1. Tous droits réservés Les Echos 2010
21/5/2010
P.21
IDÉES
LE LIVRE DU JOUR
Comment diriger dans l’incertitude
Le thème. Voilà un livre que ne renierait pas
ce bon vieux Sun Zi, célèbre stratège chinois
du VIe siècle avant notre ère. Sauf que cet
ouvrage est éminemment moderne. Il prétend
que la complexité croissante du monde et
des organisations conduit inéluctablement
les hommes et les entreprises à évoluer dans
un monde d’incertitudes de plus en plus grand.
Faut-il alors abandonner tout projet et ne
se préoccuper que du quotidien, ou au contraire
se crisper sur un objectif unique et serrer
les dents face à l’adversité ? Non, assure l’auteur,
il faut à la fois s’adapter aux circonstances et
se fixer une mer (vision) à rejoindre. L’auteur
nous explique comment adapter ce concept
très oriental qui mélange volonté et
opportunisme à la gestion de l’entreprise. Des organisations souples,
une attention de tous les instants (l’image du surfeur sur sa vague), une remise
en cause permanente au service d’un vision ambitieuse mais accessible.
L’auteur : Robert Branche est polytechnicien et a travaillé dans l’administration,
chez L’Oréal avant de s’orienter vers le conseil stratégique de groupes
internationaux. Il a publié « Neuromanagement » en 2008.
Quatre chapitres : 1) Faire le vide ; 2) Choisir à partir du futur et agir au
présent ; 3) Diriger attentivement ; 4) Evaluer autrement. PH. E.
« Les Mers de l’incertitude. Diriger en lâchant prise »,
par Robert Branche, éditions du Palio, 224 pages, 19,50 euros.
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COMPÉTENCES MANAGEMENT & FORMATION
12 MARDI MANAGEMENT & FORMATION
MERCREDI STRATÉGIE & LEADERSHIP
MARDI 9 NOVEMBRE 2010 LES ECHOS JEUDI DROIT & FINANCE
L’IDÉE
Quand deux polytechniciens
font l’éloge de l’incertitude
Robert Branche est trompe. Il lui
consultant (*) et faudrait, au
Jérôme Fessard, contraire, s’adap-
directeur général ter aux aléas pour
adjoint de Saint- atteindre ce qu’il
Gobain. Tous deux appelle « une
n’hésitent pas à mer » – autrement
prendre leur dit une vision
public à rebrous- (l’information
se-poil. « Il n’y a pour Google, la
pas d’espoir sans musique pour
incertitude », Apple, etc.). Inouï,
PHOTONONSTOP
ont-ils ainsi lancé pour y parvenir,
à des profession- les deux polytech-
nels réunis le mois niciens mettent en
dernier à la mai- garde contre une
son des Ponts, à Paris. « Problème, mathématisation à tout crin, un
finit par lâcher Robert Branche, trop-plein d’expertise et des
l’avenir est plus à la création qu’à politiques trop poussées de réduc-
la reproduction, aux artistes tion des coûts. « Ralentir et préser-
qu’aux mécaniciens, ver une part de flou », conseille
à l’intelligence qu’à la peur. » Robert Branche. « S’appuyer sur
Et d’expliquer que, quand une un socle de valeurs fortes », ajoute
direction d’entreprise bâtit une Jérôme Fessard. M. J.
stratégie sur la base de l’observa- * Auteur de « Les Mers de
tion du passé et du présent, elle se l’incertitude » (éditions du Palio).
MANAGEMENT Le métier n’a pas encore de statut homogène et les statistiques nationales manquent RECHERCHE
Les entreprises françaises Le profil idéal
du chercheur
s’ouvrent à la médiation L
es connaissances scientifi-
ques ne suffisent plus :
pour réussir dans sa car-
rière, le chercheur doit désor-
mais posséder un large éven-
onflit entre deux ou plusieurs tail de compétences. C’est ce
C salariés, entre employés et
patron,entreassociés, harcèle-
ment moral supposé… autant de
que confirme avec éclat une
enquête réalisée par l’Apec et
le cabinet Deloitte, auprès des
heurts que les médiateurs d’entre- entreprises et des centres de
prise se proposent de désamorcer, recherche publique des 8 pays
avec un taux de réussite de « 70 % à les plus avancés en la matière
90 % ». Ce métier, apparu dans les – seule la Chine manque à
décennies 1960 ou 1970, qui peut l’ap p e l . Un e e n q u ê t e q u i
s’appliquer à de nombreux aspects tombe à point nommé au
de la vie, est encore émergent en moment où, partout dans le
France. « Il n’existe pas encore de monde, entreprises et pou-
statistiques nationales, ni de statut voirs publics se mobilisent
homogène », reconnaît Henri Sen- pour renforcer la recherche et
dros-Mila, vice président de la l’innovation.
Chambre professionnelle de la
médiation et de la négociation Fortes disparités Les chercheurs d’aujourd’hui
(CPMN). Contrairement à la Suisse, « Il existe aujourd’hui un doivent pouvoir faire le lien
au Canada et à d’autres nations consensus quasi universel sur entre plusieurs disciplines.
anglo-saxonnes, les entreprises tri- le profil idéal du chercheur
colores sont encore sur leur réserve expérimenté pour la décennie à
LES SIX COMPÉTENCES
PHOTONONSTOP
en la matière, même si certaines venir », souligne Pierre Lam-
d’entre elles, comme France Télé- blin, directeur des études à ESSENTIELLES
com, ont précisément recours à un l’Apec. Celui-ci doit maîtriser 1. L’interdisciplinarité.
médiateur. Cette prudence est une une vingtaine de compéten- 2. Maîtriser les outils
« question de culture, le réflexe fran- Contrairement à la Suisse, au Canada et à d’autres nations anglo-saxonnes, les entreprises tricolores ces, tant en science qu’en ges- informatiques de haut niveau.
çais étant de s’inscrire dans une logi- sont encore sur leur réserve en termes de médiation. tion de projet ou en termes de 3. Savoir développer
que de confrontation plutôt que de personnalité. Parmi celles-ci, un réseau.
dialogue »,poursuitHenriSendros- ne se parlaient plus. Michèle en regarder différemment », répond nir les contours des postes des col- 6 sont jugées indispensables à 4. Comprendre la culture
Mila. Or « le renvoi devant les tribu- appelle alors au directeur Europe, Marie-Pierre Seité, qui dirige le laborateurs concernés, comme l’horizon 2020. « La plus atten- d’entreprise, savoir manager.
naux coûte très cher. Un procès aux qui, après avoir tenté de les réconci- cabinet savoyard Axalp. « Nous cela fut le cas pour Michèle et Phi- due par tous les acteurs est la 5. Disposer de compétences
prud’hommes peut couler une petite lier, leur propose une médiation. commençons par débloquer les lippe. Elle peut aussi mettre en évi- capacité à mesurer la perti- en gestion de projet.
entreprise », attestait, lors des ren- « A cette occasion, j’ai pu faire un tra- aspects émotionnels, guère pris en dence qu’une séparation ou un nence de la recherche et son 6. Evaluer la pertinence
contres scientifiques de la CPMN, vail sur moi-même, analyser le pour- compte dans l’univers du travail. licenciement est inéluctable. Mais, impact sur la société, indique de la recherche
Jean-Louis Jamet de la CGPME. quoi de nos dissensions et prendre de Ensuite, nous passons aux aspects entre-temps, il y aura eu reprise du Cédric Etienne, senior mana- et son impact sur la société.
