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MYTHIQ 27

gotham.lab
© GOTHAM.LAB - YSAM SUTY
21 place de l’Hôtel Dieu 60000 Beauvais – France
Tel +0033 6 14 18 95 95
Toute reproduction, traduction, adaptation intégrale ou partielle, quel que soit le procédé
et le type de support, notamment par photo, photocopie, numérisation, capture d‘écran, sont
interdites sans autorisation écrite de l‘éditeur et sans l‘accord des artistes et auteurs, pour tous
pays. Les artistes ont autorisé Ysam et les éditions Gotham.Lab à diffuser les travaux présentés
dans cet ouvrage et abandonné leurs droits pour les livre, expositions, communications et
événements Mythiq 27.
Imprimé en UE
Dépôt légal septembre 2013
ISBN 978-29534253-4-5
EAN 9782953425345

2>

3
4>

5
remerciements	

> 	 10

introduction / once a time	

> 	 12

le casting / les membres
du club 27 / les écrivains 	 > 	 22
et artistes participants
les œuvres / textes et images	
> 	 26

S O M M A I R E

bios des écrivains
et des artistes	

>	174

descriptif des oeuvres 	

>	 194

maykel lima

6>

7
MEMBREs DU CLUB 27

ÉCRIVAINs

PLASTICIENS

PAGEs

dave alexander

paul vacca

stief desmet

26-29

jean-michel basquiat

oliver rohe

orticanoodles / bernard pras
frank fischer

30-35

chris bell

arnaud viviant

sp 38

36-39

d. boon

philippe routier

jonone / yz

40-45

arlester dyke christian

marc durin-valois

sd karoë / charlotte charbonnel

46-51

kurt cobain

chad taylor

invader / rero

52-57

peter de freitas

émilie de turckheim

oudhout

58-61

richey james edwards

yann suty

samuel coisne / yves ullens

62-67

john garrighan

solange bied-charreton

seize happywallmaker
wen-jié yang

68-73

peter ham

marc villemain

david gouny / antoine gamard

74-79

les harvey

claro

denis meyers
mademoiselle maurice

80-85

jimi hendrix

sorj chalandon

osch / invader / maykel lima

86-91

robert johnson

david fauquemberg

sd karoë / shaka

92-97

brian jones

laurent binet

autoreversegraphikart
nina mae fowler

98-103

janis joplin

jean-michel guenassia

frank fischer / moolinex

104-109

rudy lewis

jean-philippe blondel

niark 1

110-113

ron “pigpen” mckernan

harold cobert

beb-deum / kashink

114-119

jacob miller

grégoire delacourt

yoh nagao / graphic surgery

120-125

damien morris

laird hunt

antoine gamard
dhm-hugo mulder

126-131

jim morrison

paul verhaeghen

invader / rero / blek le rat

132-139

kristen pfaff

brian evenson

maykel lima
seize happywallmaker

140-145

gary thain

elsa flageul

ludo

146-149

jeremy michael ward

fabrice colin

jana & js

150-153

denis wielemans

aude walker

oli-b

154-157

alan wilson

rj ellory

c215 – christian guémy

158-161

amy winehouse

alexis jenni

graphic surgery / johnnychrist

162-167

mia zapata

manuel candré

mademoiselle maurice
lim si ping - pixel pastry

168-173

maykel lima

8>

9
Gotham.Lab - Ysam remercie ses partenaires et amis
de leur participation dans la réalisation de ce livre.

remerciements

Edouard Provenzani
Magali Aubert
Mathieu Bardeau
Romain Bayle
Gilberte Benayoun
Véronique Bert
Pierre Boiteux
Gilles Bujon
Gaëlle Colaert-Doublet
Marie-Christine de Ville de Goyet
Jean-Luc Dufour
Erwan Guinard
Anne Lambert
Adriana Morales-Ferrer
Varvara Lefèbvre
Jennifer Merille
Milena Oldfield
Jean-Guillaume Panis
Yves et Marie-Danielle Panis
Stéphane Peysson
Frank Philippe
Philippe Stroppa
Nicolas Suchaud
Olivier Thomas
Yanzan Tsering
Jean-Claude Wydouw
Gotham.Lab - Ysam remercie tous les écrivains
et les plasticiens qui ont accepté de prêter leur talent
à la concrétisation de cet ouvrage.

10 >

11
stief desmet

introduction 	

12 >

13
était une fois Kurt Cobain. Un type normal, simple,
abordable, devenu malgré lui une star et le porte-parole de toute
une génération.
Il était une fois une vie (dé)construite sur un malentendu. Le
fondateur de Nirvana semblait vouloir n’être qu’un type comme tant d’autres.
Malheureusement, il n’avait pas forcément choisi la meilleure voie en devenant
musicien, et qui plus est talentueux, avec une chanson, Smells like teen spirit,
qui fit basculer la vie de millions de personnes à travers le monde.
Il incarnait le grunge, nouveau regard sur le monde et ses turpitudes, nouveau
monde musical. Il symbolisait aussi la fin des paillettes, des cuirs moulants
et des chevelures bouclées des rockeurs des années 80. Avec son visage d’ange,
il était devenu une nouvelle espèce de Messie à qui on demandait son avis sur
tout et sur rien.
Il n’aurait pas supporté cette pression. Il refusa le rôle de roi de la génération X,
ne comprenant pas l’hystérie que pouvaient susciter ses apparitions publiques.
Il devint accro à l’héroïne.
Kurt Cobain fuit de sa dernière cure de désintoxication et le 5 avril 1994 une
balle de Remington mit fin au malentendu.

ils aussi à échapper à leur quotidien, à la pression des fans, aux sollicitations
des médias et de leur entourage.

Mais à un malentendu s’en ajouta un autre.
Au lendemain du suicide de son fils, la mère du chanteur de Nirvana aurait
confié à l’agence Associated Press : « Maintenant il est parti et a rejoint ce club
stupide. Je lui avais pourtant dit de ne pas le faire ».
Elle aurait voulu parler des artistes fauchés en pleine gloire. Le journaliste
comprend une allusion au chiffre 27. Peu importe la vérité, le Club 27 est né.
En se suicidant, Kurt Cobain crée les conditions pour que ce club devienne une
réalité. Des éléments épars s’agrègent, un mythe se crée. Le mythe des rock
stars disparues à 27 ans de façon forcément peu banale ou inexpliquée.

Une des dernières « recrues » du Club 27 est Amy Winehouse, la bien nommée.
Sa notoriété, elle la doit autant à son talent de chanteuse qu’à ses frasques. Mais
il n’est pas acquis que le mythe Winehouse existerait si elle nous avait quittés
à un autre âge. Artiste de génie et illustration, jusqu’à la caricature, du cynisme
et de l’imbécillité de notre époque. Chronique d’une autodestruction annoncée
et d’excès abondamment relayés, amplifiés, transformés par les médias en phase
avec les attentes superficielles de leur public pour faire toujours plus d’audience.
Amy Winehouse a fourni le scénario inouï d’une carrière rythmée par un
comportement outrancier, iconoclaste et suicidaire, une voix exceptionnelle, un
alcoolisme précoce, et un look rock et glamour inoubliable. Un site internet avait
poussé le mauvais goût jusqu’à inviter ses participants à gagner un baladeur
numérique en pariant sur l’âge de la mort d’Amy Winehouse.
Sa mort à 27 ans l’a intronisée aux côtés des grands talents du Club et relancé
l’intérêt pour le mythe.

il

Flash back : FIN DES ANNEES 60
Il était une fois Brian Jones (co-fondateur des Rolling Stones), Janis Joplin,
Jimi Hendrix et Jim Morrison (co-fondateur des Doors). Entre 1969 et 1971, ces
quatre figures majeures du rock nous quittent dans des circonstances tragiques
et troublantes. De leur passage éclair sur Terre, ils laissent derrière eux une
œuvre impressionnante. Ils ont réinventé leur art. Comment jouer de la guitare
après Jimi Hendrix ? Comment être poète après Jim Morrison ?
Leur talent n’a d’égal que leurs dérives autodestructrices. Ils usent et abusent de
drogues et d’alcool pour explorer de nouveaux territoires, stimuler leur créativité,
inventer de nouveaux sons, une nouvelle musique. Certainement cherchent-

14 >

Entre ces quatre artistes et la mort de Kurt Cobain en 1994, d’autres rockers,
d’autres musiciens, d’autres artistes, partent à 27 ans. Ils auraient pu être des
morts comme tant d’autres, à 22, 29 ou 45 ans. Mais, par la grâce du mythe
Cobain, leur sortie à 27 ans constitue le dernier acte remarquable de leur
carrière. Quelle bonne idée, si l’on peut dire, de disparaître au bon âge pour être
admis au sein du mythique Club 27.
LA GLOIRE POST-MORTEM PAR PROCURATION
En 2013, Wikipédia recensait 44 membres à ce club. Si Jimi Hendrix ou Jim
Morrison ont incontestablement marqué l’histoire de la musique, l’apport
d’autres est plus discutable. Ron « Pigpen » McKernan, clavier des Grateful
Dead, D. Boon, chanteur des Minutemen, ou encore Richey James Edwards des
Manic Street Preachers n’auraient sans doute pas eu la même postérité s’ils
étaient disparus un an plus tôt ou un an plus tard.

A l’inverse, que seraient devenus certains membres du Club s’ils avaient
survécu ? Manque d’inspiration, traversée du désert, ou retour à l’anonymat ?
Nul ne le saura jamais.
Leur disparition prématurée leur a en tout cas assuré l’entrée au panthéon des
27 et l’accès à une reconnaissance éternelle. Ils sont figés pour toujours en pleine
gloire, en pleine jeunesse, et ne connaîtront pas une fin de carrière en crooner

15
vintage pour les vieux fans de Brian Ferry ou chanteur international de variété
comme Sting ou Elton John, chanteur de vieilles chansons françaises comme
Iggy Pop. Ils n’auront pas à tenter le énième come-back pathétique pour financer
leurs impôts ou leur train de vie.
LE MARKETING DES GRANDES ET PETITES CROYANCES
Sans entrer dans un débat sur le sens et l’intérêt de toutes les formes de
croyances, il est cocasse de remarquer qu’en deux mille ans nous sommes passés
du divin et de la quête de spiritualité à l’adoration de stars et de marques.
L’humain a besoin d’icônes à admirer, de modèles à suivre ou à imiter. Avant ils
étaient dieux, rois, pharaons, chevaliers, papes et saints. Aujourd’hui, ils sont
plutôt musiciens, acteurs, footballeurs.
Leurs histoires font vendre. Tout est récupérable et recyclable.
Le divin et le marketing ont toujours fait bon ménage et cela ne semble pas près
de changer, bien au contraire.
Avec un cynisme tranquille, nous marketons tout pour créer des croyances et les
transformer en produits.
Jean Paul II (un des best-sellers de l’église catholique), Notre Dame de Fatima
ou de Lourdes, sont jolis en médaille, boule à neige, statue en plâtre, en marbre
ou en plastique lumineux (piles non fournies).
Depuis plus de quarante ans, Mao figure parmi les icônes du Pop Art avec sa
coiffure et son célèbre col éponyme, figés par Andy Warhol.
On vénère depuis un demi-siècle la belle gueule de Che Guevara, icône des
mouvements révolutionnaires, symbole de la contestation, mais aussi assassin
au visage romantique avec son portrait réalisé par Alberto Korda, considéré
comme l’une des photos les plus célèbres du monde. Mao et Che Guevara se
déclinent en t-shirts, mugs, livres hommages, tapis de souris, badges, cahiers
d’écoliers… à des millions d’exemplaires.
Le Club 27 remplit à la perfection les conditions nécessaires pour faire la
fortune des ayant-droits. Il plaît parce qu’il présente un story telling pertinent,
des histoires parfaites pour le besoin de simplification caractéristique de notre
époque. Les médias aiment ces destins fauchés en pleine jeunesse, avec un
scénario limpide et percutant : des vies menées à cent
dhm-hugo mulder
à l’heure, des vies trop intenses, excessives, passées
Mourir à 27 ans évite d’atteindre …
trop vite, trop fort, avec un final éblouissant et précoce,
les 72 ! Les membres du Club 27 restent
tragique, troublant ou inexpliqué.
figés en pleine gloire et ne connaîtront pas
Grands et petits magazines, blogs et réseaux sociaux
de lendemains difficiles. Ils ne deviendront
pas des caricatures d’eux-mêmes prêtes
propagent informations et rumeurs, construisent et
à tous les compromis pour connaître une
vieille gloire pathétique ou financer leurs
divorces et leur train de vie.

