Élu en 1952, le Président Eisenhower jouit d’une grande popularité justifiée par sa carrière militaire pendant la Seconde Guerre mondiale. Sa présidence reste marquée par de multiples crises sur la scène internationale : entre 1953 et 1961, la politique étrangère des États-Unis reste presque intégralement tournée vers une véritable lutte pour l’hégémonie.
Dossier réalisé dans le cadre de la L3 Histoire et Relations Internationales de l'Université de Montpellier (Paul Valéry) en 2014, par Josselin Colletta.
17 pages
Cours — Histoire contemporaine
Note obtenue — 15/20
1. LICENCE 3 HIRISS • SEMESTRE 6 • 2013/2014
JEAN-FRANÇOIS MURACCIOLE • HISTOIRE CONTEMPORAINE
EISENHOWER
Portrait par Norman Rockwell
JOSSELIN COLLETTA • AVRIL 2014
Trente-‐‑quatrième Président des États-‐‑Unis (1953-‐‑1961)
2. EISENHOWER
Introduction
Dans une Amérique encore plongée dans le marasme coréen et
saisie d’hystérie anticommuniste, ce sont les questions de politique étrangère
et de sécurité intérieure qui jouèrent un rôle primordial dans la campagne
présidentielle de 1952. Le général-‐‑héros Dwight Eisenhower -‐‑ auquel les deux
grands partis avaient proposé d’être leur candidat et qui choisit le Grand Old
Party -‐‑ se présenta comme au-‐‑dessus de la politique des partis. Sa formule de
campagne, K1C2 identifiait parfaitement les préoccupations et les priorités des
Américains. Après sa victoire sur le démocrate Stevenson, il entre en 1
fonction le 20 janvier 1953. Le pays semble alors être à l’apogée de sa
prospérité : les États-‐‑Unis sont le plus gros producteur mondial, et leurs
grandes firmes s’organisent sur le plan international.
Le nouveau Président Eisenhower jouit d’une grande popularité
justifiée par sa carrière militaire pendant la Seconde Guerre mondiale. Texan,
né en 1890 dans une famille texane modeste, il est entré à West Point, l’école
militaire américaine, en 1911. Après avoir occupé divers postes d’état-‐‑major,
il est nommé par Roosevelt en 1942 à la tête du théâtre d’opérations
européen. C’est lui qui prépare et exécute les plans de débarquement de
novembre 1942 en Afrique du Nord et ceux de l’opération Overlord de juin
1944 sur les côtes normandes. Il dirige ensuite l’assaut contre l’Allemagne et
obtient sa capitulation en mai 1945. Il est ensuite président de l’université de
Columbia, qu’il qui_e après avoir été nommé commandant en chef des forces
de l’OTAN en 1950, mais outre ce glorieux passé, ce républicain rassure par
JOSSELIN COLLETTASUR2 19
Korea d’abord, puis le Communisme et la Corruption.1
LES ÉLECTIONS DE 1952
3. EISENHOWER
son programme qu’il définit comme un « conservatisme dynamique ». Peu
autoritaire et moins soucieux de défendre les prérogatives présidentielles que
son prédécesseur, il se considère comme un arbitre entre les différentes
tendances et adopte la politique de la « voie moyenne ». En effet, devant
l'ʹexpansion soviétique en Europe de l'ʹEst, Truman et ses conseillers en
politique étrangère adoptèrent une ligne dure contre l’URSS : Truman suivait
l'ʹopinion publique américaine qui s'ʹinquiétait d'ʹune potentielle domination
mondiale des Soviétiques. Ainsi, dès son arrivée, Eisenhower décide, avec
son secrétaire d’État John Foster Dulles, de tenter une normalisation des
rapports avec l’Union soviétique tout en restant vigilant à son égard, et
surtout il va me_re fin aux excès du maccarthysme. Aussi, 1953 marque le
commencement d’une nouvelle période dans la guerre froide, celle d’une
« stabilisation » causée par le développement rapide des techniques militaires
et la constitution de stocks de bombes à hydrogène d’un côté comme de
l’autre. La présidence d’Eisenhower reste marquée par de multiples crises sur
la scène internationale : entre 1953 à 1961, la politique étrangère des États-‐‑
Unis reste presque intégralement tournée vers une véritable lu_e pour
l’hégémonie, malgré ces efforts et des l’existence de conflits internationaux
qui échappent à la guerre froide.
!
