la répétition d’essais ou d’homologations déjà effectués à l’étranger »
(Parlement suisse 2008, p. 6644)
17. EIS : application du principe « Cassis de Dijon » aux denrées alimentaires
!
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échanges transfrontaliers de produits et contribuent au cloisonnement du marché
national. Il en découle un niveau des prix élevé en Suisse générant une concurrence
moins vive sur le marché intérieur et plombant la compétitivité de l’économie
nationale sur le plan international (Parlement suisse 2008). D’après le Parlement
(2008), donner la possibilité à la Suisse d’accéder sans entrave au marché européen
permettrait d’abaisser les prix en plus d’élargir l’éventail de produits sur le marché
intérieur.
Le parlement s’appuie sur des études du SECO pour dire que « l’importance relative
des entraves techniques au commerce s’est fortement accrue ces dernières
décennies ». Ces observations sont imputées à des mesures prises en faveur de
l’intégration européenne et de la libéralisation mondiale des échanges. Ces mesures
comportent la réduction, voire la suppression de droits de douanes et l’adoption de
quotas à l’importation. (Parlement suisse 2008)
La lutte contre les prix élevés en Suisse figure comme une des priorités de la politique
de croissance du Conseil fédéral. Dans ce contexte, l’élimination des obstacles
techniques au commerce joue un rôle essentiel. D’après des estimations, une révision
de la loi fédérale sur les entraves techniques au commerce (LETC) pourrait générer
des économies annuelles se chiffrant en milliards de francs (Parlement suisse 2008).
En vue d’empêcher la création d’entraves techniques au commerce, de les diminuer
voire de les éliminer, le Conseil fédéral, qui avait déjà entamé des démarches à ce
niveau-là par le biais de divers accords et traités, adopte en 1995 la loi fédérale sur
les entraves techniques au commerce (LETC). La loi prévoit une harmonisation
autonome des prescriptions techniques suisses avec celles de l’UE et elle habilite la
conclusion d’accords internationaux sur l’accès réciproque au marché. Un effort
particulier est conduit envers l’élimination des obstacles techniques au commerce
entre la Suisse et la CE, notamment à l’aide de deux accords conclus dans le cadre
des « Bilatérales I » sur la reconnaissance mutuelle en matière d’évaluation de la
conformité et sur les échanges de produits agricoles (Parlement suisse 2008).
L’harmonisation du droit national avec celui de son partenaire commercial principal
ainsi que la conclusion d’accords bilatéraux pour faciliter l’accès réciproque au
marché sont jugés insuffisants par le Conseil fédéral. « Malgré ces deux instruments,
un grand nombre d’entraves techniques au commerce demeurent et contribuent au
niveau excessif des prix en Suisse. » (Parlement suisse 2008) Motivé par une série
d’interventions parlementaires dont un postulat intitulé Principe du « Cassis de
Dijon » déposé par la conseillère nationale Doris Leuthard en 2004, le Conseil fédéral
propose, le 25 juin 2008, une révision de la LETC en vue de doter la loi d’un instrument
supplémentaire contre les entraves techniques au commerce : l’application autonome
du principe « Cassis de Dijon » à certaines importations en provenance de la CE ou de
l’EEE. Cette réforme est perçue comme essentielle à la politique de croissance du
Conseil fédéral.
La révision de la LETC et le principe « Cassis de Dijon » entrent en vigueur le 1er
juillet
2010. Dorénavant, la Suisse admet sans contrôle préalable la libre circulation des
produits qui sont légalement sur le marché de l’UE ou de l’EEE (Espace Economique
Européen). Les exceptions formulées en vue de protéger les intérêts publics
prépondérants uniquement sont admises. (SECO 2012)
18. EIS : application du principe « Cassis de Dijon » aux denrées alimentaires
!
18
!
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Principe « Cassis de Dijon »2.2.2.
Le principe dit du « Cassis de Dijon » remonte à un arrêt de la Cour de justice des
Communautés européennes (CJCE) rendu en 1979 et s’inscrit dans la réalisation du
commerce intérieur communautaire. L’administration fédérale allemande du
monopole des alcools avait prononcé une interdiction de commercialiser la liqueur
française « Cassis de Dijon » au motif que cette dernière n’avait pas la teneur
minimale d’alcool requise par la législation nationale. La CJCE statuait qu’une
restriction de la libre circulation des marchandises était admise dans des cas
exceptionnels fondés, lorsqu’il s’agit par exemple de protéger la vie et la santé des
êtres humains, des animaux et des végétaux. La CJCE avait jugé que cette condition
n’était pas remplie dans le cas de la liqueur française, et qu’elle devait être admise à
la commercialisation en Allemagne sans restriction. (Parlement suisse 2008)
Ainsi, le cas du « Cassis de Dijon » a donné naissance au principe de reconnaissance
mutuelle ou principe « Cassis de Dijon ». Principal moteur pour faciliter l’accès au
marché des autres Etats membres, ce principe établit que les Etats membres de l’UE
reconnaissent de manière mutuelle leurs réglementations respectives dans les
échanges intracommunautaires de biens, pour autant qu’il n’existe pas de
prescription en vigueur à l’échelle de l’UE. En vertu de ce principe, la
commercialisation d’un produit légalement commercialisé dans un Etat membre et
non soumis à harmonisation de l’UE devrait être autorisée dans un autre Etat
membre, même si le produit n’est pas pleinement conforme aux règles techniques de
l’Etat de destination. Les restrictions ne sont admissibles que si l’Etat de destination
peut démontrer qu’une restriction est nécessaire pour la protection d’un intérêt public
prépondérant comme la sécurité publique, la santé ou l’environnement. (European
Commission 2012)
Principe « Cassis de Dijon » en Suisse : base légale et exigences2.2.3.
La révision de la LETC, entrée en vigueur le 1er
juillet 2010 introduit de manière
unilatérale le principe « Cassis de Dijon » 17
de l’UE. Le principe CdD s’applique
lorsque le droit de l’UE n’est pas harmonisé ou ne l’est que partiellement, et lorsque
les prescriptions techniques suisses diffèrent de celles en vigueur dans l’UE.
