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DEBUT LEGENDE,
doluptatiis aborehentur
a debisin eumquos
et aliscim incturio
vendaep raecta corion
erferum sunturio quiae
volorit isquamus ius
simentis autam
2 311 — WE DEMAIN
XXXXXXXXX
«EN HUIT JOURS JE SUIS DEVENUE UNE “BURNER”»
Malissa Phitthayaphone
•
COMMENT VIVRE UNE SEMAINE EN PLEIN DÉSERT SUD-AFRICAIN, MAIS SURTOUT
SE LAISSER ALLER À UNE EXPÉRIENCE HORS DU TEMPS, SANS ARGENT, AVEC
9500 PERSONNES? UNE FRANÇAISE EXPATRIÉE AU CAP RACONTE AFRIKABURN.
•
©Créditphoto
©Créditphoto
4 511 — WE DEMAIN
XXXXXXXXX
Certaines expériences vous transforment.
AfrikaBurn est de celles qui m’ont permis de
toucher des parts de moi que je ne soupçon-
nais pas. Vu de notre société bien cadrée,
l’événement est répertorié dans la catégo-
rie des festivals. Mes yeux, mon esprit et
mes sens ont pourtant vécu une tout autre
expérience en avril. AfrikaBurn n’est pas un
simple festival, c’est un état d’esprit.
Chaque année depuis maintenant
huit ans, au cœur de l’Afrique du Sud, le
désert du Karoo accueille des «burners»
venus du monde entier. Cette communauté
éphémère de 9500 habitants s’installe au
milieu de nulle part pour vivre pendant
sept jours sous le signe de tous les possibles.
Petit frère du Burning Man américain, Afri-
kaBurn a été fondé par des «burners» d’Ari-
zona. Le principe ne change pas : un désert,
une ville créée de toutes pièces, d’immenses
constructions artistiques en bois et une phi-
losophie fondée sur le respect, la créativité
et le partage.
La préparation du séjour est déjà une
aventure. Tout est à prévoir : nourriture,
eau, tente, en prévision des 28°C qui m’at-
tendent en journée. Mais la véritable épopée
commence dans le désert, après cinq heures
de voiture au départ du Cap. La route se
termine en cul-de-sac aux portes d’Afrika-
Burn. Nous présentons notre billet acheté
des mois auparavant par Internet. On nous
délivre un bracelet, comme dans n’importe
quel festival. Mais la comparaison s’arrête là.
Derrière les portes, le désert semble infini.
Avant de l’explorer, un rituel se présente à
moi. La tradition veut que chaque novice
sonne un gong pour marquer le début de
son expérience. Je n’y déroge pas. Me voilà
ILIQUAE COMNIENDAE
ASSEQUE VOLUPTAT
HARUM IN
ESSERIBUSSOLOR
©Créditphoto
©Créditphoto
6 711 — WE DEMAIN
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sur la planète Burn!
XOXOXOX
Sur cette planète, le respect de la nature prime. Cha-
cun est responsable de son impact sur l’environnement
et la règle est de ne laisser aucune trace. De jour comme
de nuit, les «burners» se baladent avec leur eau et
un sac pour récolter leurs déchets. Évidemment, pas
d’eau courante ni de réseau électrique en plein désert.
Quelques groupes électrogènes alimentent les chars et
les espaces équipés de systèmes de sonorisation, alors
que les campements se contentent de lampes solaires.
En ce qui concerne l’eau : chacun la sienne. Pour ma
part, je disposais de 5 litres par jour pour boire, faire
la vaisselle et me laver. Je n’ai pas tout utilisé, même à
raison d’une toilette quotidienne.
L’argent n’existe plus – si ce n’est pour acquérir de la
glace –, seul le partage est au programme. La tradition
veut que tous les participants apportent un cadeau. J’en
recevrai plusieurs au cours de la semaine : porte-bon-
heur, shots de rhum, jus de citron bien frais… Un cam-
pement voisin offre même des douches chaudes, un
bonheur après des nuits où les températures peuvent
atteindre 12°C en plein désert. Avec mes amis, ce sont
des pastèques que l’on distribue autour de nous.