Comment expliquer la politique menée par D. Eisenhower, qui
semble être marquée par un apparent désir d’entente avec l’URSS, alors que
la Guerre froide était à son comble et que la position des États-‐‑Unis était bien
plus dure sous H. Truman ? Si la ligne générale de sa Foreign Policy semble
annoncer une nouvelle approche, elle perpétue la formation d’alliances tout
en créant de nouveaux éléments de doctrine. À l’intérieur, il sera l’homme du
juste milieu et de la mise au ban de McCarthy.
JOSSELIN COLLETTASUR3 19
4. EISENHOWER
NEW LOOK ET THÉORIE DES DOMINOS
L’endiguement est la pierre angulaire sur laquelle toute la politique
étrangère américaine est fondée après la Deuxième Guerre mondiale. La
doctrine Truman, le plan Marshall, l’OTAN, le document NSC 68 qui définit
la politique américaine des années 1960 et 1970, en découlent. NSC 68
présente le conflit avec l’Union soviétique comme inévitable car ses objectifs
amoraux sont irréconciliables avec ceux des Américains. Les négociations,
prétend-‐‑on, sont inutiles car on ne peut se fier aux Soviétiques. Pour faire face
efficacement à la menace, il faut accroître la part du budget de défense
sensiblement. On pense que la survie des États-‐‑Unis et du monde libre en
dépend.
Dans le rapport à l’ennemi soviétique, il semble que, malgré le fait
que les années 1953 -‐‑ 1956 constituent un relatif dégel, il n’y ait pas eu de
véritable rupture avec la période précédente. La perte du monopole nucléaire
et l’expérimentation de nouvelles armes par les Russes ont plutôt pour effet
dans un premier temps de radicaliser la politique de la Maison Blanche.
Toutefois le président Eisenhower, qui avait fortement critiqué la politique de
simple « endiguement » de son prédécesseur lors de la campagne
présidentielle de 1952, n’ira pas jusqu’à appliquer les idées de certains de ses
collaborateurs, favorables au refoulement (roll-‐‑back) des Russes sur leurs
positions de départ.
De fait, après la guerre de Corée à laquelle Eisenhower met fin en
quelques mois, la politique étrangère américaine devint plus agressive et le
Département d’État commença à définir le monde en termes essentiellement
stratégiques et militaires. L’aide militaire américaine se substitua alors à l’aide
économique, la stratégie reposant sur la théorie du fil de détente‑ selon 2
laquelle toute a_aque soviétique contre un pays de l’OTAN comprenant des
troupes américaines déclencherait automatiquement une riposte nucléaire.
JOSSELIN COLLETTASUR4 19
ALINER M., PORTIS L., La politique étrangère des États-‐‑Unis depuis 2
1945, Paris, Ellipses, 2000
5. EISENHOWER
C’est en décembre 1953 que le président de l’état major des trois armes (Joint
Chiefs of Staff) Radford parla d’une nouvelle orientation (a New Look) donnée à
la stratégie américaine. Il annonça une réduction substantielle du budget
militaire, une diminution des armées conventionnelles, mais une
intensification de la fabrication des armes « scientifiques ». Et désormais, on
affirmait qu’en cas d’a_aque communiste contre un pays quelconque, les
représailles ne seraient plus cantonnées dans ce seul pays. Elles pourraient
avoir lieu n’importe où, seraient immédiates et massives -‐‑ ce qui impliquait la
menace des armes nucléaires (massive retaliation). En mars 1954, le secrétaire
d’Etat Dulles lui-‐‑même parle d’un New look diplomatique. A vrai dire, on ne
voit pas très clairement en quoi la nouvelle politique se différenciait de
l’ancienne.
Alors candidat républicain aux élections présidentielles de
novembre 1952, Eisenhower avait critiqué dans sa campagne électorale la
politique de containment du président Truman et du secrétaire d’Etat
Acheson. Élu avec Richard Nixon comme vice-‐‑président, Eisenhower choisit
comme secrétaire d’Etat l’avocat John Foster Dulles . La nouvelle équipe se 3
rend vite compte que la libération des peuples soumis à la tutelle soviétique
était impossible sans courir le risque d’une guerre générale dont personne ne
voulait. Les républicains au pouvoir se bornèrent donc à suivre pratiquement
la même voie que les démocrates. Le « New look diplomatique » adopté par
la nouvelle équipe consistera seulement en un containment renforcé, appliqué
notamment au Proche-‐‑Orient (« doctrine Eisenhower », que nous aborderons
ensuite) et complété par l’adoption d’une nouvelle doctrine stratégique, dite
des « représailles massives ». Désormais, une a_aque communiste contre un
pays quelconque entraînerait une riposte nucléaire immédiate des États-‐‑Unis
pouvant intervenir en n’importe quel point du camp socialiste.