la hauteur. La situation, qui avait plus techniques. Nous sommes exté- dialogue. Est ainsi cité le cas de ger chez Deloitte. Le chercheur
prisdesproportionsdémesurées,s’est rieurs à la société qui fait appel à cette déléguée syndicale qui a doit pouvoir travailler en
« Nous amenons les décrispée en quelques entretiens », nous, ce qui évite que nous soyons obtenu de quitter l’entreprise avec phase avec le marché. » Autre gne offrent une palette large,
parties à se regarder témoigne-t-elle en substance. « Il y juges et parties », renchérit Franck des indemnités négociées et une qualité très prisée : l’agilité tel n’est pas le cas de la France
avait une cristallisation autour des de Meeus, à la tête de CDM Res- fois un autre emploi trouvé. intellectuelle, qui permettra et du Japon, qui pèchent sur de
différemment. » façons de faire, sans doute liée à un source à Grenoble. De plus, Aujourd’hui surtout appelés de faire le lien entre plusieurs nombreux points. Ces faibles-
MARIE-PIERRE SEITÉ, CABINET AXALP problème de génération : j’ai dix ans conviennent ces professionnels, quand « il y a crise », les média- disciplines. ses peuvent expliquer, pour
de moins », reconnaît Philippe. « le temps de la médiation est un teurs veulent se positionner en Deuxième constat : au-delà une part, les résultats mitigés
« Désormais, nous organisons des temps exclusivement centré sur la amont. « Beaucoup d’entreprises se du consensus sur les besoins, il de la recherche hexagonale
Mais il n’est pas envisageable de réunions régulières au sein du ser- résolution du conflit ». Contraire- sont engagées dans la prévention de existe de fortes disparités entre dans la compétition interna-
recourir à la médiation sans « le vice. Comme l’information circule ment à une procédure en conten- risques psycho-sociaux mais les pays sur le niveau de maî- tionale.
consentement et l’adhésion préa- mieux, la productivité s’est amélio- tieux, où il s’agira pour chacune qu’y-a-t-il derrière ? Nous propo- trise de ces compétences. Si les
lables des intéressés » , atteste rée », conviennent-ils. des parties de constituer au préa- sons donc à celles qui le veulent de Etats-Unis et la Grande-Breta- Attirer et fidéliser
Michèle, cinquante ans. La longue lable un dossier et de recueillir des signer une convention annuelle Dans ce contexte de plus en
mésentente qui l’opposait à son col- Redéfinition de postes témoignages en sa faveur en pre- renouvelable donnant la possibilité plus concurrentiel, certains
lègue Philippe, lui aussi chef de ser- Le sésame de la médiation ? nant le risque de créer des clans et à leur personnel d’avoir accès à un pays utilisent des outils
L’ENQUÊTE
vice au sein de la direction finances- « Nous sommes des experts en donc de dégrader encore plus le médiateur en cas de besoin », pré- sophistiqués pour attirer et
comptabilité d’une filiale d’un relations interpersonnelles, porte climat de l’entreprise. cise Franck de Meeus. « Au préa- L’enquête Apec-Deloitte fidéliser les chercheurs. Ainsi,
groupe industriel international, a d’entrée de la plupart des conflits. La médiation peut parfois mettre lable nous faisons un état des lieux sera présentée à l’occasion au Royaume-Uni, le « Resear-
connu un paroxysme en 2009 et ils Nous amenons les parties à se en évidence la nécessité de redéfi- en soumettant un questionnaire de la deuxième édition cher Development Fra-
aux employés et ensuite en les ren- du Salon Research, mework » répertorie les com-
QUI SONT LES MÉDIATEURS D’ENTREPRISE ? contrant individuellement. » C’est le 19 novembre prochain, pétences attendues des
précisément pour essayer d’amé- à Paris. chercheurs selon leur profil de
Beaucoup ont démarré leur vie aspects humains », justifie-t-elle. « Nous ne sommes pas dans une liorer le bien-être de ses 17 salariés Elle a été réalisée carrière. Le « package » offert
active dans l’entreprise avant de Pour sa part, Henri Sendros- posture d’aide, ni dans la com- que Far Ambulance, basé en Lor- sur la base de 80 entretiens, aux chercheurs (en termes de
devenir consultants. Au préala- Mila est dans la formation passion. Nous devons respecter raine, s’est engagé dans une telle entre mai et octobre conditions de travail, d’envi-
ble, « j’ai travaillé pendant professionnelle depuis quinze une certaine distance et impar- démarche en avril dernier. « Le de cette année, ronnement intellectuel, de
dix-huit ans dans l’industrie ans. Il est légalement possible de tialité », éclaire Henri Sendros- turnover est important dans ce dans huit pays : France, rémunération…) varie aussi
verrière », confie Franck de s’installer sans diplôme sachant Mila. Les prescripteurs sont les métier soumis au stress et à des Allemagne, Finlande, d’un pays à l’autre – la France
Meeus. Ingénieur thermique de qu’il existe un certificat de patrons eux-mêmes, les méde- malades de plus en plus exi- Pays-Bas, Royaume-Uni, affichant, là encore, un retard
formation, Marie-Pierre Seité a médiateur obtenu au terme de cins du travail et parfois les geants », justifie Didier Castells, le Suisse, Japon et Etats-Unis. significatif.
évolué vers l’organisation indus- douze jours de formation. Les avocats. Le site Wikimédiation, patron de cette société familiale. Elle a donné lieu à un rapport JEAN-CLAUDE LEWANDOWSKI
trielle : « Plus j’avançais dans ce qualités requises ? Un bon cofinancé par la Commission Les médiateurs, un rempart de détaillé et à une série
domaine, plus je prenais cons- équilibre émotionnel, de la européenne doit contribuer à plus pour lutter contre la souf- de fiches pays. La synthèse
cience de l’importance des réactivité et de la fermeté : vulgariser cette démarche. france au travail ? Contact : de l’étude sur
MARIE-ANNICK DÉPAGNEUX researchcareerfair.com. lesechos.fr/document
3. Innov Compet2_Mise en page 1 page 1 12/09/11 Page5 Page5
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MERCREDI STRATÉGIE & LEADERSHIP
JEUDI DROIT & FINANCE MARDI 13 SEPTEMBRE 2011 LES ECHOS
MANAGEMENT Une bonne résolution en cette période de rentrée : remettre en cause certaines règles toutes faites du management moderne.
Pour en finir avec les idées reçues
ar ces temps de turbulence économique, les similaires. Mais tous ces principe ne doivent pas pourquoi céder à la panique pour changer bille en mique commande plus de subtilité et bien moins de
P entreprises et leurs dirigeants ont plus que
jamais tendance à s’arc-bouter sur des règles
qu’ils jugent intangibles : la religion du tout quantita-
s’appliquer à la lettre. Car qui a dit que le quantitatif ne
pouvait s’accommoder de données qualitatives ? Et si
les certitudes rassurent, la stratégie d’une entreprise
tête et à tout prix ? Enfin, recruter comporte nécessai-
rement un risque, que le recours systématique au
« clonage » de profils ne minimise pas forcément. Les
réflexes moutonniers. Pis, les pratiques unanime-
ment reconnues comme la marque d’un manage-
ment dernier cri nécessitent désormais un regard tout
tif, une pléthore de certitudes managériales, la néces- ne saurait aujourd’hui exclure la prise en compte d’un entreprises ont certes besoin de têtes bien faites mais à la fois critique et imaginatif ainsi qu’une bien plus
sité du changement à tout prix ou encore le recrute- certain degré de flou et d’incertitude. A l’opposé, le aussi de professionnels réactifs, créatifs, audacieux et grande rigueur de jugement.
