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UNIVERSITE DE PARIS IV - SORBONNE
CELSA
Ecole des hautes études en sciences de l’information et de la communication
MASTER 2ème année
Mention : Information et Communication
Spécialité : Médias et Communication
Parcours : Médias informatisés et stratégies de communication
« L’adaptation des acteurs de l’industrie télévisuelle face à l’avènement
de la culture participative: stratégies et discours
communicationnels autour de la notion d’interactivité. »
Dans un contexte culturel particulier porté par la démocratisation des médias
informatisés et du réseau internet, de quoi les dispositifs interactifs mis
en place par les acteurs de l’industrie télévisuelle sont-ils les
instruments ?
Préparé sous la direction du Professeur Véronique RICHARD
Nom, Prénom : HUREL Louise
Promotion : 2013-2014
Option : Médias et Communication
Soutenu le :
Note du mémoire :
Mention :
2
SOMMAIRE
INTRODUCTION …………………………………………………………………………... 5
PARTIE 1 _ MODELE DES DISPOSITIFS INTERACTIFS TELEVISUELS : DES
CONSTRUCTIONS TECHNIQUES ET DISCURSIVES ……………………………... 16
A) Des dispositifs interactifs construits par des mécanismes techniques qui
structurent la participation des internautes ……………………………………………. 18
1. La nature des interactions et l’identité des dispositifs influencés par les espaces
temps dans lesquels ils s’inscrivent ……………………………………………………. 18
2. Structuration de la technique par l’écrit : les pratiques participatives définies selon la
manipulabilité technique des architextes de saisie …………………………………… 21
3. La pratique déterminée par la représentation des techniques mobilisées par les
dispositifs interactifs ………………………………………………………………………. 27
B) Des dispositifs interactifs soutenus par des discours communicationnels visant à
créer un référent commun ……………………………………………………………….. 30
1. Des discours communicationnels qui rendent accessible la manipulation technique
des dispositifs interactifs en créant de la valeur ajoutée …………………………….. 30
2. Des discours communicationnels qui accompagnent les dispositifs interactifs et
construisent un référentiel commun …………………………………………………….. 34
3. Des discours qui réinventent la télévision ……………………………………………… 38
C) L’interactivité : un concept promotion porté par l’imaginaire du web participatif . 42
1. De l’ambigüité du terme « interactivité » ……………………………………………….. 42
3
2. Un concept qui s’inscrit dans un imaginaire global lié au web participatif : un nouveau
model social basé sur le partage ……………………………………………………….. 45
3. Un concept qui s’inscrit dans un imaginaire global lié aux médias informatisés :
personnalisation et usage individuel des « nouveaux médias » …………………….. 48
PARTIE 2 _ LES DISPOSITIFS INTERACTIFS TELEVISUELS : DES MACHINES A
CAPTURER ET MONETISER L’USAGE ……………………………………………… 51
A) Les dispositifs interactifs télévisuels, instruments de l’économie de l’attention ... 52
1. Des dispositifs interactifs pensés comme une réponse au besoin d’engagement des
publics ……………………………………………………………………………………… 52
2. Les dispositifs interactifs au service de l’économie de l’attention et l’économie de
l’audience ………………………………………………………………………………….. 56
B) Les dispositifs interactifs télévisuels, instruments de l’hybridation des médias-
marques …………………………………………………………………………………… 59
1. Hybridation des médias-marques et le cas particulier de la télévision ……………… 60
2. Publicitarisation et dépublicitarisation au centre du modèle économique des
dispositifs interactifs télévisuels …………………………………………………………. 63
C) Les dispositifs interactifs télévisuels, instruments de l’économie scripturaire ….. 66
1. Séduction et injonction à la participation ……………………………………………….. 68
2. Récupération des données et marchandisation de la trace ………………………….. 70
PARTIE 3 _ DES DISPOSITIFS INTERACTIFS TELEVISUELS : INSTRUMENTS
DE L’INDIVIDUALISATION INDUSTRIELLE DE MASSE ………………………….. 73
4
A) L’individualisation de masse à travers la mise au travail des télénautes-
consommateurs …………………………………………………………………………... 74
1. Les dispositifs interactifs télévisuels, des outils de l’individualisation de masse ….. 74
2. Les dispositifs interactifs télévisuels : instruments de la mise au travail des
consommateurs …………………………………………………………………………… 78
B) Industrialisation de l’individualisation de masse et désindividuation des télénautes
………………………………………………………………………………………………. 81
1. Les dispositifs interactifs télévisuels comme processus d’industrialisation de
l’individualisation ………………………………………………………………………….. 81
2. Accroissement de l’individualisation et perte de l’individuation ……………………… 83
C) Les dispositifs interactifs télévisuels, instruments de l’hybridation des relations
humaines et marchandes ………………………………………………………………... 85
1. Les dispositifs interactifs télévisuels, instruments de l’humanisation des rapports
marchands …………………………………………………………………………………. 85
2. Les dispositifs interactifs télévisuels, instruments de l’hybridation des relatiosn
marchandes et humaines ………………………………………………………………… 88
CONCLUSION ……………………………………………………………………………. 91
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES ………………………………………………. 97
ANNEXES ……………………………………………………………………………… 100
MOTS CLES …………………………………………………………………………… 107
5
INTRODUCTION
Depuis plusieurs années, le terme « télévision »	
   s’est vu agrémenté	
   des
adjectifs sociale, participative ou encore connectée, marquant ainsi une rupture
sémiologique entre la télévision-tout-court, qui renvoie à	
  un instrument de réception
passive, et la télévision enrichie qui, dans l’imaginaire commun, évoque un média
plus performant et plus démocratique.
Cet enrichissement langagier et performatif du média télévisé	
   est une des
conséquences des avancées technologiques qui furent à	
  l’origine de la création et du
développement des médias informatisés d’une part, et de la numérisation des
technologies de fourniture classique, dont le poste de télévision, et de leurs contenus
d’autre part. Les traditionnels couples « support / contenu »	
  étant depuis brisés, les
supports de stockage et de visionnage sont désormais multifonctionnels et intègrent
tous les contenus de manière indifférenciée1
. De plus, la numérisation des diverses
technologies de fourniture a aussi facilité	
   la création de liens entre les différents
supports médiatiques, donnant lieu à	
   de véritables « couteaux suisse
technologiques »2
tels que les ordinateurs, sur lesquels les récepteurs ont pris
l’habitude de naviguer entre la télévision, les films, la lecture ou encore les jeux
vidéo.
1
P. Chantepie et A. Le Diberder, Révolution numérique et industries culturelles, Paris, La Découverte,
2005	
  
2
Peyron David, « Quand les œuvres deviennent des mondes. Une réflexion sur la culture de genre
contemporaine à	
  partir du concept de convergence culturelle », La découverte I Réseaux
2008/2 –	
  n°148-149, p 360	
  
6
Ce phénomène fait référence à	
  ce que l’on appelle la convergence technologique, et
est accompagné	
   par une évolution des usages et pratiques de consommation
culturelle que l’auteur Henry Jenkins a notamment théorisée par le concept de
convergence culturelle. Cette dernière serait « un mélange complexe », « une sorte
de métaculture qui s’actualise en culture »3
et par laquelle « la culture médiatique
devient multimédiatique »4
.
Bien que la convergence culturelle semble antérieure, ou tout du moins « décorrélée
historiquement de la convergence technologique, […] les deux phénomènes se
rejoignent et se renforcent mutuellement »5
depuis quelques années, contraignant
les acteurs de l’industrie télévisuelle à	
   repenser le format de leurs offres afin que
celles-ci correspondent aux attentes et usages des consommateurs.
En effet, les dispositifs médiatiques qui accompagnent les programmes
télévisés sont créés et mis en place à	
  partir d’une certaine idée que les producteurs
se font des récepteurs et de leurs usages, et qu’ils tentent d’anticiper au mieux,
même si l’écart entre le mode d’emploi et l’usage effectif restera toujours un espace
de réappropriation, pour les consommateurs, sur lequel les industriels n’ont aucun
contrôle.
Ainsi, le double phénomène de la convergence technologique et culturelle a
engrangé	
  de nouvelles manières de regarder les programmes télévisés qui n’avaient
pas encore été	
   prises en compte par les producteurs, comme la consommation
simultanée d’un média informatisé	
  et de la télévision. Cet usage a donné	
  naissance à	
  
une nouvelle figure du consommateur qui n’est désormais plus simple téléspectateur,
mais télénaute,	
  à	
  la fois téléspectateur et internaute. Cet éparpillement de l’attention
3
Peyron David, « Quand les œuvres deviennent des mondes. Une réflexion sur la culture de genre
contemporaine à	
  partir du concept de convergence culturelle », La découverte I Réseaux
2008/2 –	
  n°148-149, p 342	
  
4
Peyron David, « Quand les œuvres deviennent des mondes. Une réflexion sur la culture de genre
contemporaine à	
  partir du concept de convergence culturelle », La découverte I Réseaux
2008/2 –	
  n°148-149, p 359	
  
5
Peyron David, « Quand les œuvres deviennent des mondes. Une réflexion sur la culture de genre
contemporaine à	
  partir du concept de convergence culturelle », La découverte I Réseaux
2008/2 –	
  n°148-149, p 361	
  
7
sur d’autres médias que la télévision s’est accompagné d’une prise de parole
naturelle des consommateurs sur des espaces n’ayant pas encore été	
   investis par
les acteurs de l’industrie télévisuelle.
Afin de combler ce manque à	
  gagner, les producteurs et diffuseurs de programmes
télévisés ont adapté	
   leurs dispositifs à	
   ces braconnages en étendant leurs formats
sur les médias informatisés et diffusant leurs contenus via le réseau internet. Ils
proposent ainsi de nouvelles pratiques de consommation, présentées sous le
concept-promotion de second écran. Grâce à	
   cette multiplication des canaux de
diffusion, les programmes télévisés se sont vu enrichis par des dispositifs dits
interactifs, destinés à	
  provoquer des conversations entre les télénautes au sujet des
programmes télévisés, d’où	
  l’adjectif sociale désormais accolé	
  au terme télévision.
Si la télévision a, depuis sa création, été	
  un média de la sociabilité, proposant
à	
  un large panel de téléspectateurs des références culturelles communes, créatrices
de dialogue et de liens sociaux, l’apparition relativement récente de ces adjectifs va
donc de pair avec la démocratisation des médias informatisés et du réseau internet
qui ont exacerbé	
   la dimension communicationnelle des programmes télévisés plus
qu’ils n’en ont intensifié	
  le caractère social.
En effet, la majorité	
  des dispositifs interactifs sont aujourd’hui mis en place en
parallèle des programmes qu’ils accompagnent et ne sont donc qu’une option
destinée à	
   enrichir l’expérience télévisuelle n’ayant aucune incidence sur le
déroulement de l’émission elle-même. Par exemple, pour sa troisième saison, le télé-
crochet The Voice, la plus belle voix, diffusé	
   sur TF1, a mis en place un dispositif
présenté	
   comme interactif, appelé	
   « Le 5ème
coach », grâce auquel les télénautes
ayant téléchargé	
  l’application MYTF1 peuvent se mettre dans la peau d’un coach et
buzzer les artistes qui performent sur leurs écrans de télévision depuis un second
écran, en même temps que les coachs de l’émission. Ce dispositif propose donc une
interaction médiatisée via une interface pensée et conçue pour donner l’impression
8
aux télénautes qu’ils jouent avec ou contre les coachs officiels, alors qu’en vérité	
  la
seule interaction dont il est question ici est un simulacre d’interaction entre l’homme
et la machine, dont la notion d’interface est l’« objet-emblème »6
. Ainsi, parler
d’interactivité	
   ou de participation ici relève plus de la stratégie communicationnelle
que d’une véritable ouverture du média télévisé	
  sur la co-création de contenus.
Il en va de même avec les très nombreuses émissions qui utilisent leur présence sur
les réseaux sociaux pour se présenter comme interactives. Si l’interaction peut être
ici comprise comme un échange entre des êtres pensants et conscients différé	
  par la
machine, et non comme un simulacre d’interaction entre l’homme et la machine, il
n’en reste pas moins que celle-ci se fait en périphérie des programmes. Ainsi, ces
derniers, bien qu’ils soient au cœur des conversations, ne reposent pas sur celles-ci
et ne sont donc pas plus interactifs qu’ils ne l’étaient avant les convergences
technologiques et culturelles.
La télévision sociale et interactive relève donc d'une posture d’énonciation
communicationnelle destinée à	
  montrer que le média télévisé	
  a changé, qu’il est en
pleine évolution et qu’il connaît même une révolution. Si la numérisation des
supports et des contenus, qui a donné	
   lieu à	
   la convergence technologique et
culturelle, a effectivement ouvert le champ à	
   certains usages particuliers, le fait de
jouer de chez soi en parallèle des émissions ou de les commenter en direct via les
réseaux sociaux n’a rien de nouveau ni de révolutionnaire, si ce n’est la technique
qui porte ces usages. Ils existaient bien avant l’apparition des médias informatisés et
du réseau internet, les rendez-vous entre amis ou en famille pour regarder un
programme particulier et le commenter étant des rituels qui accompagnent la
télévision depuis sa création. Ce que les médias informatisés et internet ont permis
est le changement d’échelle de ces pratiques et leur industrialisation, ce sur quoi
nous reviendrons au cours de cette étude.
6
Jeanneret Yves, Penser la trivialité, volume 1 : La vie triviale des êtres culturels, Lavoisier, Paris,
2008, p 138	
  
9
Bien que la majorité	
  des dispositifs dits interactifs ne le soient pas vraiment, il
est important de noter les efforts faits par les acteurs de l’industrie télévisuelle pour
exploiter les nombreuses ressources qu’ouvrent les convergences technologiques et
culturelles, notamment en terme de participation et de co-création. En effet, de plus
en plus de dispositifs conçus et pensés comme interactifs se trouvent désormais au
centre des programmes, offrant aux télénautes un rôle plus central, et ouvrant la voie
à	
   la co-création effective de contenus télévisés. Ce sont ces dispositifs plus
complexes et centraux qui vont nous intéresser ici.
Ainsi, bien que la dénaturalisation du mythe de la télévision sociale et
participative soit un sujet qui a déjà	
   été	
   très étudié, notamment dans le cadre de
mémoires d’étudiants du Celsa, il nous semblait intéressant et pertinent d’aborder
une nouvelle fois ce thème mais sous un angle différent, qui ne partirait pas d’une
réflexion autour de l’évolution du média ou des usages qui y sont associés, mais qui
prendrait racine dans l’étude de ces dispositifs dits interactifs qui trouvent désormais
leur place au centre des programmes, offrant un rôle a priori plus important aux
téléspectateurs.
L’idée est ici de faire dialoguer trois de ces dispositifs interactifs pour faire ressortir
des nœuds de tension que nous analyserons au regard de concepts plus généraux,
comme la culture participative ou la notion d’interactivité, et ainsi mieux cerner le
contexte global qui se nourrit de ces objets autant qu’il les crée. Ce n’est donc pas
tant l’étude de la télévision participative en tant que média qui va nous intéresser tout
au long de ce mémoire que ses instruments, pensés comme des miroirs du contexte
social, économique et politique dans lequel elle s’inscrit.
La raison pour laquelle nous avons choisi de nous concentrer sur des
dispositifs concis pour aborder des thèmes aussi denses et complexes que les
notions d’interactivité	
   et de culture participative est qu’ils s’avèrent des processus
aux mécanismes complexes, articulés par des éléments techniques et discursifs, qui,
par leur élaboration même, sous-tendent des réalités économiques, politiques et
10
sociales. Ces dispositifs, parce qu’ils altèrent, modifient et transforment les objets
qu’ils abordent et sur lesquels ils s’appuient7
, sont des témoins privilégiés du
contexte social dans lesquels ils s’inscrivent.
En partant de ce constat, nous sommes alors en droit de nous demander de
quoi sont composés ces dispositifs interactifs et comment se donnent-ils à	
   lire ?
Comment et en quoi cette construction technosémiotique des dispositifs interactifs
télévisés altère-t-elle les objets qu’elle aborde ? Comment se construit notre
perception de la télévision à	
   travers ces dispositifs et les pratiques qui y sont
associées ? Mais aussi que nous apprennent-ils du contexte culturel et social dans
lequel s’inscrit l’industrie télévisuelle ?
Autant de questions que nous avons tenté	
   de synthétiser dans une
problématique à	
   laquelle nous nous efforcerons de répondre tout au long de ce
mémoire :
De quoi les dispositifs interactifs mis en place par les acteurs de l’industrie
télévisée sont-ils les instruments et que nous apprennent-ils sur le contexte
social, politique et économique dans lequel ils s’inscrivent ?
Afin de répondre à	
   cette problématique, nous interrogerons les trois
hypothèses suivantes :
Hypothèse 1 :
Les dispositifs interactifs télévisuels sont des instruments communicationnels
qui encouragent les téléspectateurs à	
   adopter certaines pratiques de
consommation via des mécanismes techniques qui structurent leur
7
Candel Etienne, « L’Œuvre saisie par le réseau », Communication & Langages - n°155 –	
  Mars 2008	
  
11
participation et des discours qui créent un nouvel imaginaire démocratique et
social autour du média télévisé.
Hypothèse 2 :
Les dispositifs interactifs télévisuels sont des machines à	
   capturer et
monétiser l’usage des télénautes, utilisées pour répondre à	
  des impératifs liés
à	
  l’économie de l’attention, et ce dans un contexte d’hybridation des médias et
des marques, porté, notamment, par l’économie scripturaire qui s’est
intensifiée avec la démocratisation des médias informatisés.
Hypothèse 3 :
Les dispositifs interactifs sont des instruments de l’individualisation de masse
à	
  travers la mise au travail des consommateurs, qui, étant élaborée selon des
processus industriels, entraine la désindividuation des télénautes en même
temps que l’humanisation des médias-marques, conduisant ainsi à	
   une
hybridation progressive des activités relationnelles humaines et marchandes.
Avant de présenter le corpus qui nous servira à	
   exemplifier nos propos et
éprouver nos hypothèses, il est important de souligner que notre étude est située
dans le temps et que nous avons délibérément occulté	
  toute explication historique et
autre notion d’évolution pour ne nous concentrer que sur un état de fait particulier à	
  
un moment donné. Nous analyserons donc des objets d’étude tels qu’ils ont été	
  
pensés et mis en place pour une durée plus ou moins courte, qui correspond au
temps de diffusion des émissions qu’ils supportent.
De plus, notons que ne seront pas étudiées ici les conversations et commentaires
que les télénautes sont invités à	
  produire sur les réseaux sociaux, mais que nous ne
nous intéresserons qu’aux dispositifs interactifs autour desquels les programmes se
développent.
12
Le corpus fera l’objet d’une analyse des discours qu’il met en place ainsi que d’une
analyse technosémiotique afin d’appréhender et de tenter de comprendre comment
ces dispositifs se construisent et se donnent à	
  lire dans un certain contexte qui les
influence mais qu’ils conditionnent en partie aussi.
Afin de mener à	
  bien ce travail, nous avons défini un corpus de trois dispositifs dits
interactifs constituant la base de programmes télévisés de natures différentes et
diffusés sur trois chaines aux publics et références propres, à	
   savoir : la série
télévisée What Ze Teuf diffusée sur la chaine D8, l’émission quotidienne de débat
politique Ça vous regarde diffusé	
  par LCP, et enfin le télé-crochet Rising Star diffusé	
  
sur M6.
Le concept de What Ze Teuf, présenté	
   comme la première « tweet série »	
  
française, est le suivant : tous les soirs, après la diffusion de chaque épisode, les
télénautes sont invités à	
   proposer des synopsis en 140 caractères via le réseau
social Twitter parmi lesquels les scénaristes en sélectionneront un, à	
  partir duquel ils
écriront et réaliseront l’épisode qui sera diffusé	
  le lendemain soir.
Le choix des producteurs de What Ze Teuf d’inscrire le dispositif interactif qui
englobe leur série télévisée dans un dispositif médiatique plus large, avec ses règles
et ses imaginaires propres, a des influences sur la structuration technique du
dispositif mais aussi sur la manière dont il va être pensé	
   et utilisé	
   par ses
destinataires. En effet, en choisissant de développer leur dispositif interactif via
Twitter, les créateurs de What Ze Teuf en adoptent l’architexte de saisie qui structure
la participation des internautes, mais aussi inscrivent leur projet dans un univers déjà	
  
construit et fortement connoté.
Nous étudierons donc dans ce travail le dispositif interactif de What Ze Teuf	
  à	
  travers
deux niveaux: celui d’un dispositif communicationnel propre, mis en place pour un
programme donné, avec ses règles et ses particularités, mais aussi celui d'un
dispositif pensé	
   pour s’inscrire dans un certain cadre préexistant, à	
   travers un
architexte déjà	
  écrit.
13
Diffusé	
   du lundi au jeudi en direct sur le site internet de la chaine
parlementaire LCP de 19h à	
  20h puis sur le réseau hertzien de 21h à	
  22h, l’émission
de débat quotidienne Ça vous regarde propose « une autre façon de présenter et
d’aborder l’actualité	
  grâce à	
  l’interactivité »8
. Si l’émission semble être une émission
de débat sur plateau assez classique, animée par des figures publiques et
spécialistes dans des domaines variés, elle tire son originalité	
   de l’intervention
pendant l’émission de « sentinelles citoyennes »	
   qui interagissent avec les invités
depuis chez eux, via leurs webcam. L’interaction passe ici non par l’écrit mais par
l’image et le son, en direct et non en amont, ce qui relève d’une réalité	
  
technosémiotique différente de celle d’un dispositif écrit dont l’architexte de saisie est
scripturaire, et convoque donc des manières de penser et d’utiliser le dispositif tout
autres. De plus, le fait que la participation ne se fasse qu’à	
  partir du site internet de
l’émission et qu’elle ne soit pas ouverte à	
  tous mais fasse l’objet d’une présélection
induit une certaine façon de construire l’interactivité, selon des règles et des
mobilisations de pensée propres que nous tenterons de déconstruire et d’analyser
ici.
Enfin, le télé-crochet Rising Star, diffusé	
   tous les jeudis depuis le 25
septembre dernier sur M6, propose aux télénautes de devenir jurés via l’application
6play. Ce format qualifié	
   de « révolutionnaire »	
   par ses producteurs et diffuseurs
marque effectivement une nouvelle étape dans l’intégration du public au bon
déroulement d’un programme télévisé. La présence et l’investissement des
télénautes dans l’évolution du jeu étant primordiale, le dispositif interactif est construit
et se donne à	
  lire afin d’être le plus engageant possible. Tout d’abord, la promesse
de voir sa photo apparaître sur un écran géant lors de la diffusion en prime-time de
l’émission constitue une sorte de récompense pour les télénautes ayant participé. De
plus, la participation ne se faisant pas ici à	
   partir d’un site web, mais grâce à	
   une
8
Page d’accueil du site de l’émission, http://www.lcp.fr/emissions/ca-vous-regarde-le-debat	
  