Eisenhower considérait le prodigieux développement de la société
de consommation américaine comme un atout essentiel pour lu_er contre
l’idéologie communiste. Cependant, ce_e perspective plus économique d’une
JOSSELIN COLLETTASUR5 19
Principal négociateur américain pour le traité de paix avec le Japon.3
6. EISENHOWER
compétition mondiale ne modifia pas la stratégie politique car tous les
problèmes, en Europe comme en Asie, semblaient liés. Ce_e vision toujours
monolithique du communisme international se vérifia dans la fameuse
« théorie des dominos » exposée par le président dans une conférence de
presse en avril 1954. Prenant comme exemple le Sud-‐‑Est asiatique,
Eisenhower souligna le risque que la chute d’un seul domino, en l’occurrence
l’Indochine, n’entraîne une réaction en chaîne, une « désintégration » aux
conséquences « incalculables pour le monde libre ». Au final, même s’il lance
le 8 décembre 1953 le programme Atoms for Peace visant à développer,
nationalement et internationalement, les usages pacifiques de l'ʹénergie
atomique, Eisenhower ne fit guère avancer les négociations sur le contrôle des
armes nucléaires , le gouvernement américain, comme les Soviétiques 4
d’ailleurs, cherchant surtout à marquer des points de propagande auprès de
l’opinion publique mondiale.
Au contraire, la politique d’Eisenhower est bien moins tournée vers
la coexistence pacifique qu’il n’y paraît. En effet, en bonne application du vieil
adage Civis pacem para bellum, Eisenhower s’efforce de nouer des alliances.
JOSSELIN COLLETTASUR6 19
Malgré ses efforts affichés devant l’ONU : « Against the dark background of the 4
atomic bomb, the United States does not wish merely to present strength, but also the desire and
hope for peace. »
7. EISENHOWER
RENFORCEMENT DES ALLIANCES
L’émergence d’une « troisième force », formée par les pays
décolonisés d’Afrique, du Moyen-‐‑Orient, d’Asie et même d’Amérique latine,
a focalisé la confrontation entre les a États-‐‑Unis et l’Union soviétique. Les
différents gouvernements américains réagirent à ce_e nouvelle donne en
créant donc des systèmes d’alliances militaires qui avaient une double
fonction : d’abord encercler l’Union soviétique de bases militaires, ensuite
englober des Etats dans un système de dépendance économique et financière
de manière influencer leur politique intérieure. La création de l’Otan en 1949
en fut le modèle.
Tout comme les démocrates, Eisenhower et Dulles essayèrent de
renforcer les alliances des États-‐‑Unis. L’une des solutions envisagées depuis
1950 était de réarmer l’Allemagne occidentale. Elu en novembre 1952, la
réalisation de la CED était un point essentiel de son programme et même une
sorte d’obsession. La conférence de presse de Dulles en décembre 1953 le
montre bien : il y déclare qu’au fond le vrai but américain n’était pas de
réarmer l’Allemagne mais de « créer une situation qui perme_e aux nations
occidentales de cesser ce_e lu_e de suicide où elles se sont engagées au cours
de ces derniers siècles, créer une situation qui rende impossible le suicide de
la France et de l’Allemagne par une guerre entre les deux nations ». La
Communauté européenne de défense (CED) était un projet de création d'ʹune
armée européenne, avec des institutions supranationales, placées sous la
supervision du commandant en chef de l'ʹOTAN, qui était lui-‐‑même nommé
par le président des États-‐‑Unis. Dans le contexte de la Guerre froide, le projet,
qui est esquissé en septembre-‐‑octobre 1950, ne devient un traité, signé par 6
États, que le 27 mai 1952. Ratifié par la République fédérale d'ʹAllemagne, la
Belgique, le Luxembourg et les Pays-‐‑Bas, le traité instituant la CED sera rejeté
par l'ʹAssemblée nationale française le 30 août 1954 par 319 voix contre 264. À
l'ʹorigine, ce projet de CED fut le résultat d'ʹune exigence américaine largement
appuyée par l’administration Eisenhower. Le rejet de la CED par la France
JOSSELIN COLLETTASUR7 19
8. EISENHOWER
créa un mécontentement sérieux aux États-‐‑Unis et chez les autres puissances
signataires. Ce_e même année 1954, les États-‐‑Unis renforcèrent et étendirent
encore leur réseau d’alliances anticommunistes en élaborant des projets de
défense régionale au Moyen-‐‑Orient (CENTO) et dans le Sud-‐‑Est asiatique
(OTASE). Ainsi, Eisenhower était bien dans la lignée républicaine en
politique étrangère : démontrer la volonté des États-‐‑Unis d’être partout, de
contrer le communisme perçu comme seule véritable menace à l’ordre
international.
