Justice, pardon et réconciliation. — 06. Le Japon et les traces de sa période impériale en Asie du Sud-Est
1. Diaporamas ‘ De l’offense à la réconciliation’
Série 2 – Justice, pardon et réconciliation
6 - Le Japon
et les traces de sa période impériale en Asie du Sud-Est
Étienne Godinot .24.05.2023
2. La série de diaporamas
‘De l’offense à la réconciliation’
Sommaire - Rappel
Série 1 : Mémoire et reconnaissance de crimes du passé
1 - Introduction
2 - La mémoire de l’esclavage
3 - La mémoire du colonialisme
4 - La mémoire du génocide des Arméniens
5 - La mémoire de la Shoah
6 - La mémoire des crimes du communisme
7 - La mémoire des crimes commis par les États-Unis
8 - La mémoire des crimes des Khmers rouges au Cambodge
9 - La mémoire du génocide du Rwanda
10 - La mémoire des crimes commis pendant les guerres en ex-Yougoslavie
11 - La mémoire de l’apartheid en Afrique du Sud
12 - La mémoire des crimes commis par les institutions religieuses
Série 2 : Justice, pardon et réconciliation
1 - Justice, pardon et réconciliation : dissiper les malentendus
2 - Pardon et réconciliation entre personnes
3 - Pardon et réconciliation entre groupes humains
4 - La réconciliation franco-allemande
5-1 - L’Algérie et la France : de 1830 à 1962
5-2 - L’Algérie et la France : depuis 1962
6 - Le Japon et les traces de sa période impériale en Asie du Sud-Est
7 - La Chine. Une volonté de revanche ?
8 - Institutions en faveur de la justice et des droits humains
9 - Relire et dépasser le passé pour inventer l’avenir
3. Le poids de l’histoire
Les horreurs subies, les blessures reçues et les humilia-
tions vécues génèrent chez les victimes des rancoeurs et des
désirs de vengeance, tant entre les individus qu’entre les groupes
sociaux ou dans l’inconscient des peuples.
Elles peuvent être dépassées après un processus de
guérison qui implique, de la part des auteurs du mal ou de leurs
successeurs, la reconnaissance des faits et une demande de
pardon.
Sans cette relecture de l’histoire et sans cette démarche, la
suite des évènements apporte son lot de haine, de vengeance et
de revanche, de guerre et de malheur.
4. L’exemple des guerres
franco-allemandes
La 2ème Guerre Mondiale (1939-45) avait
pour cause majeure la volonté de revanche des Allemands
dirigés par d’Hitler après l’humiliation subie par l’Allemagne
dans le traité de Versailles (juin 1919),
suite à la Première Guerre mondiale (1914-1918) qui
avait pour raison principale la volonté de revanche des Fran-
çais après l’humiliation subie par la proclamation de l’Empire
allemand dans la galerie des glaces à Versailles (18 janvier
1871), au traité de Francfort et à l’annexion de l’Alsace-
Lorraine,
suite à une guerre de 1870-71 déclenchée pour des
motifs d’ambitions nationalistes et une volonté de revanche des
Prussiens après la victoire des armées napoléoniennes à Iéna
et Auerstaedt en 1806…). « Sans Iena, pas de Sedan ! » disait
en 1871 le chancelier Otto von Bismarck, partisan et vainqueur
d’une guerre franco-allemande pour fonder l’unité germanique.
5. Le traité de Versailles (1919)
Pour l’essentiel, c’est le Britannique David Lloyd George, l’États-
unien Thomas Woodrow Wilson, l’Italien Vittorio Orlando et le Français
Georges Clemenceau qui mènent les débats, dont la tournure montre
que les vainqueurs de la Première Guerre mondiale ont des visées
différentes, voire opposées.
Clemenceau veut infliger un traitement sévère à l’Allemagne par le biais de
l’annexion de la rive gauche du Rhin, mais aussi par le versement de réparations
d’un montant vertigineux, une politique qui ne peut aboutir qu’à une hégémonie de
la France en Europe continentale. Lloyd George et Wilson sont, quant à eux,
opposés à cette paix qui humilierait l’Allemagne et la mènerait à sa ruine, ce qui
aurait des conséquences politiques et commerciales désastreuses.
