1. ACTUALITÉ FRAT{CE
TRANSPORT lÉnlgU Dans sa course effrénée au prgfit,
fu .oÀpugnie irlandaise tire Ie maximum de ses salariés,
de ses èhànts... et du contribuable. fusqu'oir ?
RYANAIRL
OU LES DERIVES
DU (( LOWCOST »
n Paris-Nice en aller
simple à 49 euros. Le
7 janüer dernieç Air
France a annoncé des
!
à
o
,9
!
È
!
de développer des liaisons à
partir d'aéroPorts secondaires
et leur garantit un certain tra-fic
de passagers' En contre-partie,
et afin de déveloPPer
cette liaison - notamment en
faisant de la Publicité sur son
site Internet -, la comPagnie
irlandaise demande de subs-tantielles
« aides marketing ».
Ces aides annuelles sont autori-sées
par le droit euroPéen, mais
à condition d'être dégressives
et de ne pas être renouvelées
au-delà de trois ans.
Or, ces conditions sont loin
d'être toujours resPectées,
selon plusieurs cours régio-nales
des comptes, qui ont
aussi critiqué les réductions
consenties à RYanair Par cer-tains
aéroPorts sur les coûts de
leurs services. Au final, la com-pagnie
irlandaise ne seraitPas
bénéficiaire sans ces subven-tions,
afErme Air France-KLM,
qui a porté Plainte devant la
Commission euroPéenne en
mars 2010. Une accusation
relayée par lAssociation des
compagnies euroPéennes.
Laquelle chiffre le total des
aides publiques Perçues Par
le transPorteur low cost à
793 millions d'euros Pour
l'exercice 20 I l -2OL2. La direc-tion,
que nous avons contac-publiques'
Sans subventions
ta compagnie
irlandaise
ne serait pas
bénéficiaire
tée, a refusé de nous réPondre.
« Cette situation est le {ruit
d'un manque de régulation
et d'une mise en concurrence
entre collectiuités locales, ana-lyse
Michel Boutant, Président
socialiste du conseil général
de Charente. Lorsqu'elle est
en situation de monoPole ou
pr es q ue, Ry anair fait t o ui our s de
'la
surenchère. Début 2010, de*r
ans après l'ouuerture de la ligne
Angoulême-Londres, nous de-uions
uerser une aidemarketing
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prix cassés sur ce traiet et sur
57 autres destinations... mais
avecbagages en soute Payants.
Ce type d'offre révèIe à quel
point les transPorteurs aériens
classiques se voient contraints
d'imiterle modèle des comPa-gnieslow
cosf. Celles-ci sont
en effet devenues de redou-tables
concurrentes, à com-mencer
par RYanaiç la Plus
puissante d'entre elles dans
le ciel européen.
Créée en 1985, la compa-gnie
irlandaise a connu une
expansion Prodigieuse- Forte
de 300 avions et de Près de
9 000 salariés, elle se classe
aujourd'hui au 2" rang euro-péen
pour le nombre de Pas-iagers
transPortés et réalise,
année après année, de beaux
bénéfices : Près de 500 mil-lions
d'euros sur l'exercice
arT il201l-mars2012, en déPit
de la crise et de la hausse du
prix des carburants'
Les collectivités
tenitoriales sous Plession
Cette réussite commerciale
et flnancière repose toutefois
pour une bonne Part sur une
quête incessante - et fruc-tueuse
- d'argent Public. Un
comble pour une entrePrise
rangée auxvernrs de l'r-rltralibé-ralisme
! RYanair ProPose ainsi
aux collectivités territoriales
40 I aLTERNArlvEs Écot totvtQues
Bexécutif bruxettois mène actuellement des samment motivée. Depuis, te dossier a été rouvert'
consotidé et étargi à d'autres formes d'aides'
Par aitleurs, [a Commission européenne a entre-pris
de réviser cette année tes règtes applicabtes
aux aides pubtiques dans [e secteur aérien' Eta-borées
