Memoire de recherche publié dans le cadre de mes études à HEC.
Porblématique :“Comment fonctionne le bouche à oreille sur Internet dans le domaine
de la musique et comment, dans le contexte de crise de l’industrie du disque et de
révolution digitale, peut-il être utilisé comme outil promotionnel par les labels
indépendants ?”
Le bouche-à-oreille aux secours des labels indépendants (2009)
1. MEMOIRE DE RECHERCHE
CONFIDENTIEL
« Understanding Online Word-of-Mouth »
Le bouche-à-oreille aux secours des labels indépendants
Sous la direction de Kristine De Valck,
Professeur au groupe HEC
Soutenu le xx/xx/2009
MALLET Christophe Majeure CEMS
1
2. “What is called the music business today, however, is not the business of producing music. At
some point it became the business of selling CDs in plastic cases, and that business will soon
be over. “
David Byrne, history-changing musician
“Breaking an act and sustaining their career requires more varied expertise than ever
before.”
John Reid, CEO, Warner Music UK & Europe
“We don’t sell records any more, we act wherever people experience music.”
Elio Leoni Sceti, chief executive of EMI Music
“I would like to thank the internet.”
Win Butler, Arcade Fire's lead singer after Funeral's release
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3. Sommaire
I.Organisation de la Recherche........................................................................5
A.Problèmatique......................................................................................................................5
B.Hypothèses...........................................................................................................................5
C.Démarche de Recherche......................................................................................................7
D.Plan.......................................................................................................................................7
II.Introduction..................................................................................................7
III.Comprendre le fonctionnement du Bouche à Oreille concernant la musique
sur Internet du point de vue de l’individu consommateur-acteur....................7
A.Les particularités du bouche à oreille sur Internet..............................................................7
1.Les différentes formes de bouche-à-oreille : définition et comparaison......................................7
2.Distribution des rôles dans le bouche à oreille sur internet........................................................7
3.Le bouche à oreille sur Internet comme modèle de diffusion.....................................................7
B.Les particularités de la musique comme objet de Bouche à Oreille....................................7
1.Les spécificités du « produit musical » comme objet du bouche à oreille...................................7
2.Les particularités des membres de la Communauté Musicale comme acteurs du DWOM..........7
3.De l'écoute à l'achat : la diffusion du MDWOM et le modèle de prise de décision.....................7
IV.Description et Analyse du système de Bouche à Oreille concernant la
musique sur internet du point de vue de l’industrie musicale..........................7
A.Fonctionnement, nouveaux usages et cartographie du Bouche à Oreille musical sur
Internet....................................................................................................................................7
1.La révolution Web 2.0 : Les nouveaux modes de consommation musicale.................................7
2.Les nouveaux usages du MDWOM : la Liberté et le Chaos..........................................................7
3
4. 3.Une cartographie fonctionnelle du MDWOM : comprendre les enjeux liés aux différents canaux
de diffusion.....................................................................................................................................7
B.Les enjeux du bouche-à-oreille et la possibilité d’un nouveau modèle promotionnel pour
les labels indépendants...........................................................................................................7
1.Comprendre la crise de l'Industrie Musicale et les enjeux de la nouvelle donne digitale............8
2.Les vrais impacts économiques du MDWOM : Distribution, Écoute et Ventes ...........................8
3.L’importance du Bouche-à-oreille dans le nouveau modèle promotionnel des labels
indépendants..................................................................................................................................8
V.Utiliser le bouche-à-oreille sur internet comme principal nouvel outil
marketing des labels indépendants.................................................................8
A.Enjeux, Risques et Opportunités du Buzz-Marketing musical sur internet pour les labels
indépendants...........................................................................................................................8
1.Enjeux : Digitaliser la chaîne de création de valeur .....................................................................8
2.Risques : Respecter les frontières légales et les barrières sociologiques propres à la
communauté musicale sur internet................................................................................................8
3.Opportunités : L'interactivité au cœur d'une nouvelle proximité artistes-consommateurs et la
révolution du cycle Marketing-Distribution....................................................................................8
B.Une proposition de stratégie de buzz-marketing pour les labels indépendants................8
1.MDWOM : les règles d'Or............................................................................................................8
2.Bien préparer le MDWOM et réussir son lancement...................................................................8
3.Intégrer le MDWOM dans une stratégie digitale globale ............................................................8
VI.Conclusion...................................................................................................8
VII.Bibliographie..............................................................................................8
A.Ouvrages spécialisés............................................................................................................8
B.Articles et revues spécialisées..............................................................................................8
C.Études-Thèses......................................................................................................................8
VIII.Remerciements.........................................................................................8
IX.Annexes.......................................................................................................8
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5. I. Organisation de la Recherche
A. Problématique
L'industrie musicale connaît depuis 2000 une crise sans précédent. La
contraction des revenus semble devoir se poursuivre à moyen terme. Le support CD est
appelé à disparaître rapidement mais les ventes digitales peinent à compenser le
manque à gagner observé sur le marché physique. En effet, le téléchargement illégal et
les différentes plate-formes de diffusion gratuite de musique empiètent sur le marché
digital et révèlent des modes de consommations nouveaux que le modèle du
téléchargement-paiement ne semble pas satisfaire de façon optimale. Devant la
réduction des revenus, les acteurs de l'Industrie cherchent également à diminuer leurs
coûts.
Depuis 2003, de nombreux artistes ont pu émerger aux yeux du grand public sans
l'appui préalable de campagne marketing d'envergure. A l'origine de leur succès : une
popularité phénoménale sur internet, directement auprès des auditeurs, et sans
intervention du label. Ce phénomène de diffusion extrêmement rapide d'un nouvel
artiste ou d'un nouvel album via internet et ses utilisateurs individuels est souvent
associé au bouche-à-oreille. Mais pour la plupart des acteurs de l'industrie, le bouche-à-
oreille demeure un phénomène incontrôlable et absolument aléatoire. Et bien qu'un
bouche-à-oreille puissant constitue une forme de promotion peu coûteuse et
extrêmement efficace, il semble difficile de systématiser une méthode promotionnelle
apparemment si hasardeuse. La problématique de ce document peut donc être définie
comme suit : “Comment fonctionne le bouche à oreille sur Internet dans le domaine
de la musique et comment, dans le contexte de crise de l’industrie du disque et de
révolution digitale, peut-il être utilisé comme outil promotionnel par les labels
indépendants ?”
B. Hypothèses
H1: le bouche-à-oreille en ligne procède de déterminants sociologiques précis et
relève d'un mode de diffusion systématique.
5
6. H2: La musique est un produit aux caractéristiques uniques et le bouche à oreille
concernant la musique témoigne de fondations sociologiques similaires mais prend des
formes et des usages différents de ceux concernant le bouche à oreille sur internet de
produits « classiques »
H3: Les labels indépendants peuvent systématiser l'usage du bouche-à-oreille
comme outil de marketing promotionnel efficace et bon marché.
C. Démarche de Recherche
Si l'Industrie Musicale traverse une crise structurelle d'envergure, la
consommation de musique, qu'il s'agisse de spectacle vivant ou de musique enregistrée,
n'a jamais été aussi forte, tant en termes de volume que de variété. Constatant cet écart,
la majorité des acteurs de l'Industrie ainsi que de nombreux chercheurs s'échinent à
trouver le modèle de distribution idéal, celui qui réconciliera le public avec la musique
payante et permettra de rétablir le niveau des revenus d'antan. Plutôt que de m'engager
dans cette voie, j'ai choisi de prendre le point de vue des labels indépendants. Ils n'ont
qu'un impact faible sur l'évolution des canaux de distribution et s'appuient sur un
catalogue limité d'artistes pour survivre. Le nerf de la guerre pour un label indépendant,
outre de savoir repérer les artistes talentueux, est donc la promotion de ces artistes. Et
cette promotion est fortement limitée par les contraintes budgétaires qui pèsent sur de
telles structures. D'autre part, la plupart des artistes ayant émergés grâce à internet
appartiennent au catalogue de labels indépendants. Ainsi, réussir à utiliser les nouvelles
technologies pour étendre et rapprocher l'artiste et ses fans et se servir du bouche-à-
oreille comme véhicule promotionnel pourrait permettre de réduire les coûts liés à la
promotion tout en atteignant plus rapidement une population plus large d'auditeurs et
potentiellement intéressés par l'artiste ou son œuvre.
Ainsi, avant de concevoir une stratégie promotionnelle s'appuyant sur le bouche-
à-oreille, il convient d'abord d'en appréhender les déterminants et les procédés de
diffusion. Dans un second temps , il faut prendre la mesure des changements
qu'implique la révolution digitale pour le métier des labels et identifier les opportunités
qu'elle présente dans une optique de promotion. Ma démarche de recherche découle
donc de l'identification de ces deux besoins. J'ai d'abord collecté articles et documents
6
7. académiques s'attachant à expliquer les déterminants et les mécanismes du bouche-à-
oreille avant d'affiner ces modèles, toujours avec l'appui de sources documentaires, pour
les adapter aux caractéristiques uniques de la musique comme produit. Concernant la
crise de l'industrie et la révolution digitale, ma recherche s'est orientée dans deux
directions. La première, théorique, consistait à mettre à profit les nombreux travaux et
articles décrivant les mécanismes qui ont engendré la crise. Deuxièmement, les
différents entretiens que j'ai pu avoir avec des acteurs de l'industrie musicale m'ont
permis d'identifier plus précisément la révolution en cours pour les modèles d'affaires
des labels ainsi que les réelles opportunités offertes par le bouche-à-oreille. Ce
document s'inspire de l'ensemble des idées et réflexions développées lors de ces
entretiens. L'objectif d'une telle démarche était de disposer d'une base théorique solide
et d'une compréhension optimale des enjeux de la crise actuelle afin d'envisager un
guide d'utilisation du bouche-à-oreille qui supporte la confrontation théorique et soit
profondément ancré dans les préoccupations actuelles des labels indépendants.
D. Plan
Mon plan découle autant de la problématique que je me suis fixé que de la
démarche de recherche adoptée. Je m'attache donc à expliciter les mécanismes du
bouche-à-oreille en ligne et ses particularités concernant la musique en adoptant le
point de vue théorique de l'individu consommateur. (III). Dans un second temps,
j'adopterais le point de vue de l'industrie musicale pour décrire le fonctionnement
concret du bouche-à-oreille sur internet et les opportunités qu'apporte la révolution
digitale (IV). Enfin, je m'attache dans une dernière partie à expliquer quel usage peut-
être fait du bouche-à-oreille dans le cadre des stratégies promotionnelles des labels
indépendants et sur quels critères et selon quelles règles doivent s'élaborer de telles
stratégies.(V) Après une courte conclusion (VI), le lecteur pourra trouver la
bibliographie(VII), les remerciements (VIII) ainsi que les annexes (IX).
7
8. II. Introduction
Durant les semaines précédant sa sortie, Funeral, le premier album du groupe
canadien Arcade Fire, bénéficie d'un soutien sans précédent des blogs les plus influents
(PitchforkMedia et Stereogum en tête, mais aussi le blog de David Bowie). La rumeur
prend racine sur quelques blogs et forums spécialisés puis grandit, prodigieusement, et
les commentaires enthousiastes ou dithyrambiques enflent et se multiplient, des milliers
de MP3 sont postés, copiés, transférés, indexés, commentés, des courtes vidéos live sont
visionnées par des milliers d'internautes et on trouve déjà des reprises sur Youtube.