16 >

17
nourrissent la légende de ces artistes maudits, alimentent les fantasmes
de toutes les couches de la société.
Les fabricants, les éditeurs et l’industrie de l’entertainment proposent assiettes,
médailles, « tableaux d’art », posters, draps, films, comédies musicales,
compilations et best of commémoratifs… tout est bon dans l’artiste labellisé
Club 27 !
Le cimetière du Père Lachaise est connu dans le monde entier depuis que Jim
Morrison y repose. Les t-shirts souvenir, avec sa moue boudeuse et sexy, se
vendent toujours très bien. Kurt Cobain est devenu le porte-drapeau involontaire
d’une génération, certes, mais, n’en déplaise aux fans, il est aussi une figure de
mode, l’inventeur de la grunge attitude avec cheveux sales, jean déchiré, baskets
usées et gilet à grosses mailles. La star mal habillée à la perfection se décline
également en sweat à capuche, pendentif, casquette ou drapeau. Jimi Hendrix a
beaucoup fait pour la coiffure afro et la vente des bandanas. Le développement
des objets du désir Amy Winehouse est tributaire d’accords entre les fabricants
et ses ayants droits. Elle a tout d’une icône reproductible à l’infini, avec un look
typé 60’s – coiffure rockabilly et eye-liner Cléopâtre rock – aussi célèbre que sa
voix jazzy.

Le livre, un face à face entre écrivains et plasticiens
Commençons par ce que n’est pas Mythiq 27.
Ce n’est pas une série de biographies, de représentations figuratives ou encore
un ouvrage pédagogique. Ce n’est pas une énième tentative d’explication du
mythe. Il ne s’agit pas non plus d’une série de portraits d’artistes sur qui, pour
certains, tout a été dit ou presque.
Nous avons conçu le livre Mythiq 27 comme une exposition qui invite les
participants à prendre de la distance par rapport à l’anecdote, la narration ou
l’illustration directe de chaque membre du Club 27 et de projeter leur propre
vision du mythe.
L’idée : 27 écrivains écrivent 27 lignes sur 27 artistes disparus à 27 ans, mis en
image par des artistes plasticiens d’aujourd’hui.
C’est un livre d’art et d’écrits, une œuvre hybride, une composition collective.
Le projet supposait la mise en place d’un cadre de travail comportant certaines
règles. Aux écrivains, nous avons imposé pour seule contrainte d’écrire 27 lignes.
Aux plasticiens nous avons demandé de détourner le sujet afin de l’intégrer dans
leur propre démarche artistique et intellectuelle.

LA LÉGITIMATION PAR LA THEORISATION
Le vernis académique, scientifique, érudit est indispensable pour légitimer un
phénomène. Nous avons besoin de théoriser, prouver, démontrer des « vérités
scientifiques ». Le Club 27 est comblé. De nombreuses thèses, débats, articles
alimentent les destins tragiques de ses membres.
En 2007 un groupe de chercheurs de l’Université de Technologie du Queensland
en Australie a posé la question suivante : « 27 ans est-il un âge dangereux pour
un musicien célèbre ? ». La conclusion de l’étude a révélé que le risque de décéder
entre 20 et 40 ans est plus élevé pour un musicien célèbre que pour le reste de la
population, mais que l’âge de 27 ans n’a rien de maléfique. Ouf.
Les artistes sont devenus des marques avec l’éventail complet des outils
indispensables à leur lancement, leur développement et leur croissance-croyance.
A la réalité de leur talent et leur apport artistique s’ajoutent des applications
commerciales. Ils deviennent des produits d’adoration et de consommation. La
perpétuation du mythe du Club 27 a un bel avenir.
Si une nouvelle génération avait à son tour la bonne idée de nous quitter à 27
ans… la carrière post-mortem de chaque ‘’recrue’’ est déjà tracée !

18 >

Auteurs et plasticiens proposent des textes et des œuvres reflétant l’impact des
membres du Club 27 sur leur propre vie, sur leur production artistique et sur
leur vision de l’histoire de l’art et de la société.
Qu’ils soient ici remerciés d’avoir relevé le défi en acceptant un thème et une
démarche imposés. L’exercice est difficile et demande une extraordinaire
capacité d’adaptation sans renier sa propre personnalité.
La sélection des écrivains et des artistes propose un panorama riche de la création
artistique et littéraire d’aujourd’hui. Elle offre des perspectives inattendues et
très personnelles.
Les membres du Club 27 ont marqué les artistes et les auteurs de toutes les
générations. Mythiq 27 en est un recueil. Tous ont quelque chose à dire, à
raconter, à représenter.
Manuel Candré a laissé sa plume à Mia Zapata, dans un témoignage imaginaire
et bouleversant sur les dernières heures de sa vie.
RJ Ellroy prend possession de l’esprit d’Alan Wilson.
Marc Durin-Valois entre dans les pensées discursives d’Arlester « Dyke »
Christian, de cette mort qui vient si vite.

19
Sorj Chalandon traduit la proximité de certaines icônes dans la vie de chacun,
« J’ai bien connu Jimi Hendrix. Il était punaisé sur le mur de ma chambre ».
Il symbolisait cette soif de liberté, d’expression, de départ.
Cette proximité, on la retrouve aussi chez Jean-Michel Guenassia pour qui Janis
Joplin « c’était une amie, une vraie, le genre qui ne trahira jamais, elle faisait
partie de la famille ».
Combien d’adolescents des années 90 se sont sentis en harmonie totale avec Kurt
Cobain, comme l’écrit si bien Chad Taylor : « Quelqu’un a dit un jour qu’une icône
était un mélange de sacré et de profane. Kurt Cobain a coché les deux cases ».
Alexis Jenni nous livre un témoignage d’admiration presque amoureuse pour
Amy Winehouse.
Dans un tout autre registre, la mort de Chris Bell devient drôle sous la plume
d’Arnaud Viviant.
Plus poétique, flirtant avec l’abstraction, Claro s’adresse personnellement à Les
Harvey.
Ainsi, les 27 écrivains nous rappellent que les membres du Club 27 ne mourront
jamais. Leurs voix, leurs musiques, leurs œuvres, font partie de notre vie, de nos
mémoires.
Les plasticiens ont également exprimé une grande diversité de regards et
d’interprétations, des plus sombres aux plus lumineux, des plus poétiques aux
plus abstraits, des plus drôles aux plus respectueux.
Humour caustique et un peu potache avec les dessins aquarellés de Laurina
Paperina.
Détournement abstrait aux lignes colorées de Frank Fischer qui revisite un skull
de Basquiat et la pochette du célèbre LP de Janis Joplin, Pearl.
Bernard Pras rassemble une multitude d’objets dans une anamorphose qui
raconte des histoires et des mondes aussi riches et abondants que l’œuvre de
Basquiat.
Avec malice SP38 offre à Chris Bell un vélo, moyen de locomotion bien plus sûr
que l’automobile et qui lui aurait peut-être sauvé la vie.
YZ évoque D. Boon enfoui dans la tôle cabossée et froissée du crash de son
véhicule.
Samuel Coisne imagine la vie de Richey James Edwards par l’image de dollars
troués, comme une vie au capital dilapidé par les excès.
Rero noircit les lettres « The End » et les barre. La fin, mais pas tout à fait. Plus
qu’un hommage à une chanson, Jim Morrison meurt et un mythe naît.
Maykel Lima révèle avec talent la présence/absence des icônes du rock avec une
photographie fantomatique et inquiétante qui évoque Janis Joplin.

20 >

Oudhout nous montre ce qu’il reste après l’accident de Peter de Freitas, une
tâche de sang sur sa moto.
Wen-Jié Yang met en scène les trips de John Garrighan, libéré, en apesanteur.
La dose fatale ne le laissera pas redescendre.
Les « rubik’s cube » d’Invader nous rappellent combien Jimi Hendrix, Jim
Morrison et la pochette de Nevermind de Nirvana nous sont familiers, ancrés
dans notre inconscient collectif.
Jimi Hendrix est un dieu. Un dieu de la guitare. Maykel Lima lui confectionne
un bel autel, un endroit où ses fans pourront se recueillir.
autoreversegraphikart baigne dans une ambiance morbide avec ses photos/
radios X de Brian Jones mort, Brian Jones
vivant, Brian Jones mort-vivant.
Les déstructurations de Graphic Surgery
évoquent les vies intenses, chaotiques et
brisées de Jacob Miller et Amy Winehouse.
Beb-deum se moque avec tendresse d’une
ancienne groupie de Ron « Pigpen » Mckernan.
L’hommage de Blek le Rat à Jim Morrison
passe par le film Apocalypse Now et la chanson
The End qui en servit de bande-son.
La dose fatale d’héroïne imaginée par Ludo a
quelque chose d’un doigt d’honneur, un fuck
you à la vie de Gary Thain.
Oli-B pleure Denis Wielemans de manière très
joyeuse.
C215-Christian Guémy plonge Alan Wilson
dans une transe dont il n’échappera pas.
« I Am » clame Mademoiselle Maurice au
nom de Mia Zapata dont la vie a été détruite
avec violence. « I Am », avec douceur, poésie
et sérénité. Le temps gomme et lisse aspérités
et détails des destins, même les plus horribles,
désespérés ou terrifiants.
redape
« I Am » aurait pu être le cri de chacun des
Richey James Edwards n’a pas révolutionné
membres du Club 27, devenus des êtres
l’histoire de la musique et n’aurait sans doute
mythiques, des héros de notre époque
pas connu la même postérité s’il était disparu
déglinguée.
« I Am ». Une œuvre, un destin. Une éternité.

un an plus tôt ou un an plus tard. Doigt
d’honneur… pour lui-même ou au nom de tous
les disparus ?