Les négociations sont âpres et le deviennent plus encore avec
les exigences d’autres alliés, dont le Japon qui souhaite annexer les
possessions allemandes dans le Pacifique, ainsi que les concessions
allemandes en Chine, ce qui provoque le départ de la délégation
chinoise en mai 1919.
L’Italie, quant à elle, est écœurée de se voir refuser l’annexion de
la Dalmatie et de Fiume, qui lui avaient pourtant été promises en 1915
afin de la décider à rejoindre le camp des Alliés.
Image du haut : Le traité de Versailles d’après le peintre William Orpen
Image du bas : le traité signé dans la galerie des glaces du château de Versailles
6. Le traité de Versailles (1919) et ses conséquences
Le 17 juin 1919, les vainqueurs imposent à l’Allemagne
un traité d’une grande dureté qui réussit l’exploit de mécontenter tout le
monde.
Sur le plan territorial, l’Allemagne, amputée d’un huitième de son
territoire, est coupée en deux à l’Est.
Les puissances coloniales riveraines des possessions allemandes
en Afrique (Royaume-Uni, France, Belgique et Union sud-africaine) se
partagent toutes les colonies allemandes : le Cameroun, le Togo,
l'Afrique orientale allemande (Tanzanie, Rwanda et Burundi actuels) et le
Sud-Ouest africain (actuelle Namibie).
Dans le Pacifique, la Nouvelle-Guinée allemande, occupée
pendant la guerre, est partagée entre le Japon, l'Australie et le Royau-
me-Uni, qui administrent ces territoires sous mandats de la SDN. Les
îles Samoa allemandes passent sous mandat néo-zélandais.
Dans la foulée, l'Allemagne doit également renoncer à ses intérêts
commerciaux (ses comptoirs et ses conventions douanières) à travers le
monde (Chine, Siam, Maroc, Égypte, Turquie, etc.)
7. Le traité de Versailles (1919) et ses conséquences
L’armée allemande est réduite à 100 000 hommes (et
16 000 marins) et ne peut plus posséder d’aviation, d’artillerie
lourde, de chars, de sous-marins ni de cuirassés.
Sur le plan économique, l’Allemagne est condamnée à verser
des réparations de guerre* dont le montant doit être fixé au plus tard en
1921, mais elle doit, en attendant, verser aux Alliés 20 milliards de
marks à titre de provision, ainsi que quantité de navires de commerce,
de machines-outils et de matériel ferroviaire, de même que de sa
production de charbon ou d’acier.
Elle doit enfin reconnaître sa responsabilité morale dans le
déclenchement du conflit.
* Le montant à payer estimé après plusieurs évaluations est fixé à 132 milliards de
marks-or. La Commission des réparations et la Banque des règlements internationaux estiment
que l'Allemagne a payé au total 20,6 milliards de marks-or de réparations. La France a touché au
total un peu plus de 9,5 milliards de marks-or, au lieu des 68 prévus, ce qui amena le Président
Raymond Poincaré, en accord avec le roi de Belgique Albert 1er, à occuper la Ruhr de janvier
1923 à août 1925 et la Rhénanie jusqu’en 1930, décision qui a accéléré l’avènement de Hitler.
- Photo du haut : Caricature allemande au sujet du Diktat de Versailles
- Photo du bas : Un soldat français sur le wagon d’un train de charbon allemand réquisitionné
par la France dans la Ruhr en 1923
8. Les germes de la 2ème Guerre mondiale
Les termes du traité sont si durs que le gouvernement
allemand envisage un temps un soulèvement militaire. Il accepte finalement
de le signer le 28 juin 1919. Ce "Diktat" ne fait qu’exacerber le sentiment
nationaliste en Allemagne, qui sera largement exploité par les nazis.
En Italie, le sentiment le plus prégnant est celui de la trahison, qui va
produire les mêmes effets et faciliter l’accession au pouvoir du fascisme en
1922.
En Asie, le Japon possède un rideau d’archipels anciennement
allemands (îles Mariannes, Marshall et Carolines) qui va lui servir dans sa
future guerre de conquête.
