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Mémoire présenté par Ruslana Georgieva
Sous la Direction de M. Christian SCAPEL
Master II "Droit Maritime et des Transports"
Année universitaire 2010-2011
LA SAISIE CONSERVATOIRE DES NAVIRES
(Etude comparative en Droit Français et Droit
International)
La saisie conservatoire des navires
Année universitaire 2010-2011
3
Remerciements
Avant toute chose, je tiens à remercier un certain nombre de personnes sans
qui la réalisation de mon mémoire n’aurait pas été possible.
Ces personnes qui m’ont beaucoup apporté aussi bien humainement que
professionnellement, qui par leur gentillesse et leur disponibilité m’ont permis de
mieux appréhender les mécanismes du Droit Maritime et des Transports.
Je souhaite remercier toute l’équipe pédagogique du Master II Droit
Maritime et des Transports à l’Université d'Aix-Marseille III, qui m’a aidée à
réaliser le présent Mémoire de fin d'études et d'avancer dans mes recherches. Mes
remerciements vont plus particulièrement à Monsieur Christian SCAPEL et
Monsieur le Professeur Pierre BONASSIES pour m'avoir permis d'intégrer le Master
ainsi que pour leur disponibilité et précieux conseils tout au long de l'année
universitaire.
Je tiens également à remercier Madame Marjorie VIAL qui a toujours été à
notre écoute, en contribuant à la bonne ambiance, et sans qui le Master ne serait pas
le même.
La saisie conservatoire des navires
Année universitaire 2010-2011
4
SOMMAIRE
INTRODUCTION p.5
PARTIE I : LA SAISIE CONSERVATOIRE DES NAVIRES : UNE VOIE
D'EXECUTION CONDITIONNEE p.16
CHAPITRE I : CONDITION TENANT A L'ETAT DU PAVILLON DU
NAVIRE p.16
§ I Le navire battant pavillon d'un Etat contractant p.16
§ II Le navire ne battant pas pavillon d'un Etat contractant : Application de
l’article 8-2 de la Convention p.18
CHAPITRE II : LES CONDITIONS TENANT A LA NATURE DE LA
CREANCE ET LE NAVIRE OBJET DE LA SAISIE
p.22
§ I Caractères de la créance autorisant la saisie conservatoire p.22
§ II Le navire objet de la saisie conservatoire p.26
PARTIE II : LA SAISIE CONSERVATOIRE DU NAVIRE : MOYEN DE
CONTRAINTE EFFICACE CONTRE LE DEBITEUR p.31
CHAPITRE I : LES MOYENS DU CREANCIER D'AGIR CONTRE LE
DEBITEUR INSOLVABLE p.32
La saisie conservatoire des navires
Année universitaire 2010-2011
5
§ I L’action in personam : "le navire débiteur" p.33
§ II L’action in rem : les navires du "débiteur" p.38
CHAPITRE II : LES EFFETS DE LA SAISIE CONSERVATOIRE p.49
§ I Immobilisation du navire p.50
§ II Les pouvoirs du juge p.53
CONCLUSION p.65
BIBLIOGRAPHIE p.67
TABLE DES MATIERES p.70
ANNEXES p.73
La saisie conservatoire des navires
Année universitaire 2010-2011
6
« La société comme un navire ; tout le monde doit contribuer à la direction du
gouvernail.»
Les Démons, Fiodor Dostoïevski
Le navire constitue l'instrument indispensable de l'exercice d'une activité
d'armement maritime. Il est le gage le plus immédiatement accessible pour ceux qui,
au cours de son exploitation, sont amenés à devenir créanciers de l'armateur. Un droit
n'est rien s'il ne peut être exercé. Il suffit au navire pour échapper à ses créanciers de
prendre le large. Pour peu que son armateur ne possède aucun bien dans l'Etat où il a
contracté sa dette, le créancier voit alors s'évanouir ses chances d'être payé ; son droit
devient vain et sa sûreté inutile. Le navire est ainsi le premier bien de l'armateur à
être visé par les mesures destinées à assurer le paiement des créances liées à son
exploitation. Cela explique le fait que le monde maritime a constamment recours aux
saisies de navires à titre conservatoire : procédure qui permet de retenir le navire en
attendant que le litige soit réglé, ou que l'armateur du navire saisi ait constitué une
autre garantie de nature à répondre, le cas échéant, de sa dette.
Néanmoins, il s'agit de délimiter le domaine d'application de la saisie puisque cette
procédure s'applique aux seuls navires de mer. Par conséquent, il convient en premier
La saisie conservatoire des navires
Année universitaire 2010-2011
7
lieu de s'intéresser à la notion de navire, considéré comme le premier – et parfois le
seul – gage des créanciers maritimes.
Il n'existe en droit français aucune définition du navire. Pourtant, sa qualification
s'avère primordiale afin de pouvoir lui appliquer les règles spécifiques gouvernant le
droit maritime. Apres de longues hésitations, le Doyen Rodière dégage deux critères
cumulatifs permettant de définir le navire, moins en fonction de ses caractéristiques
propres, que par rapport au milieu dans lequel il évolue. Il est qualifié "d'engin
flottant, de nature mobilière, affecté à une navigation qui l'expose habituellement aux
risques de la mer"1
.
Du point de vue juridique, le navire apparaît comme un meuble par nature (art. 531
Code Civil2
), mais en réalité il répond à un régime juridique proche de celui de
l'immeuble. Ce meuble de grande valeur, mobile entre tous, a une vocation
internationale : il fréquente les ports étrangers, y contracte des dettes, et peut s'y faire
saisir. Sa navigation l'expose, en outre, aux périls de la mer, ce qui légitime sa
protection en droit maritime. A mi-chemin du régime juridique s'appliquant aux
meubles et aux immeubles, le navire a aussi parfois été rapproché des personnes, en
tant que bien fortement individualisé dans le patrimoine de son propriétaire – le
navire est domicilié au port d'immatriculation, son propriétaire lui octroie un nom qui
l'individualise et il dispose d'une nationalité matérialisée par son pavillon. Il est
susceptible d'être grevé d'une hypothèque, laquelle confère au créancier un droit réel
très fort sur le navire. A ce titre on peut mentionner qu'en raison de la forte
individualisation du navire, la saisie de ce dernier est soumise traditionnellement à
une procédure spécifique, plus proche de la saisie immobilière que de la saisie
mobilière.
L'objectif premier du navire est de naviguer et affronter les risques de la mer.
L'autonomie inhérente à la mobilité du navire s'apparente donc mal à toute idée
d'immobilisation. Le navire, destiné à affronter les risques de la mer ne peut se
satisfaire longtemps de la sécurité du port sans méconnaitre son objectif principal.
1
RODIERE et Du PONTAVICE, Emmanuel, Droit maritime, n°31, 12e
édition, Dalloz, 1996
2
« Les bateaux, bacs, navires, moulins et bains sur bateaux, et généralement toutes usines non fixées par des
piliers, et ne faisant point partie de la maison, sont meubles : la saisie de quelques-uns de ces objets peut
cependant, à cause de leur importance, être soumises à des formes particulières, ainsi qu’il sera expliqué dans le
Code de la procédure civile ».
La saisie conservatoire des navires
Année universitaire 2010-2011
8
Cette immobilisation du navire peut résulter d'une part, du mauvais temps,
empêchant le départ, du fait du prince, de conflits sociaux … et d'autre part, de
l'exercice du droit de gage général sur le patrimoine du débiteur, dont le navire fait
partie. Dans ce dernier cas, comme tout créancier, le créancier bénéficiaire d'un
privilège maritime a le droit de saisir le navire en tant que bien de son débiteur. Tant
que la créance n'est pas payée, le navire n'est pas susceptible de reprendre la mer. La
procédure de saisie conservatoire est une procédure dont l'objectif est de placer sous
main de la justice les biens du débiteur, afin que celui-ci n'en dispose pas ou ne les
fasse disparaître. Elle est pratiquée par les créanciers qui sont démunis du titre
exécutoire et leur permet donc d'éviter la disparition de leur gage. La rapidité est la
condition de l'efficacité de la saisie conservatoire.
Le droit de saisir le navire présente une double particularité.
D'un côté, il s'agit des situations où le créancier privilégié pourra saisir le navire alors
même que celui-ci n'est pas la propriété de son débiteur, ce dans le cas où le navire
est exploité par un affréteur ou armateur non propriétaire. D’autre part, le droit
maritime confère au créancier privilégié un véritable droit de suite, en lui donnant,
pendant un bref délai le droit de saisir le navire dans les mains de l'acquéreur.
Il convient de noter que le droit commun des voies d'exécution connaît deux grandes
catégories de saisies : les saisies conservatoires et les saisies exécution. Les
premières à proprement parler ne sont pas des voies d'exécution, mais plutôt des
moyens de contrainte. Seules les secondes sont véritablement des voies d'exécution
comme leur nom l'indique. En droit maritime, il existe ces deux types de saisies : en
anglais "arrest" et "attachement".
La saisie-exécution en droit maritime est très proche de celle du droit commun, en ce
que cette dernière a un seul objet – la vente forcée du navire et l'affectation de son
prix aux créanciers. En réalité, très peu de saisies conservatoires se terminent par une
saisie exécution. La saisie exécution est un acte grave puisqu'elle aboutit à
déposséder le propriétaire de son navire. Encore faut-il mentionner que la saisie
exécution n'est régie par aucune Convention internationale et seules les dispositions
du droit national – du lieu où la saisie a été effectuée, sont applicables.
La saisie conservatoire des navires
Année universitaire 2010-2011
9
La saisie conservatoire, quant à elle, a pour but principal en droit commun de
protéger le droit de gage général du créancier, préparant la saisie-exécution du bien
auquel elle s'applique. En droit maritime, la saisie conservatoire est largement
ouverte aux créanciers de l'armateur. Elle peut aboutir à la vente judiciaire du navire
et à l'attribution du prix de vente au créancier saisissant. Le plus souvent, elle
représente un simple moyen de pression exercé par le créancier pour obtenir le
paiement des sommes qui lui sont dues. L'immobilisation qui résulte de la saisie est
très préjudiciable à l'armateur. Ce dernier est, en effet, privé des bénéfices
d'exploitation du navire alors que ses coûts continuent à courir, à hauteur de plusieurs
dizaines de milliers d'euros par jour. La saisie conservatoire est "un formidable
moyen de pression sur l'armateur débiteur puisqu'elle paralyse son outil
d'exploitation"3
.
Aussi faut-il souligner la fréquence du recours à la saisie conservatoire du navire :
elle est notamment systématiquement pratiquée à la suite d'un abordage. Ce trait
traduit l'esprit même du droit maritime.
Afin de délimiter le régime applicable à la saisie, il convient de distinguer tout
d'abord cette dernière des autres immobilisations, qui sont des procédures
exceptionnelles et auxquelles s'appliquent des règles différentes.
A la différence des saisies classiques de navires, l'immobilisation forcée se conçoit
comme une mesure de puissance publique, prise dans le cadre des missions de
souveraineté et de police d'un Etat, face à un bâtiment qui constitue un danger pour la
sécurité de la navigation ou pour l'ordre public en mer et dans les ports4
. L'Etat
agissant jure imperii prend, conformément au droit interne ou au droit international,
la décision d'immobiliser d'autorité le bâtiment, sans passer par les voies judiciaires.
Plusieurs textes nationaux et internationaux permettent le recours à cette mesure5
. La
Convention de Montego Bay de 1982 précise que si l'Etat côtier prend toute mesure
dans l'exercice de ses droits souverains, y compris la saisie, pour assurer le respect de
3
VIALARD Antoine, Droit maritime, PUF, 1997, n°365, page 311
4
Rapport présenté par le professeur E. du Pontavice et P. Simon au Colloque de l'AFDM sur L'immobilisation
forcée des navires, Bordeaux 1988, publié par PU Bordeaux, 1990
5
En cas d'infraction à la législation douanière, C. douanes, art. 322 bis, 323 et 324-I-a ; en cas de non-respect des
ordres des officiers de port, ou pour les besoins de protection du domaine public portuaire, C. ports mar., livre III
; En matière de prévention de pollutions et de protection de l'environnement marin, L. n° 83-587, 5 juillet 1983,
portant mise en œuvre du Mémorandum de Paris, et directive communautaire 95/21/CE du Conseil, 19 juin 1995,
art. 9-2, et portant communautarisation de ce Mémorandum, Convention MARPOL 1978/1973, art. 2, convention
de Montego Bay du 10 décembre 1982 sur le droit de la mer
La saisie conservatoire des navires
Année universitaire 2010-2011
10
ses lois et règlements conformes à la Convention, il est tenu de procéder à une
"prompte mainlevée" de celle-ci pour le navire, et à la "prompte libération de
l'équipage" dès qu'une caution ou garantie suffisante a été versée (art. 73). Il s'agit
d'une immobilisation, mesure de puissance publique, qui se distingue de la saisie
judiciaire du navire.
Le premier texte qui fait référence explicitement à la saisie conservatoire est le Code
de commerce de 1808 qui interdisait de saisir le navire prêt à faire voile (art.215).
C'était une règle nouvelle, l'Ordonnance de 1681 ne connaissant que la règle suivant
laquelle "les intéressés du navire" pouvaient, moyennant une caution, faire lever la
saisie pratiquée sur une portion du navire lorsqu'il était prêt à faire voile (art.18 du
Titre IV du Livre I).
La loi du 10 Juillet 1885 avait modifié une grande partie de ces textes, même si elle
s'est inspirée également des règles de la saisie immobilière. La question qui s'est
posée était celle de savoir si ces dispositions englobaient également l'exercice de la
saisie conservatoire dans la mesure où le Code de commerce ne donnait aucune
précision. La pratique a apporté une réponse en se basant sur la nature mobilière du
navire et en appliquant l'ancien article 417 du Code de Procédure Civile. D'après cet
article, le Président du Tribunal de commerce peut permettre d'assigner et de saisir
les effets mobiliers.
Les anciens articles 48 et suivants du Code de Procédure civile, repris par la loi du 12
novembre 1955, ont comblé ultérieurement ce vide législatif en établissant une
procédure générale de saisie conservatoire sur tous les meubles appartenant au
débiteur, y compris sur son navire.
Aujourd'hui, la saisie conservatoire du navire repose sur un droit dont se prévaut le
demandeur. Ce droit est une cause juridique particulière : "allégation d'un droit ou
d'une créance" selon la Convention de Bruxelles du 10 Mai 1952 sur l'unification de
certaines règles sur la saisie des navires de mer6
(art. 1 § 1) et créance paraissant
fondée en son principe en droit français (Loi du 9 Juillet 1991, article 67 ; Décret de
19677
, art. 29 ; Article L5114-22 du Code des Transports).
6
Loi du n°55-1475
7
Décret n°67-967 du 27 octobre 1967, portant statut des navires et autres bâtiments de mer
La saisie conservatoire des navires
Année universitaire 2010-2011
11
Le droit applicable en matière de saisie présente une double originalité. D'une part le
dualisme qui régit la matière de la saisie conservatoire du navire fait que deux
normes juridiques entrent en concurrence (le droit interne et le droit international)
lorsque le litige relatif à la saisie comporte un élément d'extranéité. D'autre part, au
niveau procédural, c'est une procédure unique qui s'applique à la saisie internationale
comme à la saisie de la loi de 1967, le législateur international renvoie aux lois
nationales.
Lorsque la saisie trouve son fondement dans le droit international, c'est la
Convention internationale pour l`unification de certaines règles sur la saisie
conservatoire des navires de mer faite à Bruxelles le 10 Mai 1952. Elle a été mise au
point par le Comite Maritime International dans le but d`uniformiser les législations
internationales en la matière8
. La France a signé et ratifié cette Convention9
,
l'application de celle-ci s'impose donc aux tribunaux français.
S'agissant du régime de droit interne applicable, les textes en vigueur sont
actuellement le Décret de 1967, précité ci-dessus, pris pour l'application de la loi du
3 janvier 196710
portant statut des navires et autres bâtiments de mer et le Code des
Transports (article L 5114-20 et suivants11
). La cinquième partie du Code, intitulée
“Transports et Navigation Maritimes” traite du secteur maritime et contient des
dispositions relatives à la saisie conservatoire et la saisie exécution des navires.
Toutefois, il convient de noter que la loi de ratification du Code des Transports n'est
pas encore intervenue, et le texte du Code possède un caractère administratif. C'est la
loi du 3 janvier 1967 qui s'applique en droit français.
En droit commun, la règlementation des voies d'exécution a été bouleversée par la loi
du 9 juillet 199112
portant réforme des procédures civiles d'exécution et son décret
d'application n° 92-755 du 31 juillet 1992. Par rapport au caractère sommaire des
8
Berlingieri F., The ‘Travaux préparatoires’ of the 1910 Collision Convention and of the 1952 Arrest
Convention, 234 : ‘At his meeting held in Antwerp on 19th
November 1952 the International Sub-Committee
appointed by the Bureau Permanent of the Comite Maritime International with the instructions to consider the
possibility of insuring uniformity in the area of arrest of ships, requested Mr. Leopold Dor to prepare a draft of an
international Convention on arrest of ships’).
9
Décret n°54-14, 4 janvier 1958 : J.O. 14 janvier 1958
10
Loi n°67-5
11
Crée par: Ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre 2010 - art. (V) ; Journal Officiel de la Republique Française
du 3 novembre 2010
12
Loi n°91-650 : J.O. 14 juillet 1991
La saisie conservatoire des navires
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12
textes de droit maritime, l'incidence de ces textes sur les saisies des navires s'avère
problématique.
D'une part, il y a une thèse qui préconise que les nouvelles règles ont un caractère
général et s'appliquent donc aux saisies de navires13
.
D'autre part, selon Monsieur Le Professeur Pierre Bonassies et Maître Scapel, une
telle thèse ne serait pas admise et les règles adoptées par la loi du 9 juillet 1991 ne
s'appliqueraient pas en matière maritime. En effet, le législateur énumère dans cette
loi avec précision la saisie de certains biens spécifiques, tels que les droits d'associés,
les valeurs mobilières et surtout les véhicules à moteur. Les navires n'y figurent pas.
En outre, la loi de 1991 n'a ni abrogé ni modifié les dispositions de l'article 70 de la
loi du 3 janvier 1967 énonçant que "la saisie des navires est régie par des dispositions
réglementaires particulières". Il faut donc conclure que seules s'appliquent en matière
de saisie des navires les dispositions de la loi du 3 janvier 1967 et celles du décret du
27 octobre 1967. Force est de constater que la jurisprudence tranche en ce sens14
.
Toutefois, la Cour de Cassation15
s'est réservée le droit de compléter, si nécessaire,
les dispositions insuffisantes des textes de 1967, mais ce, sans poser un principe
général de complémentarité.
En matière internationale, comme il a déjà été précisé, c'est la Convention de
Bruxelles qui s'applique. Elle connaît un succès sur le plan international et obtient la
ratification de la majorité des Etats maritimes (Allemagne, Grèce, Egypte, Italie,
Espagne, Portugal, Grande Bretagne).
En effet, une nouvelle Convention internationale sur la saisie conservatoire des
navires, adoptée le 12 mars 1999 à Genève, est appelée à remplacer la Convention de
Bruxelles de 1952. Cependant, elle n'est pas encore entrée en vigueur et
n'interviendra pas avant plusieurs années. Cette nouvelle Convention n'innove pas en
nombreux points la Convention de 1952. On va aborder les principales différences
entre les deux textes internationaux au fur et à mesure du développement de cette
étude.
13
A. VIALARD, "Les Insaisissables : faut-il faire une croix sur la bannière étrangère?", DMF 1993
14
Dunkerque, 20 octobre 1993, DMF 1994 ; CA Rennes, 13 juillet 1993, JCP 1994, IV, p.5
15
Cass. 5 janvier 1999, navire Gure Maiden, DMF 1999
La saisie conservatoire des navires
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13
Au jour d'aujourd'hui, c'est la Convention de Bruxelles de 1952 qui s'applique dans
tous les Etats signataires.
Mais, malgré son intérêt, ce texte n'est ni suffisant, ni exclusif : par nature, la
procédure relève de la loi du juge saisi (art. 4 et 6, al.2). Force est d'admettre que la
Convention de Bruxelles laisse parfois resurgir la compétence des législations
nationales, soit parce qu'aucun des intérêts concernés par la saisie ne relève d'un Etat
contractant, soit parce que l'un d'entre eux relève d'un Etat qui n'a pas ratifié la
Convention. Il s'est avéré nécessaire pour la France d'adopter un texte spécifique
régissant la saisie conservatoire des navires. Le décret de 1967, précité, édicte des
règles spécifiques à la saisie en droit français de telle sorte que les textes précités ne
s'appliquent plus aux navires que dans le silence des textes nouveaux.
Il faut remarquer que le régime et l'esprit de la Convention diffère à maints égards de
notre loi interne. Même si le principe de primauté de l'ordre international est affirmé,
les incidents de frontière entre la convention et la loi ne sont pas rares. C'est la raison
pour laquelle il convient de s'interroger sur le domaine d'application respectif des
textes internes et internationaux.
En réalité, la Convention s'applique d'une part, lorsque, dans un rapport de droit
international, le navire bat pavillon d'un Etat contractant, et d'autre part, elle est
applicable dans certains cas aux navires battant pavillon d'un Etat non contractant.
Cette extension résulte de l'article 8, §2, selon lequel "un navire battant pavillon d'un
Etat non contractant peut être saisi dans l'un des Etats contractants, en vertu d'une des
créances énumérées à l'article 1er
, ou de toute autre créance permettant la saisie
d'après la loi de cet Etat".
En outre, faut-il s'interroger également sur l'objet même de la saisie. D'un côté, il y a
la Convention de 1952, qui se contente de mentionner des "navires de mer", alors
que, de l'autre, le Décret de 1967 qui s'intéresse "aux navires et bâtiments de mer".
Par conséquent, on peut considérer que sont exclus ainsi du domaine d'application de
la saisie conservatoire les bateaux de rivière, soumis à une réglementation
particulière, et des engins flottants, soumis au droit commun. Ce qui est important,
c'est la qualification de navire. Á partir du moment où le navire devient une épave, le
régime juridique de la saisie serait celui du droit commun de la saisie conservatoire
La saisie conservatoire des navires
Année universitaire 2010-2011
14
des meubles puisque ce dernier ne serait plus qualifié d'immeuble. Il peut être ainsi
question "d'un navire de commerce, de pêche, de plaisance, de navigation sportive ou
scientifique"16
.
Il est important d'évoquer que la saisie n'englobe ni la cargaison, ni les bagages des
passagers et de l'équipage; elle concerne au contraire tous les équipements et
appareils nécessaires à la navigation et à l'exploitation du navire.
Un autre compromis dans l'unification internationale des règles en matière de saisie
des navires devait être fait en ce qui concerne la créance maritime en vertu de
laquelle un navire peut être saisi.
A l'heure actuelle la plupart des navires sont contrôlés par des single ship companies
qui ne possèdent qu'un seul navire. Il reste cependant quelques armateurs qui ont
plusieurs navires à leur nom. Si ces navires battent pavillon d'un Etat qui n'est pas
partie à la Convention de 1952, il est possible de saisir le navire en application du
droit français. Ce dernier est basé sur le principe de la personnalité de la dette - le
créancier ne peut saisir un navire qui n'appartient pas à son débiteur ; quelles que
soient la nature de la créance et la qualité du bien saisi. La créance est gagée sur
l'ensemble du patrimoine du débiteur (il est fait exception quand le fournisseur a pu
croire légitimement que la commande lui était faite par le propriétaire du bâtiment17
).