21
le casting
les membres
du club 27	
les écrivains
les artistes

oudhout

22 >

23
laurina paperina
Telle une photo de « classe »
du Club 27, ses membres
sont croqués sur un ton
irrespectueux, humoristique
et caricatural où leurs
principales caractéristiques
sont associées aux causes
de leur décès.

24 >

25
Faire l’épitaphe de Dave Alexander revient à pratiquer le journalisme selon Chesterton :
« écrire “Lord Jones est mort” à des gens qui n’ont jamais su que Lord Jones existait ».
Des Stooges originels, il y avait Iggy bien sûr, iguane de légende qui aura traversé toutes
les périodes de glaciations, les deux frères Asheton, Ron et Scott, et puis.. et puis…

DAVe
alexander
Né le 3 juin 1947 à Ann Arbor (Michigan, États-Unis).
Il est décédé le 10 février 1975 d’un œdème
pulmonaire des suites d’une pancréatite aigüe liée
à une consommation d’alcool excessive.

qui déjà ? Oui, le mec juste derrière Iggy sur la pochette du premier album, celle où ils sont
tous comme les frères Dalton…
Dave Alexander, donc. As known as – ou plutôt - as unknown as Zander. Quatrième membre
du groupe et cinquième roue du carrosse. Arrivé là parce qu’il avait une voiture. Banale
histoire de chaise musicale. Ce sera la basse. Pourquoi la basse ? Parce que. Histoire de
vacation ; pas de vocation.
Zander ne tiendra pas longtemps à l’ombre de l’Iguane. Deux 33 tours et puis s’en va…
Une prestation désastreuse lors d’un concert en août 1970 au Goose Lake International
Music Festival. Too drunk to play. L’ire d’Iggy l’irradie : you’re fired ! Zander ne moufte
pas. L’héroïsme, c’est pas son truc. Ni l’héroïne du reste. La vraie cause de la rupture
de son CDD selon certains : incompatibilité de défonce. Lui c’était l’alcool.
Retour au bercail, à Ann Arbor dans la morne plaine de Detroit. Régime alcool et vinyles.
Qui sait combien de groupes, Dave rejoint le soir au fond de ses verres d’alcool pour s’en
retrouver systématiquement viré à l’aube ? Il faut imaginer Sisyphe complètement bourré.
Une pancréatite l’oblige à se faire admettre à l’hôpital. Pour s’en faire virer quatre jours
plus tard. Prestation désastreuse encore : un œdème pulmonaire fatal.
Il a 27 ans.
Mais ce beau jour, le 10 février 1975, la chance sourit enfin à Zander. Sans rien

ecrivain

paul vacca

artiste

stief desmet

comprendre, il est admis dans le groupe le plus classieux de l’histoire du rock :
le Mythic 27. À bras ouverts. Il y trimballe tous les soirs sa basse et sa canette pour
les meilleurs gigs over the rainbow. L’année dernière, une nouvelle recrue, tatouée
qui taquinait aussi le goulot comme lui, est même arrivée…
Aux dernières nouvelles, Dave n’a toujours pas été viré…

26 >

27
stief desmet
Dave Alexander fut viré des Stooges par Iggy Pop qui trouvait qu’il était
un enfant gâté et un incompétent. Pour ne rien arranger, il était alcoolique.
S’il avait fait partie du groupe, c’est uniquement parce qu’il avait une
voiture. Une supposée success story à l’américaine qui est en fait l’histoire
d’un petit aigle déchu qui a rejoint le Club 27.

28 >

29
La question n’est pas de savoir ce que vaut Jean-Michel Basquiat aujourd’hui,
sa valeur marchande et culturelle,
sa place dans les musées et les grandes collections.
Il n’est pas question de savoir si sa peinture, si singulière dans le paysage artistique

JEAN-MICHEL
BASQUIAT
Né le 22 décembre 1960 à Brooklyn (New York,
États-Unis). Il est décédé des suites d’une overdose
de cocaïne et d’héroïne le 13 août 1988 à New York.

des années quatre-vingt,
des années quatre-vingt en leur épicentre,
New York,
si cette peinture qui déroute,
et qui jure,
et qui échappe au goût désastreux de son époque,
qui en est comme la réfutation radicale,
l’ailleurs absolu,
mais qui,
injustement,
paradoxalement,
finit par incarner pour nous ces années-là,
sans doute plus qu’aucune autre,
si cette peinture de Jean-Michel Basquiat produit toujours un trouble,
ébranle,
fomente quelque rupture,
si elle demeure singulière et subversive dans notre monde contemporain.
Il n’est pas non plus question d’inclination,

ecrivain

oliver rohe

artistes

orticanoodles

bernard pras
frank fischer

30 >

de notre éventuelle inclination pour elles,
sa peinture,
sa personne,
sa figure.
La question est de savoir si l’apparition d’un enfant sauvage est aujourd’hui possible.

31
orticanoodles

32 >

Tranches de vies, Basquiat au regard tranchant, tranches
de génie, d’un génie. Assemblage chaotique
et pourtant organisé d’un parcours semé d’embûches.
Quelle merde la vie.

bernard pras

Décomposition-recomposition, homme archiboldien.
Homme enfant recomposé à partir de jouets en plastique
qui rend hommage à la fausse naïveté d’un artiste
complexe, précurseur du street art.

33
frank fischer
Derrière ces lignes se cache une tête. La célèbre œuvre de Basquiat,
Head, est détournée de façon abstraite et dans ces lignes vous pouvez
reconnaître une tête hypertrophiée, une oreille gauche, deux yeux tristes,
des cheveux bleus et noirs ou un réseau neural, le tout sur un fond orange
et bleu et rouge et blanc et noir, parsemé de dessins et de lettres.

34 >

35
Je m’appelle Chris Bell.
Nous sommes le 27 décembre 1978, j’ai 27 ans, il est environ une heure du matin, à Memphis.
Je sors du resto de mon père où j’ai encore rien bouffé. Mais j’ai bu. Quand mon vieux m’a
une nouvelle fois reproché de rien toucher à ce qu’il y avait dans mon assiette, je suis allé

chris
bell

BIG STAR

Né le 12 janvier 1951 à Memphis (Tennessee,
États-Unis). Il est décédé dans un accident
de voiture le 27 décembre 1978 à Memphis.

me shooter dans les chiottes de son bouclard. J’adore mon père. Je l’aime et il m’aimera
toujours. C’est juste que l’héro te donne plus envie de vomir que de bouffer, parce que c’est
plus agréable de vomir quand tu as le ventre vide.
Putain, que la nuit est douce. Je suis au volant de ma Triumph TR6, la plus chouette des
bagnoles, que je me suis offerte avec l’avance sur mon premier album solo. J’allume la
radio. Merde. Que du disco. Je change de fréquence. Merde. Que du punk.
Demain, je ne sais pas pourquoi je pense à ça, ce sera l’anniversaire de ce salopard d’Alex
Chilton. Quand je pense que c’était mon meilleur pote au lycée. Quand je pense que c’est
moi qui lui ai demandé de venir jouer dans Big Star. Quand je pense que j’ai quitté Big
Star à cause de lui. Tout ça me donne envie d’appuyer sur le champignon. Je change de
fréquence. Merde, le nouvel album des Stones. Qui eux aussi font du disco.
Le problème de Chilton, c’est qu’il n’aime pas assez les Beatles. Alex est une chiotte de
Ricain nationaliste. Il n’a pas compris que c’était Dieu qui avait formé les Beatles depuis
le cosmos, depuis son Entendement cosmique. UN JOUR QUELQU’UN M’A PARLE
D’AMOUR, MAIS JE NE SAIS PLUS QUI C’EST. Putain, je devrais noter ça, c’est un bon
titre pour une chanson.
Je suis allé enregistrer aux Air Studios de George Martin. J’ai croisé Paul McCartney et
Linda, on a bavardé ensemble une dizaine de minutes. C’était le plus beau jour de ma

ecrivain

arnaud viviant

artiste

sp 38

vie. Il ne me reste plus qu’à rencontrer Lennon et Harrison parce que Ringo, je m’en bats
les couilles. Que cette voiture va vite. Comme l’héro dans mon sang, AND I FEEL LIKE
JESUS SON, comme chante ce connard de Lou Reed. Quelle perte de temps de se prendre
pour Lou Reed, quand on peut se prendre comme moi pour John Lennon. Et je roule vers
ma mort, vers ma mort.

36 >

37
sp 38
Un accident de voiture qui est vécu comme une libération.
Enfin Chris Bell quitte une vie qui ne lui allait plus. S’il s’était déplacé
en vélo, il n’aurait pas perdu le contrôle de sa voiture et ne se serait pas
scratché. Oui, le vélo peut-être un véhicule rock’n’roll !

38 >

39
Le dernier breakneck solo de D. Boon
On ne meurt par sur l’interstate 10, c’est une route bien plus longue
que la mort.
On ne meurt par sur l’interstate 10, même sous le ciel torpide

D.
boon

MINUTEMEN

Né le 1er avril 1958 à San Pedro (Californie,
États-Unis). Il est décédé dans un accident
de van le 22 décembre 1885 en Arizona.

de décembre.
On nous dit que sur cet axe dans le désert d’Arizona, D. Boon était allongé
à l’arrière d’un van, malade et somnolent, que son amie au volant
s’était assoupie, que le véhicule sortit alors brusquement de la route,
que D. Boon fut éjecté du véhicule par la secousse et qu’il se brisa
la nuque.
Mais c’est du pur délire, sans doute produit par l’esprit fiévreux du
passager lui-même.
Depuis sa banquette, D. Boon croyait voir aussi son père à genoux, vétéran
de la Navy qui naguère à l’avant des Buick installait pour le nourrir des
autoradios. Il le regardait les brancher avec soin, comme s’il greffait sur
un ami un organe vital, puis tester l’appareil en enfonçant les touches
l’une après l’autre.
L’ouvrier dans le songe de D. Boon assurait qu’il ne laissait sortir
les Buick de l’atelier que si leur autoradio promettait de fonctionner
des années plus tard encore, quand son fils serait devenu le chanteur
des Minutemen et qu’on entendrait It ain’t no picnic sur les ondes de
Californie.

ecrivain

philippe routier

artistes

yz

jonone

D. Boon aura pu rêver cela et aussi d’être tombé du van par le hayon
arrière. Mais, à part lui, personne ne croit à la mort métal asphalte de
l’artiste funk-blues.
En réalité, depuis la disparition de D. Boon de nos radars et de nos
enceintes, l’interstate 10 est devenue un ruisseau dormant et le songe
du chanteur un conte muet.

40 >

41
jonone
Le corps est pris au piège de la tôle. Il est compressé. Compressé
comme le sera la voiture une fois envoyée à la décharge. Avant d’être
fondue, de devenir un autre véhicule qui sera peut-être encore accidenté.
Avec un futur membre du Club 27 dedans ? L’histoire ne demande
qu’à se répéter.