Désormais, les produits qui sont légalement sur le marché de l’UE ou de l’EEE
peuvent être librement commercialisés en Suisse sans contrôle préalable. Au même
titre que le principe CdD appliqué dans l’UE, seuls des intérêts publics prépondérants
peuvent justifier des exceptions. Les produits qui ne peuvent pas être importés sur la
base du principe CdD sont répertoriés sur une liste négative18
pouvant faire l’objet de
modification par le Conseil Fédéral en tout temps. (SECO 2012)
Conformément à l’art. 16a, al.1 LETC, l’introduction du principe « Cassis de Dijon »
permet de mettre sur le marché suisse des produits qui ne sont pas, ou pas
entièrement, conformes aux prescriptions techniques suisses, aux conditions
suivantes :
! ils doivent satisfaire aux prescriptions techniques de l’UE ou à celles d’un Etat
membre de l’UE ou de l’EEE ;
17
Les bases juridiques régissant l’application du principe « Cassis de Dijon » sont les articles 16a à 16e
LETC et l’ordonnance sur la mise sur le marché de produits fabriqués selon des prescriptions étrangères
(OPPEtr).
18
Conçue comme une aide, la liste négative contient une énumération non exhaustive des produits et
catégories de produits auxquels le principe « Cassis de Dijon » n'est pas applicable. (SECO 2012)
19. EIS : application du principe « Cassis de Dijon » aux denrées alimentaires
!
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! ils doivent être légalement sur le marché de l’UE ou d’un Etat membre de l’UE
ou de l’EEE aux prescriptions techniques duquel ils satisfont.
Le principe « Cassis de Dijon » ne s’applique pas aux produits listés sous l’art. 16a al.
2, LETC. Le Conseil fédéral peut prévoir des exceptions19
au principe « Cassis de
Dijon » et les fixer dans l'ordonnance sur la mise sur le marché de produits fabriqués
selon des prescriptions étrangères (OPPEtr)20
.
Pour ne pas désavantager les producteurs suisses, des mesures d’accompagnement
ont été adoptées. Les producteurs suisses qui produisent pour le marché européen
peuvent mettre leurs produits sur le marché suisse conformément au marché cible
européen. (SECO 2012) Pour les producteurs suisses orientés uniquement sur le
marché national, l’art. 16b LETC prévoit des mesures complémentaires qui leur
permettent de fabriquer leurs produits destinés au marché
domestique conformément aux prescriptions selon lesquelles ont été fabriqués les
produits étrangers concurrents mis sur le marché suisse (Parlement suisse 2008).
Conformément aux art.16c et 16d LETC et aux art. 4 à 11, OPPEtr, les denrées
alimentaires qui sont des produits particulièrement sensibles et d’une importance
cruciale dans la protection de la santé, font figure d’exceptions concernant
l’application du principe « Cassis de Dijon ». Contrairement aux autres produits, les
denrées alimentaires qui sont légalement sur le marché de l’UE ou de l’EEE mais qui
ne satisfont pas intégralement aux prescriptions techniques suisses font l’objet d’une
autorisation avant d’être mises sur le marché suisse. L’autorisation est octroyée par
l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV)21
sous la
forme d’une décision de portée générale qui s’applique également aux denrées
alimentaires similaires. L’autorisation est accordée pour autant que la denrée
alimentaire satisfasse aux prescriptions techniques visées à l’art. 16a al. 1, LETC et
qu’elle ne menace aucun intérêt public prépondérant22
, notamment la protection de la
vie et de la santé des êtres humains, des animaux et des végétaux. (SECO 2012; OFSP
2007a)
L’information sur le produit23
est régie par les prescriptions techniques applicables à
leur fabrication, l’obligation d’indiquer le pays de production des denrées alimentaires
et des matières premières24
, et une élaboration des prescriptions techniques qui
soient si possible simples et transparentes25
.
2.3. Incidences sur la santé
L’introduction du principe « Cassis de Dijon » aux denrées alimentaires en Suisse
représente un instrument supplémentaire de libéralisation du commerce alimentaire.
19
Art. 16a, al. 2, let. e, LETC
20
Ces exceptions sont réglées à l'art. 2, let. b et à l'art. 19 de l’OPPEtr
21
Le centre de compétence de la Confédération dans les domaines de la sécurité alimentaire et de la
nutrition a été transféré de l’OFSP (Office fédéral de la santé publique) à l’OSAV (Office fédéral de la
sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires) le 1er janvier 2014, soit au cours de cette EIS. Pour des
raisons pratiques, la désignation de l'unité administrative compétente a été adaptée au 1er janv. 2014. Il a
été tenu compte de cette modification dans tout le texte.
22
Cités à l’art. 4, al. 4, let. a à e, LETC
23
Art. 16e, LETC
24
Prévue par la loi fédérale de 1992 sur les denrées alimentaires et les objets usuels (LDAI), RS 810.0
25
Art. 4a, LETC
20. EIS : application du principe « Cassis de Dijon » aux denrées alimentaires
!
20
!
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En facilitant l'importation directe de produits provenant de l’UE incompatibles avec les
standards suisses en raison de différences entre les prescriptions techniques, la
Suisse pourra atteindre un niveau de prix et un éventail de produits différenciés. Les
conséquences positives attendues d’après le rapport du Conseil fédéral26
sont la
dynamisation de la concurrence en Suisse, la réduction des coûts pour les entreprises
et consommateurs ainsi qu’une amélioration de l’efficacité de la loi sur les cartels. La
motivation de l’introduction du principe CdD aux denrées alimentaires en Suisse est
essentiellement économique. Toutefois, la libéralisation des marchés entraîne des
changements complexes dans les sociétés en apportant de nouvelles opportunités
mais aussi des risques. (Huynen, Martens, et Hilderink 2005)
Comme la plupart des mesures, projets ou politiques publiques sont liés à un degré
divers à la problématique de la santé27
(Lang, Barling, et Caraher 2009), la décision
d’introduire le principe CdD nécessite la prise en compte d’autres aspects. Les
politiques commerciales, agricoles ou alimentaires adoptées par les gouvernements
peuvent influencer la santé par une multitude de variables intermédiaires (Blouin,
Chopra, et van der Hoeven 2009). Ces variables intermédiaires sont appelées
déterminants de la santé (cf. encadré). Ils constituent la base d’une nouvelle approche
de santé remplaçant le modèle de santé biomédical axé sur la maladie par un modèle
socio-écologique qui vise à organiser et renforcer les conditions favorables à la santé
de manière durable (Kickbusch 2011).
Les déterminants de la santé sont les facteurs personnels,
sociaux, culturels, économiques et environnementaux qui se
combinent pour affecter l'état de santé des individus ou des
populations. Dans une large mesure, les facteurs comme le
lieu d’habitation, l’état de l’environnement, la génétique, le
revenu, le niveau d’éducation et les relations avec la famille
et les amis ont des impacts considérables sur la santé d’un
individu, alors que les facteurs plus communément
considérés comme l’accès aux services de soins de santé ont
souvent une influence moindre. Les déterminants de la santé
comprennent l’environnement économique et social,
l’environnement physique et les comportements et
caractéristiques de chaque individu.