Quelque jours avant sa sortie, Funeral devient le premier album d'un artiste
indépendant le plus attendu de l'histoire. Funeral sort le 14 septembre 2004 sur le label
Merge, petite structure indépendante de Caroline du Nord. Sans aucune publicité de la
part du label, l'album s'installe en bonne position des ventes Europe dès la deuxième
semaine et deviendra rapidement le meilleur résultat de tous les temps du label.
Quelques jours plus tard, le groupe fera la Une de Télérama et du Time, il sera plébiscité
en fin d'année par l'ensemble de la presse culturelle des principaux marché occidentaux
(Les Inrocks, Mojo, NME...).
Quelques mois plus tard, les succès aussi rapides, et plus ou moins éphémères,
d'artistes tels que les Arctic Monkeys, Yelle ou Lykke Li confirment la tendance. Internet
est devenu un tremplin pour les artistes. Et les internautes sont bien souvent
précurseurs, en avance sur l'industrie elle-même. Se faire connaître par des milliers de
gens ne coûte rien, la promotion est assurée malgré eux par les internautes. La diffusion
du nom du groupe, le volume de commentaires et d'extraits échangés et l'attente
suscitée sont bien au-delà des résultats que l'on escompterait d'une campagne de
marketing classique. Si Arcade Fire était né quelques années plus tôt, avant le mp3, avant
les communautés en ligne, avant les blogs et Myspace, le groupe serait très certainement
devenu culte, encensé par une frange de la presse spécialisée et écouté religieusement
par une poignée d'amateurs de pop éclairés, mais sont succés n'aurait
vraisemblablement jamais connu l'envergure de celui auquel le bouche-à-oreille a donné
naissance. Le bouche-à-oreille, puisque c'est de cela qu'il s'agit, semble présenter
8
9. l'alternative ultime aux budgets promotionnels limités des labels indépendants. Comme
s'il mettait sur un pied d'égalité tous les artistes du monde, débarrassés du matraquage
promotionnel, nus devant la foule pure des internautes. Mais le bouche-à-oreille apparaît
aussi profondément aléatoire et incontrôlable, comme une sorte de justice divine pour
les groupes qui le mériteraient, comme un bon virus.
Dans ce document, nous nous attacherons à identifier et à expliciter, s'ils existent,
les déterminants, les mécanismes et le modèle de diffusion du bouche-à-oreille. Nous
analyserons la révolution digitale pour tenter de découvrir ce qu'elle peut offrir aux
labels indépendants et enfin comment et dans quelle mesure le bouche-à-oreille peut
être intégré systématiquement dans les stratégies promotionnelles.
III.Comprendre le fonctionnement du Bouche à Oreille concernant
la musique sur Internet du point de vue de l’individu
consommateur-acteur
L'objectif de cette première partie est d'identifier et d'expliciter le modèle
de diffusion du MDWOM (music-related digital Word of Mouth) afin d'en intégrer
les caractéristiques fondamentales dans la définition d'une stratégie marketing
de promotion des artistes et de leur œuvres à l'usage des labels indépendants.
Dans cette perspective, il convient dans une première section, de définir ce qu'est
le WOM (Word of Mouth) et de préciser les points communs et différences
cruciales entre le bouche à oreille classique (WOM) et son évolution digitale
(DWOM pour digital WOM). Nous définirons le modèle de diffusion du DWOM,
tant concernant les déterminants sociologiques du partage, que la division des
rôles ou encore les formes que prennent la mise à disposition et la transmission
du message. Dans un second temps, il conviendra de décrire les spécificités du
produit musical comme objet de DWOM et de rendre l'impact de ces spécificités
dans un modèle de diffusion applicable au MDWOM.
9
10. A. Les particularités du bouche à oreille sur Internet
1. Les différentes formes de bouche-à-oreille : définition et comparaison
Le WOM, au sens large, désigne simplement une manière de transmettre une
information d'un individu à un autre ; de bouche-à-oreille. C' est donc la plus ancienne
méthode de propagation de l'information, avant même l'écrit, et bien évidemment avant
les formes de communication moderne.
Dans le cadre de ce travail, nous parlerons de WOM, de DWOM ou plus loin de
MDWOM uniquement quand le type d'information transmis concerne un produit
(tangible ou non) pouvant faire l'objet d'une transaction financière. Ainsi, nous
considérerons toujours que l'information transmise par le WOM apporte des précisions
sur le produit en question, qu'il s'agisse de caractéristiques techniques, d'un avis
favorable ou défavorable voire même du produit lui-même (dans le cas particulier du
MDWOM). Ce point de vue est celui de la Théorie de la Décision qui ne considère comme
information que ce qui est propre « à entraîner ou à modifier une décision ».
L'information est considérée comme « réductrice d'incertitude » sur le produit en
question et devra aider son destinataire à prendre une décision d'achat (par souci de
simplicité, nous considérerons le téléchargement illégal comme « une décision d'achat
avec refus de payer »).
A ce titre, la publicité, et toute forme de communication de masse émanant d'une
organisation commerciale est une information au sens de la théorie de la décision mais
ne constitue pas une forme de WOM. En effet, le WOM ne se définit pas uniquement par
le contenu du message mais également par la nature de la relation unissant émetteur et
récepteur : il s'agit d'une communication interpersonnelle et informelle. Le WOM,
comme toute information, est reproductible et transmissible à l'infini, transformant tout
récepteur en émetteur potentiel. Il devient donc difficile avec les technologies du Web de
distinguer clairement un WOM d'une communication marchande puisque le lien
unissant l'émetteur et le récepteur est plus distendu, puis que le « face-à-face »
qu'implique un « bouche-à-oreille » littéral a disparu. Finalement, l'authenticité d'un
WOM tient donc également aux intentions de l'émetteur, sa motivation doit être de
partager une information et non pas de vendre pour son profit le produit que
10
11. l'information mentionne. Nous définirons donc un WOM comme « un message informel
à caractère informatif sur un produit échangé entre individus-consommateurs, à
travers lequel l'émetteur aide le ou les récepteurs à orienter leur décision
d'achat ».
A ce stade, nous devons distinguer les deux formes principales de WOM afin de
pointer leur différences fondamentales. L'objet de notre étude est le Bouche-à-oreille sur
Internet (DWOM) qu'on oppose souvent aux autres formes de WOM (offline WOM). Le
WOM offline englobe toute les formes de communication orale interpersonnelles en
temps réel, à savoir les faces-à-faces, le téléphone... Le DWOM désigne simplement un
WOM dont le médium est internet, qu'il s'agisse d'un blog, d'un forum, de chats, d'e-
mails personnels, d'un site de réseau social ou de toute forme de communication
interpersonnelle qui pourrait être développée à travers internet. Les récepteurs d'un
WOM sont en nombre limité (en effet un discours ou une présentation ne peuvent être
considérés comme informels ou interpersonnels) et l'information n'existe pas en dehors
de ses émetteurs-récepteurs (réalisés ou non), c'est à dire ceux à qui le message est
parvenu à travers la chaîne émetteur-récepteur-émetteur émanant du récepteur
originel. Contrairement au WOM, l'information, une fois émise par un moyen de DWOM,
existe en dehors de son émetteur. Plus simplement, lorsque que je conseille un album à
un ami au téléphone, je n'émets un WOM que le temps que dure notre conversation mais
si je poste un commentaire sur un blog (DWOM), je continue à émettre la même
information longtemps après m'être déconnecté d'internet. On parlera pour qualifier ce
phénomène de « persistance de l'information » De plus, Internet a aboli toute forme de
distance (ce que ne fait le téléphone qu'à un coût élevé) et permet de multiplier le
nombre de récepteurs potentiels sans altérer la qualité de l'information. C'est à dire que
la recommandation que j'ai posté sur un blog possède la même valeur informative
quelque soit le nombre de lecteurs que je parviens à atteindre. Mon opinion est mise à la
disposition gratuite et aisée de l'ensemble de la communauté mondiale des usagers
d'internet. Et ces lecteurs pouvant à leur tour transmettre l'information, le coefficient
multiplicateur de diffusion de l'information, et donc la vitesse de sa diffusion et la
puissance potentielle de son impact sont bien plus puissants que dans le cas du WOM
classique. Bien évidemment, le lien de confiance que j'entretiens avec mon ami est bien
plus élevé que celui que je pourrais avoir avec chacun des lecteurs d'un blog. Ainsi,
même si, du point de vue de l'émetteur, l'information émise à la même valeur, celle-ci est
11
12. bien moindre si l'on prend le point de vue du récepteur. La décision d'achat doit être
fondée sur la crédibilité de l'information et celle d'un DWOM n'approchera jamais celle
d'un WOM offline.
Considérant toutes ces caractéristiques, tentons d'examiner comment se distribue
les rôles lors de la diffusion d'un DWOM afin d'affiner la distinction simpliste
émetteur/récepteur. Qui sont les acteurs du DWOM ? Pourquoi émettent t'-ils? Pourquoi
cherchent t'-ils des informations? Et enfin, comment se diffuse le DWOM au travers de
ces acteurs?
2. Distribution des rôles dans le bouche à oreille sur internet
Rappelons que nous attacherons ici à décrire le profil des acteurs du DWOM et
leurs rôles dans son mécanisme de diffusion de façon générale et non pas uniquement
dans le cadre de la musique. A ce titre, il faut donc garder en tête que pour l'immense
majorité des produits concernés par le DWOM, les systèmes de notation en ligne sur les
sites marchands, les forums de consommateurs et les sites communautaires sont
nettement plus significatifs comme transmetteurs d'information que les blogs
individuels.
Nous nous appuierons significativement dans cette partie sur le modèle
développé par T. Sun, S. Youn, G. Wu et M. Kuntaraporn pour leur étude « Online Word-
of-Mouth: A Study of its Antecedents and Consequences ». Les auteurs distinguent a
priori deux profils d'acteurs concernant le DWOM : les leaders d'opinion et les chercheurs
d'information. De son côté, Luc Dupont du Département de Communication de
l'université d'Ottawa se place du point de vue du produit et distingue trois types de
réactions : les Promoteurs (favorables au produit), les Indifférents et les Détracteurs
(défavorables au produit). En synthétisant ces deux classifications, on obtient les profils
suivants :
– Les Leaders d'Opinion Promoteurs
– Les Leaders d'Opinion Détracteurs
12
13. – les Indifférents
– Les Chercheurs d'Information, potentiellement promoteurs ou détracteurs
On notera que cette classification se simplifiera lorsque l'on étudiera le modèle de
diffusion du WOM puisque l'on considère que la diffusion de l'information véhiculée par
les Promoteurs ou par les Détracteurs suit les mêmes modalités.
La première étude s'attache à déterminer pourquoi un individu s'engage dans une
activité de DWOM et quel usage il en fera selon ses caractéristiques sociologiques
individuelles.