42 >

43
yz
Elle n’est pas montée sur scène, mais elle lui a volé la vedette.
Sur le fil. Elle est devenue sa dernière scène en quelque sorte.
D. Boon croyait monter dans une voiture alors que c’était déjà
un corbillard. C’est sûrement pour cela qu’il a passé tout
son dernier trajet sur l’Interstate 10 allongé.

44 >

45
On m’appelle Dyke,
J’imagine des funky Broadway partout,
Alors je chante,
Funky, funky Broadway,

arlester
Dyke christian
dyke & the blazers

Né le 13 juin 1943 à Buffalo (New York,
États-Unis). Il a été assassiné le 13 mars 1971
à Phoenix.

J’en vois depuis toujours,
A Buffalo, quand j’étais avec mes potes de Larue,
A Phoenix, avec mon groupe Dyke and the blazers,
Riff de guitares et orgues épaisses, saxos qui miaulent,
Alors forcément je chante
Funky, funky Broadway,
Les filles 66 adorent,
Et moi,
J’continue d’repérer des Funky Broadway dans toutes les villes,
Avec des drôles de foules funky,
De belles femmes funky,
Parfois un drôle de mec funky,
L’inventeur du funk, ouais, c’est moi,
Arlester Christian Dyke, D comme dope, Dyke comme die,
Août 71 à Phoenix, j’marche tranquille, j’ai 27 ans,
J’crois bien que toutes les rues de ma vie seront toujours,
Des funky, funky Broadway,
Avec ses foules, ses filles sublimes, et des types bizarres,

ecrivain

marc durin-valois

artistes

sd karoë
charlotte charbonnel

Y’en a un justement qui me regarde d’un drôle d’air,
Seigneur,
Me tire dessus avec son flingue,
Putain de…
Funky, funky Broadway !

46 >

47
sd karoë
Le plancher des salles de concert a gardé les traces du funk
de Dyke. Un 27 (dé)composé d’empreintes de pas dansants,
de sang séché, de sueur. Les souvenirs de la furie d’un artiste
possédé. Encore plus en live.

48 >

49
charlotte charbonnel
C’est le « bruit blanc », un dispositif qui permet d’enregistrer
les ondes sismiques, de capter celles qui annoncent une
catastrophe. L’appareil de Dyke, lui, s’emballe. A cause de son
mode de vie. De ses fréquentations. Et de sa musique. Oui,
de sa musique. Et si c’était elle qui expliquait tout ?

50 >

51
Root beer et héroïne.
Et un flingue, et du papier toilette pour nettoyer le foutoir.
Quelqu’un a dit un jour qu’une icône était un mélange de sacré et de profane.
Kurt Cobain a coché les deux cases.

KURT
cobain
nirvana

Né le 20 février 1967 à Aberdeen (Washington, États-Unis).
Il s’est suicidé d’une balle dans la tête le 5 avril 1994
à Seattle. Toutefois, certains de ses proches et un détective
privé défendent la théorie de l’assassinat.

Il était capricieux mais consciencieux.
Le genre de type à lécher son assiette au restau.
Ou à piquer un fard en se voyant refuser sa carte de crédit.
Il dormait dans sa voiture quand « Smells Like Teen Spirit » a déboulé dans les bacs.
Quand il a pressé la détente, il était déjà père et millionnaire.
Il a écrit des chansons courtes qu’on peut jouer à l’infini.
Il n’avait plus de voix au bout de quelques prises.
Il a eu les yeux bleus toute sa vie.
Sa femme s’est fait tatouer un « K » sur son ventre blanc.
La taille de sa fille était inscrite sur la porte.
Quand son père s’est suicidé, elle mesurait quatre-vingt centimètres.
Mes fils ont presque l’âge de Kurt.
Quand je pense à ce qu’ils savent aujourd’hui, et ne savent pas, il faut que je m’imagine à leur âge.
Les choses auraient pu mieux se passer pour lui.
Les choses auraient pu nettement dégénérer.
Tous ces vieux qui levaient les yeux vers un type si jeune.
Un tee-shirt.
Une pochette d’album.

ecrivain

chad taylor

artistes

rero

invader

Un air qu’on fredonne.
Votre vieux moi veut revenir en arrière et communiquer avec ça.
Parler à Kurt le gamin, et non Kurt l’artiste.
Mais vous aviez alors son âge.
Vous n’auriez rien eu à lui dire.
Traduction : Claro

52 >

53
invader
Un bébé nage dans une piscine, un billet d’un dollar au bout
d’un fil devant lui. La célébrissime couverture de l’album Nevermind est
réinterprétée avec des carreaux de faïence. Comme ceux d’une piscine.

54 >

55
rero

56 >

Mourir si jeune. Gâcher tout ce talent. Se tuer à petit feu.
Se shooter. S’isoler. Pointer son arme. Tirer.
Partir, trop vite trop tôt. Et nous ? C’est une hérésie.

57
Pete de Freitas et moi
sommes nés la même année,
moi en 1980, lui en 1961 d’une mère qui accouchait
sur une île d’opossums, d’oiseaux-mouches et de paresseux à 18 molaires,

peter
de freitas

echo & the bunnymen

Né le 2 août 1961 à Port of Spain (Trinidad and Tobago).
Il est décédé d’un accident de voiture sur le chemin
de Liverpool à Londres, le 14 juin 1989.

Trinidad et Tobago j’ai nommé,
tandis que la mienne expulsait l’enfant au bord du Rhône où nagent
l’ablette et les catholiques
nous prirent vite en main,
au-dessus de la Manche, les bénédictins, en scapulaire noir à capuchon, firent à Pete
la leçon,
tandis qu’au dessous de la Manche, mes Sœurs s’agenouillaient sans qu’on sache
pourquoi Pete
part à Liverpool
- Foie-Piscine littéralement comme John Paul George et Ringo
dont pas un seul ne sut que la ville
fut le port d’attache du Titanic
incoulable qui néanmoins coula
le chef d’orchestre, héros-musicien, jusqu’à la fin,
baguettes à la main, Pete le batteur
décompte le temps,
se plante dans le mur

ecrivain

émilie de turckheim

artiste

oudhout

de briques, de beurre, de béton, l’histoire ne le dit pas
mais retient l’année (1989, bicentenaire, célébrations, guillotines en papier mâché,
bonnet phrygien sur ma tête d’enfant)
et la moto à 72 chevaux et
27 chandelles

58 >

59
oudhout
Sur la route entre Londres et Liverpool,
la Ducati de Pete de Freitas percute une
voiture. Le choc est fatal pour le batteur
d’Echo & The Bunnymen. Il ne reste rien
de lui si ce n’est une moto sur le sol. Le
métal sera toujours plus fort que la chair.

60 >

61
Reste cette bonne vieille Vauxhall Cavalier métallisée, abandonnée près du Severn Bridge,
la batterie à plat et à l’intérieur un foutoir sans nom, ce n’est plus une voiture mais un
squat, un squat comme ta chambre de l’hôtel Embassy et toi où es-tu ?
On t’a vu dans un marché hippie à Goa.

richey james
edwards

manic street preachers

Né le 22 décembre 1967 à Blackwood (Caerphilly,
Pays de Galles). Il est porté disparu depuis le 1er février
1995 et été présumé mort le 23 novembre 2008.

Mais où es-tu ? Tu n’as laissé aucun message, aucun message qui explique pourquoi chaque
jour pendant quinze jours deux cents livres ont été retirées de ton putain de compte en
banque et ensuite c’est toi qui t’es évaporé.
On t’a vu dans les îles de Fuerteventura.
Et pourquoi cette virée en taxi dans les collines de ton enfance avant de disparaître ? Qu’estce que t’es allé foutre à Blackwood ? Un pèlerinage ? Dire au revoir à cette ville où tu t’es
découvert ce goût pour les lames de rasoir les couteaux les tessons de bouteilles, il y a tant
de façons de se faire du bien, oh oui c’est si bon, c’est si bon d’entendre la lame fendre la
peau comme du tissu, pénétrer dou-dou-doucement dans la chair et ensuite c’est le sang qui
suinte, qui te crème le corps, un onguent un élixir et tu y fourres la langue petit gourmand.
Faut bien que tu manges, l’anorexique.
On t’a vu te baigner dans le Gange.
Tu disais que tout est banal à côté de l’effort que tu fais pour te concentrer sur la coupure
la douleur la lame, et la lame tu l’appuyais plus fort – mais où es-tu ? –, toujours plus fort,
comme si tu cherchais quelque chose plus profond. Qu’est-ce que tu cherchais quand tu t’es
gravé « 4 REAL » sur l’avant-bras ?
On t’a vu à Lanzarote.
Tu te souviens de la gueule du journaleux quand tu t’es offert cette friandise dandy à 17 points

ecrivain

yann suty

artistes

samuel coisne

yves ullens

de suture, ce serpent cutterisé qui te rampait dessus te faisait autant triper que les mégots
que tu t’écrases sur ta peau devenue cendrier – mais où es tu ? – et entendre ta chair
crépiter comme sous le coup d’un effet larsen est meilleur, ouais, encore meilleur que tout le
reste cette bonne vieille Vauxhall Cavalier métallisée, abandonnée près du Severn Bridge,
la batterie à plat et à l’intérieur un foutoir sans nom, ce n’est plus une voiture mais un squat.

62 >

63
samuel coisne
Il a dilapidé sa vie comme on dilapide un capital.
Un dollar après l’autre, une année après l’autre,
il s’est tué, à coups de cachets, d’alcool, de mutilations.
Sa disparition relève finalement de l’anecdote.
27 ans, 27 dollars.

64 >

65
yves ullens
Les couleurs de la vie et la mort. Rouge pétillant et joyeux, rouge
de l’énergie et de la vie, rouge et puis s’en va en pourpre, pourpre
de la lassitude, de l’envie de ne plus avoir envie ou juste de mettre fin
à tout ça. Rouge et pourpre, un cercueil, un totem, la délivrance.

yves ullens
Les couleurs de la vie et la mort. Rouge pétillant et joyeux,
rouge de l’énergie et de la vie, rouge et puis s’en va en pourpre,
pourpre de la lassitude, de l’envie de ne plus avoir envie ou juste
de mettre fin à tout ça. Rouge et pourpre, un cercueil, un totem,
la délivrance.