C’est avec une «tribu» que j’ai vécu l’aventure : la
NowNow Tribe, qui depuis deux ans réalise des instal-
lations artistiques à AfrikaBurn. Ce collectif de douze
personnes, principalement sud-africaines (hormis une
Américaine, un Finlandais et deux Français : Yann, le
photographe, et moi), débarque avec un grand arbre en
kit. Ses branches et ses feuilles apportent de l’ombre et
les racines accueillent ceux qui souhaitent «chiller»,
autrement dit se détendre et profiter de l’instant. Pen-
dant six mois, la NowNow Tribe s’est affairée à fabri-
quer cet arbre et à préparer l’événement.
XOXOXOX
C’est grâce à des amis qui en sont membres que
j’ai eu la chance d’intégrer cette tribu, un mois seule-
ment avant le départ. Comment pouvais-je imaginer
me retrouver là, dans le désert, il y a encore un an et
demi? Je découvrais alors l’Afrique du Sud au hasard
©Créditphoto
©Créditphoto
8 911 — WE DEMAIN
XXXXXXXXX
d’un voyage professionnel et ce fut
le coup de foudre. Depuis mainte-
nant huit mois, j’ai posé mes valises
au Cap, où j’ai entendu parler
d’AfrikaBurn dès les premiers jours.
L’enthousiasme des «burners» et
leur maxime – «Il faut le vivre pour
le comprendre» –, ont suscité ma
curiosité.
Ma tribu et moi sommes arrivés
la veille de l’ouverture du festival.
Belle entrée en matière que de voir
cet univers se mettre en place. Avant
le départ, on craignait de se perdre,
alors on a investi dans des talkies-
walkies. On ne les a jamais utilisés.
Pour ma part, j’ai vite compris que
je ne voulais pas être encombrée par
cet appareil. Plus question d’impo-
ser mes envies à qui que ce soit.
Car dans cet espace hors du
temps, les montres et les smart-
phones restent à l’écart. On est loin
de notre société hyperconnectée.
J’ai l’impression de maîtriser mon
temps; de l’allonger quand je le
veux; de l’arrêter quand je le désire.
Le désert y est pour quelque chose.
Au cœur d’un environnement brut,
la nature régente tout.
Les trois premiers jours, je reste
dans l’observation et, pour être
honnête, une pointe de peur est
encore en moi. Le quatrième jour, je
lâche prise. J’accepte de me laisser
aller vers l’inconnu. Ce jour-là, je
suis une princesse pirate, je vogue
sur un bateau en plein désert, je
danse sur un rhinocéros avec un
magicien bleu, accompagnée d’un
personnage tout droit sorti de Mad
Max et d’un roi africain. Ce soir-là,
la lune est une planète rouge sur les
montagnes du désert.
XOXOXOX
Je suis ailleurs. Je côtoie des gens
sans même savoir ce qu’ils font dans
la vie; on échange, on rit, parfois on
refait le monde. Mais avant tout, on
est. Je croise des hommes déguisés
en femmes, des personnages sur-
réalistes, des cracheurs de feu, des
unijambistes, des naturistes, etc.
Je me perds entre les campements
et m’émerveille devant les œuvres
artistiques présentées. J’ai des dis-
cussions profondes avec des enfants
et je ris aux éclats avec des plus
grands.
Les «burners» vivent l’instant
présent. Ils font la «fête». Un mot
auquel, dans ce désert, chacun
donne la définition qu’il souhaite.
Certains absorbent des drogues,
d’autres choisissent la grenadine. Il
y a ceux qui dansent toute la nuit,
ceux qui vaquent à des activités la
journée (musique, yoga, improvisa-
tion théâtrale, Frisbee…), ceux qui
célèbrent la vie en silence à l’écart
de l’effervescence… et ceux qui font
un peu de tout à la fois! C’est mon
cas.
