1. RECOMMANDATIONS DE PRISE EN CHARGE PAR LE MEDECIN DE VILLE D’UNE PLAIE
DU PIED COMPLIQUANT UNE ARTERIOPATHIE DIABETIQUE.
Groupe de travail AOMI chez le diabétique. F MERCIER
Introduction sur la plaie du pied diabétique artéritique .
Le médecin ou l’angéiologue de ville sont le plus souvent les premiers à faire le diagnostic de la plaie
du pied diabétique. Parmi les patients diabétiques 15 % auront un jour une plaie du pied et parmi eux
15 % seront amputés (1). Ce risque est aggravé par l’artériopathie diabétique. Malheureusement ces
patients sont trop souvent adressés en service de chirurgie vasculaire avec une nécrose importante
d’une phalange ou d’un point d’appuie, compliquant une plaie négligée. Il faut savoir que 85 % des
revascularisations pour artériopathie diabétique sont réalisées pour des stades IV de Leriche et
Fontaine (gangrène) (2). La prise en charge en est rendue plus difficile et le taux d’amputation plus
élevé. C’est pourquoi l’HAS recommande que la prise en charge du diabète ( A.L.D n° 8) soit
optimisée par un parcours de soins et que médecin traitant et diabétologue s’entourent de
professionnels pour avis spécialisés ( 3).
La plaie se développe sur une peau que le diabète a modifié : sécheresse, finesse alternant avec
hyperkératose, hypoxie de surface due à des shunts artério-veineux qui sont la conséquence de la
neuropathie diabétique et de la modification de la colonisation bactérienne cutanée du pied
diabétique. Dès que la peau est lésée un cercle vicieux s’installe. La nécrose cutanée favorise
l’infection qui s’accompagne d’une inflammation, laquelle aggrave l’angiopathie en favorisant la
thrombose, l’ensemble déséquilibre le diabète.
Quatre principes de base doivent être appliqués dès la première consultation pour une plaie du pied
diabétique compliquant une angiopathie du membre inférieur.
L’appui du membre inférieur est interdit, le pied en décharge, la plaie est contrôlée par des pansements
adaptés. L’infection est maîtrisée par les antibiotiques. Une revascularisation est discutée dans le cadre
de l’artériopathie, la prévention secondaire est commencée au plus tôt. Le diabète doit être
rigoureusement équilibré.
Ce cadre thérapeutique sera complété par une équipe multi-disciplinaire (rappel en italique dans le
texte) et si besoin en hospitalisation.
DECHARGE/PANSEMENT
REVASCULARISATION / PLAIE DU PIED ANTIBIOTIQUES
PREVENTION SECONDAIRE
CONTROLE GLYCEMIQUE
Figure1. Les quatre piliers du traitement d’une plaie du pied diabétique artéritique.
2. La conduite à tenir qui est proposée donne la priorité à la pratique de la médecine de ville. La prise en
charge initiale de la plaie du pied diabétique repose donc sur l’évaluation clinique de celle ci. Les
aides au diagnostic et la démarche thérapeutique reposent essentiellement sur des travaux cliniques.
La classification des plaies de l’Université du Texas est choisie comme une référence (4). Il s’agit
d’une classification clinique adaptée à la médecine de ville et facile d’usage. Elle croise un grade qui
caractérise la profondeur de l’atteinte tissulaire et un stade qui combine infection et ischémie. Cette
classification permet l’orientation des soins dès la première consultation et l’information du patient sur
le devenir de son pied et le risque d’amputation.
Tableau 1
Classification de l’Université du Texas (3.1). Les pourcentages des amputations sont indiqués entre
parenthèses.
Grade 0 Grade 1 Grade 2 Grade 3
Lésion épithéliale Plaie superficielle Atteinte tendon ou Atteinte de l’os ou
capsule de l’articulation
Stade A 0A 1A 2A 3A
Pas d’infection 0% 0% 0% 0%
Pas d’ischémie
Stade B 0B 1B 2B 3B
Infection 12,5% 8,5% 28,6% 92%
Pas d’ischémie
Stade C 0C 1C 2C 3C
Pas d’infection 25% 20% 25% 100%
Ischémie
Stade D 0D 1D 2D 3D
Infection 50% 50% 100% 100%
Ischémie
Les premiers soins, la décharge du pied.