Les Français estiment que l’Allemagne s’en sort à bon compte, les
Britanniques ont le sentiment de ne pas avoir été entendus et le
Sénat américain refuse de ratifier l’accord. Au final, le traité de
Versailles porte en son sein les germes d’une conflagration plus
violente encore…
Images :
- « Was wir verlieren sollen : Ce que nous devons perdre !" Affiche sur les résolutions
prises par la Conférence de la paix de Versailles. Louis Oppenheim, lithographie, 1919.
- Le désir de revanche de l’Allemagne incarné par Adolf Hitler
9. Le Japon
lors du traité de Versailles
Devenu une puissance militaire reconnue à la suite de sa
victoire sur la Russie en 1905, le Japon s’était retrouvé par le jeu des
alliances du côté des vainqueurs de la Première Guerre mondiale :
bien qu’il ait peu combattu, il avait bloqué les routes de ravitaillement
maritimes des possessions allemandes dans le Pacifique.
À ce titre, il figurait parmi les alliés aux côtés de la France, de
la Grande-Bretagne, des États-Unis et de l’Italie, signataires du traité
de Versailles, et il obtint le droit d’administrer les anciennes posses-
sions allemandes au Shandong (Chine) ainsi qu’un siège au Conseil
permanent de la Société des Nations (SDN) à Genève.
Photos :
- En style architectural bavarois, le palais du gouverneur à Tsingtao, colonie allemande
entre 1898 et 1914 dans la province du Shandong en Chine 17 600 Japonais s'y
installent après 1914, mais le gouvernement de la République de Chine récupère le
territoire en 1922.
- Débarquement de troupes japonaises lors du siège de Tsingtao (août 1914),
10. Le camouflet infligé au Japon
à Versailles
Lors de la Conférence de la paix qui s’ouvre à Paris en
janvier 1919 à l’initiative des vainqueurs de la Première Guerre
mondiale, le principe de l’égalité des races* est débattu à l’initiative du
Japon, mais il est rejeté par les grandes puissances de l’époque,
soucieuses de continuer à justifier leur expansion coloniale en
invoquant l’infériorité des races non blanches.
Makino Nobuaki, représentant du Japon, déclare dans une
intervention d’une sèche brièveté que l’honneur du Japon a été blessé.
Le rejet de sa proposition « fut ressenti comme une désillusion
générale à l’égard de l’Occident », résume l’historienne Naoko -
Shimazu**.
Nouveau venu dans le concert des nations, ce pays prend
conscience que le "club" des puissants lui reste fermé.
* qui figurera dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948
** dans Japan, Race and Equality. The Racial Equality Proposal of 1919 (Routledge, 1998).
Photo du haut : Le comte Makino Nobuaki (1861-1949), ministre des Affaires étrangères
du Japon de février 1913 à avril 1914, représentant du Japon à la Conférence de paix de Paris
de 1919.
11. Les "traités inégaux"
Ce camouflet ravive le souvenir des "traités inégaux" imposés
lorsque le Japon avait été contraint de s’ouvrir et dont il n’avait obtenu
la révision qu’une vingtaine d’années auparavant.
Les "traités inégaux", ainsi que les appellent les Chinois, sont
un ensemble de traités datant du 19ème siècle, imposés à la Chine, à
la Corée, et au Japon par les puissances colonisatrices de la région
(Royaume-Uni, France, Pays-Bas, Allemagne, Russie, États-Unis,
Autriche-Hongrie, Portugal). D'autres colonies sont touchées par ces
traités, telles que l'Inde, le Népal, le Siam, le Tibet, le Vietnam ou
Ceylan.
Concernant le Japon, il s’agit de traités signés entre 1854 et
1891 avec les puissances occidentales.
Plus généralement, le terme de "traité inégal" est parfois utilisé pour
qualifier un traité discriminatoire, déséquilibré ou obtenu sous la contrainte,
offrant des avantages disproportionnés à l'une des parties signataires,
notamment sur le plan économique, politique ou militaire.
Photos : - « Traités Ansei des cinq puissances » : traités de commerce entre le Japon et les
États-Unis, la Russie, la France, le Royaume-Uni et les Pays-Bas, 1858.