66 >

67
Tu es invisible
Ils étaient venus avant toi et déjà ils étaient morts ainsi, les guitars heroes de papa, les
mecs en poster dans la chambre de maman, les romantiques à rouflaquettes, ces bardes au
sourire triste et à la mèche lustrée, tous ces jeunes gens vivaient trop intensément pour

john
garrighan

the berlin project

Né le 1er avril 1983 à Pittsburg (Pennsylvanie,
États-Unis). Il est décédé le 30 janvier 2011
à Monroeville (Alabama - Etats-Unis). La cause
de sa disparition reste indéterminée.

ne pas mourir tout de suite, ils ont avalé leur langue avant qu’on leur la coupe, je suis seul
à crever, personne ne me comprend, les grands yeux révulsés par tant de guerres dans le
monde, veinules par trop trouées de leurs seringues salutaires, et les filets de bave, de la lèvre
à la main, de la main à la gratte, de la gratte à l’ampli, mais l’ampli débranché ne relaie rien
d’intelligible. D’abord c’est en anglais, on capte rien du tout. Ensuite il y a des mots d’argot,
et l’argot en anglais, je t’assure qu’il faut se lever tôt. Déjà que j’ai tendance à parler d’un
courriel, au moins au temps d’Hendrix, tout ça n’existait pas. Alors sur un autre ton, s’il te
plaît, ton élégie alternative. Enfin, petit couillon, repose en paix, essaie de te reposer, mais
laisse-moi te dire quand même: tu ne t’illustres en rien. La rock’n’roll attitude a pénétré
l’arène, ses slogans chic et choc ont mis tout le monde d’accord, il lui était facile d’étendre
son empire, de venir te cueillir en ta chambre d’enfant. Déjà très tôt, avec les Playmobils, tu
prends le parti des gangsters. Le shérif est plutôt has been. Puis les choses s’accélèrent. Les
tatouages sur le torse, l’addiction aux stupéfiants, le groupe de punk rock formé au lycée.
Arrête, on dirait une blague. Haïr tes parents, dire merde aux gens, en vouloir aux marchés
financiers ? Gifler des pom-poms girls. Détester George W. Bush. La crise d’adolescence qui
ne passe pas. Ou peut-être le désarroi de l’âge adulte : « je ne veux pas mourir en vieux con ».
Mais John, aucune réalité n’est en ce monde exclusive, tu n’es pas plus malin d’être mort
jeune et blond. Ou plus beau, ou plus immortel. Tu n’es pas mieux que ta mère ou que ton

ecrivain

solange bied-charreton

artistes

seize happywallmaker

wen-jié yang

père. Tu n’es pas mieux que mon grand-père. Ta fille ne fera pas mieux que toi. Eh, oh, tu te
prends pour qui, avec ton overdose, là ? Même pas un suicide, une mort de petit bourgeois, de
petite frappe sans envergure. Que reste-t-il de John Garrighan après le retrait du cadavre ?
Le filet de bave a disparu sous la serpillère. Mon pauvre, tu es invisible. Tu ressembles à tout
le monde, tu ressembles aux caprices de tout le monde.

68 >

69
seize happywallmaker
Tout se mélange. La seringue devient la drogue. La drogue devient l’extase.
L’extase devient le corps. Le corps devient la seringue. La seringue devient le corps.
Le corps devient la drogue. La drogue devient la seringue. La seringue devient
l’extase. A moins que ça ne soit l’inverse. Tout dépend du sens dans lequel
on le prend.

70 >

71
wen-jié yang
Elle coule dans les veines. Joie. Trip.
On n’est plus soi-même. On est hors
de soi. Dans un autre monde.
Une autre dimension. Libéré
des pesanteurs. De son corps.
Mais la dose est trop forte. Over.

72 >

73
Vous avez peut-être déjà eu l’occasion de réaliser par vous-même le nœud, baptisé avec
force à propos, du pendu – cela dit, si vous lisez ce texte, c’est qu’il était mal exécuté, voire
carrément coulant. À titre personnel, soyez certain que je n’ai absolument rien contre la
pendaison en tant que méthode ; du moins n’ai-je rien à objecter quant à son esthétique

peter
ham

Badfinger

Né le 27 avril 1947 à Swansea (Pays de Galles).
Il s’est suicidé dans sa maison du comté
de Surrey (Angleterre) le 24 avril 1975.

générale, et moins encore son efficacité. Ce qui toutefois m’a toujours intrigué, et me
dissuade aujourd’hui encore d’user de ce moyen somme toute un peu démonstratif, ce n’est
pas tant la gêne d’être découvert en impeccable érection (tout corps se balançant dans
l’espace enregistre une décharge qui l’accule à une turgescence priapique et post-mortem),
mais des considérations autrement anxiogènes. Que Peter Ham, après tant d’autres il
est vrai, les ait surmontées, suffirait amplement à ma sympathie. Mais soyons concrets.
Réussir un tel nœud n’est pas d’une si folle évidence, vous l’avez compris. Si votre technique
n’est que rudimentaire, et quand bien même vous seriez un fameux casse-cou, vous aurez
une veine de pendu si vous ne souffrez que d’un lumbago, en lieu et place de la nuque que
vous escomptiez vous briser. C’est précisément ce qui me touche, dans ce qu’a réussi à faire
Peter Ham (en plus de s’être baptisé BADFINGER, témoignage d’un humour excellemment
britannique.) Car il faut l’imaginer, Peter Ham, prendre la peine d’être tout sourire à la
mercerie du coin de la rue, se rendre en bibliothèque, y chercher un manuel qui fût assez
complet, enfin (et sans doute est-ce le plus pénible) s’exercer : faire et refaire le nœud, tester
sa résistance à une contraction brutale, inopinée, calculer le ratio utile entre des éléments
aussi complexes que la masse corporelle, la hauteur de projection, le type de corde utilisée
(textile, synthétique, chanvre, autres ?), enfin positionner une chaise suffisamment solide
(avouez que ce serait quand même ballot de se rompre les os en grimpant dessus), et faire

ecrivain

marc villemain

artistes

david gouny

antoine gamard

des essais avec ce qu’il a sous la main, édredon, manche de guitare, sac à patates en toile
de jute, que sais-je encore. Ce que je veux dire, c’est que celui qui se pend est vraiment
résolu à mourir. C’est pas un truc de chochotte. Et moi qui ne suis pas bien doué de mes
dix doigts, contrairement à notre BADFINGER, je serais bien foutu de le rater, mon nœud.
Heureusement, j’ai plusieurs cordes à mon arc : je trouverai bien autre chose.

74 >

75
david
gouny

76 >

Certains patronymes ne sont pas très flatteurs. Quand on s’appelle
« Jambon » (Ham), il est incontestable que c’est bien un jambon
qui se pend et se balance au bout d’une corde. La mort pour rire ?

77
antoine gamard
Un nœud enroulé autour de son
cou, il sauta depuis l’escabeau.
Crac. Ralenti sur le corps et
le visage devenu rouge, tout
rouge, avant de virer au bleu.
Quant au jaune, c’était un
peu plus bas, une réaction
incontrôlable mais parfaitement
naturelle au cours d’une
pendaison.

78 >

79
Zone danger où sont où vont les mains trempées dans l’acier
guitare d’une vie promise – et mourir, de mise, enfin l’est
puisqu’en vain un son un sens sottises que seul l’âge explore
à mi-chemin des tentations qui du jardin une brûlure.

les
harvey

stone the crows

Leslie « Les » Harvey est né le 13 septembre 1944
à Glasgow (Écosse). Il est décédé le 3 mai 1972
à Swansea, au Pays de Galles, des suites d’une
électrocution lors d’un concert à Swansea.

Naître n’est jamais qu’une farce électrique le sais-tu l’oublies-tu
LES et d’imaginer un sort autre qu’effacement HARVEY
dans le puits du jour – retour au venin des sources
sources zone danger en partage en servage danger ô zone
le sais-tu l’oublies-tu ce chemin parcouru à rebours du courant
électrique qu’est la vie et, de mise, mourir exercice à six cordes
on ne revient pas n’en sort pas on naît au pire moment de la vie
et chaque corde chaque doigt se resserre et fait des nœuds laisse
des marques LES au pire moment de la vie HARVEY le sais-tu
depuis Glasgow les marais les pierres sur les pierres doigts écorchés
à retenir le sang sous la peau il afflue plus fort plus grand
puisqu’en vain un son un sens efforts de l’âge entier vaincu
les mains LES frappent six fois la corde tendue au-dessus de
l’abîme HARVEY l’oublies-tu zone danger oublies-tu la source et son
venin qu’on boit à même l’air à même ce qui devient musique
et ce au pire moment de la vie celui de naître encore et encore
à même le bois des scènes des forêts des temples du bois des doigts
crispés le sais-tu HARVEY depuis les tourbes magiques d’Ecosse où

ecrivain

claro

artistes

denis meyers

mademoiselle maurice

ne jamais deux fois mourir zone danger zone ô danger promesse
vient le jour sans fond ce puits le sang afflue plus fort tes mains
il faut mourir – dans l’antre du Swansea Top Rank quand tu
HARVEY entames l’étude instable des molécules zone tourbe et pierre
sur pierre aucun temple ne sera construit tu le sais l’oublies le nies.

80 >

81
denis meyers

82 >

Le mur des consternations de Les Harvey ou une lettre d’excuse géante
pour clamer au monde entier le désarroi de partir à cause d’une
électrocution forcément stupide. L’électrocution est toujours stupide.
Visage paisible. La fin, terrible, peut être le début de la sérénité.

83
mademoiselle maurice
Paix à son âme. Tu parles. Il ne savait pas qu’il serait une cible
facile pour la mort. Sa vie n’avait rien de tragique. Il la vivait
à fond mais n’ira pas jusqu’au bout, c’est tout. Pas de messe,
juste une scène, des spots, un public, des applaudissements,
une dernière fois.

84 >

85
J’ai bien connu Jimi Hendrix. Il était punaisé sur le mur de ma chambre.
Tête renversée, bandeau dans les cheveux, chemise à fleurs, il aimait une guitare brûlante.
Avec Pink Floyd, Hendrix était ma vie. Il y avait le lycée, bien sûr. Et aussi la famille. Mais
lui, je l’avais choisi.

jimi
hendrix
James Marshall « Jimi » Hendrix est né le 27 novembre
1942 à Seattle (Washington, États-Unis). Il est décédé
le 18 septembre 1970 à Londres, asphyxié des suites
d’une intoxication par somnifères.

A l’époque, je chantais. Quelques frères lyonnais avaient créé « Free Sound », un groupe de
rock comme de l’autre côté des mers. Jacques était au clavier, Philippe à la basse, Victor
bousculait la batterie, Gilbert était guitariste. Et moi, je chantais. Les instruments étaient
riches, ma voix était pauvre. Surtout, les mots murmurés au micro avaient été barbouillés de
yaourt. Ni français, ni anglais, un idiome sirupeux qui mentait aux oreilles. Ne parlant pas
d’autre langue, j’avais inventé la mienne.
Un jour, à force d’adolescence, j’ai réussi à laisser pousser mes cheveux. Nous étions en 1969,
ils touchaient mes oreilles. Un peigne, une glace, j’ai crêpé ce que j’avais sur la tête pour
devenir afro.
- Tu as fait une coupe à la Hendrix ? m’a dit un copain.
Dans le miroir, ce n’était pas ça. Un paquet ridicule, un mouton de poussière sous le canapé.
Mais quand même. Une fois le foulard attaché, « Voodoo Child » ou « Purple haze » au plus
fort dans la pièce, caressant une Stratocaster imaginaire, j’étais lui. Cassé en deux sur son
affiche, Hendrix m’imitait même à la perfection.
Ainsi, grâce aux notes de Gilbert et à mes cheveux, j’ai longtemps été James Marshall
Hendrix, né à Seattle. Le jour de sa mort, le 18 septembre 1970, j’ai dessiné un bandeau de
deuil dans un coin de l’affiche. Mourir à 27 ans ? Je n’avais plus que dix ans à tenir.
Un soir d’hiver, mon père est entré dans ma chambre. Et il a arraché le poster.

ecrivain

sorj chalandon

artistes

osch

invader
maykel lima

86 >

- Il n’y a pas de chanteurs blancs sur cette terre ?
- Plus tard, il collait sur mon mur une affiche de François Deguelt, qui venait de se produire
dans la région. Je connaissais une seule de ses chansons : « Le ciel, le soleil et la mer ».
Que mon père fredonnait le dimanche, à la lumière morne.
- Ces hommes n’étaient pas mes amis. Alors je suis parti…

87
osch
Jimi Hendrix est un guitariste. Jimi Hendrix est une star. Jimi Hendrix est un saint.
Jimi Hendrix est un alien. Jimi Hendrix est afro. Jimi Hendrix est un pharaon.
Jimi Hendrix nous regarde. Jimi Hendrix ne veille absolument pas sur nous.
Jim Hendrix nous aime. Jimi Hendrix nous emmerde.