14
application mobile qu’il est nécessaire d’avoir téléchargé, le dispositif interactif
s’inscrit tout de suite dans une démarche engageante. Nous étudierons donc ce
dispositif à	
   travers les stratégies techniques et discursives qu’il met en place pour
pousser les télénautes à	
  participer et s’engager.
Ces trois dispositifs interactifs seront, dans un premier temps, déconstruits et
éprouvés afin d’en saisir la portée technique qui conditionne les pratiques
participatives et la portée discursive qui créée des imaginaires communs et positifs
servant à	
   l’appropriation de ces usages. Nous verrons, au fil de nos analyses,
comment ces dispositifs contribuent à	
  véhiculer l’image d’une nouvelle télévision plus
démocratique et participative, en jouant notamment sur le flou notionnel qui entoure
l’idée d’interactivité.
Dans un second temps nous analyserons ces dispositifs interactifs comme
des instruments au service de la monétisation des usages, répondant tout d’abord au
besoin d’engagement des publics dans un contexte où	
   la circulation de nouveaux
contenus ne cesse jamais, satisfaisant ainsi certains impératifs sous-tendus par les
mesures d’audience et s’inscrivant dans le contexte plus large de l’économie de
l’attention. Nous verrons, ensuite, que ces impératifs peuvent être au service d’une
meilleure intégration des messages publicitaires à	
  l’intérieur des contenus et formats
médiatiques, participant ainsi au phénomène plus large de l’hybridation des marques
et des médias, et ce dans une logique d’économie scripturaire, portée par les médias
informatisés et le réseau Internet.
Enfin, dans un troisième et dernier temps nous étudierons en quoi et comment
ces dispositifs interactifs sont des instruments de l’individualisation de masse à	
  
travers des processus industriels de mise au travail des télénautes qui, s’ils servent à	
  
