Dans un premier temps, cette conférence présentera les contours d'un programme de recherche qui vise à contribuer à l'avancement des connaissances sur les usages des dispositifs socionumériques, en interrogeant, sous l'angle des temporalités, la reconfiguration des identités professionnelles dans les métiers de la communication. Plusieurs études de cas permettront d'illustrer ces axes de recherche. Dans un second temps, la problématique de la fragilité des usages et de l'instabilité des dispositifs (les deux optiques étant indissociables) sera précisée. Trois notions sont proposées afin d'élargir le cadre conceptuel nécessaire pour analyser les phénomènes sociotechniques non stabilisés. Il s'agit d'intégrer la dimension négative de la plasticité, de concevoir l'instabilité comme un état durable et de penser la fragilité comme une richesse. Cette proposition d'une approche dynamique des usages numériques souhaite participer à la définition d'une troisième topique des approches d'usages.
Pour une approche dynamique des usages numériques : vers un cadre conceptuel
1. Pour une approche dynamique des usages
numériques : vers un cadre conceptuel
Jean-Claude DOMENGET
Elliadd, Université de Bourgogne Franche-Comté
20 janvier 2017 – Québec
Document diffusable et modifiable sous licence copyleft - GFDL
2. Mon programme de recherche
● Un questionnement sur les enjeux épistémologiques et théoriques des approches d'usage dans un
contexte professionnel
– Séminaire UDSN (2012-2015)
– Prise en compte d'une dimension critique (Coutant, Domenget, 2011, 2013)
– Cadre épistémologique d'analyse des DISTIC (Coutant, Domenget, 2014)
● Une mise en lumière des reconfigurations identitaires professionnelles
– Réseau Resiproc
– Professionnalisation des référenceurs (Domenget, Michel, 2014; Domenget, Sire, à paraître)
– Métiers de la communication bouleversés par le numérique (Coutant, Domenget, 2015)
● Un angle d’analyse privilégié : l'approche temporaliste des usages
– Propositions d'une analyse temporaliste de la formation des usages (Domenget, 2013, 2014; Domenget et Latzko-
Toth, 2015)
– Principes d'analyse des temporalités du Web (Domenget, 2015)
– Axe « Penser le temps et les temporalités : théories et méthodes » (Congrès de la SFSIC, 2016)
● Une prise en compte du « tournant du numérique »
– Un nécessaire dialogue entre SIC, Humanités numériques et Digital Studies (Bonaccorsi, Carayol, Domenget, 2016)
– Un questionnement éthique sur la recherche à l'ère des Digital Studies (Domenget et Wilhelm, à paraître)
Domenget – Pour une approche dynamique des usages numériques 2
3. Axe 1 : Usages professionnels des
médias socionumériques
● Définition : Par usages professionnels des médias socionumériques, j'entends des usages de
dispositifs d’information et de communication permettant de réaliser des activités liées au
travail et répondant à des significations sociales participant à la définition d’une identité
professionnelle (Domenget, 2015).
● Un cadre épistémologique d'analyse des DISTIC (Coutant, Domenget, 2014)
– Avoir une vision complexe de l'objet à construire, de situer l'apport de la recherche vis-à-vis de phénomènes en
cours de stabilisation et de proposer une approche communicationnelle des DISTIC.
– « Faire discuter » trois courants de recherche complémentaires : ceux sur les usages, ceux sur les dispositifs et
ceux proposant une approche sociotechnique.