en 2005, ettes ne garantissent ptus une
concurrence équitabte. Les nouve[les dispositions
devraient distinguer plus nettement les aides à
['investissement dans Ies inf rastructures aéropor-tuaires,
autorisées sous certaines conditions' et
les subventions de fonctionnement, en principes
interdites. Des subventions qui maintiennent en
vie des aéroports non rentables, ce dont profitent
les compagnies qui les utitisent'
enquêtes sur les aides à t'aviation versées par
tes coltectivités territoriales. Etles portent sur
vingt aéroports (dont sept français, sept atlemands
et un betge). Tous sont utitisés par Ryanair' Pour
ta maiorité de ces aéroports, [es sommes versées
par les collectivités à [a compagnie n'ont pas été
notifiées à Bruxeltes, qui n'a donc pas pu juger de
leur conformité aux règles européennes'
En 2004, [a Commission avait ordonné à Ryan-air
de rembourser à [a région wattonne une partie
des aides reçues pour son activité sur l'aéroport de
Charteroi. Une décision annutée quatre ans plus tard
par te tribunat de t'Union européenne, car insuffi-n"
321 février 2013
2. de 225 000 euros. Mais ln com-pagnie
now a demandé une ral-longe
de 175 000 euros pour des
motifs fallacieux. Nous au ons
refusé et Ryanair a quitté lhé-roport,
alors que nous auions
réalisé pour 836 000 euros de
trauaL$. » Un départ qui a pro-fité
aux aéroports voisins de
Poitiers, Limoges, La Rochelle
et Bergerac. Et ce n'est pas
tout:Ryanairaobtenu
400 000 euros pour rupture
abusive de contrat devant la
Cour internationale dhrbitrage
de Londres. Dans ce conten-tierx,
le Conseil d'Etat doittou-tefois
déterminer si le tribunal
administratif de Poitiers, saisi
de son côté par le département
nhurait pas dû se prononcer
avant la Cour londonienne, ce
qui rebattrait les cartes.
« La ligne Angoulême- Lo ndr e s
n'était pourtant pas déficitaire,
mais Ryanair a jugé le niueau
d e r entab ilité in suffi s ant, assur e
Michel Boutant. Tôt ou tard,
de nombreuses collectiuités
uont être confrontées à ce type
de situation. » En 2010, l'élu a
écrit à ses homologues dans
les autres départements des-servis
par la compagnie afin
n' 321 férrier 2013
de faire front commun etpeser
davantage face à elle. En vain.
Début2011 cependant, les élus
de Pau ont refusé à leur tour Ie
supplément dhides marketing
réclamé par Ryanair, laquelle a
réagi... en quittant l'aéroport,
après huit ans d'exploitation.
Une politique
du tout-payant
Parallèlement à cette pres-sion
sur les collectivités territo-riales,
Ia compagnie irlandaise
maximise les profltsvis-à-vis de
ses passagers. Le prix du billet
est étonnamment bas, mais
c'est lârbre qui cache la forêt.
Contrairement aux compagnies
traditionnelles, Ryanair facture
absolument tout : les frais de
dossier (via Internet ou le
centre d'appels), le paiement
par carte bancaire, la réser-vation
d'un siège particulie5
la modification d'un vol... Le
üansporteur low cost a même
instauré une taxe sur l'utili-sation
de fauteuils roulants.
Résultat: un trajet annoncé à
10 euros grimpe en pratique
fréquemment à 40 euros, même
si, à ce prix, le billet reste l'un
des moins chers du marché. Les
FRANCE ACTUALITE
points fidélité n'existent pas, Ia
compagnie considérant que
ses prixbas lui garanüssent des
clients captifs. Ce que Michael
o'Leary, le PDG, traduit ainsi :
« Le consommateur européen
ramperait nu sur du uerre
cassé pour auoir des billets pas
chers, (t).
