2. La regente de Carthage Introduction
futurs epoux, legalisation de l'adoption. Au pays du jasmin, tempere une tres reelle volonte de modernisation 1. »
les Tunisiennes en effet etudient, travaillent, aiment, divor-
cent, voyagent avec une liberte rarement atteinte dans l'his- La place des femmes,
toire du monde arabe et musulman. Les femmes
ou l'exception tunisienne
representent aujourd'hui un quart de la population active.
Soit, a titre d'exemple, un tiers des avocats et jusqu'a deux L'heritage de Bourguiba sur les femmes a sur-
tiers des pharmaciens. vecu a son effacement de la scene politique. Le successeur
Dans les annees qui suivent Pindependance, Bourguiba du combattant supreme, le general Zine el- Abidine Ben
a maintenu le cap. Le droit a la contraception fut affirme en Ali, a eu l'intelligence tactique de ne pas remettre en cause
1962 et la possibilite d'avorter en 1965 - soit dix ans avant cette exception tunisienne. Sous son regne qui debuta en
la loi de Simone Veil en France. Son interpretation du Coran 1987, lorsq u'un Bou rgui ba malade et senile fut victime
fut toujours liberate et ouverte. Dardant la foule de ses yeux d'un « coup d'Etat medical », la place de la femme a ete
bleus, place de la Casbah a Tunis, le combattant supreme confortee, voire renforcee. « Depuis 1993, poursuit Sophie
prenait un malin plaisir a boire un jus d'orange en plein Bessis, tout un argumentaire sur la singularite tunisienne a
2
mois de ramadan... Bourguiba n'a pourtant pas pu alter au ete peaufine en prenant pour axe la politique feminine . »
bout de son entreprise. Le fondateur de la Tunisie moderne Au plus fort de la repression sanglante contre le
a &I faire quelques concessions aux fractions les plus tradi- mouvement islamiste, le 9 fevrier 1994, et alors
tionnelles de la societe. Ainsi la dot a ete maintenue, a titre qu'Amnesty International denoncait la torture systematique
symbolique (elle est fixee a un dinar). Mais surtout, face a dans les prisons, qui aurait fait une quarantaine de morts, «
la naissance de courants islamistes, le regime de Bourguiba tine journee de la femme tunisienne etait organisee a Paris :
marque le pas. Le danger politique vient a Pepoque de la "Une modernite assumee, la Tunisie" ».
gauche marxiste et, tout comme ce sera le cas au Maroc sous Certes, Ben Ali, ce « voyou de sous-prefecture », comme
Hassan II et en Algerie sous Chadli, le pouvoir tunisien fait 3
Pa qualifie Pecrivain Gilles Perrault , n'a guere brine - c'est
quelques concessions aux fondamentalistes. Au VP congres le moins que l'on puisse dire - par le respect des droits de
de l'Union des femmes de Tunisie en 1976, Habib Bourguiba l'homme, la transparence economique ou l'instauration
declare ainsi : « It n'est pas necessaire que la femme exerce d'un pluralisme politique. Mais le general qui preside aux
des activites remunerees hors de son foyer. »
Sophie BESSIS, « Le feminismeinstitutionnel en Tunisle Clion" 9, 1999.
Ces retours en arriere ont ete d'autant plus facilites que
2 MO.
jamais les mesures de Bourguiba n'ont ete precedees d'un 3 Gilles PERRAULT, preface a Nicolas BEAU et Jean-Pierre Tuouot, Notre ami Ben Ali. L'envers du
miracle tunisien, La Decouverte, Paris, 1999.
veritable debat dans la societe tunisienne, mais octroyees
par le Prince, d'en haut. « Le feminisme d'Etat bourguibien,
ecrit Sophie Bessis, est limite, des l'origine, par les bornes
qu'il s'etait fixees. Le respect de la norme patriarcale
3. La regente de Carthage Introduction
destinees du pays a fait du statut des femmes un bouclier Nulle part ailleurs dans le Maghreb, en Afrique et plus gene-
contre les attaques qui pourraient venir de ses amis et allies r ale me nt d ans l'e nsemble du mond e arabe, de s femme s
occidentaux. Des son premier discours, it a confirme sa n'ont eu une telle visibilite politique.
volonte de ne pas toucher aux droits des femmes. En 1993, Ces Tunisiennes ont-elles exerce un vrai magistere poli-
une serie d'ameliorations a ete apportee au code du statut tique ? N'ont-elles ete que des alibis pour conforter un pou-
personnel. Ainsi le devoir d'obeissance de Pepouse a- t- il ete voir finalement ambigu sur la question feminine ? Ou, pire,
aboli. Observons que le regime de Ben Ali, pour autant, fait ont-elles ete « prises en otage », comme le suggere l'Associa-
pr e u ve lu i au ssi d 'u ne ce r taine pr u d e nce su r ce te r r ain tion tunisienne des femmes democrates, pour legitimer un
mine : jamais it n'interviendra sur la question de Pheritage, regime qui serait reste autocratique ? C'est ce debat que ce
ni sur celle du Ore comme unique detenteur de l'autorite livre pretend ouvrir, en examinant a la loupe la personna-
familiale. lite, le parcours et les objectify de Leila Trabelsi, epouse Ben
Comment les Europeens pourraient-ils s'en prendre a Ali.
un chef d'Etat qui revendique un « statut remarquable »
Soulignons au passage que, dans la resistance face au
pour la femme tunisienne ? N'est-ce pas plus essentiel de
regime tu nisie n, ce sont egalement les femmes qu i tien-
combattre, comme it le fait, le port du voile en Tunisie que
nent la vedette. L'avocate des tetes brillees et bete noire du
de pinailler sur la torture, la corruption et l'arbitraire ?
r e gi me , Rad hia Na sr a ou i , e t l a mi li ta n te d e s d r o it s d e
Preuve parmi d'autres de l'efficacite de cette posture, le
l'homme Sihem Bensedrine sont deux figures emblema-
directeur de L'Express, Denis Jeambar, a d'ailleurs résumé la
tiques d'une opposition divisee, hesitante et emasculee par
doctrine officielle des elites politiques francaises en affir-
mant en novembre 2001, d'une formule choc qui fera date, le harcelement incessant du pouvoir. Malgre son cabinet
choisir « Ben Ali contre Ben Laden ». devaste, les policiers devant son domicile et ses enfants inti-
mides, Radhia Nasraoui resiste. Malgre la prison, les bri-
Mais ce « feminisme d'Etat », desormais instrumenta- mades et la censure, Sihem Bensedrine temoigne envers et
lise, constitue un cadre ideal pour laisser emerger des per- contre tout.
sonnalites feminines fortes et ambitieuses. Sur la scene
politique tunisienne, des femmes occupent et ont occupe
u ne plac e d ecisive au cce ur du pouvoir . Ainsi les deu x De Wassila Ben Ammar
epouses des presidents qui se sont succede depuis 1957 a la a Leila Trabelsi
tete du pays, Habib Bourguiba et Zine Ben Ali, ont joue - et
joue encore pour la seconde - un role central aupres de leur Pour autant, ni les personnalites ni les par-
epoux. Un peu a la facon d'une Eva Peron pour Wassila Ben cours de Wassila Ben Ammar et de Leila Frabelsi ne sont
Ammar, la compagne de Bourguiba pendant trente-sept ans. c o m p a r a b l e s . I n t r i g a n t e certes, %ervanl l e s i n t e r e t s
Et plutOt sur le mode moins glorieux d'une Elena Ceausescu
pour Leila Trabelsi, Pepouse du general Ben Ali depuis 1992.
4. La regente de Carthage Introduction
financiers de sa famille assurement, Wassila epaule Bour- cours de la premiere dame tunisienne. Sa biographie n'est
guiba, le soutient et ne vit qu'a travers les combats de son certainement pas une belle romance : cette femme ambi-
epoux. En revanche, Leila Trabelsi, malgre une apparente tieuse a force le destin en usant de toutes les armes qui sont
discretion, pretend aujourd'hui a un veritable partage du les siennes. Mais rien, pour autant, ne demontre la veracite
de certains episodes scabreux qui trainent notamment sur
pouvoir. Sa famille n'est-elle pas devenue le parti le plus
Internet.
puissant du pays ? Et le serail, oil elle a conquis la premiere
place, ne tient-il pas lieu d'Etat ? A la fois chef de son propre clan et epouse longtemps
devouee a la cause de son mari, la personnalite de Leila est
Progressivement, Leila et les siens ont fait main basse
double. Le personnage incarne les contradictions d'une
sur Peconomie, comme nous le demontrerons dans cet
societe ecartelee entre tradition et modernite. La femme
ouvrage. Leurs methodes brutales font davantage penser au
libre et independante que, malgre tout, elle a toujours ete,
gouvernement du Pere Ubu qu'a un pouvoir moderne. C'est
heurte une partie de ce peuple tres eduque, mais tente
ainsi une etrange transition qui se jouait a Tunis depuis que
parfois par un retour aux valeurs religieuses traditionnelles.