D'autre part, puisque le créancier peut saisir l'ensemble du patrimoine du débiteur, la
saisie est possible aussi bien sur le navire qui est à l'origine de la créance, que sur les
autres navires appartenant à son débiteur.
En ce sens, encore faut-il mentionner dès à présent que la Convention de 1952 est le
résultat d'un compromis entre deux conceptions radicalement opposées en matière de
saisie : celle du droit anglo-saxon et celle du droit continental. A cet égard,
l'unification de la saisie conservatoire s'est faite difficilement, à cause des
divergences existantes entre les droit français et le droit anglais. Nous verrons que la
Convention de 1952 subordonne la saisie à des conditions moins strictes que le
décret de 1967 avant sa modification par le décret de 1971, mais plus strictes (sur la
notion de "créance maritime") que le décret de 1971 précité.
16
Du PONTAVICE (Emmanuel), Le statut des navires, n°304, Litec, 1976
17
Ch. Com., 22 février 1983, DMF 1984.332
La saisie conservatoire des navires
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15
En effet, il a été nécessaire d'articuler le droit international avec la loi française.
Même si le principe de primauté de l'ordre international est affirmé, les incidents de
frontière entre la Convention et la loi ne sont pas rares.
La Convention permet de saisir un navire à titre conservatoire afin d'obtenir garantie
d'une créance maritime "se rapportant" au navire. Elle confère ainsi une action
contre le navire, une action in rem, institution fondamentale du droit anglo-
saxon. Le droit français, ignorant la théorie du patrimoine d'affectation, ne permet
pas d'exercer un droit contre une chose mais seulement contre une personne (action
in personam).
La législation britannique diffère de celle du droit français en ce que sous l'empire de
cette dernière, un navire ne peut être saisi qu'en vertu d'une créance maritime, et
aucun navire, autre que celui auquel la créance se rapporte, ne peut être saisi en vertu
de cette créance, même s'il appartient au même propriétaire. Les pays de Common
Law sont marqués par l'action in rem. Cette théorie permet au titulaire d'"un
maritime lien", notion proche de celle de privilège, de "faire valoir ses droits
directement sur le navire, sans se préoccuper de la personne de son propriétaire"18
.
Le navire auquel la créance se rapporte est personnellement responsable de la dette.
Il s'agit alors de créer un patrimoine d'affectation en démarquant le navire du reste du
patrimoine du débiteur au bénéfice des seuls créanciers maritimes ayant un lien avec
ce dernier. Cette théorie va à l'encontre de l'unité et la conception personnaliste du
patrimoine19
, principe ancré dans le droit français. La Convention de Bruxelles n'est
cependant pas exclusivement inspirée par les principes du droit anglais puisqu'elle
fait également référence à la notion d'action in personam.
Nous verrons que les conditions d'octroi de la faculté donnée au titulaire d'une
créance maritime de saisir à titre conservatoire le navire auquel la créance se rapporte
sont très libérales car la seule "allégation" de créance maritime à l'encontre du
navire permet d'obtenir du juge des saisies une décision tendant à la saisie
conservatoire du navire. Cependant, une fois qu'il a fait procéder à la saisie
conservatoire, la Convention impose au titulaire de la créance maritime d'engager
une procédure "au fond" devant un juge qui statuera selon la lex fori, loi du for
18
REMOND-GOUILLOUD Martine, Droit maritime, n° 257, 2e
édition, Pedone, 1993
19
NAVARRE-LAROCHE Cécile, La saisie conservatoire des navires en droit français, Editions MOREUX
La saisie conservatoire des navires
Année universitaire 2010-2011
16
ayant autorisé la saisie. Cependant, les règles de Bruxelles de 1952 ne précisent pas
les moyens que doit soulever le créancier saisissant.
On est amené à se poser la question si le saisissant doit demander aux juges du fond
de se prononcer sur le bien fondé de la saisie conservatoire au regard de la seule
Convention de Bruxelles et ainsi de bien vouloir confirmer la décision du juge de la
saisie ou au contraire, s’il doit se référer à la loi du for afin d'établir que la saisie
conservatoire était bien justifiée?
La dualité du régime de la saisie conservatoire impose une étude comparative du
régime français et international. Ce dualisme du système juridique suscite une
attention particulière puisqu'en matière de saisie conservatoire des navires, deux
normes entrent en concurrence – ce qui fait du régime juridique de la saisie un
régime original.
D'une part, il y a la Convention de Bruxelles de 1952 et, d'autre part, le droit interne
de chaque Etat signataire de la Convention. Dans la présente étude, nous
présenterons la problématique de la délimitation du champ d'application respectif de
chaque norme afin d'envisager leurs conditions de mise en œuvre selon le fondement
invoqué par le créancier saisissant.
Selon le fondement de la saisie (la loi de 1967 ou la Convention de 1952) les
conditions d'exercice de cette dernière diffèrent. En ce sens, il convient de se
demander quel est le droit applicable à la saisie d'un navire ainsi que quelles sont les
conditions préalables afin que le créancier puisse saisir le navire de son débiteur. Le
mémoire va traiter également de la problématique des effets de la saisie sur le plan
procédural et entre les parties.
Il convient d`invoquer successivement les conditions d'exercice de la saisie
conservatoire selon qu'elle se fonde sur la loi de 1967 ou sur la Convention de 1952
(PARTIE I) ainsi que les moyens mis à la disposition du créancier d'agir contre le
débiteur insolvable (PARTIE II).
La saisie conservatoire des navires
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17
PARTIE I
LA SAISIE CONSERVATOIRE DES NAVIRES : UNE VOIE
D'EXECUTION CONDITIONNEE
Afin de pouvoir saisir un navire, il convient en amont de s'intéresser au droit
permettant l'exercice d'une telle procédure. Les conditions d'exercice de la saisie
conservatoire doivent être analysées d'une part par rapport à l'Etat du pavillon
(Chapitre I) et d'autre part, quant à la nature de la créance et le navire saisissable
(Chapitre II).
CHAPITRE I : CONDITIONS TENANT A L'ETAT DU PAVILLON
Le pavillon du navire est l'élément déterminant de l'application de la Convention de
Bruxelles. La subdivision entre navires battant pavillon d'un Etat contractant et
navires ne battant pas pavillon d'un Etat contractant est une distinction propre à la
Convention de 1952.
Par conséquent, il s'agit d'invoquer les conditions d'exercice de la saisie
conservatoire, qui diffèrent selon qu'il s'agisse d'un navire battant pavillon d'Etat
ayant ratifié la Convention de 1952 (§I) ou d’un navire qui ne bat pas pavillon d'un
tel Etat (§II).
§ I Le navire battant pavillon d'un Etat contractant
La Convention de 1952 s'applique exclusivement à la saisie des navires battant
pavillon d'un Etat contractant (A). Cependant, le principe d’application exclusive de
la Convention aux navires battant pavillon d’un des Etats signataires n’est pas absolu
puisque cette dernière prévoit des dérogations (B).
A. Le principe : application de la Convention de 1952
Tous les navires battant pavillon d'un Etat contractant de la Convention de 1952 sont
soumis à l'application de cette dernière, et ce, en vertu du principe de primauté du
droit international sur la loi interne (1). En outre, la Convention représente un
La saisie conservatoire des navires
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18
instrument d'unification primordial en matière de saisie conservatoire entre les
législations nationales des Etats (2).
1. Affirmation de la primauté du droit international sur le droit
interne
Le dualisme qui régit la matière de la saisie conservatoire du navire suscite des
interrogations quant à l'application du droit applicable lorsque le litige relatif à la
saisie comporte un élément d'extranéité.
D'une part, l’article 55 de la Constitution française reconnaît la primauté du traité
international sur le droit interne en cas de conflit des deux normes juridiques. D'autre
part, l'article 8-1 de la Convention de 1952 énonce que les dispositions de la
Convention sont applicables dans tous les ports d'un Etat contractant, à tout navire
battant pavillon d'un Etat contractant. Dès lors, la Convention s'applique
impérativement lorsque les conditions sont remplies.
La jurisprudence20
affirme clairement le principe de la primauté du droit international
sur le droit interne : "la loi du 3 janvier 1967, modifiée par le décret du 27 octobre
1967, régit la matière de la saisie conservatoire en droit interne, mais l'autorité de la
convention internationale étant supérieure à celle de la loi interne, les dispositions
particulières du décret ne peuvent être valablement invoquées lorsque la convention
est applicable".
Il s'ensuit qu'un navire battant pavillon d'un Etat contractant ne peut être saisi que sur
le seul fondement de la Convention de 1952. La Convention s'applique
exclusivement à la saisie en France d'un navire battant pavillon d'un Etat contractant.
Ainsi, un navire grec ne peut être saisi en France que sur le fondement de la
Convention de 1952, la Grèce ayant adhéré à la Convention. Encore faut-il souligner
que les armateurs grecs se trouvent protégés par la Convention du fait que celle-ci
restreint le droit de saisir le navire aux seuls créanciers titulaires d'une "créance
maritime".
20
C.A. Rouen, 15 Avril 1982, Navire GME-Atlantico, DMF 1982, p.744
La saisie conservatoire des navires
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19
2. La Convention de 1952 – instrument d'uniformisation de
l'exercice de la saisie conservatoire
Par son application automatique dans les Etats signataires, la Convention permet par
conséquent de soumettre le créancier aux mêmes règles dans chaque Etat signataire
et d'uniformiser l'exercice de la saisie comme moyen de pression de la part du
créancier en offrant les mêmes droits et obligations à tout créancier saisissant.
Apres avoir envisagé le principe de l'application exclusive de la Convention de 1952,
il convient de mentionner les cas d'exclusion prévus par le texte même de la
Convention.
B. Les limites prévues par les articles 2 et 8 de la Convention
La Convention de Bruxelles prévoit dans les articles 8 (1) et 2 (2) des cas d'exclusion
de son application. Il s'agit d'envisager les hypothèses dans lesquelles la Convention
ne s'applique pas même si le navire bat pavillon d'un Etat contractant.
1. L’article 8 de la Convention
D'une part, la Convention de Bruxelles abandonne à la loi interne de l'Etat
contractant la saisie d'un navire battant pavillon de cet Etat par une personne
résidant, ou ayant son principal établissement dans cet Etat (art.8-4°) : la loi française
est donc seule compétente pour connaître des saisies pratiquées par des résidents
français sur un navire français. Il ressort de cet article, trois éléments à prendre en
considération :
- le lieu de la saisie ;
- la nationalité du navire ;
- et la résidence ou le principal établissement du créancier saisissant.
Si les trois éléments appartiennent au même Etat contractant, c'est la loi de cet Etat
qui va s'appliquer. Un élément d'extranéité est requis pour que la Convention trouve
à s'appliquer.
D'autre part, l’article 8-3 de la Convention prévoit que "chaque Etat contractant peut
refuser tout ou partie des avantages de la Convention à tout Etat non contractant et à
La saisie conservatoire des navires
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20
toute personne qui n'a pas, au jour de la saisie, sa résidence habituelle ou son
principal établissement dans un Etat contractant". D'une part, ce texte peut être
interprété de manière restrictive – si un navire battant pavillon d'un Etat contractant
est saisi dans un Etat contractant, la Convention pourrait être appliquée (art.8-1),
mais si le requérant n'a pas sa résidence habituelle ou son principal établissement
dans un Etat contractant, tout ou partie des avantages de la Convention pourrait lui
être refusé. D'autre part, si une interprétation large s'impose, la Convention ne pourra
pas s'appliquer. Selon le Doyen Rodière21
"entre deux interprétations de la
convention internationale, l'une conduisant à réduire son domaine d'application,
l'autre conduisant à lui donner toute son ampleur, il faut systématiquement choisir
l'interprétation la plus large".
Encore faut-il préciser que, selon article 8-5, même si le créancier ne peut pas se
prévaloir d'une résidence habituelle ou d'un établissement principal dans un Etat
contractant, il ne peut se voir refuser l'application de la convention par l'effet d'"une
subrogation, d'une cession ou autrement", lorsque le cédant ou le subrogeant a sa
résidence habituelle ou son principal établissement dans un Etat contractant.
2. L'article 2 de la Convention
Le droit interne à chaque Etat trouve à s’appliquer lorsqu’il existe des impératifs de
sécurité et d’ordre public. Selon l’article 2 de la Convention, "rien dans les
dispositions de la présente Convention ne pourra être considéré comme une
extension ou une restriction des droits et pouvoirs que les Etats, Autorités publiques
ou Autorités portuaires tiennent de leur loi interne ou de leurs règlements, de saisir,
détenir ou autrement empêcher un navire de prendre la mer dans leur ressort".
L’application de principe de la Convention est donc limitée par le respect des règles
de sécurité et d’ordre public propres à chaque Etat contractant où est pratiquée la
saisie. Les autorités publiques ou portuaires peuvent saisir un navire, même si aucune
créance maritime ne peut être invoquée, s'il y a violation des impératifs de santé ou
des règles de sécurité de la navigation, d'une non-conformité avec les règles et
règlements relatifs à la pollution ou encore s'il y a contrebande (Art. 324 (1) (a), 326,
378 et 414 du Code des Douanes).
21
RODIERE, Traité général de droit maritime, Introduction, n°5 et 30 et s. DALLOZ, 1976
La saisie conservatoire des navires
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21
Le problème posé par la saisie d'un navire battant pavillon d'un Etat non contractant
est plus complexe et mérite notre attention.
§II Le navire ne battant pas pavillon d'un Etat contractant :
application de l`article 8-2 de la Convention
L'article 8-2 de la Convention énonce qu'un navire ne battant pas pavillon d'un Etat
contractant peut être saisi dans un Etat contractant soit en vertu de l'une des créances
énumérées à l'article 1er
de son texte (créances maritimes), soit en vertu de toute autre
créance permettant la saisie d'après la loi de cet Etat. Ainsi, pour un tel navire, une
saisie conservatoire peut néanmoins être faite en France, si la créance paraît fondée
en son principe. Cet article donne lieu à différentes interprétations de la doctrine (A),
ainsi que de la jurisprudence de la Cour de Cassation (B).
A. Une divergence doctrinale quant à la portée de l’article 8-2
Force est d'admettre que de l'interprétation de cet article découle l'étendue du
domaine d'application de la Convention aux navires ne battant pas pavillon d'un Etat
contractant.
La doctrine est partagée entre deux théories.
D'une part, certains auteurs22
soutiennent la thèse selon laquelle un choix entre la
Convention et la loi du for peut être effectué, ce qui restreint considérablement le
domaine d'application de la Convention. Ils considèrent que selon l’article 8-2, le
créancier saisissant qui souhaite saisir un navire battant pavillon d'un Etat non
contractant dans l'un des Etats contractants, dispose d'un choix :
- soit il se fonde sur la Convention et invoque une créance maritime parmi
celles énumérées à l'article 1er
;
- soit il décide de saisir le navire en invoquant "toute autre créance
permettant la saisie d'après la loi de cet Etat", en se fondant sur la loi de
l'Etat visé.
D'autre part, il y a la théorie selon laquelle la Convention s'applique de manière
générale aux navires battant pavillon d'un Etat non contractant – le créancier pourrait
22
RIPERT Georges, Conférence de CMI à Naples, Bull. n°105 ; Patrick PESTEL-DEBORD et Philippe GARO,
La saisie conservatoire de navires, Pratic Export, 1994, p.7 ; VIALARD Antoine, Droit maritime, n°366, PUF,
1997
La saisie conservatoire des navires
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22
se prévaloir de la Convention de 1952 en se fondant sur une créance permise d'après
la loi interne de cet Etat. Selon cette deuxième interprétation, le domaine
d'application de la Convention se trouve élargi.
Maître Christian Scapel et Monsieur le Professeur Pierre Bonassies23
se sont
prononcés sur ce sujet et soutiennent la théorie selon laquelle la Convention
s'applique de manière générale à la saisie d'un navire d'un Etat non contractant, avec
référence complémentaire et partielle aux causes de saisie de la loi du for. En effet,
selon eux, si la thèse opposée est retenue, et la saisie d'un navire d'un Etat non
contractant est soumise à la loi du for, il existe le risque de favoriser les navires des
Etats non contractants – surtout les navires affrétés, saisissables sous le régime de la
Convention mais qui ne le sont pas sous de nombreux régimes nationaux. Les
rédacteurs de la Convention n'ont pas voulu, lors de la rédaction, conférer cet
avantage aux navires des Etats non contractants24
.
Les divergences doctrinales ont laissé des traces au sein même de la jurisprudence
concernant l'interprétation de l'article 8-2.
B. Une jurisprudence incertaine
La Cour de Cassation s'est prononcée à plusieurs reprises à propos de l'interprétation
de l'article 8-2. Le débat doctrinal s'est produit au sein même de la Cour de Cassation
où deux interprétations ont été envisageables : la thèse du rejet d'application de la
Convention25
et la théorie selon laquelle la Convention s'applique26
.
Elle a jugé tout d'abord que pour un navire ne battant pas pavillon d'un Etat
contractant, une saisie conservatoire peut néanmoins être faite en France, si la
créance paraît fondée en son principe27
. Ainsi, la Cour a rejeté le pourvoi contre un
arrêt de la Cour d'Appel d'Aix-en-Provence du 22 mai 1997 en statuant que :"Un
armement dont le navire venait d'être saisi garantissant la vente d'un autre navire. Il
était donc débiteur de l'obligation de garantir l'acquéreur contre les défauts de
conformité du navire vendu. Le navire saisi battant pavillon de la Colombie, Etat non
23
Pierre BONASSIES, Christian SCAPEL, Traité de Droit Maritime, 2e édition p.409
24
Pierre BONASSIES, Le droit positif français en 1997, DMF 1998, Hors série n°2, p.46, n°62 ; F. Berlingieri,
Arrest of ships, 3éd., 2000
25
Cass Com, 28 octobre 1999, navire Mediterranea, DMF 2000, p. 709
26
Cass Com, 30 octobre 2000, navire Sargasso, DMF 2000, p.1012
27
C. Cass., 26 octobre 1999, DMF 1997. 692, obs. Delebecque
La saisie conservatoire des navires
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23
partie à la Convention de Bruxelles, pouvait donc être saisi en France par application
de l'article 8-2".
Après avoir déterminé le droit applicable, on serait amené à se demander quelles sont
les conditions à remplir pour qu'une saisie conservatoire puisse être effectuée.
CHAPITRE II : LES CONDITIONS TENANT A LA NATURE DE LA
CREANCE ET LE NAVIRE
L’objet de la saisie doit être considéré en fonction de la créance qui la fonde (§1)
ainsi qu’en fonction de la saisissabilité du navire (§2).
§I LES CARACTERES DE LA CREANCE AUTORISANT LA
SAISIE
Les caractères propres de la créance et les circonstances dans lesquelles celle-ci peut
être invoquée à l’appui d’une demande de saisie conservatoire diffèrent selon qu’il
s’agisse du droit interne ou du droit international.
Voie d'exécution, la saisie conservatoire du navire repose sur un droit dont se prévaut
le demandeur. Ce droit est une cause juridique particulière : "allégation d'un droit ou
d'une créance" selon la Convention de Bruxelles (art.1er
§ 1) et "une créance
paraissant fondée en son principe" en droit français (Loi du 9 juillet 1991, art.67 ;
Décret du 27 octobre 1967, art. 29 ; L 5114-22 du Code des Transports).
Il convient d’envisager, d’une part, les conditions posées quant à la nature de la
créance par la Convention de 1952 (A) afin de s’intéresser aux critères exigés par la
loi française (B).
A. Une créance « maritime » requise par la Convention de 1952
Lorsque la saisie trouve son fondement dans la Convention de 1952, le créancier doit
se prévaloir d'une créance maritime figurant dans la liste de l'article 1er
de cette
dernière (1). Celle-ci présente un caractère unilatéral (2).
1. Liste exhaustive de l`article 1 de la Convention
La saisie conservatoire des navires
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24
Force est d’admettre que les conditions d’exercice de la saisie de la Convention de
1952 sont à la fois plus restrictives et plus larges que celles de la loi de 1967. Le
texte de la Convention limite la saisie aux seules « créances maritimes ». En ce sens,
la Convention s’avère plus restrictive que la loi française, puisque cette dernière,
comme nous le verrons, ouvre le droit à la saisie conservatoire à toute créance, peu
importe sa nature, à condition qu'elle soit fondée dans son principe.
a. La nécessité d'une créance de nature "maritime"
La Convention de 1952 réserve la faculté de saisir un navire à des créances ayant un
caractère « maritime », sans démontrer nécessairement l'urgence28
. L'"allégation de
créance maritime", critère suffisant et unique, permet au créancier de saisir le navire
de son débiteur sur le fondement de la Convention du 10 mai 1952. Ainsi, la Cour de
Rouen a décidé que "l'allégation d'une créance maritime suffit à elle seule à autoriser
la saisie du navire auquel la créance se rapporte."29
, et ceci, peu importe que cette
créance soit "partiellement maritime"30
.
Selon l’article 1er
de la Convention, la notion de "créance maritime" signifie
l'allégation d'une créance ou d'un droit qui a une des causes énumérées de la lettre a)
à la lettre q). En effet, la Convention donne une énumération exhaustive et limitative
de ce qui doit être considéré comme rentrant dans la catégorie de créances
maritimes : les créances nées d’un abordage, de dommages corporels provenant de
l’exploitation d’un navire, d'avaries communes, de contrats d`affrètement, de
transport et c.
La règle est affirmée par article 2 qui prévoit : “un navire battant pavillon de l’un des
Etats contractants ne pourra être saisi dans le ressort d’un Etat contractant qu’en
vertu d`une créance maritime, le texte anglais ajoute “but in respect of no other
claim” – ce qui renforce la règle. Une chose est sûre : il suffit que la créance figure
sur la liste, le juge n’a pas a vérifier après que la créance est certaine et sérieuse31
.
28
Cass, 1ere Civ., 18 novembre 1986, navire Atlantic Triton
29
CA Rouen, 12 juin 1992, 2e
ch. Civile, navire Roman et navire Maïpo, DMF 1993, p.752
30
Cass Com, 3 février 1998, navire Vendredi 13 ; T.Com. Marseille, ord. Réf., 4 juin 2003, navire Peljasper
31
Com. 26 mai 1987, DMF 87, 645
La saisie conservatoire des navires
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25
Il est intéressant de noter que des débats se sont manifestés lors des travaux
préparatoires de la Convention de 195232
quant à la détermination de la nature de la
créance autorisant la saisie. Les deux conceptions Anglo-Saxonne et Continentale
s'affrontaient, à savoir : selon la loi britannique, une créance "maritime" était requise
afin d'effectuer la saisie, alors que les législations de la plupart des pays continentaux
autorisaient cette dernière peu importe la nature de la créance, maritime ou non
maritime. Un compromis a été adopté – la saisie est autorisée par la Convention en
vertu d'un certain nombre de "créances maritimes" énumérées par l’article 1er
, et en
même temps, conformément à la conception continentale, elle peut être effectuée sur
un navire autre que celui auquel la créance se rapporte et qui appartient au même
débiteur.
b. L'interprétation restrictive de l'article 1er
de la Convention par la
jurisprudence française
La liste des créances énumérées dans l'article 1er
de la Convention est d’interprétation
stricte. La jurisprudence française a confirmé le caractère restrictif de l'interprétation.