ment sans risque de talents aux parcours toujours culte du changement est désormais battu en brèche : surtout courageux. La complexité du monde écono- MURIEL JASOR
LES
« LES
LES
LES chiffres
Les ON NENE GÈRE NE PASPAS
ON NE GÈRE NENE
ONON GÈRE
NE GÈRE NE PAS
PAS UN SEUL
UN UN SEUL
UN SEUL
SEUL
ne mentent pas »
CHIFFRES BIEN
CHIFFRES BIEN
CHIFFRES BIEN
CHIFFRES BIEN CHANGER,
CHANGER, PROFIL
CHANGER,
CHANGER, PROFIL
PROFIL
PROFIL
NE
NE
NE NE QUE DANS
QUE DANS
QUE DANS C’EST MOURIR POUR
C’EST MOURIR POUR
C’EST MOURIR POUR
QUE DANS C’EST MOURIR POUR
MENTENT L’INCERTITUDE
MENTENT L’INCERTITUDE
MENTENT L’INCERTITUDE
MENTENT L’INCERTITUDE UN MÊME
UN UN MÊME
UN MÊME
MÊME
PAS
PAS
PAS PAS
«On ne gère bien que « Ne pas changer,
POSTE ! ! ! ! pour
POSTE
POSTE
POSTEseul profil
«Un
dans la certitude » c’est mourir » un même poste !»
es chiffres sont bien commodes et rassurent. e monde de l’entreprise aime s’entourer de ombre de dirigeants d’entreprise suivent des n recruteur sur deux pratiquerait le recru-
L Décider d’accroître un bénéfice d’exploitation
ou une part de marché d’un certain pourcen-
tage est un signe positif pour l’avenir, alors que
L prévisions et de certitudes. Mais comment
diriger si les aléas économiques sont tels que
les prévisions en viennent à faire défaut ? « L’incer-
N modes. Leurs décisions reposent sur ce que
les autres font, sur la peur d’être dépassés par
un concurrent ou sur ce qu’ils considèrent comme
U tement par « clonage ». Cette pratique, qui
consiste à choisir un profil identique au
précédent titulaire d’un poste à pourvoir, pré-
l’indication d’un résultat ou d’un Ebitda en berne titude règne depuis longtemps. La crise de 2008 est avoir été efficace dans le passé. Un mode de sente en effet l’avantage de rassurer les clients
constitue un signal préoccupant pour la santé de venue balayer les dernières illusions : chacun raisonnement qui les pousse à plaquer des modè- comme les consultants. « J’ai la conviction
la société. Considérés comme objectifs, les chiffres mesure aujourd’hui les limites de la prévision les sur leur organisation plutôt qu’à se baser sur la qu’au lieu de privilégier la sécurité, nous devons
– dont on dit qu’ils « ne mentent pas » – sont économique », répond le consultant Robert Bran- réalité du terrain. « On glorifie les entreprises qui prendre des risques. Et donner des perspecti-
devenus les indicateurs-rois d’une saine gestion che, auteur du livre « Les Mers de l’incertitude » réussissent à conduire le changement, on déifie leurs ves. Par exemple, en faisant évoluer nos salariés
d’entreprise. Mais à tout vouloir quantifier, les (Editions du Palio, 2010). « Quand une direction dirigeants, et on diabolise les autres, celles qui d’un service à l’autre ou vers des nouveaux
dirigeants et managers en viennent à considérer d’entreprise bâtit une stratégie sur la base de l’obser- restent accrochées au passé. Il semblerait que la métiers. Ou en osant recruter des salariés qui
la moindre évaluation comme une partie inté- vation du passé et du présent, elle se trompe », seule alternative possible soit “changer ou mou- viennent d’horizons très différents », estimait
grante de ce qu’ils tiennent pour la vérité. L’an poursuit-il. Albert Einstein ne voyait pas les choses rir ”», notent Jeffrey Pfeffer et Robert Sutton dans récemment François Beharel, président de
dernier, à la même époque, l’université d’été du autrement : « Vouloir résoudre un problème avec un ouvrage commun (*). L’incapacité à gérer le Randstad France, dans « Les Echos». «Réaliser
Medef avait tiré la sonnette d’alarme. Des chefs les modes de pensée qui l’ont engendré ne peut que changement est d’ailleurs devenue une des princi- des recrutements sur un modèle de copier-coller
d’entreprise – et non des moindres (Louis Gallois mener à l’échec », estimait-il. pales causes de révocation des dirigeants. Mais si est une démarche à mon sens risquée, qui ne
chez EADS, Stéphane Richard, PDG de France Pour Robert Branche, l’incertitude serait une la complexité de l’environnement rend l’adapta- permet pas de travailler dans la durée», renché-
Telecom, etc.)– avaient pointé du doigt l’accen- « source d’espoir, de différenciation et de création de tion inévitable et permanente, toute précipitation rit Guillaume Pican, manager exécutif senior
tuation de « la financiarisation de la perfor- valeur réelle. » Pour diriger, autant donc savoir à changer coûte que coûte met à mal non seule- chez Michael Page Ressources Humaines.
mance ». « Trop de pression, trop de contrôle lâcher prise et remettre en cause plusieurs credos ment les valeurs mais aussi la culture de l’entre-
et de reporting », avaient-ils dénoncé. Stéphane dans lesquels sont engoncés managers et diri- prise, estime dans son blog Rosabeth Moss Kan- Aller au-delà du job
Richard avait même reconnu que son groupe était geants : de la politique tous azimuts de réduction ter, professeur à l’université de Harvard. Une Discours d’une teneur similaire chez les recru-
allé trop loin dans ce sens. des coûts à l’organisation matricielle incontourna- opinion partagée par le nouveau PDG d’Apple, teurs de haut niveau. «La conjoncture rend
ble, en passant par l’affichage devenu quasi obli- Tim Cook, qui a assuré, lors de sa prise de fonc- frileux et il est donc difficile de convaincre un
La difficulté de mesurer l’inspiration gatoire d’une plus ou moins réelle responsabilité tion, qu’Apple resterait fidèle à son ADN. client de prendre un risque de plus. Mais nous ne
« La folie de l’évaluation permanente fait courir le économique et sociale ou encore un trop-plein renonçons pas, car notre métier consiste à
risque de brider l’action, d’étouffer la créativité au d’expertise. Humilité et droit à l’erreur conseiller nos clients », assure Claire de Mon-
profit d’un formatage et de ne susciter, in fine, plus « Le changement est un expédient, pas une straté- taigu, présidente de Leaders Trust. «Il nous faut
rien que routine et désengagement », estime la Accepter une part de flou gie », martèle Rosabeth Moss Kanter. Pis, en la trouver le candidat capable non seulement
philosophe Avital Ronell, qui brocarde sévère- A la place de ces certitudes, il faut accepter d’inté- matière, la conformité de pensée des milieux de remplir un job donné, mais surtout d’aller
ment les dérives quantitatives en vigueur dans grer une part de flou dans les raisonnements.Cela d’affaires (dirigeants, consultants, analystes finan- au-delà ». Par exemple, au profil classique de
les milieux professionnels. Selon ce professeur, s’avère nécessaire pour mieux s’adapter aux aléas, ciers…) semble à son comble, alors qu’une straté- directeur financier peut alors se substituer celui
le risque est qu’une part de la réalité échappe au et même pour dégager une vision nouvelle : c’est gie se doit de jouer sur le terrain de la différencia- d’un as de la finance également doté d’un
prisme d’un examen souhaité objectif. Car com- ce qu’ont fait les dirigeants de Google (une autre tion. Mais le changement peut quand même avoir vernis juridique ou d’une expérience des situa-
ment évaluer le talent ? Ou encore mesurer façon de trouver l’information) ou d’Apple (une des avantages, si on le pratique de façon réflé- tions de crise. Les freins et la frilosité seraient