Les premiers soins consistent à laver la plaie au sérum physiologique, faire un prélèvement
bactériologique et protéger la plaie par un pansement adapté en fonction du type de plaie. La première
description clinique est très importante. Seront consignés dans la première observation la localisation
de la plaie (talon, bord du pied, orteil), le type de plaie (humide ou sèche), l’aspect clinique (rhagade,
ulcération, contrition tissulaire ou écrasement), le retentissement local (inflammation péri-lésionnel ou
non), la présence ou l’absence d’une douleur doit être notée. Une plaie d’un pied diabétique peut se
modifier en quelques heures et la prise d’une photographie numérique est très utile pour compléter la
description clinique. Le pansement primaire, appliqué sur la peau, doit être non allergisant pour
réduire l’inflammation. Il peut être enduit de sels d’argents dont l’intérêt est une action antibactérienne
locale et rapide. Le pansement secondaire, appliqué au dessus du pansement primaire, doit être aéré
pour réduire la macération, non serré pour réduire l’ischémie tissulaire. Un pansement fin sera préféré
à un pansement épais et volumineux qui comporte tous les inconvénients cités ci-dessus. Le plus
souvent le pansement primaire sera à bas de tulle non adhérent et imprégné de sels d’argents. Le
pansement secondaire sera une bande en coton tissé fin. Le pansement sera refait le lendemain, le
rythme sera ensuite adapté au type de plaie. On proscrira comme chez tout artéritique les pansements
adhésifs, les bandes collantes qui abiment la peau ischémique. Si les orteils sont touchés, une feuille
3. de tulle ou une compresse fine sera interposée entre chaque orteil pour protéger la peau d’une nécrose
de contact.
L’appui du pied est interdit dès que la plaie est dépistée. La marche doit se faire avec une canne placée
du côté opposé à la plaie ou mieux avec une paire de béquilles. Le repos au lit ou au fauteuil est
ordonné. L’appuie du poids du corps à chaque pas aggrave les lésions en écrasant les tissus et en
majorant l’ischémie tissulaire. Nombreux sont les patients qui ont l’idée reçue que la marche est
importante pour développer les collatéralités, il faut prendre le temps de leur expliquer qu’en cas de
plaie au contraire la marche est délétère. Les chaussures neuves ou serrées sont à proscrire. Les
chaussons ou les chaussures larges sont à utilisées dans l’attente d’une chaussure orthopédique. On
peut décharger l’avant pied (mal perforant), décharger le talon ( plaies talonnières), laisser libre l’avant
pied, choisir des modèles à Velcro pour plus d’aisance du pied dans tous les axes ( ouverture et
fermeture en corolle). Des chaussures thermo moulées sont proposées pour la marche modérée avant
le passage à la chaussure orthopédique. La cicatrisation enfin acquise, des chaussures du commerce
avec des semelles en silicone rigidifiées avec une barre de polypropylène ou de carbone peuvent être
portées.
Une prise en charge inadaptée permettra à la nécrose de gagner quelques précieux millimètres de tissu
cutané en quelques heures en cas d’infection à germes nécrotiques. Le patient doit être informé dès la
première visite des risques d’amputation. Il a été montré qu’un patient sur deux ayant une artérite des
membres inférieurs ne connaissait pas les risques aggravant du diabète et du tabac, et que seulement
14 % savait que l’artérite pouvait se complique d’amputation (5).
L’intervention du podologue et de l’infirmière est demandée en relai pour soulager les appuis et faire
les soins de plaies au domicile. Les ongles menaçants seront coupés en prenant soin de ne pas léser la
peau.
2. Les antibiotiques.
La couverture antibiotique d’une plaie récente d’un pied diabétique artéritique est proposée dès la
première visite pour une atteinte grade II de la classification des plaies du pied diabétique. Elle est
établie par le Consensus International des Plaies du Pied Diabétique (6). L’antibiothérapie est
probabiliste et sera adaptée au résultat de l’antibiogramme. Le choix de l’antibiotique dépend des
germes les plus souvent présents sur ce type de plaie. Le tableau 3 détaille les germes les plus souvent
rencontrés en fonction du type clinique de plaie (7).