véhiculer une certaine idée d’humanisation des médias-marques, entrainent aussi
une perte d’individuation de leurs utilisateurs, qui ne sont alors plus pensés comme
15
des individus mais comme des catégories de consommateurs susceptibles de
devenir ambassadeurs de marques, phénomène que nous comprendrons comme
une hybridation des activités relationnelles humaines et marchandes
16
PARTIE 1 _ MODELE DES DISPOSITIFS INTERACTIFS
TELEVISUELS : DES CONSTRUCTIONS TECHNIQUES ET
DISCURSIVES
Avant d’entrer dans le vif du sujet, il nous semble important de préciser dans
quel sens va être entendu et utilisé le terme dispositif tout au long de ce travail. Pour
ce faire, revenons dans un premier temps sur le sens qu’accordait Michel Foucault à
cette notion qu’il a beaucoup étudiée.
Lors d’un entretien accordé aux auteurs du dixième numéro du bulletin périodique
Ornicar ?, réalisé peu de temps après la parution de l’ouvrage La Volonté de savoir
du philosophe, et paru en juillet 1977, Michel Foucault décrit la notion de dispositif
comme suit :
« Ce que j'essaie de repérer sous ce nom [i.e dispositif], c'est, premièrement, un ensemble
résolument hétérogène, comportant des discours, des institutions, des aménagements
architecturaux, des décisions réglementaires, des lois, des mesures administratives, des
énoncés scientifiques, des propositions philosophiques, morales, philanthropiques, bref : du
dit, aussi bien que du non-dit, voilà les éléments du dispositif. Le dispositif lui-même, c'est le
réseau qu'on peut établir entre ces éléments.»
9
Les dispositifs se définiraient donc comme des structures d’éléments
hétérogènes, pouvant relever du mécanisme (dont ils se distinguent cependant grâce
à leur aspect continu) ou de « la technologie sociale » car « tout en maintenant une
distinction entre la technologie et le monde extérieur, ils impliquent une certaine
9
FOUCAULT Michel, «Entrevue. Le jeu de Michel Foucault», Ornicar ?, n°10, juillet 1977, p 63 URL :
http://1libertaire.free.fr/MFoucault158.html
17
organisation de la vie commune et les relations entre les hommes.»10
Etant constitués en réseaux destinés à organiser divers éléments, discursifs ou non,
sociaux et sociétaux, les dispositifs sont intimement liés à « une ou des bornes de
savoir » qu’ils mettent en place et par lesquelles ils sont conditionnés11
.
Ainsi, nous pouvons comprendre les dispositifs interactifs télévisuels que nous
allons étudier ici comme des réseaux hétérogènes, constitués d’une part d’écritures
donnant naissance à des instruments techniques qui eux même technicisent
l’écriture, et d’autre part de discours communicationnels qui créent et entretiennent
un imaginaire commun positif et un savoir partagé auxquels les consommateurs vont
pouvoir se raccrocher pour adopter les instruments techniques proposés. A travers
leurs éléments techniques et discursifs, les dispositifs interactifs se donnent aussi à
penser comme des processus politiques qui sont mis en place pour répondre à
certains besoins et atteindre certains objectifs.
Ces espaces de construction des pratiques relèvent de la technologie sociale en ce
qu’ils influent sur la manière dont les téléspectateurs vont anticiper, percevoir et
consommer des programmes télévisés, créant ainsi à partir d’éléments techniques
des codes et rituels sociaux, qui fournissent un modèle de la télévision dans son
ensemble, ainsi que la façon dont se pense, s’accomplit et circule la pratique
culturelle qu’est la participation.
C’est à travers leurs technicités que nous allons commencer à analyser les
éléments de notre corpus, afin d’en saisir les espaces temps dans lesquels ils
s’inscrivent ainsi que les architextes de saisie, pour mieux comprendre comment
l’apprentissage des codes et du langage technique utilisés influent sur les usages
communs qui sont associés à la télévision.
10
FOUCAULT Michel, «Entrevue. Le jeu de Michel Foucault», Ornicar ?, n°10, juillet 1977, URL :
http://1libertaire.free.fr/MFoucault158.html
11
Idem
18
A) Des dispositifs interactifs construits par des mécanismes techniques qui
structurent la participation des internautes
1. La nature des interactions et l’identité des dispositifs influencés par les
espaces temps dans lesquels ils s’inscrivent
Afin de bien comprendre la portée technique des dispositifs dont il est
question ici, pour ensuite saisir les discours pédagogiques et référentiels destinés à
en accompagner l’adoption et la réappropriation, il est important d’évoquer tout
d’abord les espaces temps dans lesquels se situent chacun de ces dispositifs et ce
en quoi ils conditionnent la technique mise en place.
Un premier niveau temporel est à préciser : celui de la durée de vie du
dispositif interactif qui, dans le cas de la série télévisée What Ze Teuf correspond à
vingt jours en tout, allant du 2 au 20 décembre 2013, divisés en quatorze sessions
de participation. Ce premier niveau temporel relativement court témoigne tacitement
du caractère exceptionnel de ce dispositif qui met à l’épreuve de l’urgence
l’organisation traditionnellement lourde d’un programme télévisé.
Le second niveau temporel sur lequel repose ce dispositif est celui des sessions en
elles-mêmes. Chaque diffusion d’épisode est suivie par une session de participation
qui débute à 20h30, à la fin de l’épisode diffusé, et se termine à 23h, heure à laquelle
commence la réalisation-marathon de l’histoire suivante qui se fera en douze heures.
Cette seconde échelle temporelle, équivaut à un temps flottant pendant la
production, une situation d’attente qui sépare chaque épisode et marque un arrêt
dans le rythme effréné de la réalisation.
Le temps de ce dispositif ne s’inscrivant donc pas dans celui de la réalisation
ni de la diffusion, son espace n’est logiquement pas celui de l’émission à proprement
parler. Le dispositif interactif prend ici lieu dans un espace numérique précis, celui du
réseau social Twitter, et plus exactement celui créé par le hashtag « #WZT » comme
nous le verrons plus loin. Ce réseau social étant public et ouvert à tous, toute
personne ayant un compte se voit autoriser la participation et chacun peut voir le
contenu posté par les participants.
19
Le temps du dispositif étant flottant et son espace ne lui étant pas exclusivement
dédié, l’interactivité dont il est question ici est un simulacre d’interaction plus qu’un
véritable échange égal entre deux entités conscientes. Bien que les messages soient
écrits puis lus et reçus par des êtres conscients, le fait que cette interaction soit
différée par la machine d’une part, et le fait que les messages ne s’adressent pas à
un récepteur en particulier mais à une entité vague que les télénautes imaginent
derrière le compte Twitter de l’émission et qu’ils identifient à un producteur ou un
scénariste, ne la rend pas complètement recevable en tant que telle d’un point de
vue scientifique.
Pour palier cette absence d’interaction directe et simuler au mieux l’échange humain,
la technique se doit d’être contraignante afin que les messages soient lisibles et
compréhensibles comme appartenant à un contexte particulier, même lus après
coup. Nous étudierons la technique mise en place pour ce dispositif un peu plus loin.
Alors que tous deux se présentent comme des dispositifs interactifs
télévisuels, le temps et l’espace invoqués dans la mise en place de l’émission Ca
vous regarde sont tout autres que ceux du dispositif de What Ze Teuf.
Tout d’abord, le premier niveau temporel de durée de vie du dispositif est ici plus
long, s’étalant sur toute une saison de diffusion de l’émission. Contrairement au
premier exemple, ce dispositif ne requiert pas une mobilisation exceptionnelle,
l’écriture de l’émission ne se basant pas dessus et son bon déroulement n’en étant
pas dépendant.
Alors que la première échelle temporelle est plus longue dans le deuxième exemple
que dans le premier, concernant la seconde échelle, à savoir celle de la participation
en elle-même, les temporalités sont inversées : la participation de What Ze Teuf se
fait à l’écrit dans un temps relativement long et prend effet au stade de la production
de l’émission, alors que dans le cas de ça vous regarde la participation se fait à l’oral
via un système de vidéoconférence et ne dure que quelques minutes au stade de la
diffusion de l’émission.
Notons cependant que la mise en place de la participation est plus courte dans le
premier cas, les télénautes n’ayant qu’à utiliser leurs comptes Twitter pour participer.
Le dispositif du second exemple requiert quant à lui une présélection qui prend un
peu plus de temps, les télénautes devant remplir un questionnaire puis choisir une
émission selon les sujets proposés.
20
La participation se faisant sur le temps du programme, à savoir en direct, donc
simultanément lors de sa réalisation et de sa diffusion, l’espace qui lui est attribué est
lui aussi celui de l’émission, que ce soit lors de la première étape du dispositif de
mise en place de la participation qui se fait via le site internet du programme, ou que
ce soit durant la diffusion en elle-même où l’image du télénaute apparaît à l’écran
bien qu’il ne soit physiquement pas présent sur le plateau.
L’interaction se fait donc ici dans un temps précis, celui de l’échange humain,
et dans un espace spécifique à l’émission où les télénautes s’adressent à des
interlocuteurs définis, qu’ils peuvent nommer. Ainsi, bien que l’interactivité soit ici
différée par la machine, elle s’apparente à la définition scientifique de l’interaction qui
se fait entre deux êtres conscients. Cette présence de l’échange humain pour cadrer
la participation facilite l’appropriation de la technique par les télénautes. Cependant,
les règles du direct étant par nature contraignantes et la technique encadrant les
systèmes de vidéoconférences étant régie par des architextes propres, nous
étudierons un peu plus loin dans ce travail comment la participation des télénautes à
l’émission ça vous regarde est influencée par la manipulabilité technique de son
dispositif.
Enfin, le dispositif interactif du télé-crochet Rising Star s’inscrit dans un
premier niveau temporel assez long, l’émission s’étendant sur toute une saison. Bien
que le dispositif soit ici assez lourd, notamment parce qu’il n’intègre aucune
présélection, comme c’est le cas pour ça vous regarde, il ne nécessite pas une mise
en place aussi exceptionnelle que pour What Ze Teuf, les télénautes n’étant pas les
producteurs du contenu qui servira de socle à l’écriture de l’émission.
Le deuxième niveau temporel du dispositif est ici court, lors de sa mise en place
d’abord, qui ne requiert que le téléchargement de l’application gratuite de la chaine
M6 6play et la connexion avec un compte Facebook ou une adresse email, et lors de
la participation en elle-même ensuite, cette dernière se faisant sur le temps de
l’émission, en direct. La participation est accessible aux télénautes à plusieurs
moments du prime-time et ce pour quelques minutes, chaque fois qu’un candidat fait
une performance.
La participation se faisant donc dans un temps court et en direct, l’espace sur lequel
elle s’opère se devait de lui être spécifique pour en faciliter le bon déroulement. C’est
pourquoi les producteurs/diffuseurs ont logé leur dispositif sur une application qui,
21
lorsqu’elle est ouverte sur un deuxième écran à côté du poste de télévision diffusant
l’émission en direct, a pour particularité de s’y connecter directement et de s’y
synchroniser.
Bien que l’interactivité s’opère ici dans un temps et un espace précis, la participation
du télénaute ne s’adresse pas à un interlocuteur défini, qu’il peut désigner, mais à
une machine, et plus exactement à un algorithme qui prend en compte les votes des
participants. Cette absence d’entité consciente répondante nous amène à analyser
ce dispositif interactif comme un simulacre d’interaction à travers lequel la machine
se donne à penser comme un interlocuteur humain doté d’intention et de conscience.
La technique utilisée pour mettre en place ce dispositif interactif est donc très bien
élaborée afin de se rendre intuitive pour les télénautes qui se laissent guider et en
ont très peu à faire grâce à un architexte de saisie très contraignant comme nous
allons le voir désormais.
Ainsi, les dispositifs télévisuels pensés dans le cadre de la télévision
participative sont plus ou moins interactifs selon les espaces temps dans lesquels ils
s’inscrivent qui définissent la nature des interactions, qu’elles soient directes ou
différées, adressées à un interlocuteur défini, une entité vague ou une machine. Mais
cet élément d’analyse ne fait pas tout. En effet, un dispositif se présentera aussi
comme plus ou moins interactif selon la relation qu’il créera entre l’activité de
visionnage et l’activité participative, qu’elle se traduise par l’écriture, le fait de cliquer
sur un signe passeur ou autre. C’est cette relation, qui se fait à travers la
structuration d’une technique propre à chaque dispositif, plus moins manipulable
selon les architextes de saisie mis en place, et qui définit la nature de la participation
des télénautes, que nous allons étudier à présent.
2. Structuration de la technique par l’écrit : les pratiques participatives
définies selon la manipulabilité technique des architextes de saisie
En partant du principe que l’idée d’interactivité, parce qu’elle sous-tend une
activité réciproque entre deux entités, requiert une certaine forme de participation,
nous allons étudier comment les architextes de saisie dont il est question ici
structurent la participation des télénautes.
22
Mais avant d’aller plus loin, précisons que les architextes sur lesquels nous
fonderons notre analyse dans cette partie sont « les outils qui permettent l’existence
de l’écrit à l’écran et qui, non contents de représenter la structure du texte, en
commandent l’exécution et la réalisation. »12
La manipulabilité technique de ces derniers affecte la participation des
télénautes en déterminant l’implication de ces derniers qui « résulte de la réalité des
ressources et contraintes qu’un dispositif offre pour une interaction effective »13
. Ainsi
la manipulabilité technique des dispositifs interactifs télévisuels joue sur la manière
dont ils vont se donner à lire et conditionne, par ses modalités, les pratiques des
usagers.
Comme annoncé en introduction, le dispositif interactif de la série télévisée
What Ze Teuf a été pensé à travers le réseau social Twitter, ce qui inscrit l’étude de
la structuration technique de la participation qu’il induit à deux niveaux : l’architexte
de Twitter d’une part, les règles écrites et pensées par les créateurs de ce dispositif
en particulier d’autre part.
Tout d’abord, évoquons l’architexte de saisie dans lequel s’inscrit ce dispositif, et
dont la caractéristique la plus importante est que ce réseau social est basé sur
l’échange d’informations délivrées en 140 caractères. Ce réseau social reposant sur
cette particularité de saisie, cette contrainte technique de l’écriture est immuable. Elle
représente ce que nous qualifierons ici d’architexte de saisie obligatoire, s’opposant
par là même à d’autres architextes de saisie présents sur Twitter que nous
désignerons comme optionnels et auxquels les créateurs du projet What Ze Teuf ont
aussi fait appel pour créer leur dispositif interactif.
La restriction du nombre de caractères autorisés par publication représente un
architexte de saisie contraignant, qui influe directement sur la nature de la
participation en ce qu’elle ne peut se faire que sous une forme très courte. Cette
spécificité de la forme influe naturellement sur la nature du contenu : les longs
discours n’y étant pas possibles, l’information doit être brute et concise, contraignant
ainsi les utilisateurs à inscrire leur participation dans un cadre de création très précis.
12
JEANNERET Yves, SOUCHIER Emmanüel et LE MAREC Joëlle, Lire, écrire, réécrire. Objets,
signes et pratiques des médias informatisés, Paris, Bibliothèque publique d’information, 2003, p 23/24
13
JEANNERET Yves, Critique de la trivialité, les médiations de la communication, enjeu de pouvoir,
Edition Non Standard, Paris, 2014
23
Ainsi, grâce à cet architexte de saisie obligatoire déjà connu et accepté par les
internautes, les concepteurs du projet What Ze Teuf ont contraint de manière
naturelle les participants à ne proposer que des phrases courtes et donc des idées
générales, éliminant par là même les éventuels problèmes d’excès de zèle et
d’incompréhension des règles d’utilisation. Nous noterons donc ici qu’en plus de
donner d’emblée un certain espace à la participation des télénautes, l’utilisation de
Twitter a aussi permis aux producteurs de s’exempter de toute pédagogie et
justification quant aux règles d’utilisation.
En plus de cet architexte de saisie obligatoire, les producteurs de What Ze
Teuf ont fait appel à l’architexte de saisie optionnel qu’est le hashtag afin,
notamment, de se particulariser.
Le hashtag, matérialisé par le symbole « # », est un signe passeur qui fonctionne
comme un lien hypertexte. Il se rend visible comme tel en se distinguant du reste du
texte par une mise en relief via la couleur bleue, indiquant ainsi aux internautes qu’ils
peuvent cliquer dessus pour circuler dans le réseau social.
Le hashtag a une double fonction. Il est tout d’abord un indicateur qui sert à désigner
la présence d’un mot clé, servant notamment à contextualiser le contenu d’un tweet,
à le rendre plus lisible pour ses lecteurs. De nombreuses institutions l’utilisent donc
pour se rendre visibles via la création en amont d’un hashtag dédié à leur marque,
leurs produits ou contenus. C’est dans cette optique que les producteurs de What Ze
Teuf ont créé le mot-clé « #WZT », rendant ainsi plus lisible et plus visible leur
dispositif grâce à la portée discursive du hashtag.
Cependant le hashtag étant aussi un outil porté par la technique, parce qu’il est un
signe passeur qui permet aux internautes de se déplacer dans le réseau social, il est
créateur d’espace de discussion et de prise de parole autour du mot clé qu’il
supporte. En cliquant sur le lien généré par le hashtag, les internautes sont renvoyés
sur une nouvelle page où sont répertoriées toutes les publications ayant intégré ce
hashtag particulier, donc tout ce qui peut se dire autour d’un même sujet.
La présence de la mention « #WZT » dans les tweets proposants des synopsis pour
les épisodes des lendemains constituait donc un élément obligatoire pour deux
raisons : d’une part parce que cela donnait au dispositif une certaine visibilité et donc
notoriété, mais aussi parce que cela permettait aux scénaristes d’avoir un accès
24
direct à tous les synopsis proposés en se rendant directement sur l’espace créé par
le hashtag « #WZT ».
De plus, en rendant ainsi visible la participation des télénautes de What Ze Teuf, le
hashtag influait sur la manipulabilité technique du dispositif qu’il servait car la
construction de la participation des uns se faisait en fonction de celle des autres et
du fait qu’ils savaient qu’ils allaient être lus.
Le cas du dispositif interactif de l’émission ça vous regarde est un peu
particulier dans le paysage des dispositifs télévisuels car il permet aux internautes de
participer à l’émission par visioconférence et non par écrit. Si ce dispositif offre à
première vue une certaine liberté de participation en ce que les échanges humains
peuvent suppléer la technique, il est important de souligner qu’il est lui aussi soumis
à des architextes de saisie obligatoires et optionnels dont la manipulabilité définit la
participation des télénautes.
Notons tout d’abord que la participation se fait ici en direct grâce à un outil technique
dont les termes d’utilisation ont été prédéfinis par un architexte assez peu
contraignant : pour utiliser un logiciel de visioconférence comme Facetime ou Skype,
il suffit de signaler le contact à appeler puis de cliquer, dans un geste de « lecture-
écriture »14
sur un signe passeur se matérialisant souvent par une forme et/ou une
couleur particulière, et d’attendre que l’interlocuteur réponde en cliquant sur un signe
passeur à son tour. A cet architexte obligatoire peu contraignant les créateurs du
dispositif interactif dont il est question ici ont ajouté un architexte optionnel qui est
l’utilisation de la vidéo. En effet, bien que tout l’intérêt des outils de vidéo-conférence
soit la présence de la vidéo, la possibilité est offerte à ses utilisateurs de ne pas faire
appel à celle-ci et de contacter des interlocuteurs via le réseau internet sans
forcément les voir. Dans le cadre du dispositif interactif de ça vous regarde la caméra
doit être allumée durant l’appel afin que le télénaute soit visible et reconnaissable.
L’interaction ne pouvant donc se faire sous couvert d’anonymat ou avec un
pseudonyme, la participation des télénautes s’en trouve modifiée, ces derniers
anticipant le fait qu’il leur faudra assumer leurs propos, qui seront enregistrés comme
leur appartenant.
14
JEANNERET Yves, SOUCHIER Emmanüel et LE MAREC Joëlle, Lire, écrire, réécrire. Objets,
signes et pratiques des médias informatisés, Paris, Bibliothèque publique d’information, 2003, p 23
25
En plus des contraintes architextuelles de l’outil utilisé pour la vidéo-conférence les
producteurs ont décidé d’ajouter deux règles, sans lien direct avec l’architexte de
saisie, mais qui cadrent cependant les conditions de participation des télénautes. La
première concerne la forme de la participation qui arrive généralement en milieu
d’émission : les télénautes ne peuvent poser qu’une question, précise et directe,
sans avoir le droit de faire de digression au risque de se faire rappeler à l’ordre très
vite par le présentateur. L’autre règle concerne le temps de participation qui est très
court, ne devant pas dépasser trois minutes. Pour les participants il est donc
important de bien choisir leur question et leurs mots pour être d’une part entendus et
compris par les invités, mais aussi pour faire passer un message, une opinion en très
peu de temps.
Ainsi, ce n’est pas tant le caractère contraignant de l’architexte de saisie que
l’utilisation de la vidéo-conférence et les règles imposées par les producteurs qui
conditionnent la participation des télénautes ici.
Le dispositif interactif du télé-crochet Rising Star n’a pas été pensé à travers
des outils extérieurs et donc indépendants des producteurs/diffuseurs comme c’est le
cas pour ceux de What Ze Teuf ou de ça vous regarde, mais a été mis en place par
le diffuseur, à savoir la chaine M6, qui en est donc maitre. Ainsi, les notions
d’architextes de saisie obligatoires, inhérentes à l’outil extérieur, et d’architextes de
saisie optionnels, manipulés par les créateurs des dispositifs comme moyens de
réappropriation de l’outil et de particularisation des règles d’utilisation, ne sont pas
pertinentes ici, l’architexte de saisie ayant été ici pensé spécialement pour le
dispositif, il ne s’opère qu’à un seul niveau.
Afin de participer à l’émission et d’entrer dans la peau d’un juré, il est nécessaire
d’avoir préalablement téléchargé l’application 6play, activé le bouton « Devenir juré
de Rising Star » et s’y être connecté via son compte Facebook ou une adresse
email. Une fois ces pré-requis exécutés, le télénaute n’a plus qu’à ouvrir l’application
et se connecter à son comte Rising Star durant la diffusion de l’émission. Ce n’est
qu’à ces conditions que le dispositif interactif, structuré par un architexte de saisie
obligatoire unique, peut être activé.
Une fois le dispositif interactif enclenché, le télénaute doit, pour participer,
s’enregistrer au passage de chaque nouvel artiste en glissant son doigt sur une barre
horizontale. Cet architexte de saisie contraignant et obligatoire a été mis en place
26
afin que toute participation se signale en tant que telle, comme une démarche
proactive et quantifiable, ce qui est la condition sine qua non du bon fonctionnement
du dispositif.
Une fois l’enregistrement pris en compte, les télénautes sont invités soit à faire
glisser une flèche bleue de la gauche vers la droite pour voter oui et soutenir l’artiste,
soit à faire glisser une flèche rouge de la droite vers la gauche pour voter non et
éliminer le candidat. L’architexte est donc ici très contraignant, ne laissant aux
télénautes que la possibilité de choisir entre deux propositions à deux reprises, qui
sont de s’enregistrer ou non, puis de répondre par la positive ou la négative, chaque
fois en faisant glisser leurs doigts sur des zones prédéfinies. Cette détermination de
la participation par la très faible manipulabilité technique de l’architexte joue
cependant un rôle non négligeable dans le relatif succès de ce dispositif. En guidant
et contraignant ainsi les télénautes, la technique est abordable pour tous car elle ne
nécessite pas de connaissances ou dispositions particulières. Cette simplicité invite
et même incite ainsi tout un chacun à participer.
Ainsi, la participation des télénautes aux dispositifs interactifs télévisuels est
en grande partie définie par l’architexte de saisie mis en place et sa manipulabilité
technique. Cependant, la pratique participative ne dépend pas que de la technique
du dispositif en elle-même, mais aussi « de la mobilisation d’une certaine manière
spécifique de penser son origine technique, et, avec elle, le fonctionnement du
média »15
.
La technique joue donc un double rôle dans la création et la perpétuation de
certaines pratiques liées aux notions de participation et d’interactivité : celui
de l’épreuve concrète de sa matérialité que nous venons d’étudier ici d’abord, et celui
de son anticipation, sa représentation et les imaginaires qui y sont associés ensuite,
ce que nous allons à présent aborder.
15
CANDEL Etienne, « L’Œuvre saisie par le réseau », Communication & Langages - n°155 – Mars
2008, p 101
27
3. La pratique déterminée par la représentation des techniques mobilisées
par les dispositifs interactifs
La technique, par la fantasmagorie de son utilisation et les représentations qui
y sont associées, influence donc les pratiques sociales et culturelles des
consommateurs, notamment dans le domaine de la télévision.
C’est ainsi que le second écran, concept promotionnel connaissant un vif succès
auprès des acteurs de l’industrie télévisuelle, est entré petit à petit dans les mœurs,
porté par la démocratisation des médias informatisés et notamment des médias
informatisés portatifs, dont la technologie bénéficie d’une représentation positive,
abordable et intuitive.
En effet, pour qu’une pratique soit adoptée à grande échelle et qu’elle s’ancre
socialement, il faut que ses potentiels bénéficiaires s’approprient la technique qui la
soutient. Avant qu’une pratique technique puisse être adoptée via sa manipulabilité
concrète, il est nécessaire que ses utilisateurs se l’approprient en amont, à travers
l’anticipation de son utilisation.
La manière dont vont se donner à voir et à lire les techniques sous-tendant certaines
pratiques va beaucoup influencer l’idée que s’en feront les consommateurs, les
prédisposant ainsi à adhérer ou non aux usages proposés à travers les médias
informatisés. Cette représentation de la technique par elle-même se fait notamment
par le biais des interfaces des dispositifs. Bien que communément pensées comme
les espaces par lesquels la technique se donne à lire à l’homme de manière intuitive
et intelligente, ces interfaces seraient finalement moins les espaces de rencontre
entre l’homme et la machine que ceux de « la rencontre, par le biais d’écritures
médiatiques, entre les représentations de la communication anticipées par les
concepteurs et les ressources interprétatives des usagers »16
.
Ainsi, certaines pratiques culturelles ne sont pas adoptées car les techniques qui les
soutiennent se présentent comme trop hermétiques aux yeux des consommateurs
les moins avertis.
16
JEANNERET Yves, Penser la trivialité, volume 1 : La vie triviale des êtres culturels, Lavoisier, Paris,
2008, p 138
28
C’est donc parce que la technique ne jouit pas toujours de représentation
positive et évidente que les producteurs des programmes étudiés ici ont décidé de
laisser le choix aux consommateurs de rester simples téléspectateurs ou d’enrichir
leur expérience en devenant des télénautes participants.
Dans le cas où le téléspectateur devient télénaute, voyons comment les
représentations des techniques utilisées influencent leurs pratiques participatives.
Dans le cas de la tweet série What Ze Teuf, la technique particulière inhérente
au réseau social utilisé est perçue par beaucoup comme compliquée, requérant un
apprentissage et des codes qui ne sont pas naturels. C’est pourquoi Twitter est
souvent appréhendé comme étant destiné à une certaine catégorie d’internautes,
composée de connaisseurs avertis et d’adolescents nés avec internet. Ainsi, la
pratique participative de ce dispositif interactif va être influencée par l’image que se
font les uns et les autres de la technique requise pour utiliser Twitter.
Le choix des producteurs et diffuseurs de baser leur dispositif sur ce réseau social
malgré le caractère excluant de la représentation de sa technique se justifie en ce
que la cible visée par le programme et son dispositif est précisément celle des
adolescents très présents sur ce réseau social.
La technologie et la technique qu’elle convoque utilisées pour le dispositif
interactif du programme ça vous regarde sont globalement pensées comme
abordables, celles-ci étant faciles à manier grâce à la simplicité de leur architexte,
ainsi qu’au parallèle que l’on peut faire avec le téléphone. Cependant elles s’avèrent
être ici aussi un facteur d’exclusion à la participation, les télénautes qui prennent part
au dispositif étant finalement très peu nombreux. Ce n’est donc pas l’anticipation
d’une technique qui serait compliquée à manier, et donc peu abordable, qui freine ici
certains téléspectateurs mais l’anticipation des conséquences sociales de
l’exposition médiatique que la technique utilisée implique. Cela est d’autant plus vrai
que les sujets abordés étant politiques, ils sont symboliquement réservés à une
certaine catégorie de personnes et donc excluant. Ainsi, la pratique n’est pas tant
déterminée par la représentation de la technique en elle-même que par la
représentation de ce que cette technique engendre socialement.
29
Enfin, Rising Star se présentant comme un télé-crochet d’un nouveau genre
en ce qu’il est le premier à fonctionner presque uniquement sur la participation du
public, et que sa « technologie est inédite en France », la technique utilisée ici se
donne implicitement à penser comme complexe et donc difficilement appropriable.
C’est pourquoi elle est si contraignante et donc simple à manipuler et c’est pourquoi
les producteurs et diffuseurs de ce programme ont préparé le public en les
familiarisant avec le dispositif interactif via des procédés pédagogiques. Ainsi, une
avant première d’une dizaine de minutes fut diffusée en direct le 15 septembre sur
M6 afin, d’une part, de vendre le concept et de donner envie aux téléspectateurs et
télénautes de le regarder, mais aussi pour présenter le dispositif et rassurer au sujet
de la simplicité de la technique à utiliser. Cette dernière fut présentée à travers
l’intuitivité du geste requis pour s’enregistrer et voter, à savoir le fait de glisser
horizontalement son doigt sur l’écran.
« Ce geste » est annoncé dans une petite vidéo comme « fai[sant] partie de notre
quotidien » d’une part, ce qui sous-entend qu’il est naturellement appropriable, mais
aussi comme étant capable de « bouleverser des vies », ce qui créé un contraste et
met en relief son importance. C’est sur ce contraste que tout le discours
promotionnel du dispositif de Rising Star va reposer : un petit effort grâce à un outil
technique simple et fonctionnel pour de grands effets.
Cette simplicité de la technique intelligente, qui par un petit geste de l’homme
accomplit de grandes choses, fait partie d’une représentation positive plus globale
dont jouit, auprès de certains consommateurs, la technicité des médias informatisés.
En effet, avant même d’utiliser le dispositif, et pendant qu’ils l’utilisent, les télénautes
se font une idée de ce qu’ils vont ou sont en train d’accomplir grâce à la technique
des outils numériques comme un progrès culturel et social majeur apporté par les
médias informatisés.
La technologie et les techniques qui y sont associées sont donc appréhendées
comme des moyens de libérer et porter la parole des consommateurs, de relier les
personnes entre elles, comme les outils privilégiés de la culture participative.
Cette représentation positive de la technique est notamment soutenue par des
discours qui sont inhérents aux dispositifs interactifs et forment des références
30
communes positives pour combler le vide entre la technique et la pratique et ainsi
véhiculer des images contrôlées des programmes et de la TV.
Ainsi, pour que les dispositifs interactifs télévisuels soient adoptés par le public, il est
nécessaire d’accompagner la technique avec des discours communicationnels qui lui
donneront une forme et une valeur, la rendant ainsi plus facilement conceptualisable
et appropriable.
B) Des dispositifs interactifs soutenus par des discours communicationnels visant à
créer un référent commun
Tout dispositif, qu’il soit interactif ou non, parce qu’il est un réseau d’éléments
hétérogènes, est donc constitué et soutenu par des discours qui l’uniformisent d’une
part, et qui le justifie en lui conférant un rôle, une raison d’être, d’autre part.
Dans cette seconde sous-partie nous nous pencherons sur ces discours en
exemplifiant nos propos grâce aux dispositifs interactifs de notre corpus afin de
démontrer que les deux niveaux de discours qui construisent les dispositifs
