1. Thèmes : transport maritime et commerce électronique
Le connaissement électronique : du document au registre informatique
Approche des difficultés liées à la dématérialisation
Le connaissement est un document de transport apparu dès le XIV ème siècle. Délivré
par le capitaine, il remplissait alors l’unique fonction de reçu de la marchandise.
Progressivement ses fonctions se sont enrichies et il assume aujourd’hui un triple rôle
de preuve. Il fait preuve des termes du contrat de transport, de la réception de la
marchandise par le transporteur et de l’état de la marchandise au moment de
l’embarquement. La caractéristique essentielle du connaissement négociable réside
dans sa fonction de représentation de la marchandise qui conditionne sa négociabilité.
Négociable, le connaissement est appelé à circuler entre de nombreux porteurs
jusqu’à ce que l’un d’entre eux décide de prendre livraison de la marchandise. Une
opération de transport maritime implique ainsi la participation d’au moins trois
protagonistes. D’abord le contrat de transport est conclu entre deux parties, le
chargeur et le transporteur. Aux termes de l’article 3-3 de la Convention de Bruxelles
régissant le transport sous connaissement, le transporteur doit délivrer un
connaissement au chargeur si ce dernier en fait la demande. Ensuite, intervient le
destinataire (1) qui entre en possession du connaissement négociable au cours du
voyage et prendra livraison de la marchandise à l’arrivée.
La dématérialisation des documents de transport maritime est au coeur des
préoccupations des praticiens depuis plus de quinze ans. Il faut dire que le secteur
des transports maritimes figure parmi les pionniers en ce qui concerne la
normalisation internationale des documents et le développement des Échanges de
données informatisées. Les coûts liés à l’utilisation de documents papiers ont été
évalués à près de 7% du coût total d’une opération de transport. En outre, les
documents circulent moins vite que les marchandises, en raison notamment de la
complexité de certains circuits de crédit documentaire. Les transactions
dématérialisées offrent alors une alternative permettant à la fois de réduire les
coûts liés à l’édition de formules et d’accélerer la circulation des documents
contractuels entre des points éloignés. Dans ce contexte, des documents
électroniques non négociables, tels les Data Freight Receipt ou les Express Cargo Bills
ont été élaborés par la pratique.
Paradoxalement, le connaissement électronique et négociable fait figure de serpent
de mer car s’il a fait l’objet de nombreuses études des comités d’expert et des
organisations internationales, la doctrine et les opérateurs du commerce international
soulignent que le droit positif s’oppose à la dématérialisation de ce titre négociable.
En effet des exigences de forme telles que l’établissement de documents originaux ou
l’apposition d’une signature apparaissent aussi bien dans les textes législatifs que
dans une jurisprudence exigeante. En outre la négociabilité du connaissement
constituerait un obstacle dirimant à l’existence du connaissement électronique car le
formalisme strict ainsi imposé trouverait son fondement dans une exigence de
sécurité des transactions commerciales satisfaite par les seuls documents papiers. Le
connaissement électronique entrerait donc en contradiction avec des exigences
formalistes posées ad validitatem. Cette contradiction mérite d’être examinée au
moment où l’adoption de la Loi type de la CNUDCI sur le commerce électronique et
l’aboutissement du projet Bolero viennent relancer le connaissement électronique.
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2. D’abord, nous examinerons la pertinence des objections opposées à la
dématérialisation du connaissement tel qu’il est défini par le droit positif. (I) Ensuite,
nous étudierons les systèmes dématérialisés se proposant de remplir les fonctions
traditionnelles du connaissement négociable pour nous demander si la qualification de
connaissement peut encore être utilisée. (II)
I. Les obstacles opposés à la dématérialisation du connaissement.
Le droit positif manifeste un double attachement à l’émission d’un document dans le
cadre d’un contrat de transport maritime. D’abord, le connaissement serait
implicitement un document- papier (A). Ensuite, aux termes de la jurisprudence, le
connaissement devrait contenir l’intégralité des stipulations contractuelles liant les
parties (B).