Les États-‐‑Unis, déjà alliés dans le Pacifique avec les Philippines, le
Japon et la nouvelle Zélande depuis 1951, s’efforcèrent, sous l’administration
Eisenhower, d’étendre ce système à l’Asie continentale. Cela était lié à la
nécessité de conclure des armistices en Corée et en Indochine, de même
qu’aux prédilections asiatiques de Dulles. Le 1er octobre 1953, traité de
défense mutuelle entre les États-‐‑Unis et la Corée du Sud ; 19 mai 1954, traité
d’assistance et de défense mutuelle États-‐‑Unis-‐‑Pakistan ; le 2 décembre 1954,
pacte de défense mutuelle États-‐‑Unis-‐‑Chine nationaliste, notamment pour la
défense de Formose. Plus important, par son caractère collectif, est le traité de
Manille du 8 septembre 1954. Ce « traité de défense collective pour l’Asie du
Sud-‐‑Est » était en quelque sorte la réaction américaine, face aux concessions
faites à la conférence de Genève à propos de l’Indochine. Il groupait les États-‐‑
Unis, la France, le Royaume-‐‑Uni, l’Australie, la Nouvelle-‐‑Zélande, les
Philippines, le Pakistan et la Thaïlande. Ce pacte, imité du Pacte atlantique,
était essentiellement une alliance. En effet il prévoyait qu’en cas d’agression
armée contre l’un des signataires, les puissances feraient face commune et se
consulteraient en cas de menace. Mais les États-‐‑Unis, dans une déclaration
spéciale, ne s’engagent à intervenir qu’en cas d’agression communiste.
En 1957, le lancement par l’URSS du satellite Spoutnik surprend le
monde occidental. La surprise est d’autant plus grande que les Américains
avaient sous-‐‑estimé leurs rivaux dans la course à l’armement et dans la
conquête de l’espace et qu’ils considéraient volontiers les Soviétiques comme
des paysans un peu a_ardés. Eisenhower renforce alors la politique de
défense et accélère le développement des missiles intercontinentaux, définit
JOSSELIN COLLETTASUR8 19
9. EISENHOWER
la doctrine Eisenhower et engage le pays dans un programme spatial très
ambitieux.
Les États-‐‑Unis étaient constamment préoccupés par les risques de
révolution communiste dans les pays sous-‐‑développés de l’Amérique latine.
De nombreux éléments rendaient instables une zone où les États-‐‑Unis étaient
en général considérés avec suspicion. On accusait les riches yankees
d’exploiter à leur profit l’Amérique latine. L’exemple le plus remarquable de
l’anticommunisme des États-‐‑Unis nous est fourni par l’affaire du Guatemala.
Le communisme y fit son apparition dans les années 1940. C’est en 1954 que
Castillo Armas opère son coup d’état, très largement poussé par les États-‐‑
Unis . De plus, les États-‐‑Unis agirent pour rendre inefficace l’appel au Conseil 5
de sécurité et Dulles se réjouit publiquement de la défaite du colonel Arbenz.
La dixième conférence interaméricaine est réunie à Caracas en mars
1954.Seul le Costa Rica en était absent. Au début de la session, Dulles proposa
de voter une résolution anti-‐‑communiste plus ne_e que celle qui avait été
adoptée à Bogota. Il obtint gain de cause par 17 voix contre 1 (celle du
Guatemala, le ministre des Affaires étrangères guatémaltèque voyait dans
ce_e résolution l’internationalisation du maccarthysme), mais dans bien des cas
le vote des Latinos-‐‑Américains, inquiets de donner un prétexte à une
intervention des États-‐‑Unis, fut plus résigné qu’enthousiaste.
!
JOSSELIN COLLETTASUR9 19
Au début des années 1990, les chefs de la CIA ont officiellement reconnu 5
l’existence de onze opérations secrètes de ce genre pendant la Guerre froide, y compris au
Guatemala.