participent à l’édification du renouveau de la télévision.
1. Des discours communicationnels qui rendent accessible la manipulation
technique des dispositifs interactifs en créant de la valeur ajoutée
La technique qui compose les dispositifs interactifs télévisuels ne se présente
pas telle qu’elle mais se donne à lire à travers des discours qui la rendent plus
accessible et font le lien entre cette dernière et la pratique.
Ces discours habillent donc la technique requise à l’utilisation du dispositif interactif
pour la rendre moins rébarbative et plus facilement appropriable, mais aussi pour
inscrire les pratiques qui lui sont associées dans un contexte particulier au sein
duquel le télénaute aura un rôle.
Ce rôle, construit par la technique et défini par le discours, constitue une véritable
valeur ajoutée pour le dispositif interactif qui se présente alors comme porteur d’une
31
expérience enrichie où le téléspectateur n’est plus simple spectateur mais co-
constructeur du programme grâce au rôle qui lui est attribué.
Le dispositif interactif de What Ze Teuf attribue aux télénautes le rôle de
scénaristes. Dans la bande-annonce présentant le projet les téléspectateurs sont pris
à partie à travers la phrase « c’est à vous de décider de la suite »17
, et ainsi invités à
jouer le rôle qui a été créé pour eux. En projetant les télénautes dans ce rôle, les
producteurs les invitent plus globalement à voir ce qu’il se passe sur le plateau avec
l’équipe technique et les comédiens via des vidéos bonus disponibles sur le site
promotionnel de la série. Cette immersion des télénautes dans la production de
l’émission, mise en place par certaines techniques portées par les médias
informatisés, se donne à penser comme une co-production du format entre les
acteurs traditionnels de l’industrie télévisuelle et les récepteurs qui deviennent ainsi
créateurs.
L’écrit d’écran constituant la technique utilisée pour ce dispositif, est donc ici
appropriée grâce à un discours promettant à ses utilisateurs un rôle important dans
la production de la série, et ainsi une certaine reconnaissance.
Cette expérience enrichie mise en place à travers le rôle de scénariste valorise le
public qui a alors l’impression d’avoir activement participé à la réalisation du
programme et d’être ainsi accepté dans le milieu très fermé et générateur de
fantasmes qu’est la télévision, ce qui rend son visionnage plus agréable.
L’émission ça vous regarde promet, quant à elle, aux télénautes utilisant le
dispositif interactif d’endosser le rôle d’invité au même titre que les autres
personnalités participant au débat. En effet, sur la page web de l’émission hébergée
par le site de la chaine lcp.fr, les différents intervenants sont énumérés ainsi : « En
présence de députés, d’experts, de personnalités mais aussi de citoyens »18
. La
construction sémantique de cette phrase met sur le même plan des hommes
politiques et les citoyens qu’ils gouvernent, sous-entendant que tous les invités
seront ici considérés comme égaux, la parole des uns valant autant que celles des
autres. Ce discours est mobilisé ici car la technologie des logiciels de
17
Site promotionnel de la série whatzeteuf.welovecinema.fr, rubrique « What ze série, Comment ça
marche » _ https://whatzeteuf.welovecinema.fr/whatZeSerie.html
18
Site de l’émission « Ca vous regarde » : http://www.lcp.fr/emissions/ca-vous-regarde-le-debat
32
visioconférence confère à la parole de son utilisateur plus d’importance et d’impact
que celle transmise par téléphone, et ce grâce à la présence d’images qui associent
au dire ses gestes et expressions faciales.
Cependant, bien que la parole des citoyens soit valorisée par la présence de la
vidéo, elle n’est pas égale à celles des personnalités invitées sur le plateau, et ne
jouit pas d’un impact notable dans le débat, ne serait-ce qu’à cause de l’inégalité
provoquée par la présence physique des uns et la présence médiatisée des autres.
De plus, comme nous l’avons étudié précédemment, les règles d’utilisation du
dispositif sont contraignantes et ne permettent pas aux télénautes de vraiment
développer leurs idées. Le discours promotionnel mobilisé ici exagère donc
l’importance du dispositif interactif au sein de ce programme, promettant aux
télénautes participants un rôle plus important que celui qu’ils auront en réalité.
Cependant, bien que le discours amplifie les mérites de la technologie
exploitée ici afin de justifier son intégration dans une émission quotidienne de débat
politique et de pousser par là même les télénautes à adopter l’usage qu’elle
préconise, cette dernière accorde bien aux téléspectateurs une visibilité et une
importance plus grande que si leur participation s’était faite par téléphone,
notamment du point de vue du public pour qui tous les invités se donnent à voir et
entendre à travers un écran, qu’ils soient présents sur le plateau ou non.
La valeur ajoutée introduite par le discours inhérent à ce dispositif interactif est donc
la possibilité, pour celui qui participe, de se faire entendre et de confronter des élus à
son opinion sans avoir à se déplacer de chez soi d’une part, et la possibilité pour
celui qui regarde de s’identifier à la sentinelle citoyenne et donc de mieux se projeter
dans le débat.
Enfin, le discours communicationnel accompagnant la technique requise par le
dispositif interactif de Rising Star plonge les télénautes dans le rôle de jurés.
Grâce à la technologie utilisée ici, ce sont ces derniers qui décident gratuitement du
sort des candidats, et ce aux différentes étapes de la compétition.
Le terme « juré » étant alors réservé aux téléspectateurs participants, les acteurs
traditionnellement désignés par ce nom sont désormais qualifiés d’« experts ». Ce
déplacement communicationnel des noms habituellement attribués aux
téléspectateurs et aux personnalités télévisuelles est destiné à insister sur le fait que
seul le public a le pouvoir de décider du sort des candidats, tandis que les experts ne
33
sont présents que pour éclairer le public de leurs conseils avisés, alors même que le
choix de ces derniers pèse encore énormément dans la balance.
L’importance du rôle conféré aux télénautes grâce au dispositif interactif est sans
cesse mise en avant à travers un discours communicationnel qui se veut très
impliquant. Ainsi, lors de l’avant première du programme diffusée une dizaine de
jours avant son lancement officiel et destiné à présenter aux téléspectateurs le
dispositif interactif qu’il implique, les présentateurs tiennent un discours qui se veut
impliquant, dans lequel le public est constamment interpelé à travers l’utilisation très
prononcée du pronom vous, presque toujours associé à des verbes d’actions,
comme dans la phrase « c’est vous, chez vous, qui décidez »19
. Cette utilisation des
verbes d’action conjugués à la deuxième personne du pluriel a pour but d’insister sur
la possibilité offerte aux téléspectateurs d’agir sur un programme télévisé et de ne
plus se contenter de le recevoir, et ce grâce au dispositif interactif. De plus, nous
notons que la majorité de ces verbes d’action sont liés à des termes renvoyant à
l’idée de pouvoir tels que « choisir », « réaliser », « pouvoir » et « décider » qui
reviennent à trois reprises chacun, ou encore « voter » qui est mentionné cinq fois en
l’espace de dix minutes. Ainsi, ce dispositif interactif ne se contente pas de donner
aux télénautes l’occasion de s’exprimer ou de participer à l’élaboration du contenu
qu’ils vont consommer comme c’est le cas dans le cadre de ceux de ça vous regarde
et What Ze Teuf, mais il leur confère aussi une certaine influence sur le déroulement
de l’émission d’une part, et sur la carrière artistique des candidats d’autre part. Sur
cette notion de pouvoir se calque une certaine idée de jugement moral qui apparaît à
travers les occurrences « réaliser [un rêve] ou le briser », « convaincre » ou encore
« mérite-t-il ».
Ainsi, bien que la technique requise pour utiliser cette technologie soit très simple,
comme nous l’avons vu plus haut, elle confère un pouvoir qui est présenté comme
presque absolu dans le discours qui l’accompagne. Ainsi, « du bout des doigts [les
télénautes peuvent] réaliser un rêve ou le briser », et choisir quels candidats ils ont
envie de suivre et quels autres ne les intéressent pas.
La valeur ajoutée présentée dans un tel discours est tacitement que le dispositif
interactif proposé ici met le public au centre du programme au même titre que les
19
Page de l’émission hébergée sur le site de la chaine M6, rubrique « vidéos »
http://www.m6.fr/rising_star/videos/11393256-rising_star_l_avant_premiere.html
34
jurés stars et les candidats. Ainsi le public devient son propre divertissement et
constitue une raison à part entière de regarder l’émission.
Ces discours communicationnels qui servent à combler le vide séparant la
technique de la pratique, invitant par là même les téléspectateurs à s’approprier cette
dernière en lui accordant la création de valeur ajoutée, sont secondés par des
discours promotionnels qui vendent les dispositifs interactifs comme des concepts en
créant un référentiel commun à tous les dispositifs interactifs.
2. Des discours communicationnels qui accompagnent les dispositifs
interactifs et construisent un référentiel commun
Le dispositif interactif en tant que concept est porté par des discours
communicationnels destinés à l’introduire auprès des consommateurs afin qu’ils s’en
approprient l’idée générale et y adhèrent suffisamment pour établir de nouvelles
pratiques de consommation.
Ces discours créent des imaginaires partagés autour de l’idée de dispositif interactif,
donnant ainsi une impression d’uniformité malgré la multitude des technologies,
techniques et discours que ces dispositifs peuvent couvrir, afin de proposer un
référentiel commun chargé positivement, qui servira de base à toute appropriation et
interprétation.
Ainsi, bien que très différents dans leurs constructions, que ce soit à travers les
techniques qu’ils sous-tendent ou les discours qu’ils mobilisent, les trois dispositifs
étudiés ici sont portés par le même type de discours communicationnel qui attribue
de manière plus ou moins explicite aux dispositifs interactifs une portée
démocratique, tout en les érigeant en symboles de modernité et d’innovation dans le
domaine de la télévision.
Dans l’imaginaire partagé, la notion d’interactivité est donc idéologiquement
chargée. Elle est perçue comme un moyen de communication démocratique grâce
auquel chacun, en donnant son avis, aurait accès à un savoir pluriel où il n’y aurait
pas de croyance dominante. Ainsi, les dispositifs interactifs s’inscrivent dans la
continuité de cette posture et s’enracinent dans « un mythe technoculturel récurrent
35
[…] : la croyance dans le fait que l’implantation des nouveaux dispositifs
d’interactivité technique conduirait nécessairement à une plus grande
démocratisation de la communication sociale. »20
Dans le cas des dispositifs de notre corpus, cela s’exemplifie par l’idée qu’ils
offrent aux télénautes, chacun à leur manière, une certaine prise de pouvoir sur le
contenu des programmes qu’ils consomment en leur permettant d’être actifs.
Ainsi le dispositif interactif de la série What Ze Teuf propose aux téléspectateurs
d’inventer les péripéties des trois personnages principaux en fonction des célébrités
qu’ils rencontrent à chaque épisode. Ce faisant les télénautes peuvent non
seulement avoir un certain impact sur ce qu’ils vont regarder, mais aussi reprendre
un peu de pouvoir sur des personnalités publiques qui ont dans l’imaginaire collectif
un grand ascendant social grâce à leur notoriété, en choisissant, via leurs tweets, les
rôles qu'ils vont endosser. La portée démocratique du dispositif interactif passerait
donc ici par la valorisation des télénautes en leur offrant un privilège qui leur est
habituellement refusé, celui de voir leurs idées portées à l’écran.
Concernant le dispositif interactif de l'émission quotidienne ça vous regarde, la
prise de pouvoir des téléspectateurs passe par l’occasion de se faire entendre dans
un débat politique grâce, notamment, à la vidéo. Ainsi, « de simple téléspectateur, le
citoyen devient acteur dans le débat par webcam interposée »21
et peut espérer
influencer la tournure de celui-ci grâce à sa question. Le fait même que ce dispositif
interactif donne la parole sur un espace public à ceux qui ne l’ont habituellement pas,
l’érigerait en outil communicationnel à portée démocratique. De plus, à travers cette
petite prise de pouvoir donnée via un espace de parole à la télévision, c’est l’idée
plus générale d’une prise de pouvoir sur le débat public qui est convoquée, bien que
cela n’ait pas vraiment d’écho dans les faits, l’émission ne jouissant pas d’une très
grande visibilité et la participation des télénautes étant limitée par les règles
d’utilisation de la technique.
20
PROULX Serge et SENECAL Michel, « L’interactivité technique, simulacre d’interaction sociale et
de démocratie ? », Revue TIS (Technologies de l’Information et Société), vol. 7, n°2, avril 1995, p 239
21
http://www.lcp.fr/emissions/ca-vous-regarde-le-debat
36
Enfin, comme nous l’avons vu précédemment, le dispositif interactif de Rising
Star insiste beaucoup sur cette notion de prise de pouvoir des téléspectateurs qui
deviendrait maîtres de choisir quel candidat part et quel autre reste. Tout comme
²dans le cas de celui de What Ze Teuf, la teneur démocratique de ce dispositif
viendrait ici de la redistribution des pouvoirs entre les personnalités télévisées et le
public qui accède alors à une position importante et reconnue au sein de l’émission.
Ainsi, par le discours sous-jacent des dispositifs interactifs télévisuels, se créé une
référence commune qui associe l’interactivité de ces programmes à une volonté de
plus grande démocratie de la part des producteurs qui les mettent en place. En
s’ouvrant ainsi sur la parole des téléspectateurs, les acteurs de l’industrie télévisuelle
manifestent l’importance du public sur l’existence des programmes et le valorisent en
tant que tel.
Cependant, il est important de noter que la démocratisation des programmes
télévisés relève plus d’une posture communicationnelle et idéologique que d’une
réalité factuelle. En effet « le fait que les dispositifs d’interface d’un système soient
interactifs ne constitue pas une condition suffisante pour que ce système apparaisse
comme automatiquement démocratique. »22
La construction même de ces dispositifs,
qui ont été pensés pour une certaine cible, génère de l’exclusion à travers
l’appropriation sociale de la technique qu’ils induisent.
En plus de cette posture idéologique d’instrument de démocratisation des
programmes télévisés, les dispositifs interactifs sont érigés, à travers des discours
communicationnels et promotionnels, en symboles de la modernisation du média
télévision et du format de ses émissions
Dans le cadre de notre corpus, cette idée se manifeste à travers la récurrence, dans
les discours qui accompagnent ces trois dispositifs, de l’idée de nouveauté, de
première fois.
22
PROULX Serge et SENECAL Michel, « L’interactivité technique, simulacre d’interaction sociale et
de démocratie ? », Revue TIS (Technologies de l’Information et Société), vol. 7, n°2, avril 1995, p 247
37
Ainsi, What Ze Teuf est présentée comme « la toute première série interactive et
participative produite et réalisée du jour pour le lendemain »23
, d’autres projets de la
même veine ayant déjà vu le jour, mais jamais en flux tendu comme c’est le cas ici.
Dans le cas de ça vous regarde il est moins question d’innovation que de modernité
dans un sens plus large. En effet, la confrontation d’opinions de citoyens aux
discours de parlementaires ne constitue pas une nouveauté, et bien que l’utilisation
de la visioconférence dans un cadre comme celui-ci constitue une originalité, il n’a
rien d’inédit. Cependant les producteurs de ce programme le placent quand même
dans une posture moderniste en ce qu’il « favorise l’information à double sens en
renvoyant les préoccupations, les questionnements des sentinelles citoyennes à
celles des parlementaires »24
, ce qui l’inscrit dans l’idée de démocratie participative
étayée par ce que l’on désigne par la posture idéologique le web participatif.
Le dispositif interactif de Rising Star constitue une nouveauté à deux égards : tout
d’abord par le fait que « pour la première fois à la télévision [le] vote est totalement
gratuit » 25
, mais aussi par la mise en place d’ « une technologie inédite en
France »26
. Dans ce dernier cas la représentation du dispositif interactif comme gage
de modernité et d’innovation est très forte et constitue même un argument marchand
à elle seule.
Ainsi, à travers des discours communicationnels et promotionnels, le dispositif
interactif se présente dans l’imaginaire collectif comme un concept fortement connoté
idéologiquement, grâce auquel les programmes télévisés se modernisent et à travers
eux la télévision se réinvente en tant que média.
En effet, depuis quelques années nous observons une mythification de la télévision
par elle-même en tant que média de la sociabilité et de la connectivité, grâce à des
stratégies et des discours communicationnels. Ce sont à ces derniers que nous
allons nous intéresser désormais.
23
Site promotionnel de la série whatzeteuf.welovecinema.fr, rubrique « What ze série, Comment ça
marche » _ https://whatzeteuf.welovecinema.fr/whatZeSerie.html
24
Site de l’émission « Ca vous regarde » : http://www.lcp.fr/emissions/ca-vous-regarde-le-debat
25
Page de l’émission hébergée sur le site de la chaine M6, rubrique « vidéos »
http://www.m6.fr/rising_star/videos/11393256-rising_star_l_avant_premiere.html
26
Ibid
38
3. Des discours qui réinventent la télévision
Alors que les médias informatisés, communément appelés aussi nouveaux
médias, sont considérés comme les médias de l’individuation et de la
personnalisation, les médias traditionnels, et notamment les médias de masse
comme la télévision, sont perçus comme les vecteurs d’une culture globale et
globalisante, qui appartiendrait à un autre temps et ne serait plus en accord avec les
pratiques de consommation introduites par l’utilisation d’Internet et des médias
informatisés.
Ainsi, pour que la télévision reste attractive et que ses programmes continuent à être
très suivis et à faire face à la concurrence des contenus circulant sur Internet, les
acteurs de l’industrie télévisuelle doivent donner l’impression qu’ils ont compris les
besoins de ces consommateurs nouvellement connectés et qu’ils mettent tout en
œuvre pour s’y adapter.
Cette démarche a donné lieu à une réinvention communicationnelle de la télévision
via des discours qui attribuent à ce média de masse des notions habituellement
associées aux médias informatisés, à savoir la participation, l’interactivité et la
sociabilité. La télévision aurait donc mué, passant d’un média traditionnel à un média
hybride, ce dont l’ajout récent d’adjectifs qualificatifs témoigne.
Ce faisant, la télévision réussit deux tours de force, à savoir éviter l’écueil de
la concurrence de médias attractifs parce que nouveaux et porteurs de promesses,
mais aussi se donner une image plus positive et séduisante en cassant sa mauvaise
réputation de canal de diffusion verticale, au service de la société de consommation
et de ses élites.
Avec l’apparition des nouveaux médias convergents sur lesquels peuvent se
consommer tous types de contenus, notamment audiovisuels, et ce de manière
gratuite et presque infinie, beaucoup de pessimistes prédisaient la mort de la
télévision, comme ils l’avaient déjà fait au moment de l’arrivée, dans les ménages, de
cette dernière qui était supposée mettre fin au règne de la radio. Cependant, bien
loin d’enterrer la télévision, les médias informatisés lui ont donné un second souffle.
En effet, les formats de cette dernière s’adaptant très bien aux nouvelles
technologies, la télévision a su tirer partie des nouveaux espaces et des nouvelles
possibilités qui se sont offerts à elle, en prolongeant ses programmes sur de seconds
39
écrans, grâce, notamment, à la mise en place de dispositifs utilisant les nouvelles
technologies, faisant ainsi le lien entre le poste de télévision et les écrans des
médias informatisés.
En déplaçant une partie de son offre sur de nouveaux canaux, le petit écran tente
aussi de se défaire de l’image négative qu’il traine depuis plusieurs décennies d’un
média qui assomme les foules et est au service des élites. En effet, en utilisant, à
travers ses dispositifs interactifs, les médias informatisés et internet, canaux de
participation et de création où chacun à la possibilité de s’exprimer librement, la
télévision tend à casser le préjugé selon lequel elle pousse à la passivité, et se
présente comme plus horizontale et démocratique.
Les dispositifs interactifs télévisuels auraient donc été créés et pensés comme
des instruments stratégiques au service de l’instauration d’une nouvelle image de la
télévision en tant que média hybride. Ils servent de justification au discours des
producteurs et diffuseurs, se donnant à voir comme la mise en pratique des
promesses communicationnelles qu’ils proposent.
Dans le cas des dispositifs de notre corpus, Rising Star est celui qui a été le
plus instrumentalisé dans ce sens, son discours étant clairement porté sur la
réinvention de la télévision à travers l’innovation technique et la redistribution des
rôles entre téléspectateurs et personnalités télévisées.
La technologie utilisée ici étant présentée comme « inédite en France », c’est l’image
d’une télévision moderne et audacieuse qui est véhiculée à travers elle, qui prend
des risques et se renouvelle sans cesse au même rythme que les médias
informatisés sur lesquelles elle s’appuie. La promotion de cette technologie comme
nouvelle et inédite ne se contente pas de donner une image plus moderne du média
qui l’utilise, elle contient aussi la promesse d’une nouvelle expérience pour les
téléspectateurs. En effet, qui dit nouvelle technologie, dit nouvelle pratique, et dans
le cas de dispositif interactif, nouvelle pratique participative. Ainsi, parce qu’il est
interactif, le dispositif de Rising Star va permettre au public de participer, et parce
qu’il est construit par une technologie nouvelle et innovante il va aller plus loin et
mettre en scène les téléspectateurs dans l’émission, en leur accordant une place non
seulement visible, mais en plus centrale, entre les candidats et les « experts ».
40
En valorisant la technologie utilisée, ce discours communicationnel donne donc
l’impression que le public jouit d’une nouvelle liberté qui n’aurait pas été
envisageable du temps de la télévision-tout-court, et qui l’est maintenant grâce à
l’hybridation du média et de ses programmes. Si la mise en place d’un tel dispositif
est une avancée indéniable dans le domaine du divertissement télévisuel, notons
cependant que le média dans lequel il s’inscrit n’a pas tant changé que ça, ce que la
construction de ce dispositif instrumental nous permet de constater. En effet, comme
nous l’avons étudié précédemment, la manipulabilité technique de ce dispositif est
très faible, contraignant la participation des télénautes qui, de plus, s’inscrit dans un
scénario très écrit et encadré. Ainsi, ce n’est pas tant de participation dont il est
question ici que d’image de la participation et de posture participative adoptée par les
producteurs et diffuseurs.
Le discours communicationnel accompagnant le dispositif interactif de Rising
Star ne se contente pas de renvoyer l’image d’une télévision novatrice et
démocratique, il promet aussi une télévision plus transparente, qui s’efface en tant
qu’objet médiateur pour ne laisser place qu’à la communication directe entre les
hommes : « Entre eux [i.e. les chanteurs pleins de rêves] et vous, un mur digital »27
.
Disparaissent ainsi du discours les écrans, ceux de la télévision et des médias
informatisés portatifs. Grâce au dispositif interactif les téléspectateurs sont
directement dans l’arène, la barrière qui les séparait de leur divertissement s’effondre
peu à peu. Ainsi, la télévision ne se regarderait plus mais deviendrait le lieu
d’expériences médiatiques fortes, comme le souligne cette citation d’une des
présentatrices de Rising Star lors de l’avant-première : « Rising star n’est pas
seulement une émission qu’on regarde, c’est une émission qu’on vit »28
.
Ce phénomène n’est pas nouveau. Comme le précise Yves Jeanneret dans une note
écrite sur la médiation pour la Commission Nationale Française pour l’Unesco, « on
ne cesse d’attribuer, depuis deux siècles notamment, à des dispositifs la capacité à
permettre la communication directe entre les hommes, ces dispositifs étant toujours
27
Page de l’émission hébergée sur le site de la chaine M6, rubrique « vidéos »
http://www.m6.fr/rising_star/videos/11393256-rising_star_l_avant_premiere.html
28
Ibid
41
nouveaux, car il est nécessaire pour le maintien de cette illusion qu’elle se renouvelle
sans cesse, chaque vague d’innovation chassant l’autre. »29
La télévision, en tant que média, relèverait finalement autant de paramètres
technologiques, techniques et contenus, que de discours communicationnels qui la
positionnent d’une certaine manière face aux médias concurrents, et ce dans un
contexte particulier.
Ces discours apparaissent à divers niveaux, à travers la parole des animateurs, à
travers les discours accompagnant les dispositifs interactifs qui sont eux-mêmes des
instruments au service de cette posture sociale et novatrice de la télévision, ou
encore à travers les adjectifs utilisés par les acteurs de cette industrie et par les
journalistes pour la qualifier.
Ainsi, si les adjectifs « connectée » et « sociale » restent recevables, l’un parce qu’il
renvoie à la technique utilisée et aux possibilités offertes par certains postes, l’autre
parce qu’il fait référence à une certaine réalité historique, la télévision ayant été
depuis sa création un média de la sociabilité, le qualificatif « interactive » n’est
scientifiquement pas recevable, le modèle de la télévision reposant toujours
essentiellement sur la diffusion à sens unique de contenu et non sur l’échange et
l’interaction. Aussi, la mobilisation du terme « interactivité » par les acteurs de
l’industrie télévisuelle s’appuie-t-elle sur le flou sémantique de cette notion pour
réinventer la télévision et la rendre plus attractive. En effet, « plus les entreprises
médiatiques feront appellent à des techniques soi-disant interactives, plus il leur sera
facile de promouvoir l’idée que ces médias seront ainsi davantage
démocratiques. »30
C’est cette ambigüité de l’interactivité que nous allons dorénavant questionner
afin d’en saisir un peu mieux la portée.
29
JEANNERET Yves, « Médiation » dans La « société de l’information » : glossaire critique pour La
Commission Nationale Française pour l’UNESCO _ p105
http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/Glossaire_Critique.pdf
30
Ibid, p 245
42
C) L’interactivité : un concept promotion porté par l’imaginaire du web participatif
1. De l’ambigüité du terme « interactivité »
Afin de comprendre ce qui se cache derrière ce terme très utilisé et pourtant
très flou, intéressons-nous tout d’abord à la définition qui en est donnée dans
l’édition 2014 du dictionnaire Hachette:
« interactivité n. f. INFORM Dialogue, échange entre l’utilisateur et un programme.»
Si cette définition véhiculée par le dictionnaire semble claire et simple, la mise
en place d’une définition académique et scientifiquement recevable semble
beaucoup plus compliquée. En effet, l’entrée dans le langage courant du terme
interactivité s’étant faite avec les discours sur les médias informatisés et la
télécommunication, elle relèverait avant toute chose d’une représentation sociale,
une construction discursive de la réalité, ce qui expliquerait qu’elle soit imprécise
pour les spécialistes qui abordent le sujet d’un point de vue technique, mais très
claire et utile pour ceux qui en font la promotion et qui en sont usagers.
Aussi, alors que, selon son acception commune, l’interactivité serait le pendant
techniciste de l’adjectif interactif, et que l’interaction renverrait à son aspect social,
celui d’une conversation engagée entre deux individus31
, tentons d’aller plus loin et
de comprendre ce qui les différencie vraiment au niveau même de leurs
constructions discursives et des représentations sociales qui leur sont associées.
Tout d’abord, la notion d’interaction se conceptualiserait par l’idée d’une action
réciproque et de même valeur. Partant du principe que pour qu’il y ait action il faut
une intention et une conception conscientes du récepteur en amont, une interaction
ne pourrait se produire qu’entre deux êtres vivants. En effet, la conception de la
communication comme un signal-envoyé et un signal-réponse ne suffit pas selon
Jacques Lacan, pour qui ce n’est pas tant le contenu du message ni son
déclenchement qui sont importants pour qu’il y ait interaction, mais le fait « qu’au
31
PROULX Serge et SENECAL Michel, « L’interactivité technique, simulacre d’interaction sociale et
de démocratie ? », Revue TIS (Technologies de l’Information et Société), vol. 7, n°2, avril 1995, p 239
43
point d’arrivée du message, on prend acte du message »32
, ce dont la machine est
incapable.
De plus, selon Catherine Kulnat-Ovecchioni, on aurait « toujours affaire à un système
d’influences mutuelles, ou bien encore à une action conjointe » lorsque nous
sommes dans une situation d’interaction33
. Cette notion ne relèverait donc pas d’une
addition de réponses accolées les unes aux autres, mais d’une coprésence des
entités conscientes qui co-construisent l’interaction. Ainsi il existerait des situations
plus ou moins interactives selon le degré de présence des acteurs participant à la
construction de l’interaction.
L’interactivité, quant à elle, dans son acception technique de mise en relation
discursive des hommes avec leurs machines serait une métaphore de l’interaction
qui attribuerait « à la machine la capacité d’agir comme nous »34
, ou plus exactement
une construction métaphorique d’une interaction basée sur le modèle homme à
homme, dans la programmation de la machine.
Cependant, l’interactivité étant une construction discursive découlant de sa propre
réalité, et dont les pratiques diffèrent de celles associées aux situations d’interaction,
elle se réfèrerait plus à un simulacre d’interaction qu’à une de ses métaphores. En
effet, cette notion ne copie pas le réel, qui renverrait ici à l’interaction, mais le
remplace, constituant ainsi un simulacre selon l’acception de Jean Baudrillard.
Contrairement au terme interaction dont la portée est claire et cohérente au fil des
définitions données par les multiples auteurs qui s’y sont intéressés, la notion
d’interactivité se construit donc dans l’ambigüité car son sens est dépendant des
différents discours qui l’accompagnent et lui donnent des vocations différentes selon
les besoins des énonciateurs.
Ainsi cette apparente réalité de l’interactivité, induite par sa construction
discursive et idéologique, peut être étudiée comme argument de vente. En effet, « la
rapidité avec laquelle on adjoint – dans les discours – le terme interactif à diverses
techniques médiatiques, sans pour autant en donner un sens précis, indiquerait que,
32
LACAN Jacques, Le séminaire, III, Les psychoses (1955-1956), Paris, Seuil, 1981 _ p 213
33
KULNAT-OVECCHIONI Catherine, Le discours en interaction, Paris, Armand Colin, 2005 _ p 14
34
JEANNERET Yves, Y a-t-il (vraiment) des technologies de l’information ?, Presses Universitaires du
Septentrion, Paris, 2007 _ 166
44
bien souvent, son utilisation relèverait davantage d’une astuce de vente que d’une
description adéquate de la technologie mise en place. »35
L’interactivité peut aussi servir à créer une appropriation sociale de la
technique, une façon de se représenter les objets et notre façon d’agir avec eux afin
de construire un désir autour de ces instruments et que nous nous les appropriions.
La base de la promesse ici est la garantie d’une vie sociale plus riche.
Le discours, en construisant un référent qui permettra aux usagers de combler le
vide qui les sépare de la technique, créé des pratiques qui finissent par normer un
certain rapport au monde. L’interactivité relèverait alors de la croyance à l’idéologie
relayée par le discours et dans laquelle s’inscrivent les pratiques.
Le terme interactivité serait donc un référent imaginaire global dont le
signifiant est vide et dans lequel chacun peut placer ce qu’il veut tant que c’est un
signifié positif. Ce signifié peut être la promesse d’une plus grande démocratisation
de la communication s’accompagnant d’une valorisation de l’individu dans un
contexte interactif, mais aussi d'une économie de temps considérable grâce à
l’efficacité maximale du dialogue homme-machine, cette dernière prenant le rôle
d’assistant dans les tâches les plus diverses de la vie professionnelle ou personnelle
de l’utilisateur.
Cette notion ayant été utilisée au départ dans le domaine de l’informatique et
s’étant démocratisée avec les discours liés aux nouvelles technologies, elle s’inscrit
fortement dans le contexte du web participatif, posture idéologique liée à Internet
selon laquelle les avancées technologiques du réseau permirent aux internautes, via
des fonctionnalités techniques et des usages, de prendre part à la société parallèle
qui se développe en ligne selon un modèle et des règles qui lui sont propres.
35
PROULX Serge et SENECAL Michel, « L’interactivité technique, simulacre d’interaction sociale et
de démocratie ? », Revue TIS (Technologies de l’Information et Société), vol. 7, n°2, avril 1995, p 246
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Mémoire Louise Hurel