Figure 1 : les multiples déterminants de la santé (Dahlgren 1995)
(Plateforme Suisse sur l’Evaluation d’Impact sur la Santé 2010,
p.10)
26
Rapport du Conseil fédéral sur le principe dit Cassis de Dijon en réponse au postulat 04.3390 déposé
par Mme la Conseillère nationale Doris Leuthard en date du 18 juin 2004, septembre 2005
27
Définition de l’OMS de la santé : « la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social,
et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité. »
21. EIS : application du principe « Cassis de Dijon » aux denrées alimentaires
!
21
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La santé est considérée comme un droit de l’homme, elle est profondément attachée
à l’équité et la justice sociale. (Kickbusch 2011) Or, du fait principalement des facteurs
environnementaux, sociaux, économiques et culturels, les êtres humains ne sont pas
égaux face à la santé. De manière générale, les caractéristiques tels que l’âge, le
genre, l’origine ethnique, le niveau de ressources ou de formation et la situation
professionnelle sont des critères discriminants en matière de santé (Potvin, Moquet,
et Jones 2010).
L'alimentation est un domaine complexe qui se trouve à la croisée socio-écologique
tenant compte à la fois de la production et des relations de consommation. Il est de ce
fait important d’accompagner la décision d’introduire le principe CdD aux denrées
alimentaires d’une réflexion sur les inégalités de santé et d’aborder ce thème
complexe de manière transversale. (Kickbusch 2011; Potvin, Moquet, et Jones 2010)
La santé d’une population est ainsi déterminée par une série de facteurs et le plus
grand rayon d’action pour améliorer la santé publique réside au-delà des services de
santé nationaux. Les évaluations d’impacts sur la santé ont émergé afin d’identifier
les activités et politiques susceptibles d’avoir des impacts majeurs sur la santé de la
population (Lock 2000), la nature de leurs impacts ainsi que leur répartition au sein de
la société.
2.4. Evaluation d’impact sur la santé
Les politiques économique, sociale, environnementale ou autres sont étroitement
liées : une décision proposée dans un secteur peut avoir des impacts sur les objectifs
des autres secteurs. De ce fait, des règles juridiques et administratives spécifiques,
des procédures et des méthodes ont déjà été développées pour évaluer les impacts
d’une politique sur l’environnement, sur les facteurs sociaux ou économiques par
exemple.
L'objectif général de ces évaluations est d'améliorer les connaissances sur les
impacts potentiels d'une politique, d'un programme ou d’un projet, d'informer les
décideurs et les populations touchées et faciliter l'ajustement de la politique proposée
afin d'atténuer les effets négatifs et maximiser les impacts positifs (Gothenburg
consensus paper 1999).
Bien que ces principes soient similaires aux autres outils d’évaluation, une EIS se
distingue par son approche intégrée de la santé. Une EIS n’apporte pas seulement une
réponse sectorielle mais explore de manière holistique les facteurs influant l’état de
santé d’une population. (Health Impact Project 2012; Lock 2000) Elle est d’abord
envisagée pour des politiques et des projets dont la santé n’est pas le but premier.
(Potvin, Moquet, et Jones 2010) L’EIS se distingue également de la pratique de
l’évaluation environnementale puisqu’elle aspire à promouvoir un maximum la santé
et accorde de ce fait une importance primordiale à l’équité. L’équité, la démocratie, la
durabilité et l’utilisation éthique des données sont les valeurs fondamentales qui
fondent la pratique de l’EIS (cf. encadré). (Potvin, Moquet, et Jones 2010; Gothenburg
consensus paper 1999)
22. EIS : application du principe « Cassis de Dijon » aux denrées alimentaires
!
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Tableau 2 : Valeurs fondamentales d’une évaluation d’impact sur la santé (Gothenburg consensus paper
1999, p.4)
Démocratie – souligne le droit de la population à participer à un processus de décision
transparent tant dans la formulation que dans l’application et l’évaluation des politiques.
Equité – souligne que l’EIS ne s’intéresse pas uniquement à l’impact global de la politique
évaluée sur la santé d’une population mais qu’elle examine aussi la répartition de cet impact
au sein de la population en fonction de caractéristiques comme le genre, l’âge, l’origine
ethnique ou le statut socio-économique.
Durabilité – souligne que sont pris en considération le court et long terme ainsi que les
impacts directs et indirects.
Utilisation éthique des données/informations scientifiques – souligne que l’utilisation des
données quantitatives et qualitatives doit être rigoureuse et fondée sur des méthodes
scientifiques.
Une EIS est un processus interdisciplinaire qui vise l’examen de toutes les
conséquences involontaires possibles, des avantages et des impacts en vue de
soutenir le développement d’une politique favorable à la santé à tous les niveaux de la
décision gouvernementale. (Lock 2000; Potvin, Moquet, et Jones 2010)
L’EIS a pour but d’améliorer les conséquences et impacts sur la santé d’une mesure
ou politique – généralement pas liée au secteur sanitaire – en proposant des actions
réalisables pouvant être mises en œuvre afin de maximiser les avantages et
minimiser les impacts négatifs de cette décision. Une EIS adopte une approche par les
déterminants de la santé avérés par des études scientifiques et reconnus par l’OMS.
Sa méthode est structurée et se base sur des données qualitatives et quantitatives
probantes. Une EIS prend en compte les opinions et attentes des personnes ou
groupes de personnes susceptibles d’êtres affectées par la proposition. (Lock 2000)
C’est un outil flexible qui doit s’adapter à toutes les situations. Une EIS est une façon
structurée de réunir évaluation, travail en partenariat, consultation publique et
données probantes pour permettre une prise de décision éclairée. (Lock 2000)
Une EIS comporte généralement six étapes essentielles : la sélection, le cadrage,
l’évaluation, les recommandations, la décision et le suivi et évaluation. La durée de
l’étude, les acteurs impliqués, les caractéristiques de l’évaluation et les données
utilisées pour cette dernière déterminent le type d’EIS. Les types d’EIS se déclinent
sur un éventail de rapide à complète selon le type de ressources humaines,
techniques et financières mobilisées. (Kemm 2013; Plateforme EIS 2010; Lock 2000)
Tableau 3 : Etapes d’une évaluation d’impact sur la santé (Plateforme EIS 2010; Health Impact Project
2012; Forbes et al. 2013)
Sélection ou dépistage – conduit à l’identification des principales caractéristiques de projet
susceptibles d’influencer la santé et définit s’il y a lieu d’effectuer une EIS.