Il importe de noter que le DWOM ne se transmet pas de manière aléatoire à
travers une constellation éclatée d'individus indépendants les uns des autres. Dans les
mécanismes de transmission du DWOM, l'existence d'une « Communauté
d'internautes », elle-même subdivisée en une myriade de sous-communautés plus ou
moins liées est fondamentale. Ridings et Geffen (2004) ont identifié l'échange
d'informations, la défense d'intérêts communs, la recherche de support social ou plus
simplement d'une activité récréative comme les raisons principales qui poussent les
internautes à rejoindre des communautés en ligne. Ces communautés peuvent être
définies comme des « entités sociales en ligne regroupant des individus communiquant
entre eux à propos de sujets ou d'intérêts communs de manière continue et sans
interaction physique » (Dennis, Pootheri, & Natarajan, 1998). Le DWOM est donc l'outil
indispensable pour faciliter la diffusion d'information au sein de ces communautés. Les
acteurs du DWOM se distinguent de ceux de WOM traditionnel en cela qu'ils présentent
moins d'inhibitions, de stress lié à l'interaction sociale. Il sont également plus enclins à
partager des informations personnelles, à présenter leurs points de vue de manière plus
honnête, directe et informelle.
Un leader d'opinion peut se définir simplement comme quelqu'un qui émet les
informations que les chercheurs d'informations recherchent. Le DWOM permet une
diffusion aisée de ces informations autant qu'il en facilite la recherche. Évidemment, à
cause de leur intérêt prononcé pour un sujet particulier, les leaders d'opinion sont
également demandeurs d'informations. Le contraire ne s'applique pas automatiquement
13
14. et les chercheurs d'informations se satisferont bien souvent de les avoir obtenues sans
manifester le désir de les diffuser à leur tour. La recherche d'information reste toutefois
une dimension fondamentale du DWOM en cela qu'elle en facilite la diffusion et que seul
l'interaction entre leaders d'opinions et demandeurs d'information permet l'existence
d'une communication interpersonnelle et donc ultimement du WOM. Leaders d'opinions
et chercheurs d'informations sont inter-dépendants et « l'offre d'information » n'est ainsi
réalisée que quand elle rencontre une « demande d'informations » correspondante.
Lorsqu'il s'agit de définir les attributs sociologiques caractéristiques des leaders
d'opinion, les recherches académiques sur le sujet (Foxall, 1988; Katz & Lazarsfeld,
1955; Richins & Root-Shaffer, 1988; Rogers, 1995) ont démontré les résultats suivants :
les leaders d'opinion disposent d'une plus grande capacité à innover, d'un réseau social
plus étendu, d'une confiance en eux supérieure à la moyenne, de talents de rédaction
plus élevés, d'un engagement fort dans le sujet examiné et d'un statut social respecté. La
capacité à innover est également positivement corrélée à la recherche d'informations. De
même, le degré d'implication et de connaissance de l'individu du sujet ou du produit qui
fait l'objet du DWOM est corrélé positivement à sa propension à diffuser ou à rechercher
des informations le concernant. Bien que semblant évident, cet argument souligne
l'incapacité du DWOM à séduire la population des « Indifférents » à laquelle seule la
communication de masse peut révéler l'existence du produit, le DWOM n'atteint que
ceux qui recherchent le type d'information qu'il véhicule. Ainsi, l'utilisation du DWOM
pour augmenter la visibilité d'un produit s'arrête à la frontière du groupe constitué de
ceux qui se savent consciemment potentiellement intéressés par ledit produit. Bien
évidemment, la capacité à utiliser les outils de communication en ligne pour diffuser
et/ou rechercher les informations caractérise l'ensemble des acteurs du DWOM. Cela
paraît trivial mais il est important de garder à l'esprit que seule une frange limitée de la
population bénéficie d'un « accès » au DWOM. De plus en plus, cette population se
confond avec celle, toutefois plus large et en moyenne plus âgée, de l'ensemble des
internautes.
14
15. 3. Le bouche à oreille sur Internet comme modèle de diffusion
Ce paragraphe a pour objectif d'établir un modèle de diffusion du DWOM, c'est à
dire d'examiner la distribution et l'évolution du flot d'informations au sein du système
social constitué par les acteurs du DWOM (voir I.A.2).
De nombreuses études ont démontré l'importance du WOM lors du processus de
diffusion d'une innovation (Brown & Reingen, 1987; Childers, 1986; Herr, Kardes, &
Kim, 1991). A ce titre, il peut-être intéressant de considérer l'achat du produit sujet du
WOM comme étant le signe de l'adoption d'une innovation et de caractériser la diffusion
du commentaire qui lui est attaché comme une forme de diffusion de ladite innovation.
L'étude de Sun, Youn et Wu s'attache à mesurer l'importance des déterminants
sociologiques précédemment cités dans la définition d'un profil d'acteur du DWOM et de
leur conséquences sur la manière dont ces acteurs se comporteront dans leur activité de
recherche/diffusion du DWOM (à travers la mesure du « forwarding » (transfert de liens)
et du « chatting » (discussion en temps réel ou par forum interposé)). L'objectif ultime
est de vérifier l'applicabilité du modèle de diffusion des innovations à celui du DWOM.
L'étude conclue que les deux dimensions , diffusion et recherche d'informations, sont
positivement corrélées aux facteurs sociologiques précédemment mentionnés (capacité
à innover, connaissance du produit, étendu du réseau social,maîtrise des outils de
communication en ligne). La théorie des innovations précise qu'il existe différents types
de réactions à l'innovation, différents groupes de personnes dont la propension à
adopter une innovation est plus ou moins forte et rapide (dans l'ordre de rapidité
d'adoption : les « Innovateurs », les « Adeptes Précoces », les « Majorités Précoce et
Tardive » et les « Réfractaires »). Au regard de cette étude, et en reprenant la liste des
profils types établis plus tôt (en I.2.A) il est possible de faire préciser ces profils jusqu'à
les faire correspondre aux « groupes d'innovateurs » définis par la théorie de diffusion
des Innovations:
– Ainsi, les Leaders d'Opinion influents (Promoteurs ou Détracteurs)
correspondront aux « Innovateurs ».
– Les Chercheurs d'Informations aux caractéristiques sociologiques proches de
celles des Innovateurs, correspondent au groupe des Adeptes Précoces et
deviennent également Leaders d'Opinion pour le groupe suivant.
15
16. – Les Chercheurs d'Informations présentant une faible connaissance du produit
et une capacité à innover limitée correspondent aux groupes « Majorité
Précoce et Tardive »
– Enfin, les Indifférents sont reversés dans le groupe des « Réfractaires ».
De nombreux travaux s'intéressant au DWOM ont montré l'importance des
leaders d'opinions (ou innovateurs), tant pour la rapidité de la diffusion de l'information
que pour l'impact de l'information diffusée sur les lecteurs. Comme il existe différentes
populations d'innovateurs , il existe différents types de leaders d'opinion à l'influence
plus ou moins puissante. Et l'efficacité du DWOM (et donc sa traduction en nombre de
ventes) concernant un artiste ou une œuvre est positivement corrélée à l'influence du
leader d'opinion qui en est à l'origine. Nous pouvons donc considérer le modèle de
diffusions des Innovations comme un modèle explicatif satisfaisant de celui du DWOM à
condition d'y intégrer les caractéristiques spécifiques propres au profil des utilisateurs
du DWOM.
Nous avons pu, au cours de cette première section, définir clairement ce qu'était
le DWOM, décrire le profil des acteurs qui l'utilisent ainsi que les composantes
sociologiques définissant ces différents profils. Enfin, nous avons pu intégrer ces profils
dans un modèle de diffusion simple et compréhensible. Toutefois, avant d'en tirer les
conclusions qui pourront servir à la définition d'un modèle efficace de MDWOM, il nous
faut étudier les spécificités de la musique comme objet de DWOM et étudier les
variations sensibles que pourrait induire la musique comme objet de conversation
concernant les profils des acteurs du DWOM. Enfin, il s'agira d'adapter le modèle de
diffusion au contexte particulier du MDWOM.
16
17. B. Les particularités de la musique comme objet de Bouche à Oreille
Quelle peuvent être les différences entre le MDWOM et le DWOM ? Qu'est ce qui
fondamentalement différencie un grille-pain d'un album des Rolling Stones, un
commentaire sur un forum de consommateurs d'un blog musical ? La population des
acteurs du MDWOM présente t' elle les mêmes caractéristiques que celle du DWOM ?
Enfin, comment ces singularités liées à la musique comme objet de DWOM transforment
t' elle le modèle de diffusion précédemment établi et en dernier lieu la décision d'achat ?
Les réponses que j'apporterais à ces questions s'appuient sur deux axes principaux. Le
premier consiste à expliciter en quoi la musique est un objet de DWOM aux
caractéristiques uniques. Le second démontre l'importance de la « communauté
musicale » pour la compréhension des usages du MDWOM. Enfin, je m'attacherais à
décrire le modèle de diffusion et le processus de décision d'achat lié au MDWOM.
1. Les spécificités du « produit musical » comme objet du bouche à oreille
Un produit peut-être défini comme le résultat tangible ou intangible d'un acte de
production nécessitant une somme de travail et/ou de capital. De ce point de vue, la
musique, quelque soit le support (tangible, intangible ou même live) est un produit.
Dans une perspective marketing, tout ce qui peut-être offert sur un marché pour
satisfaire un désir ou un besoin est un produit. Une fois de plus, la musique peut-être
considérée comme un produit. Et nous sommes donc en droit de parler de WOM pour la
musique.
Mais qu'est ce qui constitue réellement le produit musical ? S'agit t'-il du format
(CD, cassette, vinyle, mp3) ou du contenu (proprement intangible) ? Avec l'essor du mp3
et de l'ensemble des formats digitaux (et donc intangibles) pouvant supporter un
contenu musical, il semble évident que la valeur ajoutée du produit réside dans le
contenu qu'il supporte et donc finalement dans l'effort apporté par les musiciens pour
son élaboration. On pourrait pousser le raisonnement jusqu'à dire que le support
s'apparente désormais plus à un canal de distribution qu'au produit lui-même.
17
18. Les formats tangibles (CD et vinyles) voient leur part de marché relative
diminuer face aux formats dématérialisés (MP3, FLAC, wma...) et nous nous attacherons
donc à expliciter les spécificités du produit musical tant qu'il est distribué sous forme de
mp3, non seulement son format d'avenir mais également le plus essentiellement
compatible avec l'environnement du DWOM, internet. Un mp3 est reproductible à l'infini
gratuitement. En termes économiques, le coût marginal de production d'un mp3 est
virtuellement nul. La distribution de mp3 ne connaît également pas de problèmes de
stockage physique et l'offre s'adapte en temps réel à la demande puisque le « temps de
production » d'un mp3 supplémentaire d'un même morceau est nul. Le nombre de
produits disponibles, c'est à dire le catalogue global de toute la musique enregistrée, est
immense et s'étend perpétuellement (près de 3 millions de morceaux sur itunes). Ainsi,
si la plupart des produits sont aisément disponibles, la visibilité de chacun d'entre eux
est a priori extrêmement limitée sans l'appui d'une campagne marketing, médiatique ou
du bouche à oreille. Il est également important de noter que la « consommation » de
musique n'est pas liée à l'achat (ou à une forme de location). Consommer de la musique,
c'est simplement en écouter et l'achat n'est qu'un acte d'appropriation légale, une forme
plus pratique de consommation.