– Analyser les phénomènes sociotechniques non stabilisés
● Un nécessaire renouvellement du cadre conceptuel
– Plasticité, instabilité, fragilité
– Vers une 3ème topique des approches d'usages
● Études de cas
– Usages professionnels sur Twitter (2012)
– Analyse sociologique des médias socionumériques (2014)
– Figures d'usagers de Twitter (2015)
Domenget – Pour une approche dynamique des usages numériques 3
4. Étude de cas 1 : Analyse sociologique des médias
socionumériques
●
Objectif : Préciser la problématique de l'instabilité des dispositifs numériques, en analysant les évolutions de leurs
architectures techniques et des formes d'interactions sociales qu'ils prescrivent (Proulx, 2012) (Cf les critères
d'analyse de Di Gangi et Wasco, 2009)
● Résultats : Des dispositifs qui sont devenus des systèmes de recommandation (Domenget, Coutant, 2014) renforçant
une prescription ordinaire des usages (Stenger, Coutant, 2009).
● Pourtant, ils donnent leu à des formes d'interactions très différentes :
– la prescription ordinaire et la gestion des relations d'amitié sur Facebook (à travers le modèle de la timeline)
– la mise en visibilité de soi par un mélange des informations personnelles et professionnelles sur Twitter (exemple
d'un dispositif instable)
– la promotion de soi autour de ces centres d'intérêt pour alimenter le système de recommandation sur Linkedin
– le maintien d'un lien au sein de collectifs sur les forums privés (le classement des contenus)
– ou encore la prise en compte des régimes temporels et d'attention (la quotidienneté, l'actualité, la continuité, la
synchronie, etc.) lors des usages de ces dispositifs.
A
Domenget – Pour une approche dynamique des usages numériques 4
5. Axe 2 : Reconfigurations des formes
identitaires professionnelles
●
2 problématiques complémentaires
– Les enjeux de la construction d'une identité professionnelle numérique
Que signifie « être un professionnel de la communication » à l'ère numérique?
Cf Crise des identités (Dubar, 2010)
Notions de visibilité, e-réputation, autorité, public, collectifs dans un contexte professionnel
– La professionnalisation des métiers de la communication
Cf concept de professionnalisation (Boussard, Demazière, Milburn, 2010)
Le communicateur bousculé par le numérique (Coutant, Domenget, 2015)
Ethique et déontologie dans la professionnalisation des communicateurs (Maas, Catellani,
Domenget, 2016)
●
Études de cas
– Les modalités de construction de l'e-réputation sur Twitter (2013)
– La dimension collective de la fabrication de l'autorité lors d'un live tweeting (2016)
– Formation et trajectoires professionnelles des référenceurs (2013, 2015)
Domenget – Pour une approche dynamique des usages numériques 5
6. Étude de cas 2 : le live tweeting comme moment
particulier de fabrication de l'autorité
●
Objectif : Au-delà des questions « qui mentionne qui ? », « qui retweete qui ? » autant que « qui retweete quoi ? », existe-t-il
une ambition de la part des acteurs de travailler l'autorité non seulement à un niveau individuel mais aussi au sein de
collectifs ? Dans ce cas, quels peuvent être les recoupements observables entre collectifs, groupes informels et publics dans
les modalités de fabrication de l'autorité ?
●
Résultats : le live tweeting d'un événement professionnel est moins un moment de fabrication de l’autorité qu'un moment de
reproduction de formes d'autorité existantes.
Cette reproduction de l'autorité s'appuie peu sur des groupes au sein du réseau complet présent lors de l'événement.
Elle va plutôt jouer sur un mécanisme de circulation de l'autorité entre acteurs.
●
Discussion : Ces résultats, illustrant la dimension hybride des formes
d'autorité cognitive, informationnelle et calculée.
En fonction du type de collectifs
et en fonction du niveau d'appropriation
de Twitter au sein de leurs
« trajectoires d'usage » de dispositifs
de réseautage.
A
Domenget – Pour une approche dynamique des usages numériques 6
Graphe filtré de mentionsEx de tweet mixant autorités énonciatives et de contenu
7. Axe 3 : Les temporalités en
information-communication
●
La question des temporalités reste une thématique embryonnaire dans les études en information-communication
●
Plusieurs principes pour analyser les temporalités des phénomènes info-communicationnels
– Un nécessaire passage d’un objet abstrait de réflexion philosophique, le temps, à un ensemble d’objets scientifiques concrets,
quantitatifs et qualitatifs, différenciés selon des échelles et des significations déterminées : les temporalités.
