Mémoire de Master M2 Marketing et Pratiques Commerciales.
Directrice de mémoire : Géraldine Michel.
IAE Paris. 2017-2018
« Marque & Art » Regards sur l’alliance entre la marque et l’artiste : formes de collaboration, perception des consommateurs et applications pour le management de la marque. Cas de six marques B2C en France.
Cette réflexion a comme point de départ l’intérêt pour l’art contemporain et son potentiel stratégique dans le processus de développement d’une marque et plus particulièrement comme modèle au sein des marques B2C, pas seulement de luxe. Ces manifestations généralisées et récurrentes dans la pratique marketing, tous secteurs confondus, ont conduit à la nécessité d'une compréhension plus claire de cette relation. Un autre sujet nous interpelle : comment les consommateurs réagissent-ils face à ces partenariats ? Pour quelles répercussions sur la gestion de la marque ? Si la littérature s’est intéressée au phénomène relationnel et à ses antécédents, notamment entre le luxe et l’art contemporain, peu de recherches explorent, à notre connaissance, l’impact de l’alliance Marque & Art sur les consommateurs. Piloter une marque forte est un processus complexe et l'opportunité d’une collaboration, même avec un artiste médiatique, ne garantit pas toujours un retentissement positif sur la marque. C’est dans ce cadre que s’inscrit l’originalité de ce travail de recherche qui se donne pour objectif d'étudier les antécédents et les effets, puis les perceptions pour tenter de répondre à la problématique suivante : « Comment la marque collabore avec l’art et quel est l’impact de cette collaboration sur son image et son management ?».
Au travers d’une analyse de six cas réels d’alliance Marque & Art, nous allons chercher à comprendre quelles sont les modalités de ces relations, pour quel apport pour le consommateur et quel poids sur l’image de marque, afin d’apporter aux entreprises B2C des recommandations pertinentes pour guider leurs décisions de stratégie d’alliance de marque avec un artiste.
« Marque & Art » Regards sur l’alliance entre la marque et l’artiste.
1.
MASTER MARKETING ET PRATIQUES COMMERCIALES
« Marque & Art »
Regards sur l’alliance entre la marque et l’artiste : formes de collaboration, perception des
consommateurs et applications pour le management de la marque.
Cas de six marques B2C en France.
CONFIDENTIEL
RÉDIGÉ ET SOUTENU PAR :
CHRISTÈLE KOUIDHI
PROMOTION SOIR 2017 / 2018
DIRECTEUR DE MÉMOIRE :
GÉRALDINE MICHEL
DATE DE LA SOUTENANCE :
10 NOVEMBRE 2018
INSTITUT D’ADMINISTRATION DES ENTREPRISES DE PARIS
2. Christèle Kouidhi. Marque & Art.
L'UNIVERSITÉ N'ENTEND DONNER AUCUNE APPROBATION NI
IMPROBATION AUX OPINIONS ÉMISES DANS CE MÉMOIRE : CES
OPINIONS DOIVENT ÊTRE CONSIDÉRÉES COMME PROPRES À
LEUR AUTEUR.
Master Marketing et Pratiques Commerciales - Soir 2017/2018
IAE Paris - Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
3. Christèle Kouidhi. Marque & Art.
Remerciements
La réalisation de ce mémoire, clôturant le cursus du Master Marketing et Pratiques Commerciales
de l’IAE Paris - Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, n’a été rendue possible que grâce au
concours de plusieurs personnes que je tiens particulièrement à remercier.
Je voudrais tout d'abord adresser ma gratitude à la directrice de ce mémoire, Madame Géraldine
Michel, pour avoir accepté de tuteurer mon sujet. Ses travaux sur le management de marque et ses
conseils judicieux ont grandement contribué à alimenter ma réflexion et à construire ce mémoire.
J’en profite pour remercier Madame Ouidade Sabri pour son accompagnement et sa disponibilité et
l’ensemble du corps professoral du Master Marketing et Pratiques Commerciales pour la qualité de
l’enseignement dispensé et leur professionnalisme.
Enfin, je tiens à remercier les personnes interrogées dans le cadre de l’étude empirique qui ont
généreusement partagé leurs connaissances et donné de leur temps pour enrichir ce travail.
Master Marketing et Pratiques Commerciales - Soir 2017/2018
IAE Paris - Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
4. Christèle Kouidhi. Marque & Art.
Sommaire
Note de synthèse 4
Introduction 6
Partie 1. Dimensions et enjeux des pratiques de collaborations entre la marque et l’art 10
Cadre théorique 10
Éléments de définitions 10
« Marque » 10
Outil stratégique de l’entreprise 11
Construire une marque forte 12
Piloter la marque dans la durée 13
« Art » 14
La difficulté d'une définition unique 14
Différentes perspectives sur l'art contemporain 16
Particularités du marché de l’art contemporain 17
Une relation préexistante entre la marque et l’art 22
Antécédents du « capitalisme artiste » 22
Quelle place pour la relation Marque & Art ? 27
Une relation recherchée et entretenue 27
L'ère du tout-marque 27
« Devenir un référent culturel » 29
« Good business is the best art » 30
Différentes formes de rapprochement entre la marque et l’art : le cas du co-branding 31
L’appropriation artistique 35
L’alliance entre la haute couture et l’enseigne 37
Les nouveaux ambassadeurs de marque 39
La marque productrice d'art : les maisons mécènes du luxe 41
Partie 2. Enjeux et défis consommateurs & Applications pour le management de la marque 44
Méthodologie de l’étude exploratoire qualitative 44
Objectifs de l’étude qualitative exploratoire 44
Sélection des six cas d'étude 45
Choix d’une approche qualitative 48
Conduite de l’entretien semi-directif 48
Guide d’entretien 49
Présentation des participants 51
Analyse de contenu 54
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1
5. Christèle Kouidhi. Marque & Art.
Méthodologie employée 54
Grille d’analyse des résultats 55
Résultats de l’étude 76
Recommandations 78
Constats 78
Facteurs clés de succès d’un choix réciproque 80
Limites de l’étude et voies de recherche 83
Conclusion 84
Annexes 85
Annexe 1.1. Chronologie des grands mouvements artistiques 86
Annexe 1.2. Principaux acteurs du marché de l'art 88
Annexe 2.1. Guide d’entretien semi-directif 89
Annexe 2.2. Cas d'étude de six collaborations réelles 90
Annexe 2.3. Retranscription de l’entretien avec Brice P. 108
Annexe 2.4. Retranscription de l’entretien avec Gerome V. 114
Annexe 2.5. Grilles d’analyses de contenu 122
Table des figures 127
Index des tableaux 129
Bibliographie 131
Sitographie 134
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2
6. Christèle Kouidhi. Marque & Art.
Note de synthèse
La pratique des stratégies d’alliance de marque et de collaboration avec l’art tend à se développer
au sein des entreprises B2C, pas seulement de luxe. La présente recherche analyse les différentes
relations qui lient la marque à l’art, ses enjeux et ses bénéfices, pour quel impact sur le
consommateur et quelles retombées sur l’image de marque. Ce travail est organisé en deux parties.
La première partie est consacrée au cadre théorique et à un état des lieux des théories de la revue de
littérature, construite au sein d’une approche marketing et d’une problématique sur les
collaborations entre une marque et un artiste. Par collaboration, nous nous référons aux pratiques de
co-communication, de co-branding et de parrainage (Michel et Cegarra).
En premier lieu, il convient de définir les concepts de la marque forte, celle qui perdure et apporte
du sens à différentes parties prenantes (Michel), pour mettre en évidence le recours aux stratégies
d’alliances, utiles pour faire vivre la marque dans la durée et assurer sa pérennité.
La notion d’art sera abordée dans un deuxième temps, en tentant d’aller outre les controverses et
divergences de perspectives, qui dépasseraient le cadre de ce mémoire, afin de présenter au lecteur
un aperçu clair du concept et introduire l’artiste entrepreneur. Dans cette recherche, nous nous
sommes concentré sur l’art contemporain, comme genre et non comme période, tant celui-ci a
transformé les rapports entre l’art et le domaine marchand. Une liste de spécificités du marché de
l’art contemporain permettra de mieux comprendre le lien étroit qui existe entre le créateur et le
collectionneur mécène.
Les deux concepts sont ensuite fusionnés pour montrer l'émergence des collaborations entre la
marque et l’artiste depuis le XIX° siècle. De la commande religieuse ou souveraine, l’art est entré
dans les grands magasins à travers le travail des affichistes comme Mucha. Depuis le mouvement
Dada et le Pop art, avec respectivement Duchamp et Warhol comme célèbres représentants, l’art
interroge le monde marchand et la société de consommation. En s’inspirant d’objets du quotidien,
marqués, les artistes questionnent les regardants sur l’art et le statut d’œuvre d’art. Warhol, le
premier, ouvre son atelier aux influents de ce monde et revendique un art capitaliste tel que décrit
par Lipovetsky. Le monde de la haute couture continuera depuis de franchir les frontières de la
co-création avec l’artiste, inscrivant dans l’histoire des exemples d’une union possible, bien qu'à
priori antinomique, entre la marque et l’art.
Le chapitre deux s’interroge sur la pertinence de l’intrusion de l’art dans le champ marketing et
dresse une typologie des différents partenariats entre la marque et l’artiste. Les conditions de ces
collaborations et les enjeux pour la marque y sont développés à travers l’étude de plusieurs cas
illustratifs d’inspiration artistique, de co-communication et de mécénat. Absolut vodka et Andy
Warhol, Louis Vuitton et Takashi Murakami, sont, entre autres, des exemples intéressants pour
étudier les contours de ces collaborations, qui deviennent désormais banalisées. En effet, le recours
à l’art devient de plus en plus fréquent, si bien que les sociologues et historiens de l’art ont choisi
d’appeler artification le procédé consistant à faire oublier la logique commerciale en transformant
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7. Christèle Kouidhi. Marque & Art.
un produit en art. La marque souhaite par ce recours, très en vogue dans l’univers du luxe,
s’imposer comme un référent culturel, sur son marché et dans l’esprit des consommateurs.
Mais le consommateur, justement, qu’en pense-t-il ? La seconde partie de ce mémoire est donc
consacrée à l’étude de la perception des consommateurs face à ces collaborations. Pour cela, une
étude qualitative est mené avec des entretiens semi-directifs auprès de dix participants, afin
d’explorer le territoire de marque de six cas de collaborations réelles dans le marché B2C. On y
retrouve la marque Absolut, Louis Vuitton, H&M, Adidas, Uniqlo et Le Chocolat des Français;
Warhol, Murakami, Kanye West, Lagerfeld et bien d’autres côté artistes. L’analyse de contenu
thématique montre un consommateur motivé par la découverte de nouveaux artistes, le plaisir
esthétique du produit co-marqué et l’envie d’une relation authentique et réciproque. Le choix d’un
artiste clivant ou non cohérent avec les valeurs de la marque est évoqué comme le principal frein
d’achat. Les verbatims des répondants de l’étude nous permettent de dresser un portrait de la
collaboration idéale : une association entre un artiste choisi pour son travail et non pour sa notoriété,
qui reste intègre et refuse de se vendre et une entreprise qui lui laisse une totale carte blanche pour
se réapproprier les codes de la marque. Et encore, ce n’est pas toujours gage de réussite !
Certaines collaborations sont mécomprises par les interrogés qui les jugent rapidement et les
répertorient comme opportunistes et profiteuses. Les propos sont parfois véhéments mais ils sont
source d’apprentissage. Et le risque de dilution du capital marque est trop grand pour ne pas les
prendre en compte.
La dernière partie propose des pistes de réflexions et des recommandations à l’usage des
responsables de marque, pour mener, si ce n’est au succès, au moins à bien une stratégie de
collaboration avec un artiste. Au vu des résultats de l’étude qualitative, la collaboration nécessite
préparation et travail dans la durée, avec une attention particulière sur la pédagogie autour de ladite
collaboration. Pédagogie encore trop peu mise en place par les marques aujourd’hui et pourtant
réclamée par les consommateurs. Nous ne saurions insister, pour finir, sur l’importance de la
complémentarité entre l’artiste et les valeurs de la marque, déjà énoncée par Géraldine Michel,
comme clé de réussite d’une stratégie de collaboration. Enfin, ce travail comportant ses limites et
n’ayant pas la prétention d‘apporter une réponse absolue au sujet des collaborations entre la marque
et l’artiste, il nous semble opportun d’envisager des investigations futures auprès de responsables de
marques et d’artistes puis une étude quantitative qui viendra vérifier statistiquement nos dires et
quantifier un marché potentiel pour des opportunités encore inexploitées, afin de compléter la
présente recherche.
