1. un cas d’innovation :
la cabine photo Photomaton
Figure 1 : le 1er photomaton en 1925
Par Sébastien Brunet
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2. I. Une lente et progressive évolution technique des procédés vers le Photomaton
Photomaton est un mot-valise composé de photo et d’automate : il désigne une cabine
photographique automatique à développement instantané. En anglais, on la désigne sous
le vocable de photobooth.
On trouve dès la fin du XIXème siècle des procédés de photographie automatique dont les
brevets sont déposés.
Ainsi en 1889, lors de l’Exposition universelle de Paris, Ernest Enjalbert, un Français,
expose son procédé de photographie automatique dont on peut considérer qu’il s’agit du
1er brevet déposé en la matière. La pose dure de trois à six secondes et l’appareil
délivre un cliché au bout de cinq minutes. Néanmoins ce dernier est de mauvaise qualité,
l’appareil tombe souvent en panne et il nécessite la présence d’une personne pour
expliquer son fonctionnement.
Durant cette période, différents brevets de machines fondés sur le procédé dit
ferrotypique, qui permettait d’obtenir directement une épreuve positive sur une plaque
métallique vernie en noir (l’appareil pouvait en contenir jusqu’à 400 préalablement
préparées) vont être déposés. C’est ainsi que l’on va trouver parmi les machines les plus
abouties, « l’automate Bosco ».
En 1893, à l’occasion de la 1ère exposition internationale de photographies d’amateurs à
Hambourg, l’Allemand Conrad Bernitt, présente un automate photographique appelé
Bosco (du nom d’un magicien) : en introduisant une pièce de monnaie (souvent 10
centimes), les personnes avaient la possibilité de se voir remettre par l’appareil, après une
attente de quelques minutes, un portrait. A l’origine, ces appareils automatiques sont
perçus par leurs inventeurs comme des attractions, c’est pourquoi l’automate Bosco est
déposé dans les fêtes foraines et les parcs d’attraction où il rencontrera d’ailleurs un grand
succès populaire.
Au fur et à mesure, l’appareil de photographie automatique va être amélioré. En 1911,
Spiridione Grossi, conçoit un appareil photo permettant de délivrer un certain nombre de
photographies sur une seule bande papier. Six portraits figurent sur une étroite bande
photo (2,8 x 3,6 cm). Le procédé est intitulé « Sticky Backs ». Voici la manière dont le
décrit un magazine en 1912 : "A Stickyback Photograph is one that has adhesive matter
spread on the back, which it is simply necessary to moisten and then stick the picture on
the mount. 'Stickyback' is the name by which small gummed-photographs, not much
larger than a postage-stamp, are known." [Photo-era Magazine, Vol.28, 1912].
L’intervention d’un photographe est toujours requise avec ce procédé.
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3. Figure 2 : l’automate Bosco
Figure 3 : portrait photographié au "Sticky Backs" studio au 54 North Street à Brighton. (1910)
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4. II. Anatol Josepho : « Photograph yourself! Eight poses in eight minutes » : la
synthèse créative
Anatol Josepho est un Américain d’origine russe. Dès l’âge de 15 ans, Anatol Josephewitz
(son vrai nom) s’intéresse à la photographie et quitte sa Sibérie natale pour l’Allemagne
afin d’assouvir sa passion et y étudier la photographie. Encouragé par son père (sa mère
est morte alors qu’il avait 3 ans), il trouve tout d’abord une place d’assistant dans un
studio photographique à Berlin. En 1912, alors âgé de 18 ans, il quitte l’Allemagne pour
New York, mais n’arrivant pas à trouver de travail revient en Europe, en Hongrie et ouvre
son propre studio photographique de portraitiste à Budapest. Dès cette époque Anatol
Josepho avait en tête son projet : "the idea of creating a faster, more efficient, and less
costly way of creating images that would make photographs available to the average
working man" (Nakki Goranin, American Photobooth (2008)).