– L'intérêt de s'appuyer sur un vocabulaire « temporaliste » qui serait importable vers les SIC (couples antinomiques de valeurs
ou de qualificatifs en relation avec les temporalités, et « grammaire des temporalités »).
– La mise en place d'une méthodologie qui permet de questionner, contextualiser, voire critiquer le large consensus autour de la
généralisation de la temporalité de l'urgence et de l'accélération sociale,
– Plusieurs pistes de recherche sur les temporalités en SHS qui pourront être reprises pour l'analyse de celles en SIC.
●
Études de cas
– Les temporalités des formes de déconnexion de Twitter (2014)
– Les temporalités de la reconnaissance d'expertise sur les médias socionumériques (2015)
Domenget – Pour une approche dynamique des usages numériques 7
8. Étude de cas 3 : les temporalités des formes de
déconnexion de Twitter
● Objectif : Analyser les formes de déconnexion volontaire que les professionnels de la
visibilité s'autorisent sur Twitter, sous l'angle des temporalités
● Résultats : les formes de déconnexion volontaire ne peuvent être que partielles,
ponctuelles, provisoires voire cachées
Des tensions fortes entre des cadres temporels rigides, une culture temporelle marquée
par le « culte de l'urgence » et une capacité à réussir son équation temporelle
personnelle, vers un idéal de milieu temporel souple, changeant, modifiable.
Trois figures d'usagers sont distinguées,
et fonction de leur manière de résoudre
leur équation temporelle personnelle
et des formes de déconnexion volontaire
qu'elles privilégient
Domenget – Pour une approche dynamique des usages numériques 8
9. Axe 4 : Le « tournant » du
numérique
● Une problématique qui traverse les recherches entreprises / usages,
reconfigurations identitaires professionnelles, temporalités
● L'observation des transformations de la circulation des savoirs et de la
communication par le numérique est au cœur des SIC
● Les big data/les thick data comme autre mondes de données, nécessitant de
nouvelles méthodes
● Réflexions
– Le nécessaire dialogue entre SIC, HN et DS (2016)
– Le séminaire « culture du numérique et éthique de la médiation » (2015 - …)
– Proposition dans le manifeste pour un positionnement des SIC vis-à-vis des
DS et autres mutations numériques (Paquienséguy, 2017)
Domenget – Pour une approche dynamique des usages numériques 9
10. Proposition : un nécessaire questionnement éthique
sur la recherche à l'ère des Digital Studies
● Un questionnement de l'éthique des pratiques de recherche
● Un champ de réflexion autour de l'éthique de la recherche en ligne (Latzko-Toth,
Pastinelli, 2013; Latzko-Toth, Proulx, 2013)
● Les pratiques des institutional review board (IRB) et des associations
professionnelles (ex : AOIR)
● Une position française différente? (Cf la charte nationale d'intégrité scientifique)
Questions sous-jacentes : l’autonomie du chercheur, le rôle des associations
professionnelles, l’intégrité scientifique, le dispositif de consentement éclairé, la
nécessaire réflexion déontologique, la portée normative des chartes, le pouvoir
de contrôle social des comités, etc. peuvent toutes être abordées sous l’angle
d'une approche comparée.
● Pour une analyse culturelle des questions d’éthiques de la recherche liée au
numérique, en prenant en compte la diversité des situations.
Domenget – Pour une approche dynamique des usages numériques 10
11. Une analyse dynamique des
usages?
● Un nécessaire changement conceptuel?
– De la continuité, la reproduction, la filiation des usages
– À la plasticité, l'instabilité, la fragilité des usages
●
Usages des dispositifs socionumériques de communication
– Plus que les médias socionumériques, les médias numériques à support logiciel (Latzko-Toth, 2014)
●
Vers une 3ème
topique des approches d'usages?