Cadrage – définit la portée de l’EIS, identifie les groupes-cibles, les groupes vulnérables,
établit les limites de l’EIS et planifie les étapes suivantes. Définit les objectifs et le processus
de l’EIS.
Evaluation ou analyse – analyse les facteurs pouvant avoir des effets sur la santé et leur
répartition.
Recommandation – formule des recommandations visant à minimiser les impacts négatifs
potentiels et à renforcer les effets positifs d’après les résultats de l’étape précédente.
Décision – diffuse les résultats de l’EIS aux décideurs et parties prenantes qui jouent un rôle-
clé dans la décision. Décide des mesures complémentaires à prendre ou des corrections à
apporter à la décision initiale.
Suivi et évaluation – accompagne la mise en œuvre des changements proposés et évalue le
processus de l’EIS pour l’améliorer.
23. EIS : application du principe « Cassis de Dijon » aux denrées alimentaires
!
23
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2.5. Problématique et objectifs
La décision d’introduire de manière unilatérale le principe « Cassis de Dijon » aux
denrées alimentaires a fait l’objet de deux récoles de signatures en vue d’un
référendum en 2009. Les récoltes ont été menées en parallèle par deux groupes :
l’organisation syndicale paysanne Uniterre et le comité de « La Vrille » ainsi que la
Ligue vaudoise. Tous deux ont échoué, ils n’ont pas atteint les 50'000 signatures
requises faute de débat politique et de manque de soutien notamment. A ce jour,
certains acteurs de la protection des consommateurs ou de l’environnement semblent
reconsidérer leur adhésion antérieure. Ils se demandent si leur position n’aurait pas
été différente s’ils avaient, à l’époque, disposé d’informations au sujet des impacts
potentiels de la décision.
Trois ans après son introduction, le principe de « Cassis de Dijon » fait l’objet de vives
critiques. L’objectif de baisse des prix ne semble pas être atteint par contre d’autres
effets se font ressentir de manière négative. Les effets fréquemment cités dans les
médias comptent le nivellement par le bas des normes et de la qualité des produits,
une diminution de l’information disponible pour le consommateur, la mise en péril des
petites entreprises confrontées à la concurrence européenne et de manière plus
générale, la dégradation des conditions sociales et environnementales. Une initiative
parlementaire a été déposée en décembre 2010 par le conseiller national et directeur
de l’Union suisse des paysans Jacques Bourgeois. Elle demande l’exclusion des
denrées alimentaires du champ d’application du principe « Cassis de Dijon ».
Au moment où certains acteurs sociétaux envisagent de se lancer dans une
contestation de l’introduction récente et unilatérale en Suisse du principe du « Cassis
de Dijon » notamment par rapport aux incidences négatives sur l’environnement et la
protection des consommateurs, le but de la présente EIS est d’apporter une aide à la
décision en lien avec ces démarches fondées sur une analyse documentée des
conséquences prévisibles pour l’environnement et la santé de cette décision politique
relative à la libéralisation du commerce alimentaire en Suisse.
Cette EIS cherche ainsi à répondre aux questions suivantes :
Quels sont les impacts du principe CdD ? Quels déterminants de la santé sont touchés
par la décision ? Quels sont les groupes de personnes défavorisés ? Faut-il exclure les
denrées alimentaires du principe CdD ? Quels sont les éléments à prendre en
considération et à corriger pour maintenir les denrées alimentaires dans le champ
d’application du principe CdD ?
Objectifs principaux et spécifiques2.5.1.
L’EIS se concentre sur la mise en évidence des enjeux et impacts majeurs de la
décision, et sur la répartition de ces impacts au sein de la population. Les objectifs
principaux de l’EIS consistent à répondre aux questions suivantes :
Quels déterminants de la santé sont touchés par la décision ?
Quels sont les impacts potentiels de la décision?
Quel est le public-cible ?
Quels sont les groupes de personnes vulnérables ?
Comment évaluer les impacts ? Comment déterminer l’importance relative de
chaque déterminant ?
Les objectifs spécifiques consistent à synthétiser la littérature disponible sur le sujet
et mener des entrevues avec des parties prenantes et informateurs-clés afin
24. EIS : application du principe « Cassis de Dijon » aux denrées alimentaires
!
24
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! !
d’identifier les domaines concernés, les déterminants de la santé potentiellement
affectés ainsi que les disparités potentielles et populations vulnérables liées au
principe CdD. L’objectif spécifique final consiste à formuler des recommandations
pour augmenter les impacts positifs et minimiser les impacts négatifs.
2.6. Hypothèse de recherche
En Suisse, l’introduction du principe « Cassis de Dijon » aux denrées alimentaires a
des effets sur le contexte socio-économique à plusieurs niveaux, l’environnement
naturel et l’environnement socio-culturel, soit une multitude de déterminants de la
santé. L’application de cette politique modifie le système alimentaire suisse et affecte
la population entière. Face à ce changement de politique du commerce alimentaire,
toutes les populations ne sont pas égales et certains groupes de populations sont plus
vulnérables. Ces populations risquent davantage d’être affectées par les impacts
négatifs mais ne sont pas forcément avantagées par les impacts positifs.
2.7. Plan du mémoire
Ce travail consiste en une évaluation d’impact sur la santé. Bien que son utilisation
soit de plus en plus déployée dans une perspective d’évaluation prospective, la
démarche, les outils, les standards de pratiques et valeurs qui la soutiennent
conviennent aussi à une évaluation de type rétrospectif.
Dans le contexte de ce travail, il s’agit de documenter les effets du principe CdD sur la
santé. L’analyse est effectuée par un individu uniquement. Il n’y a pas de comité de
pilotage mais des personnes ressources sont consultées dans le cadre d’entrevues.
La durée d’analyse est limitée à quelques mois, des données probantes et résultats
d’évaluations similaires sont utilisés. Il s’agit ainsi dans ce travail de mener une EIS
rapide.
