1. Musique 1 Hip-Hop
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Histoire du sous_titres
mouvement
Le Hip-Hop comme affirmation de l’espace urbain et de la communauté qui s’y constitue
Le Hip-Hop a émergé au cours des années 1970 dans Le Breakdance
le Bronx grâce au dynamisme créatif de ses habitants. Dans un cadre principalement urbain, d’une manière improvisée
En effet, la population de ce quartier multiculturel de ou organisée. Cette forme de danse est une pratique fondamentale
New-York se trouve alors dans une exclusion sociale du Hip-Hop qui trouve ses origines à New-York dans les années
70, à l’aube du mouvement. Elle se pratique seul ou en équipe, en
et géographique incontestable, et ce mouvement
général au milieu d’un cercle constitué par le public où chaque
musical est l’occasion pour elle de s’affirmer par danseur fait un "passage".
rapport au centre new-yorkais.
Le Graffiti
De la même façon que dans le quartier d’Harlem au début du Pratique murale de dessins ou typographies, emprunte de
XXe siècle, la marginalisation et l’éloignement de l’énergie messages politiques ou sociaux, ou de simples éléments
centralisée de New-York permet une innovation musicale totale. esthétiques. Perçue par la population, à ses débuts, comme du
On peut se rappeler, qu’au cours de cette période, la communauté vandalisme, elle a pris une réelle consonance artistique légitime
afro-américaine avait pris le parti de renverser son exclusion avec l’arrivée du Hip-Hop. Longtemps, les graffitis ont trouvé
en force productive, et d’affirmer son dynamisme social en se leur place dans le métro new-yorkais. Mais, dès 1970, cette
regroupant et en s’organisant au sein même du quartier. Avec pratique devient de plus en plus risquée pour les graffeurs qui
l’émergence du Hip-Hop, le Bronx va prendre cette même sont alors largement réprimandés. Ils vont alors commencer à
direction créative. faire leurs preuves sur les murs des quartiers défavorisés. Ce
type d’expression artistique met en place une catégorie de
Quatre disciplines principales du Hip-Hop ont permis créateurs d’un genre nouveau. Au même titre que les artistes les
à ce mouvement de se développer et d’acquérir une plus reconnus, des graffeurs vont commencer à exposer leurs
certaine "notoriété" : créations sur toiles dans les galeries. Des noms légendaires vont
commencer à sortir du lot, tandis que l’intérêt du monde de l’Art
Le Deejaying pour le Graffiti ne fait qu’augmenter. Entre autres, on peut citer
Pratique de diffusion musicale où un Disc jockey sélectionne les graffeurs Lee Quinones, Seen, Futura 2000 ou alors encore
et donne à entendre/à découvrir au public un certain nombre Fab Five Freddy.
d’éléments musicaux, souvent dans le cadre de Sound Systems.
Ces quatre disciplines du mouvement Hip-Hop reposent sur
Le Rap une réelle appropriation de l’espace urbain, en parallèle de
Expression vocale scandée de façon rapide et saccadée, sur l’affirmation de toute une communauté.
fond musical. Le Rap se positionne aujourd’hui comme l’aspect Avec le Graffiti et le Breakdance, cet aspect d’appropriation de
de création musicale à part entière du Hip-Hop. À ses débuts, l’espace public est évident, puisqu’il en est le lieu de création, le
il n’était pourtant qu’un moyen pour les MC’s (Maîtres de lieu d’exposition et aussi le lieu de diffusion. Pour ce qui est du
Cérémonies des Sound Systems) de soutenir et de donner une Rap et du Deejaying, la perspective est moins directe.
impulsion au son diffusé par les DJ’s.
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Histoire du mouvement
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La pratique du Deejaying s’est pourtant appropriée l’espace
urbain dès son origine, par les lieux où elle a émergé, puis a
pris de l’ampleur. Les Sound Systems ont d’abord fait leur
apparition en Jamaïque, à Kingston. Ils ont ensuite été exportés
aux États-Unis, et nommés des Block Party. Ces fêtes organisées
dans les rues des ghettos étaient mises en musique par des DJ’s
qui diffusaient la plupart du temps des morceaux Soul et Funk
pour faire danser le public. Ces manifestations urbaines ont été
et restent très importantes pour la cohésion sociale. La notion
d’appropriation est d’une importance capitale dans la création
Hip-Hop, par l’usage de la rue comme contexte, outil et élément
de création.
Ainsi, si le Rap américain se place dans la continuité des
formes de musiques noires-américaines antérieures, il fait
incontestablement preuve d’une innovation réelle. La continuité
réside principalement dans les thématiques traitées. Nous
pensons par exemple à l’attachement aux origines et à la
communauté afro-américaine elle-même, thèmes repérables
dans un certain nombre de styles musicaux antérieurs. Aussi,
les conditions de vie misérables de la population noire aux
États-Unis font partie d’une thématique largement récurrente.