Cf Jauréguiberry et Proulx, 2011, p. 79-97 (2 grandes topiques)
– La 1ère
topique : l'objet technique et son usage (1980-1995)
= usage social + un tropisme impensé vers le fixé qui a façonné une approche statique des usages
– La 2ème
topique : un déplacement vers l'activité (dans laquelle s'insère l'usage (1995 – 2010)
= configurations sociotechniques (Rebillard, 2007) + recul historique et approche sur le temps long
– Une 3ème
topique? : fragilité des usages et instabilité des dispositifs
= analyser les phénomènes sociotechniques non stabilisés dans une perspective complexe
+ S'inscrire dans le tournant pragmatique des approches d'usages
+ Tenir compte de la dissémination de la sociologie des usages dans les approches interdisciplinaires en SIC (Jouët, 2015)
+ Renouveler le vocabulaire (plasticité, instabilité, fragilité)
+ Méthodologie et techniques d'enquête adaptées
+ Dialogue interdisciplinaire poursuivi
Domenget – Pour une approche dynamique des usages numériques 11
12. Limites des modèles existants pour
penser l'instable
● Analyser les usages en cours de stabilisation : une entreprise difficile (Coutant,
Domenget, 2013)
– Recul historique, approche comparée vs appropriation au quotidien
– Risque d'ignorance des particularités des configurations sociotechniques émergentes et
des différentes formes d'appropriation
Ex : Twitter (dispositif asymétrique nécessitant une longue phase d'appropriation)
– Difficulté à prédire ce qui va réellement s'actualiser dans le potentiel des innovations
– Nécessité de connaître précisément le dispositif et ses usages car influence mutuelle
Ex : apparition des listes ou polémique quant au changement de la granularité de
l'information (140 caractères) de Twitter
● Une conception « fixiste » dépassée
– Inadéquation avec les dispositifs numériques à support logiciel (Latzko-Toth, 2014)
– Mutation permanente, instabilité par conception (Garud, Jain, Tuertscher, 2008)
– Des usages jamais eux-mêmes stabilisés
Domenget – Pour une approche dynamique des usages numériques 12
13. Pour un cadre conceptuel élargi
● Trois notions proposées
– La plasticité et l'instabilité sont deux notions déjà employées dans les
approches de co-conception des dispositifs numériques de communication
– La fragilité est leur pendant côté usages
● Construction d'une problématique visant à analyser les phénomènes
sociotechniques non stabilisés
– Intégrer la dimension négative de la plasticité
– Concevoir l'instabilité comme un état durable
– Penser la fragilité comme une richesse
.
Domenget – Pour une approche dynamique des usages numériques 13
14. La notion de plasticité
● Une interrogation de la marge de liberté des usagers et de la capacité
d'adaptation des dispositifs à la créativité de ces derniers
– La notion de plasticité imprègne l'ensemble de l'expérience d'usages des dispositifs
d'information et de communication contemporains (Morelli et Lazar, 2015)
« Si la plasticité est en effet présente dans l'essence même des dispositifs, elle s'inscrit également dans
l'expérience interactive de l'usager et imprègne les supports, les textes mais aussi les aspects
relationnels. Elle se développe à la faveur des choix auctoriaux dans des limites que l'usage ne cesse de
tester et de contester » (Morelli et Lazar, 2015 : 8).
– Plusieurs limites à l'autonomie de l'usager (Granjon, 2004)
● En géographie, sociologie urbaine
– « Plasticité des territoires » (Neto et Serrano, 2012) = idées de « s'adapter », « s'ajuster »,
« se reconvertir », etc.