- « En Chine, le gâteau des Rois et… des Empereurs » (Le Petit Journal, 16 janvier 1898).
La Chine partagée entre les grandes puissances (Grande- Bretagne, Allemagne, Russie
France et Japon de l'ère Meiji).
12. Le traitement du Japon
dans les traités navals de l’entre-deux guerres
Durant l'entre-deux guerres, de nombreux hommes politiques
et militaires japonais s’indignent au sujet du traitement réservé au
Japon lors du traité de Versailles, le traité naval de Washington de
1922*, et celui de Londres en 1930**.
* Le traité naval de Washington en février 1922 (photo du haut) s'inscrit dans
le contexte de la promotion d'une réduction des armements qui était l'une des
premières raisons d'être de la SDN naissante. Le traité limitait le tonnage
total de grands navires de guerre pour chacun des signataires : Empire
britannique, États-Unis, France, Japon, Italie. Le traité naval eut un profond
effet sur les Japonais, dont beaucoup considéraient qu'il était une façon d'être
mis en infériorité par rapport à l'Occident. Le Japon dénonça dès 1934 le traité
naval de Washington et le quitta en 1936.
** Le traité naval de Londres (photo du bas) est un traité signé en avril 1930
entre le Royaume-Uni, l'Empire du Japon, la France, le Royaume d'Italie et
les États-Unis, limitant les navires de guerre de chaque marine.
Lors du second traité naval de Londres (mars 1936), le Japon déclare
publiquement ne plus vouloir obéir aux limitations imposées par le précédent,
13. L’idéologie nationaliste, militariste
et expansionniste du régime Shôwa
Ulcérés par le traitement accordé à leur nation par les puissances
occidentales, de nombreux politiciens et militaires japonais (comme Ikki
Kita, Sadao Araki et Fumimaro Konoe) réactualisent la doctrine du hakkō
ichi'u ("Les huit coins du monde sous un seul toit") et propagent une
idéologie fondée sur la supériorité de la race nipponne et son droit à
dominer l'Asie. Cette idéologie présente le Japon comme le centre du
monde et prend assise sur l'institution impériale et l'empereur, considéré
comme le descendant de la déesse Amaterasu Omikami.
Partageant les mêmes vues ultranationalistes que Kita et Shūmei
Ōkawa, Nisshō Inoue élabore pour sa part une synthèse d’ultranationa-
lisme et de bouddhisme. Avec son groupe terroriste Ketsumeidan, il est
l’instigateur en 1932 d’une série d'assassinats politiques dont celui
du premier ministre Tsuyoshi Inukai ouvrant la voie à la mainmise des
militaires sur la vie politique.
Photos :
- Sadao Araki (1877-1966)i, ministre de l'Armée, et l'un des principaux théoriciens du régime Shôwa
- Nissho Inoue (1887-1967), prédicateur bouddhiste de la secte Nichiren et fondateur de l'organi-
sation japonaise terroriste d'extrême droite Ketsumeidan.
14. L’idéologie nationaliste, militariste
et expansionniste du régime Shôwa
À compter du mois d'août 1940, coïncidant avec le 2 600ème
anniversaire de la fondation mythique de la nation, le concept du hakkō
ichi'u est officiellement adopté par le gouvernement de Fumimaro Konoe
comme devant conduire à l'établissement d'un « nouvel ordre en Asie
orientale ».
La propagande, présente depuis le début de l'ère Shōwa, atteint son
paroxysme avec l'intensification de la "guerre sainte" du Japon contre la
Chine et son entrée en guerre contre l'Occident. L'étranger devient dès lors
un kichiku ("bête"), un être inférieur qui ne peut qu'être méprisé*. Cette
dévalorisation favorise la violence à l'encontre des populations civiles des
pays conquis et des prisonniers, conduisant même à des concours de
décapitation et jusqu‘à la vivisection et au cannibalisme.