l’inspiration ou la profondeur d’esprit ? Le tout autre façon de rendre la musique accessible ou de chie.Dans ce cas, cela sous-entend de l’humilité surtout dans les têtes. Des entreprises comme
quantitatif induit inévitablement des dérives. concevoir un téléphone)… « Certitude, servitude », et l’acceptation d’un droit à l’erreur. Les auteurs le cabinet de conseil et d’audit Pricewater-
« Il déresponsabilise », estime Francis Rousseau, conclurait Jean Rostand. « Steve Jobs a accepté du « Livre du changement » (éditions Eyrolles), houseCoopers ont franchi le pas : PwC est
PDG du cabinet Eurogroup Consulting. « Cela d’avoir tort et d’être à contre-courant pendant tous dirigeants d’Alter & Go –un cabinet spécialisé depuis plusieurs années à l’origine de l’opéra-
revient à dire : j’ai atteint tel objectif. Je suis donc longtemps », a d’ailleurs rappelé fin août Jean- dans la transformation des entreprises –, le confir- tion Phénix, qui ouvre les portes des entreprises
conforme à ce qu’on attend de moi. Regarde-t-on Louis Gassée, ancien responsable R&D d’Apple. ment. Le changement occasionne bien des peurs, aux formations littéraires, philosophiques et
de près comment le manager ou le cadre est par- De fait, relève Robert Branche, les actuels soubre- des freins et des doutes. Mais il peut aussi apporter autres. Aux nécessaires têtes bien faites formées
venu à atteindre un tel résultat ? » Comme le sauts économiques sont bien davantage favora- de l’envie, de l’audace et le courage nécessaire pour par un nombre limité de grandes écoles il
préconise le cabinet Mozart Consulting, les entre- bles aux artistes qu’aux mécaniciens, à l’intelli- concrétiser un véritable projet d’entreprise. M. J. convient de toute urgence d’adjoindre des
prises ont tout à gagner à « appréhender l’humain gence qu’à la peur, au désir de création qu’à la (*) « Faits et foutaises dans le management », qualités d’entrepreneur, de l’audace, du courage
dans l’économique » et non l’inverse. M. J. reproduction. M. J. de Jeffrey Pfeffer et Robert Sutton, éditions Vuibert. et surtout de la créativité. M. J.
4.
5. 13/01/09
P. 14
Dossier management
LIVRE
Tirer parti de l’inconscient
de… l’entreprise
« Contrairement à l’être humain, « Neuromanagement », un ou-
l’entreprise n’est pas prisonnière vrage où il mêle son expérience de
d’un code génétique : elle est au consultant avec une passion, celle
fond beaucoup plus libre car rien des neurosciences.
n’est irréversible », assure l’au-
teur. En revanche, comme l’être Deux risques
humain, l’entreprise est dotée Ses conclusions ? Submergée par le
d’un inconscient. L’amour de Ro- flux d’informations du quotidien, la
bert Branche pour l’entreprise est conscience de l’individu, comme
palpable d’un bout à l’autre de celle de l’entreprise, prend deux
risques : celui de ne pas voir l’acci-
dent qui arrivemais surtoutceluide
négliger les processus inconscients,
qui permettraient à une société de
se remettre en question et de saisir
des opportunités en se « neurodia-
gnostiquant ». De la banque à la
chimie en passant par les biens de
consommation, les exemples abon-
dent de trop grande centralisation
par une direction qui veut tout
surveiller sans laisser assez de li-
berté à ce « laboratoire de re-
cherche » qu’est l’inconscient.
Dans l’ouvrage, le va-et-vient
permanententrela psychologie hu-
maine et les embûches du monde
économique est fascinant. A condi-
Tous droits réservés − Les Echos − 2009
tion que le lecteur ne s’arrête pas
auxrecettes sous forme de tableaux
et de schémas un peu compassés et
moins convaincants que les nom-
breux ouvrages scientifiques sous-
tendant la démonstration.
JEAN-MARIE COLOMB
« Neuromanagement »,
Robert Branche, octobre 2008,
éditions du Palio, collection
Management, 202 pages.
6. Hebdo
01.2012 n°13
Piloter dans l’incertitude
Le 19 janvier prochain est organisée, au Cercle National des Armées, une conférence
consacrée aux signaux faibles comme « nouvelles grilles de lecture du monde ». Avec pour
intervenants principaux Alain Juillet, Edgar Morin, Michel Maffesoli ou encore Philippe
Cahen, cette manifestation entend stimuler les réflexions et échanger sur les méthodes
permettant d’« anticiper et agir en environnement incertain ». Comme l’indiquent les
organisateurs : « Dans un monde de plus en plus complexe, où l’imprévisibilité et l’incertitude
rendent l’appréhension des événements difficile, les entreprises ont besoin de repères et de clés
de compréhension pour agir efficacement et prendre les bonnes décisions. » Le sujet est bien
évidemment crucial et transverse. Dans son édition mensuelle du mois de novembre
2011, AETOS avait eu l’occasion d’aborder, avec Eric Delbecque, la question du
« leadership de l’incertitude ». Un colloque international, organisé à Paris par l’Académie
de l’air et de l’espace, les 29 et 30 novembre derniers, s’est proposé d’ouvrir de nouveaux
champs de réflexion. Consacré au thème des « Pilotes de transport aérien face à l’imprévu »,
il fournit l’occasion de se pencher sur l’expertise de l’armée de l’air afin de mieux croiser
les savoirs avec le monde civil.
L ’imprévu est inhérent à l’activité aéronautique. Conditions climatiques changeantes,
pannes techniques, défaillances humaines et, bien sûr, menaces et manoeuvres
adverses dans le domaine militaire : tout est possible lors d’un vol. Les pilotes, qu’ils
soient de chasse, de transport ou d’hélicoptère, apprennent au cours de leur carrière à
s’approprier l’adage prêté à Victor Hugo : « Ce qu’il faut toujours prévoir, c’est l’imprévu. »
Le capitaine de l’armée de l’air Virginie Gradel a récemment étudié, pour le magazine
Air actualités, les conditions de préparation de ces pilotes. « Comment prévoir le pire pour
ne pas être surpris ? » La première réponse tient dans la formation, initiale et continue,
et dans l’entraînement permanent des hommes et des femmes. Il s’agit de développer
leurs réflexes, mais également leurs capacités cognitives, pour leur permettre de s’adapter
au mieux et le plus rapidement possible afin de faire face au surgissement inévitable de
Dans la mythologie grecque, l’imprévu (cf. extrait ci-dessous). La maîtrise technique ne suffit pas. L’objectif est « d’être
l’aigle ( , AETOS) est capable de prendre la bonne décision sous une forte pression temporelle et opérationnelle ».
l’un des attributs de Zeus. Comme le précise le colonel Jean-François Héry-Goisnard, commandant le Flight
Emblème solaire, expression Training Organization (FTO) : « Le pilote doit pouvoir utiliser deux modes, le mode
de combativité et de victoire, mental automatique, de l’ordre des habitudes, et celui du mental adaptatif, caractérisé par
maître des airs et du temps,
la flexibilité, la curiosité, l’appréciation et la recherche de nuances. » Et de souligner : « La
il voit « plus haut, plus vite,
plus loin » et incarne ainsi formation vise à favoriser l’autonomie du pilote, à développer sa réflexion, ainsi que son esprit
les atouts de la puissance autocritique. » Une démarche qui s’avère particulièrement payante sur un théâtre comme
aérienne. l’Afghanistan, où « les missions changent régulièrement une fois l’appareil en vol, obligeant
Cette publication du CESA le pilote à reconfigurer simultanément le nouvel objectif » en démontrant tout à la fois sa
a pour vocation de susciter réactivité et son adaptabilité.