A) Le connaissement, un document papier
1) Le connaissement, instrumentum du contrat de
transport.
Le connaissement est l’instrument du contrat de transport conclu entre le chargeur
et le transporteur. L’article 37 du décret du 31 décembre 1966 (2) requiert que les
originaux soient signés par le transporteur ou par son représentant. La signature du
transporteur est ici une formalité substantielle, requise ad validitatem. Cette
signature n’est pas nécessairement manuscrite et d’autres procédés comme la griffe
sont admis (3). Pour autant, la jurisprudence est-elle disposée à admettre tout
procédé permettant de remplir les fonctions de la signature ? Un arrêt du 26
novembre 1996, rendu par la Chambre Commerciale de la Cour de cassation (4), exclut
la signature dématérialisée en matière d’aval cambiaire. Cet arrêt de rejet énonce que
"La signature du prétendu avaliste ne pouvait résulter de la mention d’un numéro dans
le texte d’un télex, s’agirait-il d’un clé informatique". Cet attendu restrictif peut
surprendre si l’on souligne la sécurité offerte par la clé informatique qui permet
d’identifier le titulaire du code et garantit son approbation. En réalité la signature,
qu’elle soit manuscrite ou qu’elle consiste en une griffe, est indissociable du support
papier sur lequel elle est apposée. En conséquence, l’exigence de l’article 130 du Code
de commerce ne peut pas être satisfaite par un code ou une clé numérique car une
telle clé numérique implique l’abandon du support papier. De même, l’obligation faite au
transporteur de signer le connaissement semble ne pas pouvoir être satisfaite par une
clé numérique.
2) Le connaissement, symbole de la marchandise.
Le connaissement matérialise ou incorpore les droits du porteur sur la marchandise. Il
remplit la fonction de symbole de la marchandise au point qu’ "en pratique on n’achète
plus la marchandise embarquée, on achète le connaissement." ( 5) Dès lors le
connaissement doit contenir une description des marchandises qu’il symbolise.
L’article 33 du décret de 1966 dispose que le connaissement "porte les inscriptions
propres à identifier les parties, les marchandises à transporter, les éléments du
voyage à effectuer et le fret à payer." Parmi ces mentions, les plus importantes sont
celles qui concernent le chargement c’est-à-dire les marques pour l’identification des
marchandises, le nombre des colis, l’état et le conditionnement apparent des
marchandises. Ce formalisme informatif ne soulève pas de difficulté pour le passage
dans un environnement dématérialisé car ces données peuvent être transmises par
voie électronique. Toutefois, ce n’est plus tant l’information qui compte que sa
matérialisation sur un support. Le pouvoir du porteur du connaissement ne découle pas
de la seule maîtrise de l’information qu’il contient mais de la possession du
connaissement original. Aux termes de l’article 37 al. 1 du décret de 1966 "Chaque
connaissement est établi en deux originaux au moins, un pour le chargeur et l’autre
pour le capitaine". L’un des connaissements originaux, appelé connaissement chef,
reste entre les mains du transporteur tandis que l’autre original est remis au
chargeur. C’est ce second original, délivré au chargeur, qui sera négocié et échangé
pendant le voyage jusqu’à ce qu’un porteur (le destinataire) décide d’obtenir livraison
de la marchandise. L’accomplissement du connaissement, c’est à dire la remise de
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3. l’original du destinataire au capitaine, constitue l’ultime étape avant la livraison . Le
capitaine ne doit remettre la marchandise qu’au porteur de l’original délivré au
chargeur, original qu’il confrontera avec le connaissement chef.