Cette EIS comporte quatre des six étapes habituelles. La première étape comprend un
travail préparatoire et une analyse préliminaire avec un examen de la littérature
permettant de cibler le sujet, ses thèmes et enjeux et de collecter des données
probantes. La deuxième étape consiste au cadrage, elle rend compte de la portée de
l’EIS, des déterminants de la santé potentiellement affectés et des questions de
recherche. La troisième étape comprend une analyse sommaire et évaluation rapide
des impacts identifiés dans le cadrage par le biais d’entrevues avec une douzaine
d’informateurs-clés et parties prenantes aux domaines d’expertises et points de vue
diverses, et par l’utilisation de données secondaires provenant d’études existantes. La
quatrième étape comprend la discussion des résultats obtenus et formule quelques
recommandations à partir de ces résultats. L’étape suivante habituelle d’une EIS
après la décision consiste au suivi et à l’évaluation. Cette étape n’est pas intégrée
dans ce travail, des indicateurs et méthodes de suivis sont toutefois donnés dans la
partie discussion.
Remarque au sujet de la structure du travail2.7.1.
Etant donné que cette EIS est menée dans le cadre d’un travail de master, elle doit
répondre à certaines contraintes de forme. La démarche d’EIS a ainsi dû être intégrée
à la forme d’un travail de master qui comporte généralement une introduction, une
partie méthodes, une partie résultats, une discussion des résultats et une conclusion.
Ceci impose entre autres l’apparition d’éléments de même nature à plusieurs
reprises, voire quelques redondances.
25. EIS : application du principe « Cassis de Dijon » aux denrées alimentaires
!
25
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3. Travail préparatoire, analyse préliminaire
Un examen de la littérature a été effectué au début de l’EIS afin d’obtenir une
compréhension générale des liens entre la santé et la politique commerciale
alimentaire dans laquelle s’inscrit le principe « Cassis de Dijon ». Cet examen de la
littérature vise à identifier les principales caractéristiques du principe CdD
susceptibles d’influencer la santé et collecter des données probantes.
La recherche a été orientée sur tous les documents et articles portant sur le principe
« Cassis de Dijon » ainsi que sur les articles et ouvrages au sujet du contexte du
principe CdD, soit la libéralisation du commerce alimentaire et les efforts
d’élimination des obstacles au commerce. Les critères de recherche portaient ensuite
sur le système alimentaire et la compréhension de ses enjeux, synergies et tensions
en gardant la perspective de la santé. Des recherches ont également été effectuées en
vue de trouver des évaluations d’impacts ou évaluations d’impacts sur la santé dont
l’objet est similaire à la présente EIS.
3.1. Etat de la littérature
Dans un premier temps, les critères de recherche pour la revue de la littérature ont
visé une compréhension générale du contexte et porté sur l’évolution des échanges
dans l’alimentation, soit la libéralisation du commerce alimentaire et les efforts
d’élimination des obstacles au commerce. La recherche vise également à établir un
diagnostic et déterminer les enjeux liés à la situation actuelle du marché alimentaire à
l’échelle globale, puis à l’échelle nationale Suisse avec l’adoption du principe « Cassis
de Dijon », son contexte et cadre juridique en Europe et en Suisse. Une grande partie
de ces résultats sont rapportés dans la partie précédente sous le chapitre Contexte
général.
Dans un deuxième temps, les critères de recherche de la revue de la littérature
consistent à obtenir un aperçu des évaluations d’impact sur la santé et autres études
réalisées sur les liens entre l’ouverture des marchés, l’alimentation et la santé.
L’objectif est d’apprendre des expériences passées, rassembler les connaissances
actuelles et mettre en exergue les thèmes principaux qui se dégagent de la littérature.
Certains des thèmes sont ensuite approfondis par une recherche plus précise dans la
littérature. Il s’agit des liens entre l’alimentation et la santé, la notion de qualité dans
l’alimentation, les modes de consommation alimentaire, le rôle de l’information dans
la consommation et les liens entre l’alimentation locale et la santé. Ces éléments sont
développés dans les sous-chapitres suivants.
Alimentation et santé3.1.1.
Il est aujourd’hui un fait acquis qu’il existe des liens étroits entre l’alimentation et la
santé et qu’une alimentation équilibrée et mesurée influence positivement l’état de
santé. (OFSP 2007b) Cette dernière serait considérée par beaucoup comme le
déterminant de la santé le plus important. (Kickbusch 2011)
Depuis plusieurs années, une augmentation des cas de maladies chroniques –
maladies cardiovasculaires, cancers, hypertension, hypercholestérolémie, diabète et
obésité – est observée, et cela à partir d’âges de plus en plus précoces. (MAPAQ 2006;
WHO/FAO 2003) Les principales causes de l’augmentation des maladies chroniques
invoquées sont les changements de mode de vie de la population qui deviennent de
plus en plus rapides et paradoxalement moins actifs, et dont les habitudes
26. EIS : application du principe « Cassis de Dijon » aux denrées alimentaires
!
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alimentaires se voient modifiées. (MAPAQ 2006) Dans les pays occidentaux
industrialisés, les estimations des coûts de la santé liés à des maladies imputables à
de mauvaises habitudes alimentaires avoisinent les 30%. (OFSP 2007b) Alors qu’il est
communément accepté que ces maladies soient imputées en partie à de mauvaises
habitudes alimentaires, les relations entre ces maladies et l’alimentation restent très
complexes et il est difficile d’établir clairement l’influence de l’alimentation sur la
santé, la morbidité ou la mortalité. Toujours est-il que le rôle de l’alimentation et de la
nutrition en tant que déterminants des maladies non transmissibles chroniques est
bien établi, elles occupent donc une place fondamentale dans la santé publique.