Arrêté au début du premier conflit mondial, il est emprisonné et « profite » de cette
période d’internement pour réfléchir à son invention. Il s’échappe avec un compagnon,
regagne la Russie et est arrêté par les Bolcheviks. Il parvient à s’échapper et à fuir en
Mandchourie.
En 1921, il ouvre un studio photographique à Shanghai. Il profite de cette période pour
travailler sur les détails techniques de son invention. Voyant bien qu’il n’aura pas assez
d’argent pour développer son invention, il quitte la Chine pour les Etats-Unis et part pour
San Francisco. En Californie, il étudie alors le procédé de photographie automatique alors
le plus utilisée, le « Sticky Backs ». Il gravite en effet dans l’entourage de la famille de
l’inventeur de ce procédé. Il s’aperçoit alors que l’argent seul ne suffira mais qu’il doit
préalablement améliorer le concept de son invention. C’est ainsi qu’il fait un voyage à
Hollywood afin d’étudier les techniques cinématographiques.
C’est en 1924 qu’il semble avoir consolidé et stabilisé son invention, du moins sur le
papier : une cabine photographique automatique payante.
Il peut désormais se concentrer sur la dernière partie de sa quête : des fonds suffisants non
seulement pour construire un prototype qui fonctionne mais aussi envisager sa
commercialisation. Il arrive à New York avec cet objectif. Non sans mal, en 1925, avec
l’aide de quelques connaissances et amis qui croient en son projet, il arrive à rassembler la
somme des 11000 dollars nécessaires à la construction du prototype et surtout au dépôt du
brevet lié.
Le brevet faisait valoir que la machine Photomaton pouvait produire une bande de 8
photographies de bonne qualité en 8 minutes.
Orville H. Kneen en donne une description technique dans le magazine Modern
Mechanics and Inventions en november 1928 :
Peut-être que la partie la plus intéressante de la petite machine indomptable du Russe est sa méthode de
photographie directe sur le papier. Habituellement, une grande partie de la complication de la
photographie vient de l'utilisation de plaques de verre ou d'un film. Josepho utilise du papier photo-
sensible spéciale. Deux pouces de ce dernier sont exposés à chaque claquement de l'obturateur, tandis que
la personne assise pour se faire photographier pense agréablement des amoureux, amis, voyages à
l'étranger ou d’autres sujets agréables de ce type. En seulement 20 secondes ses huit poses ont été
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5. enregistrées, et en seulement huit minutes la machine fait le reste. Cinq lampes de projection de 400 watts,
bien placées, apportent juste la bonne lumière sur le sujet.
Un moteur de 8 CV bourdonne joyeusement. La bande est coupée à partir d'un rouleau qui servira encore
pour 800 autres clients. La bande exposée est alimentée par des rouleaux dans un réservoir à 9
compartiment, où elle est rapidement développée, "blanchie", nettoyée avec un lavage complet entre chaque
processus. Un séchage électrique termine le travail et à la personne assise est remis une bande fidèle
enregistrement de ses regards, comme ils peuvent l’être.
Chaque photographe, amateur ou professionnel, est surpris de la simplicité et l'efficacité du procédé de
Josepho. Le papier est traité avec une émulsion photo-sensible, composée de millions de particules
microscopiques d'un composé d'argent. Les rayons lumineux de la personne assise affectent les particules,
et lorsque le papier est passé par le développeur, les plus touchés sont noirs, formant un négatif similaire à
celle d’un film transparent ou d’une plaque. Les objets sombres apparaissent blancs, et tous les objets
blancs sont de couleur foncée.
Après un lavage, le «négatif» passe maintenant dans une solution puissante appelée "blanchite". Celle-ci
dissout tout l'argent noir, laissant l'image argentique composé. Après lavage et «compensation » dans une
autre solution, l'image est réellement nette. Le Compartiment n ° 8 contient du "seepitone", qui modifie le
composé d'argent d'un blanc pur en une médaille d'argent brun foncé ou noir, et la bande d'images est
claire et complète, avec toutes les ombres et points de détail observables dans une photographie ordinaire.