En effet, des décisions ont expressément statué en ce sens – à savoir qu'il convient
d'appliquer restrictivement l'article 1er
de la Convention de Bruxelles et d'exclure les
créances qui ne figureraient pas dans cet article. Dans cette lignée jurisprudentielle
s'inscrit la décision de la Cour d'Appel d'Aix en Provence33
où les juges ont retenu
que : "La convention doit être interprétée restrictivement, en ce qui concerne la
nature des créances susceptibles d'être considérées comme maritimes, l'affectation
des biens d'une société au paiement d'une créance ne saurait être assimilée à une
hypothèque … Si le législateur a entendu limiter dans un but de clarté et
d'application internationale, les cas où une créance devaient être considérée comme
maritime, il n'appartient pas au juge national lorsqu'il interprète une telle Convention,
d'étendre ces cas prévus".
Aussi longue que soit l'énumération des créances de l'article 1er
, elle ne couvre pas la
totalité des créances nées de l'exploitation du navire. Ainsi, se trouvent exclues les
créances trouvant leur justification dans le non paiement des primes d'assurances34
,
32
BERLINGIERI Francesco, Arrest of ships, p.48, Lloyd's of London Press, 1992
33
CA Aix-en-Provence, 26 octobre 2001
34
Trib. Com. Le Havre, 4 mars 1984, DMF 81, 740
La saisie conservatoire des navires
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26
les créances résultant d'un contrat de crédit-bail35
, les créances de location d'une
flotte de conteneurs à l'armement propriétaire des navires saisis36
, les créances de
prêt pour effectuer des réparations sur un navire37
, les créances nées de la vente d’un
bâtiment autre que celui faisant l’objet de la saisie38
et de manière générale les
créances non maritimes39
.
A titre d'exemple où les juges interprètent restrictivement la notion de créance
maritime, on peut citer la décision de la Cour d'Appel d'Aix en Provence40
rétractant
une ordonnance du Président du Tribunal de commerce de Saint-Tropez. Dans cette
affaire, une épouse en instance de divorce obtient la confirmation de la saisie
conservatoire du navire de plaisance battant pavillon belge et dont son mari est le
propriétaire, et ce, en garantie d'une importante créance de pension alimentaire d'un
montant de 763.000 euros. Pour la Cour d'Aix, une créance de pension alimentaire de
divorce n'est pas une créance maritime au sens de l'article 1er
de la Convention et la
saisie est levée.
En revanche, la jurisprudence réaffirme que sont des créances maritimes, les
créances salariales du capitaine, des officiers et de l'équipage, et que celles-ci
comprennent non seulement les salaires proprement dits, mais encore les primes et
les indemnités de rupture de contrats41
.
Il convient de mentionner que la Cour de Cassation a rendu une décision
d'interprétation extensive de la notion de créance maritime42
: les débours du
capitaine et ceux effectués par un consignataire pour le compte d'un navire ont le
caractère d'une créance maritime, dès lors que l'armateur est autorisé à saisir un
navire appartenant au consignataire, pour obtenir le remboursement d'un solde du
compte d'escale.
Concrètement, sont considérées comme bénéficiant d’une créance maritime deux
catégories de créanciers. La première comprend les créanciers titulaires d’un droit
35
CA Aix-en-Provence, 2e
ch. Civ., 20 avril 1990
36
CA Aix-en-Provence, 2e
Ch. Com, 30 Octobre 2002, navires Tablat et Tlemcen, DMF janvier 2003
37
CA Aix-en-Provence, 14 novembre 1996, navire Zamoura, DMF juin 1997
38
Rouen 15 avril 1982, DMF 82, 744
39
Rouen 9 fevrier 1984, DMF 85.156
40
CA Aix-en-Provence, 14 janvier 2005
41
CA Aix-en-Provence, 18e
ch., 13 avril 2004 ; Conseil de Prud'hommes Cannes, 13 mai 2004
42
Cass. Com., 10 mai 1989
La saisie conservatoire des navires
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27
réel sur le navire en cause (créances concernant la propriété ou la copropriété du
navire saisi, ainsi que toute hypothèque maritime ou mortgage43
).
La seconde catégorie de créanciers autorise à saisir conservatoirement un navire, ce
sont ceux dont le titre est né de l’exploitation ou de l’usage du navire.
En tout état de cause, la créance est toujours liée au navire saisi, elle en est
l'accessoire en ce sens qu'elle est soit incorporée au navire, soit produite par lui, soit
affectée à son service.
2. Le caractère unilatéral de la notion de « créance maritime »
La créance maritime présente un caractère unilatéral. Dans un contrat d’affrètement,
la créance que l’affréteur a contre l’armateur, pesant d’abord sur le navire, est une
créance maritime qui donne a l`affréteur le droit de saisir le navire dudit armateur.
Selon Monsieur le Professeur Pierre Bonassies et Monsieur Scapel, la créance de
l’armateur contre l’affréteur n’est pas une créance privilégiée – l’armateur dans ce
cas ne peut saisir un navire « tiers » qui appartient à son débiteur.
En conclusion, il est intéressant de noter que la nouvelle Convention de 1999
n'innove pas en la matière, puisqu'elle reprend le même système de liste a priori
limitative dans son article 1er
. Comme le texte de 1952, elle s’avère protectrice de la
liberté du commerce maritime, en limitant le droit d`exercer une saisie conservatoire
aux seuls créanciers titulaires d`une créance maritime, « à l’exclusion de toute autre
créance » (art.2, al.2). Cependant, elle crée, en plus des créances mentionnées, de
nouvelles catégories de "créances maritimes". Cette notion se trouve élargie puisque
la Convention crée de nouvelles catégories de créances, essentiellement inspirées par
de préoccupations environnementales (art.1er
§ 1c ; art.1er
§ 1d). A titre d`exemple,
on peut citer la créance pour assistance, qui s’étend a la créance pour indemnité
spéciale, en cas d’assistance à un pétrolier, tandis que la nature de créance maritime
des créances de salaire s’entend aux créances de cotisations d’assurance sociale. Il
faut noter que ces solutions avaient été déjà adoptées par certains tribunaux
nationaux, dont les juges français, comme nous le verrons par la suite (B).
43
Aix-en-Provence, 12 juin 2008, navire Ocean Breeze, DMF 2009.150
La saisie conservatoire des navires
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28
B. « Une créance paraissant fondée dans son principe », exigée par la loi
française
Plus large que le texte international, la loi française permet la saisie pour toute espèce
de créance, et alors même qu'elle tiendrait à une activité non maritime du propriétaire
du navire. La seule exigence que pose la loi française est que la créance paraisse
justifiée dans son principe. Les juges se livrent à un examen au cas par cas afin de
déterminer le sérieux de la créance (1).
En outre, le créancier n'a pas à démontrer l'urgence de la créance (2).
1. « Créance paraissant fondée en son principe » : une notion difficile à
cerner
La notion de "créance paraissant fondée dans son principe" est difficile à préciser. Il
appartient aux tribunaux de déterminer au cas par cas si les droits du créancier
paraissent avoir un fondement suffisant.
Quand la saisie conservatoire générale a été introduite, la loi du 12 décembre 1955 a
spécifié que le juge l'autoriserait si le créancier justifiait "d'une créance paraissant
fondée en son principe"44
.
Toutefois, la position prise en 1955 s'est révélée insuffisamment protectrice des
droits d'armement. Un navire étant un instrument de travail valant très cher, les
auteurs de la loi du 3 janvier 1967 ont considéré que la notion de "créance fondée en
son principe" était trop vague et pouvait autoriser des saisies abusives. L’article 29
du décret du 27 octobre 1967 exigeait du créancier qu'il démontre "une créance
certaine". Cette règle a été assouplie par un décret du 24 février 1971. Selon le
nouveau texte de la loi de 1967, la saisie conservatoire est ouverte à tout créancier
justifiant "d'une créance paraissant fondée dans son principe".
Par conséquent, les juges doivent procéder à une appréciation souveraine et un
examen de la créance afin de s'assurer qu'elle est sérieuse et que le principe en est
certain45
.
44
Article 48 du Code de procédure civile ancien ; Article 29 du Décret du 27 Octobre 1967
45
Trib. Com. Cannes 8 Juillet 1983 ; Rouen 1er
Juillet 1985
La saisie conservatoire des navires
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29
Dans la pratique, il apparaît que les tribunaux accordent assez largement le droit
d'exercer une saisie conservatoire46
si la créance leur parait assez sérieuse. Ainsi, la
Cour d'Appel d'Aix-en-Provence47
a jugé que la créance d'un chantier impayé par un
armateur pour des réparations réalisées sur le navire est une créance paraissant
fondée en son principe.
En revanche, la pratique jurisprudentielle révèle des cas où les juges ont refusé cette
qualification48
et notamment lorsque la créance leur apparaissait "douteuse et
insuffisamment fondée en son principe"49
.
2. La certitude : l'urgence de la créance n'est pas requise
A la différence de mesures conservatoires de droit commun, aucune condition
d'urgence ou de risque de non-recouvrement de la créance n'est requise pour
l'exercice d'une saisie conservatoire de navire. Le droit commun exige en effet que le
créancier démontre des "circonstances susceptibles de menacer le recouvrement" de
la créance (art. 67 de la loi du 9 juillet 1991).
En revanche, pour la créance paraissant "fondée en son principe" aucune condition
d'urgence ou de risque de non-recouvrement de la créance n'est requise pour
l'exercice d'une saisie conservatoire50
.
La preuve de la créance n'est pas suffisante. Le créancier, qui démontre une créance
maritime ou une créance "paraissant fondée en son principe" peut toutefois être
confronté au caractère insaisissable du navire. Ainsi faut-il s'intéresser aux navires
saisissables.
§ II CONDITIONS TENANT AU NAVIRE SAISISSABLE
Pour qu'un navire puisse faire l'objet d'une saisie conservatoire, il faut qu’il soit
saisissable.
Il faut observer que certains navires ne peuvent être saisis car ils bénéficient de
l'insaisissabilité – véritable privilège d'exécution.
46
Rouen, 25 mai 1973, Scapel 1973, 45 ; DMF 1974, 84
47
CA Aix-en-Provence, 28 novembre 1985, Navire Shangri-La, DMF 1986, p.94
48
Trib. Com. Rouen, 11 janvier 1991, Navire Noblesse, DMF 1992.58
49
CA Rennes, 30 Juillet 1975, Navire Pointe du Minou, DMF 1976, p.223
50
Cass. 18 nov. 1985, DMF 1987.696
La saisie conservatoire des navires
Année universitaire 2010-2011
30
Dans un premier temps, nous évoquerons les navires susceptibles de faire l'objet
d'une saisie (A) afin d'examiner dans un deuxième temps les navires qui ne sont pas
susceptibles d'être saisis ainsi que le principe d'insaisissabilité des navires dépendant
directement d'un Etat (B).
A. Les navires susceptibles de faire objet d'une saisie
Traditionnellement, en droit français, le législateur a voulu faciliter la liberté de
navigation. Par conséquent, les navires prêts à faire voile ne pouvaient faire l'objet
d'une saisie puisque leur immobilisation entraînait des pertes financières. L’article
215 du Code de Commerce interdisait la saisie des navires prêts à faire voile.
Cette règle a été écartée expressément par la Convention de 1952. Elle ne figure pas
non plus dans la loi de 1967. Désormais, la saisie des navires prêts à faire voile tend
à devenir la règle. Toutefois, étant donné l'importance des préjudices occasionnés par
cette saisie, le juge se livre à un contrôle en tenant compte de la valeur des intérêts en
jeu51
. Dans cette affaire, les juges de la Cour d'Appel d'Aix en Provence ont estimé
que la saisie pratiquée sciemment et sans nécessité un vendredi en fin de matinée, sur
un navire en partance et en charge de ses passagers et véhicules, dépassait la fin
légitime d'une saisie conservatoire et exerçait une pression quasi intolérable sur le
débiteur.
B. Les navires insaisissables
Selon l’article 15 de la loi du 9 juillet 1991 "les saisies peuvent porter sur tous les
biens appartenant au débiteur alors même qu'ils seraient détenus par des tiers". La
saisie du navire ne tient pas compte en principe de son affectation au commerce, à la
pêche, à la plaisance…Tous les navires sont saisissables dans les mêmes conditions.
Cependant, ce principe souffre d’exceptions.
Il convient alors d'envisager, d'une part, l'insaisissabilité de principe des navires
instruments de travail (1) afin d'invoquer l'insaisissabilité des navires dépendant de
l'Etat (2).
51
CA Aix-en-Provence, 10 mars 1987, DMF 1988
La saisie conservatoire des navires
Année universitaire 2010-2011
31
a. Exclusion de la saisie des navires instruments de travail :
insaisissabilité de principe
La loi52
protège efficacement les navires instruments de travail par une
insaisissabilité de principe, pour autant que sont réunies deux conditions : l'exercice
d'une activité professionnelle (le travail) et l'utilisation du navire allégué (l'instrument
nécessaire et indispensable à l'exercice de cette activité)53
. Le principe a été appliqué
par les tribunaux aux navires de pêche54
.
Ce principe subit des dérogations selon l’article 592-1, reprises par l’article 14-4 de
la loi du 9 juillet 1991. D'après cet article, les navires sont susceptibles d'être saisis
s'"ils se trouvent dans un lieu autre que celui où le saisi demeure ou travaille
habituellement" et s'"ils sont des biens de valeur, en raison notamment de leur
importance, de leur matière, de leur rareté, de leur ancienneté ou de leur caractère
luxueux". Cependant, il faut noter que cette circonstance reste sans effet si le navire
est l'unique instrument de travail de l'artisan que la loi protège (Montpellier, 19 oct.
1978, navire Phoebus, précité).
b. Exclusion de la saisie des navires bénéficiant d'une immunité
Conformément aux exigences de la Convention de Bruxelles du 10 avril 1926 sur
l'immunité des navires d'Etat55
, les navires d'Etat affectés exclusivement à une
activité gouvernementale et non commerciale ne sont pas saisissables, en vertu des
immunités de juridiction et d'exécution qu'on doit leur reconnaître. L'immunité
d'exécution interdit la saisie d'un navire appartenant audit Etat alors que l'immunité
de juridiction interdit d'obtenir sa condamnation par un juge français, si celle-ci est
ordonnée en France.
L'immunité d'exécution protège les navires, tant militaires que civils, appartenant à
l'Etat et aux personnes morales de droit public : collectivités territoriales,
établissements publics, hôpitaux publics, universités et instituts scientifiques. Afin de
bénéficier de l'immunité il faut que le navire soit en rapport avec l'Etat. Les règles du
52
Article 592 de l'ancien Code de procédure Civile, modifié par le décret du 24 Mars 1977, repris par l'article 39
du décret du 31 juillet 1992
53
Trib. Com. Marseille, 16 nov. 1990, DMF 1992, p.129
54
Montpellier, 19 oct. 1978, navire Phoebus, DMF 1979.336
55
Conv. Bruxelles, 10 avril 1926, sur l'immunité des navires d'Etat, entrée en vigueur le 8 janvier 1937et ratifiée
par la France le 27 juillet 1955
La saisie conservatoire des navires
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32
droit international public trouvent à s'appliquer. Cette immunité est écartée "quand le
bien saisi a été affecté à l'activité économique et commerciale relevant du droit privé
qui donne lieu à la demande en justice"56
. Ainsi, les navires d'Etat affectés à une
activité commerciale sont assimilés entièrement aux navires de commerce ordinaires
et ne bénéficient pas des immunités57
.
L'immunité de juridiction, quant à elle, ne se trouve dans aucune convention
internationale. En ce sens, la jurisprudence a dû développer les critères permettant la
mise en œuvre d'une telle immunité.
Encore faut-il mentionner qu'il existe la possibilité pour les parties à un contrat
maritime de prévoir par avance qu'elles n'auront pas recours à la saisie
conservatoire58
, que ce soit par une clause compromissoire ou indépendamment d'une
telle clause.
Une fois les conditions d'exercice d'une saisie conservatoire en droit français et en
droit international déterminées, il convient de s'intéresser à l'intérêt même que
présente la saisie d'un navire et les moyens mis à la disposition du créancier pour
obtenir rapidement le paiement de son dû.
PARTIE II
LA SAISIE CONSERVATOIRE DU NAVIRE : MOYEN DE
PRESSION EFFICACE CONTRE LE DEBITEUR
La saisie conservatoire constitue avant tout un moyen de pression efficace dont
dispose le créancier à l'encontre de son débiteur insolvable (Chapitre I). Elle
représente aussi un moyen d'immobiliser le navire rapidement dès que ce dernier
entre dans un port (Chapitre II).
56
Cass. 14 mars 1984
57
V. D. Guyot "Les immunités des navires d'Etat : les thèses en présence" DMF 1987
58
Cass 18 novembre 1986, DMF 1987.696
La saisie conservatoire des navires
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33
CHAPITRE I : LES MOYENS DU CREANCIER D'AGIR CONTRE LE
DEBITEUR INSOLVABLE
L’obligation est un lien entre deux personnes, et un créancier ne peut saisir que les
biens qui appartiennent à son débiteur59
. L’affréteur n’étant pas le propriétaire du
navire qu’il exploite, ses créanciers ne peuvent par conséquent le saisir. Selon le
Doyen Rodière « C’est bien entendu le navire du débiteur seul qu’on peut saisir …
l’affrètement d’un navire n’en fait pas la propriété de l’affréteur. Les créanciers de
l’affréteur n’ont donc aucun titre à le saisir »60
.
La Convention de 1952 déroge a cette règle en permettant de saisir le navire pour les
dettes d’un autre que le propriétaire. Force est d’admettre que le droit français est un
droit « personnaliste »61
puisqu’il privilégie la relation entre le créancier et son
débiteur. De l’autre côté, la Convention de 1952 est « réaliste » puisqu’elle crée un
lien direct entre le créancier et la chose indépendamment du propriétaire. Nous allons
traiter successivement l'action in personam lorsque le navire est la propriété du
débiteur du navire saisi (§ I) et l'action in rem dans les cas où le débiteur n'est pas le
propriétaire du navire en question ( §II ).
§I ACTION IN PERSONAM : "LE NAVIRE DEBITEUR" (LE
NAVIRE : PROPRIETE DU DEBITEUR)
Le créancier qui fonde sa saisie sur la loi de 1967 peut saisir tout navire appartenant
à son débiteur. La règle découle des principes généraux du droit commun, lesquels
font de chacun des éléments du patrimoine du débiteur le gage de ses créanciers
(article 2093 du Code Civil). Toutefois, il faut mentionner que des cas
problématiques apparaissent lorsqu'il s'agit d'une saisie d'un navire autre que celui
ayant fait l'objet de la créance ou lorsqu'il est difficile de déterminer si le navire
appartient au même débiteur.
Nous allons envisager d'une part la possibilité accordée par le droit français de saisir
les navires auxquels se rapporte la créance maritime (A) puis évoquer les cas de
saisie des navires autres que ceux auxquels la créance se rapporte (B).
59
Loi n° 91-650 du 9 juillet 1991, article 74 ; Cass. 1ere Ch Civ, 18 novembre 1997
60
R.Rodiere, Le navire, Paris, Dalloz, 1980, n° 189 et 200.
61
LOOTGIETER Sébastien, La saisie d`un navire affrété, DMF 716 Juillet-Aout 2010
La saisie conservatoire des navires
Année universitaire 2010-2011
34
A. La saisie d'un navire auquel se rapporte la créance
La question qui se pose est celle de savoir quand un requérant invoque une créance
présentant toutes les caractéristiques pour exercer une saisie, pourra-t-il saisir tout
navire de son débiteur? Deux hypothèses sont envisageables, selon qu’il s’agisse de
la loi française qui fonde la saisie ou de la Convention de 1952.
Si le créancier fonde la saisie sur la loi du 3 janvier 1967, il pourra alors saisir tout
navire appartenant à son débiteur (article 2093 C. Civil). En revanche, s'il appuie sa
demande sur la Convention de 1952, l’article 3 de ladite Convention62
prévoit qu'il
devra saisir "le navire auquel la créance se rapporte". Cette notion de "navire auquel
la créance se rapporte" a dû être précisée par la jurisprudence63
. En l'espèce, un
armateur créancier de son consignataire a voulu saisir le navire affrété en 1995 par ce
dernier, alors que les sommes en question concernaient les relations d'affaires en
1994. Sa demande a été rejetée.
En second lieu, il résulte des dispositions de l'article 3, al. 3 de la Convention que le
créancier ne pourra saisir qu'un seul navire. Toutefois, ce principe n'a pas un
caractère absolu. L'interdiction faite à un créancier de saisir plus d'un navire ne joue
pas pour les saisies effectuées dans un Etat qui n'est pas partie à la Convention64
. De
même, la Convention autorise le créancier à saisir non seulement le navire "auquel la
créance se rapporte", mais aussi "tout autre navire appartenant[…] au […]
propriétaire du navire auquel la créance se rapporte" : c'est-à-dire les "sister-ships"65
– un navire autre que celui générateur de la créance née de son exploitation, à
condition qu'il soit la propriété du débiteur. Il s'agit de la constitution de compagnies
d'armement dotées d'un seul navire.
Ainsi d'une manière indirecte, la Convention aboutit aux mêmes résultats que la loi
française : le créancier peut saisir tout navire appartenant à son débiteur.
Toutefois, il a paru injuste que ceux qui contrôlent la gestion d'un ensemble de
navires ne soient pas poursuivis sur l'un ou l'autre de ceux-ci sous prétexte qu'ils ont
62
Art.3 de la Convention : "Tout demandeur peut saisir soit le navire auquel la créance se rapporte, soit tout autre
navire appartenant à celui qui était au moment où est née la créance maritime, propriétaire du navire auquel une
créance se rapporte."
63
CA Rouen, 24 mai 1995, Navire Saint-Pierre
64
Ajaccio, 19 octobre 1999, Navire Islandbreeze
65
"Sister ship" signifie "deuxième navire identique au premier"
La saisie conservatoire des navires
Année universitaire 2010-2011
35
constitué des sociétés indépendantes. La doctrine et la jurisprudence ont établi une
théorie dite de "navires apparentés".
Ce qui nous amène à étudier la problématique de la saisie d'un navire autre que celui
auquel la créance se rapporte et la théorie des navires apparentés.
B. La saisie d'un navire autre que celui auquel la créance se rapporte –
les navires apparentés
Une fois admis le principe que le créancier maritime peut saisir tout navire
appartenant à son débiteur, le problème qui s'est posé était de savoir si, le débiteur
étant une société A, il n'était pas possible de saisir un navire appartenant à une
société A', étant donné que les deux sociétés A et A' avaient les mêmes actionnaires,
voire un seul et même actionnaire, ces sociétés constituant des "single ship
corporations" et les navires apparaissent comme des navires apparentés : appartenant
à des sociétés qui forment ensemble un groupe économique mais qui ont une
personnalité morale distincte l'une de l'autre.
1. L'élaboration de la "théorie de la communauté d'intérêts" par la
jurisprudence
La question qui se pose est de savoir quand est-ce que deux navires peuvent être
considérés comme ayant le même propriétaire?
Selon la Convention de 1952, les "navires seront réputés avoir le même propriétaire
lorsque toutes les parts de propriété appartiendront à une même ou aux mêmes
personnes" (art.3, al.2). Cette règle implique qu'une saisie conservatoire sur un navire
autre que celui auquel se rapporte la créance, ne peut être effectuée que si le débiteur
de la créance en est le propriétaire direct. En effet, il faut mentionner qu'il s'agit de
parts de propriété dans le navire et non pas d'actions dans la société qui est le
propriétaire du navire. Il ne suffit donc pas, pour que l'autre navire puisse être saisi,
que le débiteur soit actionnaire d'une société, qui à son tour est propriétaire d'un autre
navire, tout comme il ne suffit pas non plus que les sociétés concernées aient les
mêmes actionnaires. Cela explique le fait que beaucoup d'armateurs ont constitué,
pour chaque navire de leur flotte, une société différente et qu'ils ont ainsi créé une
structure de groupe dans laquelle chaque navire appartient à une "single ship
La saisie conservatoire des navires
Année universitaire 2010-2011
36
company" différente et où les sociétés-propriétaires affrètent leurs navires ou les
confèrent en gestion à d'autres sociétés du même groupe. Cette structure leur permet,
d'une part, de minimiser les impôts sur les revenus, mais aussi d'éviter qu'un navire
puisse être saisi pour les dettes d'un autre navire de leur flotte.