10. EISENHOWER
La doctrine Eisenhower
À son retour au State Department après avoir été malade quelques
temps, Dulles élabora avec le président une tactique nouvelle : le 5 janvier
1957, le Président proposa au Congrès le vote d’une résolution conjointe sur
le Moyen-‐‑Orient, connue sous le nom de « doctrine Eisenhower ». Ce_e
résolution donnait au président le pouvoir d’intervenir en cas d’a_aque
communiste « directe » sur un pays du Moyen-‐‑Orient, ainsi que le droit de
distribuer aux pays arabes qui accepteraient la doctrine Eisenhower, une aide
économique de 200 millions de dollars.
Ainsi, c’est avec Eisenhower que l’Iran est devenu un allié majeur
des États-‐‑Unis, en recevant d'ʹénormes aides économiques et militaires.
Eisenhower fut un des premiers présidents à traiter avec le Shah en tant que
client important du complexe militaro-‐‑industriel américain. Cependant,
Eisenhower ne cédait pas à toutes les demandes du Shah en matière
d’équipement militaire, exhibant un réel scepticisme à l’égard des menaces
soviétiques rapportées par le Shah et sur lesquelles les requêtes iraniennes
étaient basées. Dans bien des cas, Eisenhower rejeta les demandes du Shah en
équipement, dans d’autres il le fournit pour moins que ce qui avait été
demandé. En réalité Eisenhower voyait le Shah comme un rouage majeur
dans sa politique de containment en Asie du Sud-‐‑Ouest : ce dernier affirme
publiquement être favorable au coup d’état anglo-‐‑américain effectué contre le
premier ministre Iranien Mohammad Mossadeq en 1953. Sous
l’administration Eisenhower, l’Iran rejoint le pacte de Bagdad, un accord de
sécurité collective conçu encore une fois par John Foster Dulles comme une
méthode d’endiguement du bloc communiste. Ainsi, l’Iran et autres états
amis du Moyen Orient se voyaient assurés d’une aide militaire américaine
dans le cas d’une a_aque soviétique, voire même de toute forme d’ingérence
communiste.
Les démocrates reprochèrent à ce_e doctrine son insuffisance, et le
fait qu’elle se bornait à la défense anticommuniste, ne réglant en rien les
JOSSELIN COLLETTASUR10 19
11. EISENHOWER
problèmes essentiels : sécurité d’Israël, canal de Suez, passage des navires
israéliens dans le golfe d’Akaba. Néanmoins, les États-‐‑Unis remportèrent des
succès diplomatiques en écartant de Nasser l’Arabie Saoudite, puis la
Jordanie où le roi Hussein opéra son coup d’État avec leur appui déclaré. La
VIe flo_e américaine, pour protéger Hussein, fit une démonstration
spectaculaire en Méditerranée orientale, et l’URSS ne réagit pas. Les relations
internationales se trouvent alors dans une situation complexe. Les États-‐‑Unis
s’appuyaient sur le pacte de Bagdad, la Jordanie et l’Arabie Saoudite ; l’URSS
sur l’Egypte et la Syrie qu’elle fournissait en armes. Les troupes syriennes
avaient dû, en mai 1957, évacuer le nord de la Jordanie. Le résultat capital de
l’affaire de Suez fut l’élimination quasi totale des influences française et
britannique de ce_e région clé. Les deux grandes puissances étaient
désormais face à face.
Ce_e doctrine Eisenhower avait largement échoué. L’opinion
publique arabe, généralement favorable à Nasser, avait poussé les
gouvernements à refuser l’aide américaine. L’Irak, le Liban, la Jordanie
étaient les seuls Etats arabes du Moyen-‐‑Orient à pratiquer une politique
favorable aux États-‐‑Unis. Dulles essaya de constituer un groupe comprenant
la Turquie (membre de l’OTAN), la Jordanie et l’Irak. La Syrie semblait donc
encerclée par un groupe d’états sous influence américaine. Mais en 1958, des
révoltes perturbent ce_e donne géopolitique. Le roi d’Irak et sa famille sont
tués le 14 juillet 1958 et un nouveau gouvernement est constitué sous les
ordres du général Qassim. Les communistes sont libérés de prison, et l’Irak
proclama sa neutralité dans la guerre froide. C’était un véritable coup dur
porté à la politique d’Eisenhower et de Dulles.