3) Le connaissement, titre négociable
L’exigence implicite d’un document papier découlant du concept d’original est encore
renforcée par la négociabilité du titre. En effet, la négociabilité d’un titre est
garantie non par la confiance que les opérateurs témoignent à leurs cocontractants
mais par la confiance qu’ils témoignent au document lui-même. Il importe que le
dernier porteur du connaissement soit le seul à pouvoir obtenir livraison de la
marchandise. Pour ce faire seul un document, le connaissement original, doit pouvoir
être "accompli", c’est à dire remis au capitaine. Sinon, en cas de conflit entre deux
porteurs de connaissements, celui qui présente le titre le premier sera préféré. Cette
méthode de résolution des conflits inspirée de la matière cambiaire présente l’effet
pervers d’offrir une prime à la rapidité et de saper la confiance que le porteur peut
accorder à son titre. Les hypothèses de conflit sont rares dans un univers papier
puisque la pratique veut que deux originaux seulement soient émis alors que la loi
autorise "l’émission de deux originaux au moins." (nos italiques) Pour le surplus, ce
sont des copies qui sont émises. Par contre, le risque du conflit est invoqué dans le cas
d’une dématérialisation du connaissement. S’il est essentiel que le connaissement
original ne soit pas dupliqué, on a longtemps estimé que la transmission électronique
de données ne présentait pas de garanties suffisantes. En effet, la notion d’original
n’est pas pertinente en matière informatique et les informations pourraient être
dupliquées puisqu’elles seraient dotées d’une existence indépendante de tout support
matériel. On objectera que le connaissement-papier n’est pas exempt de reproche
puisque le phénomène de la fraude maritime a connu des développements
retentissants (6). Aussi, un formalisme électronique qui garantirait au titulaire d’un
document électronique la sécurité d’être le seul à pouvoir entrer en possession des
marchandises permettrait de surmonter l’obstacle traditionnel tiré de la
négociabilité.
B/ L’intégralité des stipulations doit être contenue dans un
document unique.
1) La segmentation du connaissement
L’Échange de Données Informatisées est conçu pour permettre un échange rapide de
données selon un format et une structure déterminés. Pour éviter d’expédier des
messages trop volumineux et donc trop coûteux, l’utilisateur devra émettre seulement
les éléments nouveaux qui diffèrent absolument du contenu des messages précédents.
L’ordinateur copiera d’une source préexistante les éléments d’information requis dans
le document suivant. Cette caractéristique de l’Échange de Données Informatisées
est de nature à multiplier les messages de données pour expédier l’information
contenue dans un document papier unique. La segmentation sera accrue lorsque le
document est complexe et contient de nombreuses rubriques et clauses toujours
identiques d’un exemplaire à l’autre (formule type). Le connaissement papier
peut-être qualifié de document complexe si l’on tient compte des rubriques décrivant
la marchandise et des conditions générales imprimées au verso. Le connaissement
électronique est ainsi constitué de plusieurs segments, un segment étant défini
comme un sous-ensemble d’informations intégrées à un ensemble plus vaste. On
trouvera ainsi un segment NAD (Name and Adress) ou un segment GIF (Goods
Identification). Cette segmentation des messages est le corollaire de la forme
électronique : elle est envisagée par la loi type de la CNUDCI sur le commerce
électronique. L’article 17 relatif aux documents de transport mentionne un acte
"exécuté au moyen d’un ou plusieurs messages de données."(nos italiques). Ce procédé
nouveau, qui scinde l’instrument du contrat de transport en plusieurs segments,
soulève des difficultés déjà rencontrées en droit de l’arbitrage et en droit maritime
au sujet de l’incorporation par référence (7) .