  • 1. UNIVERSITE DE PARIS IV - SORBONNE CELSA Ecole des hautes études en sciences de l’information et de la communication MASTER 2ème année Mention : Information et Communication Spécialité : Médias et Communication Parcours : Médias informatisés et stratégies de communication « L’adaptation des acteurs de l’industrie télévisuelle face à l’avènement de la culture participative: stratégies et discours communicationnels autour de la notion d’interactivité. » Dans un contexte culturel particulier porté par la démocratisation des médias informatisés et du réseau internet, de quoi les dispositifs interactifs mis en place par les acteurs de l’industrie télévisuelle sont-ils les instruments ? Préparé sous la direction du Professeur Véronique RICHARD Nom, Prénom : HUREL Louise Promotion : 2013-2014 Option : Médias et Communication Soutenu le : Note du mémoire : Mention :
  • 2. 2 SOMMAIRE INTRODUCTION …………………………………………………………………………... 5 PARTIE 1 _ MODELE DES DISPOSITIFS INTERACTIFS TELEVISUELS : DES CONSTRUCTIONS TECHNIQUES ET DISCURSIVES ……………………………... 16 A) Des dispositifs interactifs construits par des mécanismes techniques qui structurent la participation des internautes ……………………………………………. 18 1. La nature des interactions et l’identité des dispositifs influencés par les espaces temps dans lesquels ils s’inscrivent ……………………………………………………. 18 2. Structuration de la technique par l’écrit : les pratiques participatives définies selon la manipulabilité technique des architextes de saisie …………………………………… 21 3. La pratique déterminée par la représentation des techniques mobilisées par les dispositifs interactifs ………………………………………………………………………. 27 B) Des dispositifs interactifs soutenus par des discours communicationnels visant à créer un référent commun ……………………………………………………………….. 30 1. Des discours communicationnels qui rendent accessible la manipulation technique des dispositifs interactifs en créant de la valeur ajoutée …………………………….. 30 2. Des discours communicationnels qui accompagnent les dispositifs interactifs et construisent un référentiel commun …………………………………………………….. 34 3. Des discours qui réinventent la télévision ……………………………………………… 38 C) L’interactivité : un concept promotion porté par l’imaginaire du web participatif . 42 1. De l’ambigüité du terme « interactivité » ……………………………………………….. 42
  • 3. 3 2. Un concept qui s’inscrit dans un imaginaire global lié au web participatif : un nouveau model social basé sur le partage ……………………………………………………….. 45 3. Un concept qui s’inscrit dans un imaginaire global lié aux médias informatisés : personnalisation et usage individuel des « nouveaux médias » …………………….. 48 PARTIE 2 _ LES DISPOSITIFS INTERACTIFS TELEVISUELS : DES MACHINES A CAPTURER ET MONETISER L’USAGE ……………………………………………… 51 A) Les dispositifs interactifs télévisuels, instruments de l’économie de l’attention ... 52 1. Des dispositifs interactifs pensés comme une réponse au besoin d’engagement des publics ……………………………………………………………………………………… 52 2. Les dispositifs interactifs au service de l’économie de l’attention et l’économie de l’audience ………………………………………………………………………………….. 56 B) Les dispositifs interactifs télévisuels, instruments de l’hybridation des médias- marques …………………………………………………………………………………… 59 1. Hybridation des médias-marques et le cas particulier de la télévision ……………… 60 2. Publicitarisation et dépublicitarisation au centre du modèle économique des dispositifs interactifs télévisuels …………………………………………………………. 63 C) Les dispositifs interactifs télévisuels, instruments de l’économie scripturaire ….. 66 1. Séduction et injonction à la participation ……………………………………………….. 68 2. Récupération des données et marchandisation de la trace ………………………….. 70 PARTIE 3 _ DES DISPOSITIFS INTERACTIFS TELEVISUELS : INSTRUMENTS DE L’INDIVIDUALISATION INDUSTRIELLE DE MASSE ………………………….. 73
  • 4. 4 A) L’individualisation de masse à travers la mise au travail des télénautes- consommateurs …………………………………………………………………………... 74 1. Les dispositifs interactifs télévisuels, des outils de l’individualisation de masse ….. 74 2. Les dispositifs interactifs télévisuels : instruments de la mise au travail des consommateurs …………………………………………………………………………… 78 B) Industrialisation de l’individualisation de masse et désindividuation des télénautes ………………………………………………………………………………………………. 81 1. Les dispositifs interactifs télévisuels comme processus d’industrialisation de l’individualisation ………………………………………………………………………….. 81 2. Accroissement de l’individualisation et perte de l’individuation ……………………… 83 C) Les dispositifs interactifs télévisuels, instruments de l’hybridation des relations humaines et marchandes ………………………………………………………………... 85 1. Les dispositifs interactifs télévisuels, instruments de l’humanisation des rapports marchands …………………………………………………………………………………. 85 2. Les dispositifs interactifs télévisuels, instruments de l’hybridation des relatiosn marchandes et humaines ………………………………………………………………… 88 CONCLUSION ……………………………………………………………………………. 91 REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES ………………………………………………. 97 ANNEXES ……………………………………………………………………………… 100 MOTS CLES …………………………………………………………………………… 107
  • 5. 5 INTRODUCTION Depuis plusieurs années, le terme « télévision »   s’est vu agrémenté   des adjectifs sociale, participative ou encore connectée, marquant ainsi une rupture sémiologique entre la télévision-tout-court, qui renvoie à  un instrument de réception passive, et la télévision enrichie qui, dans l’imaginaire commun, évoque un média plus performant et plus démocratique. Cet enrichissement langagier et performatif du média télévisé   est une des conséquences des avancées technologiques qui furent à  l’origine de la création et du développement des médias informatisés d’une part, et de la numérisation des technologies de fourniture classique, dont le poste de télévision, et de leurs contenus d’autre part. Les traditionnels couples « support / contenu »  étant depuis brisés, les supports de stockage et de visionnage sont désormais multifonctionnels et intègrent tous les contenus de manière indifférenciée1 . De plus, la numérisation des diverses technologies de fourniture a aussi facilité   la création de liens entre les différents supports médiatiques, donnant lieu à   de véritables « couteaux suisse technologiques »2 tels que les ordinateurs, sur lesquels les récepteurs ont pris l’habitude de naviguer entre la télévision, les films, la lecture ou encore les jeux vidéo. 1 P. Chantepie et A. Le Diberder, Révolution numérique et industries culturelles, Paris, La Découverte, 2005   2 Peyron David, « Quand les œuvres deviennent des mondes. Une réflexion sur la culture de genre contemporaine à  partir du concept de convergence culturelle », La découverte I Réseaux 2008/2 –  n°148-149, p 360  
  • 6. 6 Ce phénomène fait référence à  ce que l’on appelle la convergence technologique, et est accompagné   par une évolution des usages et pratiques de consommation culturelle que l’auteur Henry Jenkins a notamment théorisée par le concept de convergence culturelle. Cette dernière serait « un mélange complexe », « une sorte de métaculture qui s’actualise en culture »3 et par laquelle « la culture médiatique devient multimédiatique »4 . Bien que la convergence culturelle semble antérieure, ou tout du moins « décorrélée historiquement de la convergence technologique, […] les deux phénomènes se rejoignent et se renforcent mutuellement »5 depuis quelques années, contraignant les acteurs de l’industrie télévisuelle à   repenser le format de leurs offres afin que celles-ci correspondent aux attentes et usages des consommateurs. En effet, les dispositifs médiatiques qui accompagnent les programmes télévisés sont créés et mis en place à  partir d’une certaine idée que les producteurs se font des récepteurs et de leurs usages, et qu’ils tentent d’anticiper au mieux, même si l’écart entre le mode d’emploi et l’usage effectif restera toujours un espace de réappropriation, pour les consommateurs, sur lequel les industriels n’ont aucun contrôle. Ainsi, le double phénomène de la convergence technologique et culturelle a engrangé  de nouvelles manières de regarder les programmes télévisés qui n’avaient pas encore été   prises en compte par les producteurs, comme la consommation simultanée d’un média informatisé  et de la télévision. Cet usage a donné  naissance à   une nouvelle figure du consommateur qui n’est désormais plus simple téléspectateur, mais télénaute,  à  la fois téléspectateur et internaute. Cet éparpillement de l’attention 3 Peyron David, « Quand les œuvres deviennent des mondes. Une réflexion sur la culture de genre contemporaine à  partir du concept de convergence culturelle », La découverte I Réseaux 2008/2 –  n°148-149, p 342   4 Peyron David, « Quand les œuvres deviennent des mondes. Une réflexion sur la culture de genre contemporaine à  partir du concept de convergence culturelle », La découverte I Réseaux 2008/2 –  n°148-149, p 359   5 Peyron David, « Quand les œuvres deviennent des mondes. Une réflexion sur la culture de genre contemporaine à  partir du concept de convergence culturelle », La découverte I Réseaux 2008/2 –  n°148-149, p 361  
  • 7. 7 sur d’autres médias que la télévision s’est accompagné d’une prise de parole naturelle des consommateurs sur des espaces n’ayant pas encore été   investis par les acteurs de l’industrie télévisuelle. Afin de combler ce manque à  gagner, les producteurs et diffuseurs de programmes télévisés ont adapté   leurs dispositifs à   ces braconnages en étendant leurs formats sur les médias informatisés et diffusant leurs contenus via le réseau internet. Ils proposent ainsi de nouvelles pratiques de consommation, présentées sous le concept-promotion de second écran. Grâce à   cette multiplication des canaux de diffusion, les programmes télévisés se sont vu enrichis par des dispositifs dits interactifs, destinés à  provoquer des conversations entre les télénautes au sujet des programmes télévisés, d’où  l’adjectif sociale désormais accolé  au terme télévision. Si la télévision a, depuis sa création, été  un média de la sociabilité, proposant à  un large panel de téléspectateurs des références culturelles communes, créatrices de dialogue et de liens sociaux, l’apparition relativement récente de ces adjectifs va donc de pair avec la démocratisation des médias informatisés et du réseau internet qui ont exacerbé   la dimension communicationnelle des programmes télévisés plus qu’ils n’en ont intensifié  le caractère social. En effet, la majorité  des dispositifs interactifs sont aujourd’hui mis en place en parallèle des programmes qu’ils accompagnent et ne sont donc qu’une option destinée à   enrichir l’expérience télévisuelle n’ayant aucune incidence sur le déroulement de l’émission elle-même. Par exemple, pour sa troisième saison, le télé- crochet The Voice, la plus belle voix, diffusé   sur TF1, a mis en place un dispositif présenté   comme interactif, appelé   « Le 5ème coach », grâce auquel les télénautes ayant téléchargé  l’application MYTF1 peuvent se mettre dans la peau d’un coach et buzzer les artistes qui performent sur leurs écrans de télévision depuis un second écran, en même temps que les coachs de l’émission. Ce dispositif propose donc une interaction médiatisée via une interface pensée et conçue pour donner l’impression
  • 8. 8 aux télénautes qu’ils jouent avec ou contre les coachs officiels, alors qu’en vérité  la seule interaction dont il est question ici est un simulacre d’interaction entre l’homme et la machine, dont la notion d’interface est l’« objet-emblème »6 . Ainsi, parler d’interactivité   ou de participation ici relève plus de la stratégie communicationnelle que d’une véritable ouverture du média télévisé  sur la co-création de contenus. Il en va de même avec les très nombreuses émissions qui utilisent leur présence sur les réseaux sociaux pour se présenter comme interactives. Si l’interaction peut être ici comprise comme un échange entre des êtres pensants et conscients différé  par la machine, et non comme un simulacre d’interaction entre l’homme et la machine, il n’en reste pas moins que celle-ci se fait en périphérie des programmes. Ainsi, ces derniers, bien qu’ils soient au cœur des conversations, ne reposent pas sur celles-ci et ne sont donc pas plus interactifs qu’ils ne l’étaient avant les convergences technologiques et culturelles. La télévision sociale et interactive relève donc d'une posture d’énonciation communicationnelle destinée à  montrer que le média télévisé  a changé, qu’il est en pleine évolution et qu’il connaît même une révolution. Si la numérisation des supports et des contenus, qui a donné   lieu à   la convergence technologique et culturelle, a effectivement ouvert le champ à   certains usages particuliers, le fait de jouer de chez soi en parallèle des émissions ou de les commenter en direct via les réseaux sociaux n’a rien de nouveau ni de révolutionnaire, si ce n’est la technique qui porte ces usages. Ils existaient bien avant l’apparition des médias informatisés et du réseau internet, les rendez-vous entre amis ou en famille pour regarder un programme particulier et le commenter étant des rituels qui accompagnent la télévision depuis sa création. Ce que les médias informatisés et internet ont permis est le changement d’échelle de ces pratiques et leur industrialisation, ce sur quoi nous reviendrons au cours de cette étude. 6 Jeanneret Yves, Penser la trivialité, volume 1 : La vie triviale des êtres culturels, Lavoisier, Paris, 2008, p 138  
  • 9. 9 Bien que la majorité  des dispositifs dits interactifs ne le soient pas vraiment, il est important de noter les efforts faits par les acteurs de l’industrie télévisuelle pour exploiter les nombreuses ressources qu’ouvrent les convergences technologiques et culturelles, notamment en terme de participation et de co-création. En effet, de plus en plus de dispositifs conçus et pensés comme interactifs se trouvent désormais au centre des programmes, offrant aux télénautes un rôle plus central, et ouvrant la voie à   la co-création effective de contenus télévisés. Ce sont ces dispositifs plus complexes et centraux qui vont nous intéresser ici. Ainsi, bien que la dénaturalisation du mythe de la télévision sociale et participative soit un sujet qui a déjà   été   très étudié, notamment dans le cadre de mémoires d’étudiants du Celsa, il nous semblait intéressant et pertinent d’aborder une nouvelle fois ce thème mais sous un angle différent, qui ne partirait pas d’une réflexion autour de l’évolution du média ou des usages qui y sont associés, mais qui prendrait racine dans l’étude de ces dispositifs dits interactifs qui trouvent désormais leur place au centre des programmes, offrant un rôle a priori plus important aux téléspectateurs. L’idée est ici de faire dialoguer trois de ces dispositifs interactifs pour faire ressortir des nœuds de tension que nous analyserons au regard de concepts plus généraux, comme la culture participative ou la notion d’interactivité, et ainsi mieux cerner le contexte global qui se nourrit de ces objets autant qu’il les crée. Ce n’est donc pas tant l’étude de la télévision participative en tant que média qui va nous intéresser tout au long de ce mémoire que ses instruments, pensés comme des miroirs du contexte social, économique et politique dans lequel elle s’inscrit. La raison pour laquelle nous avons choisi de nous concentrer sur des dispositifs concis pour aborder des thèmes aussi denses et complexes que les notions d’interactivité   et de culture participative est qu’ils s’avèrent des processus aux mécanismes complexes, articulés par des éléments techniques et discursifs, qui, par leur élaboration même, sous-tendent des réalités économiques, politiques et
  • 10. 10 sociales. Ces dispositifs, parce qu’ils altèrent, modifient et transforment les objets qu’ils abordent et sur lesquels ils s’appuient7 , sont des témoins privilégiés du contexte social dans lesquels ils s’inscrivent. En partant de ce constat, nous sommes alors en droit de nous demander de quoi sont composés ces dispositifs interactifs et comment se donnent-ils à   lire ? Comment et en quoi cette construction technosémiotique des dispositifs interactifs télévisés altère-t-elle les objets qu’elle aborde ? Comment se construit notre perception de la télévision à   travers ces dispositifs et les pratiques qui y sont associées ? Mais aussi que nous apprennent-ils du contexte culturel et social dans lequel s’inscrit l’industrie télévisuelle ? Autant de questions que nous avons tenté   de synthétiser dans une problématique à   laquelle nous nous efforcerons de répondre tout au long de ce mémoire : De quoi les dispositifs interactifs mis en place par les acteurs de l’industrie télévisée sont-ils les instruments et que nous apprennent-ils sur le contexte social, politique et économique dans lequel ils s’inscrivent ? Afin de répondre à   cette problématique, nous interrogerons les trois hypothèses suivantes : Hypothèse 1 : Les dispositifs interactifs télévisuels sont des instruments communicationnels qui encouragent les téléspectateurs à   adopter certaines pratiques de consommation via des mécanismes techniques qui structurent leur 7 Candel Etienne, « L’Œuvre saisie par le réseau », Communication & Langages - n°155 –  Mars 2008  
  • 11. 11 participation et des discours qui créent un nouvel imaginaire démocratique et social autour du média télévisé. Hypothèse 2 : Les dispositifs interactifs télévisuels sont des machines à   capturer et monétiser l’usage des télénautes, utilisées pour répondre à  des impératifs liés à  l’économie de l’attention, et ce dans un contexte d’hybridation des médias et des marques, porté, notamment, par l’économie scripturaire qui s’est intensifiée avec la démocratisation des médias informatisés. Hypothèse 3 : Les dispositifs interactifs sont des instruments de l’individualisation de masse à  travers la mise au travail des consommateurs, qui, étant élaborée selon des processus industriels, entraine la désindividuation des télénautes en même temps que l’humanisation des médias-marques, conduisant ainsi à   une hybridation progressive des activités relationnelles humaines et marchandes. Avant de présenter le corpus qui nous servira à   exemplifier nos propos et éprouver nos hypothèses, il est important de souligner que notre étude est située dans le temps et que nous avons délibérément occulté  toute explication historique et autre notion d’évolution pour ne nous concentrer que sur un état de fait particulier à   un moment donné. Nous analyserons donc des objets d’étude tels qu’ils ont été   pensés et mis en place pour une durée plus ou moins courte, qui correspond au temps de diffusion des émissions qu’ils supportent. De plus, notons que ne seront pas étudiées ici les conversations et commentaires que les télénautes sont invités à  produire sur les réseaux sociaux, mais que nous ne nous intéresserons qu’aux dispositifs interactifs autour desquels les programmes se développent.
  • 12. 12 Le corpus fera l’objet d’une analyse des discours qu’il met en place ainsi que d’une analyse technosémiotique afin d’appréhender et de tenter de comprendre comment ces dispositifs se construisent et se donnent à  lire dans un certain contexte qui les influence mais qu’ils conditionnent en partie aussi. Afin de mener à  bien ce travail, nous avons défini un corpus de trois dispositifs dits interactifs constituant la base de programmes télévisés de natures différentes et diffusés sur trois chaines aux publics et références propres, à   savoir : la série télévisée What Ze Teuf diffusée sur la chaine D8, l’émission quotidienne de débat politique Ça vous regarde diffusé  par LCP, et enfin le télé-crochet Rising Star diffusé   sur M6. Le concept de What Ze Teuf, présenté   comme la première « tweet série »   française, est le suivant : tous les soirs, après la diffusion de chaque épisode, les télénautes sont invités à   proposer des synopsis en 140 caractères via le réseau social Twitter parmi lesquels les scénaristes en sélectionneront un, à  partir duquel ils écriront et réaliseront l’épisode qui sera diffusé  le lendemain soir. Le choix des producteurs de What Ze Teuf d’inscrire le dispositif interactif qui englobe leur série télévisée dans un dispositif médiatique plus large, avec ses règles et ses imaginaires propres, a des influences sur la structuration technique du dispositif mais aussi sur la manière dont il va être pensé   et utilisé   par ses destinataires. En effet, en choisissant de développer leur dispositif interactif via Twitter, les créateurs de What Ze Teuf en adoptent l’architexte de saisie qui structure la participation des internautes, mais aussi inscrivent leur projet dans un univers déjà   construit et fortement connoté. Nous étudierons donc dans ce travail le dispositif interactif de What Ze Teuf  à  travers deux niveaux: celui d’un dispositif communicationnel propre, mis en place pour un programme donné, avec ses règles et ses particularités, mais aussi celui d'un dispositif pensé   pour s’inscrire dans un certain cadre préexistant, à   travers un architexte déjà  écrit.
  • 13. 13 Diffusé   du lundi au jeudi en direct sur le site internet de la chaine parlementaire LCP de 19h à  20h puis sur le réseau hertzien de 21h à  22h, l’émission de débat quotidienne Ça vous regarde propose « une autre façon de présenter et d’aborder l’actualité  grâce à  l’interactivité »8 . Si l’émission semble être une émission de débat sur plateau assez classique, animée par des figures publiques et spécialistes dans des domaines variés, elle tire son originalité   de l’intervention pendant l’émission de « sentinelles citoyennes »   qui interagissent avec les invités depuis chez eux, via leurs webcam. L’interaction passe ici non par l’écrit mais par l’image et le son, en direct et non en amont, ce qui relève d’une réalité   technosémiotique différente de celle d’un dispositif écrit dont l’architexte de saisie est scripturaire, et convoque donc des manières de penser et d’utiliser le dispositif tout autres. De plus, le fait que la participation ne se fasse qu’à  partir du site internet de l’émission et qu’elle ne soit pas ouverte à  tous mais fasse l’objet d’une présélection induit une certaine façon de construire l’interactivité, selon des règles et des mobilisations de pensée propres que nous tenterons de déconstruire et d’analyser ici. Enfin, le télé-crochet Rising Star, diffusé   tous les jeudis depuis le 25 septembre dernier sur M6, propose aux télénautes de devenir jurés via l’application 6play. Ce format qualifié   de « révolutionnaire »   par ses producteurs et diffuseurs marque effectivement une nouvelle étape dans l’intégration du public au bon déroulement d’un programme télévisé. La présence et l’investissement des télénautes dans l’évolution du jeu étant primordiale, le dispositif interactif est construit et se donne à  lire afin d’être le plus engageant possible. Tout d’abord, la promesse de voir sa photo apparaître sur un écran géant lors de la diffusion en prime-time de l’émission constitue une sorte de récompense pour les télénautes ayant participé. De plus, la participation ne se faisant pas ici à   partir d’un site web, mais grâce à   une 8 Page d’accueil du site de l’émission, http://www.lcp.fr/emissions/ca-vous-regarde-le-debat  