Les juges sont allés très loin dans l'application du texte de l'article 3 par. 2 de la
Convention puisqu'ils ont considéré qu'il devrait s'appliquer, d'une part, non
seulement aux armements constitués en copropriété, mais aussi aux armements
constitués en sociétés par actions et, d'autre part, alors même que le capital d'une
société A n'appartenait pas en totalité au détenteur du capital d'une société B, les
créanciers de la société A pouvaient saisir un navire de la société B dès qu'il existait
entre les deux sociétés une communauté d'intérêts, manifestée par une même adresse,
les mêmes références bancaires, administrateurs communs ou un autre indice.
La CA de Rennes66
utilise cette notion pour la première fois dans une affaire où les
créanciers de la société à laquelle appartenait le navire Brave Thémis ont effectué
une saisie conservatoire sur le navire Brave Mother, appartenant à une autre société.
Les juges n'ont pas autorisé la saisie même s'il s'agissait d'un petit nombre d'actions
de ces sociétés qui étaient la propriété de tiers, en concluant que les deux navires se
présentaient comme ayant été "la propriété de sociétés dont le patrimoine se trouve
uni, à travers les membres d'une même famille, par une communauté d'intérêts".
Dans le pourvoi, l'armateur du Brave Mother a reproché au juge d'appel d'avoir violé
les dispositions de l'article 3 de la Convention de 1952, lequel exige que toutes les
parts de propriété des navires en cause appartiennent à une même personne pour
autoriser la saisie d'un autre navire auquel la créance se rapporte. Donc, rejet du
moyen67
. Selon les juges de fond, le simple fait que les deux sociétés se trouvent unis
"à travers les membres d'une même famille par une communauté d'intérêts" suffit à
justifier la saisie du navire appartenant à l'une d'elles par les créanciers de l'autre.
Certains arrêts sont allés encore plus loin, considérant que la simple apparence d'une
communauté d'intérêts existant entre deux sociétés justifiait la saisie d'un navire
appartenant à l'une d'elles par les créanciers de l'autre68
.
66
CA Rennes, 21 juin 1989
67
Cour de Cassation, 12 février 1991
68
CA Rouen, 28 novembre 1991, navire Yumuri
La saisie conservatoire des navires
Année universitaire 2010-2011
37
A la suite du développement de la théorie de la communauté d'intérêts les créanciers
du monde entier ont voulu saisir en France, ce qui a donné lieu à un excès de saisies
de navires en France. Les tribunaux ont été amenés à durcir les critères.
La Cour de Cassation a mis un coup d'arrêt au principe de la communauté d'intérêts
et la saisie des navires apparentés dans les arrêts Osiris69
, Alexander III70
et Cast
Husky71
dans lesquels elle rappelait le principe d'autonomie du patrimoine et
imposait aux créanciers saisissants de rapporter la preuve de la fictivité des sociétés
X et Y, ce qui est extrêmement difficile à démontrer en pratique. La simple preuve de
la "communauté d'intérêts" ne suffit plus. La Cour exige désormais une volonté réelle
de fraude pour établir la fictivité72
.
2. La nécessité de démontrer la fictivité
La notion de « fictivité » permet de dépasser le stade des apparences pour apprécier
la réalité des liens existants entre les différentes sociétés. La société fictive "est le
produit d'une simulation, c'est-à-dire de la création, à l'intention des tiers, d'une
apparence (l'existence d'un contrat de société) non conforme à l'intention réelle des
parties, auxquelles la volonté de se mettre en société, et plus précisément l'affectio
societatis, font défaut"73
. Souvent, ces sociétés sont créées dans le but de faire échec
au principe de l'unité de patrimoine et constituent donc une fraude à la loi. Il faut
noter que la notion de fictivité ne figure pas dans les textes régissant la saisie. Lors
de la rédaction de la nouvelle Convention de Genève de 1999 la question s'est posée
de savoir s'il ne fallait pas donner un contenu précis de cette notion. Finalement le
texte ne contient aucune définition de la notion.
La Cour de Cassation approuve régulièrement, depuis un arrêt du 15 octobre 199174
,
le recours à la notion de société fictive. Le créancier ne peut pas obtenir la saisie sans
avoir démontré la réalité du lien de propriété existant entre les navires en cause, c'est-
à-dire entre le navire objet de la saisie et le navire auquel la créance se rapporte.
Alors on est amené à se demander quels sont les critères qui permettent de
caractériser cette fictivité?
69
Cour de Cassation, 15 novembre 1994
70
Cour de Cassation, 19 mars 1996
71
Cass Com, 15 nov. 1994, DMF 1995 ; Cass Com. 19 mars 1996 ; Cass Com. 21 janvier 1997
72
J-S. Rohart, "La saisie des navires apparentés – Suite et fin?", DMF 1994
73
Rouast-Bertier (Pascale), Société fictive et simulation, Rev. Soc. 1993
74
Com. 15 octobre 1991, navire Ore Stream, DMF 1992
La saisie conservatoire des navires
Année universitaire 2010-2011
38
A titre d'exemple, on peut citer l'arrêt Alexander III où les juges du fond ont conclu, à
partir de certains indices (siège commun, gestionnaire commun) que deux armements
dissimulaient la même entité économique. Pour la Cour de Cassation, une telle
motivation était impropre à caractériser la fictivité de la société propriétaire du
navire, comme à établir que celle-ci ne disposait pas d'un patrimoine propre, distinct
de celui de la société débitrice.
Dans une autre affaire, la Cour a jugé que le fait pour les sociétés propriétaires des
navires saisis d'être une filiale à 100% du vendeur ou affréteur coque nue de ses
navires et de ne pas justifier de la réalité du paiement de leur prix sont des motifs
impropres à caractériser leur fictivité et à établir qu'elles ne disposent pas d'un
patrimoine propre qui est distinct de celui de l'affréteur coque nue75
Aujourd'hui, la nécessité de démontrer la fictivité des sociétés rend quasiment
impossible la saisie d'un navire sur le fondement de la communauté d'intérêts. On
observe cependant quelques rares cas où le juge relève que les deux sociétés en cause
"étaient dans une dépendance financière telle qu'elles n'ont qu'un seul patrimoine et
forment une seule entité"76
.
Après avoir envisagé l'action dont dispose le créancier contre le débiteur, propriétaire
du navire, il convient de s'intéresser au cas où le navire n'est pas la propriété du
débiteur.
§ II L'ACTION IN REM : LES NAVIRES DU "DEBITEUR"
En droit commun, seuls les biens appartenant au débiteur peuvent être saisis, même
par une saisie conservatoire, parce qu'un créancier n'a pour gage que le patrimoine de
son débiteur.
En droit maritime, lorsqu'un navire est exploité par un armateur ou gérant non
propriétaire, les créanciers qui ont subi le dommage du fait de l'exploitation du
navire, ou qui ont porté assistance, bénéficient d'un privilège leur permettant
d'exercer sur le navire une saisie.
Il s'agit de savoir si le créancier peut saisir un navire qui n'appartient pas au débiteur
de l'obligation, situation très fréquente en raison de la dissociation de la propriété et
75
Cass Com, 15 oct 2002, navires Taganroga et Razna
76
Cour de Rouen, 14 septembre 2000
La saisie conservatoire des navires
Année universitaire 2010-2011
39
de l'exploitation du navire. Le droit français et le droit international diffèrent sur ce
point.
Le premier est gouverné par la conception personnaliste du patrimoine, le second
accepte le
principe d'une obligation de nature particulière, l'obligation in rem.
L'action in rem est l'action directement exercée sur une chose. Cette conception vise
le navire "débiteur" saisi de la dette d'un exploitant non propriétaire tel qu'un
affréteur. Ce navire est toujours saisissable sous réserve du droit de suite et de la
restriction tenant à la possibilité de l'exécution. En effet, l`action in rem se concentre
plus sur le navire auquel se rapporte la créance et non sur le lien de propriété existant
entre le navire et le débiteur.
Cette action vise souvent une tierce personne, soit parce que la créance est née sous
le chef de l’armateur, mais il n`est pas l’exploitant au moment de la saisie, soit parce
que le navire a été vendu au moment de la naissance de la créance. Nous étudierons
successivement le cas de la saisie d'un navire affrété (A) et celui du navire vendu (B).
A. LA SAISIE D'UN NAVIRE AFFRETE
Comme tout créancier, le créancier bénéficiaire d'un privilège maritime a le droit de
saisir le navire en tant que bien de son débiteur.
Toutefois, on est amené à se poser la question qu'en est-il de la saisie par le créancier
privilégié du navire qui n'est pas la propriété de son débiteur, dans le cas où le navire
est exploité par un affréteur ou un armateur non propriétaire.
La saisie du navire affrété dans ce cas diffère selon le fondement sur lequel elle sera
opérée : celui de la Convention de 1952 ou celui de la loi française de 1967.
Il est intéressant de mentionner qu'en ce domaine la plupart des systèmes juridiques
qui n'accordent la saisie qu'aux créances nées de l'exploitation d'un navire tendent à
en admettre la saisie même si ce navire est entré dans les mains d'un tiers. Il y a alors
la liaison entre la notion de "créance maritime" et celle de "maritime lien". C'est ce
qu'admet le droit anglais qui, en cas de location coque nue, admet les créanciers
La saisie conservatoire des navires
Année universitaire 2010-2011
40
ayant un maritime lien sur le navire, à le saisir entre les mains du fréteur qui en a
pourtant récupéré la possession77
.
Le droit allemand conduit à la même solution avec sa théorie des créanciers du
navire, encore qu'il ne soit pas explicite78
. On trouve une solution approchante dans
les systèmes qui ont plus ou moins imité la Convention de 1952 et qui, réduisant le
nombre des saisissants possibles, resserrent le lien entre la créance maritime et le
navire plus qu'avec le débiteur : ainsi, en Suède (art.275), en Grèce (art. 106, al.2), en
Belgique (loi du 4 décembre 1961, art.3 modifiant l'art.1er
de la loi de 1908)79
.
Le droit français connaît une règle semblable quand il autorise le créancier
hypothécaire et, dans une moindre mesure, le créancier privilégié à exercer un droit
de suite. On comprend dans ce sens la solution italienne qui envisage le cas de la
saisie entreprise par les créanciers de l'armateur non propriétaire nantis d'un privilège
maritime (art.670). La même solution a été adoptée par une Cour égyptienne
autorisant la saisie pour une créance maritime d'un navire affrété à temps par un autre
que le débiteur, lequel avait à l'époque où la créance du saisissant était née, affrété le
navire avec démise80
.
Sur le plan interne français, aucune disposition ne se prononce, directement ou
indirectement, sur la possibilité pour un créancier de saisir un navire qui n'appartient
pas à son débiteur (1). Au niveau international, le créancier qui fonde son action sur
la Convention de 1952, se trouve favorisé par rapport à celui qui invoque la loi
française puisque cette dernière autorise la saisie des navires pour dettes de l'affréteur
dans son article 3-4 (2).
1. Le navire affrété et le droit français
a) L'impossibilité de saisir un navire affrété n'appartenant pas au
débiteur du créancier selon la loi française
Le texte de la loi de 1967 ne comporte aucune disposition sur la possibilité pour un
créancier de saisir un navire qui n'appartient pas à son débiteur. En principe, l'action
77
The Lemington (1879) 2 Asp. M.C.
78
§ 510, al.2 et 754 H. G. B.
79
1ere instance de Tribunal d'Anvers, 4 mai 1976, Droit européen des transports, 1977, 113
80
Appel Mansourah, 15 mars 1969, D.M.F., 1971, 741. L'affaire relevait de la Convention de 1952 que l'Egypte
a ratifiée.
La saisie conservatoire des navires
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du créancier saisissant se limite aux seuls navires appartenant à son débiteur. Cela
résulte du principe de l'unité du patrimoine en droit français : le créancier fondant la
saisie sur la loi de 1967 peut saisir tout navire appartenant à son débiteur puisqu'il n'a
pour gage que le patrimoine de ce dernier. La théorie de l'unité du patrimoine
s'oppose à la théorie du patrimoine d'affectation. L'action in rem du droit anglais n'est
pas admise en droit français.
L’article 2092 du Code Civil énonce que "quiconque s'est engagé personnellement,
est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers
présents et à venir". Il s'ensuit que le créancier peut saisir tout bien de son débiteur en
garantie de sa dette.
De même, selon le Doyen Rodière l'affrètement d'un navire n'entraîne pas le transfert
de propriété vers l'affréteur, ses créanciers "n'ont donc aucun titre à le saisir".
Cependant, la jurisprudence française a comblé le silence de la loi française et a
apporté des nuances au principe de l'unité du patrimoine et l'impossibilité de saisir
des navires affrétés pour dette de l'affréteur.
b) La saisissabilité du navire affrété pour dette de l'affréteur admise par
la jurisprudence
La jurisprudence justifie fréquemment la saisie du navire pour dette de l'affréteur par
la notion de privilège. Le privilège est une exception à l'égalité du principe des
créanciers. Les juges utilisent la notion de créance privilégiée afin de permettre la
saisie des navires affrétés. Les créances privilégiées passent avant les autres droits
sur le navire, sans qu'il soit nécessaire de les faire enregistrer.
A titre d'exemple, on peut citer l'affaire sur la saisie du navire Saudi-Jamal81
, la Cour
d'Appel de Douai s'est basée sur l’article 30 du décret du 27 octobre 1967 et a admis
que le créancier d'un affréteur pouvait saisir conservatoirement le navire affrété à
condition qu'il bénéficie d'un privilège maritime sur le navire affrété. D'après
Monsieur Scapel et Monsieur Bonassies, il n'y a pas de raison d'étendre cette
possibilité aux créanciers non privilégiés puisque c'est l'existence du privilège qui
fonde le droit à la saisie du créancier privilégié.
81
Cour d'Appel de Douai, 31 janvier 1985, Navire Saudi-Jamal
La saisie conservatoire des navires
Année universitaire 2010-2011
42
L'affaire sur la saisie du navire Spartan82
où la Cour d'Appel a invoqué les privilèges
sur le navire, est un exemple significatif de ce raisonnement. Dans cette affaire, la
question qui s'est posée aux juges était celle de savoir si la saisie conservatoire d'un
navire pour les dettes contractées par un affréteur à temps de ce navire était possible.
Les juges ont jugé que "les titulaires de créances provenant de contrats passés pour
les besoins de la continuation du voyage ont le droit d'exercer leur privilège légal sur
le navire, sans avoir à rechercher quel est le véritable propriétaire". En l'occurrence,
l'existence du privilège n'a pas été démontrée. A contrario, la saisie conservatoire
aurait pu être valablement opérée si la preuve d'un privilège avait été apportée.
La thèse opposée a été défendue par la CA d'Aix-en-Provence83
où les juges aixois
ont estimé que la possession d'une créance assortie d'un privilège maritime permet de
procéder à la saisie-exécution d'un navire, alors que le propriétaire n'en est pas
personnellement le débiteur. Toutefois, selon les juges "elle n'ouvre pas le droit de
saisir conservatoirement le navire qui n'appartient pas au débiteur, dès lors que la
saisie conservatoire n'est pas un préalable obligatoire ou indispensable à la saisie-
exécution et que l'action in rem reconnue en droit américain n'existe pas en droit
français de la saisie conservatoire".
Maître Scapel et Monsieur Le Professeur Pierre Bonassies critiquent fortement cette
décision en ce que l'analyse de la Cour d'Aix "méconnaît l'originalité fondamentale
du système des privilèges maritimes" qui consiste dans le fait de faire peser sur le
navire l'obligation de payer les dettes nées de l'exploitation de celui-ci84
. Rejeter
l'autorisation de saisir conservatoirement le navire aboutirait à enlever "toute
signification concrète" à l'institution des privilèges maritimes et à refuser au
créancier privilégié le moyen concret de procéder à la saisie exécutoire.
Le régime de la saisie du navire affrété en droit international diffère sur plusieurs
points de celui en droit interne.
2. Le navire affrété et le droit international
a. Article 3-4 de la Convention de 1952
82
Cour d'Appel de Pau, 6 décembre 1984, Navire Spartan
83
CA d'Aix-en-Provence 10 janvier 1986, navire Namrata
84
BONASSIES Pierre, SCAPEL Christian, "Traité de droit maritime", page 422, n°607
La saisie conservatoire des navires
Année universitaire 2010-2011
43
La question de la saisie des navires pour dettes de l'affréteur est régie par l'article 3-4
de la Convention de 1952. Selon cet article "Dans le cas d'un affrètement d'un navire
avec remise de la gestion nautique, lorsque l'affréteur répond, seul, d'une créance
maritime relative à ce navire, le demandeur peut saisir ce navire ou tel autre
appartenant à l'affréteur, en observant les dispositions de la présente Convention,
mais nul autre navire appartenant au propriétaire ne peut être saisi en vertu de cette
créance maritime". Le deuxième alinéa énonce que "l'alinéa qui précède s'applique
également à tous les cas où une personne autre que le propriétaire est tenue d'une
créance maritime".
Tout d'abord, nous allons nous intéresser à la notion d'"affrètement avec remise de la
gestion nautique". Elle vise essentiellement les navires faisant l'objet d'un contrat
d'affrètement coque-nue ou d'un contrat de gérance. La question qui se pose
incontestablement est celle de savoir si une saisie pourrait être opérée seulement sur
les navires ayant fait l'objet d'un contrat d'affrètement coque-nue ou bien, tous les
navires faisant l'objet d'un affrètement sont concernés.
L’Association Française du droit maritime a estime le 3 février 1966, lors des
discussions portant sur la reforme du statut du navire, que dans le cas ou il ne s`agit
pas d’un simple time-charter, mais d’un affrètement avec remise de la gestion
nautique à l`affréteur « with demise of the ship », le navire peut faire l’objet d’une
saisie conservatoire pour dettes de l’affréteur. Selon l’Association, tout autre navire
appartenant au même affréteur peut également être saisi pour sureté de cette créance.
La doctrine est partagée.
Notons que selon les auteurs Du Pontavice85
et Rodière86
, l’article 3-4 de la
Convention de 1952 vise seulement le cas de l'affrètement à temps « time-charter
with demise of the ship » (affrètement avec remise de la gestion nautique a
l`affréteur) - a fortiori, l'affrètement coque nue. Les mêmes auteurs considèrent que
l'affrètement à temps sans remise de la gestion nautique à l'affréteur n'autoriserait pas
85
Le Statut des navires, p.352, n°352
86
10e
édition du précis : "en cas d'affrètement avec remise de la gestion technique à l'affréteur, les créanciers dont
le droit est né du chef de cette gérance pourront saisir le navire" (Rodière, du Pontavice, Droit maritime, 10e
édition Paris, Dalloz, 1986, n° 178)
La saisie conservatoire des navires
Année universitaire 2010-2011
44
la saisie du navire. Le Professeur Du Pontavice appuie son raisonnement sur une
décision de la Cour d'Appel de Mansourah, Egypte87
qui a statué dans ce sens.
Plus précisément, dans cette affaire la Cour d`Appel égyptienne avait à appliquer la
Convention internationale de 1952. Puisque celle-ci permet de saisir le navire, pour
dettes de l’affréteur à temps, lorsqu’il y a en outre remise de la gestion nautique à
celui-ci (Time-charterer with demise of the ship), a contrario, a-t-elle estimé,
l’affrètement à temps non accompagné de remise de la gestion nautique n’autorise
pas à saisir le navire pour dettes de l’affréteur. Cette solution avait été adoptée par le
Tribunal de Première Instance de Port-Saïd le 25 mai 1966 dans un jugement
confirmé par la décision précitée de la Cour de Mansourah.
Une décision de la Cour d'Appel de Rouen88
a adopté le même raisonnement. Les
juges du fond ont jugé que l'article 3-4 de la Convention ne pouvait fonder la saisie
par le fréteur, d'un navire appartenant à l'affréteur à temps, dès lors que cette
disposition ne trouve à s'appliquer que dans le cas d'un affrètement avec remise de la
gestion nautique, c'est-à-dire affrètement coque nue.
Pourtant cette interprétation est directement contraire aux termes de la Convention.
Quand l’article 3 prévoit que le demandeur peut saisir le navire auquel la créance se
rapporte, il ne précise pas la qualité du débiteur. Ce dernier peut être le propriétaire
mais également l'affréteur, coque nue ou non. En outre, il y a l'alinéa 2 aux termes
duquel : "L'alinéa qui précède s'applique également à tous les cas où une personne
autre que le propriétaire est tenue d'une créance maritime".
La plupart des auteurs, dont Monsieur Vialard89
, Maître Scapel et Monsieur le
Professeur Pierre Bonassies90
considèrent que le deuxième alinéa de l'article 3-4° de
la Convention englobe tous les cas d'affrètement à temps, de location de navire, de
gérance, et plus généralement tous les cas où c'est un autre que le propriétaire qui
exploite le navire. Dans ce sens, on peut citer un arrêt du Tribunal de Commerce de
Marseille91
quand il a statué sur la saisie du navire Peljasper par un créancier de
l'affréteur à temps et il a rejeté l'argument du propriétaire qui demandait la mainlevée
87
CA Mansourah (Egypte), Chambre de Port-Saïd, le 15 Mars 1969
88
CA Rouen, 3 décembre 1992, Luctor, JCP 1993, IV
89
Antoine VIALARD, La saisie conservatoire du navire pour dettes de l'affréteur à temps, DMF 1985
90
Pierre Bonassies, Christian Scapel, Traité de Droit Maritime, 2e
édition
91
Trib. Com. Marseille, 4 juin 2003, Peljasper ; St Denis de la Réunion, 29 septembre 1989
La saisie conservatoire des navires
Année universitaire 2010-2011
45
en soutenant que le navire affrété ne pouvait être saisi que pour les dettes de
l'affréteur coque-nue.
Encore faut-il envisager le moment de la saisie opérée.
b. La saisie postérieure à l'affrètement
En principe, le créancier peut saisir le navire affrété pendant la durée du contrat
d'affrètement. Tant que l'affrètement est en cours, il n'y a pas de difficulté. La
solution doit-elle être la même quand la saisie porte sur les dettes d'un ancien
affréteur?
La saisie dans ce cas s'avère problématique à la fin du contrat puisque le navire a été
déjà re-délivré à son propriétaire. Le navire affrété peut-il être saisi par un créancier
de l'affréteur après la fin de l'affrètement?
La jurisprudence tranche dans les deux sens opposés, à savoir d'une part, les juges
ont admis la saisie après la fin de l'affrètement du navire et d'autre part, ils ont jugé
l'impossibilité de saisir après la période du contrat d'affrètement.
Plusieurs Cours d'appel ont estimé que l'article 3 – 4 ne limitait pas la possibilité de
saisir le navire affrété à la seule période de l'affrètement92
et ils ont étendu la
possibilité de saisir le navire en question "après la redélivrance du navire à la fin de
l'affrètement à temps et qu'elle peut être pratiquée par le créancier soit du
propriétaire, soit de l'affréteur, soit d'un quelconque débiteur".