2) L’hostilité de la jurisprudence à l’incorporation par
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4. référence
Tous les détails d’un contrat ne figurent pas nécessairement dans l’instrument signé
par les parties et celles-ci peuvent, pour certains points, se réfèrer à des documents
préexistants auquel il est fait référence dans le contrat principal. Il faut alors savoir
si les parties sont liées par ces documents préexistants ou, en d’autres termes, si
ceux-ci sont valablement incorporés. Avec l’avènement des Échanges de Données
Informatisées, la question sera démultipliée puisque les documents seront segmentés
en plusieurs messages de données. La question de l’incorporation par référence de
documents préexistants dans le connaissement s’est posée dans deux types de
situations devant les juridictions françaises. La première hypothèse est celle d’un
connaissement short form, ainsi dénommé car il ne contient pas de conditions
générales au verso. Les éléments manquants figurent dans un connaissement complet,
le long form, qui n’est pas remis au chargeur. Les juges du fond n’ont pas admis que les
clauses figurant sur le long form soient opposables au chargeur sous prétexte que le
connaissement short form renvoyait au long form et aux clauses qu’il contient (8) . La
deuxième hypothèse est celle des connaissements de charte-partie qui sont émis
lorsque le contrat de transport vient s’articuler sur un contrat d’affrètement.
L’affrèteur, qui est lié au fréteur par un contrat dont l’instrument est la charte-
partie, assume les fonctions de transporteur vis à vis d’un chargeur (9) . L’affrèteur-
transporteur émet donc un connaissement qui contient souvent une simple référence
d’ordre général aux modalités, conditions, facultés et réserves de la charte-partie. Le
porteur du connaissement, quand il intente une action contre le transporteur, se fait
opposer la clause compromissoire figurant dans la charte-partie. La Cour de cassation
souhaite que l’on n’oppose pas au chargeur une clause à laquelle il n’a pas consenti. Pour
s’assurer de ce consentement la Haute juridiction attache une grande importance à la
reproduction de la clause compromissoire au connaissement et ne se contente pas du
fait que la charte-partie soit disponible . Elle énonce que "le porteur du
connaissement émis dans le cadre d’un affrètement (...) ne peut se voir opposer une
clause de la charte-partie qui ne s’y trouve pas reproduite et qui n’a pas fait l’objet
d‘une acceptation certaine de sa part."(10) Le connaissement est donc réputé contenir
l’intégralité des conditions dont les parties sont convenues. La jurisprudence n’admet
pas qu’il soit complété par des documents extérieurs.
En ce sens, le connaissement ne peut pas être assimilé à une série de messages de
données. "Ce qu’il convient de faire, tout au contraire, est de définir quelle sécurité
juridique on peut trouver dans un contexte d’échanges de message sous forme
électronique." (11)
II. Le connaissement électronique : nouvel instrument ou connaissement
traditionnel dématérialisé ?
Les organisations internationales ont mesuré l’étendue des obstacles découlant des
formalités imposées par les droits nationaux et proposent des solutions permettant
de substituer des échanges de données au connaissement négociable. A l’approche
contractuelle d’abord choisie (A) s’est ajoutée l’approche de la loi type de la
CNUDCI(12) qui contient des dispositions relatives aux documents de transport (B).
A/ Les modèles contractuels : les règles du C.M.I. et le projet
Bolero.
1) L’élimination totale du support papier
Le Comité Maritime International a adopté en 1990, lors de sa XXXIV e conférence,
un projet composé de 11 règles contractuelles destinées à offrir un modèle à des
cocontractants qui souhaiteraient substituer dans leurs relations des Échanges de
données informatisées au connaissement traditionnel (13). Les difficultés de preuve
soulevées par l’absence d’écrit dans un environnement électronique sont réglées à
l’article 11 par une convention de preuve. La nouveauté du projet C.M.I. réside dans
l’absence de jumelage entre un document original qui ne circulerait pas et des
échanges de données informatisés. Le projet Seadocs, développé par la Chase
Manhattan Bank dans les années 1980, reposait sur l’émission d’un connaissement
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5. original déposé sur un registre. De même, le système retenu pour l’informatisation des
lettres de change repose sur l’association des échanges électroniques et d’une
véritable lettre de change qui ne circule pas. Au contraire, aucun connaissement
original n’est émis dans le cours normal des échanges de données organisés par les
Règles du C.M.I. Si toutefois une partie venait à exiger la délivrance d’un
connaissement papier, l’article 10 prévoit que cela mettrait fin aux procédures EDI.