D’ailleurs, le concept d’appropriation d’éléments préexistants est
De même, l’improvisation qui est de mise dans les Block Party
fondateur dans la pratique musicale et matérielle du Deejaying.
était déjà profondément marquée dans les pratiques du Ragtime
Les techniques qui mettent largement ce concept en exergue ont
et du Jazz.
été initiées en premier lieu par DJ Kool Herk, un des premiers
promoteurs du Rap aux États-Unis. Avant d’évoluer largement
Le Hip-Hop se pose par un certain nombre de composantes
dans les Block Party, il a pu observer les pratiques du public
rythmiques et mélodiques comme l’héritier direct d’une sorte de
dans les Sound Systems jamaïcains, et remarque rapidement que
croisement entre la Soul et le Funk. Le chanteur Gil Scott-Heron
les danseurs repèrent des séquences propices à la pratique et à
(photo ci-contre) pourrait d’ailleurs être considéré comme une
l’effervescence de la danse. Ces séquences sont constituées la
sorte d’initiateur de cette fusion musicale pour les rappeurs des
plupart du temps de roulements de batteries et de changements
années 70, ainsi que le groupe new-yorkais Last Poet, que l’on
continus de rythmes. Le célèbre DJ va donc décider d’acheter en
peut incontestablement définir comme l’un des précurseurs du
double chaque disque, pour répéter autant de fois que possible
Rap et du mouvement Hip-Hop. Leur travail, par le mélange
les mêmes passages dansants. Il multiplie par le fait le plaisir de
entre poésie et musique, ainsi que par le rappel continu aux
la danse, en alternant l’un ou l’autre des disques sur la platine.
racines des communautés américaines, en contient toutes
L’artiste Grandmasterflash fera évoluer plus tard cette pratique,
les bases.
en utilisant deux disques différents, insérant donc des motifs
extérieurs à un même morceau diffusé. L’innovation dans le
Bien que sous l’influence directe de musiques noires
Deejaying se fait donc formellement, que ce soit par la répétition
préexistantes, très éclectiques, le Rap s’est établi dans un
d’un même élément musical, sur une platine, ou par le mélange
processus de rupture indéniable, les rappeurs prennent le parti
d’éléments différents.
d’apporter une dimension urbaine à part entière, mais aussi non-
Le disque, comme objet à part entière, a une place
instrumentale. Les codes de la production et de la création du
considérablement centrale dans le mouvement Hip-Hop. On a
son s’en trouvent bouleversés.
pu le comprendre par les pratiques citées précédemment, mais
Ce mouvement musical se présente comme un témoin des
son importance fondamentale est affirmée par le mouvement
conditions de vie d’une jeunesse afro-américaine défavorisée.
qu’est le Scratch. Celui-ci est un procédé qui consiste à modifier
Tandis que d’autres musiques noires-américaines traitaient
manuellement la vitesse de lecture d’un disque vinyle sous une
seulement de cette thématique, le Rap va suivre les codes du
tête de lecture de platine vinyle, alternativement en avant et en
ghetto, et la production musicale va se faire dans ce lieu, comme
arrière, de façon à rester sur le même son et produire un effet.
espace concret des misérables conditions de vie traitées dans les
Quand on l’accélère, le son devient plus aigu et quand on le
chansons. Le Hip-Hop va se positionner comme un mouvement
ralentit, le son devient plus grave.
"collé à la rue". Le ghetto devient un outil de création, quand les
rappeurs vont y agir et y interagir musicalement, au cours des
Le Hip-Hop se définit comme un mouvement artistique "à
Block Party, par exemple.
même la rue", et adapte ce concept au sein même de sa création.
À partir et grâce à des objets préexistants, comme les murs
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pour les graffeurs, les DJ’s créent un son nouveau, une nouvelle être concrètement déterminé. Il évolue dans un rapport constant
identité musicale à partir de musiques existantes. Le mouvement avec ceux qui le constituent, dans un monde qui s’élabore au fur
s’appuie sur la réutilisation, la détermination neuve d’un et à mesure, loin de l’idée d’un système artistique et culturel figé
ensemble d’éléments plus ou moins concrets, dans une finalité ou reproductible.
artistique, qui peut prendre des formes diverses.