● En informatique, IHM
– « Plasticité des interfaces » // questionnement sur les IMPEC (2014, 2016)
– Forme particulière d’adaptation des interfaces (Thevenin, Calvary, Coutaz, 1999)
Domenget – Pour une approche dynamique des usages numériques 14
15. Intégrer la dimension négative de la
plasticité
●
Evolution du sens du mot « plasticité » au XXème
siècle
La plasticité désigne l'action pour un objet, un artefact ou un dispositif possédant une
propriété d'adaptation, de transformation, voire d'ajustement, de recevoir une forme. Elle
désigne également l'action de donner une forme, donc de transformer, d'adapter, d'ajuster un
artefact, un dispositif, dans notre cas aux usages conçus et/ou repérés.
● La dimension négative de la plasticité
« avec le temps, plasticité ne désigne plus seulement la réception et/ou la donation de forme,
mais bien également le processus de destruction de toute forme, comme l’indiquent aussi les
substantifs de « plastic » ou de « plasticage ». La plasticité désigne également la force de
l’explosif. Elle se situe donc aux extrêmes du surgissement et de l’anéantissement de la
forme » (Malabou, 2011, p. 487).
● La notion de plasticité destructrice (Malabou, 2009)
– Elle conduit à analyser les phases de rupture dans la vie des individus et à aborder la
« puissance explosive, destructrice et désorganisatrice » de la plasticité.
– Une autre manière de concevoir les changements, les modifications permanentes des
dispositifs numériques et des usages qui en sont faits?
Domenget – Pour une approche dynamique des usages numériques 15
16. La notion d'instabilité
● Les ajustements des usages des TIC (Boullier, 1997)
– Une approche dynamique de la circularité avec l'objet technique
– Remise en cause de la cristallisation du « couplage » homme-machine (Simondon, 1958) et
de la stabilisation du dispositif – irréversibilité (Callon, 1992)
« dans le cas d’Internet, cette « métastabilité » reste des plus difficiles à obtenir car les technologies
elles-mêmes changent constamment, sans parler de l’offre des services, des tarifications et bien sûr
des contenus » (ibid.)
– L'instabilité d'Internet contraint la formation des usages. Elle entraîne une remise en cause de
l'appropriation des dispositifs
● La notion d'instabilité par conception (Garud, Jain, Tuertscher, 2008)
– L'incomplétude perpétuelle des dispositifs comme manifestation d'une approche design,
caractérisée par la fluidité et l'adaptation continue aux circonstances changeantes
– Ex : IRC (Latzko-Toth, 2010, 2011), Linux ou Wikipédia (Garud, Jain, Tuerstscher, 2008)
Domenget – Pour une approche dynamique des usages numériques 16
17. Concevoir l'instabilité comme un
état durable
● Le principe du canevas (Latzko-Toth, 2014)
Il décrit « le rapport qu’un réseau (ou « toile ») rudimentaire, aux mailles lâches – artefact inachevé – entretient avec le produit « fini »
ou du moins plus élaboré, construit par l’ajout de nouveaux éléments en quelque sorte greffés sur le matériau de base. Le modèle
d’innovation sous-jacent à des dispositifs aussi divers qu’ARPANET, PLATO, IRC, ou plus récemment Twitter évoque l’image d’un
canevas sur lequel les usagers vont broder » (ibid. :137).
● L'intégration d'une innovation sociotechnique, issue de la contribution des usagers, comme phase de stabilisation
– Une phase d'épuration ou concrétisation, en termes simondiens, qui ne correspond pas à une stabilisation définitive de l'innovation (cf
ibid. :138).