Les règles prévoient donc une option permettant le retour à l’univers papier mais
n’autorisent en aucun cas la coexistence entre le connaissement papier et des données
électroniques.
2) La négociabilité assurée par un registre
informatique.
L’interêt des règles du C.M.I. réside surtout dans le mécanisme mis en oeuvre pour
assurer la négociabilité du titre électronique. Le système repose sur une clé
confidentielle attribuée par le transporteur au détenteur du titre électronique. Cette
clé permet d’authentifier l’ordre donné par le porteur de transférer le titre
électronique à un autre destinataire. La clé unique est alors détruite et une nouvelle
clé est attribuée au nouveau détenteur. Ainsi seul le dernier détenteur est titulaire
d’une clé valide et peut exercer les prérogatives attachées à son titre électronique :
le risque d’un conflit de titres est alors écarté par la clé confidentielle. La gestion
des connaissements électroniques, des clés confidentielles et de la sécurité est
confiée dans les règles du C.M.I. aux transporteurs.
Le projet Bolero, financé par l’Union Européenne dans le cadre du programme Infosec,
s’inspire des règles du C.M.I.et institue un registre central retraçant dans un ordre
chronologique toutes les opérations et tous les messages de données. C’est la Bolero
Association Limited, regroupant toutes les parties à la transaction électronique qui a
en charge la gestion du registre informatique central. A la différence du projet
C.M.I., le registre n’est donc pas confié à l’une des parties au contrat de transport
mais à une autorité neutre. Quand un chargeur veut conclure un contrat de transport
maritime, celui-ci spécifie électroniquement au transporteur les caractéristiques de
la marchandise. Le transporteur émet alors des données électroniques couvrant les
rubriques habituelles du connaissement et les dépose sur le registre informatique
central. Les utilisateurs ayant un accès autorisé peuvent alors consulter les données
électroniques, voire les modifier. Ainsi, le porteur figurant sur le registre central
pourra transférer le connaissement électronique. La sécurité du système est assurée
par l’autorité de certification qui fournit aux utilisateurs des signatures numériques
permettant d’authentifier les messages et d’en vérifier l’intégrité.
Ces modèles contractuels définissent ainsi des procédures sécurisées d’échange
d’informations qui garantissent qu’une seule personne pourra exercer des droits sur
les marchandises.
B/ La loi type de la CNUDCI sur le commerce électronique et les
documents de transport négociables.
1) Les dispositions générales
Dans la loi type sur le commerce électronique adoptée lors de sa 21 ème session en
1996, la CNUDCI prend acte des obstacles à la dématérialisation soulevés par les
exigences de formes des législations nationales. Son approche repose sur le principe
de non discrimination énoncé à l’article 5 selon lequel "L’effet juridique, la validité ou
la force d’une information ne sont pas déniés au seul motif que cette information est
sous forme de message de données." Ce principe est relayé par les autres dispositions
impératives du chapitre II et notamment par celles concernant l’écrit (art.6), la
signature (art. 7) et l’original (art. 8). L’intérêt de ces dispositions est d’affirmer que,
sous certaines conditions, les messages électroniques satisfont aux exigences de
forme des législations aujourd’hui en vigueur. Ce chapitre appelle une étude
approfondie(14) et nous formulerons seulement quelques remarques sur son
application au connaissement maritime. Ainsi, pour ce qui est du droit français,
pourrait-on parler d’une signature du transporteur au sens du décret de 1966 si la
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6. fiabilité de la méthode utilisée pour identifier le transporteur et manifester son
approbation du contenu est suffisante (15) . La CNUDCI fonde en effet l’article 7 de
sa Loi type sur une analyse des fonctions d’identification et d’approbation de la
signature assortie de la réserve d’un niveau minimal de sécurité mais fait abstraction
du caractère matériel et tangible de la signature. Ensuite, un ensemble de données
électroniques reproduisant les stipulations usuellement contenues dans un
connaissement pourrait constituer un original au sens du droit français si l’intégrité
de l’information est garantie et si elle "peut être montrée à la personne à laquelle elle
doit être présentée", en l’occurence au transporteur lors de l’accomplissement du
connaissement. L’accomplissement du connaissement consisterait en la vérification de
la clé du destinataire et en une modification du registre informatique.