se preparait une nouvelle election presidentielle, prevue
pour le 25 octobre 2009 et dont les resultats, connus
d'avance, donneraient probablement a Zine Ben Ali un Plus qu'un clan,
score quasi sovietique, comme a l'habitude (en 2004, it avait pas encore une mafla
ete reelu avec 94,49 % des suffrages). Leila etait en effet bien
decidee a jouer un role decisif, sinon le premier, dans la suc- Mais ce ne sont pas les talents que Leila Tra-
cession de son epoux mine par la maladie et déjà use par belsi a deployes pour s'imposer qui sont d'abord en cause
Page, comme le fut Bourguiba a la fin de son regne. dans cet ouvrage. Ce qui est alarmant et choquant chez elle
Dans un pays qui a cadenasse la presse et decourage le est ailleurs. Cette influence decisive qu'elle a patiemment
monde universitaire, retracer la biographie de la premiere conquise, avec une intelligence incontestable des rapports
dame de Tunis ne s'impose pas d'emblee. Il a fallu aux deux de forces au sein du serail, elle s'en est servie, avec sa famille,
auteurs dissocier les luttes du serail des histoires salaces, col- pour piller la Tunisie. Sur fond de menaces physiques, d'ins-
portees notamment par une partie de la diaspora en exil. trumentalisation de la justice, de mensonges d'Etat. Le clan
Notre demarche n'a donc pas ete toujours simple, alors que de Leila Trabelsi est le triste produit et le prolongement spec-
vie publique et vie privee se melent etroitement au sein du taculaire de la confusion entre les affaires, la politique et la
pouvoir. Il nous a fallu tracer des lignes jaunes, au-dela des- voyoucratie, instauree depuis 1987 par le regime du general
quelles une curiosite legitime se transformerait en voyeu- Ben Ali. On assiste a l'accaparement aussi rapa< e qu'illegal
risme malsain. du bien public par une camarilla de bureaucrates, de
Apres avoir interroge de nombreux temoins, dont
d'anciens ou actuels proches de Leila Trabelsi et de sa
famille, nous sommes arrives a une vision nuancee du par-
5. La regente de Carthage Introduction
politiciens, de policiers, de militaires, d'hommes d'affaires me me si c e r tains, e n pr ive , ne c ac he nt pas d an s q u e lle
et de corrompus. Tous soudes par Pallegeance a la premiere estime ils le tiennent : « D'abord, Ben Ali n'est qu'un flic.
dame. Ensuite, c'est un flic qui est con », a ainsi declare Hubert
Les Trabelsi constituent ainsi plus qu'un simple clan, Vedrine, alors ministre des Affaires etrangeres de Lionel
mais pas encore une mafia. De facon generale, leurs Jospin, a deux journalistes qui Pont rapporte aux auteurs de
h om me s d e ma i n me nac e n t le u r s ad ve r s air e s ou le u r s ce livre...
concurrents dans le partage des commissions, les jettent A cet egard, la diplomatie du president francais, Nicolas
parfois en prison, les font tabasser au coin d'une rue, mais Sarkozy, a rigoureusement mis ses pas dans celle de son pre-
exceptionnellement ils les font assassiner ou disparaltre. d e ce sse u r , J ac q ue s Chir ac , q u i vantait le « mir ac le tu ni-
Pour commettre leurs frasques, Leila et les siens s'abritent sie n » . Pa s q u e s ti o n p o u r la d i pl o mat ie d e Sar k o zy d e
derriere un Etat. Quelques diplomes et autres experts en denoncer les frasques du regime, meme quand ce dernier
complet veston, nommes par le palais de Carthage, manient porte atteinte aux interets francais. Comme on le verra,
en effet parfaitement les idiomes du FMI et les contraintes d ans le d ossie r d u ly ce e Paste u r d e Tu nis, le s Fr anc ais
de l'Union europeenne. La cohabitation qui s'est peu a peu n'interviennent pas pour defendre l'existence d'un etablis-
installee avec son epoux laisse au president Ben Ali les cies sement francophone renomme. Et, dans l'affaire du yacht
de l'appareil securitaire, les grands dossiers diplomatiques et d'un banquier francais vole par le neveu prefere de la presi-
les arbitrages ultimes. dente, Imed, la complaisance est la meme : au prix d'un sub-
C'est pourquoi, malgre les derives claniques, aux yeux terfuge juridique, ce dernier echappera, a Pete 2009, aux
des chancelleries et des experts internationaux la Tunisie poursuites en France.
continue a representer un « pole de stabilite » au Maghreb,
surtout si on la compare avec ses voisins libyen et algerien,
juges moins previsibles e t plu s fragiles - en particulier o Enrichissez-vous I »
l'Algerie, toujours marquee par les sequelles de la guerre
civile des annees 1990. L'ancrage de la Tunisie a l'Europe, Peu importe, aux yeux de la classe politique
confirme des 1995 par un accord de libre-echange, le pre- francaise, que le regime du president Ben Ali ne poursuive
mier du genre avec un pays du sud de la Mediterranee, ren- plus aucun projet politique construit. Ou qu'il entretienne
force cette image favorable. Comment ne pas choyer un une sorte de vide politique abyssal, qui reste le meilleur ter-
pays qui accepte de demanteler ses barrieres douanieres et reau pour le developpement des idees fondamentalistes.
de se plier aux oukases du FMI ? Et qui effectue les trois
quarts de son commerce avec l'Europe ? Au fond, la France I Selon le titre du livre precite de Nicolas HUM] et Iran hem I utpiol, dont n. 1. reprenons
officielle ne pourrait souhaiter mieux comme voisin medi- lei quelques informations sur la periode 198 7- 1999
terraneen et arabe. D'oa l'extraordinaire indulgence dont
beneficie « notre ami Ben Ali 4 », a gauche comme a droite,
6. La regente de Carthage Introduction
Dans l'atonie des valeurs qui caracterise la Tunisie sante. De plus, elle connalt intimement, depuis 1987, les
aujourd'hui, l'argent facile et le luxe ostentatoire qu'incar- arcanes du pouvoir et dispose, dans tous les milieux,
d'obliges et de mercenaires. La solidarite de sa famille est sans
nent Leila et sa famille sont devenus les seuls modeles de
faille. Le clan a amasse un tresor de guerre suffisant pour
reference. A la facon d'un Guizot s'adressant a la bourgeoisie
acheter les hesitants. Certains des Trabelsi, comme le neveu
fr anc ai se s ou s la m o na r c hie d e J u i lle t : « Enrichissez- cheri Imed, cultivent des liens avec les voyous qui pourraient
vous ! » La rapidite meme de l'enrichissement du clan Tra- intimider les plus recalcitrants. Enfin, Leila a scene quelques
belsi s'impose a des classes moyennes frustrees et alliances strategiques par les mariages qu'elle a voulus et
depossedees, qui s'epuisent dans une course effrenee a la organises.
consommation et a l'endettement.
Autant d'encouragements pour elle, qui compte bien
L'ete, la jeunesse doree de Tunis vient s'amuser au devenir demain, si son mari disparalt brutalement, la regente
Calypso, la bolte preferee du neveu cheri et voleur de yachts, de Carthage. Si ce scenario se verifiait, la Tunisie basculerait
Imed. En aoilt 2009, le célèbre DJ David Guetta y faisait vibrer de la « si douce dictature » de Ben Ali, selon les mots amers du
cette belle jeunesse pour un modeste cachet de journaliste Taoufik Ben Brik 6, dans une republique bana-
6
35 000 curos ... Vodka et Champagne coulent a Hots. La table niere. Avec le president actuel, forme a Pecole du bourgui-
au Caly p s o, 2 000 p lac e s au t o tal , c oi lte e n tr e 1 5 0 0 e t bisme et qui fut militaire, diplomate et ministre, la Tunisie sait
4 000 euros ! Le salaire du moindre serveur dans cet etablisse- encore respecter les formes. De pure facade, le legalisme en
ment luxueux ne depasse pas les 200 euros... C'est dans ce vigueur respecte des codes et veille encore a certains equi-
lieu de perdition que, it y a quelques annees, un frere de Leila, libres, meme si, au plan interne, it harcele sans retenue ses
Moulad, a failli mourir d'une overdose. Sexe, drogue et... fric. opposants. Enfin la politique tunisienne tient compte des
Le monde des Trabelsi ressemble aussi parfois a celui de contraintes externes et cherche a ne pas se facher avec ses
Berlusconi, qui a effectue une « visite d'amitie et de travail » allie s oc c id e nta u x . Au t a nt d e pr e c au ti o n s q u i s e r aie nt
Tunis le 18 aoilt 2009, a l'invitation de Ben Ali. Qui se res- balayees si les gens de Leila Trabelsi prenaient, demain, defini-
semble s'assemble. Durant Pete 2009 toujours, le ministre des tivement tout le pouvoir a Tunis. Les lois du clan supplante-
Transports et proche de Leila, Abderrahim Zouari, sejournait raient definitivement toutes les autres. Faudra- t- i1 en venir, un
en Sardaigne avec une amie, dans un hotel de la Costa Esme- jour, a regretter le « bon temps » du general Ben Ali ?
ralda, oil les amis du Premier ministre italien prennent leurs
quartiers d'ete. La suite dans ce modeste etablissement se
loue 2 575 euros la nuitee.
Dans la triste fin de regne qui s'annonce avec la maladie raoufik BEN BRIK, Unesi douce diCtatare.ChratlignellinISIrnnriVY 11(1410, Ihi ouverte,
Paris, 2000.
de Ben Ali, Leila Trabelsi et son clan disposent encore de
5 Emmanuel MAROLLE, a Nuits de folie avec David Guetta », Le Parisien, 7 soot 2009.
serieux atouts. Le premier est Page de la presidente, née le
20 juillet 1957. A cinquante-deux ans, Leila est en pleine
7. Des mattresses femmes
au pouvoir
A
want d'assister au peplum qui, sous le
regne de Ben Ali et de Leila, met en
scene un couple cupide, arrogant et gueulard, a la facon des
series egyptiennes, la Tunisie a vibre tout entiere, lors des
annees de l'independance, face a l'union mythique de Bour-
guiba et Wassila. La legende veut que tout ait commence par
un long regard 1. Le 12 avril 1943, Wassila rencontre, chez
1111 parent, un jeune avocat habite par son combat pour
l'independance et qui vient d'être libere de cinq longues
annees de prison. « J'eprouvais soudain un choc violent,
kilt Bourguiba dans ses memoires, ce fut le coup de foudre.