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8. Christèle Kouidhi. Marque & Art.
Introduction
Depuis plusieurs décennies, de nombreuses entreprises entretiennent des relations ambiguës entre
leur activité économique et le monde de l’art, à l’instar de Louis Vuitton et Takashi Murakami,
d’Absolut vodka et le Pop art, d’Adidas et le Hip-hop. L’association de ces deux mondes ne laisse
pas indifférent et ce sujet est traité dans plusieurs ouvrages et recherches en marketing abordant la
question des liens étroits entre l’univers marchand et les artistes (Michel, Kapferer, Heinich,
Lieblich, Maison-Rouge, Garay, Greffe, Lipovetsky). De fait, le recours à l’art permet de nourrir la
marque et ainsi dépasser la frontière du champ marketing et commercial pour investir le champ
culturel auquel appartiennent les artistes. De leur dialogue naissent des partenariats multiples :
stratégies de communication conjointes, collaborations sur des nouveaux produits, création de
fondations d’art, mécénats d’entreprise, etc. Dernier pas franchi cette année, la vidéo « Apes**t »1
de Beyoncé et JAY-Z tournée au musée du Louvre à Paris : six minutes immortalisant le couple
devant les plus grands chefs-d'œuvre d’Eugène Delacroix, Léonard de Vinci, Théodore Géricault ou
Jacques-Louis David. Cumulant plus de 121 millions de vues depuis sa mise en ligne le 16 juin
2018, l'opération de communication est une réussite pour le monument qui souhaite « vouloir
toucher un public plus large », notamment les jeunes et proposa d'emblée un parcours thématique .2 3
À défaut d’être nouveau, la marque forte ayant compris très tôt l’importance de collaborer avec
d’autres acteurs pour renforcer ses valeurs et donner du sens à différentes parties prenantes
(Michel), ce lien est aujourd'hui plus complexe de par l'évolution de la figure de l’artiste. Autrefois,
génie répondant à ses commanditaires, celui-ci est désormais dénommé artiste entrepreneur pour4
exprimer le rapprochement entre son activité artistique et la recherche d’une viabilité économique
(Greffe). À partir des affichistes (Chéret, Mucha, Toulouse-Lautrec, etc. 1890) qui ont croisé la
publicité et l’art et, depuis la médiatisation de « business artist » à succès comme Andy Warhol
(représentant du Pop art, 1928-1987), l’artiste est entré dans le monde marchand de multiples
façons. Ses œuvres s’emparent de la société de consommation et de ses symboles mercantiles et,
comme Warhol, il utilise les procédés de production industrielle et se construit un réseau autour de
son nom, qu'il gère comme une marque. L’artiste étend son centre de relations avec d’autres
disciplines de l’art et du marketing et entretient ce cercle à la recherche d'intérêts communs. Ainsi,
dès 2003, Takashi Murakami (représentant du Neo Pop Art, 1962), comparé à Warhol pour son
1
JAY-Z et Beyoncé. « APES**T - THE CARTERS ». Youtube [en ligne]. Publié le 16 juin 2018. 121,023,122 vues.
[consulté le 28 septembre 2018] Disponible sur : https://youtu.be/kbMqWXnpXcA
2
Bordier, julien. L’Express [en ligne]. Publié le 18 juin 2018. [consulté le 28 septembre 2018]. « Pourquoi Jay-Z et
Beyoncé se sont payé le Louvre ». Disponible sur :
https://www.lexpress.fr/culture/musique/jay-z-beyonce-et-mona-lisa_2018271.html
3
Musée du Louvre [en ligne]. [consulté le 20 septembre 2018]. « JAY-Z et Beyoncé au Louvre. Parcours thématique -
1h30 ». Disponible sur : https://www.louvre.fr/routes/jay-z-et-beyonce-au-louvre
4
« artiste-entreprise, artiste- nancier, entreprise artistique, entreprise critique, etc. » Greffe, Xavier.
L'artiste-entreprise. Dalloz, 2012, pp. 5-6.
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9. Christèle Kouidhi. Marque & Art.
approche « art-as-business », collabore avec Louis Vuitton, sur une série limitée de sacs en cuir5
revisitant le monogramme emblématique de la marque.
En collaborant ensemble, marque et artiste construisent un mythe, avec la volonté de s’inscrire
réciproquement dans la postérité. Cette communion brouille les frontières longtemps
infranchissables entre le commerce et l’art et rapproche les entreprises des institutions, les marques
de l’art marketé. De plus en plus de marques de luxe s’unissent à l’art et se voient sacralisées
(Kapferer), parfois même elles entrent au musée, tandis que l’artiste devient entreprise. Ainsi, la
marque mythique, emblème de notre société moderne a pris la relève des commanditaires et
mécènes du passé.
Quelle est alors la place d’une alliance Marque & Art ? S’agit-il d'une union légitime ou d’une
liaison dangereuse ? Les exemples ci-dessus démontrent que la voie artistique et la marque ne sont
plus deux approches antinomiques, elles entretiennent une relation voulue et entretenue. Un
échange de bons procédés où la marque cherche à cultiver son positionnement de référent culturel,
loin des préoccupations commerciales (Cova) et où l’artiste en quête de visibilité immédiate
promeut son œuvre comme un entrepreneur (Greffe), conduisant parfois à la reconnaissance des
institutions.
Cette réflexion a comme point de départ l’intérêt pour l’art contemporain et son potentiel
stratégique dans le processus de développement d’une marque et plus particulièrement comme
modèle au sein des marques B2C, pas seulement de luxe. Ces manifestations généralisées et
récurrentes dans la pratique marketing, tous secteurs confondus, ont conduit à la nécessité d'une
compréhension plus claire de cette relation. Un autre sujet nous interpelle : comment les
consommateurs réagissent-ils face à ces partenariats ? Pour quelles répercussions sur la gestion de
la marque ? Si la littérature s’est intéressée au phénomène relationnel et à ses antécédents,
notamment entre le luxe et l’art contemporain, peu de recherches explorent, à notre connaissance,
l’impact de l’alliance Marque & Art sur les consommateurs. Piloter une marque forte est un
processus complexe et l'opportunité d’une collaboration, même avec un artiste médiatique, ne
garantit pas toujours un retentissement positif sur la marque. C’est dans ce cadre que s’inscrit
l’originalité de ce travail de recherche qui se donne pour objectif d'étudier les antécédents et les
effets, puis les perceptions pour tenter de répondre à la problématique suivante : « Comment la
marque collabore avec l’art et quel est l’impact de cette collaboration sur son image et son
management ? ».
Au travers d’une analyse de six cas réels d’alliance Marque & Art, nous allons chercher à
comprendre quelles sont les modalités de ces relations, pour quel apport pour le consommateur et
quel poids sur l’image de marque, afin d’apporter aux entreprises B2C des recommandations
pertinentes pour guider leurs décisions de stratégie d’alliance de marque avec un artiste.
5
The Art Story [en ligne]. [consulté le 10 septembre 2018]. Takashi Murakami. Disponible sur :
https://www.theartstory.org/artist-murakami-takashi.htm
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10. Christèle Kouidhi. Marque & Art.
Les deux hypothèses que nous voulons vérifier sont issues d’une réflexion personnelle nourrie par
les lectures exploitées pour rédiger la première partie de ce mémoire.
Hypothèse 1. Les enjeux de la collaboration sont mécompris par les consommateurs qui perçoivent
l’entreprise et l’artiste comme antinomique.
Hypothèse 2. L’évaluation du produit co-marqué dépend des attitudes (favorables ou négatives)
susceptibles d'être générés par les consommateurs envers l’artiste.
Ces hypothèses seront confrontées lors de l'étude qualitative à six collaborations réelles entre une
marque accueil et un, ou plusieurs, artistes invités, qui serviront d'études de cas (Tableau A).
Marque Accueil Artiste Invité Marché
Produit
étudié
Stratégie de
collaboration
Absolut Vodka Plusieurs artistes
dont Warhol,
Haring et Ruscha
Biens de grande
consommation
Boissons
alcoolisées
Bouteille de
vodka
revisitée
Co-branding
Co-communication
Adidas Kanye West Biens de grande
consommation
Chaussures de
Sport
Yeezy Boost
350
Co-branding
H&M Plusieurs artistes
de maisons haute
couture dont
Kenzo, Versace,
Lagerfeld
Mode
Prêt-à-porter
Collections
capsule
Co-branding
Le Chocolat des
Français
Plusieurs artistes
illustrateurs
Biens de grande
consommation
Confiserie
Gamme de
tablettes de
chocolat
Co-branding
Louis Vuitton Takashi
Murakami
Luxe
Haute couture
Accessoires
Sacs à main et
bagagerie
Co-branding
Parrainage
Uniqlo Plusieurs artistes
dont Warhol,
Haring, Kaws
Mode
Prêt-à-porter
T-shirts Co-branding
Co-communication
Tableau A. Détails des six cas d’alliance Marque & Art retenues pour l’étude qualitative.
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11. Christèle Kouidhi. Marque & Art.
Pour répondre au mieux à notre problématique, nous avons construit ce mémoire en deux parties.
La première partie est consacrée à une revue de la littérature et à l’analyse des relations
qu’entretiennent la marque et l'art. Nous aborderons dans un premier temps le cadre théorique avec
l’explication des concepts de « Marque » et d’ « Art », puis les antécédents de cette relation pour
enfin, développer une typologie des différentes relations précisant les bénéfices et opportunités pour
la marque. Par la suite, la perception des consommateurs sera examinée en seconde partie, en
s’appuyant sur une étude qualitative auprès de 10 participants. Nous y détaillerons le choix
méthodologique des cas d'étude et des entretiens semi-directifs ainsi que les étapes d’analyse
menant aux constats observés. Cette partie se terminera par le développement de nos hypothèses
afin de proposer une réponse pertinente à la question de recherche et fournir des recommandations
adéquates pour le management de la marque.
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12. Christèle Kouidhi. Marque & Art.
Partie 1. Dimensions et enjeux des pratiques
de collaborations entre la marque et l’art
Cette première partie construite sur une revue de la littérature présente une analyse des relations
entre la marque et l’art au sein d’une approche marketing et d’une problématique globale sur les
stratégies de collaborations de marque. Par collaboration, nous nous référons aux stratégies de
co-communication, de co-branding et de parrainage entre une marque et un artiste.
Le premier chapitre est consacré au cadre théorique et à l'étude des concepts-clés « Marque » et «
Art ». La deuxième section s’interroge sur la pertinence de l’art au sein des pratiques de
management de la marque avec une analyse des modes de liaison qui relient les marques à l'art.
I. Cadre théorique
Avant d'examiner les caractéristiques de ces collaborations, il nous paraît indispensable dans un
premier temps de clarifier notre compréhension des concepts-clés, « Marque » et « Art », à travers
un état des lieux des théories utilisées dans la littérature. D’une part, nous nous intéresserons à la
marque comme actif transversal de l’entreprise et ses enjeux aujourd'hui ; puis le marché de l’art et
le renouveau de la figure de l’artiste sera étudié d’autre part. Nous analyserons ensuite quelques cas
historiques de relations entre la marque et l’art comme prélude aux stratégies d’alliance
développées dans le chapitre deux.
A. Éléments de définitions
1. « Marque »
Nous désignons par le mot « marque » et « brand » outre-Atlantique, le signe apposé
volontairement sur un objet pour le rendre reconnaissable et en indiquer la propriété. (Le Robert,
2006 ). Parmi les auteurs contemporains, nous retiendrons les définitions suivantes : la marque est «1
un nom, un terme, un signe, un symbole, un dessin ou toute combinaison de ces éléments servant à
identifier les biens ou services d’un vendeur ou d’un groupe de vendeurs et à les différencier des
concurrents » (Keller, 1993). Véritable « objet social parce qu’elle incarne des valeurs, la marque2
1
Mot apparu en 1456 « signe mis sur un objet pour le rendre reconnaissable, pour marquer la propriété ». Rey, Alain.