Ryanair joue également
à fond la carte des services
annexes pour faire progresser
ses recettes : suppléments de
bagages payants, assurance
annulation, vente de marchan-dises
dans l'aüon, journaux,
collation, location de voitures,
Ryanairn forte de 300 avions
et près de 9 000 salariés, se classe
au 2e rang européen pour le nombre
de passagers transportés.
transfert en train ou en auto-car.
Des revenus pas si annexes
puisqu' ils rep r ésentaient 22 Vo
du chiffre d'affaires en 2011,
selon Airscoop.com, site spé-cialisé
dans les transporteurs
aériens low cost (2).
Dumpingsocial
Autre pilier du système
Ryanair, la réduction obses-sionnelle
des coûts sociaux.
Cet aspect estbeaucoup moins
connu, etpour cause: la com-pagnie
a réussi àbloquerl'im-plantation
de syndicats. Elle
n'a aucun élu du personnel,
seulement des représentants
désignés par le management
sur certaines bases aériennes.
Certes, des canaux de com-munication
s'organisent sur
Internet et via les associations
de pilotes (s), mais eninteme,
les conséquences éventuelles
- une convocation au siège
de Dublin, voire un licencie-ment
- invitent au silence,
selon plusieurs témoignages
que nous avons recueillis.
Parce qu'il applique la
législation irlandaise à ses
employés, Ryanair n'a lll
l.wwwtatribune.fr (« Ryanair:'1,6 mittion de passa-gerstransportésà
partir de Marseitte »).
2. « Le modèle économique de Ryanair 20ll »,www
airscoop.com
3. www.repaweb.org ; www.itf8tobat.orglram
paigns/ryan-be-faircf m
AUTANT DE PASSAGERS QUE LES GRANDES...
MNSÀPRIXMINI
Nombre de passagers (en mittions) et chiffre d'affaires (en mitliards d'euros)
des trois principales compagnies aériennes européennes, en 20ll
*
2011 -201 2 pour le chitfre d'atfaire§ de Hyanair
ALTERNATIVES ÉCONOMIQUES ] 4I
3. ACTUALITÉ FRANCE
lll organisé d'élecüons pro-fessionnelles
dans aucun des
pays où ses effectifs sont im-plantés.
Une législation sociale
minimaliste : droits qmdicar,rx
inexistants, cotisations patro -
nales réduites (12 %, contre près
de 45Vo en France), cotisations
chômage absentes et droits à
pension très faibles. Les sala-riés
passant la majeure partie de
leur temps dans des aüons ir-landais
etobéissantà des ordres
de Dublin,le droitirlandais doit
donc leur être appliqué, estime
en substance la compagnie.
Ce parti pris social et fiscal
est au cæur du procès d'Aix-en-
Provence tenu fin janüe4 dont
le jugement est très attendu.
Entre 2007 et 2010, Ryanair a
employe L27 pilotes, hôtesses
et stewards sous droit irlan-dais
sur la base de Marseille-
Marignane. Or, ces personnels
prenaient leur service sur la
base, y retournaient en fin de
journée, disposaient sur place
de locarx et de casiers indiü-duels,
selon une enquête des
pouvoirs publics. Dès lors, le
droit du travail français aurait
dû leur être appliqué, selon
les avocats des plaignants (4).
La compagnie bleue et jaune,
qui a fermé cette base en jan-vier
2011, pourrait écoper
d'une lourde condamnation
pour travail dissimulé, comme
avant elle Easÿeg Vueling ou
Citylet pour des faits similaires.
En Italie, la sécurité sociale
pourrait lui réclamer 12 mil-lions
d'euros, selon la presse
transalpine.
En termes de rémunératiorl
le transporteur irlandais verse
des salaires inférieurs de près
de 20 Vo à ceux de ses concur-rents,
selon le site Airscoop.
Mais pour limiter les conten-tierx,
il n'emploie pas directe-ment
la plupart de ses salariés.