2) Les dispositions relatives au document de transport
Outre les dispositions générales de la première partie, la loi type consacre le premier
chapitre de sa deuxième partie aux documents de transport. L’article 17, qui doit être
rangé parmi les dispositions impératives, aborde en ses paragraphes 3 et 4 les
difficultés soulevées par les documents négociables. L’article 17 §3 admet qu’un ou
plusieurs messages de données peuvent transmettre les droits et obligations
normalement incorporés à un titre papier " à condition qu’une méthode fiable soit
utilisée pour rendre uniques le message ou les messages en question" Le texte de
droit uniforme introduit ici deux concepts inconnus du droit positif français, l’unicité
et la méthode. Tout au plus peut on définir ce qui est unique comme "ce qui est seul en
son genre, d’où exclusif, sans pareil ou encore non réitéré."(16). On pourrait alors
objecter qu’aucun message de données n’est unique par nature puisqu’il peut être
aisément dupliqué. L’objection opposée consiste à souligner que tout message de
données est unique, puisqu’au cas de reproduction, la date d’émission sera modifiée.
L’acception de l’unicité selon la CNUDCI est donc nécessairement différente, comme
en témoigne son guide pour l’incorporation de la loi type. Veiller à l’unicité des
messages de données revient à veiller à ce que "les messages de données devant
transmettre tout droit ou obligation d’une personne ne puissent pas être utilisés par
cette personne , ou en son nom, d’une manière contraire à tout autre message de
données par lequel cette personne, ou une autre personne agissant en son nom, a
transmis le droit ou l’obligation". En d’autres termes, il faut prévenir les conflits de
titres qui pourraient opposer le porteur légitime du connaissement électronique à
toute autre personne entrée en possession d’un titre électronique concurrent émis
ultérieurement. Pour ce faire, la CNUDCI s’en remet à "une méthode fiable". Cette
expression est délibérément vague pour réserver l’évolution de la technologie. Le mot
méthode vise en effet un ensemble de procédés organisés rationnellement pour
parvenir à un résultat déterminé. Il n’était pas question de retenir un procédé
particulier sachant que plusieurs procédés concurrents peuvent garantir un même
niveau de sécurité, par exemple pour crypter des données.
Conclusion
Alors qu’en droit positif le terme connaissement désigne un document, l’expression
"connaissement électronique" désigne un système complexe fondé sur un registre
électronique sur lequel sont consignés les ordres des titulaires successifs et les
informations usuelles figurant au connaissement. Les exigences de forme du droit
français et de la plupart des systèmes juridiques des nations maritimes(17)
interdisent de qualifier de connaissement des instruments contractuels organisant
des Échanges de données informatisées même s’ils remplissent les fonctions
traditionnelles du connaissement négociable. Cela n’est pas de nature à aider les
opérateurs du commerce international à surmonter leurs réticences psychologiques à
la dématérialisation du connaissement négociable. Toutefois, la loi type de la CNUDCI
autorisera peut être à terme la qualification de connaissement électronique. Son
ambition est en effet d’inspirer les législateurs nationaux ou, au moins de fournir des
directives d’interprétation des textes nationaux et internationaux existants.
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7. n.b. : Un article sur ce thème avait été publié avant l'aboutissement de la réforme
française du droit de la preuve et l'adoption de textes communautaires.