Dictionnaire historique de la langue française (3 vol). Le Robert, 2006.
2
Définition de l’American Marketing Association.
Kotler, Philip. Keller, Kevin. Manceau, Delphine. Marketing Management 15e édition. Pearson Education, 2016, p.330.
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13. Christèle Kouidhi. Marque & Art.
donne du sens à différentes parties prenantes : consommateurs, employés, actionnaires… »3
(Michel, 2013). Elle assure pour les consommateurs un rôle de garantie (Kapferer, 2012 ; Aaker,
1996), des fonctions d’identification sociale (Heilbrunn, 2010) et de relation affective (Fournier,4
1998) et expérientielle. Pour la propriété industrielle, ce signe peut être matérialisé par un mot,
slogan, logo, etc, ou une combinaison de ces éléments, qui une fois déposé, détient un monopole
d’utilisation pendant une durée définie , permettant de saisir la justice en cas d’abus ou de vol.5
1.1. Outil stratégique de l’entreprise
Actif transversal de l’entreprise, B2B comme B2C, la marque exerce son pouvoir d’influence sur le
marché (Kapferer, 2013) par ses éléments physiques distinctifs (nom, logo, produits, etc.) et ses
éléments associés immatériels (capital-marque, image de marque, identité, personnalité, etc.).
L’ensemble lui confère alors toute sa valeur unique, qui se doit aujourd’hui d'être « remarquable »6
et basé sur un fondement culturel fort (Kapferer, 2013). Jean-Noël Kapferer, professeur de
marketing à HEC Paris et auteur de plusieurs livres sur le management des marques et la
communication, rejoint l'idée d’un Océan Bleu, en opposition à l’Océan Rouge très concurrentiel
car basé sur des propositions de valeurs similaires (Kim et Mauborgne, 2010 ). Citons par exemple7
la « lovemark » Apple et son slogan « Think different » qui entretient avec ses utilisateurs un8
univers d'innovation technologique porté par la ritualisation d'événements comme les célèbres
Keynotes de Steve Jobs. La marque forte construit du sens pour les individus, qui sont plus attachés,
aujourd’hui, à l'identité qu’ils tirent du produit, qu'à sa valeur marchande et sa promesse marketing
(Michel, 2013 ; Kapferer, 2013). Posséder des produits de marque me permet en effet, de construire
ou maintenir mon identité (Belk, 1988 ), revendiquer ma personnalité ou mon appartenance sociale.9
3
Michel, Géraldine. D’après les cours de management de la marque et communication dispensés en master 2 marketing
et pratiques commerciales à l’IAE de Paris, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
4
Kapferer, Jean-Noël. The New Strategic Brand Management: Advanced Insights and Strategic Thinking. Kogan Page,
2012. Aaker, David A. Building Strong Brands. The Free press, 1996. Heilbrunn, Benoît. La marque. PUF, 2010.
Fournier, Susan. « Consumers and Their Brands: Developing Relationship Theory in Consumer Research », Journal of
Consumer Research, 1998. Vol. 24, No. 4, pp. 343-373. D'après Michel, Géraldine. Au cœur de la marque : les clés du
management des marques - 3e édition. Dunod, 2017, p. 12.
5
I.N.P.I. Institut National de la Propriété Industrielle [en ligne]. 10 ans pour le territoire français et renouvelable
indéfiniment. [consulté le 16 avril 2018]. Disponible sur : http://www.inpi.fr
6
Kapferer, Jean-Noël. Ré-inventer les marques : la fin des marques telles que nous les connaissions. Eyrolles, 2013, p.
35.
7
Kim, W.Chan. Mauborgne, Renée. Stratégie Océan Bleu : comment créer de nouveaux espaces stratégiques. Pearson,
2010.
8
Roberts, Kevin. Lovemarks : le nouveau souffle des marques. Editions d'Organisation, 2004. L’auteur, président de
Saatchi & Saatchi monde, nomme « lovemark » la marque qui entretient une « relation amoureuse » avec ses
consommateurs et acheteurs, au-delà d’un lien de fidélité classique ou d’une préférence.
9
Belk, Russell W. « Possessions and the extended self », Journal of Consumer Research, 1998. Vol 15, pp. 139-168.
D'après Mercier, Julie. Les composantes de l'Identité comme déterminants de l'Engagement à la marque. 2010.
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14. Christèle Kouidhi. Marque & Art.
1.2. Construire une marque forte
Une marque forte se doit d'équilibrer son identité et ses actes, d’associer « l'être et le faire » précise
Géraldine Michel , professeur de marketing à l’IAE de Paris, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne10
et directrice de la chaire de recherche « Marques & Valeurs ». Une formule cohérente et juste entre
les messages émis par l’entreprise et ceux perçus par le consommateur. Cette combinaison nécessite
à la fois de raconter son histoire et sa vision et de bien la transmettre à travers ses produits et actions
sur le marché. Pour Michel, c’est le secret de la légitimité et longévité d’une marque. Pour entrer en
résonance avec ses parties prenantes, la marque doit donc déterminer avec soin son identité autour
d’une idéologie et de valeurs propres à l’entreprise.
Simon Sinek, conférencier et auteur de livres sur le management et la motivation, suggère pour
donner du sens de communiquer d’abord sur son « why », la raison d'être de la marque, puis sur son
son « how », sa personnalité, et enfin sur son « what », les produits à commercialiser . La marque11
Apple, encore, a toujours su maîtriser habilement cet équilibre, en revendiquant la vision de Steve
Jobs « To make a contribution to the world by making tools for the mind that advance humankind.12
» dans ses produits et leurs usages ; en témoigne l'expérience proposée dans les Apple Stores, où les
produits sont mis en scène et transforment le point de vente en destination de loisir.
Les gestionnaires de marques ont plusieurs outils à leur disposition pour représenter le socle
identitaire de la marque et traduire de façon pertinente son idéologie et ses valeurs fortes. Citons le
« Brand Identity System » (Aaker), le prisme d’identité de Kapferer, et le modèle IPSE de Michel.
Dans le cadre de cette recherche, nous serons amenés à utiliser plus loin l’IPSE de la marque qui13
représente l'identité sous quatre dimensions, de la plus invisible à la plus tangible : Idéologie,
Personnalité, Signes et Emblème, car ce modèle considère la marque comme un récit dynamique
susceptible d'évoluer avec les usages et appropriations des consommateurs.
À émetteur donné, on trouve récepteur et l'étude de l’image de marque est essentielle pour
comprendre la dynamique de la marque et le type de relations engagées avec le consommateur.
L’image de marque correspond à la perception qu’ont les individus de la marque. Elle s’exprime
par des notions d’associations rattachées à la marque (émotions, opinions, etc. vis-à-vis de la
marque), son territoire ou encore sa personnalité. Pour Kevin Keller, professeur de marketing à la14
Tuck School of Business de Dartmouth College (États-Unis) et spécialiste mondialement reconnu
10
Michel, Géraldine. Au cœur de la marque : les clés du management des marques - 3e édition. Dunod, 2017.
11
Sinek, Simon. Start with Why: How Great Leaders Inspire Everyone to Take Action. Penguin, 2011.
12
Traduction française « Contribuer au monde en créant des outils pour l’esprit qui font avancer l’humanité ». Source :
énoncé de mission de Steve Jobs.
13
Berger-Rémy, Fabienne. Michel, Géraldine. « Comment la marque donne du sens au collaborateur : vers une vision
élargie du capital-marque », Recherche et applications en marketing, 2015. Vol 30, No. 3. D'après Michel, Géraldine.
Au cœur de la marque : les clés du management des marques - 3e édition. Dunod, 2017, pp. 43-45.
14
Le concept de territoire de la marque se définit par les produits et associations qui composent la marque, d'après la
perception des consommateurs. On distingue la gamme perçue, les produits typiques de la marque ; et la gamme
possible, les produits perçus par le consommateur comme logiques à commercialiser. (Changeur, 1999).
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12
15. Christèle Kouidhi. Marque & Art.
de la marque, plus une marque à des associations fortes, positives et uniques, plus son image est
forte (1993). Michel théorise en 1997 le noyau central de la marque pour étudier l’image de15
marque, qui distingue les associations de la marque dites périphériques, liées aux produits ou à
l'expérience de marque ; et les associations centrales, perçues par une majorité d’individus comme
inséparables de la marque. Si le système périphérique permet l’adaptation de la marque aux
évolutions de contexte, le noyau central inscrit, lui, l’identité profonde de la marque et doit rester
stable à travers le temps et les produits afin de préserver la cohérence de l’image de marque,
rappelle l’auteur. Nous utiliserons le noyau central de la marque lors de l'étude empirique pour
identifier la base des associations rattachées à la marque et ainsi évaluer son potentiel de
développement.
1.3. Piloter la marque dans la durée
La marque étant dynamique, elle a besoin, pour assurer sa pérennité, d’interactions avec les tiers
(acheteurs, fournisseurs, partenaires, etc.) qui vont venir justifier les valeurs qu’elle porte (Michel).
« Une marque qui ne se renouvelle pas est une marque qui vieillit [et] l’enrichissement est aussi
important que le principe de cohérence », écrit Michel. Comme expliqué dans son ouvrage, « Rien16
ne sert de définir une identité si celle-ci n’est pas exprimée clairement et fortement sur le marché17
». Et c’est bien la vision « An Apple computer on every desk. » qui a permis d’orienter la stratégie18
de l'entreprise et ses innovations produits.
Ainsi, pour faire évoluer l’offre tout en respectant son identité, la marque doit innover et apparaître
comme légitime aux yeux des consommateurs, à travers des actions et réalisations. On parle alors
de légitimation de marque, comme la capacité d’une marque à être et agir. Fabienne Berger-Remy,
Maître de conférences à l’IAE de Paris, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, recense trois modes
de légitimation des marques d’après les travaux de Weber : la légitimation rationnelle et légale
basée sur l'autorité du chercheur, qui détient la connaissance (marques comme Samsung ou L'Oréal)
; la légitimation traditionnelle avec une autorité fondée sur la tradition, l'artisanat (exemple Hermès)
et enfin la légitimation charismatique fondée sur l’aura d’un leader, comme Steve Jobs (Apple) ou
Karl Lagerfeld (Chanel). L’auteur, dans l’ouvrage Management transversal de la marque, montre19
que le recours à des processus de légitimation est fréquent pour nourrir une marque et asseoir son
autorité sur le marché. Est citée en exemple l’utilisation assumée de références à l’histoire, aux
grands mythes ou encore à l’art. En effet, la publicité a souvent puisé son inspiration dans l’art et
15
Michel, Géraldine. « L'évolution Des Marques : Approche Par La Théorie Du Noyau Central. » Recherche Et
Applications En Marketing, 1999. Vol 14, No. 4, pp. 33-53.
16
Michel, Géraldine. Au cœur de la marque : les clés du management des marques - 3e édition. Dunod, 2017, p. 48 et
56.
17
Ibid. p. 60.
18
Traduction française « Un ordinateur Apple sur chaque bureau. »
19
Michel, Géraldine. Management transversal de la marque : une exploration au cœur des marques. Dunod, 2013.
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13
16. Christèle Kouidhi. Marque & Art.
notamment dans le détournement de tableaux connus. Pour illustration, l’adoption par Nestlé du
tableau La Laitière de Vermeer (peint vers 1658) pour représenter la marque de yaourt du même
nom .20
Le management de la marque consiste, entre autres, à étudier comment renforcer celle-ci dans la
durée en lui construisant un avenir pérenne face aux concurrents. Michel et Kapferer se rejoignent
sur cette idée qu’une marque forte perdure dans le temps. « Pour durer, il faut savoir changer. Tel
est le paradoxe de la marque. » (Kapferer, 2000). Surprendre le consommateur, revitaliser la21
marque en perte de notoriété, s'ouvrir à de nouveaux segments de clientèle, puiser dans la culture,
etc., sont autant de stratégies rendues possibles par les alliances de marque sur lesquelles nous
reviendrons plus tard.