Comment faire face aux graves problemes de l'heure alors
que j'etais pris d'une passion irresistible ? Je restais
8. dechire 2. »
1X l'excellent travail de Sadri KHIARI, - De Wassila A Leila, premieres dames et pouvoir
en Tunisie », Politique africaine, n" 95, OCtObte2(X)4, p. SS-70.
2 11.11111) BOURGUIBA, Ma vie, mes dies, mon c ornbitiet tetanal d'i MI a l'Information, Tunis,
1977, p. 211 (cite par Sadri toc.
9. La regente de Carthage Des mattresses femmes au pouvoir
Wassila est belle, dela mariee, mere d'un enfant et mili- vera que l'expression d'un amour honnete, propre et sin-
tante a l'Union musulmane des femmes de Tunisie. Cette cere, et cela ne nous diminuera pas dans la memoire des
association milite « dans le but d'orienter la jeune fille tuni- hommes, ni aux yeux de nos compatriotes. Car cet amour
sie nne ve r s l' instr u c tion, la mor ale » e t « d 'e le ver le u r formidable ne nous a pas empeches, ni Pun ni l'autre, de
nive au cu ltur el, sociale et civique ». I1 s'agit su rtou t a faire notre devoir vis-a-vis de nos familles et de notre patrie.
4
Pepoque d'un des principaux relais du mouvement nationa- C'est l'essentiel . »
liste en milieu feminin, sous Pegide d'une fille de cheikh, « Meme s'ils doivent etre publies un jour », ecrit Bour-
Bechira Ben Mrad. Autant dire que, a l'aube de Pindepen- guiba... Tout amoureux qu'il soit, le fondateur de la Tunisie
dance, Pemancipation des femmes en Tunisie ne se moderne souhaite que son amour pour Wassila s'inscrive
construit pas contre l'islam, contrairement a ce qui s'est dans l'histoire. I1 n'aura alors de cesse d'obtenir qu'elle
passé dans un pays comme la Turquie avec Atatiirk. divorce, afin de Pepouser en 1962, dix-neuf ans apres l'avoir
connue. Lui-meme quitte alors Mathilde, son amour de jeu-
nesse et sa logeuse alors qu'il etait etudiant a Paris.
Legitimite amoureuse Durant les trente-sept ans que va durer leur histoire
et valeurs partagies amoureuse, Bourguiba et Wassila incarnent, tous deux, la
nation tunisienne. Le premier regne, la seconde l'inspire.
L'histoire d ' a m o u r q u i d e b u t e a p p a r t i e n t Wassila, en retrait, epouse les causes du grand homme et les
desormais aux mythes fondateurs de la republique tuni- met en musique. Elle est la seule qui peut s'opposer au
sienne. De son exil a Pile de La Galite, au large de Tabarka, combattant supreme, calmer ses celebres coleres ou encore
le chef du mouvement national adresse a Wassila de nom- rassurer un Bourguiba qui, depuis son accident cardiaque en
b r e u s e s l e t t r e s . « ( —e s t l e c u r b a t t a n t , e c r i t - i l e n j a n - 1967, est devenu totale ment hypocondriaque. Tous les
vier 1954 a sa bien-aimee, et la gorge seche d'une douce hommes d'Etat la connaissent et Papprecient, Kadhafi
sensation que je commence cette lettre, la premiere apres un
l'appelle « maman », l'Algerien Chadli a un faible pour elle.
long silence, une longue separation qui m'a fait endurer un
« Sans etre archaique ni fermee aux modes occidentales,
martyre que les mots ne pourront jamais exprimer.
3
Wassila reste enracinee dans la tradition, explique Pecri-
Comment ai-je pu vivre six mois sans toi, voila le miracle . » %min et essayiste Sadri Khiari, on a pu la dire belle, mais
Et aussi : « Tu me pries de dechirer tes lettres ! [•••]Je n'en ai elle 1'd jamais craint les kilos de trop ni les poches sous les
pas le courage car tes petits "griffonnages" me font tant de yeux.
bien, je les aime tant que je ne pourrais jamais me resoudre
isture, maintien, type d'elegance, tout rappelle la bonne
a m' e n se p ar e r . Me me s' i l s d oi ve n t e tr e pu b lie s u n jo u r bourgeoise t u n i s o i s e p l u t o t t r a d i t i o n n e l l e . F e m m e
- quand nous ne serons plus de ce monde -, on n'y trou-
3 Ibid., p. 334. * Ibid.
10.
11. 20 La regente de Carthage Des mattresses femmes au pouvoir 21
affranchie, certes, mais d'abord l'epouse du president 5. » En ill hIlle d'expliquer : « Elle incarne un veritable contre-pou-
voir. La seule opposition efficace en Tunisie, c'est Wassila.
Tunisie, on a dit souvent que Wassila etait le « seul homme
Elle fait et defait les gouvernements et les menages. »
du gouvernement ». On l'appelait meme El Majda, « la glo-
rieuse ». Ce jour-la, Wassila a sans doute franchi la ligne jaune,
omme le raconte l'ancien ministre Beji CaId Essepsi 7.
/estocade est portee par la propre niece de Bourguiba, Saida
Wassila, un « veritable contre pouvoiro - Sassi, qui s'empresse d'amener a son oncle l'entretien de
Wassila a Jeune Afrigue. Bourguiba se precipite a la
Les alliances et les retournements de Wassila clinique I aoufik A Tunis oii elle subit un traitement. « Je
ont joue un role considerable dans le paysage politique, du t'avais nontre ce texte, se defend Wassila. — Non, jamais !
moins jusqu'a son divorce en 1986. On la voit capable a la Jamais ! Cette fois, to as depasse les bornes et je ne to
fois, au sortir de l'independance, de defendre les leaders du pardonnerai pas. »
monde syndical et, plus tard, de prendre parti contre le tour- La lutte continue au sein du serail. Mohamed Mzali
nant « socialiste » conduit par le ministre des Finances
reprend l'offensive et limoge be protégé de Wassila, Taher
Ahmed Ben Salah, de 1961 a 1969. De meme, lorsqu'en
alors ministre de l'Information. Quelques mois
1981 le Premier ministre Hedi Nouira est foudroye par une p l us t ar d, e n dec em b re 1 98 3, be dec l en ch em en t d e l a
attaque, Wassila impose son candidat, Mohamed Mzali, « revolte du pain » fait vaciller be regime. Mohamed Mzali
contre le favori du moment, Mohamed Sayah. Brusque nionce be clou et demissionne un second fidele de la presi-
retournement en 1982, le meme Mzali, successeur legal du
,1ente, Driss Guiga, ministre de l'Interieur, accuse de ne pas
chef de l'Etat, devient la cible de la presidente. Wassila va
oir su faire face dans la tourmente. C'est a ce moment-la
tout mettre en oeuvre pour obtenir une revision de la
" Ie general Ben Ali, relegue en Pologne comme ambassa-
Constitution. 11 s'agit a ses yeux de supprimer toute automa- deur, revient A Tunis et est nomme directeur de la Surete en
ticite dans la transmission du pouvoir. Cette femme de tete
monte au creneau, sans craindre de contredire Bourguiba
tobre 1985 - poste qu'il conservera apres sa nomination
omme ministre de l'Interieur en avril 1986. Sa carriere se
: « Avec la Constitution telle qu'elle est, declare-t-elle a l'heb-
ruira alors contre les protégés de Wassila.
domadaire Jeune Afrique, la continuite est artificielle et le
risque d'un rejet populaire n'est pas exclu. Le peuple tuni-
sien respecte Bourguiba, mais la veritable continuite sera
assuree lorsque l'oeuvre de Bourguiba sera poursuivie
democratiquement par un presiden t elu 6 ... » Et Jeune
1,,, 28 fevrier 1982. Quelques mois plus tard, Habib AcilOUr, le chef de l'HGTT,
omme bien souvent Ala premiere dame, confiait au meme foumal: • Je suis pourla
de la Constitution, de maniere a ce que tous les candidats qui le souhaitent puis-
I ,, presenter librement... » Unincilfrique, 11 salt 1982).
5Sadri KIiIAHI, « De Wassila a Leila, premieres dames et pouvoir en Tunisie ", toc. citHip Ith F. s1 rsi, Bour,Viiha debon grain et I'Male, Sud Editions. I urns, 2009
12. La regente de Carthage Des mattresses femmes au pouvoir
Apres cet ultime bras de fer, la presidente ne retrouvera Ben Ali veille a ce que son alliee du moment, Saida, ne
jamais la confiance de son epoux. Elle quitte la Tunisie pour manque de rien. A chacun des sejours de celle-ci a Paris,
se faire soigner aux Etats-Unis. Le 11 aoilt 1986, Bourguiba l'homme d e main d e Be n Ali, l'anc ie n pr e fe t M ohame d
lui telephone a Washington : « Tu es divorcée. » Son depart Choukri, l'accompagne pour lui remettre une enveloppe de
va precipiter la chute du chef de l'Etat. La niece de Bour- liquide en dollars. Et Saida, en cette fin de regne, de chanter
guiba et rivale de Wassila, Saida Sassi, s'installe au palais de a son oncle les louanges de son beau et genereux general.