  • 14. 14 application mobile qu’il est nécessaire d’avoir téléchargé, le dispositif interactif s’inscrit tout de suite dans une démarche engageante. Nous étudierons donc ce dispositif à   travers les stratégies techniques et discursives qu’il met en place pour pousser les télénautes à  participer et s’engager. Ces trois dispositifs interactifs seront, dans un premier temps, déconstruits et éprouvés afin d’en saisir la portée technique qui conditionne les pratiques participatives et la portée discursive qui créée des imaginaires communs et positifs servant à   l’appropriation de ces usages. Nous verrons, au fil de nos analyses, comment ces dispositifs contribuent à  véhiculer l’image d’une nouvelle télévision plus démocratique et participative, en jouant notamment sur le flou notionnel qui entoure l’idée d’interactivité. Dans un second temps nous analyserons ces dispositifs interactifs comme des instruments au service de la monétisation des usages, répondant tout d’abord au besoin d’engagement des publics dans un contexte où   la circulation de nouveaux contenus ne cesse jamais, satisfaisant ainsi certains impératifs sous-tendus par les mesures d’audience et s’inscrivant dans le contexte plus large de l’économie de l’attention. Nous verrons, ensuite, que ces impératifs peuvent être au service d’une meilleure intégration des messages publicitaires à  l’intérieur des contenus et formats médiatiques, participant ainsi au phénomène plus large de l’hybridation des marques et des médias, et ce dans une logique d’économie scripturaire, portée par les médias informatisés et le réseau Internet. Enfin, dans un troisième et dernier temps nous étudierons en quoi et comment ces dispositifs interactifs sont des instruments de l’individualisation de masse à   travers des processus industriels de mise au travail des télénautes qui, s’ils servent à   véhiculer une certaine idée d’humanisation des médias-marques, entrainent aussi une perte d’individuation de leurs utilisateurs, qui ne sont alors plus pensés comme
  • 15. 15 des individus mais comme des catégories de consommateurs susceptibles de devenir ambassadeurs de marques, phénomène que nous comprendrons comme une hybridation des activités relationnelles humaines et marchandes
  • 16. 16 PARTIE 1 _ MODELE DES DISPOSITIFS INTERACTIFS TELEVISUELS : DES CONSTRUCTIONS TECHNIQUES ET DISCURSIVES Avant d’entrer dans le vif du sujet, il nous semble important de préciser dans quel sens va être entendu et utilisé le terme dispositif tout au long de ce travail. Pour ce faire, revenons dans un premier temps sur le sens qu’accordait Michel Foucault à cette notion qu’il a beaucoup étudiée. Lors d’un entretien accordé aux auteurs du dixième numéro du bulletin périodique Ornicar ?, réalisé peu de temps après la parution de l’ouvrage La Volonté de savoir du philosophe, et paru en juillet 1977, Michel Foucault décrit la notion de dispositif comme suit : « Ce que j'essaie de repérer sous ce nom [i.e dispositif], c'est, premièrement, un ensemble résolument hétérogène, comportant des discours, des institutions, des aménagements architecturaux, des décisions réglementaires, des lois, des mesures administratives, des énoncés scientifiques, des propositions philosophiques, morales, philanthropiques, bref : du dit, aussi bien que du non-dit, voilà les éléments du dispositif. Le dispositif lui-même, c'est le réseau qu'on peut établir entre ces éléments.» 9 Les dispositifs se définiraient donc comme des structures d’éléments hétérogènes, pouvant relever du mécanisme (dont ils se distinguent cependant grâce à leur aspect continu) ou de « la technologie sociale » car « tout en maintenant une distinction entre la technologie et le monde extérieur, ils impliquent une certaine 9 FOUCAULT Michel, «Entrevue. Le jeu de Michel Foucault», Ornicar ?, n°10, juillet 1977, p 63 URL : http://1libertaire.free.fr/MFoucault158.html
  • 17. 17 organisation de la vie commune et les relations entre les hommes.»10 Etant constitués en réseaux destinés à organiser divers éléments, discursifs ou non, sociaux et sociétaux, les dispositifs sont intimement liés à « une ou des bornes de savoir » qu’ils mettent en place et par lesquelles ils sont conditionnés11 . Ainsi, nous pouvons comprendre les dispositifs interactifs télévisuels que nous allons étudier ici comme des réseaux hétérogènes, constitués d’une part d’écritures donnant naissance à des instruments techniques qui eux même technicisent l’écriture, et d’autre part de discours communicationnels qui créent et entretiennent un imaginaire commun positif et un savoir partagé auxquels les consommateurs vont pouvoir se raccrocher pour adopter les instruments techniques proposés. A travers leurs éléments techniques et discursifs, les dispositifs interactifs se donnent aussi à penser comme des processus politiques qui sont mis en place pour répondre à certains besoins et atteindre certains objectifs. Ces espaces de construction des pratiques relèvent de la technologie sociale en ce qu’ils influent sur la manière dont les téléspectateurs vont anticiper, percevoir et consommer des programmes télévisés, créant ainsi à partir d’éléments techniques des codes et rituels sociaux, qui fournissent un modèle de la télévision dans son ensemble, ainsi que la façon dont se pense, s’accomplit et circule la pratique culturelle qu’est la participation. C’est à travers leurs technicités que nous allons commencer à analyser les éléments de notre corpus, afin d’en saisir les espaces temps dans lesquels ils s’inscrivent ainsi que les architextes de saisie, pour mieux comprendre comment l’apprentissage des codes et du langage technique utilisés influent sur les usages communs qui sont associés à la télévision. 10 FOUCAULT Michel, «Entrevue. Le jeu de Michel Foucault», Ornicar ?, n°10, juillet 1977, URL : http://1libertaire.free.fr/MFoucault158.html 11 Idem
  • 18. 18 A) Des dispositifs interactifs construits par des mécanismes techniques qui structurent la participation des internautes 1. La nature des interactions et l’identité des dispositifs influencés par les espaces temps dans lesquels ils s’inscrivent Afin de bien comprendre la portée technique des dispositifs dont il est question ici, pour ensuite saisir les discours pédagogiques et référentiels destinés à en accompagner l’adoption et la réappropriation, il est important d’évoquer tout d’abord les espaces temps dans lesquels se situent chacun de ces dispositifs et ce en quoi ils conditionnent la technique mise en place. Un premier niveau temporel est à préciser : celui de la durée de vie du dispositif interactif qui, dans le cas de la série télévisée What Ze Teuf correspond à vingt jours en tout, allant du 2 au 20 décembre 2013, divisés en quatorze sessions de participation. Ce premier niveau temporel relativement court témoigne tacitement du caractère exceptionnel de ce dispositif qui met à l’épreuve de l’urgence l’organisation traditionnellement lourde d’un programme télévisé. Le second niveau temporel sur lequel repose ce dispositif est celui des sessions en elles-mêmes. Chaque diffusion d’épisode est suivie par une session de participation qui débute à 20h30, à la fin de l’épisode diffusé, et se termine à 23h, heure à laquelle commence la réalisation-marathon de l’histoire suivante qui se fera en douze heures. Cette seconde échelle temporelle, équivaut à un temps flottant pendant la production, une situation d’attente qui sépare chaque épisode et marque un arrêt dans le rythme effréné de la réalisation. Le temps de ce dispositif ne s’inscrivant donc pas dans celui de la réalisation ni de la diffusion, son espace n’est logiquement pas celui de l’émission à proprement parler. Le dispositif interactif prend ici lieu dans un espace numérique précis, celui du réseau social Twitter, et plus exactement celui créé par le hashtag « #WZT » comme nous le verrons plus loin. Ce réseau social étant public et ouvert à tous, toute personne ayant un compte se voit autoriser la participation et chacun peut voir le contenu posté par les participants.
  • 19. 19 Le temps du dispositif étant flottant et son espace ne lui étant pas exclusivement dédié, l’interactivité dont il est question ici est un simulacre d’interaction plus qu’un véritable échange égal entre deux entités conscientes. Bien que les messages soient écrits puis lus et reçus par des êtres conscients, le fait que cette interaction soit différée par la machine d’une part, et le fait que les messages ne s’adressent pas à un récepteur en particulier mais à une entité vague que les télénautes imaginent derrière le compte Twitter de l’émission et qu’ils identifient à un producteur ou un scénariste, ne la rend pas complètement recevable en tant que telle d’un point de vue scientifique. Pour palier cette absence d’interaction directe et simuler au mieux l’échange humain, la technique se doit d’être contraignante afin que les messages soient lisibles et compréhensibles comme appartenant à un contexte particulier, même lus après coup. Nous étudierons la technique mise en place pour ce dispositif un peu plus loin. Alors que tous deux se présentent comme des dispositifs interactifs télévisuels, le temps et l’espace invoqués dans la mise en place de l’émission Ca vous regarde sont tout autres que ceux du dispositif de What Ze Teuf. Tout d’abord, le premier niveau temporel de durée de vie du dispositif est ici plus long, s’étalant sur toute une saison de diffusion de l’émission. Contrairement au premier exemple, ce dispositif ne requiert pas une mobilisation exceptionnelle, l’écriture de l’émission ne se basant pas dessus et son bon déroulement n’en étant pas dépendant. Alors que la première échelle temporelle est plus longue dans le deuxième exemple que dans le premier, concernant la seconde échelle, à savoir celle de la participation en elle-même, les temporalités sont inversées : la participation de What Ze Teuf se fait à l’écrit dans un temps relativement long et prend effet au stade de la production de l’émission, alors que dans le cas de ça vous regarde la participation se fait à l’oral via un système de vidéoconférence et ne dure que quelques minutes au stade de la diffusion de l’émission. Notons cependant que la mise en place de la participation est plus courte dans le premier cas, les télénautes n’ayant qu’à utiliser leurs comptes Twitter pour participer. Le dispositif du second exemple requiert quant à lui une présélection qui prend un peu plus de temps, les télénautes devant remplir un questionnaire puis choisir une émission selon les sujets proposés.
  • 20. 20 La participation se faisant sur le temps du programme, à savoir en direct, donc simultanément lors de sa réalisation et de sa diffusion, l’espace qui lui est attribué est lui aussi celui de l’émission, que ce soit lors de la première étape du dispositif de mise en place de la participation qui se fait via le site internet du programme, ou que ce soit durant la diffusion en elle-même où l’image du télénaute apparaît à l’écran bien qu’il ne soit physiquement pas présent sur le plateau. L’interaction se fait donc ici dans un temps précis, celui de l’échange humain, et dans un espace spécifique à l’émission où les télénautes s’adressent à des interlocuteurs définis, qu’ils peuvent nommer. Ainsi, bien que l’interactivité soit ici différée par la machine, elle s’apparente à la définition scientifique de l’interaction qui se fait entre deux êtres conscients. Cette présence de l’échange humain pour cadrer la participation facilite l’appropriation de la technique par les télénautes. Cependant, les règles du direct étant par nature contraignantes et la technique encadrant les systèmes de vidéoconférences étant régie par des architextes propres, nous étudierons un peu plus loin dans ce travail comment la participation des télénautes à l’émission ça vous regarde est influencée par la manipulabilité technique de son dispositif. Enfin, le dispositif interactif du télé-crochet Rising Star s’inscrit dans un premier niveau temporel assez long, l’émission s’étendant sur toute une saison. Bien que le dispositif soit ici assez lourd, notamment parce qu’il n’intègre aucune présélection, comme c’est le cas pour ça vous regarde, il ne nécessite pas une mise en place aussi exceptionnelle que pour What Ze Teuf, les télénautes n’étant pas les producteurs du contenu qui servira de socle à l’écriture de l’émission. Le deuxième niveau temporel du dispositif est ici court, lors de sa mise en place d’abord, qui ne requiert que le téléchargement de l’application gratuite de la chaine M6 6play et la connexion avec un compte Facebook ou une adresse email, et lors de la participation en elle-même ensuite, cette dernière se faisant sur le temps de l’émission, en direct. La participation est accessible aux télénautes à plusieurs moments du prime-time et ce pour quelques minutes, chaque fois qu’un candidat fait une performance. La participation se faisant donc dans un temps court et en direct, l’espace sur lequel elle s’opère se devait de lui être spécifique pour en faciliter le bon déroulement. C’est pourquoi les producteurs/diffuseurs ont logé leur dispositif sur une application qui,
  • 21. 21 lorsqu’elle est ouverte sur un deuxième écran à côté du poste de télévision diffusant l’émission en direct, a pour particularité de s’y connecter directement et de s’y synchroniser. Bien que l’interactivité s’opère ici dans un temps et un espace précis, la participation du télénaute ne s’adresse pas à un interlocuteur défini, qu’il peut désigner, mais à une machine, et plus exactement à un algorithme qui prend en compte les votes des participants. Cette absence d’entité consciente répondante nous amène à analyser ce dispositif interactif comme un simulacre d’interaction à travers lequel la machine se donne à penser comme un interlocuteur humain doté d’intention et de conscience. La technique utilisée pour mettre en place ce dispositif interactif est donc très bien élaborée afin de se rendre intuitive pour les télénautes qui se laissent guider et en ont très peu à faire grâce à un architexte de saisie très contraignant comme nous allons le voir désormais. Ainsi, les dispositifs télévisuels pensés dans le cadre de la télévision participative sont plus ou moins interactifs selon les espaces temps dans lesquels ils s’inscrivent qui définissent la nature des interactions, qu’elles soient directes ou différées, adressées à un interlocuteur défini, une entité vague ou une machine. Mais cet élément d’analyse ne fait pas tout. En effet, un dispositif se présentera aussi comme plus ou moins interactif selon la relation qu’il créera entre l’activité de visionnage et l’activité participative, qu’elle se traduise par l’écriture, le fait de cliquer sur un signe passeur ou autre. C’est cette relation, qui se fait à travers la structuration d’une technique propre à chaque dispositif, plus moins manipulable selon les architextes de saisie mis en place, et qui définit la nature de la participation des télénautes, que nous allons étudier à présent. 2. Structuration de la technique par l’écrit : les pratiques participatives définies selon la manipulabilité technique des architextes de saisie En partant du principe que l’idée d’interactivité, parce qu’elle sous-tend une activité réciproque entre deux entités, requiert une certaine forme de participation, nous allons étudier comment les architextes de saisie dont il est question ici structurent la participation des télénautes.
  • 22. 22 Mais avant d’aller plus loin, précisons que les architextes sur lesquels nous fonderons notre analyse dans cette partie sont « les outils qui permettent l’existence de l’écrit à l’écran et qui, non contents de représenter la structure du texte, en commandent l’exécution et la réalisation. »12 La manipulabilité technique de ces derniers affecte la participation des télénautes en déterminant l’implication de ces derniers qui « résulte de la réalité des ressources et contraintes qu’un dispositif offre pour une interaction effective »13 . Ainsi la manipulabilité technique des dispositifs interactifs télévisuels joue sur la manière dont ils vont se donner à lire et conditionne, par ses modalités, les pratiques des usagers. Comme annoncé en introduction, le dispositif interactif de la série télévisée What Ze Teuf a été pensé à travers le réseau social Twitter, ce qui inscrit l’étude de la structuration technique de la participation qu’il induit à deux niveaux : l’architexte de Twitter d’une part, les règles écrites et pensées par les créateurs de ce dispositif en particulier d’autre part. Tout d’abord, évoquons l’architexte de saisie dans lequel s’inscrit ce dispositif, et dont la caractéristique la plus importante est que ce réseau social est basé sur l’échange d’informations délivrées en 140 caractères. Ce réseau social reposant sur cette particularité de saisie, cette contrainte technique de l’écriture est immuable. Elle représente ce que nous qualifierons ici d’architexte de saisie obligatoire, s’opposant par là même à d’autres architextes de saisie présents sur Twitter que nous désignerons comme optionnels et auxquels les créateurs du projet What Ze Teuf ont aussi fait appel pour créer leur dispositif interactif. La restriction du nombre de caractères autorisés par publication représente un architexte de saisie contraignant, qui influe directement sur la nature de la participation en ce qu’elle ne peut se faire que sous une forme très courte. Cette spécificité de la forme influe naturellement sur la nature du contenu : les longs discours n’y étant pas possibles, l’information doit être brute et concise, contraignant ainsi les utilisateurs à inscrire leur participation dans un cadre de création très précis. 12 JEANNERET Yves, SOUCHIER Emmanüel et LE MAREC Joëlle, Lire, écrire, réécrire. Objets, signes et pratiques des médias informatisés, Paris, Bibliothèque publique d’information, 2003, p 23/24 13 JEANNERET Yves, Critique de la trivialité, les médiations de la communication, enjeu de pouvoir, Edition Non Standard, Paris, 2014
  • 23. 23 Ainsi, grâce à cet architexte de saisie obligatoire déjà connu et accepté par les internautes, les concepteurs du projet What Ze Teuf ont contraint de manière naturelle les participants à ne proposer que des phrases courtes et donc des idées générales, éliminant par là même les éventuels problèmes d’excès de zèle et d’incompréhension des règles d’utilisation. Nous noterons donc ici qu’en plus de donner d’emblée un certain espace à la participation des télénautes, l’utilisation de Twitter a aussi permis aux producteurs de s’exempter de toute pédagogie et justification quant aux règles d’utilisation. En plus de cet architexte de saisie obligatoire, les producteurs de What Ze Teuf ont fait appel à l’architexte de saisie optionnel qu’est le hashtag afin, notamment, de se particulariser. Le hashtag, matérialisé par le symbole « # », est un signe passeur qui fonctionne comme un lien hypertexte. Il se rend visible comme tel en se distinguant du reste du texte par une mise en relief via la couleur bleue, indiquant ainsi aux internautes qu’ils peuvent cliquer dessus pour circuler dans le réseau social. Le hashtag a une double fonction. Il est tout d’abord un indicateur qui sert à désigner la présence d’un mot clé, servant notamment à contextualiser le contenu d’un tweet, à le rendre plus lisible pour ses lecteurs. De nombreuses institutions l’utilisent donc pour se rendre visibles via la création en amont d’un hashtag dédié à leur marque, leurs produits ou contenus. C’est dans cette optique que les producteurs de What Ze Teuf ont créé le mot-clé « #WZT », rendant ainsi plus lisible et plus visible leur dispositif grâce à la portée discursive du hashtag. Cependant le hashtag étant aussi un outil porté par la technique, parce qu’il est un signe passeur qui permet aux internautes de se déplacer dans le réseau social, il est créateur d’espace de discussion et de prise de parole autour du mot clé qu’il supporte. En cliquant sur le lien généré par le hashtag, les internautes sont renvoyés sur une nouvelle page où sont répertoriées toutes les publications ayant intégré ce hashtag particulier, donc tout ce qui peut se dire autour d’un même sujet. La présence de la mention « #WZT » dans les tweets proposants des synopsis pour les épisodes des lendemains constituait donc un élément obligatoire pour deux raisons : d’une part parce que cela donnait au dispositif une certaine visibilité et donc notoriété, mais aussi parce que cela permettait aux scénaristes d’avoir un accès
  • 24. 24 direct à tous les synopsis proposés en se rendant directement sur l’espace créé par le hashtag « #WZT ». De plus, en rendant ainsi visible la participation des télénautes de What Ze Teuf, le hashtag influait sur la manipulabilité technique du dispositif qu’il servait car la construction de la participation des uns se faisait en fonction de celle des autres et du fait qu’ils savaient qu’ils allaient être lus. Le cas du dispositif interactif de l’émission ça vous regarde est un peu particulier dans le paysage des dispositifs télévisuels car il permet aux internautes de participer à l’émission par visioconférence et non par écrit. Si ce dispositif offre à première vue une certaine liberté de participation en ce que les échanges humains peuvent suppléer la technique, il est important de souligner qu’il est lui aussi soumis à des architextes de saisie obligatoires et optionnels dont la manipulabilité définit la participation des télénautes. Notons tout d’abord que la participation se fait ici en direct grâce à un outil technique dont les termes d’utilisation ont été prédéfinis par un architexte assez peu contraignant : pour utiliser un logiciel de visioconférence comme Facetime ou Skype, il suffit de signaler le contact à appeler puis de cliquer, dans un geste de « lecture- écriture »14 sur un signe passeur se matérialisant souvent par une forme et/ou une couleur particulière, et d’attendre que l’interlocuteur réponde en cliquant sur un signe passeur à son tour. A cet architexte obligatoire peu contraignant les créateurs du dispositif interactif dont il est question ici ont ajouté un architexte optionnel qui est l’utilisation de la vidéo. En effet, bien que tout l’intérêt des outils de vidéo-conférence soit la présence de la vidéo, la possibilité est offerte à ses utilisateurs de ne pas faire appel à celle-ci et de contacter des interlocuteurs via le réseau internet sans forcément les voir. Dans le cadre du dispositif interactif de ça vous regarde la caméra doit être allumée durant l’appel afin que le télénaute soit visible et reconnaissable. L’interaction ne pouvant donc se faire sous couvert d’anonymat ou avec un pseudonyme, la participation des télénautes s’en trouve modifiée, ces derniers anticipant le fait qu’il leur faudra assumer leurs propos, qui seront enregistrés comme leur appartenant. 14 JEANNERET Yves, SOUCHIER Emmanüel et LE MAREC Joëlle, Lire, écrire, réécrire. Objets, signes et pratiques des médias informatisés, Paris, Bibliothèque publique d’information, 2003, p 23