2. « Art »
Bien des controverses sur la façon de définir l'art et l’artiste persistent et dépassent le cadre de cette
recherche. Nous nous attacherons à développer dans cette partie une définition de travail qui
convient aux objectifs de ce mémoire dans le champ d’application des collaborations entre marque
et art.
1.1. La difficulté d'une définition unique
L'encyclopédie Larousse révèle que la signification du mot « art », ainsi que la classification des
activités qui y sont rattachées, a beaucoup variée au cours des siècles. Provenant du latin « ars » («22
habileté », « savoir-faire »), équivalent au mot grec ancien « technè » (« production » ou «
fabrication matérielle »), l’art se traduit comme une compétence ou un artisanat. Il n’y a donc pas
initialement de distinction entre l’artiste et l’artisan. Ce dernier pratiquant son art au sein de son
métier en utilisant son habileté. Mais avec le changement de rôle social de l’artiste au début de l'ère
moderne, cette notion d'habileté, de talent ou de don, va rejoindre la compréhension actuelle et plus
couramment utilisée de « pratique en vue de la production d’œuvres susceptibles d’exprimer un
idéal moral, métaphysique et esthétique ». Les six arts traditionnels du philosophe Hegel23 24
20
Bianchi, Frédéric. BFM Business [en ligne]. Publié le 20 février 2017. [consulté le 17 août 2018]. La Laitière de
Vermeer apparaît dès 1979 sur tous les packagings du produit, pour illustrer la montée en gamme de ce nouveau yaourt
commercialisé dans un pot en verre, véhiculant des valeurs de tradition, qualité, raffinement, chaleur et générosité. « La
Laitière: comment un tableau de Vermeer a fini sur un pot de yaourt ». Disponible sur :
https://bfmbusiness.bfmtv.com/entreprise/la-laitiere-comment-un-tableau-de-vermeer-a-fini-sur-un-pot-de-yaourt-1106
560.html
21
Kapferer, Jean-Noël. Remarques : les marques à l'épreuve de la pratique. Editions d'Organisation, 2000, p. 185.
22
Encyclopédie Larousse [en ligne]. Art. [consulté le 17 août 2018]. Disponible sur :
http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/art/23119
23
Philia [en ligne]. Dossier : l'art. [consulté le 17 août 2018]. Disponible sur : http://philia.online.fr/dossiers/d-07,1.php
24
Classification des Beaux-Arts issue des cours professés « Esthétique » et publié après sa mort. 1818
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14
17. Christèle Kouidhi. Marque & Art.
(architecture, sculpture, peinture, musique, poésie, danse) appartiennent à cette définition. Dans sa
dimension esthétique, l’art est une création d’œuvre manifestant une certaine sensibilité, qui
provoquerait chez l’homme, un plaisir et une appréciation esthétique positive .25
Les nouveaux courants artistiques, tels que le romantisme, le symbolisme et l'expressionnisme, ainsi
que l'invention de nouveaux médiums (photographie, cinéma, etc.) vont venir enrichir cette
définition, l'art est alors considéré comme l'expression et la communication d'idées et d'émotions au
moyen de divers médiums. On rassemble ainsi sous le terme « art », l'ensemble des disciplines et
œuvres artistiques, s'agissant d’images fixes (dessin, photographie, sculpture, etc.) ou animées
(vidéo, installation, etc.), par lesquelles l’artiste représente une réalité via un mode d’expression qui
lui est propre et qui provoque des émotions chez le regardant. Si la culture française a pendant
longtemps hiérarchisé les activités artistiques distinguant les arts nobles (Beaux-Arts) des arts dits «
mineurs » (arts décoratifs et arts industriels), cette classification est reformulée ainsi à partir des
années 1960 : on distingue les arts plastiques, les arts appliqués et les métiers d’art.26
Les frontières conceptuelles entre ces catégories étant parfois floues et peu pertinentes aux fins de
cette recherche, nous adopterons dans la suite de notre travail une convention plus synthétique dont
la dénomination est présentée ci-après (Tableau B).
Appellation Référence
Arts visuels Toute production d’objets perçus essentiellement par l'œil, englobant les
arts plastiques, mais aussi les arts appliqués, les arts décoratifs et
l'architecture.
Arts plastiques Toute pratique donnant une représentation artistique, esthétique ou
poétique, au travers de formes et de volumes, tel que le dessin, la peinture,
la photographie, la gravure ou encore la sculpture, la vidéo, etc.
Ici tout part d’une inspiration : seul compte le projet de l’artiste, sans
aucune préoccupation commerciale préalable.
Arts appliqués Toute pratique artistique appliquée à des métiers ou des secteurs d’activités
particuliers et voués à une commercialisation. Ici tout part d’une
commande.
Aujourd’hui, sont considérés dans les arts appliqués :
- le design d’espace (architecture d’intérieur, paysagisme, etc.) ;
- le design textile (vêtement, haute couture, accessoires, etc.) ;
- le design de produit (mobilier, objets industriels, etc.) ;
- le design graphique (communication, publicité, etc.) ;
- les métiers d’art (vitrail, bijoux, céramique, etc.).
25
Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales [en ligne]. Art. [consulté le 17 août 2018]. Disponible sur :
http://www.cnrtl.fr/definition/art
26
Encyclopédie Sens agent [en ligne]. Histoire de l’art. [consulté le 17 août 2018]. Disponible sur :
http://dictionnaire.sensagent.leparisien.fr/histoire%20de%20l'art/fr-fr
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15
18. Christèle Kouidhi. Marque & Art.
Arts décoratifs Toute pratique des métiers d'art traditionnellement définis par leurs
productions ornementales et fonctionnelles, telles que la céramique, le
travail du bois, du verre, etc.
Tableau B. Détails de la dénomination utilisée pour délimiter les activités artistiques.
Les différentes pensées sur l'art sont si nombreuses que fournir au lecteur une discussion complète
sur cette multitude de positions dépasserait le cadre de ce mémoire. Pour plus de repères, une
chronologie précise des grands mouvements artistiques est disponible en annexe 1.1. Au vu de notre
problématique, nous nous sommes focalisés, dans ce qui suit, sur l’art contemporain et les arts
visuels, sans distinction qu’ils soient arts appliqués ou plastiques, par souci de simplification et pour
une meilleure compréhension des concepts liés à l’art.
1.2. Différentes perspectives sur l'art contemporain
Par art contemporain, nous regroupons l'ensemble des œuvres d’art produites depuis la Seconde
Guerre mondiale jusqu'à nos jours, indépendamment du style et de la pratique esthétique . On27
trouve dans les écrits deux points de vue, un caractère chronologique, l’histoire de l’art situant cette
période comme succédant à l’art moderne (1850-1945), et une notion esthétique, non liée
directement à la chronologie. Nous retiendrons dans le cadre de cette recherche la dernière
perspective qui désigne l’art contemporain comme genre et non plus comme une période daté, qui
serait alors « transgressif vis-à-vis des contenus avec le Minimalisme [...], du bon-goût avec le
Nouveau Réalisme, des frontières morales par la provocation ou le blasphème [...] » selon la
définition de Nathalie Heinich, sociologue et directrice de recherche au CNRS. Une certaine
catégorie d'art à part, bien spécifique et en rupture avec l'art moderne et l'art classique, qui
revendique « une avancée dans la progression des avant-gardes » (Heinich) en se mélangeant à la28
culture populaire. La spécialiste d’art parle alors de véritable révolution artistique, qui fonctionne
comme un nouveau « paradigme », en suivant un certain nombre de critères, comme la
transgression et la singularité, dans le but de s’affranchir des Beaux-Arts et de ses catégories29
27
Encyclopédie Sens agent [en ligne]. Art contemporain. [consulté le 17 août 2018]. Disponible sur :
http://dictionnaire.sensagent.leparisien.fr/Art%20contemporain/fr-fr/
28
Massin, Marianne. Société Rhodanienne de Philosophie [en ligne]. Publiée le 26 décembre 2013. [consulté le 20 août
2018]. Conférence « Expérience esthétique et art contemporain ». Heinich, Nathalie. Le paradigme de l’art
contemporain. Structures d’une révolution artistique. Gallimard, 2014. Disponible sur :
https://wsrl.wordpress.com/2013/12/26/marianne-massin-art-contemporain-et-experience-esthetique
29
Broué, Caroline. France Culture [en ligne]. La grande table (2ème partie). Podcast publié le 12 mars 2014. [consulté
le 20 août 2018]. « L'art contemporain n'est-il qu'un discours ? ». Pour Nathalie Heinich, « la singularité est un impératif
fondamental de l'art contemporain. [...] L'impératif de renouvellement, d'originalité, est obligatoire. ». Disponible sur :
https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-2eme-partie/lart-contemporain-nest-il-quun-discours
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16
19. Christèle Kouidhi. Marque & Art.
(peinture, sculpture, etc.). Pour Isabelle de Maison Rouge, historienne de l’art , « il n’y a pas de30
règles pour produire de la beauté pas plus que pour la juger. ». L’art contemporain n’est plus31
soumis aux canons académiques (paradigme classique) ni à une démarche esthétique (paradigme
moderne), il interroge le spectateur et recherche la sensation (Heinich, 2014) . C’est la raison pour32
laquelle on retrouve une myriade de mouvements artistiques sous l'appellation art contemporain,
comme le Pop art, l’art vidéo, l’art conceptuel, etc. Plus communément, l’expression remonte aux
années 80 avec la reconnaissance de la création artistique par les pouvoirs publics et s’applique aux
artistes vivants, ou pouvant l'être, depuis le Pop art (1960) à nos jours, tant ce courant a
révolutionné et étendu l’art plastique hors de la peinture et la sculpture. Ajoutons toutefois que toute
production contemporaine n’appartient pas forcément à l’art contemporain et que certaines œuvres
créées aujourd’hui se revendiquent plus modernes ou classiques.
Le marché de l'art contemporain désigne l'ensemble des transactions sur les œuvres d'art entre trois
grandes catégories d’acteurs bien identifiés que sont les artistes, les consommateurs intermédiaires
(marchands et antiquaires, galeries ou courtiers) et les consommateurs finaux (acheteurs, amateurs
d’art ou collectionneurs) . Lieu de rencontre de l’offre et de la demande, le marché de l’art33
contemporain présente néanmoins quelques caractéristiques plus spécifiques.
1.3. Particularités du marché de l’art contemporain
Les réflexions de Laurence Bourgeois , Nathalie Moureau et Dominique Sagot-Duvauroux ,34 35
Isabelle de Maison Rouge et Nathalie Heinich ainsi que le rapport d’Artprice et du Ministère de36 37 38
la Culture et de la Communication nous ont permis de dresser cette liste de spécificités propres au39
marché de l’art contemporain au niveau mondial. Pourquoi mondial ? Puisque l'économie est
aujourd’hui mondiale, l’art contemporain est devenu un marché comme les autres : « Une pièce
d’art [...] qui s'échange contre de l’argent est un objet marchand qui permet à l’artiste de vivre. »,40
rappelle le collectionneur Jean Claude Volot.
30
Isabelle de Maison Rouge est historienne de l’art, docteur en art et sciences de l’art, critique d’art (AICA),
commissaire d’exposition indépendante et professeur à New York University Paris. Artiste-chercheur elle est membre
de l’équipe de recherche Art & Flux de l’Institut ACTE (Université Paris 1 Panthéon Sorbonne/CNRS).
31
Maison-Rouge, Isabelle de. L'Art contemporain au-delà des idées reçues. Le Cavalier Bleu, 2009, p. 17.
32
Heinich, Nathalie. Le paradigme de l'art contemporain : structures d'une révolution artistique. Gallimard. 2014.
33
Maison-Rouge, Isabelle de. L'Art contemporain au-delà des idées reçues. Le Cavalier Bleu, 2009.
34
Bourgeois, Laurence. Profession artiste : vivre de son art. Editions d'Organisation, 2012.
