Biographie de Pierre Teilhard de Chardin, jésuite et scientifique (géologue et paléontologue) et analyse de ses textes scientifiques à la lumière des connaissances actuelles.
Conférence donnée le 27/09/2014 à la bibliothèque universitaire Sciences-STAPS de Caen par Jean-Paul SIBBILLE
(Groupe d’Etude Teilhard de Chardin de Basse-Normandie, Caen-Lisieux ; Professeur de lycée retraité (Maths-Sciences puis Art Appliqué) ; Formateur Transdisciplinaire)
Depuis 1981 Teilhard n’est plus en disgrâces au Vatican. Ses idées, honnies de son vivant, sont paraît-il le ferment d’une « nouvelle évangélisation », dont acte. Cependant, une Loi du Silence occulte cet éminent savant. On reconnaît certes son rôle historique en Paléontologie, mais il n’y aurait plus à débattre de sa philosophie ou de ses idées scientifiques. Il est parfaitement inconnu du public & les gens cultivés en ont seulement entendu parler, le + souvent dans un genre disqualifiant. Quand des magazines comme Sciences Humaines, Le Point, L’Express, Science & Vie, Sciences & Avenir ou autres Monde Diplo publie un hors-série sur les grands penseurs du XXème siècle : Teilhard n’est jamais cité. Sur France Culture, des ‘Nouveaux chemins de la connaissance’ à ‘Répliques’ c’est silence radio. Et l’ultra-libéral & brillant Brice Couturier se demande « comment une pensée aussi vague a pu séduire tant de brillants esprits dans les années 50 ». D’où la question affreuse : La science est-elle à la traîne du Vatican ? Je remercie ici, d’autant plus, la Bibliothèque Universitaire Sciences-STAPS et Relais d’Science d’avoir approuvé ma proposition d’intervention pour la fête de la Science 2014 en Basse-Normandie.
Approche neuro-psychologique du visage de TdC : j’ai reconstitué un visage « cerveau droit » (à gauche) et un « cerveau gauche » (à droite) par symétrie des demies faces de TdC.
À gauche un homme de terrain, baroudeur & puissant : un géologue taillé dans le roc, bien incarné & vivant, au regard déterminé & presque martial, au menton volontaire… qui vient vers vous ou qui bourlingue dans la Croisière Jaune ou qui explore les rives du Syar Osso Gol en Mongolie…À droite le portrait cérébral d’un frêle intellectuel, penseur conceptuel de la Noosphère & mystique de « La messe sur le monde ».
Ces portraits de Teilhard ont été faits en m’inspirant d’une illustration gardée précieusement dans un vieux n° de Sciences & Avenir (années 80) à propos non d’Einstein mais de la dissymétrie fonctionnelle hémisphérique [& du prix Nobel de Médecine attribué à Roger Sperry & Robert Bogen]. Texte de René Maheu comparant les vies parallèles d’Einstein & de Teilhard, on en reparle + loin.
« Instants décisifs », formule consacrée à la Photo par Cartier-Bresson… Successivement : Teilhard enseignant au Caire, dans les tranchées de Douaumont (1916), dans un chantier de fouille paléontologique en Somalie, i!mage de la Croisère Jaune (1931-32), caravane d’une mission géologique & paléonto en Mongolie, chantier de fouilles à Choukoutien près de Pékin (≈ 1928), Lucile Swann reconstituant le Sinanthrope, dans un congrès en 1947, sur une chaise à porteurs en Rhodésie (1953).
Je compare personnellement Teilhard à Darwin & Einstein pour sa puissante & audacieuse réflexion scientifique ; je vois aussi en lui un visionnaire à la hauteur de Vinci ou de Jules Vernes… en fin de compte je l’imagine en âme aussi élevée & généreuse que Gandhi ou Beethoven — le menu fretin qu’ignorent les puissants économistes, financiers & industriels & leurs… chiens de garde, qui dirigent le monde actuel — un type si élevé qu’on ne peut le juger avec nos critères.
Illustration d’Alice Belliard. question au public : devinez ce que désigne la métaphore « forme raffinée d’énergie scientifiquement captée ». La plupart d’entre vous l’utilise quotidiennement. C’est vrai que tiré du contexte c’est pas facile (d’ailleurs y’a que moi qui l’ai soupçonné !) : … il s’agit de l’INFORMATIQUE !