(WHO/FAO 2003; OFSP 2012a)
De manière générale, une alimentation saine est adaptée à nos besoins en énergie,
elle est équilibrée et variée avec un apport riche en fruits et légumes. Dans la
« stratégie mondiale pour l’alimentation, l’exercice physique et la santé », l’OMS
(2004) recommande entre autres aux populations et individus de limiter l’apport
énergétique provenant de la consommation de graisses et de réduire la
consommation de graisses saturées et d’acides gras trans pour privilégier les
graisses non saturées, de limiter la consommation de sucres libres et de limiter la
consommation de sel (sodium) toutes sources confondues. Les principaux facteurs de
risque qu’il est possible d’influencer par des mesures alimentaires sont
l’hypertension artérielle, un taux de cholestérol trop élevé et la surcharge pondérale
ou l’obésité. Ces derniers sont à l’origine de nombreuses affections secondaires
comme le diabète sucré du type 2 ou les maladies cardiovasculaires. Les composants
tels que le sel ou les graisses saturées peuvent avoir un impact direct sur le risque
d’hypertension artérielle ou de dyslipidémie. (OFSP 2012a; OFSP 2012b)
Alors que le nombre de repas préparés dans les ménages diminue, la consommation
d’aliments produits par l’industrie agro-alimentaire s’intensifie. Ces aliments sont
souvent riches en sucre, en gras saturés et en sel mais pauvres en nutriments et
fibres. (Nestle 2007; Blouin, Chopra, et van der Hoeven 2009) Les consommateurs ne
sont toutefois pas toujours en mesure de faire des choix appropriés pour une
alimentation saine. (Lang, Barling, et Caraher 2009) Le rapport de l’OMS et de la FAO
(2003) sur l’alimentation et la prévention de maladies chroniques conseille de
transmettre les recommandations suivantes aux industries alimentaires: moins de
gras saturés, plus de nutriments et de fibres, plus de fruits et légumes, un étiquetage
efficace et transparent des denrées alimentaires et des incitations à la
commercialisation de produits plus sains. La publicité, les médias et les partenaires
de divertissement jouent également un rôle essentiel, les messages qu’ils
transmettent doivent être clairs, sans ambiguïté et permettre « l’alphabétisation
alimentaire »28
. (WHO/FAO 2003; Lang, Barling, et Caraher 2009)
Le contexte est souvent cité comme exerçant une influence déterminante sur le
comportement alimentaire. (Nestle 2007; Lang, Barling, et Caraher 2009; Hawkes et
al. 2010) L’étendue des denrées alimentaires à disposition, la possibilité de manger
quasiment en tout lieu et en tout temps et la présence constante de nourriture
influent de manière décisive les habitudes alimentaires. (Blouin, Chopra, et van der
Hoeven 2009; OFSP 2012b) Une information objective et transparente du public est
certes primordiale, mais il est aussi important que les consommateurs soient
28
L'alphabétisation alimentaire (« food literacy ») est « la compétence à organiser son alimentation
quotidienne d'une manière autonome, responsable et plaisante ». Source : http://www.food-
literacy.org/fr/accueil
27. EIS : application du principe « Cassis de Dijon » aux denrées alimentaires
!
27
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conscients des liens entre l’alimentation et la santé et qu’ils soient en mesure
d’analyser leurs habitudes alimentaires.
Pour l’OFSP (2012a), sensibiliser, éduquer et informer la population sur des habitudes
alimentaires saines uniquement ne suffit pas pour influencer le comportement
alimentaire. Les personnes défavorisées en termes socio-économiques, les migrants,
les personnes à faibles revenus et/ou à niveau de formation peu élevé sont plus
vulnérables en terme d’incidence des maladies chroniques. Les enfants, les hommes
et les personnes jeunes sont également des groupes-cibles importants. (WHO/FAO
2003; OFSP 2012a; Nestle 2007; Kickbusch 2011) Un comportement alimentaire sain
peut être adapté par une mise en œuvre volontaire par les individus, mais il peut aussi
être modifié par les acteurs concernés et une adaptation des dispositions légales.
(OFSP 2012a)
Au cours des trente dernières années, une progression réjouissante de la
consommation de légumes et de poisson et une diminution de consommation de la
viande sont constatées en Suisse. En revanche, la consommation du sucre est en
hausse, celle du sel est environ deux fois supérieure à la quantité recommandée et
celle des fruits est en baisse. (OFSP 2012a) Les maladies cardiovasculaires restent
l’une des causes de décès principales en Suisse, suivies par le cancer. D’après l’OFSP
(2012a), la prévention de l’excès pondéral et de l’obésité permettrait à elle seule
d’éviter chaque année près de 700 cas de cancer en Suisse.
En matière de prévalence de la surcharge pondérale et de l’obésité, il existe une
différence parfois considérable entre les villes et la campagne. Alors qu’une
prévalence supérieure du surpoids et d’obésité est observée chez les adultes dans les
campagnes, chez les enfants, c’est le constat inverse : la prévalence de surpoids et
d’obésité est supérieure dans les villes. Il est également constaté que la répartition du
surpoids et de l’obésité est inégale et varie selon le niveau de formation, le revenu, la
catégorie professionnelle et le contexte migratoire. Un niveau de formation peu élevé
représente un des facteurs de risques principaux de surcharge pondérale ou
d’obésité, plus particulièrement observé chez les femmes dont la différence entre
celles qui ont suivi l’école obligatoire uniquement et celles qui ont suivi des études
universitaires est marquée. En comparaison avec les pays européens, la Suisse et la
Roumanie partagent la plus faible prévalence de l’obésité chez les adultes (OFSP
2012a)
Selon l’OFSP (2012a), 30% des personnes vivant en Suisse déclarent ne pas porter
beaucoup d’attention à leur alimentation. Pour ces personnes, peu d’importance est
accordée à la prévention des maladies ou la préservation du bien-être et de la santé
par l’alimentation. Il s’agit principalement des hommes, des personnes jeunes, des
personnes défavorisées au niveau socio-économique et des personnes dont le niveau
d’éducation est bas et dont la prise de conscience alimentaire est faible. Ces groupes-
cibles sont particulièrement importants, ils représentent simultanément les groupes
de population les plus exposés aux risques de maladies liées à l’alimentation.
Pour atteindre les groupes-cibles, les standards de qualité élaborés pour tous les
domaines de restauration institutionnelle hors domicile et les préparations par
l’industrie constituent un outil particulièrement efficace, les repas pris hors du
domicile et la consommation de plats pré-cuisinés jouant un rôle déterminant dans
l’alimentation d’une grande partie de la population. (OFSP 2012b; Lang, Barling, et
Caraher 2009)
28. EIS : application du principe « Cassis de Dijon » aux denrées alimentaires
!
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Une alimentation de qualité3.1.2.
Le rapport conjointement écrit par l’OMS et la FAO (WHO/FAO 2003) souligne
l’importance de traiter les impacts positifs et négatifs des systèmes de production
intenses et des longues chaînes alimentaires ainsi que les impacts de
l’environnement sur la qualité de l’alimentation. Le rapport relève notamment les
problèmes liés à la présence de métaux lourds dans les aliments, l’utilisation de
pesticides, la production intensive de viande, l’abus d’agent de conservation, la perte
de variétés traditionnelles et l’utilisation décroissante d’aliments nobles.