35
Moureau, Nathalie. Sagot-Duvauroux, Dominique. Le marché de l’art contemporain. La Découverte, 2016.
36
Maison-Rouge, Isabelle de. L'Art contemporain au-delà des idées reçues. Le Cavalier Bleu, 2009.
37
Heinich, Nathalie. Le paradigme de l'art contemporain : structures d'une révolution artistique. Gallimard. 2014.
38
Artprice [en ligne] Rapport du Marché de l’Art Contemporain, 2017 [consulté le 20 août 2018]. Disponible sur :
https://fr.artprice.com/artprice-reports/le-marche-de-lart-contemporain-2017
39
Ministère de la Culture et de la Communication. Le marché de l’art contemporain. Essai d’approche économique.
Dossier no.91. La Documentation Française, 1991.
40
Schlegel, Tara. France Culture [en ligne]. Le magazine de la rédaction. Podcast publié le 22 mai 2015. [consulté le 20
août 2018]. « L'art contemporain, un marché comme les autres ? ». Volot, Jean Claude. Collectionneur et industriel.
Interrogé par Anne-Laure Chouin. Disponible sur :
https://www.franceculture.fr/emissions/le-magazine-de-la-redaction/l-art-contemporain-un-marche-comme-les-autres
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17
20. Christèle Kouidhi. Marque & Art.
• Une demande difficile à cerner
Une œuvre d'art se crée sans soucis de la demande, « il n’y a pas de réelle demande d’art », de41
besoins exprimés par les consommateurs, précise Rafael de Garay dans son ouvrage Art &
marketing, toute stratégie marketing doit donc être guidée par l’offre de l'artiste (de Garay).
• Une production de biens « uniques »
Pour Heinich, l’œuvre d’art est par définition unique, sans équivalent et c’est cette rareté qui
contribue à expliquer l’explosion des prix dans les ventes aux enchères. « Demander à un artiste de
customiser un produit, c'est le rendre unique. La signature de Murakami [...] sur un sac Vuitton le
modernise, apporte une valeur ajoutée, suscite la curiosité et génère du trafic sur le lieu de vente.42
» délivre Pascale Cayla aux Échos.
• Une « qualité » subjective
Le fruit du travail de l’artiste (l’œuvre d’art) ne possède pas intrinsèquement un contenu
économique qui pourrait lui assurer une immédiate valorisation. La qualité de l’œuvre ne peut donc
d’emblée être établie par les consommateurs (Moureau et Sagot-Duvauroux ). Le rôle des experts43
est alors fondamental pour développer la valeur des œuvres. L'appréciation de cette « qualité »
intervient avec le rôle des intermédiaires et la connaissance des caractéristiques immatérielles de
l’œuvre comme la notoriété de l’artiste, les niveaux de l’offre et de la demande, mais aussi les goûts
des consommateurs .44
• La constitution de la valeur
En considérant le rôle de ces différents intermédiaires, la fixation du prix d’une œuvre d’art n’est
plus seulement liée à une variable entre l’offre et la demande, mais bien selon plusieurs arbitrages
complexes différenciés par l’impact que génèrent les relations entre lesdits intermédiaires. (Vecco45
). C’est en effet le premier facteur de création de valeur sur lequel repose la côte de l’artiste d'après
le rapport Artprice. Cette fixation est parfaitement structurée aujourd'hui grâce à l’abondance des
résultats de vente, affectant parfois la réalité des prix. On distingue la dimension symbolique, la
valeur esthétique, culturelle et sociale de la valeur économique et financière : « Price is what you
41
Garay, Rafael de. Art & marketing: stratégies de promotion et de diffusion de l'art, 34. Ars Vivens, 2008.
42
Robert, Martine. Les Échos [en ligne]. Publié le 14 février 2014. [consulté le 20 août 2018].
« Lʼart, nouvelle âme du Luxe ? ». Cayla, Pascale. Directrice de l'agence l'Art en direct. Disponible sur :
http://m.lesechos.fr/redirect_article.php?id=0203310941234
43
Moureau, Nathalie. Sagot-Duvauroux, Dominique. Le marché de l’art contemporain. La Découverte, 2016.
44
Ministère de la Culture et de la Communication. Le marché de l’art contemporain. Essai d’approche économique.
Dossier no.91. La Documentation Française, 1991.
45
Lieurade, Thibault. Xerfi Business [en ligne]. Publié le 26 juin 2018. [consulté le 20 août 2018]. « Comprendre le
marché de l'art contemporain ». Vecco, Marilena. Professeur associé à la Burgundy School of Business, interrogée sur
l'atypisme du marché de l'art contemporain. Disponible sur :
http://www.xerfi-business-tv.com/emission/Marilena-Vecco-Comprendre-le-marche-de-l-art-contemporain_3746118.ht
ml
Master Marketing et Pratiques Commerciales - Soir 2017/2018
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18
21. Christèle Kouidhi. Marque & Art.
pay. Value is what you get. » (Buffett ). Et Heinich de rajouter : « Le juste prix, c’est le prix que46
l'acheteur est prêt à mettre. ».47
• Une distribution des gains très concentrée
Avec un chiffre d’affaires atteignant 1,58 milliards de dollars entre juillet 2016 et juin 2017 , le48
prix moyen pour une œuvre contemporaine passe à 27.600 dollars, pour un prix médian qui se situe
autour de 1.300 dollars (Artprice). Peu d’artistes vivent de leur travail face au phénomène de
distribution des gains très concentré dans ce marché qualifié de « superstar ». Parmi les stars49
médiatiques, on retrouve Takashi Murakami, numéro un du nombre de lots vendus en 2017 et Jeff50
Koons qui signe l'œuvre la plus chère jamais vendue aux enchères par un artiste vivant, la sculpture
Balloon Dog en acier poli orange, vendue en novembre 2013 pour 58,4 millions de dollars.51
• Une spirale spéculative
De riches hommes d’affaires et des fonds d’investissements spécialisés s’engouffrent dans le
marché de l’art contemporain qui atteint des sommets. Ils proviennent des grandes capitales
financières telles que New York, Londres, Hong Kong et Pékin, qui concentrent à elles seules 83 %
des recettes mondiales d’art contemporain (Artprice). La différence avec les marchés ordinaires
vient donc de s’abattre. Pour Heinich, « il y a dans l’art une dimension d'élévation spirituelle, de
plaisir, etc., qui fait qu’acheter de l’art n’est pas censé être une pratique purement spéculative [...]
même si c’est une motivation qui existe. ». Mais avec un taux de rentabilité attractif sur le moyen52
et le long terme, l’art contemporain est de plus en plus prisé par un nombre toujours croissant
d’investisseurs collectionneurs et d’institutionnels. Un investissement dit « compétitif et alternatif
aux marchés financiers » (Artprice) où un portefeuille bien diversifié d’œuvres contemporaines
permet de prétendre à un rendement annuel de +7,6 %, d'après le rapport Artprice .53
46
Buffett, Warren. Letters to Shareholders (1957 - 2012).
47
Schlegel, Tara. France Culture [en ligne]. Le magazine de la rédaction. Podcast publié le 22 mai 2015. [consulté le 20
août 2018]. « L'art contemporain, un marché comme les autres ? » Disponible sur :
https://www.franceculture.fr/emissions/le-magazine-de-la-redaction/l-art-contemporain-un-marche-comme-les-autres
48
« soit +3,2% de mieux que lors de l’exercice précédent. Simultanément, le nombre de lots vendus diminue de -2%:
57.100 œuvres ont été adjugées contre 58.400 l’an dernier. Enfin, le taux d’invendus reste parfaitement stable à 41%.
». Artprice [en ligne] Rapport du Marché de l’Art Contemporain, 2017 [consulté le 20 août 2018]. Disponible sur :
https://fr.artprice.com/artprice-reports/le-marche-de-lart-contemporain-2017
49
« Sherwin Rosen (1981) qualifie de superstars les marchés où la demande est concentrée autour d’un nombre
extrêmement réduit d’offreurs alors qu’il existe un grand nombre d’offreurs potentiels provoquant une distorsion dans
la répartition des revenus qui ne saurait s’expliquer uniquement par une différence de talents. ». Moureau, Nathalie.
Sagot-Duvauroux, Dominique. Le marché de l’art contemporain. La Découverte, 2016.
50
Top 20 des artistes contemporains par nombre de lots vendus 2016/2017 : Numéro 1 Takashi Murakami, 373 lots
vendus pour un produit de vente de 8.059.701 dollars. Chiffres Artprice, 2017.
51
Chiffres Artprice, 2017.
52
Schlegel, Tara. France Culture [en ligne]. Le magazine de la rédaction. Podcast publié le 22 mai 2015. [consulté le 20
août 2018]. « L'art contemporain, un marché comme les autres ? » Disponible sur :
https://www.franceculture.fr/emissions/le-magazine-de-la-redaction/l-art-contemporain-un-marche-comme-les-autres
53
« supérieur au Marché de l’Art dans son ensemble et sur la base des 17 dernières années. En dépit de plusieurs
ajustements, l’indice des prix démontre que ce secteur maintient toute sa vitalité acquise au début des années 2000 : 1
400 % de croissance en 17 ans. ». Artprice [en ligne] Rapport du Marché de l’Art Contemporain, 2017 [consulté le 20
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22. Christèle Kouidhi. Marque & Art.
Concentrons-nous à présent sur les principaux acteurs du marché de l'art identifiés à l'échelle
mondiale et plus précisément sur ses deux extrémités, le collectionneur et l’artiste. Nous renvoyons
le lecteur en annexe 1.2 pour le détail des rôles des consommateurs intermédiaires.
• La figure du collectionneur
Les écrits montrent qu’il n’y a pas de profil type, mais une concurrence féroce et mondiale entre
collectionneurs rivaux pour obtenir la pièce d’art tant convoitée. Son rôle est complexe, autrefois
suiveur et tributaire des musées, il en devient aujourd’hui le prescripteur en enchérissant sur
certains artistes et en prêtant ses collections pour des expositions. Expositions qui viendront
confirmer lesdits artistes et donc valoriser le portefeuille du collectionneur. Il s’agit de fortunes
issues pour un quart environ du monde des affaires, un autre quart des professions libérales
(médecins, avocats) et pour une moitié du monde de la création (mode, publicité, cinéma, médias)
d'après l'étude de Raymonde Moulin (1992, 1995) rapportée dans l’ouvrage Le marché de l’art54
contemporain. La collection est motivée, outre le plaisir esthétique, par le désir de reconnaissance
sociale et des préoccupations spéculatives, « une consommation de luxe ostentatoire ou le prix élevé
des œuvres d’art constitue un marqueur de classe sociale » (Belk, 1995 ; Bennet et Kottasz,55
2013).
Un nombre croissant d’entreprises tente également de s'intégrer au monde de l'art contemporain, par
le biais de collections d’entreprises, de prix d’art contemporain, de mécénat d’artistes ou tout
simplement par des expositions au sein de leurs locaux. Certains mécènes exercent une influence
considérable sur le marché, si bien qu’ils renversent le pouvoir des institutions publiques. En
soutenant des artistes révélés dans leurs fondations d'art contemporain, ils régulent eux-mêmes le
marché : « la place accrue des institutions comme instances de reconnaissances s’est effacée »,56
explique Heinich. Pensons à la Fondation Cartier (1994), la fondation Louis Vuitton de Bernard
Arnault (2014), la Fondation François Pinault (ouverture prévue en 2019) et la petite dernière,
Lafayette Anticipations (2018), Fondation d’entreprise du Groupe Galeries Lafayette qui se veut «
catalyseur de la production au service des artistes. ».57
• Et l’artiste aujourd'hui ?
Ici encore, il n’y a pas de définition claire. Ainsi, dans le cadre de ce travail, nous adopterons la
définition proposée par l’Unesco : « On entend par artiste toute personne qui crée ou participe58
août 2018]. Disponible sur :
https://fr.artprice.com/artprice-reports/le-marche-de-lart-contemporain-2017/attractivite-financiere-de-lart-contemporai
54
Moulin, Raymonde. L'Artiste, l'institution et le marché. Flammarion, 1992 ; « La construction de la valeur artistique
». De la valeur de l'art. Flammarion, 1995 ; « Les collectionneurs d'art contemporain, la confusion des valeurs ». Musée
d'art moderne de la Ville de Paris, Catalogue Passions privées, 1995.