En fait, la crise fut de courte durée. Les Anglo-‐‑Saxons voulaient
qu’elle soit réglée par le Conseil de sécurité des Nations Unies. Khrouchtchev
suggérait une réunion de tous les Etats arabes intéressés. Le conflit fut résolu
lorsque, le 21 août, aux Nations Unies, tous les pays de la Ligue arabe
proposèrent une résolution suivant laquelle le Moyen-‐‑Orient devait être tenu
à l’écart des querelles entre les grands. Ce_e résolution fut acceptée à
l’unanimité y compris la voix d’Israël. Les États-‐‑Unis évacuèrent leurs
JOSSELIN COLLETTASUR11 19
12. EISENHOWER
troupes du Liban et purent constater dans les années suivantes que
l’influence communiste en Irak était beaucoup moins forte qu’ils ne l’avaient
redouté. Au total, on peut dire que ce_e crise avait démontré la volonté
américaine de ne voir aucun pays arabe passer sous influence communiste
directe, mais en même temps, la volonté des Arabes de détendre, le cas
échéant, leurs liens avec l’Occident.
En fin de compte, la politique étrangère d’Ike ne diffère de celle de
Truman que par sa rhétorique. On peut dire que sa chance fut d'ʹavoir
maintenu son pays à l’abri de la guerre pendant huit ans. C’est ce souvenir
que l’histoire veut retenir des deux mandants d’Eisenhower.
JOSSELIN COLLETTASUR12 19
13. EISENHOWER
LA SITUATION INTÉRIEURE
Les succès américains à l’extérieur tendent à faire oublier la
performance d’Eisenhower sur le plan intérieur, où il faut organiser la
reconversion de l’économie américaine après la guerre et assurer des
conditions favorables à la paix sociale.
Lorsque les républicains reviennent au pouvoir, vingt ans après
Hoover, le pays est en pleine croissance industrielle et offre une image de
prospérité et de stabilité que viennent confirmer la fin de la guerre de Corée
et la disparition du maccarthysme. En écho aux années 1920, les années 1950
vont prendre valeur de symbole et signifier une sorte d’âge d’or, un Eden qui
renforce l’a_ractivité mythique des États-‐‑Unis. En réalité, entre 1953 et 1960,
les Américains vivent une parenthèse heureuse, enfin libérés de leurs anxiétés
et pas encore assaillis par les doutes, la contestation. Généralement, les
électeurs ont confiance dans leur partis politiques et restent fiers d’une
démocratie qui fonctionne bien. C’est dans ce contexte de sérénité
qu’Eisenhower est porté à la présidence. Son charisme est celui d’un
Roosevelt voire d’un Reagan, et sa cote de popularité reste aussi haute à la fin
de ses deux mandats que lorsqu’il les débute.
Comme l’indique le slogan publicitaire I like Ike, Eisenhower incarne
une politique nouvelle et le nouveau président forme un gouvernement
modéré, conservateur et prudent composé d’industriels, de financiers et
d’hommes d’affaires. Choisi par Wall Street, il est soutenu par les milieux
d’affaires et la grande finance de New York.
Alors qu’il dispose de Foster Dulles pour sa politique étrangère
jusqu’en 1959, il compte sur son grand conseiller Sherman Adams pour les
affaires courantes. Il s’appuie largement sur le secteur privé, et notamment
Charles Wilson l’ancien président de General Motors devenu secrétaire à la
Défense, et qui acquit une certaine notoriété en déclarant « Ce qui est bon pour
les États-‐‑Unis, est bon pour General Motors et vice versa ».
JOSSELIN COLLETTASUR13 19
15. EISENHOWER
La volonté du président est de suivre la ligne d’un « conservatisme
progressiste ou dynamique » ou bien encore d’un « progressisme modéré ». 6
C’est sur ce programme qu’il assure sa réélection de 1956, malgré sa première
crise cardiaque de septembre 1955. Là encore, la forte personnalité du
président lui permet d’obtenir une victoire écrasante sur le même adversaire
démocrate qu’en 1952, ce_e fois avec 35 millions de voix soit 57% des
suffrages.