  • 25. 25 En plus des contraintes architextuelles de l’outil utilisé pour la vidéo-conférence les producteurs ont décidé d’ajouter deux règles, sans lien direct avec l’architexte de saisie, mais qui cadrent cependant les conditions de participation des télénautes. La première concerne la forme de la participation qui arrive généralement en milieu d’émission : les télénautes ne peuvent poser qu’une question, précise et directe, sans avoir le droit de faire de digression au risque de se faire rappeler à l’ordre très vite par le présentateur. L’autre règle concerne le temps de participation qui est très court, ne devant pas dépasser trois minutes. Pour les participants il est donc important de bien choisir leur question et leurs mots pour être d’une part entendus et compris par les invités, mais aussi pour faire passer un message, une opinion en très peu de temps. Ainsi, ce n’est pas tant le caractère contraignant de l’architexte de saisie que l’utilisation de la vidéo-conférence et les règles imposées par les producteurs qui conditionnent la participation des télénautes ici. Le dispositif interactif du télé-crochet Rising Star n’a pas été pensé à travers des outils extérieurs et donc indépendants des producteurs/diffuseurs comme c’est le cas pour ceux de What Ze Teuf ou de ça vous regarde, mais a été mis en place par le diffuseur, à savoir la chaine M6, qui en est donc maitre. Ainsi, les notions d’architextes de saisie obligatoires, inhérentes à l’outil extérieur, et d’architextes de saisie optionnels, manipulés par les créateurs des dispositifs comme moyens de réappropriation de l’outil et de particularisation des règles d’utilisation, ne sont pas pertinentes ici, l’architexte de saisie ayant été ici pensé spécialement pour le dispositif, il ne s’opère qu’à un seul niveau. Afin de participer à l’émission et d’entrer dans la peau d’un juré, il est nécessaire d’avoir préalablement téléchargé l’application 6play, activé le bouton « Devenir juré de Rising Star » et s’y être connecté via son compte Facebook ou une adresse email. Une fois ces pré-requis exécutés, le télénaute n’a plus qu’à ouvrir l’application et se connecter à son comte Rising Star durant la diffusion de l’émission. Ce n’est qu’à ces conditions que le dispositif interactif, structuré par un architexte de saisie obligatoire unique, peut être activé. Une fois le dispositif interactif enclenché, le télénaute doit, pour participer, s’enregistrer au passage de chaque nouvel artiste en glissant son doigt sur une barre horizontale. Cet architexte de saisie contraignant et obligatoire a été mis en place
  • 26. 26 afin que toute participation se signale en tant que telle, comme une démarche proactive et quantifiable, ce qui est la condition sine qua non du bon fonctionnement du dispositif. Une fois l’enregistrement pris en compte, les télénautes sont invités soit à faire glisser une flèche bleue de la gauche vers la droite pour voter oui et soutenir l’artiste, soit à faire glisser une flèche rouge de la droite vers la gauche pour voter non et éliminer le candidat. L’architexte est donc ici très contraignant, ne laissant aux télénautes que la possibilité de choisir entre deux propositions à deux reprises, qui sont de s’enregistrer ou non, puis de répondre par la positive ou la négative, chaque fois en faisant glisser leurs doigts sur des zones prédéfinies. Cette détermination de la participation par la très faible manipulabilité technique de l’architexte joue cependant un rôle non négligeable dans le relatif succès de ce dispositif. En guidant et contraignant ainsi les télénautes, la technique est abordable pour tous car elle ne nécessite pas de connaissances ou dispositions particulières. Cette simplicité invite et même incite ainsi tout un chacun à participer. Ainsi, la participation des télénautes aux dispositifs interactifs télévisuels est en grande partie définie par l’architexte de saisie mis en place et sa manipulabilité technique. Cependant, la pratique participative ne dépend pas que de la technique du dispositif en elle-même, mais aussi « de la mobilisation d’une certaine manière spécifique de penser son origine technique, et, avec elle, le fonctionnement du média »15 . La technique joue donc un double rôle dans la création et la perpétuation de certaines pratiques liées aux notions de participation et d’interactivité : celui de l’épreuve concrète de sa matérialité que nous venons d’étudier ici d’abord, et celui de son anticipation, sa représentation et les imaginaires qui y sont associés ensuite, ce que nous allons à présent aborder. 15 CANDEL Etienne, « L’Œuvre saisie par le réseau », Communication & Langages - n°155 – Mars 2008, p 101
  • 27. 27 3. La pratique déterminée par la représentation des techniques mobilisées par les dispositifs interactifs La technique, par la fantasmagorie de son utilisation et les représentations qui y sont associées, influence donc les pratiques sociales et culturelles des consommateurs, notamment dans le domaine de la télévision. C’est ainsi que le second écran, concept promotionnel connaissant un vif succès auprès des acteurs de l’industrie télévisuelle, est entré petit à petit dans les mœurs, porté par la démocratisation des médias informatisés et notamment des médias informatisés portatifs, dont la technologie bénéficie d’une représentation positive, abordable et intuitive. En effet, pour qu’une pratique soit adoptée à grande échelle et qu’elle s’ancre socialement, il faut que ses potentiels bénéficiaires s’approprient la technique qui la soutient. Avant qu’une pratique technique puisse être adoptée via sa manipulabilité concrète, il est nécessaire que ses utilisateurs se l’approprient en amont, à travers l’anticipation de son utilisation. La manière dont vont se donner à voir et à lire les techniques sous-tendant certaines pratiques va beaucoup influencer l’idée que s’en feront les consommateurs, les prédisposant ainsi à adhérer ou non aux usages proposés à travers les médias informatisés. Cette représentation de la technique par elle-même se fait notamment par le biais des interfaces des dispositifs. Bien que communément pensées comme les espaces par lesquels la technique se donne à lire à l’homme de manière intuitive et intelligente, ces interfaces seraient finalement moins les espaces de rencontre entre l’homme et la machine que ceux de « la rencontre, par le biais d’écritures médiatiques, entre les représentations de la communication anticipées par les concepteurs et les ressources interprétatives des usagers »16 . Ainsi, certaines pratiques culturelles ne sont pas adoptées car les techniques qui les soutiennent se présentent comme trop hermétiques aux yeux des consommateurs les moins avertis. 16 JEANNERET Yves, Penser la trivialité, volume 1 : La vie triviale des êtres culturels, Lavoisier, Paris, 2008, p 138
  • 28. 28 C’est donc parce que la technique ne jouit pas toujours de représentation positive et évidente que les producteurs des programmes étudiés ici ont décidé de laisser le choix aux consommateurs de rester simples téléspectateurs ou d’enrichir leur expérience en devenant des télénautes participants. Dans le cas où le téléspectateur devient télénaute, voyons comment les représentations des techniques utilisées influencent leurs pratiques participatives. Dans le cas de la tweet série What Ze Teuf, la technique particulière inhérente au réseau social utilisé est perçue par beaucoup comme compliquée, requérant un apprentissage et des codes qui ne sont pas naturels. C’est pourquoi Twitter est souvent appréhendé comme étant destiné à une certaine catégorie d’internautes, composée de connaisseurs avertis et d’adolescents nés avec internet. Ainsi, la pratique participative de ce dispositif interactif va être influencée par l’image que se font les uns et les autres de la technique requise pour utiliser Twitter. Le choix des producteurs et diffuseurs de baser leur dispositif sur ce réseau social malgré le caractère excluant de la représentation de sa technique se justifie en ce que la cible visée par le programme et son dispositif est précisément celle des adolescents très présents sur ce réseau social. La technologie et la technique qu’elle convoque utilisées pour le dispositif interactif du programme ça vous regarde sont globalement pensées comme abordables, celles-ci étant faciles à manier grâce à la simplicité de leur architexte, ainsi qu’au parallèle que l’on peut faire avec le téléphone. Cependant elles s’avèrent être ici aussi un facteur d’exclusion à la participation, les télénautes qui prennent part au dispositif étant finalement très peu nombreux. Ce n’est donc pas l’anticipation d’une technique qui serait compliquée à manier, et donc peu abordable, qui freine ici certains téléspectateurs mais l’anticipation des conséquences sociales de l’exposition médiatique que la technique utilisée implique. Cela est d’autant plus vrai que les sujets abordés étant politiques, ils sont symboliquement réservés à une certaine catégorie de personnes et donc excluant. Ainsi, la pratique n’est pas tant déterminée par la représentation de la technique en elle-même que par la représentation de ce que cette technique engendre socialement.
  • 29. 29 Enfin, Rising Star se présentant comme un télé-crochet d’un nouveau genre en ce qu’il est le premier à fonctionner presque uniquement sur la participation du public, et que sa « technologie est inédite en France », la technique utilisée ici se donne implicitement à penser comme complexe et donc difficilement appropriable. C’est pourquoi elle est si contraignante et donc simple à manipuler et c’est pourquoi les producteurs et diffuseurs de ce programme ont préparé le public en les familiarisant avec le dispositif interactif via des procédés pédagogiques. Ainsi, une avant première d’une dizaine de minutes fut diffusée en direct le 15 septembre sur M6 afin, d’une part, de vendre le concept et de donner envie aux téléspectateurs et télénautes de le regarder, mais aussi pour présenter le dispositif et rassurer au sujet de la simplicité de la technique à utiliser. Cette dernière fut présentée à travers l’intuitivité du geste requis pour s’enregistrer et voter, à savoir le fait de glisser horizontalement son doigt sur l’écran. « Ce geste » est annoncé dans une petite vidéo comme « fai[sant] partie de notre quotidien » d’une part, ce qui sous-entend qu’il est naturellement appropriable, mais aussi comme étant capable de « bouleverser des vies », ce qui créé un contraste et met en relief son importance. C’est sur ce contraste que tout le discours promotionnel du dispositif de Rising Star va reposer : un petit effort grâce à un outil technique simple et fonctionnel pour de grands effets. Cette simplicité de la technique intelligente, qui par un petit geste de l’homme accomplit de grandes choses, fait partie d’une représentation positive plus globale dont jouit, auprès de certains consommateurs, la technicité des médias informatisés. En effet, avant même d’utiliser le dispositif, et pendant qu’ils l’utilisent, les télénautes se font une idée de ce qu’ils vont ou sont en train d’accomplir grâce à la technique des outils numériques comme un progrès culturel et social majeur apporté par les médias informatisés. La technologie et les techniques qui y sont associées sont donc appréhendées comme des moyens de libérer et porter la parole des consommateurs, de relier les personnes entre elles, comme les outils privilégiés de la culture participative. Cette représentation positive de la technique est notamment soutenue par des discours qui sont inhérents aux dispositifs interactifs et forment des références
  • 30. 30 communes positives pour combler le vide entre la technique et la pratique et ainsi véhiculer des images contrôlées des programmes et de la TV. Ainsi, pour que les dispositifs interactifs télévisuels soient adoptés par le public, il est nécessaire d’accompagner la technique avec des discours communicationnels qui lui donneront une forme et une valeur, la rendant ainsi plus facilement conceptualisable et appropriable. B) Des dispositifs interactifs soutenus par des discours communicationnels visant à créer un référent commun Tout dispositif, qu’il soit interactif ou non, parce qu’il est un réseau d’éléments hétérogènes, est donc constitué et soutenu par des discours qui l’uniformisent d’une part, et qui le justifie en lui conférant un rôle, une raison d’être, d’autre part. Dans cette seconde sous-partie nous nous pencherons sur ces discours en exemplifiant nos propos grâce aux dispositifs interactifs de notre corpus afin de démontrer que les deux niveaux de discours qui construisent les dispositifs participent à l’édification du renouveau de la télévision. 1. Des discours communicationnels qui rendent accessible la manipulation technique des dispositifs interactifs en créant de la valeur ajoutée La technique qui compose les dispositifs interactifs télévisuels ne se présente pas telle qu’elle mais se donne à lire à travers des discours qui la rendent plus accessible et font le lien entre cette dernière et la pratique. Ces discours habillent donc la technique requise à l’utilisation du dispositif interactif pour la rendre moins rébarbative et plus facilement appropriable, mais aussi pour inscrire les pratiques qui lui sont associées dans un contexte particulier au sein duquel le télénaute aura un rôle. Ce rôle, construit par la technique et défini par le discours, constitue une véritable valeur ajoutée pour le dispositif interactif qui se présente alors comme porteur d’une
  • 31. 31 expérience enrichie où le téléspectateur n’est plus simple spectateur mais co- constructeur du programme grâce au rôle qui lui est attribué. Le dispositif interactif de What Ze Teuf attribue aux télénautes le rôle de scénaristes. Dans la bande-annonce présentant le projet les téléspectateurs sont pris à partie à travers la phrase « c’est à vous de décider de la suite »17 , et ainsi invités à jouer le rôle qui a été créé pour eux. En projetant les télénautes dans ce rôle, les producteurs les invitent plus globalement à voir ce qu’il se passe sur le plateau avec l’équipe technique et les comédiens via des vidéos bonus disponibles sur le site promotionnel de la série. Cette immersion des télénautes dans la production de l’émission, mise en place par certaines techniques portées par les médias informatisés, se donne à penser comme une co-production du format entre les acteurs traditionnels de l’industrie télévisuelle et les récepteurs qui deviennent ainsi créateurs. L’écrit d’écran constituant la technique utilisée pour ce dispositif, est donc ici appropriée grâce à un discours promettant à ses utilisateurs un rôle important dans la production de la série, et ainsi une certaine reconnaissance. Cette expérience enrichie mise en place à travers le rôle de scénariste valorise le public qui a alors l’impression d’avoir activement participé à la réalisation du programme et d’être ainsi accepté dans le milieu très fermé et générateur de fantasmes qu’est la télévision, ce qui rend son visionnage plus agréable. L’émission ça vous regarde promet, quant à elle, aux télénautes utilisant le dispositif interactif d’endosser le rôle d’invité au même titre que les autres personnalités participant au débat. En effet, sur la page web de l’émission hébergée par le site de la chaine lcp.fr, les différents intervenants sont énumérés ainsi : « En présence de députés, d’experts, de personnalités mais aussi de citoyens »18 . La construction sémantique de cette phrase met sur le même plan des hommes politiques et les citoyens qu’ils gouvernent, sous-entendant que tous les invités seront ici considérés comme égaux, la parole des uns valant autant que celles des autres. Ce discours est mobilisé ici car la technologie des logiciels de 17 Site promotionnel de la série whatzeteuf.welovecinema.fr, rubrique « What ze série, Comment ça marche » _ https://whatzeteuf.welovecinema.fr/whatZeSerie.html 18 Site de l’émission « Ca vous regarde » : http://www.lcp.fr/emissions/ca-vous-regarde-le-debat
  • 32. 32 visioconférence confère à la parole de son utilisateur plus d’importance et d’impact que celle transmise par téléphone, et ce grâce à la présence d’images qui associent au dire ses gestes et expressions faciales. Cependant, bien que la parole des citoyens soit valorisée par la présence de la vidéo, elle n’est pas égale à celles des personnalités invitées sur le plateau, et ne jouit pas d’un impact notable dans le débat, ne serait-ce qu’à cause de l’inégalité provoquée par la présence physique des uns et la présence médiatisée des autres. De plus, comme nous l’avons étudié précédemment, les règles d’utilisation du dispositif sont contraignantes et ne permettent pas aux télénautes de vraiment développer leurs idées. Le discours promotionnel mobilisé ici exagère donc l’importance du dispositif interactif au sein de ce programme, promettant aux télénautes participants un rôle plus important que celui qu’ils auront en réalité. Cependant, bien que le discours amplifie les mérites de la technologie exploitée ici afin de justifier son intégration dans une émission quotidienne de débat politique et de pousser par là même les télénautes à adopter l’usage qu’elle préconise, cette dernière accorde bien aux téléspectateurs une visibilité et une importance plus grande que si leur participation s’était faite par téléphone, notamment du point de vue du public pour qui tous les invités se donnent à voir et entendre à travers un écran, qu’ils soient présents sur le plateau ou non. La valeur ajoutée introduite par le discours inhérent à ce dispositif interactif est donc la possibilité, pour celui qui participe, de se faire entendre et de confronter des élus à son opinion sans avoir à se déplacer de chez soi d’une part, et la possibilité pour celui qui regarde de s’identifier à la sentinelle citoyenne et donc de mieux se projeter dans le débat. Enfin, le discours communicationnel accompagnant la technique requise par le dispositif interactif de Rising Star plonge les télénautes dans le rôle de jurés. Grâce à la technologie utilisée ici, ce sont ces derniers qui décident gratuitement du sort des candidats, et ce aux différentes étapes de la compétition. Le terme « juré » étant alors réservé aux téléspectateurs participants, les acteurs traditionnellement désignés par ce nom sont désormais qualifiés d’« experts ». Ce déplacement communicationnel des noms habituellement attribués aux téléspectateurs et aux personnalités télévisuelles est destiné à insister sur le fait que seul le public a le pouvoir de décider du sort des candidats, tandis que les experts ne
  • 33. 33 sont présents que pour éclairer le public de leurs conseils avisés, alors même que le choix de ces derniers pèse encore énormément dans la balance. L’importance du rôle conféré aux télénautes grâce au dispositif interactif est sans cesse mise en avant à travers un discours communicationnel qui se veut très impliquant. Ainsi, lors de l’avant première du programme diffusée une dizaine de jours avant son lancement officiel et destiné à présenter aux téléspectateurs le dispositif interactif qu’il implique, les présentateurs tiennent un discours qui se veut impliquant, dans lequel le public est constamment interpelé à travers l’utilisation très prononcée du pronom vous, presque toujours associé à des verbes d’actions, comme dans la phrase « c’est vous, chez vous, qui décidez »19 . Cette utilisation des verbes d’action conjugués à la deuxième personne du pluriel a pour but d’insister sur la possibilité offerte aux téléspectateurs d’agir sur un programme télévisé et de ne plus se contenter de le recevoir, et ce grâce au dispositif interactif. De plus, nous notons que la majorité de ces verbes d’action sont liés à des termes renvoyant à l’idée de pouvoir tels que « choisir », « réaliser », « pouvoir » et « décider » qui reviennent à trois reprises chacun, ou encore « voter » qui est mentionné cinq fois en l’espace de dix minutes. Ainsi, ce dispositif interactif ne se contente pas de donner aux télénautes l’occasion de s’exprimer ou de participer à l’élaboration du contenu qu’ils vont consommer comme c’est le cas dans le cadre de ceux de ça vous regarde et What Ze Teuf, mais il leur confère aussi une certaine influence sur le déroulement de l’émission d’une part, et sur la carrière artistique des candidats d’autre part. Sur cette notion de pouvoir se calque une certaine idée de jugement moral qui apparaît à travers les occurrences « réaliser [un rêve] ou le briser », « convaincre » ou encore « mérite-t-il ». Ainsi, bien que la technique requise pour utiliser cette technologie soit très simple, comme nous l’avons vu plus haut, elle confère un pouvoir qui est présenté comme presque absolu dans le discours qui l’accompagne. Ainsi, « du bout des doigts [les télénautes peuvent] réaliser un rêve ou le briser », et choisir quels candidats ils ont envie de suivre et quels autres ne les intéressent pas. La valeur ajoutée présentée dans un tel discours est tacitement que le dispositif interactif proposé ici met le public au centre du programme au même titre que les 19 Page de l’émission hébergée sur le site de la chaine M6, rubrique « vidéos » http://www.m6.fr/rising_star/videos/11393256-rising_star_l_avant_premiere.html
  • 34. 34 jurés stars et les candidats. Ainsi le public devient son propre divertissement et constitue une raison à part entière de regarder l’émission. Ces discours communicationnels qui servent à combler le vide séparant la technique de la pratique, invitant par là même les téléspectateurs à s’approprier cette dernière en lui accordant la création de valeur ajoutée, sont secondés par des discours promotionnels qui vendent les dispositifs interactifs comme des concepts en créant un référentiel commun à tous les dispositifs interactifs. 2. Des discours communicationnels qui accompagnent les dispositifs interactifs et construisent un référentiel commun Le dispositif interactif en tant que concept est porté par des discours communicationnels destinés à l’introduire auprès des consommateurs afin qu’ils s’en approprient l’idée générale et y adhèrent suffisamment pour établir de nouvelles pratiques de consommation. Ces discours créent des imaginaires partagés autour de l’idée de dispositif interactif, donnant ainsi une impression d’uniformité malgré la multitude des technologies, techniques et discours que ces dispositifs peuvent couvrir, afin de proposer un référentiel commun chargé positivement, qui servira de base à toute appropriation et interprétation. Ainsi, bien que très différents dans leurs constructions, que ce soit à travers les techniques qu’ils sous-tendent ou les discours qu’ils mobilisent, les trois dispositifs étudiés ici sont portés par le même type de discours communicationnel qui attribue de manière plus ou moins explicite aux dispositifs interactifs une portée démocratique, tout en les érigeant en symboles de modernité et d’innovation dans le domaine de la télévision. Dans l’imaginaire partagé, la notion d’interactivité est donc idéologiquement chargée. Elle est perçue comme un moyen de communication démocratique grâce auquel chacun, en donnant son avis, aurait accès à un savoir pluriel où il n’y aurait pas de croyance dominante. Ainsi, les dispositifs interactifs s’inscrivent dans la continuité de cette posture et s’enracinent dans « un mythe technoculturel récurrent