55
Moureau, Nathalie. Sagot-Duvauroux, Dominique. Le marché de l’art contemporain. La Découverte, 2016.
56
Heinich, Nathalie. Le paradigme de l'art contemporain : structures d'une révolution artistique. Gallimard. 2014.
57
Dossier de presse Fondation d’entreprise Galeries Lafayette. 2018.
58
Définition ouverte proposée par l’Unesco et déterminée par la conscience individuelle. Recommandation relative à la
condition de l'artiste (1980).
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23. Christèle Kouidhi. Marque & Art.
par son interprétation à la création ou à la recréation d'œuvres d'art, qui considère sa création
artistique comme un élément essentiel de sa vie, qui, ainsi, contribue au développement de l'art et
de la culture, qui est reconnue ou cherche à être reconnue en tant qu'artiste, qu'elle soit liée ou non
par une relation de travail ou d'association quelconque. » (Unesco).
L’ouvrage de Moureau et Sagot-Duvauroux relate de huit critères, identifiés dans les travaux de59
Frey et Pommerehne, pour attribuer le statut d’artiste à une personne : « 1) le temps consacré à60
l'activité ; 2) le montant des gains issus de l'activité artistique ; 3) la réputation vis-à-vis du public ;
4) la reconnaissance par les pairs ; 5) la qualité du travail ; 6) l'appartenance à un groupe ou une
association ; 7) la qualification professionnelle ; 8) l'identification autosubjective » (Frey et
Pommerehne, 1989). Et aux auteurs de préciser que les deux premiers critères, « le temps consacré
et les gains obtenus, sont les plus utilisés en raison de leur objectivité. » (d'après Shaw, 2004). En61
effet, l’artiste contemporain est supporté financièrement par des subventions, prix et récompenses
ainsi que par la vente directe de son travail.
L'excellence de l'artiste serait alors définie comme quelque chose de singulier et unique (Becker
1982 ; Heinich 2004), son génie artistique, véritable mythe de l’artiste, lui permettant de produire
des créations originales et singulières (Heilbrunn 1999 ; Heinich 2004). Cependant, en raison du
coût de conception et de fabrication, les artistes produisent finalement assez peu d'œuvres
singulières chaque année, écrivent Moureau et Sagot-Duvauroux. La production de « multiples »,
comme les cinq versions de couleurs différentes du Balloon Dog de Jeff Koons, permet alors aux
artistes stars d'accroître leur visibilité et ainsi limiter le risque d’oubli. (Moureau et
Sagot-Duvauroux).
Ci-dessous une typologie de cinq types de professionnels qui nous semble pertinents de mentionner
dans le cadre de ce travail (Tableau C). Nous aurons l’occasion de revenir plus loin sur le profil de
l’artiste entrepreneur.
Appellation Référence
La star L’artiste largement connu et reconnu.
L’artiste
entrepreneur
L’artiste qui fait de son activité artistique une activité économique. « Il
produit, diffuse et commercialise ses œuvres auprès de clients bien
identifiés. Il définit et met en œuvre une stratégie ainsi que des moyens
matériels, humains [...] et financiers lui permettant d'atteindre ses
objectifs de chiffre d’affaires et de rentabilité. » (Bourgeois )62
59
Moureau, Nathalie. Sagot-Duvauroux, Dominique. Le marché de l’art contemporain. La Découverte, 2016.
60
Frey, Bruno. Pommerehne, Werner. Muses and Market : Explorations in the Economics of the Arts, Basic Blackwell,
Cambridge, 1989. Traduction française. La culture a-t-elle un prix ? Essai sur l'économie de l'art, Plon, Paris, 1993.
61
Shaw, Phyllida. « Researching artists' working lives », Arts Research Digest, 2004. Vol. 30.
62
Bourgeois, Laurence. Profession artiste : vivre de son art. Editions d'Organisation, 2012.
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24. Christèle Kouidhi. Marque & Art.
La jeune pousse Le jeune artiste prometteur, souvent diplômé d’une école d’art réputé et
en vogue chez les galeristes.
L’artiste amateur L’artiste passionné qui souhaite vivre une expérience humaine au travers
de sa création artistique, cela peut être un passe-temps occasionnel ou
une façon de vivre (collectifs d’artistes, résidences, squat, etc.)
L’artiste
enseignant
L’artiste qui exerce une activité professionnelle éducative
complémentaire à son métier artistique : formations, conférences, gérant
d’association, etc.
Tableau C. Détails des types d’artistes contemporains63
B. Une relation préexistante entre la marque et l’art
Après les fondements théoriques de la notion de marque et de celle d’art, les deux idées vont
maintenant être fusionnées, pour donner lieu au concept de collaborations entre la marque et l’art.
L’objectif de ce chapitre sera de donner un bref aperçu de l’histoire de ces relations
interdisciplinaires pour développer un cadre de travail pertinent pour la deuxième partie.
1. Antécédents du « capitalisme artiste »64
Historiquement, il n’y a pas d’art sans soutien et commande de puissantes élites : les artistes sont au
service de commanditaires contre de l’argent pour diffuser les messages des religions sur leurs
édifices ou glorifier la grandeur des princes dans leurs royaumes. À partir du XIXe
siècle, on note
une opposition majeure entre l’art et l’argent, certains auteurs revendiquant que l’art se doit d'être
totalement désintéressé (Baudelaire ; Flaubert). Mais c’est à la même époque que naît la première
révolution dans la relation marque et art avec la naissance du grand magasin, Au Bon Marché
(1869), datant le « mariage du capitalisme avec la culture » et « donnant une place centrale et65
inédite à la théâtralisation du lieu de vente, à la mise en scène des marchandises » selon Gilles66
Lipovetsky, sociologue et philosophe. Et de préciser qu’on doit à Aristide Boucicaut du Bon
63
Sources : Bourgeois, Laurence. Profession artiste : vivre de son art. Editions d'Organisation, 2012. D’après une
enquête réalisée en 2002 et présentée dans Beaux-Arts magazine. Maison-Rouge, Isabelle de. L'Art contemporain
au-delà des idées reçues. Le Cavalier Bleu, 2009.
64
Lipovetsky, Gilles. Serroy, Jean. L’esthétisation du monde. Vivre à l'âge du capitalisme artiste. Gallimard, 2013.
65
Entretien avec Gilles Lipovetsky à propos de son ouvrage L’Esthétisation du monde, vivre à l’âge du capitalisme
artiste. Gallimard, 2013. Propos recueillis par Jean Watin-Augouard. La revue des marques, juillet 2016, No. 95.
66
Lipovetsky, Gilles. Serroy, Jean. L’esthétisation du monde. Vivre à l'âge du capitalisme artiste. Gallimard, 2013, P.
134.
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25. Christèle Kouidhi. Marque & Art.
Marché « la dimension expérientielle du commerce et du capitalisme » : comédie, spectacles,67
publicité, etc., autant de disciplines qui vont faire vivre aux clientes une expérience unique où l’art à
sa place .68
1860 est aussi la période ou la photographie et l’affiche sont marquées par leur valeur marchande :
la première acquiert juridiquement, en France, le statut d'œuvre d'art, tandis que l’affiche artistique
et commerciale, envahit les murs des villes pour vanter les mérites de produits les plus divers.
L’affiche dignement représentée par Chéret et Toulouse-Lautrec (1890) connaît alors une popularité
qui ne cessera d'interpeller les artistes. Qui mieux qu’Alfons Mucha (1860-1939), chef de file de
l’Art nouveau (1890), pour illustrer cette relation entre la « réclame » et l’art : l’artiste tchèque se
voit confier tour à tour la réalisation d’ « affiches illustrées » dédiées à la gloire du champagne69
pour les maisons Ruinart (1897), Moët & Chandon (1899) et Perrier-Jouët (1902), le révélant de son
anonymat et témoignant ainsi de l’existence de l’Art nouveau. « Pour susciter la gourmandise,70
rien de tel que de séduire l’œil ! » appuiera Louis Lefèvre-Utile, fabricant du déjà célèbre «71
Petit-Beurre LU », pour qui Mucha réalisa affiches et illustrations de boîtes de biscuits. L’affiche
publicitaire devient dès lors une œuvre d’art accessible à tous et entre dans les foyers, mais aussi les
galeries d’art, car recherchée par les collectionneurs. La figure 1 présente une brève iconographie
des affiches publicitaires créés par Mucha pour les marques citées ci-dessus.
67
Entretien avec Gilles Lipovetsky à propos de son ouvrage L’Esthétisation du monde, vivre à l’âge du capitalisme
artiste. Gallimard, 2013. Propos recueillis par Jean Watin-Augouard. La revue des marques, juillet 2016, No. 95.
68
Ibid.
69
Joo, Bernard. Le Figaro [en ligne]. Publié le 04 décembre 2007. [consulté le 25 août 2018]. « Des affiches d’art pour
les grands champagnes ». Disponible sur : http://avis-vin.lefigaro.fr/magazine-vin/o8423-des-affiches-doeuvre-dart
70
Salarié de l’imprimeur Champenois, Mucha accorde ce travail de commande à son univers personnel et se fait
rapidement une signature connue et reconnaissable. Son art sera décliné sur une multitudes de supports : panneaux
décoratifs, illustrations de calendriers, cartes postales, menus, etc. Fruhauf, Caroline. Franceinfo [en ligne]. Publié le 20
mai 2018. [consulté le 25 août 2018]. « Mucha l'affichiste et Bergès l'ingénieur jettent des ponts entre Art nouveau et
industrie ». Disponible sur :
https://culturebox.francetvinfo.fr/arts/expos/alfons-mucha-et-aristide-berges-une-amitie-entre-art-nouveau-et-industrie-
273397
71
Musée des Arts Décoratifs [en ligne]. Publié en 2005. [consulté le 25 août 2018]. « La saga du petit lu : les débuts ».
Disponible sur : http://madparis.fr/IMG/pdf/vitrinedumois11-05-2.pdf
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26. Christèle Kouidhi. Marque & Art.
Ruinart Champagne
Ruinart Père et Fils,
1896.
Calendrier Maison Belle
Époque - Perrier-Jouët,
1897.
Biscuits Lefèvre-Utile,
1897.
Moët & Chandon
Crémant Impérial, 1899.
Figure 1. Affiches crées par Alfons Mucha pour les marques Ruinart, Moët & Chandon, Perrier-Jouët et
Biscuits Lefèvre-Utile, 1896-1899.
Quand on évoque les liens ambigus entre les marques et le monde de l’art, ce sont spontanément
des artistes comme Duchamp (mouvement Dada, 1887-1968) et Warhol (Pop art, 1928-1987) qui
viennent à l’esprit. Ceux-ci, fascinés par les productions de masse de la societé de consommation
(objets manufacturés et affiches publicitaires), vont venir les détourner et les reproduire dans une
volonté de déhiérarchiser les rapports du majeur et du mineur, pour questionner sur les valeurs
d'unicité et d'authenticité, perçues face à une œuvre d'art traditionnelle . Avec les ready-made de72
Duchamp, un objet déjà fabriqué (urinoir, roue, etc.), ou sa réplique, devient œuvre d'art, basculant
l’idée du bien unique et de sa prétendue vocation esthétique. Warhol appelle son atelier la « Factory
», pour signifier qu’une œuvre reproduite reste une œuvre d’art. Entouré d’assistants, il reproduit à73
loisir des copies d’objets ou d’évènements à l’aide de photographies au polaroid et de la sérigraphie
: bouteilles de Coca-Cola, boîtes de la marque Campbell's (soupe) ou de Tomato Ketchup Heinz
(ketchup), mais aussi des portraits d'icônes de la culture populaire comme Marylin Monroe ou Elvis
Presley, associant l’art aux objets du quotidien. Loin d’une critique sociale ou d’une prise de
position politique contre le système publicitaire et la consommation de masse, les œuvres de
Duchamp et Warhol (Figure 2) ne représentent aucune autre réalité que celle de la société moderne
72
Gagnon, Claude-Maurice. « Art et publicité : une relation dialogique ambiguë », revue Espace Sculpture, 2003. No.