Le second mandat d’Eisenhower débute le 20 janvier 1957 et
confirme les décisions prises pendant le premier mandat. Eisenhower suit
une ligne centriste qui fait de lui le champion de la modération et du juste
milieu. « Il lui est plus aisé de collaborer avec les démocrates qu’avec certains
républicains ultra-‐‑conservateurs » écrit l’historien Albert Desbiens. Le président
fait tout pour rapprocher les deux partis afin de constituer un gouvernement
au centre. C’est bien ce côté non partisan qui frappe chez Eisenhower : il est le
premier président depuis John Quincy Adams à se situer ainsi au-‐‑dessus de
la mêlée. En apparence, ses détracteurs le disent hésitant ou timoré, mais c’est
plutôt la prudence qui dicte sa conduite lucide. Eisenhower a le souci de
prendre un profil bas en me_ant en avant ses collaborateurs qui lui servent
d’écran protecteur, mais c’est bien lui qui est à l’origine de la plupart des
décisions.
Ses deux mandats sont donc marqués par le vote de mesures qui
prolongent celles adoptées pendant le New Deal ou le Fair Deal (Truman) : en
1954, la sécurité sociale est à nouveau étendue à 10 millions d’Américains;
une loi de 1955 prévoit de nouvelles constructions sociales. Le gouvernement
républicain s’a_aque d’autre part au problème agricole, momentanément
résolu pendant la guerre et qui resurgit rapidement : la production dépasse
largement les besoins ; le revenu agricole ne cesse de se détériorer. Une loi de
1954 prévoit le soutien des prix, l’ajustement de l’offre à la demande et
surtout une vigoureuse politique d’expansion des exportations agricoles.
JOSSELIN COLLETTASUR15 19
ROBERT F., L’histoire américaine à travers les présidents américains et leurs discours d’investiture (1789 -6
2001), Paris, Ellipses, 2001
16. EISENHOWER
Dans le domaine financier, le discours sur la rigueur est de mise.
L’intervention gouvernementale a pour objectif essentiel de créer la stabilité
économique dont les hommes d’affaires seront les premiers à profiter. Les
Américains ne peuvent pas espérer une réduction des impôts ou du budget
car le président souhaite s’a_aquer plutôt à réduire la de_e et il ne manque
pas de rappeler qu’il faut se préparer à faire des sacrifices et à traverser des
moments difficiles.
!
Le climat international déstabilise les Américains : en 1949, les
Soviétiques percent le secret atomique, la Chine tombe aux mains des
communistes, la guerre de Corée éclate l’année suivante. Les affaires de
trahisons éclatent : les Rosenberg, l’affaire Hiss, le cas Oppenheimer. En 1949,
le secrétaire à la Justice déclare qu’il y a des communistes partout, dans les
usines, les bureaux, les boucheries, au coin des rues et que chacun représente
une menace mortelle pour la société américaine. Sous l’égide du sénateur
républicain Joseph R. McCarthy, les États-‐‑Unis vont connaître une obsession
anticommuniste, amenant à une chasse à la sorcière parfois appelée Red Scare.
En 1950, il prononce un discours où il prétend détenir une liste de 205 noms
de communistes travaillant au département d’État. Diverses commissions du
Congrès tiennent des dizaines d’enquêtes sur la subversion communiste. Le
Communism Control Act (1954) frappe le Parti communiste d’un système
d’obligations discriminatoires et lui interdit pratiquement toute activité.
Pourtant, les excès mêmes du maccarthysme finissent par déconsidérer le
mouvement : le 2 décembre 1954, McCarthy est publiquement blâmé par ses
pairs au Sénat.
On a souvent reproché à Eisenhower son indulgence coupable voire
sa mollesse à l’égard de McCarthy. Il n’a rient fait en tout cas pour le réduire
au silence. Plusieurs raisons semblent avoir motivé sa conduite. Il y a déjà le
fait qu’il ne voulait pas accroître la publicité faite autour de cet homme dont
la crédibilité était renforcée par les médias. Aussi, certains historiens pensent
que dans le fond, le président partageait les mêmes convictions sur la
nécessité de lu_er contre le péril communiste même à l’intérieur du pays. Il
JOSSELIN COLLETTASUR16 19
17. EISENHOWER
semble aussi qu’il ait eu une sorte d’accord tacite entre les deux hommes pour
tolérer les agissements de McCarthy à condition que le Parti républicain soit
épargné.
!
Le dernier volet intéressant et novateur de la politique d’Eisenhower
fut d’avoir engagé une série de grands travaux sur crédits républicains qui
ont eu pour effet de créer des emplois et de moderniser le système de
transport du pays. En mai 1954, la décision est prise de réaliser avec le
Canada la construction de la voie navigable reliant le Saint Laurent aux
Grands Lacs, appelée the St Lawrence Seaway. La mise en valeur du Saint-‐‑
Laurent permet aux gros navires d’avoir accès aux Grands Lacs et le grand
canal et ouvert à la navigation en avril 1959. Un grand programme de
construction permet enfin la mise en chantier de 65 000 km d’autoroutes, un
des plus grands jamais entrepris, et qui aura pour effet un essor nouveau
donné à l’industrie automobile.