Au cours des dernières décennies, l’alimentation a fait l’objet d’une transition globale
et profonde du processus de production, transformation, préparation et
commercialisation des denrées alimentaires. L'environnement est également devenu
un sujet de préoccupation, une des raisons étant que la pollution peut facilement
conduire à la contamination des aliments. (Miyagishima et al. 1995) Ces changements
ont modifié les risques et déplacés les incertitudes qui ne portent plus uniquement
sur la sécurité alimentaire au sens de la qualité bactériologique et des risques de toxi-
infections, mais également sur la nocivité lente des aliments par l’ingestion de traces
de substances toxiques et de leur accumulation dans l’organisme. (Nicolas et
Valceschini 1995) La production s’est industrialisée et les produits agricoles subissent
de nombreuses transformations : l’industrie agro-alimentaire fait appel à de multiples
facteurs de production pour la fertilisation des sols, la défense des cultures,
l’alimentation du bétail et l’amélioration génétique notamment. (Nicolas et Valceschini
1995) D’une part, les processus industriels se complexifient et s’éloignent des
conditions de production issues de la production artisanale, d’autre part, la
localisation des productions s’est éloignée des lieux de consommation avec le
développement du commerce international des denrées alimentaires et la
libéralisation des échanges. (Ruffieux et Valceschini 1996) Les cycles de production
ainsi que les circuits de consommation se sont complexifiés, les étapes et les
intervenants de la chaîne « de la ferme à l’assiette » se sont multipliés, affectant la
maîtrise de la qualité des produits. (Ruffieux et Valceschini 1996)
En plus de l’augmentation des incertitudes sur l’hygiène des produits, la fiabilité des
procédés de production et de transformation et le respect des règles par les
producteurs et les vendeurs, les consommateurs font face à des informations
contradictoires et des avis d’experts divergents. Il est actuellement difficile d’évaluer
les effets à long terme de l’association de traces de produits toxiques ou de leur
accumulation dans l’organisme. Les questions scientifiques non résolues augmentent
en permanence avec l’apparition continue de nouveaux produits, ingrédients et
processus de fabrication. De plus, la libéralisation des échanges, et le bouleversement
des régimes alimentaires rendent la fixation de normes et de doses minimales de
substances potentiellement toxiques encore plus difficile. (Nicolas et Valceschini
1995)
Le domaine agro-alimentaire est un secteur spécifique face à cette question de qualité
des produits. (Ruffieux et Valceschini 1996) Les produits destinés à l’alimentation
doivent atteindre des normes de qualité nutritionnelle et hygiénique pour garantir leur
innocuité, et doivent satisfaire des attentes organoleptiques et symboliques sans nuire
à la santé. (López de Pablo López 1996; MAPAQ 2006) En plus des caractéristiques
intrinsèques du produit, l’origine contribue également à la qualité du produit, au sens
où l’activité de production est également importante. (Ruffieux et Valceschini 1996) La
qualité d’un produit alimentaire s’étend donc de la sécurité sanitaire au goût et
dépend également de la loyauté des transactions et de la confiance mutuelle entre
29. EIS : application du principe « Cassis de Dijon » aux denrées alimentaires
!
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fournisseurs et consommateurs. Pour López de Pablo López (1996), ces divers aspects
évoluent, ils sont fortement liés à la dynamique économique et sociale. Outre la
qualité du produit, la protection du consommateur est aussi une question de fiabilité
de l’information sur les produits. (Nicolas et Valceschini 1995)
Modes de consommations et choix des consommateurs3.1.3.
Les modes de consommation alimentaires des individus évoluent avec le temps,
influencés par de nombreux facteurs qui interagissent de façon complexe. Le revenu,
le prix, les préférences individuelles, les croyances, les traditions culturelles ainsi que
les facteurs géographiques, environnementaux, sociaux et économiques interagissent
sur les régimes et modes de consommation des individus (WHO/FAO 2003). Les
consommateurs les plus sensibles au prix, sont par exemple généralement moins
concernés par les caractéristiques de qualité et de sécurité des produits. Ils sont
moins regardants sur la production, l’origine et le lieu d’achat d’un produit que sur le
prix. (Röhr et al. 2005)
Les perceptions d’un individu ne sont pas constantes dans le temps. (Röhr et al. 2005)
Selon Bourdieu, les perceptions et le goût sont influencés d’une part par des normes
de consommation d’un certain groupe d’appartenance sociale et d’autre part, par
l’expérience individuelle accumulée. (Brunori 2007) Gurthmann (2002) caractérise le
goût de « gardien de la consommation »29
et développe les diverses significations de
ce terme. Le « goût réflexif » repose sur le processus de faire des choix éclairés,
fondés sur les conséquences de la consommation sur la santé et le corps ainsi que
sur l’environnement; le goût de discernement, qui est un processus d’identification et
de différentiation vis-à-vis de groupes sociaux spécifiques ; le « goût de médiation »
fondé sur des règles de comportements vis-à-vis de polarités comme la gourmandise
et la santé par exemple ; le « goût de légitimation », qui incarne les normes de
comportement propres à une appartenance sociale et la « traduction du goût » qui
évoque la valorisation du goût d’un aliment dans son contexte, comme celle des
aliments pré-cuisinés pour des raisons de facilité dans un contexte de vie plus
stressé.
L’information est une valeur indispensable pour que le consommateur sache ce qu’il
faut acheter et manger, et lui permet également de développer sa confiance en un
produit. Il est ainsi important pour le consommateur qu’il existe assez de
transparence dans l’information. (Guthman 2002) Les effets négatifs proclamés des
systèmes alimentaires industriels actuels sont considérés dans les décisions d’achat
des consommateurs. La base sur laquelle les consommateurs fondent leur décision
est cependant devenue plus complexe. (Kickbusch 2011)
D’après Guthman (2002), la plupart des denrées alimentaires de production biologique
sont achetées pour des raisons de santé, de sécurité et/ou pour l’amélioration des
effets sur l’environnement, et les producteurs choisissent de produire de manière
biologique pour les mêmes raisons. A ce sujet, Thouvenot (1983) dénonce une forme
de ségrégation par l’aliment. Il questionne le développement de l’agriculture
biologique réservée à une élite et le développement d’une agriculture industrielle
pour des gens qui n’ont pas les moyens de s’acheter de l’alimentation provenant d’une
agriculture de qualité.
29
en anglais : « Gatekeeper of consumption »
30. EIS : application du principe « Cassis de Dijon » aux denrées alimentaires
!