TdC, plus Spinozien que Cartésien, s’accorde à l’École de Copenhague [Bohr, Heisemberg], aux philosophies des Amérindiens, du Tantrisme & du Shinto Japonais, c-à-d qu’il a un point de vue non-colonialiste : la seule supériorité qu’il acceptait était celle de la conscience, de l’âme. Il préfigure l’observation participative en Ethnologie, la 2de Cybernétique (École de Palo Alto), la pensée systémique d’Edgar Morin.
extrait d’un index teilhardien du Québec à la page « Péché Originel » : j’ai surligné les renvois à caractère scientifique : conception nouvelle, cosmologie, Evolution(iste), Histoire, insaisissabilité, Involution, Organicité Origines Humaines, Phylum humain, Soucoupes volantes !!!, Transhistorique…
Ayant beaucoup lu Teilhard, j’aborde son œuvre par une synthèse originale : je ne résume ni n’actualise ses livres, ce qui a maintes fois été fait. Je ne vais donc ni résumer ni vulgariser ni argumenter « Le Phénomène Humain ». Ayant trouvé dans « L’Énergie humaine » les bases cohérentes de sa vision du monde je vais les confronter aux connaissances d’aujourd’hui. Je vais donc (dé)montrer que ses concepts audacieux sont encore non seulement d’actualité mais toujours aussi révolutionnaires. L’œuvre de Teilhard est un Sacre du Printemps. scientifique & philosophique. Comme celui-là il n’a pas pris une ride !
Courbe d’accroissement complexité suggérant l’émergence de la conscience, tirée du Phénomène Humain, avec légende de l’auteur. Julian Huxley (≈1947-48) lui fourni l’axe Oy. Teilhard précisera dans Le Groupe Zoologique Humain (Ed 10/18 1956, p. 24) que cette courbe est « + imaginaire que réelle, je m’empresse de le dire, puisque passé les molécules il devient rapidement impossible de calculer dans un être soit le nombre d’éléments, soit de liaisons ente ces éléments » ; c’est « à titre d’approximation grossière » qu’il utilise le nombre d’atomes pr décrire la complexité. => 1° prudence & humilité du savant, 2° nous avons maintenant les moyens des calculs auxquels il fait allusion dans ces pages [cf. diapo 20, 21, 22… où les axes sont permutés). Quant au « quantum absolu de longueur », il s’agit de la « longueur de Planck », dont il donne une mauvaise valeur (10-33 cm au lieu de 10-12 ).
Loi de complexité-conscience située entre 1942-1949 : si le graphique de la diapo précédente est bien de cette époque, la loi naturelle correspondante est énoncée bien + tôt par TdC, mais durant la préparation de cette conférence je n’ai pas eu le temps de retrouver la date de sa 1ère occurrence. Je conserve donc ce créneau 1942-49 qui, de toute façon, est bien antérieur à toute autre référence scientifique, entendu qu’il ne s’agit pas seulement d’augmentation de complexité mais que cela va de paire avec la montée de conscience.
L’intuition de Teilhard, formulée en 1937 est de + en + avérée : tout le monde sait aujourd’hui que logiciel & ordinateur ne fonctionnent pas l’un sans l’autre ; qu’un être vivant n’existe pas sans code génétique, que les particules élémentaires du Modèle Standard (en Physique) n’existent qu’en raison de ‘constantes physiques’ ou de nombres quantiques. Le matérialisme réductionniste & doctrinaire ne rend plus compte de la ‘réalité’ => La Recherche (été 2014, « La réalité n’existe pas », cf. aussi M. Tegmark (« Notre univers mathématique »).Mais à ce compte, il faut réviser nos notions de Matière & d’Esprit, lequel doit concilier l’aspect d’immatérialité-information immanent de l’univers avec l’entité spirituelle que traite essentiellement notre cerveau => manifestations, y compris inconscientes & propres au genre humain, de toute spiritualisé sans se limiter au Christianisme.