Dans le même sens, le tribunal de commerce de Nantes93
a autorisé la saisie du
navire pour créance du réparateur à l'encontre de l'affréteur, alors que le navire était
redélivré à son propriétaire. La Cour de Cassation a eu à statuer pour la première fois
sur cette question à l'occasion de la saisie du navire Trident Beauty en confirmant
l'analyse du juge des référés.
Cette décision a repris un raisonnement dégagé quelques années plus tôt par la Cour
dans un arrêt Eal Saphir à propos de la saisie par le manutentionnaire du navire
auquel la créance se rapportait pour les dettes d'un ancien propriétaire94
.
92
CA Rouen, 19 juin 1984, Atlantic Mariner ; CA Rouen, 16 novembre 1995 (3 arrêts)
93
Trib. Com. Nantes, 3 septembre 1991, Navire Trident-Beauty
94
Cass Com 31 mars 1992
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Saisie conservatoire des navires

  • 1. Mémoire présenté par Ruslana Georgieva Sous la Direction de M. Christian SCAPEL Master II "Droit Maritime et des Transports" Année universitaire 2010-2011 LA SAISIE CONSERVATOIRE DES NAVIRES (Etude comparative en Droit Français et Droit International)
  • 2. La saisie conservatoire des navires Année universitaire 2010-2011 3 Remerciements Avant toute chose, je tiens à remercier un certain nombre de personnes sans qui la réalisation de mon mémoire n’aurait pas été possible. Ces personnes qui m’ont beaucoup apporté aussi bien humainement que professionnellement, qui par leur gentillesse et leur disponibilité m’ont permis de mieux appréhender les mécanismes du Droit Maritime et des Transports. Je souhaite remercier toute l’équipe pédagogique du Master II Droit Maritime et des Transports à l’Université d'Aix-Marseille III, qui m’a aidée à réaliser le présent Mémoire de fin d'études et d'avancer dans mes recherches. Mes remerciements vont plus particulièrement à Monsieur Christian SCAPEL et Monsieur le Professeur Pierre BONASSIES pour m'avoir permis d'intégrer le Master ainsi que pour leur disponibilité et précieux conseils tout au long de l'année universitaire. Je tiens également à remercier Madame Marjorie VIAL qui a toujours été à notre écoute, en contribuant à la bonne ambiance, et sans qui le Master ne serait pas le même.
  • 3. La saisie conservatoire des navires Année universitaire 2010-2011 4 SOMMAIRE INTRODUCTION p.5 PARTIE I : LA SAISIE CONSERVATOIRE DES NAVIRES : UNE VOIE D'EXECUTION CONDITIONNEE p.16 CHAPITRE I : CONDITION TENANT A L'ETAT DU PAVILLON DU NAVIRE p.16 § I Le navire battant pavillon d'un Etat contractant p.16 § II Le navire ne battant pas pavillon d'un Etat contractant : Application de l’article 8-2 de la Convention p.18 CHAPITRE II : LES CONDITIONS TENANT A LA NATURE DE LA CREANCE ET LE NAVIRE OBJET DE LA SAISIE p.22 § I Caractères de la créance autorisant la saisie conservatoire p.22 § II Le navire objet de la saisie conservatoire p.26 PARTIE II : LA SAISIE CONSERVATOIRE DU NAVIRE : MOYEN DE CONTRAINTE EFFICACE CONTRE LE DEBITEUR p.31 CHAPITRE I : LES MOYENS DU CREANCIER D'AGIR CONTRE LE DEBITEUR INSOLVABLE p.32
  • 4. La saisie conservatoire des navires Année universitaire 2010-2011 5 § I L’action in personam : "le navire débiteur" p.33 § II L’action in rem : les navires du "débiteur" p.38 CHAPITRE II : LES EFFETS DE LA SAISIE CONSERVATOIRE p.49 § I Immobilisation du navire p.50 § II Les pouvoirs du juge p.53 CONCLUSION p.65 BIBLIOGRAPHIE p.67 TABLE DES MATIERES p.70 ANNEXES p.73
  • 5. La saisie conservatoire des navires Année universitaire 2010-2011 6 « La société comme un navire ; tout le monde doit contribuer à la direction du gouvernail.» Les Démons, Fiodor Dostoïevski Le navire constitue l'instrument indispensable de l'exercice d'une activité d'armement maritime. Il est le gage le plus immédiatement accessible pour ceux qui, au cours de son exploitation, sont amenés à devenir créanciers de l'armateur. Un droit n'est rien s'il ne peut être exercé. Il suffit au navire pour échapper à ses créanciers de prendre le large. Pour peu que son armateur ne possède aucun bien dans l'Etat où il a contracté sa dette, le créancier voit alors s'évanouir ses chances d'être payé ; son droit devient vain et sa sûreté inutile. Le navire est ainsi le premier bien de l'armateur à être visé par les mesures destinées à assurer le paiement des créances liées à son exploitation. Cela explique le fait que le monde maritime a constamment recours aux saisies de navires à titre conservatoire : procédure qui permet de retenir le navire en attendant que le litige soit réglé, ou que l'armateur du navire saisi ait constitué une autre garantie de nature à répondre, le cas échéant, de sa dette. Néanmoins, il s'agit de délimiter le domaine d'application de la saisie puisque cette procédure s'applique aux seuls navires de mer. Par conséquent, il convient en premier
  • 6. La saisie conservatoire des navires Année universitaire 2010-2011 7 lieu de s'intéresser à la notion de navire, considéré comme le premier – et parfois le seul – gage des créanciers maritimes. Il n'existe en droit français aucune définition du navire. Pourtant, sa qualification s'avère primordiale afin de pouvoir lui appliquer les règles spécifiques gouvernant le droit maritime. Apres de longues hésitations, le Doyen Rodière dégage deux critères cumulatifs permettant de définir le navire, moins en fonction de ses caractéristiques propres, que par rapport au milieu dans lequel il évolue. Il est qualifié "d'engin flottant, de nature mobilière, affecté à une navigation qui l'expose habituellement aux risques de la mer"1 . Du point de vue juridique, le navire apparaît comme un meuble par nature (art. 531 Code Civil2 ), mais en réalité il répond à un régime juridique proche de celui de l'immeuble. Ce meuble de grande valeur, mobile entre tous, a une vocation internationale : il fréquente les ports étrangers, y contracte des dettes, et peut s'y faire saisir. Sa navigation l'expose, en outre, aux périls de la mer, ce qui légitime sa protection en droit maritime. A mi-chemin du régime juridique s'appliquant aux meubles et aux immeubles, le navire a aussi parfois été rapproché des personnes, en tant que bien fortement individualisé dans le patrimoine de son propriétaire – le navire est domicilié au port d'immatriculation, son propriétaire lui octroie un nom qui l'individualise et il dispose d'une nationalité matérialisée par son pavillon. Il est susceptible d'être grevé d'une hypothèque, laquelle confère au créancier un droit réel très fort sur le navire. A ce titre on peut mentionner qu'en raison de la forte individualisation du navire, la saisie de ce dernier est soumise traditionnellement à une procédure spécifique, plus proche de la saisie immobilière que de la saisie mobilière. L'objectif premier du navire est de naviguer et affronter les risques de la mer. L'autonomie inhérente à la mobilité du navire s'apparente donc mal à toute idée d'immobilisation. Le navire, destiné à affronter les risques de la mer ne peut se satisfaire longtemps de la sécurité du port sans méconnaitre son objectif principal. 1 RODIERE et Du PONTAVICE, Emmanuel, Droit maritime, n°31, 12e édition, Dalloz, 1996 2 « Les bateaux, bacs, navires, moulins et bains sur bateaux, et généralement toutes usines non fixées par des piliers, et ne faisant point partie de la maison, sont meubles : la saisie de quelques-uns de ces objets peut cependant, à cause de leur importance, être soumises à des formes particulières, ainsi qu’il sera expliqué dans le Code de la procédure civile ».
  • 7. La saisie conservatoire des navires Année universitaire 2010-2011 8 Cette immobilisation du navire peut résulter d'une part, du mauvais temps, empêchant le départ, du fait du prince, de conflits sociaux … et d'autre part, de l'exercice du droit de gage général sur le patrimoine du débiteur, dont le navire fait partie. Dans ce dernier cas, comme tout créancier, le créancier bénéficiaire d'un privilège maritime a le droit de saisir le navire en tant que bien de son débiteur. Tant que la créance n'est pas payée, le navire n'est pas susceptible de reprendre la mer. La procédure de saisie conservatoire est une procédure dont l'objectif est de placer sous main de la justice les biens du débiteur, afin que celui-ci n'en dispose pas ou ne les fasse disparaître. Elle est pratiquée par les créanciers qui sont démunis du titre exécutoire et leur permet donc d'éviter la disparition de leur gage. La rapidité est la condition de l'efficacité de la saisie conservatoire. Le droit de saisir le navire présente une double particularité. D'un côté, il s'agit des situations où le créancier privilégié pourra saisir le navire alors même que celui-ci n'est pas la propriété de son débiteur, ce dans le cas où le navire est exploité par un affréteur ou armateur non propriétaire. D’autre part, le droit maritime confère au créancier privilégié un véritable droit de suite, en lui donnant, pendant un bref délai le droit de saisir le navire dans les mains de l'acquéreur. Il convient de noter que le droit commun des voies d'exécution connaît deux grandes catégories de saisies : les saisies conservatoires et les saisies exécution. Les premières à proprement parler ne sont pas des voies d'exécution, mais plutôt des moyens de contrainte. Seules les secondes sont véritablement des voies d'exécution comme leur nom l'indique. En droit maritime, il existe ces deux types de saisies : en anglais "arrest" et "attachement". La saisie-exécution en droit maritime est très proche de celle du droit commun, en ce que cette dernière a un seul objet – la vente forcée du navire et l'affectation de son prix aux créanciers. En réalité, très peu de saisies conservatoires se terminent par une saisie exécution. La saisie exécution est un acte grave puisqu'elle aboutit à déposséder le propriétaire de son navire. Encore faut-il mentionner que la saisie exécution n'est régie par aucune Convention internationale et seules les dispositions du droit national – du lieu où la saisie a été effectuée, sont applicables.
  • 8. La saisie conservatoire des navires Année universitaire 2010-2011 9 La saisie conservatoire, quant à elle, a pour but principal en droit commun de protéger le droit de gage général du créancier, préparant la saisie-exécution du bien auquel elle s'applique. En droit maritime, la saisie conservatoire est largement ouverte aux créanciers de l'armateur. Elle peut aboutir à la vente judiciaire du navire et à l'attribution du prix de vente au créancier saisissant. Le plus souvent, elle représente un simple moyen de pression exercé par le créancier pour obtenir le paiement des sommes qui lui sont dues. L'immobilisation qui résulte de la saisie est très préjudiciable à l'armateur. Ce dernier est, en effet, privé des bénéfices d'exploitation du navire alors que ses coûts continuent à courir, à hauteur de plusieurs dizaines de milliers d'euros par jour. La saisie conservatoire est "un formidable moyen de pression sur l'armateur débiteur puisqu'elle paralyse son outil d'exploitation"3 . Aussi faut-il souligner la fréquence du recours à la saisie conservatoire du navire : elle est notamment systématiquement pratiquée à la suite d'un abordage. Ce trait traduit l'esprit même du droit maritime. Afin de délimiter le régime applicable à la saisie, il convient de distinguer tout d'abord cette dernière des autres immobilisations, qui sont des procédures exceptionnelles et auxquelles s'appliquent des règles différentes. A la différence des saisies classiques de navires, l'immobilisation forcée se conçoit comme une mesure de puissance publique, prise dans le cadre des missions de souveraineté et de police d'un Etat, face à un bâtiment qui constitue un danger pour la sécurité de la navigation ou pour l'ordre public en mer et dans les ports4 . L'Etat agissant jure imperii prend, conformément au droit interne ou au droit international, la décision d'immobiliser d'autorité le bâtiment, sans passer par les voies judiciaires. Plusieurs textes nationaux et internationaux permettent le recours à cette mesure5 . La Convention de Montego Bay de 1982 précise que si l'Etat côtier prend toute mesure dans l'exercice de ses droits souverains, y compris la saisie, pour assurer le respect de 3 VIALARD Antoine, Droit maritime, PUF, 1997, n°365, page 311 4 Rapport présenté par le professeur E. du Pontavice et P. Simon au Colloque de l'AFDM sur L'immobilisation forcée des navires, Bordeaux 1988, publié par PU Bordeaux, 1990 5 En cas d'infraction à la législation douanière, C. douanes, art. 322 bis, 323 et 324-I-a ; en cas de non-respect des ordres des officiers de port, ou pour les besoins de protection du domaine public portuaire, C. ports mar., livre III ; En matière de prévention de pollutions et de protection de l'environnement marin, L. n° 83-587, 5 juillet 1983, portant mise en œuvre du Mémorandum de Paris, et directive communautaire 95/21/CE du Conseil, 19 juin 1995, art. 9-2, et portant communautarisation de ce Mémorandum, Convention MARPOL 1978/1973, art. 2, convention de Montego Bay du 10 décembre 1982 sur le droit de la mer
  • 9. La saisie conservatoire des navires Année universitaire 2010-2011 10 ses lois et règlements conformes à la Convention, il est tenu de procéder à une "prompte mainlevée" de celle-ci pour le navire, et à la "prompte libération de l'équipage" dès qu'une caution ou garantie suffisante a été versée (art. 73). Il s'agit d'une immobilisation, mesure de puissance publique, qui se distingue de la saisie judiciaire du navire. Le premier texte qui fait référence explicitement à la saisie conservatoire est le Code de commerce de 1808 qui interdisait de saisir le navire prêt à faire voile (art.215). C'était une règle nouvelle, l'Ordonnance de 1681 ne connaissant que la règle suivant laquelle "les intéressés du navire" pouvaient, moyennant une caution, faire lever la saisie pratiquée sur une portion du navire lorsqu'il était prêt à faire voile (art.18 du Titre IV du Livre I). La loi du 10 Juillet 1885 avait modifié une grande partie de ces textes, même si elle s'est inspirée également des règles de la saisie immobilière. La question qui s'est posée était celle de savoir si ces dispositions englobaient également l'exercice de la saisie conservatoire dans la mesure où le Code de commerce ne donnait aucune précision. La pratique a apporté une réponse en se basant sur la nature mobilière du navire et en appliquant l'ancien article 417 du Code de Procédure Civile. D'après cet article, le Président du Tribunal de commerce peut permettre d'assigner et de saisir les effets mobiliers. Les anciens articles 48 et suivants du Code de Procédure civile, repris par la loi du 12 novembre 1955, ont comblé ultérieurement ce vide législatif en établissant une procédure générale de saisie conservatoire sur tous les meubles appartenant au débiteur, y compris sur son navire. Aujourd'hui, la saisie conservatoire du navire repose sur un droit dont se prévaut le demandeur. Ce droit est une cause juridique particulière : "allégation d'un droit ou d'une créance" selon la Convention de Bruxelles du 10 Mai 1952 sur l'unification de certaines règles sur la saisie des navires de mer6 (art. 1 § 1) et créance paraissant fondée en son principe en droit français (Loi du 9 Juillet 1991, article 67 ; Décret de 19677 , art. 29 ; Article L5114-22 du Code des Transports). 6 Loi du n°55-1475 7 Décret n°67-967 du 27 octobre 1967, portant statut des navires et autres bâtiments de mer
  • 10. La saisie conservatoire des navires Année universitaire 2010-2011 11 Le droit applicable en matière de saisie présente une double originalité. D'une part le dualisme qui régit la matière de la saisie conservatoire du navire fait que deux normes juridiques entrent en concurrence (le droit interne et le droit international) lorsque le litige relatif à la saisie comporte un élément d'extranéité. D'autre part, au niveau procédural, c'est une procédure unique qui s'applique à la saisie internationale comme à la saisie de la loi de 1967, le législateur international renvoie aux lois nationales. Lorsque la saisie trouve son fondement dans le droit international, c'est la Convention internationale pour l`unification de certaines règles sur la saisie conservatoire des navires de mer faite à Bruxelles le 10 Mai 1952. Elle a été mise au point par le Comite Maritime International dans le but d`uniformiser les législations internationales en la matière8 . La France a signé et ratifié cette Convention9 , l'application de celle-ci s'impose donc aux tribunaux français. S'agissant du régime de droit interne applicable, les textes en vigueur sont actuellement le Décret de 1967, précité ci-dessus, pris pour l'application de la loi du 3 janvier 196710 portant statut des navires et autres bâtiments de mer et le Code des Transports (article L 5114-20 et suivants11 ). La cinquième partie du Code, intitulée “Transports et Navigation Maritimes” traite du secteur maritime et contient des dispositions relatives à la saisie conservatoire et la saisie exécution des navires. Toutefois, il convient de noter que la loi de ratification du Code des Transports n'est pas encore intervenue, et le texte du Code possède un caractère administratif. C'est la loi du 3 janvier 1967 qui s'applique en droit français. En droit commun, la règlementation des voies d'exécution a été bouleversée par la loi du 9 juillet 199112 portant réforme des procédures civiles d'exécution et son décret d'application n° 92-755 du 31 juillet 1992. Par rapport au caractère sommaire des 8 Berlingieri F., The ‘Travaux préparatoires’ of the 1910 Collision Convention and of the 1952 Arrest Convention, 234 : ‘At his meeting held in Antwerp on 19th November 1952 the International Sub-Committee appointed by the Bureau Permanent of the Comite Maritime International with the instructions to consider the possibility of insuring uniformity in the area of arrest of ships, requested Mr. Leopold Dor to prepare a draft of an international Convention on arrest of ships’). 9 Décret n°54-14, 4 janvier 1958 : J.O. 14 janvier 1958 10 Loi n°67-5 11 Crée par: Ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre 2010 - art. (V) ; Journal Officiel de la Republique Française du 3 novembre 2010 12 Loi n°91-650 : J.O. 14 juillet 1991
  • 11. La saisie conservatoire des navires Année universitaire 2010-2011 12 textes de droit maritime, l'incidence de ces textes sur les saisies des navires s'avère problématique. D'une part, il y a une thèse qui préconise que les nouvelles règles ont un caractère général et s'appliquent donc aux saisies de navires13 . D'autre part, selon Monsieur Le Professeur Pierre Bonassies et Maître Scapel, une telle thèse ne serait pas admise et les règles adoptées par la loi du 9 juillet 1991 ne s'appliqueraient pas en matière maritime. En effet, le législateur énumère dans cette loi avec précision la saisie de certains biens spécifiques, tels que les droits d'associés, les valeurs mobilières et surtout les véhicules à moteur. Les navires n'y figurent pas. En outre, la loi de 1991 n'a ni abrogé ni modifié les dispositions de l'article 70 de la loi du 3 janvier 1967 énonçant que "la saisie des navires est régie par des dispositions réglementaires particulières". Il faut donc conclure que seules s'appliquent en matière de saisie des navires les dispositions de la loi du 3 janvier 1967 et celles du décret du 27 octobre 1967. Force est de constater que la jurisprudence tranche en ce sens14 . Toutefois, la Cour de Cassation15 s'est réservée le droit de compléter, si nécessaire, les dispositions insuffisantes des textes de 1967, mais ce, sans poser un principe général de complémentarité. En matière internationale, comme il a déjà été précisé, c'est la Convention de Bruxelles qui s'applique. Elle connaît un succès sur le plan international et obtient la ratification de la majorité des Etats maritimes (Allemagne, Grèce, Egypte, Italie, Espagne, Portugal, Grande Bretagne). En effet, une nouvelle Convention internationale sur la saisie conservatoire des navires, adoptée le 12 mars 1999 à Genève, est appelée à remplacer la Convention de Bruxelles de 1952. Cependant, elle n'est pas encore entrée en vigueur et n'interviendra pas avant plusieurs années. Cette nouvelle Convention n'innove pas en nombreux points la Convention de 1952. On va aborder les principales différences entre les deux textes internationaux au fur et à mesure du développement de cette étude. 13 A. VIALARD, "Les Insaisissables : faut-il faire une croix sur la bannière étrangère?", DMF 1993 14 Dunkerque, 20 octobre 1993, DMF 1994 ; CA Rennes, 13 juillet 1993, JCP 1994, IV, p.5 15 Cass. 5 janvier 1999, navire Gure Maiden, DMF 1999
  • 12. La saisie conservatoire des navires Année universitaire 2010-2011 13 Au jour d'aujourd'hui, c'est la Convention de Bruxelles de 1952 qui s'applique dans tous les Etats signataires. Mais, malgré son intérêt, ce texte n'est ni suffisant, ni exclusif : par nature, la procédure relève de la loi du juge saisi (art. 4 et 6, al.2). Force est d'admettre que la Convention de Bruxelles laisse parfois resurgir la compétence des législations nationales, soit parce qu'aucun des intérêts concernés par la saisie ne relève d'un Etat contractant, soit parce que l'un d'entre eux relève d'un Etat qui n'a pas ratifié la Convention. Il s'est avéré nécessaire pour la France d'adopter un texte spécifique régissant la saisie conservatoire des navires. Le décret de 1967, précité, édicte des règles spécifiques à la saisie en droit français de telle sorte que les textes précités ne s'appliquent plus aux navires que dans le silence des textes nouveaux. Il faut remarquer que le régime et l'esprit de la Convention diffère à maints égards de notre loi interne. Même si le principe de primauté de l'ordre international est affirmé, les incidents de frontière entre la convention et la loi ne sont pas rares. C'est la raison pour laquelle il convient de s'interroger sur le domaine d'application respectif des textes internes et internationaux. En réalité, la Convention s'applique d'une part, lorsque, dans un rapport de droit international, le navire bat pavillon d'un Etat contractant, et d'autre part, elle est applicable dans certains cas aux navires battant pavillon d'un Etat non contractant. Cette extension résulte de l'article 8, §2, selon lequel "un navire battant pavillon d'un Etat non contractant peut être saisi dans l'un des Etats contractants, en vertu d'une des créances énumérées à l'article 1er , ou de toute autre créance permettant la saisie d'après la loi de cet Etat". En outre, faut-il s'interroger également sur l'objet même de la saisie. D'un côté, il y a la Convention de 1952, qui se contente de mentionner des "navires de mer", alors que, de l'autre, le Décret de 1967 qui s'intéresse "aux navires et bâtiments de mer". Par conséquent, on peut considérer que sont exclus ainsi du domaine d'application de la saisie conservatoire les bateaux de rivière, soumis à une réglementation particulière, et des engins flottants, soumis au droit commun. Ce qui est important, c'est la qualification de navire. Á partir du moment où le navire devient une épave, le régime juridique de la saisie serait celui du droit commun de la saisie conservatoire
  • 13. La saisie conservatoire des navires Année universitaire 2010-2011 14 des meubles puisque ce dernier ne serait plus qualifié d'immeuble. Il peut être ainsi question "d'un navire de commerce, de pêche, de plaisance, de navigation sportive ou scientifique"16 . Il est important d'évoquer que la saisie n'englobe ni la cargaison, ni les bagages des passagers et de l'équipage; elle concerne au contraire tous les équipements et appareils nécessaires à la navigation et à l'exploitation du navire. Un autre compromis dans l'unification internationale des règles en matière de saisie des navires devait être fait en ce qui concerne la créance maritime en vertu de laquelle un navire peut être saisi. A l'heure actuelle la plupart des navires sont contrôlés par des single ship companies qui ne possèdent qu'un seul navire. Il reste cependant quelques armateurs qui ont plusieurs navires à leur nom. Si ces navires battent pavillon d'un Etat qui n'est pas partie à la Convention de 1952, il est possible de saisir le navire en application du droit français. Ce dernier est basé sur le principe de la personnalité de la dette - le créancier ne peut saisir un navire qui n'appartient pas à son débiteur ; quelles que soient la nature de la créance et la qualité du bien saisi. La créance est gagée sur l'ensemble du patrimoine du débiteur (il est fait exception quand le fournisseur a pu croire légitimement que la commande lui était faite par le propriétaire du bâtiment17 ). D'autre part, puisque le créancier peut saisir l'ensemble du patrimoine du débiteur, la saisie est possible aussi bien sur le navire qui est à l'origine de la créance, que sur les autres navires appartenant à son débiteur. En ce sens, encore faut-il mentionner dès à présent que la Convention de 1952 est le résultat d'un compromis entre deux conceptions radicalement opposées en matière de saisie : celle du droit anglo-saxon et celle du droit continental. A cet égard, l'unification de la saisie conservatoire s'est faite difficilement, à cause des divergences existantes entre les droit français et le droit anglais. Nous verrons que la Convention de 1952 subordonne la saisie à des conditions moins strictes que le décret de 1967 avant sa modification par le décret de 1971, mais plus strictes (sur la notion de "créance maritime") que le décret de 1971 précité. 16 Du PONTAVICE (Emmanuel), Le statut des navires, n°304, Litec, 1976 17 Ch. Com., 22 février 1983, DMF 1984.332
  • 14. La saisie conservatoire des navires Année universitaire 2010-2011 15 En effet, il a été nécessaire d'articuler le droit international avec la loi française. Même si le principe de primauté de l'ordre international est affirmé, les incidents de frontière entre la Convention et la loi ne sont pas rares. La Convention permet de saisir un navire à titre conservatoire afin d'obtenir garantie d'une créance maritime "se rapportant" au navire. Elle confère ainsi une action contre le navire, une action in rem, institution fondamentale du droit anglo- saxon. Le droit français, ignorant la théorie du patrimoine d'affectation, ne permet pas d'exercer un droit contre une chose mais seulement contre une personne (action in personam). La législation britannique diffère de celle du droit français en ce que sous l'empire de cette dernière, un navire ne peut être saisi qu'en vertu d'une créance maritime, et aucun navire, autre que celui auquel la créance se rapporte, ne peut être saisi en vertu de cette créance, même s'il appartient au même propriétaire. Les pays de Common Law sont marqués par l'action in rem. Cette théorie permet au titulaire d'"un maritime lien", notion proche de celle de privilège, de "faire valoir ses droits directement sur le navire, sans se préoccuper de la personne de son propriétaire"18 . Le navire auquel la créance se rapporte est personnellement responsable de la dette. Il s'agit alors de créer un patrimoine d'affectation en démarquant le navire du reste du patrimoine du débiteur au bénéfice des seuls créanciers maritimes ayant un lien avec ce dernier. Cette théorie va à l'encontre de l'unité et la conception personnaliste du patrimoine19 , principe ancré dans le droit français. La Convention de Bruxelles n'est cependant pas exclusivement inspirée par les principes du droit anglais puisqu'elle fait également référence à la notion d'action in personam. Nous verrons que les conditions d'octroi de la faculté donnée au titulaire d'une créance maritime de saisir à titre conservatoire le navire auquel la créance se rapporte sont très libérales car la seule "allégation" de créance maritime à l'encontre du navire permet d'obtenir du juge des saisies une décision tendant à la saisie conservatoire du navire. Cependant, une fois qu'il a fait procéder à la saisie conservatoire, la Convention impose au titulaire de la créance maritime d'engager une procédure "au fond" devant un juge qui statuera selon la lex fori, loi du for 18 REMOND-GOUILLOUD Martine, Droit maritime, n° 257, 2e édition, Pedone, 1993 19 NAVARRE-LAROCHE Cécile, La saisie conservatoire des navires en droit français, Editions MOREUX
  • 15. La saisie conservatoire des navires Année universitaire 2010-2011 16 ayant autorisé la saisie. Cependant, les règles de Bruxelles de 1952 ne précisent pas les moyens que doit soulever le créancier saisissant. On est amené à se poser la question si le saisissant doit demander aux juges du fond de se prononcer sur le bien fondé de la saisie conservatoire au regard de la seule Convention de Bruxelles et ainsi de bien vouloir confirmer la décision du juge de la saisie ou au contraire, s’il doit se référer à la loi du for afin d'établir que la saisie conservatoire était bien justifiée? La dualité du régime de la saisie conservatoire impose une étude comparative du régime français et international. Ce dualisme du système juridique suscite une attention particulière puisqu'en matière de saisie conservatoire des navires, deux normes entrent en concurrence – ce qui fait du régime juridique de la saisie un régime original. D'une part, il y a la Convention de Bruxelles de 1952 et, d'autre part, le droit interne de chaque Etat signataire de la Convention. Dans la présente étude, nous présenterons la problématique de la délimitation du champ d'application respectif de chaque norme afin d'envisager leurs conditions de mise en œuvre selon le fondement invoqué par le créancier saisissant. Selon le fondement de la saisie (la loi de 1967 ou la Convention de 1952) les conditions d'exercice de cette dernière diffèrent. En ce sens, il convient de se demander quel est le droit applicable à la saisie d'un navire ainsi que quelles sont les conditions préalables afin que le créancier puisse saisir le navire de son débiteur. Le mémoire va traiter également de la problématique des effets de la saisie sur le plan procédural et entre les parties. Il convient d`invoquer successivement les conditions d'exercice de la saisie conservatoire selon qu'elle se fonde sur la loi de 1967 ou sur la Convention de 1952 (PARTIE I) ainsi que les moyens mis à la disposition du créancier d'agir contre le débiteur insolvable (PARTIE II).