88 >

invader
Lorsque l’on s’approche trop de la star, on ne la voit plus, comme si elle faussait
toutes nos perceptions. La star ne peut se contempler que de loin.
Plus on l’approche, plus elle devient floue, surtout quand elle est en rublck’s cube.

89
maykel lima
La célébration débutera à 22h au son de Voodoo Child.
L’évangile du jour traitera de la représentation de la femme
dans la musique de Jimi Hendrix. La question-débat sera consacrée
à la pédale wah-wah. La communion s’effectuera aux amphétamines.
Au nom du père, du fils et de Jimi Hendrix.

90 >

91
Tu posais souriant sur la pochette du vinyle, feutre à large ruban, costume à
rayures fines – pas un faux pli. Tes longs doigts élégants plaquaient sur la Gibson
un accord diminué. Déjà, tu avais l’air ailleurs. Ce regard incertain, je l’ignorais
alors frappé de cataracte. Je ne peux pas rester en place, le blues s’abat comme

robert
johnson
Robert Leroy Johnson est né le 8 mai 1911 à Hazlehurst (Mississippi,
États-Unis). Il est décédé le 16 août 1938 à Greenwood, Mississippi.
Les circonstances de sa disparition restent mystérieuses. Pour certains,
il aurait été empoisonné par un mari jaloux tandis que pour d’autres,
il aurait succombé à une syphilis ou à une pneumonie.

une grêle… Johnny Shines disait de toi : « C’était le genre de mec que tu pouvais
réveiller n’importe quand, il était prêt à partir. » Quelle veine tu as eu de courir
avec lui les bouges du grand Sud, d’Helena jusqu’à Little Rock, de Robinsonville
à Greenwood. Ce Shines, pas de doute, avait le sens de la formule : « Robert
Johnson était un gars timide, mais du genre qui en imposait ». De Memphis à
Norfolk, il y a trente-six heures de route… L’ami Shines s’émerveillait, au soir
des longues virées dans le Mississippi à l’arrière d’un pick-up, sur un wagon
de marchandises, au long des routes poussiéreuses, de te voir si fringant, sapé
comme à la noce. L’homme est un prisonnier, toujours insatisfait...Vingt-neuf
morceaux, pas un de plus, gravés dans des chambres d’hôtel. Assez pour laisser
une trace. Muddy Waters, Sonny Boy Williamson, Howlin’ Wolf – la plainte à fleur
d’âme de ta voix de fausset, les riffs endiablés de ta slide, le rythme lancinant
des basses, tant de génie les confondait. On dit que tu jouais le dos tourné aux
musiciens, jaloux de tes talents – ou avais-tu vraiment quelque sombre secret
à leur dissimuler ? Moi et le Démon, on marche côte à côte… On connaît la
légende, l’ombre immense penchée sur toi, avec son long chapeau, la nuit au bord
d’un carrefour. Des amantes d’un soir ont juré t’avoir vu caresser ta guitare en
contemplant la lune, penché à leur fenêtre. Hellhound on my trail… Quand on

ecrivain

david fauquemberg

artistes

shaka

sd karoë

est poursuivi par les chiens de l’enfer, on ne s’arrête pas le soir au lieu-dit des
Trois-Fourches. C’est là que tu es mort, empoisonné dit-on par le tenancier d’un
juke joint, jaloux des regards éperdus de sa femme. Rentre dans ma cuisine,
dehors il va pleuvoir… Au registre des causes, ton certificat de décès énonce :
« No Doctor ».

92 >

93
sd karoë
Les guitares dont il jouait créaient des sons que nul n’avait jamais
entendus. Certains prétendaient que Robert Johnson ne jouait pas,
il se contentait de faire résonner les battements de son cœur.
D’autres disaient que c’était la musique du Diable.

94 >

95
shaka
Il aimait raconter qu’il s’était endormi à un carrefour quand une brise
fraîche l’avait réveillé. Une ombre au long chapeau lui avait pris sa guitare,
l’avait accordée et avait joué quelques notes avant de la lui rendre.
Depuis ce jour-là Robert Johnson était devenu le plus grand joueur
de blues. Mais jamais il ne précisa les conditions de son pacte avec le Diable.

96 >

97
Deux mots sur Brian Jones
Il y a comme ça des gens dont la vie peut tenir en un seul mot, et le rock’n roll
en compte beaucoup : Stratocaster pour Hendrix, Nevermind pour Kurt Cobain,
Iguane pour Iggy Pop, New York pour Lou Reed, vairon pour Bowie (alors qu’en fait

brian
jones

the rolling stones

Lewis Brian Hopkins Jones est né le 28 février 1942
à Cheltenham (Gloucestershire, Angleterre). Il est décédé
le 3 juillet 1969 dans la piscine de sa résidence. L’autopsie
révélera qu’il avait pris des amphétamines et de l’alcool.

non, mais en rock c’est la légende qui compte), Satan pour Robert Johnson, bermuda
pour Angus Young, etc.
Pour Brian Jones, il en faut deux : sitar, piscine.
Brian Jones, personne ne sait trop quelles chansons on lui doit, on se rappelle juste
que c’était le créatif de la bande, l’artiste maudit, l’ange blond foudroyé avec sa
coupe de playmobil, le guitariste génial à l’ombre duquel grenouillait le jeune Keith
Richards mal dégrossi et super laid. Get off of my cloud, 19th nervous breakdown,
Jumpin’ Jack flash, Mother’s litlle helper, Ruby tuesday, Under my thumb, quand
même. Qui jouait aussi de la slide guitare, de la harpe, de la trompette, du hautbois,
du marimba, du mellotron et en fait d’à peu près tous les instruments, même ceux
dont on ne soupçonnait pas l’existence.
Entre tous, le sitar symbolise Brian Jones le multi-instrumentiste défoncé parce
que de loin ça ressemble à une pipe à crack géante, on sent bien que c’est un truc un
peu indien, et en même temps on voit que c’est quand même un genre de guitare,
comme le banjo ou la mandoline, mais avec un karma plus hippie.
Et surtout, il en joue sur Paint it black, l’une des quatre plus grandes chansons
des Stones.
3 juillet 1969, séquence Ophélie : on retrouve le corps de Brian Jones dans sa piscine.

ecrivain

laurent binet

artistes

autoreversegraphikart

nina mae fowler

Sa petite amie accuse le maçon chargé de rénover la maison du Stone. Vingt-cinq
ans plus tard, sur son lit de mort, le maçon avoue. Ils s’étaient engueulés, il l’a noyé.
Pour lui rendre hommage, Mick Jagger récite du Shelley : «il n’est pas mort, il s’est
réveillé du rêve de la vie.»
Sitar, Piscine : vie et mort de Brian Jones.

98 >

99
autoreverse
graphikart

100 >

Brian Jones n’est pas un humain, mais une machine conçue à partir d’un assemblage
d’organes vivants, de fils, de branchements et de légendes. Brian Jones n’est
pas vivant, il est un zombie qui revient d’entre les morts pour jouer quelques notes
de guitare, de sitar ou de marimba.

101
nina mae
fowler

102 >

Il a créé le groupe. Il en a choisi les membres. Le nom ? C’est lui. La musique ?
Il décidait de tout ce qui était joué. Les concerts, c’est lui aussi qui les trouvait.
Il est le groupe. Et maintenant, ils le mettent à l’écart ? Il les voit bien qui
complotent. Mick, Keith, vous êtes des salauds.

103
Janis… Janis n’avait pas de nom. Elle n’en avait pas besoin. Tout le monde savait qui elle était.
Comme Elvis ou Buddy. Comme quand on disait John ou Paul, il n’y avait aucune confusion
possible. Ils ne sont pas si nombreux les intimes qu’on n’appelle que par leur prénom. Elle,
c’était une amie, une vraie, le genre qui ne te trahira jamais, elle faisait partie de la famille.

janis
joplin
Janis Lyn Joplin est née le 19 janvier 1943 à Port Arthur
(Texas, États-Unis). Elle est décédée le 4 octobre 1970
à Los Angeles des suites d’une surdose d’héroïne.

Janis, c’était un ovni musical. Elle s’était placée d’emblée sur le même piédestal que les plus
grands. Personne ne l’avait vu venir et, quelques secondes après avoir entendu Piece of my
heart, c’était une évidence, on vivrait toute notre vie ensemble. Elle nous avait foutu une telle
trouille avec sa voix rocailleuse et chaude, capable de loopings insensés, de miauler et de rugir,
de s’envoler si haut, si loin et de nous faire chavirer d’extase.
Avant elle, aucune femme n’avait chanté du rock ; surtout, aucune n’avait été admise comme
une chanteuse de rock. Certains disaient qu’elle chantait du blues. C’était vrai aussi. Elle
passait de l’un à l’autre comme une funambule. Mais il y avait quelque chose en plus de sa
voix phénoménale, quelque chose de charnel, de sensuel même. Oui, c’est ça, elle nous parlait
d’amour, à chaque instant, et des souffrances de sa vie. Même si on ne comprenait pas ce
qu’elle chantait, on le sentait, cette musique était passionnelle. Ça ne s’expliquait pas, on la
vivait comme une révolte amoureuse. Cette vibration se logeait dans la colonne vertébrale, ce
volcan musical nous emportait à chaque chanson. Dans ce maelstrom, il n’y avait ni calcul, ni
arrière-pensée. Son excentricité n’était pas une posture mais ce qu’elle vivait si intensément et
qui nous bouleversait tant parce qu’on s’y reconnaissait. Janis ne jouait pas, elle était.
Ce qui nous touchait chez Janis, c’est, finalement, ce qu’on ne connaissait pas d’elle (et qu’on
a appris seulement plus tard), ce qu’on devinait seulement dans ce frisson qu’elle nous filait,
dans cette incroyable humanité qui la rendait si proche, une voix magique qui révélait sa

ecrivain

jean-michel guenassia

artistes

frank fischer

moolinex

vulnérabilité et ses excès qui la brûlaient. Elle, c’était une femme qui donnait tout, prenait
tous les risques, se permettait toutes les folies, comme si chaque concert devait être le dernier,
comme si elle était, à chaque chanson, obligée d’atteindre la note parfaite et de vibrer avec une
intensité et une puissance uniques. A peine était-elle apparue qu’elle avait disparu, c’était il y
a longtemps, une infinie tristesse, mais on savait déjà qu’elle ne nous quitterait jamais.