● Un produit jamais stabilisé, en réponse à l'évolution continuelle des besoins et des attentes des usagers
– Cf notion de clôture suspendue (arrested closure) (Kelker, 2002)
– Cf notion de version beta permanente (permantly beta) (Neff, Stark, 2003)
– Autre source d'instabilité « est ainsi l’équilibre précaire, la tension permanente entre des usages « constructifs » (constitution de
groupes et de communautés stables) et des pratiques « destructives » ou « disruptives » (flooding, nuking, etc., perpétrées notamment
par les « script kiddies ») visant surtout à acquérir un prestige personnel par la réalisation de « prouesses techniques » (Dodier),
fussent-elles illégitimes » (Latzko-Toth, 2014)
● Tenir compte non seulement des usages « constructifs » mais aussi « destructifs », « disruptifs », qui façonnent tout
autant le dispositif en obligeant les concepteurs à le perfectionner pour éviter les intrusions
Domenget – Pour une approche dynamique des usages numériques 17
18. La notion de fragilité
● Une nouvelle notion pour analyser les formes d'usages actuels
– Pour remplacer les approches de la formation des usages en termes de continuité, reproduction, filiation des usages
(Domenget, 2013)
– Même si « les usages sont toujours déjà là, le produit vient toujours d'ailleurs » (Boullier, 1997)
– La phase de stabilisation, de production d'usages sociaux pose problème
– Idée de fragilité liée aux changements dans les attitudes, les comportements et les représentations vs vulnérabilité
● La dimension négative de la fragilité
– Le substantif « fragilité » renvoie en physique, à la propriété d'un matériau qui lors d'une contrainte ou d'un choc se fissure
facilement ; en sociologie à une situation précaire, instable ; et dans le domaine de la religion, à une faiblesse de l'esprit.
– Intérêt / dimension temporelle = La fragilité renvoie à une dimension de précarité, d'instabilité, d'incertitude qui caractérise
aujourd'hui de nombreux phénomènes sociaux mais aussi des attitudes et des comportements humains.
● L'incertitude comme dimension caractéristique de l'individu dans les sociétés contemporaines
– Généralisation d'une norme d'autonomie, fragilisation des individus (Ehrenberg, 1991, 1995, 1998), « montée des
incertitudes » (Castel, 2009)
– Développement des TIC autour du couple individualisation/réseau = individualisme connecté (Flichy, 2004), possible
« mutation de la communication » (Millerand, Proulx, Rueff, 2010).
Domenget – Pour une approche dynamique des usages numériques 18
19. Penser la fragilité comme une
richesse
● Une conception positive de l'incertitude
– Le concept d'exploration chez Auray (2011, 2016) « Internet s’est fondamentalement constitué
sur le réaménagement de l’action autour de l’exploration : il a donné la prééminence à
l’expérimentation sur l’intériorisation, aux tâtonnements incertains sur les apprentissages
formels, au jeu et au défi sur l’examen scolaire. Il a structuré des communautés sceptiques,
ouvertes et curieuses » (Auray, 2011 : 330).
– L'exploration correspond à des âges de la vie marqué par des « identités fragiles » (enfance,
adolescence) et un mode d'engagement au monde marqué par le tâtonnement
– Expérience d'exploration du surfeur // celle du branché (Jauréguiberry, 2003) = liberté de
l'individu privilégiée = une contre-tendance à la rationalisation des pratiques, à partir d'une
prescription généralisée (Stenger, 2011) et d'une recommandation automatisée (Chartron, Saleh
et Kembellec, 2014).
● Penser la fragilité comme une richesse (Balmary et al., 2013) reste un défi
– Car cette notion renvoie à la condition même de l'être humain (fragilité de certaines classes
sociales, personnes âgées, malades, etc.)
– L'appréhender comme une expérience positive = apprendre des efforts de créativité,
d'adaptation (en termes de richesse et de limites) des individus fragiles.
Domenget – Pour une approche dynamique des usages numériques 19
20. Principes de méthode
● Épistémologie socioconstructiviste pour saisir la dynamique des usages
– Prendre en compte différentes dimensions complémentaires : les représentations qu’ont les usagers de leurs activités,
l’observation de leurs pratiques, l’identification des contextes d’usage, les incitations contenues dans les scripts des objets
techniques, l’analyse des stratégies économiques et/ou politiques des acteurs impliqués, etc.