Une monothérapie par voie orale suffit sur des germes sensibles. On peut proposer oxacilline ou
cloxacilline, rifampicine, quinolone. Une double antibiothérapie est proposée pour les patients
porteurs de Staphylococcus méticilline résistants, un des antibiotiques est alors administré par voie
intraveineuse ou intra musculaire. Le prélèvement bactériologique doit respecter des règles strictes
faute de quoi le résultat ne serait pas fiable. En pratique il doit être fait près d’un laboratoire où il sera
pris en charge rapidement. En cas d’impossibilité il sera fait en milieu spécialisé dès que possible.
L’antibiothérapie est recommandée dès l’apparition d’une plaie récente (8). Elle limite l’extension de
l’infection ou tissu sous cutané voire aux tendons ou aux capsules articulaires. Il est recommandé de
se rapprocher d’un spécialiste en maladie infectieuse pour arbitrer le choix de l’antibiothérapie. Ce
choix doit être pensé comme une stratégie thérapeutique, l’apparition de mutants résistants
compliquera le traitement. L’évolution de l’infection peut être très rapide, la nécrose peut s’aggraver
en quelques heures. D’autre part l’efficacité in vitro (antibiogramme) ne correspond pas toujours à
l’efficacité clinique (par exemple l’action de l’Augmentin sur les Staphylocoques. Le maniement des
doses d’antibiotiques doit aussi prendre en compte le terrain du patient et les effets secondaires, par
4. exemple on peut administrer jusqu’à 12 grammes par jour Clamoxyl alors que des diarrhées
apparaissent au-delà de 3 grammes par jour de Bristopen.
Tableau 2
Classification des plaies en grades selon le Consensus International des Plaies du Pied Diabétique (6).
Grade 1
Pas de symptôme, ni de signe d’infection
Grade 2
Atteinte cutanée uniquement (sans atteinte des tissus sous-cutanés, ni systémique) avec au moins deux
des signes suivants :
Chaleur locale
Érythème > 0,5 et < 2 cm autour de l’ulcère
Sensibilité locale ou douleur
Tuméfaction locale ou induration
Décharge purulente (sécrétion épaisse, opaque à blanchâtre ou sanguinolente)
Grade 3
Érythème > 2 cm et une des constatations décrites ci-dessus
Infection atteignant les structures au-delà de la peau et du tissu sous-cutané, comme un abcès profond,
une lymphangite, une ostéite, une arthrite septique ou une fasciite
Il ne doit pas y avoir de réponse inflammatoire systémique (cf. grade 4)
Grade 4
Quelle que soit l’infection locale, si présence de signes systémiques manifestés par au moins deux des
caractéristiques suivantes
• Température > 38 °C ou < 36 °C
• Fréquence cardiaque > 90 battements par minute
• Fréquence respiratoire > 20 cycles par minute
• PaCO2 < 32 mmHg
• Leucocytes > 12 000 ou < 4 000 /mm3
• 10 % de formes leucocytaires immatures
Tableau 3
Corrélation clinico-bactériologique entre les types de plaies et les germes impliqués et identifiés (7)
Type de plaie du pied Pathogènes
Plaie superficielle récente sans antibiothérapie récente Staphylococcus aureus, streptocoques β-
hémolytiques
Plaie chronique (≥ 1 mois)
ou antérieurement traitée par antibiotiques Staphylococcus aureus,
streptocoques β-hémolytiques, entérobactéries
Plaie traitée par des céphalosporines
d’évolution défavorable Entérocoques
Lésion macérée Pseudomonas spp
Plaie de longue durée (ulcère ≥ 6 mois),
traitement antérieur par des
antibiotiques à large spectre Polymicrobisme : cocci à Gram positif aérobie
(Staphylococcus aureus, streptocoques β-
hémolytiques,staphylocoques à coagulase négative, entérocoques), corynébactéries, entérobactéries,
Pseudomonas spp, bacilles à Gram négatif non
fermentatifs ± agents fongiques
Odeur nauséabonde, nécrose, gangrène Cocci à Gram positif aérobie, entérobactéries,
Pseudomonas spp, bacilles à Gram négatif non
fermentatifs, anaérobies stricts