  • 16. La saisie conservatoire des navires Année universitaire 2010-2011 17 PARTIE I LA SAISIE CONSERVATOIRE DES NAVIRES : UNE VOIE D'EXECUTION CONDITIONNEE Afin de pouvoir saisir un navire, il convient en amont de s'intéresser au droit permettant l'exercice d'une telle procédure. Les conditions d'exercice de la saisie conservatoire doivent être analysées d'une part par rapport à l'Etat du pavillon (Chapitre I) et d'autre part, quant à la nature de la créance et le navire saisissable (Chapitre II). CHAPITRE I : CONDITIONS TENANT A L'ETAT DU PAVILLON Le pavillon du navire est l'élément déterminant de l'application de la Convention de Bruxelles. La subdivision entre navires battant pavillon d'un Etat contractant et navires ne battant pas pavillon d'un Etat contractant est une distinction propre à la Convention de 1952. Par conséquent, il s'agit d'invoquer les conditions d'exercice de la saisie conservatoire, qui diffèrent selon qu'il s'agisse d'un navire battant pavillon d'Etat ayant ratifié la Convention de 1952 (§I) ou d’un navire qui ne bat pas pavillon d'un tel Etat (§II). § I Le navire battant pavillon d'un Etat contractant La Convention de 1952 s'applique exclusivement à la saisie des navires battant pavillon d'un Etat contractant (A). Cependant, le principe d’application exclusive de la Convention aux navires battant pavillon d’un des Etats signataires n’est pas absolu puisque cette dernière prévoit des dérogations (B). A. Le principe : application de la Convention de 1952 Tous les navires battant pavillon d'un Etat contractant de la Convention de 1952 sont soumis à l'application de cette dernière, et ce, en vertu du principe de primauté du droit international sur la loi interne (1). En outre, la Convention représente un
  • 17. La saisie conservatoire des navires Année universitaire 2010-2011 18 instrument d'unification primordial en matière de saisie conservatoire entre les législations nationales des Etats (2). 1. Affirmation de la primauté du droit international sur le droit interne Le dualisme qui régit la matière de la saisie conservatoire du navire suscite des interrogations quant à l'application du droit applicable lorsque le litige relatif à la saisie comporte un élément d'extranéité. D'une part, l’article 55 de la Constitution française reconnaît la primauté du traité international sur le droit interne en cas de conflit des deux normes juridiques. D'autre part, l'article 8-1 de la Convention de 1952 énonce que les dispositions de la Convention sont applicables dans tous les ports d'un Etat contractant, à tout navire battant pavillon d'un Etat contractant. Dès lors, la Convention s'applique impérativement lorsque les conditions sont remplies. La jurisprudence20 affirme clairement le principe de la primauté du droit international sur le droit interne : "la loi du 3 janvier 1967, modifiée par le décret du 27 octobre 1967, régit la matière de la saisie conservatoire en droit interne, mais l'autorité de la convention internationale étant supérieure à celle de la loi interne, les dispositions particulières du décret ne peuvent être valablement invoquées lorsque la convention est applicable". Il s'ensuit qu'un navire battant pavillon d'un Etat contractant ne peut être saisi que sur le seul fondement de la Convention de 1952. La Convention s'applique exclusivement à la saisie en France d'un navire battant pavillon d'un Etat contractant. Ainsi, un navire grec ne peut être saisi en France que sur le fondement de la Convention de 1952, la Grèce ayant adhéré à la Convention. Encore faut-il souligner que les armateurs grecs se trouvent protégés par la Convention du fait que celle-ci restreint le droit de saisir le navire aux seuls créanciers titulaires d'une "créance maritime". 20 C.A. Rouen, 15 Avril 1982, Navire GME-Atlantico, DMF 1982, p.744
  • 18. La saisie conservatoire des navires Année universitaire 2010-2011 19 2. La Convention de 1952 – instrument d'uniformisation de l'exercice de la saisie conservatoire Par son application automatique dans les Etats signataires, la Convention permet par conséquent de soumettre le créancier aux mêmes règles dans chaque Etat signataire et d'uniformiser l'exercice de la saisie comme moyen de pression de la part du créancier en offrant les mêmes droits et obligations à tout créancier saisissant. Apres avoir envisagé le principe de l'application exclusive de la Convention de 1952, il convient de mentionner les cas d'exclusion prévus par le texte même de la Convention. B. Les limites prévues par les articles 2 et 8 de la Convention La Convention de Bruxelles prévoit dans les articles 8 (1) et 2 (2) des cas d'exclusion de son application. Il s'agit d'envisager les hypothèses dans lesquelles la Convention ne s'applique pas même si le navire bat pavillon d'un Etat contractant. 1. L’article 8 de la Convention D'une part, la Convention de Bruxelles abandonne à la loi interne de l'Etat contractant la saisie d'un navire battant pavillon de cet Etat par une personne résidant, ou ayant son principal établissement dans cet Etat (art.8-4°) : la loi française est donc seule compétente pour connaître des saisies pratiquées par des résidents français sur un navire français. Il ressort de cet article, trois éléments à prendre en considération : - le lieu de la saisie ; - la nationalité du navire ; - et la résidence ou le principal établissement du créancier saisissant. Si les trois éléments appartiennent au même Etat contractant, c'est la loi de cet Etat qui va s'appliquer. Un élément d'extranéité est requis pour que la Convention trouve à s'appliquer. D'autre part, l’article 8-3 de la Convention prévoit que "chaque Etat contractant peut refuser tout ou partie des avantages de la Convention à tout Etat non contractant et à
  • 19. La saisie conservatoire des navires Année universitaire 2010-2011 20 toute personne qui n'a pas, au jour de la saisie, sa résidence habituelle ou son principal établissement dans un Etat contractant". D'une part, ce texte peut être interprété de manière restrictive – si un navire battant pavillon d'un Etat contractant est saisi dans un Etat contractant, la Convention pourrait être appliquée (art.8-1), mais si le requérant n'a pas sa résidence habituelle ou son principal établissement dans un Etat contractant, tout ou partie des avantages de la Convention pourrait lui être refusé. D'autre part, si une interprétation large s'impose, la Convention ne pourra pas s'appliquer. Selon le Doyen Rodière21 "entre deux interprétations de la convention internationale, l'une conduisant à réduire son domaine d'application, l'autre conduisant à lui donner toute son ampleur, il faut systématiquement choisir l'interprétation la plus large". Encore faut-il préciser que, selon article 8-5, même si le créancier ne peut pas se prévaloir d'une résidence habituelle ou d'un établissement principal dans un Etat contractant, il ne peut se voir refuser l'application de la convention par l'effet d'"une subrogation, d'une cession ou autrement", lorsque le cédant ou le subrogeant a sa résidence habituelle ou son principal établissement dans un Etat contractant. 2. L'article 2 de la Convention Le droit interne à chaque Etat trouve à s’appliquer lorsqu’il existe des impératifs de sécurité et d’ordre public. Selon l’article 2 de la Convention, "rien dans les dispositions de la présente Convention ne pourra être considéré comme une extension ou une restriction des droits et pouvoirs que les Etats, Autorités publiques ou Autorités portuaires tiennent de leur loi interne ou de leurs règlements, de saisir, détenir ou autrement empêcher un navire de prendre la mer dans leur ressort". L’application de principe de la Convention est donc limitée par le respect des règles de sécurité et d’ordre public propres à chaque Etat contractant où est pratiquée la saisie. Les autorités publiques ou portuaires peuvent saisir un navire, même si aucune créance maritime ne peut être invoquée, s'il y a violation des impératifs de santé ou des règles de sécurité de la navigation, d'une non-conformité avec les règles et règlements relatifs à la pollution ou encore s'il y a contrebande (Art. 324 (1) (a), 326, 378 et 414 du Code des Douanes). 21 RODIERE, Traité général de droit maritime, Introduction, n°5 et 30 et s. DALLOZ, 1976
  • 20. La saisie conservatoire des navires Année universitaire 2010-2011 21 Le problème posé par la saisie d'un navire battant pavillon d'un Etat non contractant est plus complexe et mérite notre attention. §II Le navire ne battant pas pavillon d'un Etat contractant : application de l`article 8-2 de la Convention L'article 8-2 de la Convention énonce qu'un navire ne battant pas pavillon d'un Etat contractant peut être saisi dans un Etat contractant soit en vertu de l'une des créances énumérées à l'article 1er de son texte (créances maritimes), soit en vertu de toute autre créance permettant la saisie d'après la loi de cet Etat. Ainsi, pour un tel navire, une saisie conservatoire peut néanmoins être faite en France, si la créance paraît fondée en son principe. Cet article donne lieu à différentes interprétations de la doctrine (A), ainsi que de la jurisprudence de la Cour de Cassation (B). A. Une divergence doctrinale quant à la portée de l’article 8-2 Force est d'admettre que de l'interprétation de cet article découle l'étendue du domaine d'application de la Convention aux navires ne battant pas pavillon d'un Etat contractant. La doctrine est partagée entre deux théories. D'une part, certains auteurs22 soutiennent la thèse selon laquelle un choix entre la Convention et la loi du for peut être effectué, ce qui restreint considérablement le domaine d'application de la Convention. Ils considèrent que selon l’article 8-2, le créancier saisissant qui souhaite saisir un navire battant pavillon d'un Etat non contractant dans l'un des Etats contractants, dispose d'un choix : - soit il se fonde sur la Convention et invoque une créance maritime parmi celles énumérées à l'article 1er ; - soit il décide de saisir le navire en invoquant "toute autre créance permettant la saisie d'après la loi de cet Etat", en se fondant sur la loi de l'Etat visé. D'autre part, il y a la théorie selon laquelle la Convention s'applique de manière générale aux navires battant pavillon d'un Etat non contractant – le créancier pourrait 22 RIPERT Georges, Conférence de CMI à Naples, Bull. n°105 ; Patrick PESTEL-DEBORD et Philippe GARO, La saisie conservatoire de navires, Pratic Export, 1994, p.7 ; VIALARD Antoine, Droit maritime, n°366, PUF, 1997
  • 21. La saisie conservatoire des navires Année universitaire 2010-2011 22 se prévaloir de la Convention de 1952 en se fondant sur une créance permise d'après la loi interne de cet Etat. Selon cette deuxième interprétation, le domaine d'application de la Convention se trouve élargi. Maître Christian Scapel et Monsieur le Professeur Pierre Bonassies23 se sont prononcés sur ce sujet et soutiennent la théorie selon laquelle la Convention s'applique de manière générale à la saisie d'un navire d'un Etat non contractant, avec référence complémentaire et partielle aux causes de saisie de la loi du for. En effet, selon eux, si la thèse opposée est retenue, et la saisie d'un navire d'un Etat non contractant est soumise à la loi du for, il existe le risque de favoriser les navires des Etats non contractants – surtout les navires affrétés, saisissables sous le régime de la Convention mais qui ne le sont pas sous de nombreux régimes nationaux. Les rédacteurs de la Convention n'ont pas voulu, lors de la rédaction, conférer cet avantage aux navires des Etats non contractants24 . Les divergences doctrinales ont laissé des traces au sein même de la jurisprudence concernant l'interprétation de l'article 8-2. B. Une jurisprudence incertaine La Cour de Cassation s'est prononcée à plusieurs reprises à propos de l'interprétation de l'article 8-2. Le débat doctrinal s'est produit au sein même de la Cour de Cassation où deux interprétations ont été envisageables : la thèse du rejet d'application de la Convention25 et la théorie selon laquelle la Convention s'applique26 . Elle a jugé tout d'abord que pour un navire ne battant pas pavillon d'un Etat contractant, une saisie conservatoire peut néanmoins être faite en France, si la créance paraît fondée en son principe27 . Ainsi, la Cour a rejeté le pourvoi contre un arrêt de la Cour d'Appel d'Aix-en-Provence du 22 mai 1997 en statuant que :"Un armement dont le navire venait d'être saisi garantissant la vente d'un autre navire. Il était donc débiteur de l'obligation de garantir l'acquéreur contre les défauts de conformité du navire vendu. Le navire saisi battant pavillon de la Colombie, Etat non 23 Pierre BONASSIES, Christian SCAPEL, Traité de Droit Maritime, 2e édition p.409 24 Pierre BONASSIES, Le droit positif français en 1997, DMF 1998, Hors série n°2, p.46, n°62 ; F. Berlingieri, Arrest of ships, 3éd., 2000 25 Cass Com, 28 octobre 1999, navire Mediterranea, DMF 2000, p. 709 26 Cass Com, 30 octobre 2000, navire Sargasso, DMF 2000, p.1012 27 C. Cass., 26 octobre 1999, DMF 1997. 692, obs. Delebecque
  • 22. La saisie conservatoire des navires Année universitaire 2010-2011 23 partie à la Convention de Bruxelles, pouvait donc être saisi en France par application de l'article 8-2". Après avoir déterminé le droit applicable, on serait amené à se demander quelles sont les conditions à remplir pour qu'une saisie conservatoire puisse être effectuée. CHAPITRE II : LES CONDITIONS TENANT A LA NATURE DE LA CREANCE ET LE NAVIRE L’objet de la saisie doit être considéré en fonction de la créance qui la fonde (§1) ainsi qu’en fonction de la saisissabilité du navire (§2). §I LES CARACTERES DE LA CREANCE AUTORISANT LA SAISIE Les caractères propres de la créance et les circonstances dans lesquelles celle-ci peut être invoquée à l’appui d’une demande de saisie conservatoire diffèrent selon qu’il s’agisse du droit interne ou du droit international. Voie d'exécution, la saisie conservatoire du navire repose sur un droit dont se prévaut le demandeur. Ce droit est une cause juridique particulière : "allégation d'un droit ou d'une créance" selon la Convention de Bruxelles (art.1er § 1) et "une créance paraissant fondée en son principe" en droit français (Loi du 9 juillet 1991, art.67 ; Décret du 27 octobre 1967, art. 29 ; L 5114-22 du Code des Transports). Il convient d’envisager, d’une part, les conditions posées quant à la nature de la créance par la Convention de 1952 (A) afin de s’intéresser aux critères exigés par la loi française (B). A. Une créance « maritime » requise par la Convention de 1952 Lorsque la saisie trouve son fondement dans la Convention de 1952, le créancier doit se prévaloir d'une créance maritime figurant dans la liste de l'article 1er de cette dernière (1). Celle-ci présente un caractère unilatéral (2). 1. Liste exhaustive de l`article 1 de la Convention
  • 23. La saisie conservatoire des navires Année universitaire 2010-2011 24 Force est d’admettre que les conditions d’exercice de la saisie de la Convention de 1952 sont à la fois plus restrictives et plus larges que celles de la loi de 1967. Le texte de la Convention limite la saisie aux seules « créances maritimes ». En ce sens, la Convention s’avère plus restrictive que la loi française, puisque cette dernière, comme nous le verrons, ouvre le droit à la saisie conservatoire à toute créance, peu importe sa nature, à condition qu'elle soit fondée dans son principe. a. La nécessité d'une créance de nature "maritime" La Convention de 1952 réserve la faculté de saisir un navire à des créances ayant un caractère « maritime », sans démontrer nécessairement l'urgence28 . L'"allégation de créance maritime", critère suffisant et unique, permet au créancier de saisir le navire de son débiteur sur le fondement de la Convention du 10 mai 1952. Ainsi, la Cour de Rouen a décidé que "l'allégation d'une créance maritime suffit à elle seule à autoriser la saisie du navire auquel la créance se rapporte."29 , et ceci, peu importe que cette créance soit "partiellement maritime"30 . Selon l’article 1er de la Convention, la notion de "créance maritime" signifie l'allégation d'une créance ou d'un droit qui a une des causes énumérées de la lettre a) à la lettre q). En effet, la Convention donne une énumération exhaustive et limitative de ce qui doit être considéré comme rentrant dans la catégorie de créances maritimes : les créances nées d’un abordage, de dommages corporels provenant de l’exploitation d’un navire, d'avaries communes, de contrats d`affrètement, de transport et c. La règle est affirmée par article 2 qui prévoit : “un navire battant pavillon de l’un des Etats contractants ne pourra être saisi dans le ressort d’un Etat contractant qu’en vertu d`une créance maritime, le texte anglais ajoute “but in respect of no other claim” – ce qui renforce la règle. Une chose est sûre : il suffit que la créance figure sur la liste, le juge n’a pas a vérifier après que la créance est certaine et sérieuse31 . 28 Cass, 1ere Civ., 18 novembre 1986, navire Atlantic Triton 29 CA Rouen, 12 juin 1992, 2e ch. Civile, navire Roman et navire Maïpo, DMF 1993, p.752 30 Cass Com, 3 février 1998, navire Vendredi 13 ; T.Com. Marseille, ord. Réf., 4 juin 2003, navire Peljasper 31 Com. 26 mai 1987, DMF 87, 645
  • 24. La saisie conservatoire des navires Année universitaire 2010-2011 25 Il est intéressant de noter que des débats se sont manifestés lors des travaux préparatoires de la Convention de 195232 quant à la détermination de la nature de la créance autorisant la saisie. Les deux conceptions Anglo-Saxonne et Continentale s'affrontaient, à savoir : selon la loi britannique, une créance "maritime" était requise afin d'effectuer la saisie, alors que les législations de la plupart des pays continentaux autorisaient cette dernière peu importe la nature de la créance, maritime ou non maritime. Un compromis a été adopté – la saisie est autorisée par la Convention en vertu d'un certain nombre de "créances maritimes" énumérées par l’article 1er , et en même temps, conformément à la conception continentale, elle peut être effectuée sur un navire autre que celui auquel la créance se rapporte et qui appartient au même débiteur. b. L'interprétation restrictive de l'article 1er de la Convention par la jurisprudence française La liste des créances énumérées dans l'article 1er de la Convention est d’interprétation stricte. La jurisprudence française a confirmé le caractère restrictif de l'interprétation. En effet, des décisions ont expressément statué en ce sens – à savoir qu'il convient d'appliquer restrictivement l'article 1er de la Convention de Bruxelles et d'exclure les créances qui ne figureraient pas dans cet article. Dans cette lignée jurisprudentielle s'inscrit la décision de la Cour d'Appel d'Aix en Provence33 où les juges ont retenu que : "La convention doit être interprétée restrictivement, en ce qui concerne la nature des créances susceptibles d'être considérées comme maritimes, l'affectation des biens d'une société au paiement d'une créance ne saurait être assimilée à une hypothèque … Si le législateur a entendu limiter dans un but de clarté et d'application internationale, les cas où une créance devaient être considérée comme maritime, il n'appartient pas au juge national lorsqu'il interprète une telle Convention, d'étendre ces cas prévus". Aussi longue que soit l'énumération des créances de l'article 1er , elle ne couvre pas la totalité des créances nées de l'exploitation du navire. Ainsi, se trouvent exclues les créances trouvant leur justification dans le non paiement des primes d'assurances34 , 32 BERLINGIERI Francesco, Arrest of ships, p.48, Lloyd's of London Press, 1992 33 CA Aix-en-Provence, 26 octobre 2001 34 Trib. Com. Le Havre, 4 mars 1984, DMF 81, 740
  • 25. La saisie conservatoire des navires Année universitaire 2010-2011 26 les créances résultant d'un contrat de crédit-bail35 , les créances de location d'une flotte de conteneurs à l'armement propriétaire des navires saisis36 , les créances de prêt pour effectuer des réparations sur un navire37 , les créances nées de la vente d’un bâtiment autre que celui faisant l’objet de la saisie38 et de manière générale les créances non maritimes39 . A titre d'exemple où les juges interprètent restrictivement la notion de créance maritime, on peut citer la décision de la Cour d'Appel d'Aix en Provence40 rétractant une ordonnance du Président du Tribunal de commerce de Saint-Tropez. Dans cette affaire, une épouse en instance de divorce obtient la confirmation de la saisie conservatoire du navire de plaisance battant pavillon belge et dont son mari est le propriétaire, et ce, en garantie d'une importante créance de pension alimentaire d'un montant de 763.000 euros. Pour la Cour d'Aix, une créance de pension alimentaire de divorce n'est pas une créance maritime au sens de l'article 1er de la Convention et la saisie est levée. En revanche, la jurisprudence réaffirme que sont des créances maritimes, les créances salariales du capitaine, des officiers et de l'équipage, et que celles-ci comprennent non seulement les salaires proprement dits, mais encore les primes et les indemnités de rupture de contrats41 . Il convient de mentionner que la Cour de Cassation a rendu une décision d'interprétation extensive de la notion de créance maritime42 : les débours du capitaine et ceux effectués par un consignataire pour le compte d'un navire ont le caractère d'une créance maritime, dès lors que l'armateur est autorisé à saisir un navire appartenant au consignataire, pour obtenir le remboursement d'un solde du compte d'escale. Concrètement, sont considérées comme bénéficiant d’une créance maritime deux catégories de créanciers. La première comprend les créanciers titulaires d’un droit 35 CA Aix-en-Provence, 2e ch. Civ., 20 avril 1990 36 CA Aix-en-Provence, 2e Ch. Com, 30 Octobre 2002, navires Tablat et Tlemcen, DMF janvier 2003 37 CA Aix-en-Provence, 14 novembre 1996, navire Zamoura, DMF juin 1997 38 Rouen 15 avril 1982, DMF 82, 744 39 Rouen 9 fevrier 1984, DMF 85.156 40 CA Aix-en-Provence, 14 janvier 2005 41 CA Aix-en-Provence, 18e ch., 13 avril 2004 ; Conseil de Prud'hommes Cannes, 13 mai 2004 42 Cass. Com., 10 mai 1989