Je n'ai jusqu'ici parlé que de la musique comme produit sans mentionner ses
spécificités comme objet de DWOM. Cela tient à la caractéristique principale de la
musique comme objet de DWOM : le MDWOM ne transmet pas simplement des
informations sur le produit musical (critique d'albums, biographie du groupe,
interviews...), il transmet le produit lui-même (sous forme de liens permettant d'écouter
le morceau entier ou un extrait en MP3) ! Les blogs musicaux sont la forme la plus
commune de MDWOM et ,contrairement au cas classique de DWOM, le message est
transmis avec le produit, quand bien même le message n'est pas seulement le produit
lui-même, comme dans l'exemple des playlists. Contrairement au WOM traditionnel, il ne
s'agit pas pour le Chercheur d'Information d'obtenir un avis sur un produit qu'il ne peut
pas lui-même tester, d'en savoir plus sur ses caractéristiques intrinsèques par rapport à
celles des produits concurrents. Le produit, à savoir le morceau de musique encodé sous
forme de MP3, est de plus en plus souvent disponible à l'écoute. Ce qui est transmis sur
18
19. un blog, c'est le produit lui même, accompagné d'un avis, d'une opinion de l'émetteur,
d'une discussion entre fans, de l'orientation éditoriale et de la crédibilité du blogueur ou
du site... D'un point de vue théorique, c'est comme si le DWOM classique (discussion
informelle et interpersonnelle sur tel ou tel produit) s'accompagnait d'une réplique
parfaite du produit librement testable. Par ailleurs, il existe évidemment des formes plus
« classiques » de MDWOM : discussions sur un album à venir, critique de concerts,
hommages ou article de fond sur tel phénomène ou tel genre mais c'est à travers les
blogs musicaux, et donc la possibilité d'écouter (il suffit d'un lien), que se prendra la
décision d'achat. Enfin, et c'est l'un des aspects les plus différenciant de la musique
comme objet du DWOM : la musique n'a pas de qualités objectives; de solidité, de durée
de vie, de garantie, d'air climatisé ou de fonctionnalités novatrices. Un morceau ou un
album sonnent différemment à l'oreille de chaque individu. La musique s'inscrit
uniquement dans le domaine du « perçu » et de l'affectif. Il n'y a pas de « meilleur
morceau » mais simplement autant de hiérarchies de « morceaux préférés » que
d'auditeurs de musique. Et si un Leader d'Opinion du DWOM classique ne peut en aucun
cas modifier les qualités objectives du produit dont il parle, il est beaucoup plus aisé
pour un agent du MDWOM d'influencer la perception d'un morceau de musique, et donc
le système de préférences de l'auditeur.
La musique comme objet de DWOM présente donc des caractéristiques uniques
qui impliquent un certain nombre de variables (visibilité, crédibilité, subjectivité,
propriété...) qui devront être intégrées dans le modèle de diffusion du MDWOM et dans
le processus de prise de décision d'achat qui sera élaboré en fin de partie.
2. Les particularités des membres de la Communauté Musicale comme acteurs
du DWOM
Comme il a été précisé lors de la section A de cette première partie, les acteurs du
MDWOM ne sont pas des individus isolés mais appartiennent à une constellation de
réseaux sociaux de tailles variables regroupant des amateurs de musique ayant des
goûts proches. Cette constellation hétéroclite de réseaux, qui n'a pour liant que le goût
partagé par tous ses membres pour une forme de musique, peut-être définie comme la
19
20. Communauté Musicale. Il n'existe pas d'appartenance formelle à la communauté
musicale (comme une inscription par exemple). Le simple fait de consommer de la
musique sur Internet vous désigne comme membre de ladite communauté. Nous
cherchons maintenant à identifier les singularités que pourrait présenter la
communauté musicale par rapport aux autres communautés d'internautes actrices du
WOM.
Premièrement, la communauté musicale est « persistante ». Lorsque le WOM sert
à déterminer l'achat d'un produit de grande consommation, les Chercheurs
d'Information n'intègrent la communauté liée au produit que le temps de l'achat. Ainsi
posséder une télévision HD ne fait pas de vous un membre de la communauté WOM
s'attachant aux télévisions. A contrario, la consommation de musique en ligne est de
manière générale continue et l'appartenance à la communauté musicale est par essence
moins éphémère.
Deuxièmement, le catalogue de la musique existante est virtuellement infini (au
sens qu'il est impossible pour un individu d'en écouter la totalité) contrairement au
catalogue de la plupart des autres produit susceptibles d'engendrer un WOM (il n'existe
qu'un nombre limité de références de voitures, de machines à laver ou de contrats
d'assurance). Ainsi, si la communauté musicale est plus vaste, elle est également plus
hétérogène. Aucun MDWOM ne pourra atteindre l'ensemble de la communauté. Par
exemple, lors du lancement d'un album de folk indépendant, les communautés « metal
hardcore » et « musique religieuse », bien qu'étant inclues dans la Communauté
Musicale, constituent clairement des Indifférents au sens de Luc Dupont.
Au regard des destinataires ultimes de ce document_les labels indépendants_ il
est intéressant de rappeler que la population concernée par le MDWOM diffère très
sensiblement de celle qui écoute de la musique « mainstream ». Nous entendons par
musique « mainstream » l'ensemble des artistes à vocation grand public, bénéficiant
d'une bonne couverture médiatique (TV, radio, presse) et de l'appui marketing puissant
de leur label et de leur distributeur. En effet, l'amateur de musique « mainstream »
dispose de multiples sources d'informations sur ses artistes favoris : les chaînes
musicales grand public (MTV, RTL...), les critiques presse et radios. Il a également accès à
de nombreuses sources lui permettant de consulter l'avis d'autres consommateurs,
comme par exemple les systèmes de notations des sites de vente en ligne (Amazon,
20
21. Fnac). A contrario, les amateurs d'autres musiques, genres plus obscurs ou plus
spécialisés, ou simplement d'artistes moins renommés, ont peu de chances de trouver
l'information suffisante à la prise de décision d'achat sur ces canaux « mainstream », ou
même simplement de pouvoir écouter les artistes qui potentiellement les intéressent. En
reprenant la classification développée par Chris Anderson, nous opposerons donc au
« mainstream » cette musique « Long Tail ». Les blogs, comme forme dominante de
MDWOM, constituent donc la source d'information principale pour les auditeurs « Long
Tail », en mettant à la fois l'artiste en libre écoute et en proposant des critiques. Il faut
donc garder à l'esprit que ces deux populations, « mainstream » et «Long Tail», sont
impactées différemment par le bouche-à-oreille.
Enfin, il existe une composante psychologique inhérente au MDWOM et qui devra
être prise en compte dans le modèle de diffusion. Les goûts musicaux sont souvent
considérés comme constitutifs de l'identité d'un individu. Ainsi, le lien d'un leader
d'opinion avec la musique qu'il met en ligne se teinte bien souvent d'affectif et l'objet
d'un blog est ainsi bien souvent de « défendre » , c'est à dire de promouvoir sans objectif
marchand, un artiste ou une œuvre. De la même manière, un chercheur d'informations
cherche également à conforter sa propre identité musicale et s'identifiera donc autant au
blogueur ou au site qui l'héberge qu'au morceau lui-même. Ainsi, un blogueur influent
ne fait pas que déterrer un titre et le mettre à disposition d'auditeurs en décrivant
objectivement (si l'on considère que cela est possible) les qualités dudit morceau, il le
déclare « bon », « excellent » ou « indispensable », attributs que seule la crédibilité du
blogueur peut conférer au morceau en question. Le morceau sera ensuite propagé sur la
chaîne du MDWOM auréolé de l'adoubement originel du blogueur influent, il s'agit du
fameux « si vous aimez x, il faut écouter ça ». Ce mécanisme, qui reflète les relations
d'influence et de pouvoir au sein d'une communauté, est le moteur du phénomène de
« buzz », le Graal de toute stratégie de marketing s'appuyant sur le MDWOM. Ainsi, non
seulement les membres de la Communauté Musicale appartiennent chacun à des sous-
communautés différentes mais chacune de ces communautés présente une structure
hiérarchisée en termes d'influence et de crédibilité. Comprendre ces structures, en
identifier les acteurs et les sites clés, c'est s'assurer que le MDWOM profitera des relais
les plus puissants (en termes de Chercheurs d'Information à leur tour Leaders d'Opinion
) et les plus rapides.
21
22. La Communauté Musicale est donc vaste, hétéroclite mais hiérarchisée, et
confrontée à la surabondance perpétuelle de produits. Ainsi, dans le WOM traditionnel,
les Leaders d'Opinion disposent d'informations supplémentaires plus ou moins
crédibles permettant au consommateur de se décider entre un nombre limité de
références qu'il n'a pas l'opportunité de tester. Dans le MDWOM, le leader d'opinion est
un Guide, éclairant l'Ignorant dans l'obscurité infinie de la production musicale, et qui
n'a pour lui que son goût et ses capacités de conviction. Un morceau n'a pas de qualités
objectives mais le blogueur pourra le couvrir de toute sa subjectivité, de ses
connaissances et de son enthousiasme. Ainsi l'influence et la crédibilité sont les deux
mesures qui placent l'individu dans la hiérarchie de sa communauté musicale.
3. De l'écoute à l'achat : la diffusion du MDWOM et le modèle de prise de
décision
Nous avons jusqu'à présent identifié les spécificités de la musique comme objet
de DWOM ainsi que les particularités de la Communauté Musicale comme agent de
diffusion du MDWOM. Il s'agit désormais d'amender le modèle de diffusion défini lors de
la Section A et d'y intégrer les variables spécifiques qui permettront de décrire un
modèle de prise de décision d'achat s'appliquant au MDWOM. La compréhension de ces
variables et des modèle de diffusion et de prise de décision devront permettre aux labels
indépendants d'imaginer plus efficacement un outil marketing de promotion de leurs
artistes s'appuyant sur le MDWOM.
Comme pour le modèle de diffusion classique, on distingue deux types d'acteurs :
les leaders d'opinion et les chercheurs d'informations. Comme dans le modèle
précédemment décrit, nous avons établi une hiérarchie parmi les Leaders d'Opinion
(hiérarchie d'influence et de crédibilité de chacune des sous-communautés musicales) et
la chaîne d'adoption de l'innovation s'étirant des Innovateurs (blogueurs influents) aux
Indifférents (membres de sous-communautés musicales non concernées par le genre
musical en question) s'applique toujours. Ainsi, les fondamentaux du mécanisme de
diffusion du MDWOM, qu'il s'agisse de la classification des acteurs ou du sens de la
chaîne de diffusion, sont les mêmes.