104 >

105
frank fischer
La célèbre pochette de l’album « Pearl » de Janis Joplin est détournée de façon
abstraite et réinterprétée en lignes de couleur. Si vous aimez Janis Joplin,
vous voyez dans ces lignes la chanteuse dans une pose langoureuse sur un sofa,
avec sa jupe rouge et son boa rose, et son sourire, son sourire, oh, son sourire.

106 >

107
moolinex
Mais qu’est-ce que je fais là ?
Le paradis ? Ce n’est pas pour moi,
quel enfer !

108 >

109
Under the boardwalk – 21 mai 1962
Et nous chantons. C’est ça, le pire – nous chantons.
La voix de Johnny emplit le studio. Elle évoque un soleil éclatant, un soleil qui brûle
le goudron. Elle fait naître une histoire, l’océan, la plage, la promenade, l’amour pour

rudy
lewis

the drifters

Né le 23 août 1936 à Philadelphia (Pennsylvanie,
États-Unis). Il est décédé à New York le 20 mai 1964
dans une chambre d’hôtel à Harlem probablement
d’une overdose.

cette fille à nos côtés.
Je m’entends. C’est ça le pire – je m’entends.
Je m’entends susurrer de cette voix de crooner, de cette voix qui a été ma planche
de salut, de cette voix qui s’est élevée dans les églises, sur les routes, sur les plateaux de
télévision, je m’entends susurrer sous la passerelle, sous la passerelle, sous la passerelle.
Devant mes yeux, il y a Rudy.
Son corps, son rire, son regard perdu. Il y a aussi les images que je n’ai pas vues. Celles
qu’on m’a décrites. Son cadavre dans la chambre d’hôtel. La seringue. La moquette
tachée. 27 ans. Seigneur. 27 ans.
Mes yeux s’embuent mais il faut continuer à chanter. Parce que le studio a été réservé il y
a longtemps déjà. Parce qu’il coûte cher. Parce que la maison de disques ne veut pas
revenir là-dessus. Parce qu’il faut célébrer la vie. Parce qu’il faut continuer à manger,
boire, pisser, aimer.
Tout a été décidé en quelques heures. Johnny prendrait la place de Rudy, ce qu’il faisait
déjà parfois. Et la chanson existerait.
Une chanson d’été. Une chanson gaie. Une chanson d’amour. Rudy est mort d’une
overdose hier soir et aujourd’hui, nous sommes en studio. Nous chantons. C’est atroce.
Je savais, pour les hommes. Ceux que Rudy voyait en cachette. Je n’ai jamais rien dit.

ecrivain

jean-philippe blondel

artiste

niark 1

Noir. Pédé. Héroïnomane. Décédé. Manquant.
Les souvenirs remontent. Nous, sur un toit, à Brooklyn. Nous, en train d’écouter
Le Révérend. Ses yeux. Sa bouche. Et tandis que la voix de Johnny s’envole, je me fonds
dans les chœurs, je répète sous la passerelle, sous la passerelle, sous la passerelle. Quand
le morceau se termine, je n’ai qu’une envie- être dans 10, 20, 50 ans – et ne plus me
souvenir de rien.

110 >

111
niark 1

112 >

Oh no. Hope. Qu’est-ce qui le torturait comme ça ?
Son addiction à la drogue ? Sa sexualité ? Ou bien le succès ?
Est-ce que c’était son conflit avec l’église? Avec le gospel ?
Il était esclave de tout se qui se passait dans sa tête. La drogue
tue. No Hope, sauf dans la tête.

113
Les 27 propositions du nombre 27
- Jim Morrison est décédé à 27 ans.
- La Révélation Divine inscrite sur rouleaux grâce aux 27 signes de l’alphabet hébreu.
- 27 est la longueur du coudée « mir » ayant servi à construire la pyramide Khéops.

ron “ pigpen”
MCKERNAN
grateful dead

Ronald C. « Pigpen » McKernan est né le 8 septembre 1945
à San Bruno (Californie, États-Unis). Il est décédé le 8 mars 1973
d’une hémorragie digestive dans sa maison de Corte Madera
en Californie.

- Pour Saint Matthieu, 27 est le nombre de générations de David au Christ.
- 27 Maîtres ont poursuivi les meurtriers d’Hiram.
- Jésus a dicté 27 phrases latines à Madeleine qui pourtant ne connaissait pas le latin.
- À 27 ans, d’après les visions de Marie d’Agréda, Jésus préluda à son évangélisation.
- Kurt Cobain est décédé à 27 ans.
- L’astrologie hindoue étudie 27 maisons lunaires.
- 27 est le nombre de lettres de l’alphabet espagnol.
- Le Nouveau Testament de la Bible de Jérusalem est composé de 27 livres.
- Nostradamus pensait que la guerre menée par l’Antéchrist durerait 27 ans.
- Au XVIe siècle, le tribunal de la Sainte Inquisition posait 27 questions aux sorcières.
- L’alphabet grec primitif comportait 27 lettres.
- Janis Joplin est décédée à 27 ans.
- Pour les Indiens, le dieu Soma était accompagné de 27 femmes.
- Pour Allendy, 27 incarne l’évolution tendant à unifier la dualité.
- La Mâdhyamaka-Kârikâ de Nâgârjuna se compose de 27 courts chapitres.
- 27 indique la lumière des ténèbres pour Alfred Weysen.
- 27 est le nombre de l’Esprit Saint pour Abellio.
- Jakob Boehme appelle ce nombre « la mort ».

ecrivain

harold cobert

artistes

beb-deum

kashink

- Amy Winehouse est décédée à 27 ans.
- Le 27e et dernier livre du Nouveau Testament est l’Apocalypse de Jean.
- La Saint Jean, apôtre du Christ, est le 27 décembre.
- 27 est la trinité au cube, soit la trinité élevée à sa propre puissance.
- 27 est la date fatidique où sont morts de grands artistes.
- Ron Pigpen McKernan des Grateful Dead est décédé le 8 mars 1973 à l’âge de 27 ans.

114 >

115
beb-deum
Il se souvient d’une de ses plus ferventes groupies, qui s’était fait
tatouer son visage sur sa poitrine.
Elle se souvient avec nostalgie des bons moments vécus avec
sa musique. Elle vieillit, lui est définitivement jeune.

116 >

117
kashink
Final nul, saloperie d’alcool. Sur sa tombe est inscrit “Ronald C.
McKernan 1945–1973 “Pigpen” était, est et restera pour toujours
un des Grateful Dead”. Ron, membre actif du mouvement
psychédélique. Vive les couleurs de la vie.

118 >

119
En
voiture,
un
père

jacob
miller

inner circle

Né le 4 mai 1955 à Mandeville (Jamaïque).
Il est décédé le 23 mars 1980 dans un accident de
voiture alors qu’il se rendait au studio Tuff Gong,
à Kingston.

tend
un
morceau
de
canne
à
sucre
à
l’enfant
assis
à
l’arrière,
percute
un
poteau
téléphonique ;
meurt.
Fait-il

grégoire delacourt

de

yoh nagao

son

graphic surgery

fils

ecrivain

artistes

un
parricide ?

120 >

121
yoh nagao
Il garde la fumée dans ses poumons jusqu’à ce qu’elle le brûle,
puis il la recrache. Et la recrache et la recrache. Elle n’en finit plus
de s’échapper de sa bouche, comme s’il était une cheminée
ou une espèce machine à produire de la fumée. Il est sans doute
temps de monter sur scène.

122 >

123
graphic surgery
S’il avait eu une ceinture. Mais il n’y en a pas dans sa voiture. Il n’est
pas ce genre d’homme qui attache sa ceinture. Oh non, surtout pas.
Il est beaucoup plus libre que ça. Le pylône, lui aussi, est libre.
Coup d’arrêt brutal. Trajectoire brisée. Lignes brisées. Vie brisée.

124 >

125
Soit 27 lignes découpées dans « La nébuleuse du crabe »,
de William S. Burroughs, in Nova Express
Ils n’ont pas ce qu’ils appellent « l’oxygène de l’émotion »
dans l’atmosphère.
Une structure conique de métal iridescent chatoyant de lumière.

damien
morris

the red shore

Né le 22 mai 1980 en Australie. Il est décédé
en 2007 dans un accident de bus près de Coffs
Harbour (Australie), alors qu’il se rendait avec
son groupe à Sydney pour un concert.

Une musique pareille au vent dans de fins câbles métalliques apportant une once de soulagement.
Des feuilles transparentes avec des trous virus comme des cartes perforées glissées
dans l’hôte de la machine molle.
Vous avez inversé le temps pendant dix minutes
effacé de la bande les formules électromagnétiques.
Vous remarquez que quelque chose suce tout le parfum de la nourriture.
Ils vivent sous l’eau dans le corps avec une ligne aérienne.
Incapables de fournir d’autres informations
hormis le vent s’avançant dans une montagnes de déchets jusqu’au ciel.
Secouez la poignée —
cet hôpital fondu dans l’air.
Difficile de distinguer des cartes survenues au niveau verbal.
Qu’a dit déjà le vieil homme à propos des poux ?
Là où les nains sexuels attendrissent les trous érogènes.
Le chef a été invariablement aspiré par la gravité
de grands singes non régénérés. Oui
il est très facile de prédire ce que les gens vont penser voir
sentir et entendre

ecrivain

laird hunt

artistes

antoine gamard

dhm-hugo mulder

d’ici mille ans.
Une centaine ou un millier de photos bleues bruissent tandis que la machine joue du blues.
« Nova – Nova – Nova », hurlent les nains de la mort.
Légère surdose de laideur peur et haine.
Le médium où respire la vie animale.
Sur un coron de métal encore chaud.

126 >

Traduction : Claro

127
antoine gamard
Et le sang de Damien Morris coule
sur le siège du car, se déverse par
la fenêtre, goutte le long de la tôle,
se répand sur le bitume, ruisselle
sur toute la Pacific Highway et se
déverse dans l’océan, créant ainsi un
rivage rouge, The Red Shore, comme
le nom de son groupe.

128 >

129
dhm-hugo mulder
La mort sourit à Damien. Lui qui chante dans un groupe de Death
Metal. Non, la mort n’attendra pas qu’il devienne vieux. Elle préfère
qu’il la rejoigne le plus vite possible, pour lui chanter des berceuses,
le soir, au coin du feu.

130 >

131
Babylon Blues : Un fragment
Je l’ai rencontrée au magasin de bricolage de Oak Street, où elle regardait la pile de planches
de contreplaqué qui diminuait. J’avais une voiture, elle avait le dernier marteau, on a passé
un marché. Une fois sa bicoque de Bywater condamnée, on est allé au Vieux Carré. Dans mon
appartement, au premier étage, nous allions sûrement survivre à la tempête.

jim
morrison
the doors

Né le 8 décembre 1943 à Melbourne (Floride, États-Unis). Il est
décédé le 3 juillet 1971 à Paris. L’absence d’autopsie a donné lieu
à de nombreuses spéculations même si la cause officielle est une
crise cardiaque.