Carthage. Le ver est dans le fruit. A soixante-cinq ans, Saida 1"iri un homme a poigne qui ne faiblira pas, explique - t - elle
devient la maitresse du general Ben Ali. I un Bourguiba inquiet. Lorsque le chef de l'Etat est extirpe
du palais de Carthage dans sa Mercedes pour un rapide tour
Saida Sass!, de Bourguiba a Ben Ali de la ville, deux personnages, et deux seulement, l'accompa-
gnent : sa niece, bien stir, mais aussi le ministre de Pinta-
A nouveau, lors de cette interminable fin de rieur.
regne, c'est une femme qui est le maitre du jeu. Apres la rele- Peu apres, le 7 juillet 1986, Mohamed Mzali est
gation de Wassila, Saida Sassi veille sur le president, « comme debarque et s'enfuit sans demander son reste, via l'Algerie.
s'il etait son propre babe », pretend-elle. Personne ne peut Le heroin du palais de Carthage est grand ouvert pour Zine
acceder au vieux chef, fatigue et malade, sans passer par elle. Ben Ali et son alliee, Saida Sassi. Naturellement, comme
Les Tunisiens avaient surnomme cette femme sans grace ni pour Wassila hier et Leila demain, la presse francaise
classe Dhiba (« la hyene »), ou encore Chlaka (< la savate 0)« II I(lic d'elle. Le 6 decembre 1986, Christine Clerc la pre"
Hyene » et « savate », Saida est la quintessence de la femme ilk' d ans Le Figaro Magazine c omme la « pasionar ia d u
d'influence, intrigante redoutable et compagne prevenante supreme » : « Pas une seconde, je ne m'ennuie
qui veille sur les derniers jours du combattant supreme. e< 1111, explique Saida Sassi, it y a entre nous un tel accord,
A Pepoque, la seule tache qui importe aux yeux du • 1 une veritable telepathie. Autrefois nous jouions. Il me
ministre de l'Interieur, le general Ben Ali, rect.' chaque jour 1)1' !hilt sur son dos, je le prenais sur mon dos. » Voila un
au palais de Carthage, est de gagner la confiance de Bour- i nisme &Etat, facon tunisienne, bien degrade. Adieu
guiba et de le rassurer. Malade, vieillissant, traumatise par I nth lence grise, bienvenue a la baby-sitter.
les jets de pierre sur son cortege dans son fief lors des Dans une lettre ouverte au president It( )(1 rs tiiirl , publiee
« emeutes du pain » de 1984, le chef de l'Etat s'inquiete de 1 ", Mzali s'en prend a la « duegne » Saida : « Par sa
tout : de l'agitation islamiste, qui est reelle, des soubresauts ui , existence, elle renouvelle le debat cornelien, tant, pour
du syndicat unique, l'Union generale des travailleurs tuni- teriser, l'analphabetisme et la vulgarite disputent
siens (UGTT), de la montee en puissance de la Ligue des I i pr e mi nence. >> E t d ' a j o u t e r a r a d r e s s e d e P h o t e
droits de l'homme. La moindre mauvaise nouvelle le met
dans une de ces coleres noires que les medecins lui ont tant
(1(t onseillees pour sa sante.
13. 24 La regente de Carthage Des mattresses femmes au pouvoir
vieillissant de Carthage : « Ce chaperon imbecile ne perd pas dans ces termes : « C'est ton copain qui a fait le coup. »
une occasion pour vous ridiculiser, vous qualifiant de son Pauvre Saida Sassi, a laquelle Ben Ali, devenu president, ne
"bebe". » donnera plus jamais signe de vie...
Durant cette armee 1987, l'histoire s'accelere. Un bras
de fer s'engage entre les islamistes du MTI (Mouvement de
la tendance islamique) et le regime. Le 9 mars, le leader des Leila, une lane de la modernite
fondamentalistes, Rached Ghannouchi, est arrete et
Au debut de sa presidence, en 1988, le succes-
emmene dans une aile du ministere de l'Interieur. Jour et
nuit, it entend les cris de ses camarades tortures, sans qu'on seur de Bourguiba ménage la susceptibilite des religieux.
s'en prenne a lui. Ben Ali, qui prepare son arrivee au pou- Pepoque oil it tente d'integrer une partie des istaHI
voir, ne veut pas insulter l'avenir. Le 5 mai, it est nomme impose des interruptions de programme a la televi-
ministre d'Etat par un Bourguiba qui perd son sang-froid. La "II I(!r.s des cinq prieres et recoit au palais de Carthage le
pression monte. Au cours de Pete, des bombes artisanales leader islamiste Rached Ghannouchi, libere de prison.
explosent dans quatre hotels de la region de Monastir, la I 'Identite arabo- musulmane est remise au goilt du jour.
ville natale du chef de l'Etat. Tel le Roi Lear, Bourguiba n'est Malgre l'usage institue sous Bourguiba, les receptions offi-
plus que l'ombre de lui-meme. Le 2 octobre, le chef de l'Etat redeviennent exclusivement masculines ! « L'ametio-
nomme Ben Ali Premier ministre. Un mois plus tard, ce Ber- du statut des femmes ne fait guere partie [des]
nier porte l'estocade a celui a qui it doit tout : le 7 novembre [de Ben Ali], ecrit Sophie Bessis. Presse de prendre
au matin, Bourguiba est destitue, officiellement pour raison I par Petite liberate dont it a besoin pour asseoir un
medicale 'II encore fragile, it affirme toutefois publiquement
Ce matin-la, le vieux president se leve comme chaque attachement au code du statut personnel en 1988, mais
jou r a 4 he u re s d u matin. 11 se r e nd c ompte q u'on Pa plus. Et la campagne electorate de 1989 voit des can-
enferme dans son palais et comprend qu'un coup d'Etat a eu ' II du par ti au pouvoir faire assau t de c onse rvatisme
lieu. Sa niece, Saida, fait mine d'aller aux nouvelles. « Je s'attirer les suffrages de la partie de Pelectorat seduite
crois, pretend-elle, que ce sont les islamistes qui ont fait le le discours islamiste 9. »
coup. » Soudain, le discours de Ben Ali est annonce sur les de ces elections en effet, les listes « indepen-
ondes : « Notre peuple est digne d'une vie politique evoluee, for te me nt istamise e s obti e nne nt offic ie lle me nt
fondee sur le multipartisme et la pluratite des organisations des suffrages — etplus probablement, d'apres les infor-
i4uons dont nous disposons, autour de 30 ' Du coup, le
8 Durant la nuit du 6 au 7, Mohamed Choukri va querir le procureur de la Republique de
Tunis, Hachemi Zemmel, pour qu'il signe le proces-verbal de destitution de Bourguiba.
Choukri sera remercie grassement pour ses basses oeuvres : Ben Ali devenu president, la .,i Bi as - Ie teminisme Institutionnel en funlile
Banque du Sud lui vendra a bas prix le siege de Tunis Air !
masse. » Bourguiba reste tres calme et s'adresse a sa niece
14. La regente de Carthage Des mattresses femmes au pouvoir
pouvoir se retourne contre la mouvance islamiste qu'il avait La « femme tunisienne
courtisee. Place au discours d'ouverture sur les femmes. En a toutes les sauces
1992, le declenchement de la guerre civile chez le puissant
voisin algerien - le pouvoir militaire ayant decide d'« eradi- Les activites et les discours de la premiere dame
quer » l'islamisme - et, dans un registre plus mondain, le de I [misie s'inscrivent, comme it se doit, dans les differents
mariage du chef de l'Etat avec Leila Trabelsi, qui ne compte registres de la propagande officielle : place de la femme,
pas jouer les potiches, achevent la conversion de Ben Ali au modernite, arabite ouverte a la mondialisation, developpe-
feminisme &Etat de son predecesseur. Le 13 aofit 1992, a Hit HI de la societe civile et dimension sociale-caritative. Leila
l'occasion de la fête de la femme, le chef de l'Etat rompt avec preside a la fois l'Organisation de la femme arabe (OFM), le
les hesitations des debuts du regne et célèbre « la rehabilita- Centre de la femme arabe pour la promotion et la recherche,
les onferences nationales de PUNFT (Union nationale des
tion de la femme, la reconnaissance de ses acquis et la conse-
cration de ses droits dans le cadre des valeurs religieuses et tunisiennes), le Congres mondial des femmes chefs
civiles auxquelles notre peuple est fier d'adherer 10». d'entreprise, l'Association Basma pour la promotion de
l'emploi des handicapes. Un vrai inventaire a la Prevert !
La propagande officielle fait de Leila, que Pon voit sou-
Lorsqu'elle s'exprime dans un magazine francais, elle
vent aux cotes de son mart depuis son mariage, une icone
de la modernite. L'epouse du chef de l'Etat est censee comme en septembre 2006, le mensuel tres confi-
dentiel Arabies. Et encore ne s'exprime-t-elle, en des
incarner la nouvelle femme arabe. La mise en scene est
termes 0 to venus, que sur P« application du code du
d'abord une question d'apparence physique. « Beaute
statut perm in [Rd » et le « role des femmes en Tunisie ». Du
contemporaine, grande, droite, presque raide, explique
classique !
Sadri Khiari, Leila n'est point trop maigre comme on aime
en juge : « Le role de la femme, explique une Leila au
en Occident, mais point trop enveloppee non plus. Pul-
illeur de sa forme, est essentiel dans tout processus de
peuse, meme rl ! » Habillee chez les meilleurs tailleurs de
Paris et Londres, Leila passe ses vacances dans des lieux a la Hgement et de reforme. » Et aussi : « La femme repre,1.
n te tl n acteur important dans la consolidation de la demoratle.
mode, comme Saint-Tropez ou Dubai.