Si les «burneurs» viennent du
monde entier, on peut s’étonner du
peu de diversité ethnique : le public
est majoritairement occidental. Cela
tient à des raisons économiques.
Le ticket d’entrée est trop onéreux
pour la population noire d’Afrique,
qui reste majoritairement moins
riche que la population blanche. Et
ce, même si le prix d’AfrikaBurn est
trois fois moins élevé que celui du Burning
Man : 1000 rands l’entrée pour sept jours,
soit 75 euros, contre 300 dollars pour son
grand frère américain (270 euros). Au total,
en comptant le transport et les articles ache-
tés au préalable (eau, nourriture, matériel,
location de la toile de tente…), j’ai dépensé
4000 rands, environ 300 euros. Une somme
qui peut représenter jusqu’à un mois de
salaire en Afrique du Sud, où l’écart entre
riches et pauvres reste aujourd’hui l’un des
plus élevés au monde.
XOXOXOX
La semaine touche à sa fin. Cette pléni-
tude que je suis venue chercher, je la res-
sens pleinement au cours des derniers jours,
lorsque l’ensemble des œuvres artistiques en
bois se met à brûler, comme le veut la tra-
dition du Burning Man. Ce rituel m’a mar-
quée : il est le symbole que rien n’est éternel,
même ce qu’il y a de plus beau s’arrête un
jour. Ce soir-là, j’ai vu mon plus beau cou-
cher de soleil.
Huit jours après avoir sonné le gong, je
ne suis plus tout à fait la même. Je suis une
«burner». Chaque jour a été une décou-
verte, et cette expérience m’a offert une
autre vision du monde et de moi-même,
grâce à des codes si différents de ceux que
je connaissais. Imaginez ce que nous pour-
rions faire si nous n’étions pas emprison-
nés dans toutes ces règles imposées par nos
sociétés. À AfrikaBurn, on devient ce que
l’on est.
©Créditphoto
©Créditphoto
10 1111 — WE DEMAIN
XXXXXXXXX

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  • 1. DEBUT LEGENDE, doluptatiis aborehentur a debisin eumquos et aliscim incturio vendaep raecta corion erferum sunturio quiae volorit isquamus ius simentis autam 2 311 — WE DEMAIN XXXXXXXXX «EN HUIT JOURS JE SUIS DEVENUE UNE “BURNER”» Malissa Phitthayaphone • COMMENT VIVRE UNE SEMAINE EN PLEIN DÉSERT SUD-AFRICAIN, MAIS SURTOUT SE LAISSER ALLER À UNE EXPÉRIENCE HORS DU TEMPS, SANS ARGENT, AVEC 9500 PERSONNES? UNE FRANÇAISE EXPATRIÉE AU CAP RACONTE AFRIKABURN. •
  • 2. ©Créditphoto ©Créditphoto 4 511 — WE DEMAIN XXXXXXXXX Certaines expériences vous transforment. AfrikaBurn est de celles qui m’ont permis de toucher des parts de moi que je ne soupçon- nais pas. Vu de notre société bien cadrée, l’événement est répertorié dans la catégo- rie des festivals. Mes yeux, mon esprit et mes sens ont pourtant vécu une tout autre expérience en avril. AfrikaBurn n’est pas un simple festival, c’est un état d’esprit. Chaque année depuis maintenant huit ans, au cœur de l’Afrique du Sud, le désert du Karoo accueille des «burners» venus du monde entier. Cette communauté éphémère de 9500 habitants s’installe au milieu de nulle part pour vivre pendant sept jours sous le signe de tous les possibles. Petit frère du Burning Man américain, Afri- kaBurn a été fondé par des «burners» d’Ari- zona. Le principe ne change pas : un désert, une ville créée de toutes pièces, d’immenses constructions artistiques en bois et une phi- losophie fondée sur le respect, la créativité et le partage. La préparation du séjour est déjà une aventure. Tout est à prévoir : nourriture, eau, tente, en prévision des 28°C qui m’at- tendent en journée. Mais la véritable épopée commence dans le désert, après cinq heures de voiture au départ du Cap. La route se termine en cul-de-sac aux portes d’Afrika- Burn. Nous présentons notre billet acheté des mois auparavant par Internet. On nous délivre un bracelet, comme dans n’importe quel festival. Mais la comparaison s’arrête là. Derrière les portes, le désert semble infini. Avant de l’explorer, un rituel se présente à moi. La tradition veut que chaque novice sonne un gong pour marquer le début de son expérience. Je n’y déroge pas. Me voilà