  • 35. 35 […] : la croyance dans le fait que l’implantation des nouveaux dispositifs d’interactivité technique conduirait nécessairement à une plus grande démocratisation de la communication sociale. »20 Dans le cas des dispositifs de notre corpus, cela s’exemplifie par l’idée qu’ils offrent aux télénautes, chacun à leur manière, une certaine prise de pouvoir sur le contenu des programmes qu’ils consomment en leur permettant d’être actifs. Ainsi le dispositif interactif de la série What Ze Teuf propose aux téléspectateurs d’inventer les péripéties des trois personnages principaux en fonction des célébrités qu’ils rencontrent à chaque épisode. Ce faisant les télénautes peuvent non seulement avoir un certain impact sur ce qu’ils vont regarder, mais aussi reprendre un peu de pouvoir sur des personnalités publiques qui ont dans l’imaginaire collectif un grand ascendant social grâce à leur notoriété, en choisissant, via leurs tweets, les rôles qu'ils vont endosser. La portée démocratique du dispositif interactif passerait donc ici par la valorisation des télénautes en leur offrant un privilège qui leur est habituellement refusé, celui de voir leurs idées portées à l’écran. Concernant le dispositif interactif de l'émission quotidienne ça vous regarde, la prise de pouvoir des téléspectateurs passe par l’occasion de se faire entendre dans un débat politique grâce, notamment, à la vidéo. Ainsi, « de simple téléspectateur, le citoyen devient acteur dans le débat par webcam interposée »21 et peut espérer influencer la tournure de celui-ci grâce à sa question. Le fait même que ce dispositif interactif donne la parole sur un espace public à ceux qui ne l’ont habituellement pas, l’érigerait en outil communicationnel à portée démocratique. De plus, à travers cette petite prise de pouvoir donnée via un espace de parole à la télévision, c’est l’idée plus générale d’une prise de pouvoir sur le débat public qui est convoquée, bien que cela n’ait pas vraiment d’écho dans les faits, l’émission ne jouissant pas d’une très grande visibilité et la participation des télénautes étant limitée par les règles d’utilisation de la technique. 20 PROULX Serge et SENECAL Michel, « L’interactivité technique, simulacre d’interaction sociale et de démocratie ? », Revue TIS (Technologies de l’Information et Société), vol. 7, n°2, avril 1995, p 239 21 http://www.lcp.fr/emissions/ca-vous-regarde-le-debat
  • 36. 36 Enfin, comme nous l’avons vu précédemment, le dispositif interactif de Rising Star insiste beaucoup sur cette notion de prise de pouvoir des téléspectateurs qui deviendrait maîtres de choisir quel candidat part et quel autre reste. Tout comme ²dans le cas de celui de What Ze Teuf, la teneur démocratique de ce dispositif viendrait ici de la redistribution des pouvoirs entre les personnalités télévisées et le public qui accède alors à une position importante et reconnue au sein de l’émission. Ainsi, par le discours sous-jacent des dispositifs interactifs télévisuels, se créé une référence commune qui associe l’interactivité de ces programmes à une volonté de plus grande démocratie de la part des producteurs qui les mettent en place. En s’ouvrant ainsi sur la parole des téléspectateurs, les acteurs de l’industrie télévisuelle manifestent l’importance du public sur l’existence des programmes et le valorisent en tant que tel. Cependant, il est important de noter que la démocratisation des programmes télévisés relève plus d’une posture communicationnelle et idéologique que d’une réalité factuelle. En effet « le fait que les dispositifs d’interface d’un système soient interactifs ne constitue pas une condition suffisante pour que ce système apparaisse comme automatiquement démocratique. »22 La construction même de ces dispositifs, qui ont été pensés pour une certaine cible, génère de l’exclusion à travers l’appropriation sociale de la technique qu’ils induisent. En plus de cette posture idéologique d’instrument de démocratisation des programmes télévisés, les dispositifs interactifs sont érigés, à travers des discours communicationnels et promotionnels, en symboles de la modernisation du média télévision et du format de ses émissions Dans le cadre de notre corpus, cette idée se manifeste à travers la récurrence, dans les discours qui accompagnent ces trois dispositifs, de l’idée de nouveauté, de première fois. 22 PROULX Serge et SENECAL Michel, « L’interactivité technique, simulacre d’interaction sociale et de démocratie ? », Revue TIS (Technologies de l’Information et Société), vol. 7, n°2, avril 1995, p 247
  • 37. 37 Ainsi, What Ze Teuf est présentée comme « la toute première série interactive et participative produite et réalisée du jour pour le lendemain »23 , d’autres projets de la même veine ayant déjà vu le jour, mais jamais en flux tendu comme c’est le cas ici. Dans le cas de ça vous regarde il est moins question d’innovation que de modernité dans un sens plus large. En effet, la confrontation d’opinions de citoyens aux discours de parlementaires ne constitue pas une nouveauté, et bien que l’utilisation de la visioconférence dans un cadre comme celui-ci constitue une originalité, il n’a rien d’inédit. Cependant les producteurs de ce programme le placent quand même dans une posture moderniste en ce qu’il « favorise l’information à double sens en renvoyant les préoccupations, les questionnements des sentinelles citoyennes à celles des parlementaires »24 , ce qui l’inscrit dans l’idée de démocratie participative étayée par ce que l’on désigne par la posture idéologique le web participatif. Le dispositif interactif de Rising Star constitue une nouveauté à deux égards : tout d’abord par le fait que « pour la première fois à la télévision [le] vote est totalement gratuit » 25 , mais aussi par la mise en place d’ « une technologie inédite en France »26 . Dans ce dernier cas la représentation du dispositif interactif comme gage de modernité et d’innovation est très forte et constitue même un argument marchand à elle seule. Ainsi, à travers des discours communicationnels et promotionnels, le dispositif interactif se présente dans l’imaginaire collectif comme un concept fortement connoté idéologiquement, grâce auquel les programmes télévisés se modernisent et à travers eux la télévision se réinvente en tant que média. En effet, depuis quelques années nous observons une mythification de la télévision par elle-même en tant que média de la sociabilité et de la connectivité, grâce à des stratégies et des discours communicationnels. Ce sont à ces derniers que nous allons nous intéresser désormais. 23 Site promotionnel de la série whatzeteuf.welovecinema.fr, rubrique « What ze série, Comment ça marche » _ https://whatzeteuf.welovecinema.fr/whatZeSerie.html 24 Site de l’émission « Ca vous regarde » : http://www.lcp.fr/emissions/ca-vous-regarde-le-debat 25 Page de l’émission hébergée sur le site de la chaine M6, rubrique « vidéos » http://www.m6.fr/rising_star/videos/11393256-rising_star_l_avant_premiere.html 26 Ibid
  • 38. 38 3. Des discours qui réinventent la télévision Alors que les médias informatisés, communément appelés aussi nouveaux médias, sont considérés comme les médias de l’individuation et de la personnalisation, les médias traditionnels, et notamment les médias de masse comme la télévision, sont perçus comme les vecteurs d’une culture globale et globalisante, qui appartiendrait à un autre temps et ne serait plus en accord avec les pratiques de consommation introduites par l’utilisation d’Internet et des médias informatisés. Ainsi, pour que la télévision reste attractive et que ses programmes continuent à être très suivis et à faire face à la concurrence des contenus circulant sur Internet, les acteurs de l’industrie télévisuelle doivent donner l’impression qu’ils ont compris les besoins de ces consommateurs nouvellement connectés et qu’ils mettent tout en œuvre pour s’y adapter. Cette démarche a donné lieu à une réinvention communicationnelle de la télévision via des discours qui attribuent à ce média de masse des notions habituellement associées aux médias informatisés, à savoir la participation, l’interactivité et la sociabilité. La télévision aurait donc mué, passant d’un média traditionnel à un média hybride, ce dont l’ajout récent d’adjectifs qualificatifs témoigne. Ce faisant, la télévision réussit deux tours de force, à savoir éviter l’écueil de la concurrence de médias attractifs parce que nouveaux et porteurs de promesses, mais aussi se donner une image plus positive et séduisante en cassant sa mauvaise réputation de canal de diffusion verticale, au service de la société de consommation et de ses élites. Avec l’apparition des nouveaux médias convergents sur lesquels peuvent se consommer tous types de contenus, notamment audiovisuels, et ce de manière gratuite et presque infinie, beaucoup de pessimistes prédisaient la mort de la télévision, comme ils l’avaient déjà fait au moment de l’arrivée, dans les ménages, de cette dernière qui était supposée mettre fin au règne de la radio. Cependant, bien loin d’enterrer la télévision, les médias informatisés lui ont donné un second souffle. En effet, les formats de cette dernière s’adaptant très bien aux nouvelles technologies, la télévision a su tirer partie des nouveaux espaces et des nouvelles possibilités qui se sont offerts à elle, en prolongeant ses programmes sur de seconds
  • 39. 39 écrans, grâce, notamment, à la mise en place de dispositifs utilisant les nouvelles technologies, faisant ainsi le lien entre le poste de télévision et les écrans des médias informatisés. En déplaçant une partie de son offre sur de nouveaux canaux, le petit écran tente aussi de se défaire de l’image négative qu’il traine depuis plusieurs décennies d’un média qui assomme les foules et est au service des élites. En effet, en utilisant, à travers ses dispositifs interactifs, les médias informatisés et internet, canaux de participation et de création où chacun à la possibilité de s’exprimer librement, la télévision tend à casser le préjugé selon lequel elle pousse à la passivité, et se présente comme plus horizontale et démocratique. Les dispositifs interactifs télévisuels auraient donc été créés et pensés comme des instruments stratégiques au service de l’instauration d’une nouvelle image de la télévision en tant que média hybride. Ils servent de justification au discours des producteurs et diffuseurs, se donnant à voir comme la mise en pratique des promesses communicationnelles qu’ils proposent. Dans le cas des dispositifs de notre corpus, Rising Star est celui qui a été le plus instrumentalisé dans ce sens, son discours étant clairement porté sur la réinvention de la télévision à travers l’innovation technique et la redistribution des rôles entre téléspectateurs et personnalités télévisées. La technologie utilisée ici étant présentée comme « inédite en France », c’est l’image d’une télévision moderne et audacieuse qui est véhiculée à travers elle, qui prend des risques et se renouvelle sans cesse au même rythme que les médias informatisés sur lesquelles elle s’appuie. La promotion de cette technologie comme nouvelle et inédite ne se contente pas de donner une image plus moderne du média qui l’utilise, elle contient aussi la promesse d’une nouvelle expérience pour les téléspectateurs. En effet, qui dit nouvelle technologie, dit nouvelle pratique, et dans le cas de dispositif interactif, nouvelle pratique participative. Ainsi, parce qu’il est interactif, le dispositif de Rising Star va permettre au public de participer, et parce qu’il est construit par une technologie nouvelle et innovante il va aller plus loin et mettre en scène les téléspectateurs dans l’émission, en leur accordant une place non seulement visible, mais en plus centrale, entre les candidats et les « experts ».
  • 40. 40 En valorisant la technologie utilisée, ce discours communicationnel donne donc l’impression que le public jouit d’une nouvelle liberté qui n’aurait pas été envisageable du temps de la télévision-tout-court, et qui l’est maintenant grâce à l’hybridation du média et de ses programmes. Si la mise en place d’un tel dispositif est une avancée indéniable dans le domaine du divertissement télévisuel, notons cependant que le média dans lequel il s’inscrit n’a pas tant changé que ça, ce que la construction de ce dispositif instrumental nous permet de constater. En effet, comme nous l’avons étudié précédemment, la manipulabilité technique de ce dispositif est très faible, contraignant la participation des télénautes qui, de plus, s’inscrit dans un scénario très écrit et encadré. Ainsi, ce n’est pas tant de participation dont il est question ici que d’image de la participation et de posture participative adoptée par les producteurs et diffuseurs. Le discours communicationnel accompagnant le dispositif interactif de Rising Star ne se contente pas de renvoyer l’image d’une télévision novatrice et démocratique, il promet aussi une télévision plus transparente, qui s’efface en tant qu’objet médiateur pour ne laisser place qu’à la communication directe entre les hommes : « Entre eux [i.e. les chanteurs pleins de rêves] et vous, un mur digital »27 . Disparaissent ainsi du discours les écrans, ceux de la télévision et des médias informatisés portatifs. Grâce au dispositif interactif les téléspectateurs sont directement dans l’arène, la barrière qui les séparait de leur divertissement s’effondre peu à peu. Ainsi, la télévision ne se regarderait plus mais deviendrait le lieu d’expériences médiatiques fortes, comme le souligne cette citation d’une des présentatrices de Rising Star lors de l’avant-première : « Rising star n’est pas seulement une émission qu’on regarde, c’est une émission qu’on vit »28 . Ce phénomène n’est pas nouveau. Comme le précise Yves Jeanneret dans une note écrite sur la médiation pour la Commission Nationale Française pour l’Unesco, « on ne cesse d’attribuer, depuis deux siècles notamment, à des dispositifs la capacité à permettre la communication directe entre les hommes, ces dispositifs étant toujours 27 Page de l’émission hébergée sur le site de la chaine M6, rubrique « vidéos » http://www.m6.fr/rising_star/videos/11393256-rising_star_l_avant_premiere.html 28 Ibid
  • 41. 41 nouveaux, car il est nécessaire pour le maintien de cette illusion qu’elle se renouvelle sans cesse, chaque vague d’innovation chassant l’autre. »29 La télévision, en tant que média, relèverait finalement autant de paramètres technologiques, techniques et contenus, que de discours communicationnels qui la positionnent d’une certaine manière face aux médias concurrents, et ce dans un contexte particulier. Ces discours apparaissent à divers niveaux, à travers la parole des animateurs, à travers les discours accompagnant les dispositifs interactifs qui sont eux-mêmes des instruments au service de cette posture sociale et novatrice de la télévision, ou encore à travers les adjectifs utilisés par les acteurs de cette industrie et par les journalistes pour la qualifier. Ainsi, si les adjectifs « connectée » et « sociale » restent recevables, l’un parce qu’il renvoie à la technique utilisée et aux possibilités offertes par certains postes, l’autre parce qu’il fait référence à une certaine réalité historique, la télévision ayant été depuis sa création un média de la sociabilité, le qualificatif « interactive » n’est scientifiquement pas recevable, le modèle de la télévision reposant toujours essentiellement sur la diffusion à sens unique de contenu et non sur l’échange et l’interaction. Aussi, la mobilisation du terme « interactivité » par les acteurs de l’industrie télévisuelle s’appuie-t-elle sur le flou sémantique de cette notion pour réinventer la télévision et la rendre plus attractive. En effet, « plus les entreprises médiatiques feront appellent à des techniques soi-disant interactives, plus il leur sera facile de promouvoir l’idée que ces médias seront ainsi davantage démocratiques. »30 C’est cette ambigüité de l’interactivité que nous allons dorénavant questionner afin d’en saisir un peu mieux la portée. 29 JEANNERET Yves, « Médiation » dans La « société de l’information » : glossaire critique pour La Commission Nationale Française pour l’UNESCO _ p105 http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/Glossaire_Critique.pdf 30 Ibid, p 245
  • 42. 42 C) L’interactivité : un concept promotion porté par l’imaginaire du web participatif 1. De l’ambigüité du terme « interactivité » Afin de comprendre ce qui se cache derrière ce terme très utilisé et pourtant très flou, intéressons-nous tout d’abord à la définition qui en est donnée dans l’édition 2014 du dictionnaire Hachette: « interactivité n. f. INFORM Dialogue, échange entre l’utilisateur et un programme.» Si cette définition véhiculée par le dictionnaire semble claire et simple, la mise en place d’une définition académique et scientifiquement recevable semble beaucoup plus compliquée. En effet, l’entrée dans le langage courant du terme interactivité s’étant faite avec les discours sur les médias informatisés et la télécommunication, elle relèverait avant toute chose d’une représentation sociale, une construction discursive de la réalité, ce qui expliquerait qu’elle soit imprécise pour les spécialistes qui abordent le sujet d’un point de vue technique, mais très claire et utile pour ceux qui en font la promotion et qui en sont usagers. Aussi, alors que, selon son acception commune, l’interactivité serait le pendant techniciste de l’adjectif interactif, et que l’interaction renverrait à son aspect social, celui d’une conversation engagée entre deux individus31 , tentons d’aller plus loin et de comprendre ce qui les différencie vraiment au niveau même de leurs constructions discursives et des représentations sociales qui leur sont associées. Tout d’abord, la notion d’interaction se conceptualiserait par l’idée d’une action réciproque et de même valeur. Partant du principe que pour qu’il y ait action il faut une intention et une conception conscientes du récepteur en amont, une interaction ne pourrait se produire qu’entre deux êtres vivants. En effet, la conception de la communication comme un signal-envoyé et un signal-réponse ne suffit pas selon Jacques Lacan, pour qui ce n’est pas tant le contenu du message ni son déclenchement qui sont importants pour qu’il y ait interaction, mais le fait « qu’au 31 PROULX Serge et SENECAL Michel, « L’interactivité technique, simulacre d’interaction sociale et de démocratie ? », Revue TIS (Technologies de l’Information et Société), vol. 7, n°2, avril 1995, p 239
  • 43. 43 point d’arrivée du message, on prend acte du message »32 , ce dont la machine est incapable. De plus, selon Catherine Kulnat-Ovecchioni, on aurait « toujours affaire à un système d’influences mutuelles, ou bien encore à une action conjointe » lorsque nous sommes dans une situation d’interaction33 . Cette notion ne relèverait donc pas d’une addition de réponses accolées les unes aux autres, mais d’une coprésence des entités conscientes qui co-construisent l’interaction. Ainsi il existerait des situations plus ou moins interactives selon le degré de présence des acteurs participant à la construction de l’interaction. L’interactivité, quant à elle, dans son acception technique de mise en relation discursive des hommes avec leurs machines serait une métaphore de l’interaction qui attribuerait « à la machine la capacité d’agir comme nous »34 , ou plus exactement une construction métaphorique d’une interaction basée sur le modèle homme à homme, dans la programmation de la machine. Cependant, l’interactivité étant une construction discursive découlant de sa propre réalité, et dont les pratiques diffèrent de celles associées aux situations d’interaction, elle se réfèrerait plus à un simulacre d’interaction qu’à une de ses métaphores. En effet, cette notion ne copie pas le réel, qui renverrait ici à l’interaction, mais le remplace, constituant ainsi un simulacre selon l’acception de Jean Baudrillard. Contrairement au terme interaction dont la portée est claire et cohérente au fil des définitions données par les multiples auteurs qui s’y sont intéressés, la notion d’interactivité se construit donc dans l’ambigüité car son sens est dépendant des différents discours qui l’accompagnent et lui donnent des vocations différentes selon les besoins des énonciateurs. Ainsi cette apparente réalité de l’interactivité, induite par sa construction discursive et idéologique, peut être étudiée comme argument de vente. En effet, « la rapidité avec laquelle on adjoint – dans les discours – le terme interactif à diverses techniques médiatiques, sans pour autant en donner un sens précis, indiquerait que, 32 LACAN Jacques, Le séminaire, III, Les psychoses (1955-1956), Paris, Seuil, 1981 _ p 213 33 KULNAT-OVECCHIONI Catherine, Le discours en interaction, Paris, Armand Colin, 2005 _ p 14 34 JEANNERET Yves, Y a-t-il (vraiment) des technologies de l’information ?, Presses Universitaires du Septentrion, Paris, 2007 _ 166
  • 44. 44 bien souvent, son utilisation relèverait davantage d’une astuce de vente que d’une description adéquate de la technologie mise en place. »35 L’interactivité peut aussi servir à créer une appropriation sociale de la technique, une façon de se représenter les objets et notre façon d’agir avec eux afin de construire un désir autour de ces instruments et que nous nous les appropriions. La base de la promesse ici est la garantie d’une vie sociale plus riche. Le discours, en construisant un référent qui permettra aux usagers de combler le vide qui les sépare de la technique, créé des pratiques qui finissent par normer un certain rapport au monde. L’interactivité relèverait alors de la croyance à l’idéologie relayée par le discours et dans laquelle s’inscrivent les pratiques. Le terme interactivité serait donc un référent imaginaire global dont le signifiant est vide et dans lequel chacun peut placer ce qu’il veut tant que c’est un signifié positif. Ce signifié peut être la promesse d’une plus grande démocratisation de la communication s’accompagnant d’une valorisation de l’individu dans un contexte interactif, mais aussi d'une économie de temps considérable grâce à l’efficacité maximale du dialogue homme-machine, cette dernière prenant le rôle d’assistant dans les tâches les plus diverses de la vie professionnelle ou personnelle de l’utilisateur. Cette notion ayant été utilisée au départ dans le domaine de l’informatique et s’étant démocratisée avec les discours liés aux nouvelles technologies, elle s’inscrit fortement dans le contexte du web participatif, posture idéologique liée à Internet selon laquelle les avancées technologiques du réseau permirent aux internautes, via des fonctionnalités techniques et des usages, de prendre part à la société parallèle qui se développe en ligne selon un modèle et des règles qui lui sont propres. 35 PROULX Serge et SENECAL Michel, « L’interactivité technique, simulacre d’interaction sociale et de démocratie ? », Revue TIS (Technologies de l’Information et Société), vol. 7, n°2, avril 1995, p 246