Et encore : « La Tunisie est entrée dans une ere de
rmes qui a place la femme au cceur de ce mouvement. »
n fin
: « N'oublions jamais que le progres passe aussi par
Femme. » Dans cet entretien de trois pages qui fera date,
termes de « femme », « femme tunisienne » et « femme
» reviennent a... trente-huit reprises. Apres un tel plai-
er, celui qui ne croit pas a la sincerite des engagements
10 M i d
,011)Ic presidentiel tunisien serait vraiment de mauvaise
11 Sacii- De Wassila a Leila, premieres dames et pouvoir en Tunisie idCtit
15. La regente de Carthage Des mattresses femmes au pouvoir
En 2007, Leila célèbre le vingtie me anniversaire de dans plusieurs organisations caritatives tunisiennes et inter-
Parrivee de son epoux au pouvoir dans le cadre d'une confe- nationale s c eu vrant pour le s cau se s de la fe mme , d e la
rence sur « le regime republicain et le role de la femme dans famille et de l'enfance. » Guere plus, sinon une image oil on
l'enracinement des valeurs, de la citoyennete, et le renforce- I( voit tous deux deposant leurs bulletins dans l'urne, un
ment du processus de developpement ». « La femme tuni- jour d'election.
sienne represente un symbole lumineux de la modernite de
notre societe, un pilier bien ancre de son identite authen- Une personnalite en trompe hell
tique, un puissant rempart pour nos valeurs et principes
civilisationnels seculaires et un bouclier invulnerable face a Nous voici au cceur du double jeu de Leila Tra-
l'extremisme, le fanatisme et le repli sur soi. » Quel souffle ! Cote c ou r , u n fe minisme offic ie l e t c onve nu , de
A Abou-Dhabi, le 11 novembre 2008, Leila Trabelsi devait facade. Cote jardin, les jeux du serail, auxquels elle excelle.
appeler a la creation d'une commission « de la femme arabe Supreme habilete, la presidente joue admirablement sur les
de droit international humanitaire ». Et cela afin de sou- deux tableaux dans un pays qui est le plus occidentalise et le
tenir les « efforts internationaux, regionaux et nationaux en Hills , oriental du sud de la Mediterranee. Mélange detonant,
faveur de la protection, du respect et de la diffusion de la qui fait fantasmer sur la Tunisienne, epouse et courtisane, et
culture, du droit international humanitaire au profit de la 1,1, )it I li les cartes.
femme ». Autant de concepts creux, qui reviennent dans sa Son ascension fulgurante, Leila ne la doit evidemment
bouche comme une litanie. a u x e t u d e s , q u ' e l l e n ' a p a s f a i t e s , n i a u x m é t i e r s rig ,
En 2009, les entretiens officiels se multiplient dans la ), testes qu'elle a exerces. Elle a d'autres atouts dans son
presse tunisienne. Le 24 mai 2009, Leila livre a nouveau ses u : la patience, l'intuition, la manipulation, le secret,
reflexions sur le « statut de la femme » dans La Presse, le I iiii rigue, le charme, la seduction - voire le concours de
journal gouvernemental. La encore, le terme de « femme » inardbouts, longtemps avec l'aide de sa propre mere, « Hajja
est repris a satiete ; les formules reprennent, a l'identique, Nana », disparue en avril 2008. Comme sa mere, la fille est
les propos des precedentes interventions. La Tunisie - on effet versee dans la superstition, la magie, les malefices
l'aura compris - est « un pays pionnier en matiere de libera- sortileges. C'est la Salome en elle qui a conquis peu
tion de la femme ». Un mois apres, le 21 juin 2009, La Presse dans les coulisses, les cies de l'influence, puis peut-titre
consacre a nouveau sa une a la premiere dame, sous ce titre IIrl du pouvoir. Avec une infinie patience, Leila a tisse
quasiment ravageur : « Renforcer la participation de la des liens indestructibles et noue des alliant es qui reposent
femme a la modernite des societes arabes ». •'11 l'ar ge nt et la pare nte . Le c lan familial d es Trabe lsi,
institue de onze freres et ur1irti, en est le <i iii
Pour le reste, Leila Trabelsi reste discrete. La biographie
officielle de Ben Ali consacre une seule phrase a son epouse :
« Le president Zine el- Abidine Ben Ali est marie et Ore de
cinq enfants. Son epouse, Mme Leila Ben Ali, est tres active
16. La regente de Carthage Des mattresses femmes au pouvoir
Leila Trabelsi est aussi une marieuse dans l'ame. 12 sans compter pour le service du pays.
Liberation, 23-24 octobre 1999.
Matrone a ses heures, la presidente est experte dans Part de Je vous demande par consequent de le menager en evitant de
l'encombrer par des nouvelles ou des dossiers qui risquent
construire des scenarios matrimoniaux. Sa plus belle reus-
d'aggraver son &tat. Vous pouvez, en tout &tat de cause et
site a ce jour est l'union en 2004 de sa fille Nesrine avec pour tous les sujets, vous en referer a moi d'abord. Je
Pheritier de la famille Materi, representant de la bonne saurai comment lui presenter les choses. »
bourgeoisie de Tunis (voir infra, chapitre 7). Elle aurait rove D e p u i s , L e i l a n ' he s i t e pl u s a a ff i c he r s e s r e s e au x
a des noces entre l'une de ses nieces et le prince Maktoum, Influence. Elle tient des reunions quasi quotidiennes dans
[
numero un de Pemirat de Dubai, mais it avait déjà spouse le salon bleu du palais de Carthage avec « ses » ministres et
la scour du roi de Jordanie. Enfin, elle a fait en sorte que son les proches. Elle dirige desormais un club de femmes, situe
frere sine et cheri, Belhassen, divorce pour epouser la fille entre La Marsa et Sidi Bou Said, deux banlieues chics de
ainee de Hedi Mani, le patron des patrons tunisiens. Ce Ber- unis. Ce cercle est frequents par des femmes ministres, des
nier en effet, déjà nomme senateur, pourrait devenir le pre- militantes du RCD (Rassemblement constitutionnel demo,
sident de PAssemblee au lendemain des elections l iti(iti( le parti au pouvoir, ou encore les proches du clan
presidentielle et legislatives d'octobre 2009 (voir infra, cha- familial. Du beau monde !
pitre 4). A ce titre, c'est lui qui assurerait Pinterim du pou- Avec la maladie qui mine Ben Ali, Leila Trabelsi appa ral
voir si Ben Ali venait a disparaitre soudainement. Dans cette I comme« cette veuve noire dont les ambitions ne se res.-
hypothese, Leila tirerait les ficelles et serait, comme elle liseront que grace a l'affaiblisseme nt physique de son
Pespere desormais, le veritable maitre du jeu politique. i•lx)11X », que decrit Sadri Khiari. Et si Leila guettait la pro-
Une certitude, la presidente apparait de plus en plus ton des metastases presidentielles pour asseoir son pou-
sous les feux de la rampe. Déjà, lors de Pelection presiden- lr ? l'as un Tu nisien que cette idee n'ait effleure. Juste
tielle de 1999, Leila, en tailleur rouge, cloture la campagne 1 des choses pour un president autocrate qui crut ins-
de son epoux devant les dames de la bonne societe ; toutes Hunk ri aliser le feminisme ? Triste fin de regne, en tout cas,
portent un foulard rouge autour du cou Plus recemment, 11• 1tr , un pays qui favorisa, malgre tout, Pemancipation des
alors que la sante de Ben Ali semblait s'aggraver, ses deux I. s,
conseillers les plus proches, le ministre des Affaires etran-
Ores, Abdelwaheb Abdallah, et le secretaire general de la Le retour du refoule ?
presidence, Abdelaziz Ben Dhia, ont tous deux ete
convoques par la « presidente », pour se voir transmettre le Plus que tout autre, I eila frabelsi concentre
message suivant : « Vous savez comme moi que le president elle tou te s les peu r s e t les halms de la soCie te Les-
passe par une periode depressive a force de s'etre depense faute de pouvoir s'exprimer dans une presse et des
17. 32 La regente de Carthage Des mattresses femmes au pouvoir
medias museles, se defoulent par la rumeur et sous le cou- correspondent a celle d'une femme a la vie dissolue. Ce dis-
vert de l'humour. Une blague qui circule a Tunis resume cours revient notamment volontiers dans la bourgeoisie tra-
bien cet etat d'esprit. Zine et Leila sont arretes par la police ditionnelle et egalement chez certains opposants. Pourquoi
alors qu'ils s'embrassent goulament dans un jardin public. l'image negative de Leila s'est-elle propagee avec une telle
On les conduit devant le juge qui les condamne respective- tai Hite ? Ne serait-on pas dans une logique de bouc emis-
ment a 100 et 200 dinars d'amende pour atteinte aux saire, oil le bouc serait la chevre ? La encore, sans pour
bonnes mceurs. Alors qu'il s'apprete a debourser les autant dedouaner Leila et les siens de leurs turpitudes, Sadri
100 dinars exiges, Ben Ali se retracte soudain et demande au I hiari livre une interpretation instructive : « Cette percep-
president du tribunal : « C'est injuste, pourquoi Leila doit- tion negative de Leila, qu'elle soit meritee ou pas, a pour
elle payer une double amende ? — Parce que c'est la loi, Vehicule privilegie un imaginaire sexiste. On lui reproche
repond le magistrat, elle est une recidiviste. » d'empieter sur le territoire masculin, le pouvoir et l'argent.
elle l'envahit avec toute sa famille. »
Essayiste et universitaire, Sadri Khiari a developpe une
these fort interessante a ce sujet : « En verite , blagues, Certes, it faut tordre le cou a l'image idealisee d'un che-
rumeurs et medisances contre le personnage de Leila ont valier blanc du feminisme qui s'appellerait Zine el-Abidine
1;, II Ali. Et plus question de croire aux clichés officiels qui
plusieurs fonctions. Elles permettent bien stir de stigma-
tiser le regime dans son ensemble. Mais c'est elle l'incarna- "III t ransforme son epouse en grande pretresse de la moder-
tion du mal. A travers elle, c'est la femme que l'on cherche nite. Pour autant, la premiere dame de Tunisie n'est sans
aussi a viser, c'est-a-dire les femmes 13.» Leila Trabelsi est 'I' ' ilk' pas la sorciere malefique que depeignent ses detrac-
issue d'un milieu populaire, qui souffre d'un manque leurs les plus virulents. Dans la situation desastreuse que
i n . iit l e p a y s , t o u s l e s t o r t s n e p e u v e n t p a s l u i e t r e
cation. On la moque pour son cote mal degrossi ; son epoux
n'est pas en reste de railleries, avec ses cheveux teints et I Apres tout, c'est bien le general Ben Ali qui defi-
gomines. « Zine et Leila sont des parvenus dont l'ascension • ce pays depuis vingt-deux ans.
