Le design est né avec l’industrialisation du XIXème siècle. Il a grandi avec la société de consommation du XXème siècle. Il mûrit aujourd’hui avec la dynamique d’innovation du XXIème siècle. Après avoir retracé les grandes lignes de cette évolution, il s’agira de faire un bilan critique de la notion d’innovation, à partir d’un examen de ses modèles définitionnels (innovation de rupture, innovation incrémentale, innovation technique, innovation sociale) et de ses modèles théoriques (innovation ascendante, innovation par l’imaginaire). L’objectif est de montrer que tous ces modèles ne tiennent pas assez compte de la part imprévisible et aléatoire du désir et du rêve dans l’innovation. Grâce à des exemples issus de l’histoire industrielle et extra-industrielle, on montrera que l’innovation prend toujours racine dans le rêve et le désir d’un individu ou d’un groupe restreint d’individus. Malgré la volonté généralisée aujourd’hui de rationaliser industriellement le processus d’innovation, nous montrerons que celle-ci ne peut pas être calculée, préméditée, institutionnalisée. Parce qu’elle s’enracine dans la singularité psychique, elle n’est pas compatible avec une fonction de l’entreprise. Pour créer, il faut pouvoir rêver en dilettante et s’ennuyer en liberté. “Pour le penseur et l’esprit inventif, l’ennui est ce "calme plat" de l’âme qui précède la course heureuse et les vents joyeux”, disait Nietzsche. On ne peut pas industrialiser la mécanique inconsciente du désir et du rêve. Ce n’est pas parce qu’on place un diplômé en design dans une entreprise qu’on va nécessairement innover. Ce n’est pas non plus parce qu’on se gorge d’études qualitatives sur les usagers qu’on va nécessairement innover. Les usagers ont le même inconscient que le designer. Ils ne vivent pas dans deux mondes séparés, dont l’un devrait influencer l’autre. Il faut avant tout que leurs désirs se rencontrent. Pour innover, il faut apprendre à rêver dans les marges. Si tu es designer, demande-toi d’abord à quoi tu rêves.
5. LES 3 PARADIGMES DU DESIGN
• XIXe siècle - XXe siècle (1850-1945) :
le design face à l’industrialisation (du rejet à l’assomption) = des designers-
artistes qui refusent la production industrielle (Morris, Van de Velde) aux
premiers “industrial designers” (Muthesius, Behrens, Gropius, Loewy)
• XXe siècle (1945-1999) :
le design face à la consommation (l’alliance du design et du capitalisme de
masse) = “un clergé de gens en col roulé noir avec des lunettes de designer qui
travaillent sur des petites choses” centrées sur l’esthétique, l’image, la mode
(dixit Tim Brown, TED, juillet 2009)
• XXIe siècle (2000’s) :
le design face à l’innovation (l’économie de l’immatériel, le design de services,
les technologies numériques, le développement durable...) = des penseurs de
systèmes moins préoccupés par les objets et plus soucieux de problèmes
globaux dans le but de réinventer le monde (“design is getting big again”)
6. L’INNOVATION, LA NOUVELLE
RELIGION DU DESIGN ?
• l’affaire
est entendue : le design doit être le moteur de
l’innovation, personne n’a le droit de dire le contraire
(“design driven innovation”).
• bienvenue dans l’injonction d’innover : sois innovant et tu
seras designer, sinon contente-toi d’être un artiste-
décorateur.
• fairedu design devient synonyme d’innover, le designer serait
par excellence un expert en innovation, une sorte de faiseur
d’innovation, bref un magicien
7. MAIS INNOVER,
POUR QUOI FAIRE ?
• John Thackara, In the Bubble : de la complexité au design
durable, 2005 : « Innover sans cesse nous conduit à une sorte
de boursouflure de la production, à une pression incessante
en vue d’améliorer toutes sortes de dispositif ou de logiciel
qui dégradent la qualité de nos vies. »
• Philon de Byzance, scientifique et ingénieur grec de la fin du
IIIe siècle av. J.‑C. : il faut se servir des bonnes inventions et
ne pas chercher à innover en toutes choses
9. LA VIEILLERIE SE VEND MAL
CECI EST UNE LOI PSYCHIQUE :
« nos dispositifs sont tels que nous ne pouvons jouir
intensément que de ce qui est contraste, et nous ne pouvons
jouir que très peu de ce qui est état. »
Freud, Le malaise dans la culture, II.