  • 26. La saisie conservatoire des navires Année universitaire 2010-2011 27 réel sur le navire en cause (créances concernant la propriété ou la copropriété du navire saisi, ainsi que toute hypothèque maritime ou mortgage43 ). La seconde catégorie de créanciers autorise à saisir conservatoirement un navire, ce sont ceux dont le titre est né de l’exploitation ou de l’usage du navire. En tout état de cause, la créance est toujours liée au navire saisi, elle en est l'accessoire en ce sens qu'elle est soit incorporée au navire, soit produite par lui, soit affectée à son service. 2. Le caractère unilatéral de la notion de « créance maritime » La créance maritime présente un caractère unilatéral. Dans un contrat d’affrètement, la créance que l’affréteur a contre l’armateur, pesant d’abord sur le navire, est une créance maritime qui donne a l`affréteur le droit de saisir le navire dudit armateur. Selon Monsieur le Professeur Pierre Bonassies et Monsieur Scapel, la créance de l’armateur contre l’affréteur n’est pas une créance privilégiée – l’armateur dans ce cas ne peut saisir un navire « tiers » qui appartient à son débiteur. En conclusion, il est intéressant de noter que la nouvelle Convention de 1999 n'innove pas en la matière, puisqu'elle reprend le même système de liste a priori limitative dans son article 1er . Comme le texte de 1952, elle s’avère protectrice de la liberté du commerce maritime, en limitant le droit d`exercer une saisie conservatoire aux seuls créanciers titulaires d`une créance maritime, « à l’exclusion de toute autre créance » (art.2, al.2). Cependant, elle crée, en plus des créances mentionnées, de nouvelles catégories de "créances maritimes". Cette notion se trouve élargie puisque la Convention crée de nouvelles catégories de créances, essentiellement inspirées par de préoccupations environnementales (art.1er § 1c ; art.1er § 1d). A titre d`exemple, on peut citer la créance pour assistance, qui s’étend a la créance pour indemnité spéciale, en cas d’assistance à un pétrolier, tandis que la nature de créance maritime des créances de salaire s’entend aux créances de cotisations d’assurance sociale. Il faut noter que ces solutions avaient été déjà adoptées par certains tribunaux nationaux, dont les juges français, comme nous le verrons par la suite (B). 43 Aix-en-Provence, 12 juin 2008, navire Ocean Breeze, DMF 2009.150
  • 27. La saisie conservatoire des navires Année universitaire 2010-2011 28 B. « Une créance paraissant fondée dans son principe », exigée par la loi française Plus large que le texte international, la loi française permet la saisie pour toute espèce de créance, et alors même qu'elle tiendrait à une activité non maritime du propriétaire du navire. La seule exigence que pose la loi française est que la créance paraisse justifiée dans son principe. Les juges se livrent à un examen au cas par cas afin de déterminer le sérieux de la créance (1). En outre, le créancier n'a pas à démontrer l'urgence de la créance (2). 1. « Créance paraissant fondée en son principe » : une notion difficile à cerner La notion de "créance paraissant fondée dans son principe" est difficile à préciser. Il appartient aux tribunaux de déterminer au cas par cas si les droits du créancier paraissent avoir un fondement suffisant. Quand la saisie conservatoire générale a été introduite, la loi du 12 décembre 1955 a spécifié que le juge l'autoriserait si le créancier justifiait "d'une créance paraissant fondée en son principe"44 . Toutefois, la position prise en 1955 s'est révélée insuffisamment protectrice des droits d'armement. Un navire étant un instrument de travail valant très cher, les auteurs de la loi du 3 janvier 1967 ont considéré que la notion de "créance fondée en son principe" était trop vague et pouvait autoriser des saisies abusives. L’article 29 du décret du 27 octobre 1967 exigeait du créancier qu'il démontre "une créance certaine". Cette règle a été assouplie par un décret du 24 février 1971. Selon le nouveau texte de la loi de 1967, la saisie conservatoire est ouverte à tout créancier justifiant "d'une créance paraissant fondée dans son principe". Par conséquent, les juges doivent procéder à une appréciation souveraine et un examen de la créance afin de s'assurer qu'elle est sérieuse et que le principe en est certain45 . 44 Article 48 du Code de procédure civile ancien ; Article 29 du Décret du 27 Octobre 1967 45 Trib. Com. Cannes 8 Juillet 1983 ; Rouen 1er Juillet 1985
  • 28. La saisie conservatoire des navires Année universitaire 2010-2011 29 Dans la pratique, il apparaît que les tribunaux accordent assez largement le droit d'exercer une saisie conservatoire46 si la créance leur parait assez sérieuse. Ainsi, la Cour d'Appel d'Aix-en-Provence47 a jugé que la créance d'un chantier impayé par un armateur pour des réparations réalisées sur le navire est une créance paraissant fondée en son principe. En revanche, la pratique jurisprudentielle révèle des cas où les juges ont refusé cette qualification48 et notamment lorsque la créance leur apparaissait "douteuse et insuffisamment fondée en son principe"49 . 2. La certitude : l'urgence de la créance n'est pas requise A la différence de mesures conservatoires de droit commun, aucune condition d'urgence ou de risque de non-recouvrement de la créance n'est requise pour l'exercice d'une saisie conservatoire de navire. Le droit commun exige en effet que le créancier démontre des "circonstances susceptibles de menacer le recouvrement" de la créance (art. 67 de la loi du 9 juillet 1991). En revanche, pour la créance paraissant "fondée en son principe" aucune condition d'urgence ou de risque de non-recouvrement de la créance n'est requise pour l'exercice d'une saisie conservatoire50 . La preuve de la créance n'est pas suffisante. Le créancier, qui démontre une créance maritime ou une créance "paraissant fondée en son principe" peut toutefois être confronté au caractère insaisissable du navire. Ainsi faut-il s'intéresser aux navires saisissables. § II CONDITIONS TENANT AU NAVIRE SAISISSABLE Pour qu'un navire puisse faire l'objet d'une saisie conservatoire, il faut qu’il soit saisissable. Il faut observer que certains navires ne peuvent être saisis car ils bénéficient de l'insaisissabilité – véritable privilège d'exécution. 46 Rouen, 25 mai 1973, Scapel 1973, 45 ; DMF 1974, 84 47 CA Aix-en-Provence, 28 novembre 1985, Navire Shangri-La, DMF 1986, p.94 48 Trib. Com. Rouen, 11 janvier 1991, Navire Noblesse, DMF 1992.58 49 CA Rennes, 30 Juillet 1975, Navire Pointe du Minou, DMF 1976, p.223 50 Cass. 18 nov. 1985, DMF 1987.696
  • 29. La saisie conservatoire des navires Année universitaire 2010-2011 30 Dans un premier temps, nous évoquerons les navires susceptibles de faire l'objet d'une saisie (A) afin d'examiner dans un deuxième temps les navires qui ne sont pas susceptibles d'être saisis ainsi que le principe d'insaisissabilité des navires dépendant directement d'un Etat (B). A. Les navires susceptibles de faire objet d'une saisie Traditionnellement, en droit français, le législateur a voulu faciliter la liberté de navigation. Par conséquent, les navires prêts à faire voile ne pouvaient faire l'objet d'une saisie puisque leur immobilisation entraînait des pertes financières. L’article 215 du Code de Commerce interdisait la saisie des navires prêts à faire voile. Cette règle a été écartée expressément par la Convention de 1952. Elle ne figure pas non plus dans la loi de 1967. Désormais, la saisie des navires prêts à faire voile tend à devenir la règle. Toutefois, étant donné l'importance des préjudices occasionnés par cette saisie, le juge se livre à un contrôle en tenant compte de la valeur des intérêts en jeu51 . Dans cette affaire, les juges de la Cour d'Appel d'Aix en Provence ont estimé que la saisie pratiquée sciemment et sans nécessité un vendredi en fin de matinée, sur un navire en partance et en charge de ses passagers et véhicules, dépassait la fin légitime d'une saisie conservatoire et exerçait une pression quasi intolérable sur le débiteur. B. Les navires insaisissables Selon l’article 15 de la loi du 9 juillet 1991 "les saisies peuvent porter sur tous les biens appartenant au débiteur alors même qu'ils seraient détenus par des tiers". La saisie du navire ne tient pas compte en principe de son affectation au commerce, à la pêche, à la plaisance…Tous les navires sont saisissables dans les mêmes conditions. Cependant, ce principe souffre d’exceptions. Il convient alors d'envisager, d'une part, l'insaisissabilité de principe des navires instruments de travail (1) afin d'invoquer l'insaisissabilité des navires dépendant de l'Etat (2). 51 CA Aix-en-Provence, 10 mars 1987, DMF 1988
  • 30. La saisie conservatoire des navires Année universitaire 2010-2011 31 a. Exclusion de la saisie des navires instruments de travail : insaisissabilité de principe La loi52 protège efficacement les navires instruments de travail par une insaisissabilité de principe, pour autant que sont réunies deux conditions : l'exercice d'une activité professionnelle (le travail) et l'utilisation du navire allégué (l'instrument nécessaire et indispensable à l'exercice de cette activité)53 . Le principe a été appliqué par les tribunaux aux navires de pêche54 . Ce principe subit des dérogations selon l’article 592-1, reprises par l’article 14-4 de la loi du 9 juillet 1991. D'après cet article, les navires sont susceptibles d'être saisis s'"ils se trouvent dans un lieu autre que celui où le saisi demeure ou travaille habituellement" et s'"ils sont des biens de valeur, en raison notamment de leur importance, de leur matière, de leur rareté, de leur ancienneté ou de leur caractère luxueux". Cependant, il faut noter que cette circonstance reste sans effet si le navire est l'unique instrument de travail de l'artisan que la loi protège (Montpellier, 19 oct. 1978, navire Phoebus, précité). b. Exclusion de la saisie des navires bénéficiant d'une immunité Conformément aux exigences de la Convention de Bruxelles du 10 avril 1926 sur l'immunité des navires d'Etat55 , les navires d'Etat affectés exclusivement à une activité gouvernementale et non commerciale ne sont pas saisissables, en vertu des immunités de juridiction et d'exécution qu'on doit leur reconnaître. L'immunité d'exécution interdit la saisie d'un navire appartenant audit Etat alors que l'immunité de juridiction interdit d'obtenir sa condamnation par un juge français, si celle-ci est ordonnée en France. L'immunité d'exécution protège les navires, tant militaires que civils, appartenant à l'Etat et aux personnes morales de droit public : collectivités territoriales, établissements publics, hôpitaux publics, universités et instituts scientifiques. Afin de bénéficier de l'immunité il faut que le navire soit en rapport avec l'Etat. Les règles du 52 Article 592 de l'ancien Code de procédure Civile, modifié par le décret du 24 Mars 1977, repris par l'article 39 du décret du 31 juillet 1992 53 Trib. Com. Marseille, 16 nov. 1990, DMF 1992, p.129 54 Montpellier, 19 oct. 1978, navire Phoebus, DMF 1979.336 55 Conv. Bruxelles, 10 avril 1926, sur l'immunité des navires d'Etat, entrée en vigueur le 8 janvier 1937et ratifiée par la France le 27 juillet 1955
  • 31. La saisie conservatoire des navires Année universitaire 2010-2011 32 droit international public trouvent à s'appliquer. Cette immunité est écartée "quand le bien saisi a été affecté à l'activité économique et commerciale relevant du droit privé qui donne lieu à la demande en justice"56 . Ainsi, les navires d'Etat affectés à une activité commerciale sont assimilés entièrement aux navires de commerce ordinaires et ne bénéficient pas des immunités57 . L'immunité de juridiction, quant à elle, ne se trouve dans aucune convention internationale. En ce sens, la jurisprudence a dû développer les critères permettant la mise en œuvre d'une telle immunité. Encore faut-il mentionner qu'il existe la possibilité pour les parties à un contrat maritime de prévoir par avance qu'elles n'auront pas recours à la saisie conservatoire58 , que ce soit par une clause compromissoire ou indépendamment d'une telle clause. Une fois les conditions d'exercice d'une saisie conservatoire en droit français et en droit international déterminées, il convient de s'intéresser à l'intérêt même que présente la saisie d'un navire et les moyens mis à la disposition du créancier pour obtenir rapidement le paiement de son dû. PARTIE II LA SAISIE CONSERVATOIRE DU NAVIRE : MOYEN DE PRESSION EFFICACE CONTRE LE DEBITEUR La saisie conservatoire constitue avant tout un moyen de pression efficace dont dispose le créancier à l'encontre de son débiteur insolvable (Chapitre I). Elle représente aussi un moyen d'immobiliser le navire rapidement dès que ce dernier entre dans un port (Chapitre II). 56 Cass. 14 mars 1984 57 V. D. Guyot "Les immunités des navires d'Etat : les thèses en présence" DMF 1987 58 Cass 18 novembre 1986, DMF 1987.696
  • 32. La saisie conservatoire des navires Année universitaire 2010-2011 33 CHAPITRE I : LES MOYENS DU CREANCIER D'AGIR CONTRE LE DEBITEUR INSOLVABLE L’obligation est un lien entre deux personnes, et un créancier ne peut saisir que les biens qui appartiennent à son débiteur59 . L’affréteur n’étant pas le propriétaire du navire qu’il exploite, ses créanciers ne peuvent par conséquent le saisir. Selon le Doyen Rodière « C’est bien entendu le navire du débiteur seul qu’on peut saisir … l’affrètement d’un navire n’en fait pas la propriété de l’affréteur. Les créanciers de l’affréteur n’ont donc aucun titre à le saisir »60 . La Convention de 1952 déroge a cette règle en permettant de saisir le navire pour les dettes d’un autre que le propriétaire. Force est d’admettre que le droit français est un droit « personnaliste »61 puisqu’il privilégie la relation entre le créancier et son débiteur. De l’autre côté, la Convention de 1952 est « réaliste » puisqu’elle crée un lien direct entre le créancier et la chose indépendamment du propriétaire. Nous allons traiter successivement l'action in personam lorsque le navire est la propriété du débiteur du navire saisi (§ I) et l'action in rem dans les cas où le débiteur n'est pas le propriétaire du navire en question ( §II ). §I ACTION IN PERSONAM : "LE NAVIRE DEBITEUR" (LE NAVIRE : PROPRIETE DU DEBITEUR) Le créancier qui fonde sa saisie sur la loi de 1967 peut saisir tout navire appartenant à son débiteur. La règle découle des principes généraux du droit commun, lesquels font de chacun des éléments du patrimoine du débiteur le gage de ses créanciers (article 2093 du Code Civil). Toutefois, il faut mentionner que des cas problématiques apparaissent lorsqu'il s'agit d'une saisie d'un navire autre que celui ayant fait l'objet de la créance ou lorsqu'il est difficile de déterminer si le navire appartient au même débiteur. Nous allons envisager d'une part la possibilité accordée par le droit français de saisir les navires auxquels se rapporte la créance maritime (A) puis évoquer les cas de saisie des navires autres que ceux auxquels la créance se rapporte (B). 59 Loi n° 91-650 du 9 juillet 1991, article 74 ; Cass. 1ere Ch Civ, 18 novembre 1997 60 R.Rodiere, Le navire, Paris, Dalloz, 1980, n° 189 et 200. 61 LOOTGIETER Sébastien, La saisie d`un navire affrété, DMF 716 Juillet-Aout 2010
  • 33. La saisie conservatoire des navires Année universitaire 2010-2011 34 A. La saisie d'un navire auquel se rapporte la créance La question qui se pose est celle de savoir quand un requérant invoque une créance présentant toutes les caractéristiques pour exercer une saisie, pourra-t-il saisir tout navire de son débiteur? Deux hypothèses sont envisageables, selon qu’il s’agisse de la loi française qui fonde la saisie ou de la Convention de 1952. Si le créancier fonde la saisie sur la loi du 3 janvier 1967, il pourra alors saisir tout navire appartenant à son débiteur (article 2093 C. Civil). En revanche, s'il appuie sa demande sur la Convention de 1952, l’article 3 de ladite Convention62 prévoit qu'il devra saisir "le navire auquel la créance se rapporte". Cette notion de "navire auquel la créance se rapporte" a dû être précisée par la jurisprudence63 . En l'espèce, un armateur créancier de son consignataire a voulu saisir le navire affrété en 1995 par ce dernier, alors que les sommes en question concernaient les relations d'affaires en 1994. Sa demande a été rejetée. En second lieu, il résulte des dispositions de l'article 3, al. 3 de la Convention que le créancier ne pourra saisir qu'un seul navire. Toutefois, ce principe n'a pas un caractère absolu. L'interdiction faite à un créancier de saisir plus d'un navire ne joue pas pour les saisies effectuées dans un Etat qui n'est pas partie à la Convention64 . De même, la Convention autorise le créancier à saisir non seulement le navire "auquel la créance se rapporte", mais aussi "tout autre navire appartenant[…] au […] propriétaire du navire auquel la créance se rapporte" : c'est-à-dire les "sister-ships"65 – un navire autre que celui générateur de la créance née de son exploitation, à condition qu'il soit la propriété du débiteur. Il s'agit de la constitution de compagnies d'armement dotées d'un seul navire. Ainsi d'une manière indirecte, la Convention aboutit aux mêmes résultats que la loi française : le créancier peut saisir tout navire appartenant à son débiteur. Toutefois, il a paru injuste que ceux qui contrôlent la gestion d'un ensemble de navires ne soient pas poursuivis sur l'un ou l'autre de ceux-ci sous prétexte qu'ils ont 62 Art.3 de la Convention : "Tout demandeur peut saisir soit le navire auquel la créance se rapporte, soit tout autre navire appartenant à celui qui était au moment où est née la créance maritime, propriétaire du navire auquel une créance se rapporte." 63 CA Rouen, 24 mai 1995, Navire Saint-Pierre 64 Ajaccio, 19 octobre 1999, Navire Islandbreeze 65 "Sister ship" signifie "deuxième navire identique au premier"
  • 34. La saisie conservatoire des navires Année universitaire 2010-2011 35 constitué des sociétés indépendantes. La doctrine et la jurisprudence ont établi une théorie dite de "navires apparentés". Ce qui nous amène à étudier la problématique de la saisie d'un navire autre que celui auquel la créance se rapporte et la théorie des navires apparentés. B. La saisie d'un navire autre que celui auquel la créance se rapporte – les navires apparentés Une fois admis le principe que le créancier maritime peut saisir tout navire appartenant à son débiteur, le problème qui s'est posé était de savoir si, le débiteur étant une société A, il n'était pas possible de saisir un navire appartenant à une société A', étant donné que les deux sociétés A et A' avaient les mêmes actionnaires, voire un seul et même actionnaire, ces sociétés constituant des "single ship corporations" et les navires apparaissent comme des navires apparentés : appartenant à des sociétés qui forment ensemble un groupe économique mais qui ont une personnalité morale distincte l'une de l'autre. 1. L'élaboration de la "théorie de la communauté d'intérêts" par la jurisprudence La question qui se pose est de savoir quand est-ce que deux navires peuvent être considérés comme ayant le même propriétaire? Selon la Convention de 1952, les "navires seront réputés avoir le même propriétaire lorsque toutes les parts de propriété appartiendront à une même ou aux mêmes personnes" (art.3, al.2). Cette règle implique qu'une saisie conservatoire sur un navire autre que celui auquel se rapporte la créance, ne peut être effectuée que si le débiteur de la créance en est le propriétaire direct. En effet, il faut mentionner qu'il s'agit de parts de propriété dans le navire et non pas d'actions dans la société qui est le propriétaire du navire. Il ne suffit donc pas, pour que l'autre navire puisse être saisi, que le débiteur soit actionnaire d'une société, qui à son tour est propriétaire d'un autre navire, tout comme il ne suffit pas non plus que les sociétés concernées aient les mêmes actionnaires. Cela explique le fait que beaucoup d'armateurs ont constitué, pour chaque navire de leur flotte, une société différente et qu'ils ont ainsi créé une structure de groupe dans laquelle chaque navire appartient à une "single ship
  • 35. La saisie conservatoire des navires Année universitaire 2010-2011 36 company" différente et où les sociétés-propriétaires affrètent leurs navires ou les confèrent en gestion à d'autres sociétés du même groupe. Cette structure leur permet, d'une part, de minimiser les impôts sur les revenus, mais aussi d'éviter qu'un navire puisse être saisi pour les dettes d'un autre navire de leur flotte. Les juges sont allés très loin dans l'application du texte de l'article 3 par. 2 de la Convention puisqu'ils ont considéré qu'il devrait s'appliquer, d'une part, non seulement aux armements constitués en copropriété, mais aussi aux armements constitués en sociétés par actions et, d'autre part, alors même que le capital d'une société A n'appartenait pas en totalité au détenteur du capital d'une société B, les créanciers de la société A pouvaient saisir un navire de la société B dès qu'il existait entre les deux sociétés une communauté d'intérêts, manifestée par une même adresse, les mêmes références bancaires, administrateurs communs ou un autre indice. La CA de Rennes66 utilise cette notion pour la première fois dans une affaire où les créanciers de la société à laquelle appartenait le navire Brave Thémis ont effectué une saisie conservatoire sur le navire Brave Mother, appartenant à une autre société. Les juges n'ont pas autorisé la saisie même s'il s'agissait d'un petit nombre d'actions de ces sociétés qui étaient la propriété de tiers, en concluant que les deux navires se présentaient comme ayant été "la propriété de sociétés dont le patrimoine se trouve uni, à travers les membres d'une même famille, par une communauté d'intérêts". Dans le pourvoi, l'armateur du Brave Mother a reproché au juge d'appel d'avoir violé les dispositions de l'article 3 de la Convention de 1952, lequel exige que toutes les parts de propriété des navires en cause appartiennent à une même personne pour autoriser la saisie d'un autre navire auquel la créance se rapporte. Donc, rejet du moyen67 . Selon les juges de fond, le simple fait que les deux sociétés se trouvent unis "à travers les membres d'une même famille par une communauté d'intérêts" suffit à justifier la saisie du navire appartenant à l'une d'elles par les créanciers de l'autre. Certains arrêts sont allés encore plus loin, considérant que la simple apparence d'une communauté d'intérêts existant entre deux sociétés justifiait la saisie d'un navire appartenant à l'une d'elles par les créanciers de l'autre68 . 66 CA Rennes, 21 juin 1989 67 Cour de Cassation, 12 février 1991 68 CA Rouen, 28 novembre 1991, navire Yumuri