Images :
- Affiche de propagande de 1940 commémorant le 2600e anniversaire de la fondation mythique de
l'empire par l'empereur Jinmu
- Emblème de l'Association de Soutien à l'Autorité Impériale, parti fondé en octobre 1940
par Fumimaro Konoe, qui visait à implanter une structure totalitaire destinée à promouvoir la guerre
totale.
- Étendard de l'Armée impériale japonaise de 1870 à 1945
* Pareillement, les nazis en Allemagne considèrent les Juifs comme des Stück (pièces), les
fanatiques hutus en 1994 considèrent les Tutsi comme des "cafards".
15. Les conquêtes du Japon impérial
L'impérialisme Shōwa vise notamment à assurer au Japon
le contrôle de pays producteurs de pétrole, de fer, de bois, de caout-
chouc, de riz et de soja. Le gouvernement Konoe met en place la Kōa-in
‘Agence de développement de l'Asie orientale’, dont le rôle est de
structurer l'exploitation des colonies, notamment par le biais d'un
système de travaux forcés.
Le Japon impérial conquiert le Royaume de Ryūkyū (1872-1879),
Taïwan (1895) et la Corée (1910). L'Empire du Japon tient un rôle
important dans la répression de la révolte des Boxers en Chine.
En 1931, l'armée japonaise s'empare de la Mandchourie chinoise.
L'invasion de la Chine continentale est autorisée par l'empereur
Hiro-Hito (ou Shōwa Teno, "Empereur Showa", 1901-1989 ) en juillet
1937. Elle donne lieu à d'innombrables atrocités contre les populations
civiles, rendues possibles par la décision prise par l'empereur en août
1937 de suspendre l'application des conventions internationales sur les
droits des prisonniers de guerre.
Images : - Carte de l’extension maximale de l'Empire japonais et de la "sphère de coprospérité".
- Timbre avec la carte de la "sphère de coprospérité".
16. Les exactions
de l’armée impériale
japonaise en Chine
Parmi ces atrocités, la plus connue est le massacre de
Nankin. Pendant 6 semaines (déc. 1937 et janvier 1938), 100 à
200 000 civils et soldats chinois désarmés sont assassinés et entre
20 000 et 80 000 femmes et enfants sont violés par les soldats de
l'Armée impériale japonaise.
La "politique des trois tout" (Sankō Sakusen : "Tue tout,
brûle tout, pille tout !") consiste à brûler des villages, confisquer du
grain et, dans des lieux sélectionnés, à tuer tous les hommes âgés
de 15 à 60 ans soupçonnés d'être des "ennemis". Selon l'historien
japonais Mitsuyoshi Himeta, elle entraîne, à compter de mai 1942,
la mort de 2,7 millions de Chinois, surtout les régions du Hebei et
du Shandong.
Images : Crimes de guerre de l’armée impériale japonaise et massacre de Nankin. La
photo sur la couverture du livre montre l’enterrement de civils chinois vivants.
17. Peut-on établir des comparaisons dans l’horreur ?
Si vous étiez un prisonnier de guerre originaire du Royaume-Uni, des
États-Unis, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande ou du Canada (mais pas de
la Russie) aux mains des nazis, vos chances de ne pas survivre à la guerre
s’élevaient à 4 % ; en comparaison, le taux de mortalité pour les prisonniers
de guerre aux mains des Japonais approchait les 30 %. »
Photo : Prisonniers australiens et hollandais au camp de Tarsau (Thaïlande) en 1943.
L’historien Chalmers Johnson (1931-2010, photo ci-contre) écrit :
« Établir lequel des deux agresseurs de l’Axe, l’Allemagne ou le Japon,
fut au cours de la Seconde Guerre mondiale le plus brutal à l’égard des
peuples qu’ils martyrisèrent est dénué de sens.
Les Allemands ont tué 6 millions de Juifs et 20 millions de Russes
(citoyens soviétiques) ; les Japonais ont massacré pas moins de 30
millions de Philippins, Malais, Vietnamiens, Cambodgiens, Indonésiens et
Birmans, dont au moins 23 millions étaient ethniquement chinois. Ces
deux pays ont pillé les pays qu’ils ont conquis à une échelle monumen-
tale, encore que le Japon ait volé plus, et sur une plus longue période,
que les nazis. Les deux conquérants ont réduit en esclavage des millions
de personnes et les ont exploitées comme main d’œuvre forcée et, dans
le cas des Japonais, comme prostituées de force pour les troupes du
front.