sociale serait trop rapide pour des gens du peuple, poursuit
Khiari, ce type de stigmatisation, liee a l'origine sociale, est
l'expression d'un certain elitisme au sein d'une fraction des
classes moyennes tunisiennes. »
Pire, elle travaille, fraie avec les puissants, choisit ses
amants, a ose divorcer. Autant de traits pretes a Leila qui,
dans l'imaginaire sexiste tunisien, renvoient non pas a l'idee
d'une femme independante et maitre de son destin, mais
18. Une fulgurante ascension
Qv
i est Leila Trabelsi ? La fille facile, oire
l ' a n c i e n n e p r o s t i t u e e , q u e Ill i 1 cnt volontiers
les bourgeois tunisiens ? La courtisane l'• ''(k d'un milieu
modeste et prete, pour reussir, a quelques
1 wments avec la morale ? Ou encore la jeune femme
pendante et ambitieuse dont les rencontres amou-
uses favoriserent une fulgurante ascension sociale ? Il est
fort delicat, comme on Pa vu, de retracer sa biographie, tant
II mineur le dispute aux faits. Et, pour ne rien arranger, it
1 It en Tunisie, aussi incroyable que cela puisse paraltre
1 k e que beaucoup ignorent -, deux Leila Trabelsi.
Le secret des deux Leila
Le nom de Trabelsi etant tres repandu au pays du
d'etonnant a ce que Leila Trabelsi ait une homo-
riais la veritable surprise, la voici : lei deux Leila gra-
19. nt dans les annees 1980, dans des milieux « imparables,
13 Entretien des auteurs avec Sadri Khiari.
20. La regente de Carthage Une fuigurante ascension 14
des salons de coiffure aux antichambres du ministere de tendre que Leila Trabelsi bis aurait, au depart, travaille pour le
l'Interieur. Leurs parcours sont paralleles, leurs destins I ()Inpte du regime libyen, avant d'etre retournee par les ser-
croises. D'oix les amalgames et les confusions qui vont polluer vices tunisiens. Hypothese plausible : elle est née en Libye et
encore un peu plus la biographie tenue secrete de l'epouse du elle possede le double passeport. Son nom, Trabelsi, signifie
general Ben Ali. ( )1 iginaire de Tripoli ».
La seconde Leila Trabelsi a debute sa carriere avec plus En tout cas, elle avait ses entrées au ministere de Pint&
d'eclat que l'actuelle premiere dame. Au debut des annees rieur et fit connaissance, dans ces annees-1A, de tour les grands
1980, cette femme seduisante tenait le salon de coiffure flies tunisiens, y compris le general Ben Ali. Ces accointances
Donna, sur la route de La Soukra. Toutes les dames de la bonne pliquent qu'elle soit devenue, a la fin des annees 1980, la
societe frequentaient l'endroit. Est-ce la que Leila bis se fit maltresse de Mohamed Ali Mahjoubi, surnomme Chedly
quelques relations au rein du pouvoir ? Et qu'elle commenca 11,1rtimi par le premier cercle de ses amis. Ce haut fonction-
a travailler pour le ministere de l'Interieur ? En tout cas, elle va li•iire devait devenir le premier directeur de la Sarete du presi-
jouer alors, pour le compte des services secrets, le role dune dent Ben Ali, puis son secretaire d'Etat a la Securite. Mais
Mata-Hari. Grace a ses charmer, selon de bonnes sources, elle Chedly et sa Leila bis derangeaient. La future presidente, elle,
s'est introduite dans les milieux libyens. h'etall pas encore officiellement mariee : elle n'etait que la
A l'epoque, le colonel Kadhafi avait fort mauvaise reputa- 111 I111esse de Ben Ali. Comment supporter ce double qui lui
tion en Tunisie. Forte de ses petrodollars et des ardeurs guer- irtnvoY , I1 sa condition de femme illegitime ? Et comment
rieres de son « guide », la Libye faisait peur aux dirigeants ce miroir deforme de son propre passé ? Le president
tunisiens. Surtout apres les evenements du 27 janvier 1980, II II li insista alors aupres de Chedly Hammipour qu'il cessat
lorsqu'une quarantaine de Tunisiens entralnes en Libye tente- relation avec sa maltresse. Apres le refus de ce dernier,
rent de s'emparer de Gafsa, au sud du pays. L'attaque echoua, tone tourna mal.
mail de nombreuses condamnations a mort furent pro- En 1990, le secretaire d'Etat et sa douce sont arretes, jetes
noncees. D'oix la surveillance incessante que le regime de PI IS("' et condamnes pour « intelligence avec Israel ». Le
Bourguiba, aide notamment par les services secrets francais, esseur de Chedly Hammi au secretariat d'Etat a la Secu-
exerca ensuite sur ce voisin menacant. •I All ; anzaoui, un protege de la presidente, fait le siege des
es francais. Il lui faut a tout prix que ces derniers lui fabri-
Les Libyens avaient - et ont toujours - la facheuse ten-
dance a considerer les femmes « liberties » par Bourguiba n1 les igeuves de cette cooperation avec les Israeliens. Dans
comme des femmes faciles. La Tunisie, dans l'imaginaire de ISMeux carnets du general Philippe Rondot, conseiller spe'
certains d'entre eux, serait un lieu de perdition, a la facon du France des ministres de la Defense successik, figurent
Liban pour les gens du Golfe. L'attrait qu'exerce le pays des tiVeInen1 a cette époque des rendez vous aye( Cianzaoui.
tentations n'a pas echappe aux flies de Tunis, qui ont souvent 1 ne peux net) faire pour lui, conflait le general RI Indot a un
pousse dans les bras des amis de Kadhafi quelques belles
espionnes. Certaines mauvaises langues vont jusqu'A pre-
21. La regente de Carthage Une fuigurante ascension 15
Pun de ses contacts tunisiens, cette histoire d'espionnage pour déjà dans une petite Renault 5. Elle sortait beaucoup et ses
les Israeliens est totalement inventee. » amies de Pepoque en parlent avec sympathie, disant d'elle
Deux ans plus tard, Chedly Hammi sort de prison. Ben Ali qu'elle etait toujours disponible pour faire la fête ou aller a la
le fait venir au palais de Carthage. «Je suis desole, lui dit-il, on plage. Ce qui lui vaudra, dans la Tunis populaire, le surnom
m'avait induit en erreur. » Il n'empeche que la seconde Leila, de « Leila Gin », en raison de son gout suppose pour cette
elle, a disparu dans les sables du desert. Personne, a Tunis, n'a Isson alcoolisee. En regle generale, Leila est toujours rest&
plus de nouvelles d'elle. La triste vie de l'homonyme de Leila y discrete sur ses relations amoureuses.
est devenue un sujet tabou. A ses heures perdues, elle se livre alors quelquefois a des
ct its trafics douaniers entre Paris et Rome. Une initiative qui
lui permet d'arrondir ses fins de mois et de briller devant ses
De l'agence de voyages
pines aux revenus plus modestes. Helas, elle se fait prendre
au secretariat de direction
tilt our la main dans le sac et se voit retirer son passeport. Elle
Née en 1957 dans une modeste famille nom- appelle a une puissante relation, Tahar Mokrani, un des
Khaze-
breuse, la future epouse du general Ben Ali a grandi a piliers de la creation, lors de l'independance, du ministere de
nadar, pres du Bardo a Tunis. D'autres se souviennent que la I C e dern ier in tervien t. S erait-ce a cette occasion que
1 1,1 aurait ete revue par Ben Ali, directeur de la Sfirete de
famille Trabelsi a vecu a El Hafsia, un des quartiers les plus
decembre 1977 a avril 1980 ? Selon plusieurs temoignages que
delabres de la Medina. Son pere vendait des fruits secs et sa
mere elevait les onze enfants. Avec le brevet en poche, la jeune avons recueillis, ce serait le cas. De toute facon, cette pre-
Leila entre a l'ecole de coiffure de la rue de Madrid. Elle fit ses rencontre n'aura guere de suite. En janvier 1980, les eve-
Itlicre
premieres armes « Chez Wafa», une coiffeuse de la place Bar- laments de Gafsa vont etre fatals pour le directeur de la Sure*
celone. En 1975, a dix-huit ans, elle rencontra un certain
Ilccus6 de negligence. Le general Ben Ali est relegue en Pologne
tomme ambassadeur.