Malgré cela, il est évident que des principes relativement stables
Le positionnement de ce mouvement musical dans un contexte ponctuent la création Hip-Hop, notamment la façon de se constituer
spécifiquement urbain va donner un aspect important à sa comme un "nous", une sorte de collectif arbitrairement constitué par
création. Cet espace urbain est en effet un point de convergence les artistes. Une solidarité affective se constitue entre l’ensemble de
important de flux et de réseaux migratoires, ce qui favorise le ce "nous" et les auditeurs, censés partager quelques caractéristiques
contact de différentes cultures, langues et communautés. Celles- communes avec les artistes. Parmi elles, le milieu et la classe sociale
ci se co-définissent alors les unes par rapport aux autres, et ou alors le fait de rejeter massivement l’ensemble des instances qui
constituent par le fait une culture hybride.[1] représentent l’autorité : l’État, le gouvernement, la police, etc. Ces
instances, entre autres, vont faire partie du collectif "eux" contre
Le "divers" va devenir une nouvelle réalité sociale, qui va être lesquels les artistes vont affirmer une réelle haine.[2] Par exemple,
retranscrite dans les morceaux de Hip-Hop, et de la même façon les rappeurs leur reprochent de ne pas comprendre et de ne pas faire
plus tard dans le Rap français. Cette multitude d’influences et de partie de la culture particulière dont ils sont issus. Une solidarité
déterminations culturelles est évidente, lorsque, par exemple, DJ brute se met en place de façon large et transnationale. Malgré tout, si
Kool Herk va rapporter aux États-Unis des éléments musicaux ce positionnement du Hip-Hop dans un mouvement de contestation
trouvés dans les Sound Systems jamaïcains, eux-mêmes inspirés global à l’égard d’instances de domination est clairement établi,
du Rythm’n’blues, de la Soul et du Reggae. L’hétérogénéité des c’est le traitement de réalités vécues localement qui met en place la
origines culturelles de ses artistes fait que le Hip-Hop ne peut pertinence du discours des rappeurs.
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En effet, le courant étudié ici n’a de sens que lorsqu’il est Nous ne pouvons donc évoquer le Hip-Hop sans prendre en compte
considéré dans son contexte local. La contestation et le discours l’importance de l’attachement de sa pratique à une dimension
en jeu dans le contenu artistique peuvent alors être clairement locale. En effet, le Hip-Hop peut être considéré comme une
définis, et le public peut se constituer en fonction. La solidarité pratique de "proximité" par l’aspect relationnel entre les artistes,
peut ainsi s’établir et devenir une réalité concrète. Par exemple, par les paroles et formes musicales, ainsi que par son ancrage
on retrouve dans le Rap des spécificités lexicales et formelles à un quartier particulier. La localisation crée ici le collectif.
de langage propres aux localisations dans lesquelles elles sont Dans les Block Party, cette notion prend tout son sens. En effet,
produites. Dans le Rap américain, les artistes adoptent un style l’organisation de ces manifestations culturelles dans l’espace du
vestimentaire de la rue (le street-wear), le langage du ghetto ghetto crée une connivence immédiate entre les DJ’s et le public
(le slang) et ses valeurs. Il en est de même dans le Rap français dans le temps de l’expérience musicale. Le sociologue Paul
lorsque les rappeurs vont user du "verlan", ou alors de références Gilroy affirme que les Sound Systems favorisent la complicité
plurilingues comme par exemple l’emprunt à l’anglais, au entre un public donné et les producteurs, l’expérience musicale
français, au créole, etc. Les réalités vécues localement vont se constituant dans un même contexte d’exclusion, en périphérie
être évoquées. Aux États-Unis, il sera question de descendance des centres urbains, ainsi que par le regroupement de personnes
d’une tradition esclavagiste, de cohabitation entre plusieurs dans leur même contexte quotidien. [3]
communautés, des violences inhérentes aux ghettos, des Les Block Party, intrinsèques au mouvement Hip-Hop, renforcent
rivalités. En France, la vie dans les banlieues est aussi un thème le collectif du ghetto et tendent à diminuer les rivalités autour
récurrent dans le Rap, mais aussi l’immigration, l’intégration des d’une même expérience artistique. Le mouvement Hip-Hop a
communautés qui en sont issues, les difficultés de socialisation cherché dès son origine à s’installer comme un mouvement de
pour les jeunes originaires de ces quartiers périphériques, etc. cohésion et d’affirmation d’un contexte urbain, par un processus de
concrétisation de cet espace et une mise en valeur de sa population.
Aude Béliveau
1 : FAYOLLE Vincent et MASSON-FLOCH Adeline, Rap et politique, in revue Mots. Les langages du politique, n°70, 2002
2 : PECQUEUX Anthony, La violence du rap comme catharsis : vers une interprétation politique, in Volume 3 Sonorités du
Hip-Hop - logiques globales et hexagonales, n° 2, 2004, éditions Mélanie Seteun.
3 : GILROY Paul, L’Atlantique noir - Modernité et double conscience, mai 2003, Cahors, Editions Kargo
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