  • 3. ILIQUAE COMNIENDAE ASSEQUE VOLUPTAT HARUM IN ESSERIBUSSOLOR ©Créditphoto ©Créditphoto 6 711 — WE DEMAIN XXXXXXXXX sur la planète Burn! XOXOXOX Sur cette planète, le respect de la nature prime. Cha- cun est responsable de son impact sur l’environnement et la règle est de ne laisser aucune trace. De jour comme de nuit, les «burners» se baladent avec leur eau et un sac pour récolter leurs déchets. Évidemment, pas d’eau courante ni de réseau électrique en plein désert. Quelques groupes électrogènes alimentent les chars et les espaces équipés de systèmes de sonorisation, alors que les campements se contentent de lampes solaires. En ce qui concerne l’eau : chacun la sienne. Pour ma part, je disposais de 5 litres par jour pour boire, faire la vaisselle et me laver. Je n’ai pas tout utilisé, même à raison d’une toilette quotidienne. L’argent n’existe plus – si ce n’est pour acquérir de la glace –, seul le partage est au programme. La tradition veut que tous les participants apportent un cadeau. J’en recevrai plusieurs au cours de la semaine : porte-bon- heur, shots de rhum, jus de citron bien frais… Un cam- pement voisin offre même des douches chaudes, un bonheur après des nuits où les températures peuvent atteindre 12°C en plein désert. Avec mes amis, ce sont des pastèques que l’on distribue autour de nous. C’est avec une «tribu» que j’ai vécu l’aventure : la NowNow Tribe, qui depuis deux ans réalise des instal- lations artistiques à AfrikaBurn. Ce collectif de douze personnes, principalement sud-africaines (hormis une Américaine, un Finlandais et deux Français : Yann, le photographe, et moi), débarque avec un grand arbre en kit. Ses branches et ses feuilles apportent de l’ombre et les racines accueillent ceux qui souhaitent «chiller», autrement dit se détendre et profiter de l’instant. Pen- dant six mois, la NowNow Tribe s’est affairée à fabri- quer cet arbre et à préparer l’événement. XOXOXOX C’est grâce à des amis qui en sont membres que j’ai eu la chance d’intégrer cette tribu, un mois seule- ment avant le départ. Comment pouvais-je imaginer me retrouver là, dans le désert, il y a encore un an et demi? Je découvrais alors l’Afrique du Sud au hasard
  • 4. ©Créditphoto ©Créditphoto 8 911 — WE DEMAIN XXXXXXXXX d’un voyage professionnel et ce fut le coup de foudre. Depuis mainte- nant huit mois, j’ai posé mes valises au Cap, où j’ai entendu parler d’AfrikaBurn dès les premiers jours. L’enthousiasme des «burners» et leur maxime – «Il faut le vivre pour le comprendre» –, ont suscité ma curiosité. Ma tribu et moi sommes arrivés la veille de l’ouverture du festival. Belle entrée en matière que de voir cet univers se mettre en place. Avant le départ, on craignait de se perdre, alors on a investi dans des talkies- walkies. On ne les a jamais utilisés. Pour ma part, j’ai vite compris que je ne voulais pas être encombrée par cet appareil. Plus question d’impo- ser mes envies à qui que ce soit. Car dans cet espace hors du temps, les