22
23. Pourtant, il faut intégrer au modèle plusieurs différences majeures.
Premièrement, le produit, ou un échantillon du produit (extrait d'un morceau ou d'un
album) fait partie intégrante du MDWOM. Cela implique la résolution du problème de la
crédibilité du message. Un DWOM peut diffuser de fausses informations sur le produit
qui en est l'objet alors que le MDWOM ne peut qu'émettre un commentaire sur l'objet
qui l'accompagne. Mais la musique est un produit dont les qualités sont subjectives au
sujet duquel l'agent émetteur du MDWOM ne peut qu'émettre une opinion. Cette opinion
influera sur la perception qu'aura le Chercheur d'Information du morceau ou de l'artiste
en question. Ainsi, l'Influence se substitue à la Crédibilité comme la variable essentielle
de l'impact sur l'individu récepteur du MDWOM. On pourrait ajouter que le DWOM
classique (pour un téléviseur ou une voiture par exemple) s'apparente à la diffusion
d'informations prétendument objectives concernant un produit appartenant à un
catalogue limité. Le MDWOM quant à lui, consiste en la diffusion d'un sous-catalogue de
produit (une poignée de morceaux parmi des millions) agrémenté d'opinions
ouvertement subjectives. Le DWOM est le commentaire d'une sélection de produits
quand le MDWOM est une pré-sélection commentée. Nous avons également établi que le
MDWOM constituait souvent l'unique source d'information pour la musique « Long
Tail ». Conséquemment, les artistes qui ne parviendront pas à intégrer l'une de ces pré-
sélections, et ne bénéficient pas d'une exposition médiatique suffisante, sont voués à
l'échec commercial. Aussi le MDWOM n'est pas autant que le DWOM voué à encourager
directement la prise de décision d'achat puisque la consommation de musique n'est plus
forcément liée à une transaction commerciale. Le MDWOM est avant tout un moteur
puissant permettant de donner de la visibilité à un artiste ou à une œuvre, visibilité dont
on supposera qu'elle est ultimement positivement corrélée au volume des ventes.
En quelques mots, l'impact du MDWOM est fonction de l'Influence des blogueurs
au départ de la chaîne (produit de la crédibilité éditoriale et de la taille de l'audience), de
la taille de la sous-communauté musicale intéressée et de la qualité de l'œuvre ( soit le
produit de l'œuvre elle-même et des attributs subjectifs que lui donne le blogueur). A ce
stade, il devient évident que l'objectif premier d'un label est de favoriser la visibilité de
ses artistes et de leur œuvres sur les différents canaux de MDWOM en identifiant tant les
bons canaux (lieux d'interaction des sous-communautés musicales potentiellement
intéressées) que les bons agents émetteurs (les Innovateurs). Mais l'objectif ultime reste
de traduire cette visibilité du produit en ventes. A ce titre, il est essentiel de comprendre
23
24. les déterminants de la décision d'achat, les processus qui vont conduire l'internaute de
la première écoute à l'acquisition (légale de préférence) du titre ou de l'œuvre en
question.
Nous considérons que la décision d'achat est corrélée proportionnellement à la
décision de consommation. C'est à dire que nous considérons qu'une certaine
proportion des internautes écoutant plusieurs fois un morceau transmis par le MDWOM
décident de l'acquérir. La problématique de l'augmentation de cette proportion est
cruciale pour l'industrie de la musique mais n'est pas liée directement à l'étude du
MDWOM. Ainsi, dans le cadre de notre modèle, consommation et achat sont confondus
sous le terme « Mise en Place ». Tentons donc d'appliquer le modèle de diffusion des
innovations de Rogers (2003) à la prise de décision d'achat par le consommateur. Le
modèle suggère 5 étapes successives : Connaissance (quand l'individu prend
connaissance de l'existence de l'innovation), Opinion (quand l'individu se forge une
opinion, favorable ou défavorable, sur l'innovation en question), Décision ( quand
l'individu décide d'accepter ou de rejeter l'innovation), Mise en place (quand l'individu
décide d'utiliser l'innovation) et Confirmation (quand l'individu cherche un soutien
extérieur pour la diffusion de l'innovation). Le MDWOM, comme une campagne
marketing classique, influe sur les deux premières étapes mais de manière autrement
plus efficace. En effet, une campagne de marketing classique (publicité dans les
magazines, artistes en écoute sur le site du label...) permet au consommateur de prendre
connaissance de l'existence de l'artiste et de son œuvre tandis que le poids de la
campagne (nombre de médias, fréquence de la publicité...) influera positivement sur
l'opinion que se fait le consommateur de l'artiste en question. Il s'agit là de la stratégie
des majors qui consiste à occuper à grands frais l'espace médiatique afin de rendre
« indispensable » l'artiste en question. Le MDWOM influe quant à lui plus subtilement
sur la « Connaissance » en ce sens qu'il met à disposition l'œuvre sur des canaux (blogs,
forums..etc) potentiellement plus spécialisés et divers (genre musical précis, blogueur
influents, playlists « tendance »..) sur lesquels les visiteurs sont naturellement plus
concernés par le produit en question, puisque la première étape de recherche du canal
en question élimine d'office les Indifférents. Naturellement , le fait que les blogueurs
mettent à disposition des œuvres non pas pour le profit mais par goût renforce
grandement la légitimité du MDWOM en question. En dehors de tout commentaire
adjoint au fichier mp3 , sa présence même sur tel ou tel blog signale l'appui de l'auteur.
24
25. Comme explicité précédemment, le caractère subjectif de la perception musicale et
l'influence d'un blogueur permettent à celui-ci d'avoir un impact sur l'étape « Opinion »
beaucoup plus important, puisqu'il ajoute à la « Connaissance » un jugement de valeur
(le plus souvent positif) légitime. Dans le cas d'un DWOM classique, concernant un
produit tangible, le problème principal est celui de la crédibilité que l'on peut attribuer à
l'auteur du message et la décision d'achat dépendra grandement dudit niveau de
crédibilité. Dans le cas du DWOM, le « produit » lui-même est à disposition et la décision
d'achat se limite pour le consommateur à évaluer son désir de « posséder » le morceau
rapporté au plaisir qu'il a pris à l'écouter.
Le WOM est souvent associé à l'adjectif « viral » ce qui sous-entend que sa
diffusion est désordonnée et incontrôlable. On présente également souvent le WOM
comme un moyen pour le produit de « se vendre tout seul » nonobstant les problèmes de
visibilité et les mécanismes de diffusion. A l'opposé de ces deux idées reçues, nous avons
établis que DWOM répond à des déterminants sociologiques précis qui impactent un
modèle de diffusion systématique. Plus avant, nous avons identifié les caractéristiques
spécifiques de la musique comme objet de DWOM et celles des membres de la
Communauté Musicale pour dépeindre un modèle de diffusion et de consommation
uniques. La compréhension des enjeux que le MDWOM présente à l'industrie musicale,
du fonctionnement des labels indépendants et des mécanismes régissant les différents
canaux de diffusion du MDWOM devront permettre aux labels de définir une stratégie
efficace d'utilisation du MDWOM pour promouvoir leur artistes et survivre à la crise
structurelle de l'industrie musicale.
25
26. IV. Description et Analyse du système de Bouche à Oreille
concernant la musique sur internet du point de vue de
l’industrie musicale
L'essor d'internet, la dématérialisation du support musical et l'émergence des
plates-formes de partage en ligne ont profondément bouleversé le paysage de l'industrie
musicale. Pour certains, obnubilés par le piratage, il s'agit simplement du torpillage
d'une industrie et du plus grand pillage de biens de consommation (et donc également
des artistes) jamais organisé. Pour d'autres, Internet et le MDWOM sont synonymes de
révolution des modèles de distribution et de l'ouverture d'un nouveau monde de
possibilités Marketing. Enfin, les plus optimistes parlent d'un Eldorado pour les
amateurs de musique: l'Offre est infinie, le partage est au cœur du système, et les œuvres
sont librement accessibles et gratuites pour qui le veux. L'objet de ce document n'est en
aucun cas d'apporter un jugement définitif sur la crise ou d'apporter une hypothétique
solution au magma problématique constitué du piratage, des droits, des modèles de
paiement, des modes de consommation...Cette seconde partie s'attachera à expliciter
dans un premier temps les impacts de la révolution digitale sur les modes de
consommation de la musique et sur les formes concrètes que prend le MDWOM ainsi que
les implications marketing des différents canaux identifiés et leur impact économique
réel. Il s'agira ensuite de comprendre le fonctionnement des labels indépendants,
l'impact de la crise et les opportunités que leur présente la révolution digitale.
A. Fonctionnement, nouveaux usages et cartographie du Bouche à
Oreille musical sur Internet
Lors de la première partie de ce document, nous avons décrit le mode de diffusion
du MDWOM et les déterminants sociologiques de ses agents en adoptant un point de vue
théorique général centré sur l'individu consommateur de musique. Mais pour l'industrie
musicale, il faut également prendre la mesure les changements d'habitudes de
consommation qu'implique la révolution digitale et cartographier les différents canaux
du MDWOM et leur caractéristiques uniques afin d'affiner la définition d'une stratégie
marketing s'appuyant sur les mécanismes du bouche-à-oreille.
26
27. 1. La révolution Web 2.0 : Les nouveaux modes de consommation musicale
Bien souvent, la crise d'une industrie est le signe d'une révolution profonde de
ses fondamentaux. L'industrie musicale n'échappe pas à la règle. Malgré la baisse des
coûts de production et l'essor des musiques électroniques grand public à partir du
milieu des années 90, le produit musical a peu changé et l'on s'en remettra
(heureusement) toujours aux artistes et à leur talent pour créer de la musique. La
révolution donc, est ailleurs et multiple même si elle semble dériver d'un évènement
unique: l'arrivée massive d'internet haut débit dans les foyers.
La première révolution est celle du support. Alors que depuis le début de
l'histoire de la musique enregistrée se succédaient les supports tangibles de plus en plus
pratiques ou élaborés (vinyles, cassettes audio, CD), Internet a favorisé le
développement et la propagation de supports intangibles de musique, qu'il s'agisse en
premier lieu du format MP3, de ses évolutions techniques (MP4 ou FLAC) ou encore des
sonneries téléphoniques et des contenus périphériques tels que les vidéos. La musique
devient dès lors facilement reproductible et échangeable pour un coût nul. Cette
révolution n'a trouvé toute l'expression de sa puissance que grâce au développement de
l'électronique grand public et plus précisément à travers l'essor des lecteurs portables
de fichiers mp3, remplaçant plus efficacement (taille, poids, capacité de stockage) les
lecteurs cassette, CD ou même MD.
La seconde révolution est souvent associée au Web 2.0, c'est à dire à l'essor
d'outils communautaires permettant aux internautes d'échanger et de partager tout type
d'informations, qu'il s'agisse d'avis et d'opinions, de photos, ou bien de fichiers vidéos ou
musicaux. Cela signifie fondamentalement deux choses. Premièrement la fin du
monopole des médias (et de l'impact limité du bouche-à-oreille traditionnel) concernant
la critique musicale. Les avis et les critiques circulent désormais directement entre fans.
La crédibilité mais aussi l'amplitude des critiques est nettement améliorée. Il existe
désormais deux circuits parallèles offerts aux consommateurs pour s'informer. Celui du
MDWOM, plus crédible, est également plus vaste et infiniment plus spécialisé quand il
n'est pas également précurseur. Évidemment, le circuit du MDWOM sert encore
27
28. davantage les amateurs de musique « Long Tail » (cf. Partie I.B.2), c'est à dire les
produits servis par les labels indépendants.