63, pp. 6-15. [en ligne]. [consulté le 21 septembre 2018] Disponible sur : http://id.erudit.org/iderudit/9195ac
73
Traduction française : usine.
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24
27. Christèle Kouidhi. Marque & Art.
consommatrice, au-delà de toute forme de subjectivité ou contenu critique et nous interrogent, nous
regardants, sur le statut d’œuvre d’art.
Marcel Duchamp. Fontaine,
ready-made urinoir en
porcelaine renversé signé « R.
Mutt », 1917.
Andy Warhol. Heinz Tomato
Ketchup Box [Prototype],
1963-64.
Andy Warhol. Campbell's Soup
Can (Tomato), 1962.
Figure 2. Exemples d'antécédents entre la marque et l’art de Duchamp et Warhol.
L’une des premières collaborations documentées entre une marque de mode et un artiste remonte
aux années 1930 lorsque la créatrice Elsa Schiaparelli (1890-1973), fait équipe avec les surréalistes
Salvador Dali (1904-1989) et Jean Cocteau (1889-1963). De la rencontre avec le premier, naissent
des pièces « devenues légendaires (tailleurs à poches-tiroirs, chapeau-chaussure, robe imprimée
homard, robe-squelette, etc.) » tandis que les dessins de Cocteau viendront orner manteaux,74
ensembles et bijoux, le surréalisme nourrissant son « foisonnement créatif ». Plus tard, le couturier75
français Yves Saint Laurent (1936-2008) présenta lors du défilé automne-hiver 1965, une collection
de robes très remarquée par les magazines de mode, en hommage à Piet Mondrian (pionnier de l’art
abstrait, 1872-1944).
74
Schiaparelli [en ligne]. [consulté le 21 septembre 2018]. « La vie d'Elsa Schiaparelli ». Disponible sur :
http://www.schiaparelli.com/fr/maison-schiaparelli/la-vie-d-elsa/
75
Ibid.
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25
28. Christèle Kouidhi. Marque & Art.
Yves Saint Laurent. Robe
Mondrian, collection haute
couture automne-hiver, 1965.
Elsa Schiaparelli et Salvador
Dali. Robe homard et larmes,
collection automne-hiver,
1938-1939.
Elsa Schiaparelli et Jean
Cocteau. Broche œil, 1937.
Figure 3. Exemples d'antécédents entre la mode et l’art de Mondrian, Dali et Cocteau.
Ces exemples ont inscrit dans l’histoire la question d’une possible union, à priori antinomique, entre
la marque et l’art. Les mondes marchands et culturels « ne sont plus à envisager de manière
dichotomique mais de façon interdépendante » expliquent les auteurs dans l’ouvrage76
L’esthétisation du Monde. Vivre à l’âge du capitalisme artiste. Il s’agit de décrire un nouveau
capitalisme, reposant sur une démarche entrepreneuriale vouée à l’ « esthétisation de l’économie »77
qui incorpore plusieurs traits constitutifs comme la production de biens marchands esthétiques et «
une logique d’hybridation des secteurs de l’art et du marketing. ». Plusieurs marques et artistes78
suivent depuis le sillage des avant-gardistes nommés ci-dessus, dans une dynamique d’hybridation :
Absolut vodka et le Pop art ; Louis Vuitton et Takashi Murakami ; H&M et les maisons
haute-couture.
76
Aubrun, Frédéric. « Gilles Lipovetsky, Jean Serroy, L’esthétisation du Monde. Vivre à l’âge du capitalisme artiste ».
Les comptes rendus, 2014. [en ligne]. [consulté le 19 juin 2018]. Disponible sur :
http://journals.openedition.org/lectures/15392
77
Ibid.
78
Ibid.
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26
29. Christèle Kouidhi. Marque & Art.
II. Quelle place pour la relation Marque & Art ?
Si c’est majoritairement à travers l’affiche et la publicité que peuvent être traités les antécédents des
rapports entre la marque et l’art, cette partie s’attache à présenter les principales stratégies
d’alliances avec des artistes qui permettent aux marques de se développer et rester pérennes. Nous
développerons une typologie des différents partenariats relevant du « capitalisme artiste » pour
analyser, dans ce qui sonne à première vue comme un oxymore, la pertinence de l’intrusion de l’art
dans le champ marketing.
A. Une relation recherchée et entretenue
1. L'ère du tout-marque
Aujourd’hui, tout est marque (Kapferer, 2013), et tout est marqué partout. Ce sujet est traité dans
plusieurs livres et médias. L’ouvrage de Denis Gancel et Gilles Deléris , fondateurs de l’agence79
W&Cie, nous montre ainsi que la marque dépasse son champ d'action purement mercantile pour un
univers beaucoup plus large, sociétal . Elle s'étend désormais à toutes les sphères de la vie80
économique, mais aussi publique et privée (Kapferer, 2013) : marque employeur, marque de
distributeur (MDD), « Marque France », « I Love New York », etc. Avec 3,8 millions de marques
enregistrées par an en France , soit près de 10 000 marques par jour, chaque ville, institution,81
entreprise, personnage public, devient marque aujourd’hui et communique comme tel.
On parle alors de cette évolution, courant 2000, comme une deuxième mondialisation des marques
(Gancel, 2007). Pendant l’ère industrielle et le marché de masse, où reproductibilité et
standardisation font loi, la marque s’impose pour revendiquer son origine et se différencier sur son
marché (Gancel, 2007) . Succède le temps de la réclame (1960) et de la communication (1980)82
79
Gancel, Denis. Deléris, Gilles. La Société des Marques (SDM). Parole et Silence Editions, 2015. Les auteurs sont
respectivement président et directeur de la création de W&Cie et enseignants à SciencesPo Paris.
80
Comme en témoignent les engagements de Danone, numéro 2 mondial en nutrition infantile, qui revendique
influencer positivement la santé et la nutrition : « Nourrir de nouvelles vies va bien au-delà de la simple fabrication de
produits » se défend la marque sur son site web. Danone [en ligne]. [consulté le 17 juillet 2018]. Stratégie & Chiffres
Clés. Disponible sur : https://www.danone.com/fr/brands/early-life-nutrition/strategy-and-key-figures.html
81
I.N.P.I. [en ligne]. 2014 [consulté le 17 juillet 2018]. Rapport de réinvention. Disponible sur :
https://www.inpi.fr/sites/default/files/inpi_rapport_data_1.pdf
82
Gancel, Denis. Le blog Wcie [en ligne]. Publié le 13 octobre 2007. [consulté le 17 août 2018]. « La nouvelle
mondialisation des marques ». Disponible sur :
https://leblog.wcie.fr/2007/10/13/la-nouvelle-mondialisation-des-marques/
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30. Christèle Kouidhi. Marque & Art.
puis l'avènement d’internet, où la promesse produit ne suffit plus (Kapferer, 2013). Pour survivre, la
marque n’est plus simplement tangible, mais porte en elle des valeurs et idéaux, incarnés par des
expériences et affichés sur des plates-formes de marques .83
Pour nourrir ces valeurs et donner du sens au consommateur, la marque choisit de collaborer avec
des artistes qui ont la liberté d’expression nécessaire pour s’affranchir de la commande
commerciale. « On est une marque icône puisque l’on est représenté dans le monde de l’art . »84
explique Michel, à propos des œuvres d’artistes qui s’approprient la marque, en jouant avec ses
codes puis l'étoffent au-delà de ce qu’aurait pu imaginer les gestionnaires. Parfois, bien plus loin,
comme en témoigne l’humanisation des marques dans le court-métrage Logorama , qui détourne85
pléthore de logos et personnages de marque pour narrer une course-poursuite entre deux policiers à
l'effigie de Bibendum (mascotte de la marque Michelin) et Ronald McDonald, dans le rôle du
méchant (Figure 4). Une caricature d’une « société de marques » saturée d’images du domaine86
marchand qui brouillent les frontières entre le commerce, la culture et l’art. Tout un symbole
anticipé dès 2010 par Naomi Klein qui décrit, dans son ouvrage No logo , les dangers liés à cette87
dominance identitaire des marques.
Figure 4. Captures du court métrage d'animation Logorama, par H5 (François Alaux, Hervé de Crécy et
Ludovic Houplain), 2009.
83
En exemple, l’énoncé de mission de Nike est « Apporter l’inspiration et l’innovation à chaque athlète dans le monde
». Son co-fondateur, Bill Bowerman, aurait déclaré : « Si vous avez un corps, vous êtes un athlète. ». Nike [en ligne].
[consulté le 17 août 2018]. Nike mission statement. Disponible sur : https://help-en-us.nike.com/app/answer/a_id/113
84
Michel, Géraldine. Darketing S07E03 [en ligne]. Chaire Marques & Valeurs - IAE de Paris. Publié le 28 janvier
2016. [consulté le 02 août 2018]. « Quand les artistes s'emparent des marques ». Disponible sur :
https://youtu.be/wv2oQ5JzOy4
85
Court métrage d'animation français réalisé par François Alaux, Hervé de Crécy et Ludovic Houplain (H5) en 2009,
sans aucune autorisation des marques concernées, au nom de la liberté d’expression. Le film remporte notamment
l'Oscar du meilleur court métrage d'animation en 2010. H5 Logorama [en ligne]. Autour de Minuit. Publié le 06 février
2014. [consulté le 02 août 2018]. Disponible sur : https://youtu.be/cgrHFEVJY4w
86
Rigaud, Emmanuelle. « Une société de marques », Le Libellio d’Aegis, 2012. Vol. 8, No. 2, pp. 19-26. Compte rendu
de l’ouvrage de Martin Kornberger. Brand society: How brands transform management and lifestyle,
Cambridge, Cambridge University Press, 2010. [en ligne]. [consulté le 17 août 2018]. Disponible sur :
http://lelibellio.com/wp-content/uploads/2013/02/vol.-8-n%C2%B0-2-pages-19-%C3%A0-26-Rigaud-E.-Une-soci%C3
%A9t%C3%A9-de-marques.pdf
87
Klein, Naomi. No logo. La tyrannie des marques, Actes Sud, 2001.
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28
31. Christèle Kouidhi. Marque & Art.
2. « Devenir un référent culturel »88
Kapferer évoque dans son ouvrage, Ré-inventer les marques, le vecteur culturel, cette valeur ajoutée
intangible, portée par la marque en s’exportant. Citons notamment les géantes du web de ces
dernières années, Amazon, Apple, Facebook et Google, qui construisent notre quotidien, au-delà
des produits et services proposés et suscitent l’engagement de milliers de consommateurs . Ces89
marques « mènent aujourd’hui une vie sociale à part entière » (Cova), on y parle de culture de90
marque, héros, mythes, rites ou codes jusque dans la culture d’entreprise. Ces marques construisent
leurs propres récits qu’elles déploient sur Internet et les réseaux sociaux, mais aussi à travers
l'expérience en magasin, pour fédérer un nombre toujours plus croissants d’adeptes. Kapferer parle
de culturalisation des marques (2013), Holt de branding culturel (2004). Pour Holt, le pouvoir d’une
marque provient de sa capacité à créer un mythe identitaire dont les codes et messages vont m’aider
à me construire et « résoudre les contradictions culturelles au sein de la société ». Pour ce faire, la91
marque doit chercher à cartographier les conventions généralement établies autour de la catégorie
de produits concernés pour identifier ensuite « l'opportunité culturelle », celle qui permettra de92
délivrer un message à contre-courant de l'idéologie dominante et ainsi mieux se détacher des
contestations (Cova).
Tout le marketing des marques fortes repose sur ces leviers de transfert d’identités, ajoute Kapferer.