montres et les smart- phones restent à l’écart. On est loin de notre société hyperconnectée. J’ai l’impression de maîtriser mon temps; de l’allonger quand je le veux; de l’arrêter quand je le désire. Le désert y est pour quelque chose. Au cœur d’un environnement brut, la nature régente tout. Les trois premiers jours, je reste dans l’observation et, pour être honnête, une pointe de peur est encore en moi. Le quatrième jour, je lâche prise. J’accepte de me laisser aller vers l’inconnu. Ce jour-là, je suis une princesse pirate, je vogue sur un bateau en plein désert, je danse sur un rhinocéros avec un magicien bleu, accompagnée d’un personnage tout droit sorti de Mad Max et d’un roi africain. Ce soir-là, la lune est une planète rouge sur les montagnes du désert. XOXOXOX Je suis ailleurs. Je côtoie des gens sans même savoir ce qu’ils font dans la vie; on échange, on rit, parfois on refait le monde. Mais avant tout, on est. Je croise des hommes déguisés en femmes, des personnages sur- réalistes, des cracheurs de feu, des unijambistes, des naturistes, etc. Je me perds entre les campements et m’émerveille devant les œuvres artistiques présentées. J’ai des dis- cussions profondes avec des enfants et je ris aux éclats avec des plus grands. Les «burners» vivent l’instant présent. Ils font la «fête». Un mot auquel, dans ce désert, chacun donne la définition qu’il souhaite. Certains absorbent des drogues, d’autres choisissent la grenadine. Il y a ceux qui dansent toute la nuit, ceux qui vaquent à des activités la journée (musique, yoga, improvisa- tion théâtrale, Frisbee…), ceux qui célèbrent la vie en silence à l’écart de l’effervescence… et ceux qui font un peu de tout à la fois! C’est mon cas. Si les «burneurs» viennent du monde entier, on peut s’étonner du peu de diversité ethnique : le public est majoritairement occidental. Cela tient à des raisons économiques. Le ticket d’entrée est trop onéreux pour la population noire d’Afrique, qui reste majoritairement moins riche que la population blanche. Et ce, même si le prix d’AfrikaBurn est
  • 5. trois fois moins élevé que celui du Burning Man : 1000 rands l’entrée pour sept jours, soit 75 euros, contre 300 dollars pour son grand frère américain (270 euros). Au total, en comptant le transport et les articles ache- tés au préalable (eau, nourriture, matériel, location de la toile de tente…), j’ai dépensé 4000 rands, environ 300 euros. Une somme qui peut représenter jusqu’à un mois de salaire en Afrique du Sud, où l’écart entre riches et pauvres reste aujourd’hui l’un des plus élevés au monde. XOXOXOX La semaine touche à sa fin. Cette pléni- tude que je suis venue chercher, je la res- sens pleinement au cours des derniers jours, lorsque l’ensemble des œuvres artistiques en bois se met à brûler, comme le veut la tra- dition du Burning Man. Ce rituel m’a mar- quée : il est le symbole que rien n’est éternel, même ce qu’il y a de plus beau s’arrête un jour. Ce soir-là, j’ai vu mon plus beau cou- cher de soleil. Huit jours après avoir sonné le gong, je ne suis plus tout à fait la même. Je suis une «burner». Chaque jour a été une décou- verte, et cette expérience m’a offert une autre vision du monde et de moi-même, grâce à des codes si différents de ceux que je connaissais. Imaginez ce que nous pour- rions faire si nous n’étions pas emprison- nés dans toutes ces règles imposées par nos sociétés. À AfrikaBurn, on devient ce que l’on est. ©Créditphoto ©Créditphoto 10 1111 — WE DEMAIN XXXXXXXXX