  • 36. La saisie conservatoire des navires Année universitaire 2010-2011 37 A la suite du développement de la théorie de la communauté d'intérêts les créanciers du monde entier ont voulu saisir en France, ce qui a donné lieu à un excès de saisies de navires en France. Les tribunaux ont été amenés à durcir les critères. La Cour de Cassation a mis un coup d'arrêt au principe de la communauté d'intérêts et la saisie des navires apparentés dans les arrêts Osiris69 , Alexander III70 et Cast Husky71 dans lesquels elle rappelait le principe d'autonomie du patrimoine et imposait aux créanciers saisissants de rapporter la preuve de la fictivité des sociétés X et Y, ce qui est extrêmement difficile à démontrer en pratique. La simple preuve de la "communauté d'intérêts" ne suffit plus. La Cour exige désormais une volonté réelle de fraude pour établir la fictivité72 . 2. La nécessité de démontrer la fictivité La notion de « fictivité » permet de dépasser le stade des apparences pour apprécier la réalité des liens existants entre les différentes sociétés. La société fictive "est le produit d'une simulation, c'est-à-dire de la création, à l'intention des tiers, d'une apparence (l'existence d'un contrat de société) non conforme à l'intention réelle des parties, auxquelles la volonté de se mettre en société, et plus précisément l'affectio societatis, font défaut"73 . Souvent, ces sociétés sont créées dans le but de faire échec au principe de l'unité de patrimoine et constituent donc une fraude à la loi. Il faut noter que la notion de fictivité ne figure pas dans les textes régissant la saisie. Lors de la rédaction de la nouvelle Convention de Genève de 1999 la question s'est posée de savoir s'il ne fallait pas donner un contenu précis de cette notion. Finalement le texte ne contient aucune définition de la notion. La Cour de Cassation approuve régulièrement, depuis un arrêt du 15 octobre 199174 , le recours à la notion de société fictive. Le créancier ne peut pas obtenir la saisie sans avoir démontré la réalité du lien de propriété existant entre les navires en cause, c'est- à-dire entre le navire objet de la saisie et le navire auquel la créance se rapporte. Alors on est amené à se demander quels sont les critères qui permettent de caractériser cette fictivité? 69 Cour de Cassation, 15 novembre 1994 70 Cour de Cassation, 19 mars 1996 71 Cass Com, 15 nov. 1994, DMF 1995 ; Cass Com. 19 mars 1996 ; Cass Com. 21 janvier 1997 72 J-S. Rohart, "La saisie des navires apparentés – Suite et fin?", DMF 1994 73 Rouast-Bertier (Pascale), Société fictive et simulation, Rev. Soc. 1993 74 Com. 15 octobre 1991, navire Ore Stream, DMF 1992
  • 37. La saisie conservatoire des navires Année universitaire 2010-2011 38 A titre d'exemple, on peut citer l'arrêt Alexander III où les juges du fond ont conclu, à partir de certains indices (siège commun, gestionnaire commun) que deux armements dissimulaient la même entité économique. Pour la Cour de Cassation, une telle motivation était impropre à caractériser la fictivité de la société propriétaire du navire, comme à établir que celle-ci ne disposait pas d'un patrimoine propre, distinct de celui de la société débitrice. Dans une autre affaire, la Cour a jugé que le fait pour les sociétés propriétaires des navires saisis d'être une filiale à 100% du vendeur ou affréteur coque nue de ses navires et de ne pas justifier de la réalité du paiement de leur prix sont des motifs impropres à caractériser leur fictivité et à établir qu'elles ne disposent pas d'un patrimoine propre qui est distinct de celui de l'affréteur coque nue75 Aujourd'hui, la nécessité de démontrer la fictivité des sociétés rend quasiment impossible la saisie d'un navire sur le fondement de la communauté d'intérêts. On observe cependant quelques rares cas où le juge relève que les deux sociétés en cause "étaient dans une dépendance financière telle qu'elles n'ont qu'un seul patrimoine et forment une seule entité"76 . Après avoir envisagé l'action dont dispose le créancier contre le débiteur, propriétaire du navire, il convient de s'intéresser au cas où le navire n'est pas la propriété du débiteur. § II L'ACTION IN REM : LES NAVIRES DU "DEBITEUR" En droit commun, seuls les biens appartenant au débiteur peuvent être saisis, même par une saisie conservatoire, parce qu'un créancier n'a pour gage que le patrimoine de son débiteur. En droit maritime, lorsqu'un navire est exploité par un armateur ou gérant non propriétaire, les créanciers qui ont subi le dommage du fait de l'exploitation du navire, ou qui ont porté assistance, bénéficient d'un privilège leur permettant d'exercer sur le navire une saisie. Il s'agit de savoir si le créancier peut saisir un navire qui n'appartient pas au débiteur de l'obligation, situation très fréquente en raison de la dissociation de la propriété et 75 Cass Com, 15 oct 2002, navires Taganroga et Razna 76 Cour de Rouen, 14 septembre 2000
  • 38. La saisie conservatoire des navires Année universitaire 2010-2011 39 de l'exploitation du navire. Le droit français et le droit international diffèrent sur ce point. Le premier est gouverné par la conception personnaliste du patrimoine, le second accepte le principe d'une obligation de nature particulière, l'obligation in rem. L'action in rem est l'action directement exercée sur une chose. Cette conception vise le navire "débiteur" saisi de la dette d'un exploitant non propriétaire tel qu'un affréteur. Ce navire est toujours saisissable sous réserve du droit de suite et de la restriction tenant à la possibilité de l'exécution. En effet, l`action in rem se concentre plus sur le navire auquel se rapporte la créance et non sur le lien de propriété existant entre le navire et le débiteur. Cette action vise souvent une tierce personne, soit parce que la créance est née sous le chef de l’armateur, mais il n`est pas l’exploitant au moment de la saisie, soit parce que le navire a été vendu au moment de la naissance de la créance. Nous étudierons successivement le cas de la saisie d'un navire affrété (A) et celui du navire vendu (B). A. LA SAISIE D'UN NAVIRE AFFRETE Comme tout créancier, le créancier bénéficiaire d'un privilège maritime a le droit de saisir le navire en tant que bien de son débiteur. Toutefois, on est amené à se poser la question qu'en est-il de la saisie par le créancier privilégié du navire qui n'est pas la propriété de son débiteur, dans le cas où le navire est exploité par un affréteur ou un armateur non propriétaire. La saisie du navire affrété dans ce cas diffère selon le fondement sur lequel elle sera opérée : celui de la Convention de 1952 ou celui de la loi française de 1967. Il est intéressant de mentionner qu'en ce domaine la plupart des systèmes juridiques qui n'accordent la saisie qu'aux créances nées de l'exploitation d'un navire tendent à en admettre la saisie même si ce navire est entré dans les mains d'un tiers. Il y a alors la liaison entre la notion de "créance maritime" et celle de "maritime lien". C'est ce qu'admet le droit anglais qui, en cas de location coque nue, admet les créanciers
  • 39. La saisie conservatoire des navires Année universitaire 2010-2011 40 ayant un maritime lien sur le navire, à le saisir entre les mains du fréteur qui en a pourtant récupéré la possession77 . Le droit allemand conduit à la même solution avec sa théorie des créanciers du navire, encore qu'il ne soit pas explicite78 . On trouve une solution approchante dans les systèmes qui ont plus ou moins imité la Convention de 1952 et qui, réduisant le nombre des saisissants possibles, resserrent le lien entre la créance maritime et le navire plus qu'avec le débiteur : ainsi, en Suède (art.275), en Grèce (art. 106, al.2), en Belgique (loi du 4 décembre 1961, art.3 modifiant l'art.1er de la loi de 1908)79 . Le droit français connaît une règle semblable quand il autorise le créancier hypothécaire et, dans une moindre mesure, le créancier privilégié à exercer un droit de suite. On comprend dans ce sens la solution italienne qui envisage le cas de la saisie entreprise par les créanciers de l'armateur non propriétaire nantis d'un privilège maritime (art.670). La même solution a été adoptée par une Cour égyptienne autorisant la saisie pour une créance maritime d'un navire affrété à temps par un autre que le débiteur, lequel avait à l'époque où la créance du saisissant était née, affrété le navire avec démise80 . Sur le plan interne français, aucune disposition ne se prononce, directement ou indirectement, sur la possibilité pour un créancier de saisir un navire qui n'appartient pas à son débiteur (1). Au niveau international, le créancier qui fonde son action sur la Convention de 1952, se trouve favorisé par rapport à celui qui invoque la loi française puisque cette dernière autorise la saisie des navires pour dettes de l'affréteur dans son article 3-4 (2). 1. Le navire affrété et le droit français a) L'impossibilité de saisir un navire affrété n'appartenant pas au débiteur du créancier selon la loi française Le texte de la loi de 1967 ne comporte aucune disposition sur la possibilité pour un créancier de saisir un navire qui n'appartient pas à son débiteur. En principe, l'action 77 The Lemington (1879) 2 Asp. M.C. 78 § 510, al.2 et 754 H. G. B. 79 1ere instance de Tribunal d'Anvers, 4 mai 1976, Droit européen des transports, 1977, 113 80 Appel Mansourah, 15 mars 1969, D.M.F., 1971, 741. L'affaire relevait de la Convention de 1952 que l'Egypte a ratifiée.
  • 40. La saisie conservatoire des navires Année universitaire 2010-2011 41 du créancier saisissant se limite aux seuls navires appartenant à son débiteur. Cela résulte du principe de l'unité du patrimoine en droit français : le créancier fondant la saisie sur la loi de 1967 peut saisir tout navire appartenant à son débiteur puisqu'il n'a pour gage que le patrimoine de ce dernier. La théorie de l'unité du patrimoine s'oppose à la théorie du patrimoine d'affectation. L'action in rem du droit anglais n'est pas admise en droit français. L’article 2092 du Code Civil énonce que "quiconque s'est engagé personnellement, est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers présents et à venir". Il s'ensuit que le créancier peut saisir tout bien de son débiteur en garantie de sa dette. De même, selon le Doyen Rodière l'affrètement d'un navire n'entraîne pas le transfert de propriété vers l'affréteur, ses créanciers "n'ont donc aucun titre à le saisir". Cependant, la jurisprudence française a comblé le silence de la loi française et a apporté des nuances au principe de l'unité du patrimoine et l'impossibilité de saisir des navires affrétés pour dette de l'affréteur. b) La saisissabilité du navire affrété pour dette de l'affréteur admise par la jurisprudence La jurisprudence justifie fréquemment la saisie du navire pour dette de l'affréteur par la notion de privilège. Le privilège est une exception à l'égalité du principe des créanciers. Les juges utilisent la notion de créance privilégiée afin de permettre la saisie des navires affrétés. Les créances privilégiées passent avant les autres droits sur le navire, sans qu'il soit nécessaire de les faire enregistrer. A titre d'exemple, on peut citer l'affaire sur la saisie du navire Saudi-Jamal81 , la Cour d'Appel de Douai s'est basée sur l’article 30 du décret du 27 octobre 1967 et a admis que le créancier d'un affréteur pouvait saisir conservatoirement le navire affrété à condition qu'il bénéficie d'un privilège maritime sur le navire affrété. D'après Monsieur Scapel et Monsieur Bonassies, il n'y a pas de raison d'étendre cette possibilité aux créanciers non privilégiés puisque c'est l'existence du privilège qui fonde le droit à la saisie du créancier privilégié. 81 Cour d'Appel de Douai, 31 janvier 1985, Navire Saudi-Jamal
  • 41. La saisie conservatoire des navires Année universitaire 2010-2011 42 L'affaire sur la saisie du navire Spartan82 où la Cour d'Appel a invoqué les privilèges sur le navire, est un exemple significatif de ce raisonnement. Dans cette affaire, la question qui s'est posée aux juges était celle de savoir si la saisie conservatoire d'un navire pour les dettes contractées par un affréteur à temps de ce navire était possible. Les juges ont jugé que "les titulaires de créances provenant de contrats passés pour les besoins de la continuation du voyage ont le droit d'exercer leur privilège légal sur le navire, sans avoir à rechercher quel est le véritable propriétaire". En l'occurrence, l'existence du privilège n'a pas été démontrée. A contrario, la saisie conservatoire aurait pu être valablement opérée si la preuve d'un privilège avait été apportée. La thèse opposée a été défendue par la CA d'Aix-en-Provence83 où les juges aixois ont estimé que la possession d'une créance assortie d'un privilège maritime permet de procéder à la saisie-exécution d'un navire, alors que le propriétaire n'en est pas personnellement le débiteur. Toutefois, selon les juges "elle n'ouvre pas le droit de saisir conservatoirement le navire qui n'appartient pas au débiteur, dès lors que la saisie conservatoire n'est pas un préalable obligatoire ou indispensable à la saisie- exécution et que l'action in rem reconnue en droit américain n'existe pas en droit français de la saisie conservatoire". Maître Scapel et Monsieur Le Professeur Pierre Bonassies critiquent fortement cette décision en ce que l'analyse de la Cour d'Aix "méconnaît l'originalité fondamentale du système des privilèges maritimes" qui consiste dans le fait de faire peser sur le navire l'obligation de payer les dettes nées de l'exploitation de celui-ci84 . Rejeter l'autorisation de saisir conservatoirement le navire aboutirait à enlever "toute signification concrète" à l'institution des privilèges maritimes et à refuser au créancier privilégié le moyen concret de procéder à la saisie exécutoire. Le régime de la saisie du navire affrété en droit international diffère sur plusieurs points de celui en droit interne. 2. Le navire affrété et le droit international a. Article 3-4 de la Convention de 1952 82 Cour d'Appel de Pau, 6 décembre 1984, Navire Spartan 83 CA d'Aix-en-Provence 10 janvier 1986, navire Namrata 84 BONASSIES Pierre, SCAPEL Christian, "Traité de droit maritime", page 422, n°607
  • 42. La saisie conservatoire des navires Année universitaire 2010-2011 43 La question de la saisie des navires pour dettes de l'affréteur est régie par l'article 3-4 de la Convention de 1952. Selon cet article "Dans le cas d'un affrètement d'un navire avec remise de la gestion nautique, lorsque l'affréteur répond, seul, d'une créance maritime relative à ce navire, le demandeur peut saisir ce navire ou tel autre appartenant à l'affréteur, en observant les dispositions de la présente Convention, mais nul autre navire appartenant au propriétaire ne peut être saisi en vertu de cette créance maritime". Le deuxième alinéa énonce que "l'alinéa qui précède s'applique également à tous les cas où une personne autre que le propriétaire est tenue d'une créance maritime". Tout d'abord, nous allons nous intéresser à la notion d'"affrètement avec remise de la gestion nautique". Elle vise essentiellement les navires faisant l'objet d'un contrat d'affrètement coque-nue ou d'un contrat de gérance. La question qui se pose incontestablement est celle de savoir si une saisie pourrait être opérée seulement sur les navires ayant fait l'objet d'un contrat d'affrètement coque-nue ou bien, tous les navires faisant l'objet d'un affrètement sont concernés. L’Association Française du droit maritime a estime le 3 février 1966, lors des discussions portant sur la reforme du statut du navire, que dans le cas ou il ne s`agit pas d’un simple time-charter, mais d’un affrètement avec remise de la gestion nautique à l`affréteur « with demise of the ship », le navire peut faire l’objet d’une saisie conservatoire pour dettes de l’affréteur. Selon l’Association, tout autre navire appartenant au même affréteur peut également être saisi pour sureté de cette créance. La doctrine est partagée. Notons que selon les auteurs Du Pontavice85 et Rodière86 , l’article 3-4 de la Convention de 1952 vise seulement le cas de l'affrètement à temps « time-charter with demise of the ship » (affrètement avec remise de la gestion nautique a l`affréteur) - a fortiori, l'affrètement coque nue. Les mêmes auteurs considèrent que l'affrètement à temps sans remise de la gestion nautique à l'affréteur n'autoriserait pas 85 Le Statut des navires, p.352, n°352 86 10e édition du précis : "en cas d'affrètement avec remise de la gestion technique à l'affréteur, les créanciers dont le droit est né du chef de cette gérance pourront saisir le navire" (Rodière, du Pontavice, Droit maritime, 10e édition Paris, Dalloz, 1986, n° 178)
  • 43. La saisie conservatoire des navires Année universitaire 2010-2011 44 la saisie du navire. Le Professeur Du Pontavice appuie son raisonnement sur une décision de la Cour d'Appel de Mansourah, Egypte87 qui a statué dans ce sens. Plus précisément, dans cette affaire la Cour d`Appel égyptienne avait à appliquer la Convention internationale de 1952. Puisque celle-ci permet de saisir le navire, pour dettes de l’affréteur à temps, lorsqu’il y a en outre remise de la gestion nautique à celui-ci (Time-charterer with demise of the ship), a contrario, a-t-elle estimé, l’affrètement à temps non accompagné de remise de la gestion nautique n’autorise pas à saisir le navire pour dettes de l’affréteur. Cette solution avait été adoptée par le Tribunal de Première Instance de Port-Saïd le 25 mai 1966 dans un jugement confirmé par la décision précitée de la Cour de Mansourah. Une décision de la Cour d'Appel de Rouen88 a adopté le même raisonnement. Les juges du fond ont jugé que l'article 3-4 de la Convention ne pouvait fonder la saisie par le fréteur, d'un navire appartenant à l'affréteur à temps, dès lors que cette disposition ne trouve à s'appliquer que dans le cas d'un affrètement avec remise de la gestion nautique, c'est-à-dire affrètement coque nue. Pourtant cette interprétation est directement contraire aux termes de la Convention. Quand l’article 3 prévoit que le demandeur peut saisir le navire auquel la créance se rapporte, il ne précise pas la qualité du débiteur. Ce dernier peut être le propriétaire mais également l'affréteur, coque nue ou non. En outre, il y a l'alinéa 2 aux termes duquel : "L'alinéa qui précède s'applique également à tous les cas où une personne autre que le propriétaire est tenue d'une créance maritime". La plupart des auteurs, dont Monsieur Vialard89 , Maître Scapel et Monsieur le Professeur Pierre Bonassies90 considèrent que le deuxième alinéa de l'article 3-4° de la Convention englobe tous les cas d'affrètement à temps, de location de navire, de gérance, et plus généralement tous les cas où c'est un autre que le propriétaire qui exploite le navire. Dans ce sens, on peut citer un arrêt du Tribunal de Commerce de Marseille91 quand il a statué sur la saisie du navire Peljasper par un créancier de l'affréteur à temps et il a rejeté l'argument du propriétaire qui demandait la mainlevée 87 CA Mansourah (Egypte), Chambre de Port-Saïd, le 15 Mars 1969 88 CA Rouen, 3 décembre 1992, Luctor, JCP 1993, IV 89 Antoine VIALARD, La saisie conservatoire du navire pour dettes de l'affréteur à temps, DMF 1985 90 Pierre Bonassies, Christian Scapel, Traité de Droit Maritime, 2e édition 91 Trib. Com. Marseille, 4 juin 2003, Peljasper ; St Denis de la Réunion, 29 septembre 1989
  • 44. La saisie conservatoire des navires Année universitaire 2010-2011 45 en soutenant que le navire affrété ne pouvait être saisi que pour les dettes de l'affréteur coque-nue. Encore faut-il envisager le moment de la saisie opérée. b. La saisie postérieure à l'affrètement En principe, le créancier peut saisir le navire affrété pendant la durée du contrat d'affrètement. Tant que l'affrètement est en cours, il n'y a pas de difficulté. La solution doit-elle être la même quand la saisie porte sur les dettes d'un ancien affréteur? La saisie dans ce cas s'avère problématique à la fin du contrat puisque le navire a été déjà re-délivré à son propriétaire. Le navire affrété peut-il être saisi par un créancier de l'affréteur après la fin de l'affrètement? La jurisprudence tranche dans les deux sens opposés, à savoir d'une part, les juges ont admis la saisie après la fin de l'affrètement du navire et d'autre part, ils ont jugé l'impossibilité de saisir après la période du contrat d'affrètement. Plusieurs Cours d'appel ont estimé que l'article 3 – 4 ne limitait pas la possibilité de saisir le navire affrété à la seule période de l'affrètement92 et ils ont étendu la possibilité de saisir le navire en question "après la redélivrance du navire à la fin de l'affrètement à temps et qu'elle peut être pratiquée par le créancier soit du propriétaire, soit de l'affréteur, soit d'un quelconque débiteur". Dans le même sens, le tribunal de commerce de Nantes93 a autorisé la saisie du navire pour créance du réparateur à l'encontre de l'affréteur, alors que le navire était redélivré à son propriétaire. La Cour de Cassation a eu à statuer pour la première fois sur cette question à l'occasion de la saisie du navire Trident Beauty en confirmant l'analyse du juge des référés. Cette décision a repris un raisonnement dégagé quelques années plus tôt par la Cour dans un arrêt Eal Saphir à propos de la saisie par le manutentionnaire du navire auquel la créance se rapportait pour les dettes d'un ancien propriétaire94 . 92 CA Rouen, 19 juin 1984, Atlantic Mariner ; CA Rouen, 16 novembre 1995 (3 arrêts) 93 Trib. Com. Nantes, 3 septembre 1991, Navire Trident-Beauty 94 Cass Com 31 mars 1992