des échanges et tendre des
passerelles entre les aviateurs, La réduction de l’impact de l’imprévu sur la mission tient également à la minutie
et plus généralement les dans l’élaboration de l’opération, c’est-à-dire du vol : « 80 % du succès de la mission est
personnels de la Défense, et basé sur la préparation. » L’originalité de l’armée de l’air est ici de s’appuyer sur la méthode
les décideurs de tous horizons du « What if ? ». Ce mode de questionnement permet de regrouper « les éléments qui ne
- publics et privés. rentrent pas dans le canevas de la mission telle qu’elle a été programmée » et de lister « les cas
www.cesa.air.defense.gouv.fr d’incidents les plus probables pour leur faire correspondre une procédure appropriée. »
« Agir librement, c’est reprendre possession de soi, c’est se replacer dans la pure durée » Henri Bergson
7. Vol au-dessus des « mers de l’incertitude ». Si l’imprévisibilité et l’instabilité ne sauraient être
totalement annihilées, elles renforcent la nécessité pour chaque organisation de se fixer des objectifs
La stratégie ? stratégiques, de conduire des projets durables. Professeur de gestion à Paris-Dauphine, Stéphanie
« Un temps Dameron insiste pour que le management se dote d’une telle vision stratégique, introduisant
dans l’entreprise « un temps calme et long, qui peut permettre une acceptation des évolutions rapides
calme et long, des processus organisationnels. » Encore convient-t-il de disposer d’une bonne boussole. C’est la
qui peut conviction de Robert Branche, ancien élève de l’école polytechnique et ingénieur des Ponts et
permettre une Chaussées, aujourd’hui consultant pour des groupes internationaux : « L’entreprise doit, tel un fleuve,
se fixer pour objectif une mer, qui lui servira d’attracteur stable dans les aléas qui l’entourent. » Un trait
acceptation des caractérise ce mode de pilotage au long cours : l’acceptation de l’imprévisibilité, le refus de toute
évolutions planification rigide. C’est la méthode adoptée par Google, dont le PDG Eric Schmidt déclarait, en
2009 : « Google est peut-être au coeur du futur, mais il n’y a pas de grand plan [...]. Nous n’avons pas de
rapides des plan à cinq ans, à deux ans ou à un an. Nous avons une mission et une stratégie. La mission est d’organiser
processus l’information du monde et la stratégie est de le faire au travers de l’innovation. » Si un objectif à long
organisation- terme est annoncé, les moyens de l’atteindre, eux, ne sont pas tous arrêtés à l’avance. Ou en tout cas
fixés définitivement. « Il faut que plusieurs chemins soient possibles, car c’est le seul moyen de faire face
nels. » aux imprévus ». Ainsi du fleuve qui sait que sa vocation est d’aller à la mer mais qui, pour l’atteindre,
exploitera librement, au fil de son cheminement, toutes les possibilités offertes par la topographie,
au moyen de nombreux méandres. Ainsi également du pilote, qui connaît sa mission mais peut
modifier en permanence son vol en fonction de nouveaux impératifs ou des aléas rencontrés.
Cependant, si l’agilité et la capacité à s’adapter au terrain sont des atouts, ils restent au service de
la vision stratégique. Comme l’indique encore Robert Branche (cf. extrait ci-dessous), la stratégie
« Il faut que repose en définitive sur la stabilité et la force du décideur : « Etre stable pour pouvoir se diriger et
plusieurs diriger. Etre fort pour aimer l’incertitude, s’appuyer sur l’incertitude pour se renforcer. »
chemins soient Pour aller plus loin : Les mers de l’incertitude. Diriger en lâchant prise, par Robert Branche, Editions
possibles, car du Palio, 221 p., 19,50 € ; « Un monde incertain », par Robert Branche, Sociétal n°68, 2e trimestre 2010,
22/10/2010 ; « L’impératif stratégique », par Stéphanie Dameron, ibid. ; « Les pilotes face à l’imprévu », par le
c’est le seul Capitaine Virginie Gradella, Air actualités n°646, novembre 2011.
moyen de
faire face aux Extraits
imprévus. » Développer ses facultés cognitives : « Dans un environnement complexe et dynamique, la
gestion d’une situation imprévue implique avant tout une bonne gestion des ressources cognitives. Dans
l’aéronautique militaire, la majorité des situations imprévues que rencontre un pilote ont été abordées lors
de sa formation. Pour s’assurer qu’un pilote alloue suffisamment de ressources à la gestion d’un imprévu,
il faut que les processus perceptivo-moteurs sous-jacents à la maîtrise de l’aéronef soient automatisés. [...]
L’automatisation de ces processus offrira au pilote un 'gain attentionnel', c’est-à-dire une réserve cognitive
au service de la gestion d’événements imprévus. La formation au pilotage est également l’occasion
d’amener l’apprenant à réfléchir sur ses propres activités cognitives afin de développer des connaissances
dites métacognitives [qui] permettront au pilote, face à une situation imprévue et inédite, de distinguer
rapidement ce qu’il sait faire de ce qu’il ne sait pas, les informations pertinentes des stimuli interférents, les
actions à entreprendre de celles qui ne sont pas réalisables. En résumé, l’activation de processus perceptivo-
moteurs automatisés et de connaissances métacognitives constituera la réponse du pilote expérimenté face
aux imprévus, mais l’efficacité de cette réponse dépendra également du temps dont dispose le pilote pour
l’exécuter. » (Vincent Ferrari, docteur en psychologie cognitive et responsable de l’équipe « Facteurs
humains et milieux opérationnels » au sein du centre de recherche de l’armée de l’air - CRéA - à
Salon-de-Provence, cité par Virginie Gradella, « Les pilotes face à l’imprévu », op. cit.)
AETOS Maintenir le cap : « Pour construire une stratégie, il faut d’abord oublier le présent et partir
Une publication du CESA du futur en cherchant sa destination, tel le fleuve sa mer. La mer représente ici le besoin fondamental
Centre d’études et stable qui, quels que soient les aléas, va structurer le fonctionnement de notre société à long terme,
stratégiques aérospatiales orienter les évolutions, et attirer vers lui les courants. [...] La mer n’est pas un objectif que l’on se fixe pour
1 place Joffre les cinq ou dix ans à venir, c’est un horizon, situé à l’infini, qui va guider et apporter du sens aujourd’hui
75700 Paris SP 07 - BP 43 et demain : L’Oréal vise la beauté depuis les années 1970, Air Liquide s’intéresse au gaz depuis plus
www.cesa.air.defense.gouv.fr
de cent ans, et Google n’envisage pas de se centrer sur un autre thème que celui de l’information. [...]
Directeur de publication : Quelles sont les entreprises qui arrivent à créer de la valeur dans la durée ? Ce sont précisément celles qui
colonel Olivier Erschens connaissent une stabilité à la fois dans leur management et dans leur structure d’actionnaires. Situation
Contact : qui est singulièrement celles des groupes familiaux : ils savent mieux éviter les modes, faire des paris
olivier.erschens@inet.air.defense.gouv.fr gagnants sur le futur, s’y tenir et naviguer au mieux au jour le jour. Ainsi, paradoxalement, l’incertitude
Tél : 01 44 42 83 95 suppose la stabilité du management : la vie est faite d’ordre et de désordre, de yin et de yang. Etre stable
Recevoir AETOS : pour pouvoir se diriger et diriger. Etre fort pour aimer l’incertitude, s’appuyer sur l’incertitude pour se
c2.ds.cesa@inet.air.defense.gouv.fr renforcer. » (Robert Branche, « Un monde incertain », op. cit.)