Ainsi, dâprès le rapport annuel
de la compagnie, a:umoil'ts72Vo
des pilotes dépendent d'une
société sous-traitante. Après
avoir déboursé entre B0 000 et
100 000 euros pour apprendre
leur métier dans une école
d'aviation civile, les pilotes
doivent dépenser en plus près
de 30 000 euros
pour être formés
sur les Boeing737-
800 utilisés par
Ryanair. Ilemprunt
souscrit par les
futurs pilotes est
dhutant plus lourd
à rembourser qu'ils
sont employés en
sous-traitance. En
effet, à la différence de leurs
collègues directement salariés
par Ryanaiq ils ne sont payés
que pourle temps devol effec-tif.
Il en va de même pour les
hôtesses et les stewards : la
préparation du vol, le temps
d'escale et [e débriefing ne
sont pas rémunérés. Pas plus
que les annulations de vol,
les arrêts maladie ou les as-treintes
à domicile. « On doit
pouuoir se rendre à lhéroport
en45 minutes en cas d'astreinte,
témoigne anonymement un
commandant de bord employe
par la société britannique de
sous-traitance Brookfield, ce
qui oblige certains à louer à
plusieurs un appartement à
proximité. » « C'est Ryanair qui
cho i sit no tr e lieu d' ffi ctati on et
il est très rare qu'il corresponde
ànotre souhaff», explique une
ancienne hôtesse, elle aussi
sous couvert dhnonl,rnat.
Leventtourne
Même si Ryanair dispose
d'appareils récents, un plus
en termes de sécurité, plu-sieurs
pilotes meüent en avant
le risque d'endormissement.
Car beaucoup d'entre eux
atteignent, voire dépassent,
le plafond annuel européen
de 900 heures de vol, une
entorse à la réglementation
européenne tolérée parla Irish
Aviation Authority. Et certains
peuventne pas avoir de congés
durant quinze mois. Last but
not lea,st, tout est payant aussi
pour les personnels : le for-mulaire
de candidature, l'en-tretien
d'embauche, la üsite
médicale, les repas, l'uniforme,
le badge de sécurité.
La Commission euro-péenne
ignore ce dumping
,social, déplorait la députée
socialiste Odile Saugues, en
mars 2010 (5). Certes, de-puis
l'été 2012,la législation
européenne a changé : les
cotisations de sécurité sociale
doivent désormais être payées
dans le pays oir le salarié tra-vaille
principalement. Mais
seuls les nouveaux salariés et
les volontaires sont concer-nés.
Pour les autres, Ryanair a
jusqu'en 2O22porr se mettre
en conformité. De quoirenfor-cer
sa position sur le marché
d'icilà. Amoins que ses revers
judiciaires ne shccumulent et
que les collectivités locales
n'ouvrent les yeux sur la face
sociale cachée du modèle
Ryanair. ll NICOLAS LAGRANGE
IÏIilIÇnoi.ut nationaldes pilotes de tigne
(SNPL, syndicat de pilotes d Air France), de l'Unac
(syndicat d'hôtesses et de stewards dAir France),
de Pôte Emptoi,de l'Urssaf et de ta Gisse de retraite
des personnels navigants.
5. Rapport d'information de lAssemblée nationaLe
sur tes aides aux aéroports régionaux et tes taxes de
sûreté des aéroports. wI uayday,nayday,documentaire de ta télévision l
: néertandaise (traduiten an8lais): http://reporter ' i
kro.nuseizoenen/2013/afleveringen/03-01-2013/ |
I extras/mayday-maydayJartJ---english-version i
I ta lace iaciai au tdi cost. enq-uetà sur te i
système Pyanar?, fitm documentàire en ligne j
d'Enrico Porsia, diffusé par optlons, te magazine ,
Ld:ruqslglqryrryglg:l*nort:91). -i
Pour les personnels, tout est payant : formulaire de candidature, entretien
d'embauche, visite médicale, repas, uniforme, badge de sécurité.
ll le consommateur
européen rampetait nu
sul du verre cassé
pour avoir des billets
pas chers "
Michae[0'Leary,
PDG de Ryanair
42 I ALTERNATtvES Écot'tovtqurs n' 321 féw'ier 20,l3
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