La Physique Quantique trouve peut-être, de façon aussi paradoxale & surprenante que métaphysique, ce que Teilhard entend par « dedans des choses » au sein de la Matière &, comme il dit « au niveau de l’intime ». Pour esquiver le délicat problème d’une répugnante « communication supra-luminique » [évaluée par N. Gisin (à Genève vers 2005) à « 4 ordres de grandeur de la vitesse de la lumière, c-à-d ≈ c*10000 !) entre particules intriquées — soulevé par d’hérétiques physiciens tels que O. Costa de Beauregard, F. Capra, J. Charon, ou D. Bohm, voire de F. Crick [à propos de l’âme, « hypothèse stupéfiante »] ou d’augustes figures cautionnant ceux-ci, çà & là, tels que W. Pauli ou B. Josephson — répugnante parce que pouvant décrire, voire expliquer, les phénomène tabous du Matérialisme que sont la synchronicité, la spiritualité & autres étrangeté de la Parapsychologie [psychokynèse, télépathie, prémonition, etc…] ; les physiciens recourent à l’hypothèse holistique selon laquelle, à qq µ comme à des années-lumière, les particules intriquées sont indissociables, forment une entité, une monade, un « être » en soi, en foi de quoi ils proposent un « Théorème du Libre Arbitre » : si nous sommes libres, les particules le sont aussi ! Je vous invite à lire, si vous le pouvez, le teilhardien spécialiste de la Relativité Complexe Jean Charon dans sa version du « dedans » des particules élémentaires : il ne parle, avant la lettre, que d’intrication [La connaissance de l’univers, Seuil 1963, p. 139]. Et la révolution majeure annoncée par Pharabod-Ortoli risque d’être convulsive pour la Physique, au sens où Breton parle de Beauté convulsive. A suivre !
Je ne pense pas me tromper en traduisant la notion d’Enroulement par Recyclage, & là tout le monde comprend !
La loi d’accroissement de complexité-conscience entrevue par TdC est aujourd’hui utilisée sous diverses formes, qui vérifient son intuition : dans les schémas du bas les régressions linéaires en échelle log-log indiquent, sans le moindre doute, l’existence d’une variation exponentielle de complexité traduite par le taux de « cérébralisation » grandissant, lequel induit des comportements de plus en plus sophistiqués.
L’étonnant – qui n’étonne qu’un non-teilhardien – c’est que ces mêmes calculs, appliqués à des échelles diverses de structures de l’univers, donnent le même type de résultat : le physicien montre que l’énergie dissipée par un gramme de cerveau humain est ≈ 10 000 fois plus élevé qu’un même gramme de Soleil !Ces études & les courbes montrées ici proviennent du site de la revue Pour La Science, au blog du mathématicien-logicien Jean-Paul Delahaye maître ès complexité s’il en est. L’article d’Eric Chaisson date de juin 2014.
Audacieusement, TdC explore la possibilité d’une continuité évolutive hors du vivant, c-à-d chez les machines ! On peut dire que « L’Homme symbiotique » (J. de Rosnay) ou la « Transhumanisme » (R. Kurzweil) sont logiquement intégrés à l’Évolution naturelle du Monde, telle que Teilhard la conçoit dès la fin des années 30.
De + en + sidérant, si j’ose dire, la démarche initiée par Teilhard se retrouve dans le Phylum Mécanique avec la loi de Moore — le nb de transistors par processeur d’unité centrale d’ordinateur [variante : la taille de mémoire] double chaque 18 mois. Alexeï Scharov & Richard Gordon (univ. Cornelle, NY, USA) ont décidé de vérifier si la loi de Moore s’applique aux gènes (modules biologiques de stockage d’information génétique). Réponse positive… mais l’origine de la droite de régression se trouve très très reculée sur l’axe des temps, vers 9,5 milliards d’années => autrement dit, L’UNIVERS EST NATURELLEMENT PORTEUR DE VIE, ou encore : il est VIVANT ! Et l’on pensera ipso-facto à l’Hypothèse Gaïa de James Lovelock…
Diapo ajoutée qq jours après la conférence. La veille de mon intervention (26 au soir), bouclant ma revue de presse quotidienne sur internet, le blog Sciences du Monde m’apprend une découverte fabuleuse : l’eau contenue ds la système solaire serait plus ancienne que le Soleil lui-même ! le support obligé d’apparition de la vie telle qu’on la connait existe depuis + longtemps que la Terre & le soleil ; ceci corrobore le travail de Scharov-Gordon & consolide sérieusement l’idée de TdC.