Olivier CACHARD,“ Formalisme et dématérialisation du connaissement”, Droit de
l'Informatique et des Télécoms, 1998 /3, Doctrine, p. 24-30
Notes de bas de page
(1) La position du destinataire fait l’objet de vives controverses en doctrine : est-il tiers ou partie au contrat de
transport ? Bénéficie-t-il d’une stipulation pour autrui ? V. Hélène GAUDEMET-TALLON, note sous Com. 10 janvier
et 4 avril 1995, Rev.crit.DIP 1995, p. 610
(2) Le décret du 31 décembre 1966 exigeait également la signature du chargeur. Un décret du 12 novembre 1987 est
venu abolir cette exigence qui n’était pas respectée par la pratique portuaire.
(3) Le Code de commerce admet aux articles 110-8 et 117 (anciens) la signature de la lettre de change par "tout
procédé non manuscrit". Un raisonnement par analogie a conduit à admettre que la griffe soit utilisée dans les
connaissements.
(4) Com., 26 novembre 1996, R.J.D.A., 1997/1, n° 90 et les conclusions de l’avocat général PINIOT p. 3-5
(5) Martine REMOND GOUILLOUD, Droit Maritime, 2 eme édition, Paris : Pedone, 1993, n° 530
(6) "La Fraude maritime et le connaissement", Association française du droit maritime, Dr. Mar. fr. 1983, p. 365-375
(7) Sur les clauses compromissoires par référence, voir Philippe FOUCHARD, Emmanuel GAILLARD et Berthold
GOLDMAN, Traité de l’arbitrage commercial international, n° 491 et ss
(8) Aix-en-Provence, 21 octobre 1988, Dr. Mar. fr. 1991, p. 169-174
(9) Cette hypothèse est réalisée lors de l’affrètement à temps où l’affrèteur à temps a la gestion commerciale du navire
et prend la qualité de transporteur vis à vis du chargeur. Cela n’est pas le cas pour les affrètements au voyage où le
fréteur conserve la gestion commerciale du navire.
(10) Com. 4 juin 1985, Dr. mar. fr. 1986, p. 107-109, note R.A. ; Paris, 13 janvier 1988, Rev.arb. 1990 p. 618. Voir
aussi, Com. 7 janvier 1992, Rev. arb. 1992, p. 553 note Philippe DELEBECQUE, enfin la sentences arbitrale CAMP
n°531, 29 mars 1984 Dr. mar.fr. 1985 p. 115-116
(11) V. Jérôme HUET, "Aspects juridiques de l’EDI, Échange de Données Informatisées (Electronic Data
Interchange)", Dalloz, 1991, Chr., XXXVII, p. 181-191 et spéc.p. 188.
(12) V. Éric CAPRIOLI, "Un texte précurseur en matière de commerce électronique : la loi, type de la Commission
des Nations Unies pour le droit commercial international", Droit de l’informatique & des télécoms , 1996/3 p. 88-89
(13) CMI, Paris II, XXXIV Conférence internationale du Comité Maritime International, Paris, 24-29 juin 1990,
Annuaire CNUDCI, vol. XXII, 1991, p. 418-419
(14) Eric CAPRIOLI et Renaud SORIEUL, "Le commerce international électronique : vers l’émergence de règles
juridiques transnationales", J.D.I., 1997, spéc. p. 386 et ss
(15) L’identification du transporteur ne va pas de soi lorsque le connaissement est un connaissement sans en-tête. Il
est alors difficile pour le chargeur de déterminer qui est le transporteur contre lequel il souhaite intenter une action.
(16) Vocabulaire Juridique CAPITANT, Verbo unique, p. 849
(17) La section 1 (5) du Carriage of Goods by Sea Act adopté en 1992 par la Grande-Bretagne autorise le Secretary of
State à étendre le champ d’application du COGSA aux transactions dématérialisées. Dans cette hypothèse, des
transactions électroniques organisées selon un système de registre informatique pourraient recevoir la qualification de
Bill of Lading.
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