Khelil Maaouia, alors patron de l'agence Avis sur la route de
l'aeroport. Folle amoureuse, elle se maria, avant de divorcer La rencontre qui va veritablement bouleverser la vie de
trois ans plus tard. « Mon mari passe son temps a la chasse, se I rabelsi est celle de Farid Mokhtar. Cultive, feru d'art, ani-
plaignait-elle, it ne s'occupe pas de moi. » l" i i I It Club africain de foot de Tunis, le concurrent de L'Espe-
rance sportive de Tunis, cet industriel dirigeait la Societe
C'est Pepoque oil Leila a ete embauchee a l'agence Voyage
iSicime des industries laitieres (STIL), une grande entre-
2000. Son proprietaire, Omrane Lamouri, possedait egale-
d'Etat. Enfin, it etait le beau-frere de Mohamed Mzali,
ment, aux environs de Tunis, l'Hotel des Colombes. L'agence
se trouvait au cceur de la capitale a l'Immeuble central, une Premier ministre. Grace a Farid, Leila fut embauchee
galerie marchande a deux pas de l'ambassade de France. Leila me secretaire de directions Bath-nat. 1 ette sOck.'te etait une
decouvrit le milieu des hommes d'affaires, voyagea un peu, innombrables filiales de la Societe tunisienne de banque,
luvrit au vaste monde. Femme independante, elle roulait
22. La regente de Carthage Une fuigurante ascension 16
alors presidee par l'oncle de Farid, Hassan Belkhodja, qui fut un a raison ! Est-ce en raison de son appartenance a un clan
proche de Bourguiba et le premier ambassadeur a Paris de la oppose ? De sa liaison passee avec Leila ? Ou des deux ? En
jeune Republique tunisienne, avant de devenir ministre puis tout cas, Ben Ali prepare un dossier de corruption contre lui.
banquier. On se retrouvait tres loin du monde de l'ecole de I e climat se gate. En mai 1986, une reunion du Parti socia 1•c
coiffure et de l'agence de voyages. En compagnie de Farid destourien a lieu a Ras Djebel, pres de Bizerte. Farid decide
Mokhtar, la jeune Leila va decouvrir la bonne societe de Tunis. de s'y rendre. A 3 heures du matin, Mohamed Mzali I" "II
un coup de fil a son domicile. A l'autre bout du tele Plume,
Climat de terreur a Tunis Ben Ali lui-meme : « Monsieur le Premier ministre, votre
beau-frere a eu un grave accident de voiture, il a ete hos-
Leur liaison durera trois ou quatre ans, jusqu'a ce
sur la route de Bizerte. » Deux heures plus tard,
que Farid y mette un terme. En 1984, le general Ben Ali rentre
ft' 'I I appel du ministre de l'Interieur au Premier ministre :
de son exil en Pologne. Tres epris de Leila, qu'il revoit rapide-
«I .IIId Mokhtar est decide. »
ment, it l'installe dans une confortable villa sur la route de La
Le lendemain, Mohamed Mzali se rend, comme chaque
Soukra. Elle cesse toute activite et vit dans l'ombre de Ben Ali,
I<aupres de Bourguiba. « A quelque chose malheur est bon,
nomme ministre de l'Interieur par le Premier ministre arreter votre beau-fre
On s'appretait re pour lui demander des
Mohamed Mzali. Tous deux nourrissent desormais les memes
sur sa gestion de la STIL », explique le chef de l'Etat a
ambitions. « Sois patiente, nous serons bient8t au palais de
"H Premier ministre. Dans l'entourage de l'ancien amant de
Carthage », lui dit-il un jour, alors qu'il doit la quitter pour un
I' il,i, personne aujourd'hui ne croit a un accident. Ce jour-la,
rendez-vous urgent.
' Lilt pas son chauffeur habituel qui conduisait Farid a
C'est l'epoque ofx les relations se tendent dans l'entou- Apres l'accident, celui-ci a ete conduit dans un hopital
rage de Mohamed Mzali entre clans rivaux. Le premier I dm' pour les maladies pulmonaires, totalement inadapte
comprend l'epouse de Mzali, son beau-frere Farid Mokhtar et I I etat. Enfin, lors de l'enterrement, le general Ben Ali ne
quelques ministres. Le second clan est anime par le proche I' I pas la peine de presenter ses condoleances a l'epouse
conseiller de Mzali et ministre de la Fonction publique, Mezri I( )11,1111cd Mzali, sceur de Farid Mokhtar.
Chekir, originaire de Monastir comme Bourguiba. A ses cotes,
le ministre de l'Interieur, ainsi que les freres Kamel, Raouf et Les sept families qui pillent la Tunisie
Slaheddine Eltaief, fideles entre tous a Ben Ali. Ces cousins
eloignes du president tunisien ne lui ont jamais menage leur Dans les annees qui suivent l'accession au poulien Ali,
soutien. Le plus politique, Kamel, aura ete du haut de son les proches du pouvoir font des affaires Mais perso n n e
metre soixante le principal artisan de la carriere de Ben Ali. n e preten d au m o no po le sur
C'est lui qui, en 1984, est parvenu a le faire revenir de son exil
en Pologne, grace notamment a ses liens avec Mezri Chekir. It
il l I
Tres vite, Farid Mokhtar se sent menace par Ben Ali. Et il
23. La regente de Carthage Une fuigurante ascension 43
l'ensemble des transactions et des commissions : les clans Mabrouk. Lui herite de la concession de Mercedes Tunis et elle
familiaux se taillent de belles parts d'un gateau qu'ils se divi- prend la haute main sur le Net en Tunisie. Et Dieu sait si le sec-
sent entre eux. leur, totalement flique, est sensible ! Un centre du ministere de
Pour les trois freres Eltaief, issus comme Ben Ali d'une l'Interieur a Salammbo, dans la banlieue de Tunis, traque le
famille originaire de Hammam Sousse, le 7 novembre 1987 est moindre message non autorise. Les Mabrouk se voient
un jour beni. Kamel Eltaiefjoue des lors le role de « president egaleo II nt attribuer le logement de fonction
bis », recevant chaque matin, dans les bureaux de la rue de traditionnellement attribue au directeur de la Surete nationale,
Beyrouth au cceur de Tunis, les principaux ministres du gou- une splendide villa du quarter chic du Belvedere. La
vernement. Dans son sillage, ses deux freres font des affaires. troisieme fille, Ghazoua, HI ,Ir iCT a Slim Zarrouk, beneficiera
La famille Ben Ali beneficie egalement de quelques pre- egalement de quelques laveurs, notamment a l'occasion de la
bendes. Pas un frere, pas une sceur du nouveau president qui privatisation de certaines entreprises publiques (comme la
Societe nationale
ne recoivent une petite gaterie. Moncef, le frere prefere, se
lance dans le trafic de drogue et laissera, dit-on, 4 millions de de poulets, acquise a bon compte a la fin des annees 1990
('ll Slim Zanouk, puis revendue au prix fort)...
dinars de dettes aupres des banques. Kais Ben Ali, le fils du frere
One, s'octroie le monopole des alcools a Sousse et fait main Dans un libelle qui circule en 1997-1998 sous le
basse sur le free-shop de Monastic. manteau I I unis, it est question des « sept familles qui
pillent la I' Iii ». Ce document fort bien informe decrit le
Les trois filles issues du premier mariage de Ben Ali avec fonctionne-
NaIrna Kefi ne sont pas oubliees. L'ainee, Dorsaf, epouse Slim t des clans familiaux autour de Ben Ali qui se partagent
Chiboub. L'avenement de son beau-pere au palais de Car- t re amis » les terrains, les contrats et les usines. l'oppo-
thage est pour lui pain benit : fils d'un simple greffier, « Mon- H II, au debut des annees 1990, de cette garde rapprochee du
)
sieur gend re » jouit d'un traitement de faveur dans le li t a Parrivee de tout nouvel intrus. Kamel Eltaief et Slim
l'attribution des terrains et des marches. Ainsi beneficie-t-il de hlboub s'opposent ainsi resolument aux projets d'union de
gros marches pharmaceutiques et de beaux terrains - qui lui %en Ali avec Leila.
seront repris plus tard. Slim Chiboub est connu pour ses Helas pour eux, les noces ont lieu en 1992. Peu apres,
appetits demesures. Les patrons de la chaine de grandes sur- I u ucI Lltaief a voulu braver la nouvelle presidente et faire de la
faces Auchan vont ainsi reculer devant ses exigences et de son fils un evenement mondain - car Ben Ali et
renoncer a s'installer en Tunisie. En revanche, Slim Chiboub I n'avaient pas encore de progeniture male. Resultat, plu-
reussira en 2001 a installer un hypermarche Carrefour sur un m s hommes publics qui avaient commis l'erreur d'accepter
terrain, sis a La Soukra, que les domaines de l'Etat lui ont retro- UP Invitation ont ete immediatement limoges : le ministre de
cede a un prix symbolique. De 1989 a 2004, le gendre du pre- Sante, le directeur du Tourisme, le president de Tunis Air se
sident presidera egalement aux destinees de L'Esperance luverent au chomage Le regne de Leila au palais de
sportive de Tunis (EST). inard etIChtline, 23 septembre
La deuxieme fille, Cyrine, epouse en 1996 Marouane
24.
25. La regente de Carthage Une fuigurante ascension 45
Carthage debutait. En 1996, les locaux de Kamel Eltaief, dans justice I kincaise dans la fameuse affaire des yachts voles (voir
la zone industrielle de La Soukra, furent incendies par une infra, chapitre 5). A Tunis, Imed fait la loi. D'un coup de fil, it
vingtaine d'individus masques. Le pouvoir le soupconnait d'y peut faire embastiller un adversaire ou au contraire liberer un
entreposer des dossiers compromettants sur les turpitudes de trafiquant. Personne ne se risquerait a s'opposer frontalementa
Leila. Officiellement, Penquete de police n'a pas permis de ce Plutege du palais.
connaitre l'origine de l'incendie. Depuis, Kamel Eltaief n'a plus Une des sceurs, Djalila, est devenue la reine des buvettes,
jamais eta recu au palais de Carthage. Seuls ses liens anciens qu'il s'agisse de celle de Pecole HEC a Carthage ou de celle de
avec les Americains le protegent d'un mauvais coup. l'Ecole nationale d'architecture. Son epoux, El Hadj, qui posse-
dait un kiosque a esse nce, est devenu entrepre neur dans
Un boulevard pour les Trabelsi Un de ses immeubles est lime au ministere des
Transports, qui a ete contraint de lui signer un bail avantageux.