– Inscription dans les réflexions sur l'ethnographie en ligne (Jouët et Le Caroff, 2013)
– Principes relevant d'une « fragilité épistémologique » (Corcuff, 2003) = plaidoyer en vue de la reconnaissance scientifique
de pratiques transfrontalières
– Renouvellement de la place du contexte dans l'observation // avec les « nouvelles sociologies pragmatiques des usages »
(défini par l'usager)
= « L’usage étant situé, la totalité de la situation doit être observée et décrite : interactions entre toutes les personnes
concernées par l’activité, contraintes et possibilités liées à la tâche et aux activités de coordination, contraintes
organisationnelles, caractéristiques du dispositif technique et interactions des agents humains avec la machine… »
(Proulx, 2015).
– Abandon d'approches mono-centrée = approche interdisciplinaire pour saisir la dimension dynamique des interactions
dans les articulations discursives et communicationnelles. (Morelli et Lazar, 2015).
● Proposition d'un regard diachronique
– Evolution du dispositif à travers le temps et agencement des pratiques ex : les listes sur Twitter
● Sensibilité aux polémiques
– Tenir compte des temps avant et après un événement, temps de latence, d'arrêt, de reprise ex : services d'automatisation
de l'entrée en relation
Domenget – Pour une approche dynamique des usages numériques 20
21. Principes de méthode (2)
● Instruments d'enquête
– Observation de longue durée (sur une période de plusieurs années)
= immersion du chercheur dans le dispositif pour développer une pratique réflexive du
dispositif ainsi qu’une vision diachronique de son évolution ;
– l’entretien qualitatif, qui permet de saisir les modalités d'articulation des temporalités propres
à chaque individu en lien avec l’usage, à la fois dans leurs dimensions synchronique et
diachronique – leur évolution au fil d’une trajectoire d’usage – et d’en analyser la variabilité ou
les traits communs;
– l’analyse de traces, pour étudier de manière asynchrone des usages effectifs captés par le
dispositif (ex : archives de tweets ; historiques d’activité Facebook...) ;
– des méthodes hybrides, notamment l’entretien sur traces, dans lequel est effectuée une co-
analyse des traces avec les usagers (Gallant, Latzko-Toth, Pastinelli, 2015)
Domenget – Pour une approche dynamique des usages numériques 21
22. Conclusion
●
Un nécessaire dialogue interdisciplinaire dans une vision complexe
– Cadre d'analyse de la socio-politique des usages = « les interrelations complexes entre outil et contexte,
offre et utilisation, technique et social » (Vedel, 1994, p. 32).
– Intégration des approches d'usages dans les SHS (Jouët, 2000) et dissémination dans l'approche
interdisciplinaire des SIC (Jouët, 2015)
– Dialogue avec les Science & Technology Studies (STS) (Millerand, Latzko-Toth, 2012; Proulx, 2015)
– Rapprochement avec les approches sociotechniques (Coutant, 2015) + prise en compte des approches
critiques.
– Ouverture vers les approches temporalistes (Domenget, 2013; Domenget, Latzko-Toth, 2015)
●
Complexité de la problématisation accrue par un phénomène de stabilité/instabilité
Ex : notion de « migration d'usagers » (Vidal, 2012)
– Analyser des usages « mobiles et fluctuants » ou des collectifs d'usagers en ligne instables dans leur
composition (migration d'usagers) mais qui subsistent.
– Distinction opérée par Bernhard Rieder, entre réseau et communauté (stables) d'un côté, foule et écume
(instables) de l'autre (Rieder, 2010)
= Renforcement d'un vocabulaire spécifique permettant de dessiner les contours d'une 3ème topique des
approches d'usages
Domenget – Pour une approche dynamique des usages numériques 22
23. Merci de votre attention,
vos questions?
Contacts :
jcdomenget@gmail.com
Jean-Claude Domenget
Laboratoire Elliadd, Université de Franche-Comté
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