10. IN-NOVER,
LE NOUVEAU OU L’INÉDIT ?
• lenouveau, c’est l’un de plus ou l’itération supplémentaire
= quand le design crée des nouveaux produits pour assurer
de nouvelles ventes = l’innovation incrémentale qui sert les
ambitions du marketing = VENDRE MIEUX
• l’inédit, c’est
le jamais vu ou l’inouï, c’est la vie réinventée
= quand le design crée de nouvelles expériences-à-vivre qui
engendrent un supplément de qualité de sens = l’innovation
de rupture qui sert les ambitions de l’homme= VIVRE MIEUX
11. LE DESIGN A UNE AMBITION
• Ledesign n’est pas simplement un moyen au service d’une
industrie ou d’autre chose.
• Ledesign est une fin en soi, i.e. une discipline ayant sa propre
finalité au service de l’homme, tout comme l’art ou la
philosophie.
• Ledesign vise à enchanter l’existence, i.e. à produire un
supplément de qualité de sens en réinventant le monde.
• C’estce que j’appelle l’inédit.
Innover, c’est produire de l’inédit.
C’est-à-dire une expérience de vivre inouïe ou jamais vue.
15. LEÇON SUR LA CRÉATIVITÉ
« Creativity is just connecting things. When you ask creative
people how they did something, they feel a little guilty because
they didn’t really do it, they just saw something. It seemed
obvious to them after a while. That’s because they were able
to connect experiences they’ve had and synthesize new
things. And the reason they were able to do that was that
they’ve had more experiences or they have thought more
about their experiences than other people. »
Steve Jobs, Wired, February 1996.
16. L’INNOVATION
NE SE COMMANDE PAS
L’innovation ne se décrète pas a priori (“tiens, je vais innover”),
elle se constate a posteriori (“une innovation a eu lieu”).
Elle est le fruit d’un long processus de rêverie.
17. « Mon but depuis le lycée était d'avoir un
ordinateur à moi, programmable, dans un langage
que j'avais imaginé être le FORTRAN. »
Steve Wozniak, iWoz, autobiographie.
19. L’INNOVATION DÉPEND
DE LA CAPACITÉ DE RÊVERIE
La capacité de rêverie d’un designer ou d’un
entrepreneur est son aptitude à forger des rêves
auxquels personne ne croit et à essayer de les réaliser.
20. « Le mouvement hippie a débuté quand j'étais à la fin de
l'adolescence, c'est une culture que je connais très bien. À la
base, on trouve l'idée que la vie peut offrir autre chose que
ce qu'on voit tous les jours. C'est la même idée qui pousse
les gens à vouloir devenir poètes au lieu de banquiers. Je
trouve ça merveilleux. J'ai la certitude qu'on peut intégrer
cet état d'esprit dans des produits fabriqués en usine. »
Steve Jobs, 1996, interview de R. Cringely.
21. POUR INNOVER
IL FAUT D’ABORD SE
DEMANDER À QUOI ON RÊVE
23. 2 EXEMPLES
DE PROJETS D’ÉTUDIANTS
Le voyageur d’affaires peut-il partir
simplement avec sa veste ?
Croyez-vous au bricolage innovant ?
24. L’EXEMPLE DE L’INNOVATION
ASCENDANTE (BOTTOM-UP)
Les innovations les plus importantes de la société numérique
ne sont pas dues aux industriels mais aux usagers.
« Les innovations par l’usage partent souvent
d’un besoin absolument personnel. »
(Dominique Cardon)
25. VisiCalc, le premier tableur est inventé par un étudiant en gestion
pendant un cours de planification financière
La création de Linux est le fait d’un étudiant finlandais
qui considérait l’écriture d’un nouvel OS comme un hobby
le P2P est inventé par des étudiants américains
bricoleurs et passionnés de musique
Wikipédia est initiée par des informaticiens
férus de culture générale
Facebook est créé par un étudiant qui vient de rompre
avec sa petite amie pour afficher toutes les photos des filles de la fac