8. ARTS, LETTRES ET SCIENCES
Voilà une posture pour le moins inha- trajectoire naturelle, comment tirer
bituelle de la part d’un ingénieur, parti des obstacles et anticiper les
qu’on s’attendrait à voir convaincu accidents de parcours ? À toutes ces
que le fonctionnement des entrepri- questions, Les mers de l’incertitude
ses est prévisible ou doit s’efforcer apportent un ensemble de réponses
de le devenir. Or il n’en est rien, sou- fondées sur les observations et l’ex-
tient Robert Branche : la vie des affai- périence de consultant stratégique
res n’est pas régie par le principe de de l’auteur.
Laplace ou la loi de Gauss. Bien sou- Avec une mise en garde : attention
vent, l’accumulation de données à la quantophrénie, cette pathologie
n’améliore pas la prévision et rai- consistant à vouloir tout mettre en
sonner en moyenne ou pratiquer la chiffres ! À force d’excès de contrôle
3. Les Boulbennes, 24 240 Pomport. règle de trois conduisent à de gra- de gestion et de lean management,
www.editionscyrano.fr ves erreurs de pronostic. on risque de rendre l’entreprise ano-
C’est plutôt en direction d’Henri rexique. Elle perd alors le goût de la
Poincaré et de Pareto que l’auteur croissance et devient cassante. Diriger
LES MERS se tourne pour comprendre comment
fonctionnent ces organisations com-
DE L’INCERTITUDE plexes que sont les entreprises dans
dans l’incertitude, c’est en effet sou-
vent, nous dit Robert Branche, savoir
Diriger en lâchant prise le monde contemporain. L’ingénieur
aussi lâcher prise.
des Ponts et Chaussées qu’est Robert
Robert Branche (74) Branche leur recommande de se
Jean-Jacques Salomon (74)
Éditions du Palio 4 – 2010 construire comme des jardins à l’an-
glaise plutôt qu’à la française. En
On dit parfois que la différence entre langage de consultant, il s’agit de
un manager et un entrepreneur est «laisser chaque sous-ensemble s’or- 4. www.editionsdupalio.com
que le premier décide dans la certi- ganiser selon la logique propre de
tude, alors que le second le fait dans son métier » et de « permettre des
l’incertitude. biorythmes différents selon les
moments et les situations ».
Dans quel sens diriger une entre-
prise si l’incertitude y est reine ?
Robert Branche a choisi la méta-
phore pour illustrer sa réponse. Dans
Les mers de l’incertitude, il compare
l’entreprise à un fleuve et en tire des
images éloquentes au service de sa
démonstration.
De même qu’on ne peut pas com-
prendre vers où coule un fleuve en
observant ses méandres, l’auteur
recommande de ne pas appréhen-
der l’entreprise à l’aune de ses per-
formances à court terme : il faut
Robert Branche ne partage pas cette « penser à partir du futur ».
analyse. Dans Les mers de l’incer- Penser à partir du futur, c’est d’abord
titude , son deuxième livre après se fixer un horizon stratégique immua-
Neuromanagement (2008), il défend ble, telle la mer pour un fleuve. Mais
l’idée que la direction d’entreprise c’est aussi se laisser guider par la
consiste dans tous les cas, qu’on soit pente naturelle, comme le fleuve par
manager ou entrepreneur, à gérer le relief. À l’heure où l’on fait volon-
l’incertitude. À partir d’exemples tirés tiers l’éloge de la difficulté, ce n’est
notamment de l’histoire des scien- pas le moindre des paradoxes d’un
ces, Robert Branche pose en effet livre qui en comporte beaucoup que
comme axiome que l’incertitude ne de préconiser la facilité.
fait que croître dans l’univers pro- Reste à mettre en œuvre ce principe
fessionnel et que les directions géné- de moindre action appliqué à l’en-
rales n’ont d’autres choix que de com- treprise. Comment éviter les déci-
poser au mieux avec elle. sions qui ne s’inscrivent pas dans sa
66 LA JAUNE ET LA ROUGE • NOVEMBRE 2010 67
9. La Lettre du Cercle
CERCLE POUR L'AMENAGEMENT DU TERRITOIRE
Siège social : 14, rue de la Tour, 75116 PARIS
Numéro 42 - Juillet 2010
www.cpat.asso.fr
LE NOUVEAU LIVRE DE ROBERT BRANCHE
« LES MERS DE L’INCERTITUDE – DIRIGER EN LACHANT PRISE »
Jean-Luc OBIN
Le premier livre de Robert Branche « Le neuromanagement » comporte des pages passionnantes et
d’autres qui m’avaient amené à exprimer des interrogations directement à Robert.
Son second livre est franchement un grand bouquin, avec trois thèmes majeurs :
a) la montée des incertitudes est structurelle et ne cesse de s’accentuer
b) pour agir dans ce contexte, l’entrepreneur doit se fixer un objectif lointain, clair et évident pour
tous. C’est, en pratique, très difficile. Les exemples analysés par Robert sont lumineux.
c) Pour mettre en musique au jour le jour, il faut entre autre laisser un peu de flou dans son
organisation et faire confiance.
Sur ces thèmes, les réflexions de Robert sont claires et profondes. En voulez-vous un exemple ? Dans
l’univers d’incertitude, le dirigeant a intérêt à être tout à la fois un paranoïaque optimiste et à lâcher
prise… Joli paradoxe, vraisemblablement peu ou prou indispensable.
Les quelques lignes précédentes donnent un bien pâle aperçu de la richesse de l’ouvrage. Dans Les
Echos du 21 mai, Philippe Escande lui a consacré une chronique terminée par :
« (L’auteur montre comment) il faut à la fois s'adapter aux circonstances et se fixer une mer (vision) à
rejoindre. L'auteur nous explique comment adapter ce concept très oriental qui mélange volonté et
opportunisme à la gestion de l'entreprise. Des organisations souples, une attention de tous les instants
(l'image du surfeur sur sa vague), une remise en cause permanente au service d'un vision ambitieuse
mais accessible. »
J-L O
11. 6| FINANCE & GESTION | Finyear N°11 - M A R S 2012 N°11 - M A R S 2012 Finyear | FINANCE & GESTION | 7
Le management par émergence :
faire de l’incertitude une force
1ère partie :
Les dirigeants décident moins
qu’ils ne le croient
Décider, voilà bien la respon- la Direction Générale de se centrer écar ter une solution parce qu’elle perdre son temps à des discussions D’abord, comme je l’expliquais dans
sabilité d’un dirigeant… du sur la gestion et le management de rappelle un échec passé ou parce sans fin et ne créant aucune valeur. mon ar ticle « Réfléchir à par tir du fu-
moins, c’est ce qu’il croît. Mais l’imprévu : sans eux, elle n’aurait pas qu’elle ne correspond à aucune » »2 tur pour se diriger dans l’incer titude
la plupart des décisions prises de temps pour inventer de nouvelles des habitudes acquises, et, à l’in- », et mon livre, les Mers de l’incer ti-
dans l’entreprise, le sont quo- stratégies et repérer des signaux fai- verse, en favoriser une qui est en Double ver tige donc : tude, en trouvant un point fixe à long
tidiennement et sans lui… et bles por teurs de rupture. phase avec sa culture ( …). terme, une « mer » qui fédérera dura-
heureusement ! Ce sont encore eux qui nourrissent -- La multiplicité des inter venants -- Vers l’intérieur de l’entreprise : blement les ef for ts individuels. C’est
l’innovation et la veille stratégique : inter viennent toute une série dans tous ces lieux, ces bureaux, en ef fet possible, car, derrière les
Imaginez un seul instant si toutes les : ils fonctionnent comme une « tête d’acteurs, cachés ou visibles, qui ces réunions, ces coups de té- mouvements erratiques, il existe des
décisions d’une grande entreprise chercheuse » permanente et sont for- peuvent peser sur le choix des op- léphone où des décisions sont attracteurs qui, à l’instar des mers
devaient être prises par le Directeur ce de proposition. » tions, ainsi que tous leurs proces- prises quotidiennement ; l’entre- pour les fleuves, structurent les évo-
Général, ce serait vite l’asphy xie, et sus inconscients individuels. C’est prise comme tout organisme vi- lutions à long terme. A condition de
plus rien ne bougerait. Sans parler du Ainsi Diriger, c’est décider par excep- de cet ensemble d’influences vant échange continûment avec penser à par tir du futur, d’y repérer
fait qu’il ne peut pas être omniscient. tion, et sur tout mettre en place des qu’émergent les quelques options son environnement, respire, et ce qui est accessible à l’entreprise, et
FINANCE & GESTION
C’est déjà ce que j’indiquais dans processus qui vont permettre à la sur lesquelles por tera la décision avance. d’identifier des actes immédiats per-
mon livre Neuromanagement 1 , dans bonne décision d’émerger. consciente. -- En lui-même : tout dirigeant doit tinents.