En septembre 1925, Anatol Josepho réussit à ouvrir son studio Photomaton à New York
(avec l’aide financière de la famille de sa petite-amie) : le succès fut immédiat. En effet, le
procédé est simple, efficace, fiable, sans prétention esthétique. Il suffit d’introduire une
pièce de 25 cents dans l’appareil, le mécanisme de prise de vue s’enclenche alors
instantanément sans l’aide d’un opérateur tiers et délivre en quelques minutes huit
portraits d’identité sur une même bande.
Figure 4 : Dessin du brevet du Photomaton d’Anatol Josepho
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6. Figure 5 : illustration explicative du Photomaton extraite illustration d’un magazine américain
Modern Mechanics and Inventions (November 1928)
En avril 1927, Time Magazine rapporte qu’en six mois, le Photomaton d’Anatol Josepho a
vu passé 280 000 clients devant son objectif.
Il a réussi à réaliser une synthèse créative entre les aspects techniques et l’attente des
clients. Fruit de son expérience métier exercée dans différents studio photographiques,
dans différents lieux, Anatol Josepho a mêlé différentes techniques existantes, en
particulier celles issues du monde cinématographique afin de rendre son procédé fiable et
autonome.
Peu couteux pour les utilisateurs, le Photomaton pouvait délivrer des photographies dont
la rapidité d’obtention, le format et la qualité permettaient de nombreuses applications :
contrat de travail, carte d’identité, permis de conduire, passeport, carte de vœux,
d’anniversaire, «billets doux », etc.
III. La commercialisation du Photomaton, l’innovation se diffuse à grande échelle
Le succès immédiat du Photomaton attire l’attention d’un homme d’affaires, Henry
Morgenthau senior. Regroupant autour de lui quelques investisseurs, il acquiert en 1927
les droits de Photomaton auprès de Anatol Josepho pour un montant d’un million de
dollars de l’époque. Ce consortium, intitulé Photomaton Inc., a déjà installé en novembre
1928, 120 machines aux Etats-Unis, Grande-Bretagne, Afrique du Sud, Shanghai…
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7. Les premières cabines sont installées dans les halls de gare, les stations de métro, les
salles de jeux et divers autres lieux publics.
Depuis 1928, c’est la British Photomaton Parent Corporation qui bénéficie des droits
exclusifs d’exploiter « en France, dans les colonies et protectorats » le nom et la marque
Photomaton
L’invention d’A. Josepho connu une évolution notable en 1941 grâce à Phillip S. Allen
qui fit évoluer le mécanisme interne. L’entreprise qui facilita ce travail autour d’Allen
existe toujours. Il s’agit de Photo Me (http://www.photo-me.com/) dont la société
française Photomaton qui exploite les cabines-photos éponymes en France est une filiale.
La société Photo Me exploite aujourd’hui 21000 Photomatons dans 20 pays différents.
IV. Pourquoi Photomaton est-elle une innovation culte ?
Grâce à Anatol Josepho, la photographie a pu se rapprocher des gens. La cabine-photo, tel
un cocon, permet à chacun de livrer la trace de son passage à jamais sur support papier
quand on veut ou l’on veut, à partir du moment où il y a un Photomaton à proximité.
L’usage du Photomaton est intrinsèquement lié aux évolutions de la société. Dans le
contexte de la Première Guerre mondiale, le portrait réalisé au Photomaton constituait un
objet tangible, visuel et donc sentimental important entre les soldats et leur entourage.
Cette petite photographie sur bande, à l’origine issue d’une action individuelle, devient un
élément de la mémoire collective. Elle contribue à la construire et de fait devient presque
involontairement un repère de génération en génération.
De même, à partir du début du XXème siècle, le portrait s’ancre de plus en plus dans un
environnement administratif, et devient un élément d’identification et de justification
d’une identité médico-légale voire politique. Là encore le Photomaton tient une place
prépondérante. Il est le lieu qui permet ce lien.