Le produit musical sur support digital, de par ses spécificités techniques, est donc
désormais librement échangeable et reproductible et supporté par une infinité de plate-
formes qui le mettent directement entre les mains des consommateurs potentiels. Ainsi,
si quelques artistes majeurs continuent à écraser les ventes internationales, bénéficiant
d'un support médiatique aussi impressionnant qu'onéreux ; Internet permet à
l'ensemble des artistes de mettre leur produit à disposition de leurs fans potentiels, qu'il
s'agisse d'une simple écoute ou de téléchargement légal. Ainsi, le volume de l'offre a
considérablement augmenté. Plus précisément, la « Long Tail » s'est allongée, c'est à dire
qu'il est apparu des milliers d'artistes de « niche », peu renommés, débutants ou ultra-
spécialisés, et qui ne pouvaient espérer bénéficier d'une visibilité quelconque sur le
circuit « mainstream ».
Un autre aspect fondamental découle de cette double-révolution : le changement
du rapport à la « propriété ». Dans l'ancien modèle, la consommation de musique
consistait soit en « l'écoute gratuite et subie », c'est à dire la radio, les films ou le DJ local,
soit en l'achat. L'achat permettait de disposer de sa musique à sa guise alors que
« l'écoute gratuite et subie » ne permettait ni de choisir le « Quoi » (quel artiste, quel
titre) ni le « Quand ». Dans le nouveau modèle, même si « l'écoute gratuite et subie
« existe toujours, Internet propose « l'écoute gratuite et choisie ». En effet, sous forme de
streaming (diffusion d'un titre sans possibilité de téléchargement), l'internaute peut
choisir ce qu'il veut écouter (« Quoi »), quand il le désire (« Quand ») mais également
avec l'essor de l'internet mobile « Ou » il l'entend. L'écoute est mieux informée, plus
individualisée (et donc potentiellement plus spécialisée) et la consommation de musique
infiniment plus pratique. Par ailleurs, les plate-formes de téléchargement (bien
qu'illégales) proposent le téléchargement gratuit de la majorité du catalogue universel.
Non seulement est t'-il désormais possible de consommer confortablement de la
musique sans en être propriétaire (i.e sans l'acheter) mais même l'appropriation est
potentiellement gratuite.
28
29. Un autre aspect important est celui de la proximité accrue que permet Internet
entre les artistes et leur base de fans, notamment au travers de sites attitrés ou de la
mise en ligne régulières de contenus dédiés, qu'il s'agisse de newsletters, de blogs
personnels,de titres inédits, de versions alternatives ou encore de contenus vidéos. Les
artistes n'ont jamais été aussi proches de leur audience. Par conséquent, la musique est
de plus en plus perçue comme un produit gratuit et la consommation de musique, au
sens du nombre d'heures d'écoute individuelles de musique, n'a jamais été aussi forte et
variée alors que les revenus de la vente de musique ne cessent de s'affaiblir. C'est la crise
de l'Industrie musicale et non pas celle de la musique.
2. Les nouveaux usages du MDWOM : la Liberté et le Chaos
Lorsque l'on compare le système du MDWOM et le modèle traditionnel de
communication de masse décrit plus haut, l'avantage fondamental d'internet comme
outil de communication est sa bidirectionnalité. A travers Internet, non seulement les
organisations peuvent atteindre des audiences larges à coût réduits mais, pour la
première fois dans l'Histoire, les consommateurs peuvent également mettre leur
réactions, opinions et pensées à disposition de la communauté globale des internautes.
L'amateur de musique sur Internet n'est plus seulement consommateur, pour la
première fois il est également prescripteur. La combinaison des deux rôles, ceux de
Leaders d'Opinion et de Chercheurs d'Information font d'Internet un espace immense de
liberté d'expression musicale, pour les productions musicales elle-mêmes mais surtout
pour l'ensemble du discours sur la musique. L'offre s'élargit, la Communauté musicale se
subdivise indéfiniment. La musique est de loin le sujet le plus discuté sur Internet et
chaque acteur est libre de produire, d'écouter, de partager, de transférer, de diffuser, de
compiler et de commenter.
Mais la Liberté sans organisation, la diffusion permanente d'une quantité
immense d'informations engendre le chaos. Non pas dans un sens politique de désordre
violent mais plutôt dans celui d'un désordre communicatif monstrueux au sein duquel
l'information se perd tant qu'elle n'est pas classée. Et au sens du MDWOM, une
information (et bien souvent le produit qui l'accompagne) perdent d'autant en
puissance que la difficulté de les trouver pour l'audience intéressée augmente.
L'augmentation exponentielle de l'Offre de musique et du MDWOM dont ses produits
29
30. sont le sujet, ce chaos informatif, est au cœur des mécanismes du MDWOM ; il s'agit
d'offrir une visibilité suffisante aux artistes qui le méritent, de défricher la jungle des
nouvelles sorties, oldies, rééditions et autres remixes. Les Chercheurs d'Informations,
tels que définis dans la première partie, ne cherchent bien souvent plus d'informations
sur un produit précis (i.e un artiste) mais plus simplement « un nouveau produit », un
artiste susceptible de leur plaire, c'est à dire finalement une source capable de trier, un
ou plusieurs influenceurs aux goûts qu'il savent proches des siens. A ce titre, les Leaders
d'Opinion agissent comme des guides. Ce sont eux qui « filtrent » l'Offre selon leurs
critères subjectifs mais également qui, en contrepartie, offrent de la visibilité à ces
artistes sur les canaux sur lesquels il trouveront une base d'amateurs potentiellement
intéressés. Nous pourrions filer la métaphore en disant qu'avant la Révolution Internet,
nous ne comptions que sur quelques « Leaders d'Opinion» parmi nos proches qui nous
guidaient dans le petit bois des nouvelles sorties. Désormais, le cercle des « Leaders
d'Opinion » s'est considérablement élargi , tout comme cette forêt musicale est devenue
une inextricable jungle. Comme leurs déterminants sociologiques le prédisent, les
Leaders d'Opinion cherchent à étendre leur influence et les Chercheurs d'informations à
trouver celles qui leur correspondent plus simplement et rapidement. Celui qui émet une
information n'existe que si celle-ci trouve son destinataire et celui qui en cherche est
l'ennemi absolu du chaos. Le MDWOM continue perpétuellement de s'organiser, de se
ramifier, de s'intégrer et de s'étendre conformément à ces deux tendances
fondamentales. Avant de tenter, dans la prochaine sous-partie, une cartographie
fonctionnelle à jour du MDWOM, il me semble important de préciser ces tendances de
fond qui régissent l'évolution du système.
Ces deux tendances peuvent sembler contradictoires mais traduisent en fait deux
ressorts psychologiques différents du Chercheur d'Informations, et plus précisément du
type de produit qu'il recherche à un instant précis. La première tendance est celle qui
consiste pour l'amateur de musique à creuser un genre musical, un label ou un artiste
qu'il apprécie, c'est ce que j'ai appelé, conformément à l'article « The Long Tail : Why the
Future of Business is less of more » de Chris Anderson, « l'allongement de la Long Tail ».
Internet permet, par l'intermédiaire du blogging, aux amateurs de musique de
s'exprimer sur le sujet de leur choix, sans les contraintes de rentabilité financière qui
pèsent sur la presse, et proposent bien souvent en téléchargement gratuits des titres
rares, transgenres et disparus. On trouvera en quelques secondes de la new-wave
30
31. suédoise, du funk thaïlandais ou des bandes originales de films de genre. Cette première
tendance est donc celle de la super-spécialisation. C'est elle qui étend la communauté
musicale, l'Offre de produits et d'informations, et qui sert de matière première à la
tendance suivante.
La seconde tendance répond au désir qu'à bien souvent l'amateur de musique de
découvrir les nouveautés qui valent le coup, ou simplement des artistes ou œuvres
proches de ses goût sans ce spécialiser plus avant dans ce qu'il connaît déjà. Le
Chercheur d'Informations ne se bornera pas toujours aux frontières d'une poignée de
blogs individuels aux audiences réduites mais cherchera au contraire à fouiller un
catalogue plus vaste dans lequel il sera guidé par ses préférences personnelles et celles
des autres membres de sa communauté musicale grâce aux nouvelles technologies de
l'information. On est dans l'optique d'une « découverte guidée » J'ai baptisé cette
tendance « l'Agrégation Personnalisée ». Ainsi, les succès fulgurants de Lastfm,
Hypemachine, Deezer, ou encore WeAreHunted témoignent de l'essor du « playlisting
personnalisé ». Illustrons cette tendance avec Hypemachine. Le site fonctionne comme
un agrégateur de blogs, c'est à dire que le contenu de l'ensemble des milliers de blogs
référencés sur Hypem est accessible directement à l'internaute sur la plate-forme.
L'internaute peut naviguer librement au hasard parmi les dernières parutions (onglet
Latest), consulter la tendance (onglet Popular), suivre des recommandations selon ses
goûts (onglet Radios ou User's Playlist) puis constituer simplement sa propre Playlist,
conserver en favori celles d'autres utilisateurs avant d'être à son tour le favori de
quelqu'un. Il pourra par ailleurs conserver une liste, mise à jour en temps réel, des blogs
individuels qu'il souhaite surveiller.
Ces deux tendances, l'ultra-segmentation et l'agrégation personnalisée
permettent au Leader d'Opinion comme au Chercheur d'Information de mieux
apprivoiser le chaos et de se rencontrer plus naturellement. Au fur et à mesure que les
outils communautaires progressent et s'adaptent aux désirs de la communauté musicale,
le MDWOM est fluidifié, plus rapide et donc potentiellement beaucoup plus puissant.
31
32. 3. Une cartographie fonctionnelle du MDWOM : comprendre les enjeux liés
aux différents canaux de diffusion
Afin d'établir une cartographie simple, il peut-être utile de reprendre la
distinction opérée par David Jennings dans son article « Word of Mouth Marketing and
Playlisting» entre la « Recommandation » et le « Sampling », c'est à dire entre le produit
lui-même, sous forme d'extrait ou de morceau entier, et toute forme de discussion qui en
parle. Avant l'apparition d'internet, l'un et l'autre allaient rarement de paire. En effet, on
pouvait lire une critique avant d'entendre l'album ou écouter l'artiste à la radio, chez un
ami ou dans un bar avant d'en entendre une critique ou uniquement l'un ou l'autre. Cette
indépendance et ce délai entre l'intérêt initial, l'écoute, et ultimement la consommation
(achat ou téléchargement illégal) rend le MDWOM particulièrement imprévisible. A ce
titre, il est intéressant de constater comment sur internet , le MDWOM intègre parfois
ces trois phases, se rapprochant ainsi du modèle de diffusion « pur » décrit en partie I. Le
morceau est accompagné d'une recommandation explicite (critique, article) ou implicite
(sa présence même sur tel blog ou dans telle playlist). Les formes que prend le MDWOM
et les modalités des sites sur lesquels ils se diffusent sont complexes et mouvantes.