lequel je mettais l’accent sur l’im- Émerger… Tiens voilà qu’apparaît ce -- Les tris cachés : La Direction ne se rendre compte de l’irrationalité
por tance des processus inconscients, verbe qui est au cœur de l’évolution tranche que sur les options qui lui de ses propres choix ; comme tout Mais viser la bonne mer n’est que
c’est-à-dire de tout ce qui se passait de l’univers, au cœur de la naissan- sont présentées. Or, le fait de pas- homme ou toute femme, il n’est le préalable : comment permettre
dans l’entreprise non seulement sans ce successive des propriétés qui le ser du quasi infini des possibles à conscient que de la sur face de ses l’émergence de décisions quotidien-
inter vention de la Direction Générale, constituent, au cœur du processus souvent seulement trois scenarios propres motivations, et les rai- nes ef ficaces ?
mais sans qu’elle le sache. J’y écrivais d’élaboration du vivant. Et s’il était est un choix majeur. D’où vien- sonnements qu’il construit le sont C’est ce que j’aborderai dans la suite
en conclusion : aussi au cœur du management dans nent-ils ? Des décisions implicites le plus souvent a posteriori, pour des ar ticles consacrés au Manage-
l’incer titude ? ou explicites prises par toutes les expliquer ou justifier une décision ment par l’émergence.
« Dérangeant de voir que, comme personnes impliquées en amont. déjà prise.
l’individu, l’entreprise ne peut fonc- Avant d’aller plus avant, arrêtons- -- La par tialité de la grille de choix : Une dernière précision : ce qui sui-
tionner ef ficacement que si elle est nous un plus longtemps sur la dé- Pour choisir, on s’appuie souvent Double ver tige face à l’émergence de vra ne s’applique qu’aux entreprises
majoritairement guidée par des pro- cision, et sur pourquoi elle échappe sur une grille qui va hiérarchiser la décision qui naît, plus qu’elle n’est qui, tout en étant ballottées par les
cessus inconscients ? quasiment inévitablement à tout les scenarios. Derrière l’apparente voulue… vagues de l’incer titude, ne sont pas
Et pour tant ils sont bien là : toutes processus conscient et rationnel. En rationalité de la méthode, le choix en train de sombrer à cour t terme. El-
ces décisions prises au sein de l’entre- ef fet, « dans une entreprise, le pro- des critères mis dans la grille et Alors, faut-il laisser faire ? Évidem- les disposent du temps et de l’énergie
prise, sans que la Direction Générale cessus de la prise de décisions est leur pondération sont af faires de ment non, car, spontanément, ces nécessaires pour entreprendre une
inter vienne ; tous ces résultats issus complexe et implique : conviction et d’intuition. émergences, loin de construire une action de fonds, action dont l’objectif
directement de la façon dont elle est entreprise for te et résiliente, vont la est de précisément leur éviter de se
organisée et des systèmes existants. -- La mémoire collective : à l’instar De toute façon, comme avait l’habi- désagréger aux hasards des initiati- retrouver un jour en situation d’ur-
Ce sont eux qui donnent à l’entre- de l’individu, une entreprise a une tude de dire un dirigeant d’un grand ves prises. gence…
prise rapidité et souplesse : elle sait mémoire faite des habitudes et groupe international : « Si deux op-
conduire sans y penser et éviter les des souvenirs, positifs comme né- tions semblent crédibles, pourquoi Comment faire alors ? Par Rober t Branche
balles que la concurrence lui lance… gatifs, qui va influencer les choix. perdre son temps à choisir, autant ti-
1. Rober t Branche, Neuromanagement, Éditions du Palio, 2008
Ce sont eux aussi qui permettent à Sans s’en rendre compte, elle va rer au sor t. On pourra ainsi arrêter de 2. Rober t Branche, Les mers de l’incer titude, Éditions du Palio, 2010
12. N ° 1 2 - AV R I L 2 0 1 2 Finyear | FINANCE & GESTION | 7
Le management par émergence :
faire de l’incertitude une force
2ème partie :
Les six leviers de l’émergence efficace
Puis-je arrêter cer taines choses, en N’y a-t-il pas une contradiction à vou-
commencer d’autres ? loir allier les caravanes du Far West à
la facilité ? Pas du tout, mais à condi-
2. Allier inquiétude et op- tion de ne pas faire de contresens
timisme : Retrouver l’éner- sur la notion de facilité : elle ne veut
gie des caravanes du Far dire ni paresse, ni inclination à fuir la
West dif ficulté, mais recherche de la pente
naturelle et du plaisir.
Je rencontre, le plus souvent, soit : François Jullien dans sa Conférence
sur l’ef ficacité écrit : « La grande stra-
-- Des optimistes qui croient que le tégie est sans coup d’éclat, la grande
pire n’arrivera jamais, que le plus victoire ne se voit pas. (…) Méditer la
raisonnable est de s’organiser sur poussée des plantes : en secondant
un scénario médian. Mais com- dans le processus de poussée, on tire
ment calculer la médiane en uni- par ti des propensions à l’œuvre et les
vers incer tain ? por te à leur plein régime. » 2
-- Des pessimistes qui, tétanisés par
les périls dont ils se sentent en- C’est ainsi que l’entreprise doit avan-
1. Relier mer visée et action tourés, construisent autour d’eux cer vers sa mer, en prenant appui sur
individuelle : Être compris des lignes Maginot. Mais com- ses savoir-faire, son histoire et ses
ici et maintenant ment contenir les tsunamis de hommes, sur les tendances de fonds
l’incer titude ? Je repense aussi de la situation actuelle, de la concur-
Dans le monde de l’incer titude, l’ac- aux of ficiers du for t du Déser t rence actuelle et potentielle.
tion centralisée est inef ficace et trop des Tar tares de Dino Buz zati. A Je vois trop de dirigeants qui se font
peu réactive : la stratégie ne concer- quoi bon attendre ce qui n’arrive les chantres de l’ef for t, de la trans-
ne pas que la Direction générale, et jamais ? piration, de montagnes à escalader…
les autres ne sont pas que des exé- Pour eux, seule, la recherche de la
cutants. Je rencontre trop rarement des « pa- dif ficulté semble noble. Mais si l’on
ranoïaques optimistes » 1 , ce juste par t à contre-courant, si, dès le dé-
Permettre l’émergence de décisions équilibre entre action résolue et pré- par t, on n’a pas privilégié ce qui est
ef ficaces suppose l’ar ticulation per- paration à ce qui peut sur venir à tout le plus naturel, comment faire face
manente entre stratégie et actions moment. Ce n’est pas parce qu’ils ont à l’imprévu, à la dif ficulté qui surgi-
individuelles, ce qui implique que imaginé le pire, qu’ils pensent qu’il ra sans qu’on l’attende ? A-t-on une
chacun la connaisse, et en quoi elle le va arriver ; ce n’est pas parce qu’ils chance de réussir un triathlon, si l’on
concerne personnellement. avancent, qu’ils croient qu’il n’y a pas ne sait pas nager ?