Il y a 15 ans – en l’an 2000 – j’étudiais L’Avenir de l’homme (t.5), je repérais des mots-clé & des phrases dispersés dans l’ouvrage pouvant évoquer l’internet, je mis des signets en marge puis j’ai saisi les phrases concernées… alors apparu l’incroyable, la preuve par l’esprit d’une ‘préconnaissance’ (terme emprunté au chimiste Jean JACQUES dans L’IMPRÉVU ou la science des objets trouvés Odile Jacob 1990), c-à-d une prémonition totalement inconsciente ; ensuite je fis une seconde « distillation du texte » qui donna le « condensât » ci-dessus. On est sidéré par ce texte, il semble rédigé par un Paul Virilio ou un Edgar Morin il y a une quinzaine de jours. Songeons qu’en 1947 où l’essentiel de ces phrases sont écrites, le transistor électronique était même pas sorti des labos Bell & que l’informatique en était à sa Préhistoire : le Mark 1, l’ENIAC, l’UNIVAC ! La Une du Courrier CERN (2009) montre la schéma que Tim Bernes-Lee avait inséré à sa note sur l’architecture d’Internet, note adressée au directoire du CERN, où il travaillait, et la réponse de celui-ci : « vague but exciting ! »
A lire « en écoute flottante » comme un Psy entend son patient, certains mots retiennent fortement l’attention, des mots de Physique souvent – ce qui n’est pas le moins surprenant de la part d’un paléontologue – & l’on y trouve une vision très claire du rôle de l’entropie dans les processus de la Vie. Bien entendu, TdC ne donneaucune équation (chacun son rôle) mais il a une VISION SCIENTIFIQUE EXTRA LUCIDE du phénomène de la Vie. Le plus fascinant est qu’il ait précédé Erwin Schrödinger de 13 années [Qu’est ce que la vie ?, § 45, rédigé en 1944]. Une fiche + détaillée d’extraits de « L’Énergie humaine » est distribuée au public de la conférence => anticipations très fortes des théories qui adviendront après lui : celles de l’information (Wiener-Shannon), de l’auto-organisation (Atlan, Prigogine, Maturana, Varela), de l’étoffe de l’univers (Deutsch, Tegmark), de la pluralité des mondes (Sagan, Dyson)
Ça fait beaucoup de choses mais avec un peu de courage on peut aller DEVANT, A GAUCHE, AU-DESSUS, c-à-d au « Dedans » du Monde.
Pas simple à cause du style presque toujours épistolaire – c-à-d narratif, conversationnel & visuel – d’autant qu’en visionnaire Teilhard est obligé d’user de métaphores pour désigner des choses qui n’ont pas encore d’existence (l’Internet en 1950, les « structures dissipatives » en 1931) ; de plus ses écrits sont souvent redondants (pour déjouer ses interdits de publication) car un même thème peut se retrouver dans des écrits très différents, par ex. la pluralité des mondes habités est invoquée à propos du Péché Originel, de la cosmogenèse, de « comment je crois », de l’avenir de l’humanité, de théologie.
Quelques aspects à débattre, j’en ai oublié un très sensible : celui de l’eugénisme. Il se trouve que TdC fut, dans son genre (cf. L’Énergie humaine, Le Seuil édition de poche p. 175), un rien eugéniste dans les années 30 où l’eugénisme fut ‘pratiqué’ (d’abord par les Américans puis par les nazis) ; mais il faut soulever le doute. TdC était un être de TRÈS HAUTE moralité – qu’on peut comparer à Gandhi, Luther King, Mandela ou au Dalaï Lama – son eugénisme consisterait (si j’ai bien compris) en des exercices spirituels appliqués aux populations, exercices dont sont coutumiers les Jésuites, les moines tibétains, les yogis ou méditants de toutes obédience : le seul but conditionnant cet eugénisme étant que « tout est bon qui améliore la conscience libre ». Aux antipodes des eugénistes sus nommés, passés présents ou à venir… c-à-d à vomir.