Pe nd ant le s q u atr e anne e s q u i ont su ivi le Beaucoup de ces coups tordus se font sans l'aval du presi-
mariage en 1992 de Leila avec Ben Ali, le clan Trabelsi s'est fait dent. En 2002 encore, Ben Ali tentait de maintenir un sem-
relativement discret. A partir de 1996, leurs appetits se manifes- 1' 1110 d'ordre. Ainsi, cette annee-la, reunissait-il les principaux
tent de maniere plus ostensible et vont progressivement f l i t [111)(es de la famille Trabelsi : « Si vous voulez de l'argent,
sonner le glas des ambitions des Eltaief, Mabrouk ou Chiboub. MAT/au moins discrets. Trouvez des hommes de paille et des
Cette annee-la, le frere sine et bien-aims de Leila, Belhassen, 16s ecrans. » En d'autres termes, professionnalisez- vous!
met la main sur la compagnie d'aviation qui va devenir Kar- ri I I Inseil qui ne semble guere avoir ete suivi, comme on le
thago Airlines. C'est lui qui devient le pivot des affaires finan- 1 dans les chapitres suivants. Arbitre impuissant, le presi-
cieres de la famille, comme on le verra dans le chapitre 4. r I I !cute parfois de taper du poing sur la table. Ainsi, en 2006,
Le verrouillage commence, car les Trabelsi ne sont pas par- it, I lkiustriels se plaigne nt d es produits de contrefacon
tageurs... Pas un secteur qui ne leur echappe; pas une trans- 1' 1' 1 tes de Chine avec la benediction des Trabelsi. Lors d'un
action avec un gr oupe stranger dont ils ne sont parties ' 11 des ministres, le president interpelle le ministre du
prenantes ; pas un beau tenain, ou presque, sur lequel ils n'ont r 11111cf( e et de l'Artisanat, Mondher Znaidi : «Alors, Mon-
des vues. Et personne, dans le clan, n'est oublie ! Apres Bel- " le ministre, j'entends dire que des containers de contre-
hassen, Moncef ! Cet ancien photographe de rue a connu une le arrivent de Chine ? — C'est-i-dire, lui repond l'autre, je
belle carriere. Dans le passe, la Societe tunisienne de banque us pas au courant, les douanes dependent du ministere des
lui a consenti un credit pour devenir agriculteur. Son premier fils, 1I1 "1, es.
1 Pas question de prendre le moindre risque de
Houssem, a cree une association, la Jeunesse musicale de Car- Ir r Madame la presidents. .
thage, qui a la reputation de ne pas honorer ses contrats. Le I e parcours de Foued Chen -tan, fils d'un grand industriel
deuxieme, Moez, et le troisieme, Imed - le neveu prefers de lu 111c et multimillionnaire, est exemplairc de ce gachis.
1 ,eila ont eu a partir de 2008 de serieux ennuis avec la
26. La regente de Carthage
Voici une des grandes figures du monde patronal obligee, en
2004, de prendre le chemin de l'exil force vers les Etats-Unis,
avec son epouse et ses deux enfants. Cohabitation
Des Parrivee de Ben Ali, Slim Chiboub, un des gendres, au palais de Carthage
convoite le secteur de la friperie que les Cheman dominaient
jusque-la. Tout va etre fait pour decourager Pheritier de cette
vieille famille : corruption d'un de ses associes, convocations
repetees, gardes a vue, parodies de proces. Foued Cheman se
retire dans la somptueuse villa qu'il s'est fait construire sur la
corniche de Sidi Bou Said. Apres l'assaut des Chiboub, les
attaques des Trabelsi. Tres vite, Leila a des vues sur la belle
demeure des Cheman, oil elle installerait volontiers sa fille Nes-
rine. Des envoyes du palais viennent lui demander de vendre
son bien a une « amie de la presidente ». Pas question, repond eila Ben Ali dispose de plus de pou-
l'industriel. Mal lui en prend. Le fisc le condamne a payer une a J v oir s r e e ls q u e l e P r e mie r m in i str e .
amende record de 2 millions d'euros. Foued Cheman decide I p e u t fa i r e e t d e f a ir e l e go u v e r ne m e n t , n o m m e r ou
alors de s'exiler aux Etats-Unis, non sans avoir loue sa maison m i n i s t r e s , a m b a s s a d e u r s , P - D G q u a n d b o n lu i
l'ambassadeur d'Irak, avec la benediction de l'ambassade ame-
Me. Elle peut enrichir, appauvrir, faire emprisonner ou
ricaine. I" qui elle veut quand elle le decide. Ces "surpouvoirs"
Sa capacite de nuisance est reelle ; il est le gendre de Mus- Pr ti Vk lit echoir pratiquement a tous les membres du clan en
tapha Zaanouni, ancien ambassadeur et ancien ministre, tou- fi U 14 t 1( )ti de la position de chacun dans la hierarchie cla-
jours conseiller aupres de 1'ONU. Depuis Washington, il w ctdblie par Ben Ali. » Ainsi s'exprimaient au prin-
menace de lancer des campagnes contre le regime, si ses ennuis l e m p s 2 0 0 9 l e s « Tunisiens mortifies », u n g r o u p e
ne cessent pas. Resultat : les poursuites vont cesser contre lui et d inonvmes p ar f ai t e me n t a u f a i t d e s t u r p i t u d e s d e C a r -
les amendes fiscales se perdre dans les sables. I tans une lettre de trois pages. Au menu des rejouis-
Certains notables tunisiens, qui voient retrecir de jour en k' fonctionnement mafieux du systeme Ben Ali et
jour leurs marges de manoeuvre, sont en tout cas en train de uailier des clans Trabelsi et Materi, allies depuis le
passer de l'exasperation a la resistance. Ce qui fait dire a un en 2 0 0 4 de Sakhr Materi avec la seconde fille de
diplomate francais, qui a vecu longtemps en Tunisie et connalt (• /we, Nesrine.
parfaitement le serail local : « Dans la succession de Ben Ali qui ' It' missive s'inscrivait dans une tradition desormais
s'annonce, la bourgeoisie de Tunis ne veut pas d'une solution ' incree de lettres anonymes emanant de proches du
familiale. » Et donc pas d'une regente nominee Leila...
3
27. La regente de Carthage Cohabitation au palais de Carthage
pouvoir et postees sur Internet. Ah, les lettres anonymes en gances politiques, ils ont reussi a mettre l'Etat sou s leur
provenance de Tunis... A chaque fois, une petite bouffee de oupe et celle de leurs clans mafieux, creant ainsi un pou-
joie amere pour les milieux d'opposants et le bon peuple voir executif parallele et occulte.
qui, malgre la censure du Web, parviennent toujours 13 aoth 2008 : apres des semaines d'absence de la scene
s'informer... La rumeur veut que le president Ben Ali lui- mediatique et politique tunisienne pour cause de bouderie
meme, accro a Internet, n'en rate pas une. contre son epoux - qu'elle accusait de ne pas l'avoir aidee a
Autre document anonyme, autres turpitudes. Au prin N Iustraire son neveu Imed Trabelsi des griffes de la justice
temps 2009, des economistes tunisiens de haut niveau font francaise dans l'affaire du vol de yachts de luxe (voir infra,
circuler sous le manteau a Tunis un texte edifiant, intitule chapitre 5) -, Leila Ben Ali fait sa grande rentree politique
Limites, coats et fragilites des performances economiques tuni- l'occasion de la « fete nationale de la femme ». Rusee et arri-
siennes , pour denoncer le clientelisme structurel du regime. viste, elle s'est choisi deux causes sociales pour exister sur la
« La logique redistributive, expliquent ses auteurs, va ainsi Kene politique nationale et internationale : les handicapes,
etre mise au service de l'Etat pour compenser le deficit MU travers de l'association Basma qu'elle dirige, et - comme
Oil Pa vu - les femmes. Discours retransmis a la television
democratique de ce dernier et lui assurer une certaine legiti-
mite. L'instrumentalisation politique de la logique redistri- nationale, visites mediatisees de centres sociaux... La presse
butive va participer a son tour au developpement d'une 1111 : isienne aux ordres ne cesse de couvrir Leila d'articles elo-
culture d'allegeance politique, en contrepartie des privileges gleux.
et des avantages economiques accordes. » lielas pou r e lle , la pr e mier e dame ne c onnait pas le
e « succes » sur la scene internationale ou meme arabe. I II
e s t c e r te s r e g u l i e r e me n t i n v i t e e a pr o n o n c e r d e s d i s -
Les Ben Ali, couple infernal Il sur la condition de la femme lors de congres internari
, 1]
, mais son penchant pour l'intrigue et les complots lui
Et nos economistes de se livrer a un exercice Ioue de vilains tours. Ainsi, Leila accede en mars 2009 a h
d'anticipation des plus pessimistes : « L'Etat, qui va etre presidence de l'Organisation de la femme arabe (OFA),
confisque et instrumentalise par les nouveaux clans u'en 2011 ; et, de ce fait, cette institution a tenu son
mafieux au pouvoir, a la faveur d'une liberalisation econo- Ivngr e s annu e l a Tu nis le s 25 e t 26 ju in 2009. Las ! Si
mique qui se deroule en l'absence d'une democratisation de IOD011scdu roi du Maroc, Lalla Selma, a bien fait le deplace-
la vie politique et de toute possibilite de contestation et de nt, les stars que sont la reine Rania de Jordanie et Sheika
recours, devrait aussi faire face a de graves problemes de legi- M iZah, premiere dame du Qatar, ont seche l'evenement,
timite. » De fait, le regime est alors bel et bien engage sur
qu'elles sont des militantes assumees de la cause des
cette voie perilleuse. Et rien ne semble plus freiner le couple f. mine s dans le monde arabe. La raison ? D'une part, le
infernal que forment Zine el-Abidine et Leila Ben Ali. Entre
N pression policiere, logique clanique, clientelisme et mani-