Si ceci peut paraître évident, c’est de danger. À l ‘inverse, si on aime ce que l’on fait,
finalement bien mal mis en œuvre, le plaisir éprouvé viendra démultiplier
car il ne suf fit pas de dif fuser un do- Ainsi allaient les caravanes qui, par- les capacités individuelles.
cument présentant la stratégie pour ties à la conquête du Far West , tra-
que chacun comprenne de quoi on versaient des contrées hostiles. For- 4. Lâcher prise : Ne pas
parle et en quoi il peut y contribuer. tes de la vision qui les habitaient, tout définir, ne pas tout
Informer n’est pas communiquer, par- riches des provisions stockées dans optimiser
ler être compris, ni dire être cru. leurs chariots, avares dans l’utilisa-
tion de leurs ressources, informées Comme on ne peut pas intégrer ce
Et faut-il encore avoir des marges de constamment par des éclaireurs en- que l’on ne connaît pas, si l’on ajuste
manœuvre réelles, et un encadre- voyés en reconnaissance, entraînées exactement une entreprise à la vision
ment de proximité qui encourage à aux combats susceptibles d’advenir, actuelle que l’on a de la situation fu-
les saisir… elles avançaient. ture, on la rendra cassante, et elle ne
Alors chacun pourra se poser des pourra pas faire face aux aléas à ve-
questions simples : en quoi ce que je 3. Rechercher la facilité : nir.
fais, est-il réellement utile et contri- Évitons le triathlon si l’on Alors, puisqu’il est impossible de tout
bue à se rapprocher de notre mer ? ne sait pas nager optimiser, tout prévoir, tout planifier,
13. 8| FINANCE & GESTION | Finyear N ° 1 2 - AV R I L 2 0 1 2
Le management par émergence :
faire de l’incertitude une force
2ème partie : Les six leviers de l’émergence efficace
lâchons prise, et acceptons de lais- risque à tout moment de se décon- précipitation, à la confusion entre vi-
ser le futur répondre à ce que l’on ne necter de son marché, de ses clients tesse et ef ficacité, et au passage bru-
connaît pas aujourd’hui. et de ses concurrents. Si les dinosau- tal de l’idée à la réalisation, de la pen-
Je sais combien ceci va aux antipo- res s‘étaient un peu plus confrontés à sée à l’agir. Car, s’il suf fisait de courir
des de la tendance actuelle, qui, la réalité de leur monde, ils seraient pour réussir, toutes les entreprises
cherchant à accroître la rentabilité probablement encore là ! seraient ef ficaces, puisque je n’y vois
immédiate, coupe ce qui ne ser t ap- Qu’est-ce que la confrontation ? Elle plus que des gens qui courent… 4
paremment à rien, et supprime ce qui est le chemin étroit entre nos deux Avoir le bon r y thme, c’est être un pa-
n’est pas lié directement avec ce qui tendances naturelles, qui sont le resseux ver tueux : ajuster dynamique-
est planifié. Mais ne voit-on pas que conflit et l’évitement. Elle est cet- ment la vitesse à ce que l’on fait, agir
l’on va vers l’anorexie managériale, te attitude d’ouver ture aux autres, avec parcimonie et au bon moment.
des entreprises tellement amaigries qu’ils soient membres de l’entreprise J’emploie volontairement le mot pro-
qu’elles seront empor tées par la pre- ou à l’ex térieur, cette mise en débat vocateur de « paresseux », car il faut
mière bourrasque ? 3 de nos convictions et nos interpré- développer un esprit de résistance
tations. Elle est aussi la recherche face à la violence de la folie collective
Ce qu’il faut préser ver, c’est une par t de nos propres hypothèses implici- : non, t witter n’est pas gagner ! Com-
de flou, c’est-à-dire des ressources en tes, souvent inconscientes, qui nous ment pourrait-on penser vite à long
temps, argent et moyens techniques, conduisent à notre vision du monde, terme, et construire une stratégie
non af fectées pour pouvoir faire face et à recommander telle solution, plu- per tinente entre deux avions ?
à l’imprévu, et permettre des émer- tôt que telle autre.
gences créatives. J’y accole immédiatement le mot de
Est-ce à dire que l’on ne se préoccupe Il y a cinq conditions pour une « ver tueux », pour ne faire l’apologie
pas de l’allocation des ressources, et confrontation réussie : de l’inaction et du laisser-faire : le lâ-
que l’on dépense sans compter ? Non, cher-prise n’est pas le laisser-faire, il
bien sûr. -- Avoir assis ses propres convic- est tout le contraire.
Commençons par identifier les tions, et être capable d’expliciter
moyens requis pour tout ce qui est le raisonnement qui les a structu- Le lâcher-prise est l’attention por tée
FINANCE & GESTION
engagé et planifié, assurons-nous que rées, aux courants en place, à ces moments
l’on répond aux contraintes immédia- -- Discuter des analyses, et non pas où vouloir agir ne ser virait à rien. Il est
tes, puis, en fonction de la rentabilité, des conclusions, le refus de se laisser empor té par ce
préser vons le plus de flou possible, et -- Comprendre le rôle des autres et qui n’est qu’agitation inef ficace, dis-
dif fusons le dans toute l’entreprise. respecter leur professionnalisme, persion d’énergies, et bruit ambiant.
-- Connaître l’objectif commun visé, Il est la volonté de se poser pour ré-
5. Se confronter continû- -- Enfin et sur tout avoir confiance fléchir, regarder et comprendre.
ment : Refuser d’être spon- en soi-même, en les autres et
tanément d’accord dans l’entreprise. Par Rober t Branche
Comme nous aimons le consensus ! D’où une priorité pour un dirigeant
Et pour tant quoi de plus inquiétant et : développer un climat de confiance,
anormal, si tout le monde est immé- préalable nécessaire à la confronta-
diatement d’accord. tion positive dans l’entreprise.
Pourquoi ? Parce que tout est trop
mouvant et complexe pour être com- 6. Twitter n’est pas gagner
pris par tous de la même façon ; parce : Vive la paresse vertueuse
que chacun est prisonnier de son ex-
per tise, de son passé, de l’endroit où Si l’on n’y prête pas garde, les tour-
il se trouve ; parce que l’entreprise billons de l’incer titude poussent à la
1. Soyons des paranoïaques optimistes, Les Échos, 21 novembre 2011
2. François Jullien, Conférence sur l’ef ficacité, p.41 et 46, PUF, 2005
3. L’anorexic management, Les Échos, 4 juillet 2011
4. Nous voulons supprimer le temps, comme nous avons supprimé les distances, Les Échos, 5 décembre 2011, et Nous sommes
malades du temps, Les Échos, 8 février 2012