Toutefois, il est utile de présenter les différentes canaux du MDWOM et les enjeux
marketing qu'ils impliquent, qu'il s'agisse d'un blog personnel, d'une plate forme
communautaire, d'un site de vente en ligne...Chaque site est différent et il n'existe pas de
canal de diffusion du MDWOM parfaitement homogène. C'est la raison pour laquelle
nous prendrons à chaque fois un exemple. Les formes que prendra le MDWOM à moyen-
terme ne seront que l'adaptation, l'intégration ou l'approfondissement de ces différents
modèles et la connaissance de leurs implications en termes de possibilités Marketing
doit permettre aux labels indépendants d'être plus efficace aujourd'hui et plus réactif
face à leur développements futurs.
– eMusic fait par exemple partie de ces DMSs (plate-formes de téléchargement
légal telles qu'iTunes, Amazon ou Rhapsody) qui se multiplient sur internet et
qui représentent évidemment le canal de distribution du futur (puisque les
ventes physiques diminuent). Comme le veut la tendance, eMusic s'appuie sur
les outils Web 2.0 en permettant à ses membres d'écouter un titre avant
l'achat. Le site propose un catalogue vaste, plus de deux millions de titres,
mais uniquement issu des catalogues des labels indépendants. De plus en plus
32
33. les DMS permettent également le partage de playlists ou abritent des
podcasts. Il s'agit de maximiser le temps passé sur le site et les interactions
entre membres tout en facilitant l'achat. Certains DMS sont musicalement
très spécialisés même s'il semble que l'objectif ultime soit de présenter un
catalogue universel. Toutefois, les mécanismes de propagation du MDWOM
restent limités sur les sites commerciaux.
– MySpace est le site communautaire par excellence. 120 millions de
membres pour plusieurs millions de groupes (stars mondiales ou inconnus
complets) qui partagent leur musique, leur goûts et toutes sortes
d'informations avec leur réseau d'amis et l'ensemble de la communauté,
essentiellement musicale. Myspace a représenté un tremplin pour de
nombreux groupes, plébiscité par les membres du site puis par l'industrie.
Ainsi l'objectif de Myspace Records, entité intégrée à l'entreprise Myspace, est
d'intégrer ces talentueux groupes inconnus dans le circuit musical, tandis que
le projet Myspace Music permettra à chaque groupe de vendre sa musique via
Myspace. Dans cet exemple, le site communautaire intègre la fonction de label
et celle de plate-forme de téléchargement légal. L'effet du MDWOM est
puissant sur Myspace mais tient bien souvent exclusivement au produit, aux
nombre d'écoutes de tels titres, et rarement aux commentaires des
utilisateurs. Ainsi Myspace permet d'assurer une certaine visibilité à la
musique en multipliant les « amis », mais la propagation d'un buzz est
rarissime et sa vitesse est inférieure à celle que pourrait lui conférer l'appui
quelques blogueurs influents.
– Les blogs musicaux et les podcasts comme Didyouseethewords sont la
forme traditionnelle, la plus pure au sens de la définition que nous avons
prise, du MDWOM. Ils s'agit pour des individus ou des petites communautés
de partager et commenter la musique qu'ils aiment. La taille, le degré de
spécialisation et l'influence des blogs sont variables mais ils présentent
l'avantage immense de s'adresser à une audience déjà informée. Le blog est le
point de départ du MDWOM, qui bien souvent présentera un lien vers
Myspace ou un site communautaire plus grand hébergeant la musique faisant
l'objet du MDWOM.
33
34. – Les sites tels que WeareHunted ou Hypemachine sont des agrégateurs de
contenu musical supportés par les derniers outils communautaires qui
proposent à l'internaute un parcours de découverte personnalisé (voir Partie
II.A.2). L'objectif d'une campagne de MDWOM sera d'apparaître dans les
classements de ces sites là, qui permettront au « buzz » de prendre une
dimension supérieure même s'il n'en seront par définition jamais le point de
départ.
– Enfin, les plate-formes de téléchargement illégales telles que Limewire ou
Soulseek représentent une part importante de la consommation musicale
mais restent, de manière générale, relativement anonymes, sans systèmes de
recommandations et ne sont à ce titre qu'une alternative illégale à l'étape
terminale de l'achat sans véritablement faire partie intégrante du modèle de
diffusion du MDWOM.
– Le système des « recommandations indirectes» est une autre forme de
MDWOM implicite. On parlera de recommandation indirecte quand un
service, tel qu' Amazon ou LastFM, analyse le comportement des utilisateurs
pour publier des recommandations, webradios, playlists...Même si l'on peut
discuter de la pertinence de mentionner de tels services concernant le
MDWOM puisqu'il sont automatisés et se passent de mots, il est intéressant de
signaler que de nombreux sites associent ces technologies à des outils
communautaires pour guider plus efficacement leur utilisateurs vers la
musique qu'ils apprécient.
Cette liste n'est évidemment pas exhaustive mais s'efforce de présenter
l'intégralité du spectre des services s'appuyant sur ou diffusant le MDWOM, qu'il s'agisse
de modèles explicites (blogs et podcast), implicites (Amazon ou LastFM) ou bien encore
mixtes (Hypemachine). Il incombera donc aux labels indépendants de garder en tête les
différentes possibilités Marketing et marges de liberté qu'offrent chaque type de modèle
et de mettre en place un parcours de diffusion du MDWOM s'appuyant sur ces
spécificités. Enfin, dans la perspective de David Jennings, il est important de noter que
l'interaction entre ces différents modèles progresse au sens d'une plus grande
34
35. intégration du produit, de la recommandation et de la possibilité d'achat. Ainsi, les blogs
proposent souvent un lien vers un DMS et les agrégateurs de contenu des liens vers les
blogs, une playlist vers le site d'un artiste..etc. Cette intégration et cette différentiation
des services doit permettre de faciliter tant la découverte, que la prise de décision et le
processus d'achat lui-même et donc accélérer et renforcer l'impact du MDWOM.
B. Les enjeux du bouche-à-oreille et la possibilité d’un nouveau
modèle promotionnel pour les labels indépendants
Lors de cette seconde sous-partie, nous nous attacherons à mettre en parallèle
la crise de l'Industrie Musicale et l'impact économique réel que peut avoir le MDWOM en
termes de ventes afin d'envisager dans un dernier temps les enjeux que la
compréhension et l'utilisation efficace du MDWOM présentent pour le nouveau modèle
économique des labels indépendants.
1. Comprendre la crise de l'Industrie Musicale et les enjeux de la nouvelle
donne digitale
A titre d'illustration, rappelons les derniers chiffres. La crise débute en 2000,
concomitante de l'essor de l'internet grand public, de la numérisation des supports de
musique et de l'apparition des plate-formes de téléchargement illégales. En 2008, pour
la huitième année consécutive, l'industrie du disque a vu son chiffre d'affaire reculer de
8,3%. Si les majors sont fortement touchées (UMG a du se séparer de près de 20% de ses
effectifs et EMI connaît d'inquiétantes difficultés de trésorerie), les labels indépendants
et leurs distributeurs n'échappent pas à la crise. Le distributeur indépendant anglais
Pinnacle, par exemple, a fait faillite, conduisant une part non négligeable des 400 labels
qu'il abritait à la banqueroute. Les fermetures de labels indépendants faute de ventes
suffisantes sont également innombrables.
Mais il convient de rappeler la distinction entre la crise de l'industrie musicale et
une éventuelle crise de la consommation de musique. En effet, la santé d'une industrie se
mesure à l'évolution de son chiffre d'affaires, qui, dans une économie pure et intègre,
35
36. doit représenter l'équivalent de la consommation des produits offerts par l'industrie. La
réponse la plus immédiate à cette assertion consisterait à stipuler que la consommation
de musique a elle-même diminuée, corrélativement à celle de la vente de musique. Au
contraire de cette vision simpliste, la demande du bien culturel musical dans toutes ses
formes se porte bien, l'industrie du spectacle vivant est florissante au point d'atteindre
son record historique en 2008. Tant en termes de nombre absolu de nouvelles sorties,
d'heures d'écoute individuelle que de variété de la demande, les chiffres sont en
hausse...comme en témoigne notamment les ventes toujours croissantes de baladeur
numériques. Plus encore, selon les mesures du NPD, l'audimat de la musique enregistrée
(support tangible, streaming et téléchargement, radios, jeux vidéos et autres) a
augmenté depuis 2002. Ainsi, comme nous l'avons précédemment souligné, ce sont les
modes de consommation de la musique qui ont changés, et qui économiquement se
traduisent par la baisse des ventes physiques et plus récemment par l'échec relatif du
modèle paiement-téléchargement. Le second raisonnement consiste à blâmer le
piratage. Selon l'IFPI, 95% des titres téléchargés en 2008 (soit 40 milliard de titres) l'ont
été illégalement. Pour récupérer ces parts de marchés « volées » l'industrie à adopté
entre 2000 et 2005 une posture défensive (absence d'innovations s'adaptant aux
nouveaux modes de consommation) et répressive (en tentant vainement de s'appuyer
sur des sanctions légales pour mettre fin au téléchargement). Progressivement, le
piratage est apparu comme n'étant plus uniquement la cause de la crise mais également
comme le reflet de l'inadaptation de l'industrie face à la révolution Internet, à la
numérisation des contenus, aux progrès de l'électronique grand public et aux nouveaux
désirs de consommation qui en découlent.
Tentons de résumer les erreurs commises par l'industrie du disque et les
opportunités qu'offre la révolution numérique. La première erreur est celle de l'Offre.
Alors qu'Internet commence dès 2000 à proposer un catalogue extrêmement large
d'anciens (fond de catalogue non-réédités) et de nouveaux (artistes auto-produits ou
sorties indépendantes mal distribuées) produits, l'Industrie Musicale, cadenassée par les
4 majors qui contrôlent 75% du marché, réduit ses effectifs, concentre ses efforts
marketing sur une poignée de sorties « mainstream » et ultimement limite sévèrement
l'étendue des catalogues édités, des nouvelles sorties et donc de l'Offre. Face à la
concurrence pure et parfaite au sens néo-classique que propose Internet, l'Industrie fait
figure de « modèle oligopolistique à franges concurrentielles » selon les mots de
36
37. Phillippe Le Guern, c'est à dire d'un marché écrasé par un nombre restreint d'acteurs
dominants (les majors) et d'une marge de multiples petites entités (les labels
indépendants). Limiter l'Offre alors que la demande s'hétérogénéise est la première
erreur, celle de la promotion au détriment de la création.
La seconde erreur est l'obstination à vendre des CD et non pas de la musique,
c'est à dire à considérer le support (le CD) comme étant le produit (la musique comme
bien culturel). Cette erreur simple est l'une des causes du retard qu'à pris l'industrie lors
de l'apparition du fichier MP3 et des lecteurs de musique portable. Les majors n'étaient
pas prêtes à gérer un support intangible, échangeable et reproductible et qui créait un
chaos juridique et commercial sans précédent. Elles ont donc choisi de lutter contre et
entre 2000 et 2003, l'unique plate-forme de téléchargement existante sur Internet de
MP3 était illégale(Napster). L'Industrie Musicale, effrayée à l'idée de cannibaliser son
marché principal, n'a proposé aucune alternative aux consommateurs de musique
digitale, qu'il s'agisse de s'allier avec Napster ou de créer une ou plusieurs plate-formes
légales.