Sous sa Présidence, l’Alaska entra dans l’Union le 3 juillet 1959
comme 49e
État, et le 21 août 1959, Hawaï fit de même, devenant ainsi le 50e
État de l’Union. Sa présidence marque un relatif effacement du Congrès,
contrait de laisser les coudées franches à un président puissant et garant du
bien être des Américains. Républicain modéré et pragmatique, il aura mené
sur le plan intérieur une politique du juste milieu.
!
JOSSELIN COLLETTASUR17 19
18. EISENHOWER
Conclusion
Eisenhower, général vénéré, acteur majeur de la Guerre froide mais
président parfois sous-‐‑estimé par l’histoire américaine, qui_e la Maison
Blanche en janvier 1961. Il meurt le 28 mars 1969 sans avoir la satisfaction de
voir la prouesse que réalise la NASA, organisme qu’il a contribué à créer, en
envoyant quelques mois plus tard le premier homme sur la Lune.
La conjoncture oblige à faire de la politique étrangère une priorité
de l’exécutif et, épaulé par son chef de la diplomatie, John Foster Dulles,
Eisenhower parvient à préserver les États-‐‑Unis d’une nouvelle guerre tout en
s’impliquant non ouvertement là où les intérêts américains sont menacés.
Sous son apparence d’homme tranquille, Eisenhower a su pratiquer une
politique ferme et efficace, que certains décrivent par l’expression de hidden-‐‑
hand presidency. En fin de compte, la politique étrangère qu'ʹaura mené
Dwight David Eisenhower est une politique de fermeté afin de faire reculer la
zone d’influence soviétique. Ces années passées à la Maison Blanche ont
montré Eisenhower dans sa qualité d’homme pragmatique qui, contrairement
l’apparent désir d’entente avec l’URSS que nous évoquions au début de notre
réflexion, va tout faire pour gagner le conflit avec le camp communiste.
L'ʹAmérique vient de vivre avec Eisenhower huit années
d'ʹadministration républicaines considérées comme décevantes par l'ʹopinion
aussi bien sur le plan économique (faible croissance, chômage, inflation, crise
du dollar) que sur le plan extérieur où une baisse du prestige des États-‐‑Unis
est ressentie principalement en raison du lancement du Spoutnik soviétique.
Avec le jeune et dynamique président démocrate John Fi•gerald Kennedy,
l'ʹAmérique « change de génération » et se lance à la conquête de ce qu'ʹil
appelle la « nouvelle frontière », c'ʹest-‐‑à-‐‑dire de tous les obstacles qui
empêchent les États-‐‑Unis d'ʹaffirmer leur supériorité économique et technique
et d'ʹêtre reconnus comme leader du monde occidental.
JOSSELIN COLLETTASUR18 19
19. EISENHOWER
BIBLIOGRAPHIE
!
ALINER M., PORTIS L., La politique étrangère des États-Unis
depuis 1945, Paris, Ellipses, 2000
DESBIENS A., Histoire des États-Unis des origines à nos jours, Paris,
Nouveau Monde, 2012
DUROSELLE J.-B., KASPI A., Histoire des relations internationales
(tome 2, de 1945 à nos jours), Paris, Armand Colin, 2009
(réed.)
HUNT M., Ideology and US Foreign Policy, New Haven, Yale UP,
1987
KASPI A., ARTAUD D., Histoire des États-Unis, Paris, Armand
Colin, 1991
MELANDRI P. La politique étrangère des États-Unis de 1945 à nos
jours, Paris, PUF, 1982
MILZA P., BERSTEIN S., Histoire du XXe siècle (tome 2, 1945 ‐
1973, le Monde entre guerre et paix), Paris, Hatier, coll. Initial,,
1994
NOUAILHAT, Y.-A., Les États-Unis et le monde au XXe siècle,
Paris, Colin, 1997
ROBERT F., L’histoire américaine à travers les présidents américains et
leurs discours d’investiture (1789 - 2001), Paris, Ellipses, 2001
ZINN H. A People’s History of the United States, New York,
Harper & Row, 1980
JOSSELIN COLLETTASUR19 19