18. Au-delà des condamnations pénales…
Un Tribunal militaire international pour l'Extrême-Orient (11 juges,
12 procureurs) est créé en janvier 1946, et juge les grands criminels de
guerre japonais de la Seconde Guerre mondiale lors du procès de
Tokyo*. 28 personnes comparaissent devant le Tribunal (19 militaires et
9 civils), l’empereur Hiro-Hito n’étant pas cité à comparaître mais devant
renoncer à son statut divin. 7 sont condamnés à mort, les autres à de la
prison. Entre janvier 1946 et décembre 1948, les Britanniques condui-
sent 304 procès concernant 909 accusés, qui aboutissent à 222 con-
damnations à mort.
NB : les décideurs états-uniens des bombardements de villes japonaises,
notamment Hiroshima et Nagasaki (au total plus de 300 000 morts) n’ont pas été
inquiétés…
* Les crimes contre l'humanité, incrimination créée en 1945 dans le statut du Tribunal
militaire de Nuremberg, établi par la Charte de Londres, sont une « violation délibérée et ignomi-
nieuse des droits fondamentaux d'un individu ou d'un groupe d'individus inspirée par des motifs
politiques, philosophiques, raciaux ou religieux »
Cette notion, qui s’applique également en temps de paix, englobe les disparitions forcées,
les homicides, la réduction en esclavage, l’expulsion et le viol généralisé et systématique.
Les crimes de guerre sont des violations « des lois et coutumes de la guerre » définies
par les Conventions de Genève et de la Haye : ils comprennent les attaques délibérées contre
des civils, la torture, le meurtre ou les mauvais traitements infligés aux prisonniers de guerre.
19. … quelle demande de pardon ?
Des indemnisations ont été octroyées aux victimes par l’inter-
médiaire de la Croix-Rouge. Toutefois dans plusieurs pays asiatiques,
les demandes d’indemnisation furent abandonnées pour des raisons
politiques ou très peu payées par le Japon. De plus, dans de nom-
breux cas, elles n’ont pas été attribuées aux victimes par les gouver-
nements des pays concernés.
Comme l’affirment des Japonais, il serait nécessaire qu’après
la remise d’un rapport circonstancié d’historiens, le premier ministre
japonais et/ou l’empereur se livre, dans les pays du Sud-Est asiatique
qui ont été victimes d’exaction, à la dogeza, cérémonie au cours de
laquelle une personne s’agenouille et incline sa tête vers le sol, une
façon très formelle de demander pardon. Mais le Japon ne semble pas
vouloir aujourd’hui s’y prêter.
Beaucoup citent l’exemple du chancelier allemand Willy Brandt
qui s’est agenouillé devant le monument aux héros du ghetto de
Varsovie en décembre 1970 (photo du bas) comme un exemple très fort et
efficient d’un acte de repentance et de réconciliation.
20. La déclaration de Kono
Un premier geste a toutefois été accompli. La déclaration de Kono
a été publiée le 4 août 1993 par le Secrétaire en chef du Cabinet, Yōhei
Kōno, après la conclusion d’une étude du gouvernement qui a prouvé
que l’Armée impériale japonaise forçait des femmes sud-coréennes
(désignées comme « femmes de réconfort ») à travailler dans les
maisons d'esclavage sexuel pendant la Seconde Guerre mondiale.
Elle précise que « dans plusieurs cas, ces femmes étaient recrutées
contre leur volonté par la persuasion et la contrainte, etc. », que
« parfois, le personnel administratif/militaire participait directement aux
recrutements » et que ces femmes « vivaient dans la misère et dans une
atmosphère de coercition ».
Mais par rapport à l’ampleur des exactions commises dans tout
l’Extrême-Orient pendant la période impériale (Chine, Corée, Philippines,
Malaisie, Vietnamien, Cambodge, Indonésie et Birmanie), cette
reconnaissance de responsabilité par rapport à des femmes sud-
coréennes est un geste encore bien timide…
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