La troisième erreur, peut-être la plus dommageable, est celle de n'avoir pas su lire
les nouveaux modes de consommation qu'offraient la révolution numérique telle que
définie lors de la sous-partie précédente. Ce nouveau type de consommation, rapide,
pratique, mobile et fondé sur l'échange et le partage ne trouvait jusqu'à récemment
comme seul Eldorado, que les sites de téléchargement illégaux. Même après son
ouverture au marché digital, l'Industrie, en protégeant les contenus vendus sur les plate-
formes de téléchargement légales(DRM), en proposant des catalogues tronqués, a
cherché à vendre un produit ayant intrinsèquement moins de valeur que ce que les
plate-formes illégales (pas de DRM, catalogue plus vaste) proposaient....gratuitement.
Comme l'analyse Simon Wright, PDG de Virgin Entertainment Group, l'industrie n'a fait
qu'empirer la situation en adoptant une attitude défensive. A ce titre, l'exemple de
Napster, le premier et unique monopole historique de partage en ligne, est flagrant : « Ils
ont jeté des milliards de dollars par la fenêtre en attaquant Napster, alors qu'il y avait
alors une opportunité incroyable. Tout le monde utilisait le même service . »
La liste des stratégies inadaptées et autres erreurs des dernières années
pourraient être allongée indéfiniment, notamment en abordant les problèmes de
survalorisation du produit musical et de gestion des droits numériques. Mais l'objectif
37
38. de ce document n'est pas de dresser le bilan stratégique de l'industrie musicale des
années 00. Tâchons de résumer les enjeux que la révolution à l'œuvre présente. Une
chaîne de valeur très simplifiée du produit musical pourrait se présenter comme suit :
production-promotion-distribution. Pour ce qui est de la production, les coûts ont
baissés et de nombreux artistes s' auto-produisent, certains modèles proposent mêmes
aux internautes d'investir dans la production d'une œuvre. Mais les fondamentaux de
l'étape de production n'ont pas changés. La distribution représente le défi majeur pour
l'Industrie du disque : il s'agit de faire payer la consommation de musique (sous forme
d'écoutes ou de téléchargements) que la révolution numérique a rendu gratuite. Les
questions de formats, de licences, de propriété et de gestion des droits sont au cœur du
système et de nouvelles tentatives de solution apparaissent chaque jour. Mais ce
document n'a ni la prétention, ni l'objectif de résoudre le problème majeur de l'industrie
du disque. Enfin, Internet a profondément métamorphosé les modèles de promotion de
la musique (cf Partie II.A.2), notamment en cela que le consommateur de musique
(payant ou non) est également devenu promoteur direct ou indirect de musique par
l'intermédiaire des mécanismes du MDWOM. Les labels indépendants, comme les
majors, sont concernés par les problèmes de distribution mais doivent en plus composer
avec des moyens financiers extrêmement limités pour promouvoir leurs artistes. Mais le
MDWOM, particulièrement destiné aux populations « Long Tail », présente l'opportunité
fantastique d'une promotion crédible, rapide, peu onéreuse et intimement lié au
consommateur et à sa décision d'achat.
2. Les vrais impacts économiques du MDWOM : Distribution, Écoute et Ventes
Avant d'établir le rôle que pourra jouer l'utilisation du MDWOM dans les modèles
de promotion utilisés par les labels indépendants et les modalités qu'il prendra, il
apparaît important d'analyser l'impact économique réel que le MDWOM en tant qu'outil
promotionnel peut avoir sur la visibilité, la distribution et ultimement les ventes de
musique.
Comme nous l'avons indiqué précédemment, le MDWOM impacte différemment
les populations « Mainstream » et « Long Tail ». Avant de détailler ces différences,
38
39. revenons plus précisément sur le concept de Long Tail tel qu'il a été développé en 2006
par Chris Anderson. « Aujourd’hui, nous avons vendu plus de CD que nous n’avons pas
vendu hier, que de CD que nous avons aussi vendu hier ». Voilà la manière dont un
employé d’Amazon décrit la longue queue (The Long Tail). Il s’agit de l’illustration de
l’idée suivante : dans l’hypothèse de canaux de distribution permettant d’offrir le
catalogue de produits le plus large possible, l’ensemble des produits ayant une demande
faible peut représenter plus, en terme de volume de vente, que les best-sellers.
Autrement dit, les marchés de niches peuvent collectivement représenter plus que celui
des mass-médias.
Nous utiliserons dans cette partie les résultats de l'étude « Impact of Blogging on
Music Sales » (S.Dewan, J. Ramaprasad 2008). Il faudra préalablement garder en tête que
le MDWOM est extrêmement volatile, qu'il n'y a pas de recette Marketing qui permette
de transformer systématiquement un MDWOM en buzz puis un buzz en ventes. Le succès
d'une œuvre dépendra avant toutes choses du talent des musiciens et de la capacité du
label à mettre le produit en vue et à disposition de l'audience à laquelle il doit s'adresser.
Il ne faut donc pas espérer obtenir un ratio comparant le nombre totale d'écoute d'un
titre ou la note donné à l'album sur tel ou tel blog, sa présence dans x playlists... et le
nombre de ventes. Nous pouvons simplement, comme les auteurs de l'étude, constater la
force des relations entre le blogging, la mise à disposition des produits à l'écoute
(sampling ) et les ventes en soulignant les différences entre les produits/consommateurs
« mainstream » et « Long Tail ». Cette étude quantitative mesure l'impact du WOM
(nombre d'écoutes en streaming et de mentions de l'artiste sur l'ensemble de la
blogosphère) et le niveau des ventes. Les auteurs concluent que si les blogueurs et leurs
lecteurs sont globalement moins « mainstream » que la moyenne des consommateurs de
musique, ils développent également une propension supérieure à écouter de la musique
proposé en streaming sur les blogs, et ce d'autant plus que le blog est influent. L'impact
du MDWOM par l'intermédiaire des blogs influence plus la consommation musicale des
amateurs de musique « Long Tail » que « mainstream ». Proportionnellement, il y a plus
de membres de blogs chez les amateurs de musique « Long Tail » ce qui ne fait que
souligner l'importance de l'aspect communautaire pour la propagation d'un MDWOM
concernant des produits obscurs ou peu visible en dehors de la blogosphère... Quel que
soit le type de musique, le volume des ventes est positivement associé à ceux des
recommandations et du sampling, c'est à dire qu'il n'existe que peu de MDWOM négatif.
39
40. Toutefois, cette relation entre volume du MDWOM et volume des ventes est plus forte
concernant la musique « Mainstream ». La Long Tail se rallonge mais ne s'épaissit pas,
c'est à dire que le nombre totale d'artistes/albums différents vendus augmente avec le
MDWOM mais que les volumes individuels de ventes de chaque artiste de la « Long Tail »
stagnent.
3. L’importance du Bouche-à-oreille dans le nouveau modèle promotionnel
des labels indépendants
Le MDWOM influence donc bien les goûts des amateurs de musique en plus d'être
un outil important permettant de favoriser la visibilité de l'artiste. Il est également, et
c'est fondamental, positivement corrélé au volume des ventes. Le MDWOM ne joue
jamais négativement. Plus encore, il convient particulièrement à la musique « Long Tail »
et à ses amateurs, aux artistes peu renommés ou débutants, aux genres pointus et aux
œuvres obscures, c'est à dire directement aux produits proposés par les labels
indépendants. Après avoir explicité la crise de l'industrie musicale et démontré les
impacts économiques positifs du MDWOM, il s'agit d'analyser les modèles marketing de
la musique et leur évolution et de souligner l'opportunité fondamentale que représente
le MDWOM comme outil promotionnel.
Dans sa définition la plus large, un label indépendant est simplement une maison
de disque dont le fonctionnement, qu'il s'agisse de la production, de la promotion ou de
la distribution ne dépend pas des quatre « majors » : Sony, Universal, Warner et EMI.
Mais l'étiquette « label indépendant » recouvre une réalité extrêmement contrastée. Il
peut s'agir de vastes entreprises internationales extrêmement profitables comme de
micro-labels uni-personnels dans lesquels le directeur est aussi bien souvent l'artiste, le
producteur, le fabricant et le distributeur et le proriétaire de la cave qui abrite le label... .
Qui plus est, les accords de distribution ou les opérations de promotion peuvent être
menées conjointement par les labels indépendants et les majors. Certaines majors
possèdent intégralement ou partiellement des labels indépendants, et qui n'ont dès lors
d'indépendant plus que le contenu qu'ils proposent. Les contrats de licence troublent
encore un peu plus les frontières entre majors et indépendants. Pour cette sous-partie et
pour la suite du document, nous entendrons par « indépendant » tout label qui ne
40
41. dispose pas de moyens comparables aux majors pour promouvoir ses artistes et dont la
majorité du catalogue est composé de produits « Long Tail ». Il s'agit donc de voir
comment, sous la contrainte de moyens financiers et humains limités, un label
indépendant peut intégrer dans son modèle économique le MDWOM comme outil
promotionnel.
Nous n'avons pas précisément décrit la multitude de modèles de distribution qui
s'offrent aux labels et nous nous concentrerons sur la phase promotionnelle de la chaîne
de valeur en rappelant que la promotion est au cœur des prérogatives des labels. Une
fois le produit fini, c'est à dire l'album enregistré, et en prenant l'hypothèse (optimiste)
d'un réseau de distribution performant, ce n'est plus qu'à la réussite de l'étape
promotionnelle que tient le succès de l'artiste. Notons tout de même qu'une stratégie de
distribution agressive dans un temps limité peut faire partie de l'arsenal promotionnel
d'un label. Toutefois, il est important de rappeler ce qu'implique la révolution numérique
pour les fondamentaux des modèles d'affaires des labels indépendants. La
transformation des canaux de distribution a eu un impact non négligeable sur ceux du
Marketing. Les plate-formes généralistes de téléchargement légal (Emusic, iTunes,
Amazon...) sont l'un des facteurs déterminants de l'allongement de la Long Tail. La
caractéristique principale de ces canaux est la faiblesse des coûts de distribution et de
stockage. En limitant ces coûts, il devient rentable de vendre des produits peu demandés
puisque le seuil à partir duquel la vente du produit génère des bénéfices est extrêmement bas.
Le monde de la distribution digitale de contenus, aux coûts de distribution et de stockage
quasiment nuls, permet donc aux labels indépendants de rentabiliser leur activité en vendant
une multitude de produits faiblement demandés là ou les majors continuent de dépendre de la
vente de leur best-sellers. Il s'agit donc avant tout pour les labels de donner de la visibilité à
leurs produits sur les canaux correspondant aux niches musicales concernées, c'est à dire de
transformer le MDWOM en moteur des ventes.
Mais la révolution numérique a également modifié les modèles de promotion. Internet
constitue simplement la plus grande plate-forme permettant de mettre en relation les
consommateurs et le produit musical. Revenons sur la transformation des modèles de
promotion. Dans le modèle classique, c'est à dire celui utilisé depuis la naissance de la
musique enregistrée jusqu'à l'avènement d'internet, la promotion des artistes est un procédé
coûteux et sélectif consistant à augmenter la visibilité des artistes. Traditionnellement, il
41