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Selon un rapport de l’USP (2012), les trois principaux critères d’achat identifiés en
Suisse sont le prix, la qualité et la provenance. Il est néanmoins difficile de définir un
consommateur-type étant donné que les comportements des consommateurs varient
selon leur origine, leur situation financière, leurs besoins et leurs valeurs
personnelles. Selon les résultats de l’EIS d’Equiterre, le statut socio-économique a un
effet non négligeable sur les choix alimentaires. D’après le rapport de l’OFSP (2012a),
les choix et comportements alimentaires d’un individu dépendent en grande partie de
son éducation et de ses valeurs, mais également de son milieu social, culturel et
économique. Les éléments qui jouent un rôle prépondérant dans l’achat des denrées
alimentaires des familles ayant un faible niveau de formation et les familles issues de
l’immigration sont la disponibilité, le prix et la promotion des aliments. La présence et
l’accessibilité géographique des denrées alimentaires jouent également un rôle non
négligeable. (Forbes et al. 2013) En raison de compétences souvent insuffisantes en
matière de santé et de nutrition, ces groupes sont plus vulnérables et plus exposés
aux maladies chroniques liées à l’alimentation. A titre d’exemple, en Suisse, le poids
corporel des enfants est en corrélation directe avec le niveau de formation de leurs
parents. (OFSP 2012a)
Outre le prix et les lacunes dans les connaissances alimentaires, l’OFSP (2012a ;
2012b) mentionne le désintérêt pour les recommandations alimentaires, les
préférences personnelles, les contraintes quotidiennes ainsi que l’insuffisance des
informations disponibles.
Enfin, l’USP (2011) rapporte que la population suisse accorde une certaine importance
à la qualité, la sécurité, la traçabilité et à une production durable et respectueuse de
l’animal mais elle n’est pas toujours prête à payer pour la réalisation des prestations
qu’elle souhaite.
Information et consommation3.1.4.
Avec l’industrialisation de la chaîne alimentaire, la multiplication des étapes dans le
processus « de la ferme à l’assiette » et la libéralisation des échanges qui complexifie
la provenance d’un produit, les consommateurs observent une perte de compétences
quant aux processus de production et aux produits eux-mêmes. (Ruffieux et
Valceschini 1996) Le consommateur est à la recherche d’une qualité reflétée par des
repères simples, significatifs et fiables en termes de production, transformation, et
provenance. (López de Pablo López 1996)
Contrairement aux autres produits, la publicité pour les produits alimentaires renvoie
fréquemment à l’activité de production et représente souvent une mise en scène
idéalisée de ce processus de production car le consommateur y accorde une attention
particulière. Marketing et publicité s’efforcent souvent de récupérer et d’exploiter les
représentations rassurantes des procédés connus de tout un chacun : « le vin du
pays », « le potage de grand-mère », « la confiture de bonne maman », « les œufs de
la ferme » etc. (Thouvenot 1983)
La conception de l’étiquetage du produit exerce également une influence sur le
comportement. Les participants d’une étude sur l’emballage ont accordé davantage
d’attention à l’étiquetage nutritionnel figurant sur le devant de l’emballage lorsque
celui-ci était conçu simplement que lorsqu’il était saturé d’informations. Pour un
grand nombre de consommateurs, l’étiquetage alimentaire (étiquetage nutritionnel,
les labels, etc.) est effectivement trop confus, voire incompréhensible, en raison
notamment de la multitude de systèmes d’étiquetage existants. Difficiles à
31. EIS : application du principe « Cassis de Dijon » aux denrées alimentaires
!
31
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comprendre, les systèmes d’étiquetage actuels sont peu utilisés au moment de
l’achat. (OFSP 2012a)
La protection du consommateur n’est toutefois plus uniquement une question
d’amélioration de l’étiquetage pour une meilleure responsabilisation individuelle
(OFSP 2012a), elle devient aussi une question de fiabilité de l’information sur les
produits et soulève le problème de l’information asymétrique au détriment de
l’acheteur. (Nicolas et Valceschini 1995) Le scandale de la viande de cheval dans les
produits pré-cuisinés « à la viande de bœuf uniquement » qui a touché une grande
partie de l’Europe au mois de février 2013 illustre bien le problème de la fiabilité
d’information et de son asymétrie.
Les connaissances nutritionnelles ont une influence faible mais positive sur le
comportement de consommation. Il existe notamment une corrélation positive entre
la prise de conscience alimentaire et l’utilisation de l’étiquetage nutritionnel. Pour
l'OFSP (2012a), la transmission des connaissances en matière d’alimentation n’est
donc pas négligeable. Alors que des efforts sont réalisés pour informer le
consommateur grâce à l'étiquetage et à l'éducation, plaçant la responsabilité de faire
le meilleur choix d'aliments possible sur l’individu, un choix formaté par l’industrie
alimentaire, les détaillants et grandes entreprises est proposé au consommateur.
(Kickbusch 2011) Le rapport de l’OFSP (2012a) ajoute aussi que « dans de nombreuses
situations de consommation, les consommateurs ne sont plus en mesure de prendre
des décisions pertinentes pour leur santé. Des règles de bonne pratique destinées à la
restauration collective, à la gastronomie et à l’industrie sont donc tout aussi
importantes que les informations destinées à la population. »
Alimentation locale et santé3.1.5.
A chaque stade de la chaîne de la production à la consommation, les risques liés à
l’incompétence des opérateurs, les possibilités d’erreur, voire de malveillance se
multiplient. La distance croissante entre l’acheteur et l’origine des aliments, la
diversité des provenances, l’internationalisation du commerce et la libéralisation des
échanges alimentent la méfiance des consommateurs en matière de sécurité et de
qualité alimentaire. (Nicolas et Valceschini 1995) La proximité du consommateur à
l’activité de production lui donne une certaine compétence qui va de pair avec l’intérêt
porté à la production. (Ruffieux et Valceschini 1996) Ainsi, dans un contexte où la
traçabilité importe de plus en plus, l’alimentation locale est devenue un élément
significatif pour plus de sécurité. (Holt et Amilien 2007) D’une part l’alimentation
locale augmente la transparence pour les consommateurs, d’autre part elle laisse
plus de valeur au producteur. (Guthman 2002)
Le concept d’ « alimentation locale » est pluridimensionnel. Il provient d’une
multitude d’initiatives et de mouvements sociaux comme l’agriculture soutenue par la
communauté (ASC), l’agriculture écologique et biologique (EO) ou encore le
mouvement « slow food ». Les petites exploitations, l’économie locale, les règles de
production, de commerce et de consommation, la préservation de variétés
traditionnelles, la qualité des produits, la philosophie biodynamique et les relations
spécifiques aux sols et climat du lieu d’origine représentent divers objectifs et valeurs
de ces initiatives qui partagent pour objectif commun celui de se désengager des voies
d’approvisionnement globales et industrialisées. (Holt et Amilien 2007)
A titre d’exemple, né en Italie en 1986, le mouvement « slow food » en opposition au
« fast food », résultat de la course à la productivité, prône la redécouverte des variétés