« Les marques aident les individus à comprendre et à façonner ce qu’ils font, ce qu’ils sont, ce
qu’ils veulent être et ce que les autres pensent d’eux. » (Kornberger, 2010). La marque forte parle93
donc à la fois à mes quatre moi, le réel, l'idéalisé, le social et le perçu. La marque Nespresso par
exemple ne vend pas du café, mais une expérience exclusive et haut de gamme, composée de
capsules de couleurs, de machines élégantes, d'un accueil personnalisé et d’instants complices avec
George Clooney, documente Kapferer . Cova donne l’exemple de la marque Dove et sa campagne94
« For real beauty » qui valorise toutes les femmes dans leur différence (de taille, mensurations, âge,
etc.) et les engage à accepter leur corps tel qu’il est, bravant ensemble les tensions et diktats
imposés par la société. En leur servant de repère, Dove assume et légitimise sa place de référent
culturel de la diversité corporelle des femmes.
Les marques ont compris la leçon : pour conserver le statut de référent culturel et perdurer dans un
univers toujours plus concurrentiel, elles doivent « impérativement être présentées dans un cadre
88
Cova, Bernard. La vie sociale des marques. EMS Editions, 2008, p. 49.
89
Classement Interbrand des meilleures marques mondiales 2017 : 01, Apple. 02, Google. 03, Microsoft. 04,
Coca-Cola. 05, Amazon. 06, Samsung. 07, Toyota. 08, Facebook. [en ligne]. [consulté le 17 août 2018]. Disponible sur
: https://www.interbrand.com/best-brands/best-global-brands/2017/ranking/
90
Cova, Bernard. La vie sociale des marques. EMS Editions, 2008, p. 10.
91
Holt, Douglas B. How brands become icons : The principles of cultural branding. Harvard Business Review Press,
2004.
92
Cova, Bernard. La vie sociale des marques. EMS Editions, 2008, p. 50.
93
Ibid, p. 53.
94
Kapferer, Jean-Noël. Ré-inventer les marques : la fin des marques telles que nous les connaissions. Eyrolles, 2013.
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32. Christèle Kouidhi. Marque & Art.
non commercial » (Kapferer). En collaborant avec l’art, qui est consacré par les institutions95
publiques, elles s’ouvrent à d'autres publics, s’engagent et réinventent continuellement « de la
matière qui vient s’emboîter avec la corporalité du consommateur » (Cova)96
3. « Good business is the best art »97
Dans son ouvrage le paradigme de l’art contemporain, Heinich nomme « bulle artistico - financière
», la transformation de l’art qui a lieu dans les années 1990 avec l'arrivée sur le marché de nouveaux
collectionneurs (fortunés des sociétés occidentales, mais aussi des pays émergents, pays asiatiques
et de la péninsule arabique) qui acquièrent des œuvres de la culture populaire, plus facile à
appréhender selon l'auteur, dans une logique de spéculation. Certains de ces collectionneurs sont
très médiatisés et influents sur le marché comme nous l’avons vu précédemment avec les fondations
d’art des rivaux français Bernard Arnault (propriétaire du groupe de luxe LVMH) et François
Pinault (fondateur du groupe Kering, deuxième groupe mondial dans le secteur du luxe après
LVMH). Ces « specullectors » s’engagent dans un certain type d’art contemporain, comme le Pop98
art ou street art, à des fins beaucoup plus spéculatives qu'esthétiques, déplore Heinich, ils surpassent
les pouvoirs des institutions publiques et bénéficient, outre les avantages fiscaux, d’une valorisation
record de la cote des artistes qu’ils collectionnent, en prêtant par exemple leurs œuvres aux musées.
Nous l’avons vu, le développement de la « bulle artistico - financière » décrite par Heinich a
conduit à l’émergence d’un nouveau profil d’artistes contemporains rencontré plus haut, l’artiste
entrepreneur qui désire promouvoir son art comme une démarche entrepreneuriale et bénéficie «
d’une intégration immédiate au marché, suivie d’une reconnaissance plus tardive par l’institution.99
» (Heinich). Certains, comme Koons, Hirst, Murakami, s’inscrivent dans la lignée directe d’Andy
Warhol et de sa fameuse devise « Good business is the best art » revendiquant fièrement le statut de
« business artist » cher à Warhol . Questionnant très tôt l’objet même de l’art en tant que100
95
Kapferer, Jean-Noël. Luxe : nouveaux challenges, nouveaux challengers. Eyrolles, 2016, p. 83.
96
Cova, Bernard. La vie sociale des marques. EMS Editions, 200, p.51
97
Warhol, Andy. « But making money is art, and working is art - and good business is the best art. »
98
« specullectors » : mot valise inventé par Charles Saatchi, comme contraction de spéculateurs et collectionneurs. Il
désigne les collectionneurs d’art qui utilisent leurs collections « comme un portefeuille boursier ». D'après Fredet,
Jean-Gabriel. Requins, caniches et autres mystificateurs, Albin Michel, 2017.
99
Terroni, Cristelle. La vie des idées [en ligne]. Publié le 11 février 2015. [consulté le 25 août 2018]. « Comment
définir l’art contemporain ? ». À propos de l'ouvrage de Nathalie Heinich, le paradigme de l’art contemporain,
Gallimard, 2014. Disponible sur : https://laviedesidees.fr/Comment-definir-l-art-contemporain.html
100
Warhol, Andy. « Business art is the step that comes after art. I started as a commercial artist, and I want to finish as
a business artist. Being good in business is the most fascinating kind of art. During the hippie era people put down the
idea of business. They’d say « money is bad » and « working is bad ». But making money is art, and working is art - and
good business is the best art. ». Traduction française : « L'art des affaires est l'étape qui suit l'art. J'ai débuté en tant
qu'artiste commercial et je veux finir comme artiste d'entreprise. Etre bon en affaires est le type d'art le plus fascinant.
Au cours de l'ère hippie, les gens ont rejeté l'idée d'entreprise. Ils disaient que « l'argent est mauvais » et «travailler est
mauvais ». Mais gagner de l’argent est un art et travailler l’est également et faire de bonnes affaires est le plus bel art
qui soit. ».
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33. Christèle Kouidhi. Marque & Art.
marchandise, Warhol transforma l’atelier d’artiste en « Factory » dans une logique de production
industrielle brisant le mythe de l’artiste créateur et les notions d'unicité et d'authenticité. En prenant
les produits de grande consommation comme modèles, « il a également été le premier à identifier le
processus d’artification quand une galerie a exposé sa peinture d’une simple boîte de Brillo (un
produit d’entretien), lui conférant ainsi le statut d’œuvre d’art. » (Kapferer). Par artification, on101
entend le néologisme choisit par les sociologues et historiens de l’art pour étudier « les processus de
transformation du non-art en art » qui ont lieu notamment dans l’univers du luxe (Heinich et102
Shapiro, 2012).
En véritables chefs d’entreprise, les artistes Koons et Murakami affirment leurs envies capitalistes
et supervisent, d’une main de maître, plusieurs ateliers employant des dizaines d’assistants très
qualifiés dans la fabrication d’œuvres et produits dérivés. (Moureau ; Sagot-Duvauroux). Chez
Koons, « toute commande passe par la consultation d’un catalogue parmi les œuvres existantes
disponibles, chacune d’elles existant en différents coloris », l’artiste - chef d’entreprise contrôle la103
fabrication à distance et impose les délais. La production de multiples, comme mentionné dans les
spécificités du marché de l’art contemporain, permet alors à l’artiste, en panne « d’inspiration »
d'être toujours visible dans les événements. (Moureau ; Sagot-Duvauroux). La société Kaikai Kiki
de Murakami, dirigée par l'ancien patron de Vuitton Japon - tout est dit - se charge de
commercialiser une multitude de produits dérivés portant la marque-artiste comme des t-shirts,
peluches, mugs, porte-clés, posters, etc. disponibles partout dans le monde . Une stratégie de104
différenciation verticale calée sur le modèle du luxe, « où la vente de parfums se nourrit de l'image
véhiculée par les défilés haute couture » (Moureau ; Sagot-Duvauroux) qui décline la marque -105
artiste pour la destiner aux différents types d’acheteurs.
B. Différentes formes de rapprochement entre la marque et
l’art : le cas du co-branding
Ce chapitre se propose de détailler les formes d’alliances entre la marque et l’art relevées d’après
différentes lectures et analyse pourquoi le co-branding avec un artiste est aujourd’hui une stratégie
particulièrement prisée par les entreprises. Cependant, la liste qui suit n’a pas la prétention d’être
101
Kapferer, Jean-Noël. Luxe : nouveaux challenges, nouveaux challengers. Eyrolles, 2016, p. 94.
102
Shapiro, Roberta. XVIIème Congrès de l’AISLF « L’individu social » [en ligne]. Comité de recherche 18, Sociologie
de l’art Tours, juillet 2004. [consulté le 27 août 2018]. « Qu’est-ce que l’artification ? ». Disponible sur :
https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00010486v2/file/Artific.pdf
103
Piguet, Philippe. L'œil [en ligne]. n°674 du 1 décembre 2014. [consulté le 25 août 2018]. « Koons, Murakami, Hirst,
Eliasson... Les champions des ateliers XXL ». Disponible sur :
https://www.lejournaldesarts.fr/creation/koons-murakami-hirst-eliasson-les-champions-des-ateliers-xxl-123592
104
Ibid.
105
Moureau, Nathalie. Sagot-Duvauroux, Dominique. Le marché de l’art contemporain. La Découverte, 2016.
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34. Christèle Kouidhi. Marque & Art.
exhaustive, car nous n’avons pas lu l’ensemble des publications sur ce sujet en constante évolution.
Nous tenterons de comprendre les motivations des entreprises pour les confronter aux perceptions
des consommateurs lors de l'étude qualitative.
Le choix du recours à la pratique du co-branding dans le cas de stratégies d’alliances de marques est
courant dans les entreprises B2C. Par collaboration, nous nommons toute association de deux ou
plusieurs marques (ou entités) sur un produit ou service, avec des éléments tangibles ou
symboliques. Pour Michel, il peut s’agir d’alliances avec des créateurs, artistes, célébrités, etc., ou
bien d’autres marques, pour concevoir et signer un produit ensemble. On distingue toujours la «
marque accueil » déjà présente dans la catégorie de produits du nouveau produit co-marqué, de la «
marque invitée » qui se lance sur un nouveau marché : la pratique de co-branding permet à la
première d’élargir sa cible vers de nouveaux consommateurs et à la deuxième d’accéder à de
nouveaux marchés . (Michel). Bien que dans le cadre de ce travail nous nous intéressons106
principalement aux pratiques de co-branding et de co-communication, la typologie des trois types
de collaborations identifiées par Michel dans son ouvrage Au cœur de la marque est reprise
ci-dessous pour plus de clarté (Tableau D).
Type de
collaboration
Référence et exemples
Co-branding « Collaboration fondée sur la co-définition du produit au plan
fonctionnel ou symbolique et sur la co-signature du produit par les
marques partenaires. »
Co-branding
symbolique
« Lancement d’un nouveau produit ou service bénéficiant des
dimensions symboliques de la marque invité visant essentiellement à
transférer l’image de la marque invitée sur la marque accueil. »
Bouteille evian - Paul Smith, Issey Miyake et Courrèges. Bouteille Coca-Cola
Light - Karl Lagerfeld.
106
Michel, Géraldine. Chaire Marques & Valeurs [en ligne]. No. 2012-14. [consulté le 10 avril 2018]. « Stratégie de
Co-branding. Quand 1+1 > 2 ». Disponible sur :
https://chaire.marquesetvaleurs.org/wp-content/uploads/2018/01/cobranding.pdf
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35. Christèle Kouidhi. Marque & Art.
Co-branding
fonctionnel
« Lancement d’un nouveau produit ou service bénéficiant des
ingrédients ou du savoir faire de la marque invitée. »
Adidas - Kanye West yeezy boost 350. Apple Watch Hermès.
Co-communication « Élaboration d’une communication commune sans nouveau produit
lancé, pour attirer l’attention des consommateurs et donner une
visibilité plus grande au message. »
Cointreau - Dita von Teese. JAY-Z et Beyoncé - Musée du Louvre.
Co-promotion des
ventes
« Mise en place d’une promotion des ventes communes, apportant aux
consommateurs un avantage spécifique issu de l’achat du produit. »
Carte de crédit American Express Air France
Tableau D. Détails des pratiques de collaboration de marques d'après Cegarra et Michel (2001).
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