Paradoxalement, le Photomaton peut aussi s’avérer être un outil artistique. Ce fut le cas
des artistes surréalistes, qui intégreront dans leur démarche artistique le détournement de
l’autoportrait automatique, qu’ils comparent à une psychanalyse par l’image… Plus tard,
Andy Warhol par exemple ou plus récemment Nakki Goranin, artiste américaine auteur
du livre American Photobooth ou Daniel Minnick utiliseront le photomaton. Ce dernier
explique : « les limites du photomaton m’offrent la possibilité, à travers son image, de
dévoiler son intérieur et de créer des décors inédits dans lesquels je joue ». Par ailleurs,
Michel Folco, ancien photographe de presse devenu écrivain, a longtemps traqué dans les
gares parisiennes, recollant ces morceaux de visage sur des albums. Sa manie a d'ailleurs
inspiré le réalisateur Jean-Pierre Jeunet pour le scénario du Fabuleux Destin d'Amélie
Poulain (2001).
Récemment, c’est l’univers de la publicité qui s’est approprié cette cabine en support de
communication. Ainsi, l’agence Scholz&friends berlin a remporté en 2006 l’Epica d’or
dans la catégorie print grâce à la campagne « Wrong working Environment campaign »
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8. réalisée pour Jobsintown.de, un site spécialisé de recherche d’emploi en Allemagne. Le
principe est de réinventer l’espace de la cabine en lieu de travail, minuscule surface, afin
d’inviter les passants à réfléchir sur leurs conditions de travail. « Life is too short for the
wrong job! ».
Encore de nos jours, le Photomaton continue d’évoluer. C’est ainsi que la société Photo
Me vient de lancer un nouveau modèle conçu par Philippe Starck. Au-delà de ses
nouvelles formes la cabine-photo Photomaton se dote de nouvelles fonctionnalités en lien
avec son temps : écran tactile, capteurs intelligents, réalité augmentée, connexion 3G
permettant d’envoyer ses clichés sur Facebook, Picasa, Flikr ou par courrier électronique.
Quand un objet fruit d’une synthèse technologique, entre à ce point en résonnance avec
les battements de la société, c’est bel et bien d’innovation qu’il faut parler.
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9. Figure 6 (gauche) : Andy Warhol Self-Portrait, 1963-1964
Figure 7 (milieu) : Daniel Minnick, Surrealist 2008
Figure 8 (droite) : La Photomaton + by S+arck
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10. V. Sources :
GIRAUD Emmanuel (Directeur marketing Photomaton France), Interview
téléphonique du 21/02/2011
LIBRARY OF CONGRESS PRINTS AND PHOTOGRAPHS DIVISION
WASHINGTON, Anatol Josepho Photomaton, consulté le 27/02/2011,
http://www.loc.gov/pictures/resource/ggbain.25079/
NOHR Rolf F., A Dime - A Minute - A Picture, Visual Knowledges Conference,
2003, consulté le 27/02/2011, disponible sur :
http://www.iash.ed.ac.uk/vkpublication/nohr.pdf
PELLICIER Raynal, Photomaton, Paris, Editions de la Martinière, 2011.
PHOTOMATON, consulté le 27/02/2011, http://www.photomaton.fr/
PHOTO-ME INTERNATIONAL, consulté le 27/02/2011, http://www.photo-
me.com
SIMKIN David, Sussex PhotoHistory, consulté le 27/02/2011,
http://www.photohistory-sussex.co.uk/AutoPortraitsDudkin.htm
THE UNITED STATES PATENT AND TRADEMARK OFFICE (USPTO),
Patent Number: US001631593, consulté le 27/02/2011,
http://patimg2.uspto.gov/.piw?Docid=01631593&homeurl=http%3A%2F%2Fpatf
t.uspto.gov%2Fnetacgi%2Fnph-
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TIM AND BRIAN, Photobooth.net, consulté le 27/02/2011,
http://www.photobooth.net
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