Elle explose de rire en voyant mon ordinateur portable ouvert à une page où on explique
comment se préparer en cas d’ouragan. Elle va dans la salle de bains, regarde la baignoire,
remplie à ras bord. Eh merde, dit-elle. Au diable l’eau potable. On se calme. On y va. On s’y
glisse. La déesse se déshabille ; la déesse me prend par la main ; la déesse me guide – dans la
baignoire, dans l’eau, sous la surface soyeuse de son cœur.
L’éclat vert du cadran de la radio : unique lumière dans la pièce.
Ses yeux dans les miens ; sa main dans la mienne ; sa vie sur mes lèvres. Et maintenant
la pluie sur les planches. Aucune hésitation dans cette pluie ; grosses gouttes rondes.
Le grondement du tonnerre. Ou est-ce la radio ? Girl you gotta love your man.
Un murmure dans mon oreille. Un écho. Pas le murmure d’un fantôme : le murmure d’une
divinité, un démiurge se retirant de la création, un tout dernier conseil sur les lèvres. Girl
you gotta love your man.
La radio meurt. Juste elle et moi, donc. Elle et moi dans le noir.
D’où vient cette ultime lueur dans son œil ? Quelle lumière ? Quel nez piquant de soufre ?
Sa main fraîche sur mon front. Comme un baume. Sa main fraîche, sa pression. Douce.
Sa pression. Douce.
M’enfonçant sous l’eau.
Tu veux savoir ? demande-t-elle. Profondément, intensément, intimement,

ecrivain

paul verhaeghen

artistes

invader

rero
blek le rat

irrévérencieusement savoir ?
Ses mots me parviennent, mais comment ? Comment refuser ses enseignements ? J’acquiesce.
Ne bouge plus, dit-elle, et tu sauras.
Je n’ai plus la force d’acquiescer. Mais de l’eau montent les bulles, éphémère épigramme :
« Je t’ai aimé du jour où je t’ai vu. » Girl you gotta love your man.
Traduction : Claro

132 >

133
invader
Ceux qui s’approchent trop de lui ne le voient plus. Pour qu’il se révèle
à eux, il leur faut s’éloigner. Mais plus ils reculent, moins il est distinct.
Ils n’ont qu’à le prier. Après tout, ils le prenaient bien pour un dieu.

134 >

135
rero
C’est la fin. C’est bientôt la fin. Dès que toutes les lettres seront noircies,
Jim Morrison tirera sa révérence. Comment ? On ne le sait pas.
Trois petits points pour un grand mystère. C’est la fin, mais pas tout à fait.
Elle se barre, elle est barrée. Il y aura une autre vie après la vie.
Le mythe Jim Morrisson.

136 >

137
blek le rat
Hommage-clin d’œil à Apocalypse Now
de Francis Ford Coppola. Quand le héros
du film, Willard, va à la rencontre de son
principal fantôme, le capitaine Kurtz,
pour le tuer, The End devient la bande-son
d’une véritable psychothérapie.

138 >

139
Des jours que je me répète ceci : d’abord Kurt, puis moi. Mon tour arrive. Kurt atteint ce
chiffre magique, on organise une petite fête d’anniversaire pour lui et le peu qu’il lui reste
de vie s’écoule lentement. Pas si lentement, en fait : ça prend juste quelques semaines,
quelques jours, quelques heures. L’impression que son anniversaire n’est même pas fini

kristen
pfaff
hole

Kristen Marie Pfaff est née le 26 mai 1967 à Buffalo
(New-York, États-Unis). Elle est décédée le 15 juin 1994
à Seattle des suites d’une « intoxication aiguë aux opiacés ».

que déjà ils essaient de maintenir sa tête brisée avec des pinces à linge. Bon, bref. Me voici,
à peine sorti de détox, et le voilà, lui, allongé sur le bloc.
C’est une évidence que je devrais chasser pour passer à autre chose ? Vous rigolez. Peut-être
que j’aurais dû partir le premier, pas le second, mais quelque chose a mal tourné. Puis je
comprends : non, je ne pouvais pas partir avant d’avoir atteint le chiffre magique. Comme lui.
Du coup, je dois regarder les heures s’égrener et ma fin approcher, ce même chiffre magique
qui me rattrape. Et essayer de me faire croire à moi-même que je vais lui survivre.
Il faudrait que je retourne à Minneapolis. Là-bas, je devrais pouvoir m’en sortir. Ou à
Buffalo. Bon, d’accord, pas à Buffalo. Le premier type qu’on a envoyé sur la chaise électrique,
il était de Buffalo, et cette ville en a fait son principal titre de gloire. Son orgueil. Mais
Minneapolis, ouais, c’est sûr, je pourrais réessayer.
Je ne sais pas comment ça m’arrivera. Pas comme pour lui, ça c’est clair : moi je ne touche
pas à tout ce qui se charge. Et je ne parle pas que des flingues.
Mais il y a ça, aussi : l’anniversaire approche et même si j’ai pas rechuté depuis des jours,
voire des semaines – comment savoir ? – je ne pense qu’à ça : prendre ma dose.
Un petit cadeau d’anniv pour ma pomme.
Un jour après l’autre, qu’ils disent. Ça serait parfait si la vie se résumait à une journée.
Mais ce sont toutes ces autres journées qui posent problème.

ecrivain

brian evenson

artistes

maykel lima

seize happywallmaker

Respirer à fond. L’astuce, c’est d’arriver jusqu’au point où tu vois la mort qui te regarde,
puis qui te frôle en allant niquer quelqu’un d’autre.
Juste cette fois, une petite gâterie, puis rester clean de nouveau. Juste quelques heures
hors sentier, puis de nouveau en piste.
Ouais, c’est ça. Accroche-toi c’est parti.
Traduction : Claro

140 >

141
maykel lima
Murs, lit de la chambre de l’appartement, disparus.
Vêtements, disparus. Basse, disparue. La drogue fait tout disparaître,
même Kristen. Mais elle est là. Un fantôme, un souvenir.

142 >

143
seize happywallmaker
Elle voulait tout reprendre à zéro. Un nouveau départ. Mais elle n’arrivait
à se concentrer sur rien, à cause de cette tentation. Qui prenait de plus en plus
de place. Qui lui accaparait tout l’esprit. Mais qui lui procurerait un bien fou.
Et qui l’empêcherait de tout reprendre à zéro.

144 >

145
On croit que la mort c’est le silence la douceur l’harmonie les nuages ouatés
Dieu en toge et des angelots à harpes dorées.
On croit qu’il y a la plénitude, la fin du corps et de la souffrance.
Au pire, on ne croit pas à tout cela et on pense qu’il n’y a rien, juste l’effacement,

gary
thain

URIAH HEEP

Né le 15 mai 1948 à Christchurch (NouvelleZélande). Il est décédé le 8 décembre 1975
à Londres, d’une overdose d’héroïne.

l’évanouissement d’une vie entière, un électrocardiogramme plat, un cœur qui
stoppe net, un cerveau qui grille : le poison qui dévore tout.
Et pourtant. La chose la plus dingue, c’est le larsen et le bordel, les deux
ensemble, comme si le son, immanquablement, convoquait le désordre.
C’est le cerveau qui bout et les blessures qui saignent encore, c’est la mémoire de la
souffrance qui vous revient d’un coup, en pleine gueule comme une mauvaise gifle.
C’est le capharnaüm et la tronche de Morrison, bouffi et barbu, trop moulé
dans son pantalon de cuir, sa main molle dans la mienne et l’odeur de mauvais
alcool. Il parle d’Alabama Song, puis de Brecht, il est confus, il sourit.
Il s’en fout.
C’est le visage d’Hendrix, pâle et effacé comme le Christ sur le Saint-Suaire
de Turin, étourdi de fumée et de musique, accroché à sa guitare électrique,
évanescent.
C’est Janis Joplin dans une Mercedes décapotable rutilante, le sourire aux
oreilles, la voix de rocaille et les cheveux fous, hirsute et déguenillée, si vieille
soudain, et c’est ce qu’elle dit à qui veut bien l’entendre, qu’elle a toujours fait
plus vieille que son âge, et il faut avouer qu’elle n’a pas tort mais qu’elle n’est
pas la seule, tous nous faisons plus vieux que notre âge, tous nous avons l’air

ecrivain

elsa flageul

triste des vieux enfants, ceux qui connaissent l’amertume des rêves brisés, tous

ludo

nous avons la dégaine des adolescents qui ne veulent pas grandir, ceux qui

artiste

dans la fragilité voient la brisure, dans la jeunesse la nudité et dans la musique
le divin.
On ne devrait jamais mourir. On ne devrait jamais rencontrer ses idoles.

146 >

147
ludo
Il planta l’aiguille dans sa veine, pressa la seringue pour s’envoyer
cette dose fatale qui avait quelque chose d’un doigt d’honneur,
un fuck you à la vie. Pour la première fois de sa vie, Gary Thain
goûtait à l’héroïne.

148 >

149
La photo la plus connue de Jeremy Michael Ward est une photo méconnue
D’un garçon plus discret encore
Seul et notoirement paumé
Devant un dispositif électronique vibrant d’une complexité haineuse

jeremy michael
ward

the mars volta / de facto

Né le 5 mai 1976 à Fort Worth (Texas,
États-Unis). Il est décédé le 25 mai 2003
à Los Angeles d’une overdose d’héroïne.

Mais pas tout à fait autant si l’avis d’un fantôme
Vous intéresse que la musique
Idiote sublime
Et sauvage lâchée par ses frères affamés du Texas
Ni que sa vie bizarre tyrannisée par la dope et
Hantée par des ombres infoutues comme c’est souvent le cas dans l’Ouest
De présenter des papiers en règle.
Un jour sur la banquette arrière d’une voiture Jeremy tomba sur le journal d’un homme
Qui lui ressemblait
Qui est toujours en vie suppose-t-on mais n’a rien appris et ne lira jamais ces lignes
Un homme dont la guimbarde avait été confisquée par le défunt en personne
Et comme lui avait été lâché en pleine torpeur et cherchait ses parents ou
Quelque sens qu’on puisse – guitares ou non – donner à l’existence
Mais Jeremy fouina trop pas assez plutôt mal en tout cas et
Un dimanche californien pourri oublia d’ouvrir les yeux
Ce qui fait que la musique fut enregistrée sans lui
Que les paroles s’écrivirent sans lui
(Elles parlaient d’héroïne elles aussi, de naissance, d’hallucinations)

ecrivain

fabrice colin

artiste

jana & js

Que l’album se vendit sans lui à des centaines de milliers d’exemplaires
Et qu’un nombre dramatiquement restreint de grandes filles pleurèrent son minois d’ange
Et sa chemise sombre serrée de maudit aux abois
Et moins encore se souvinrent que Jeremy Michael Ward faisait d’un rien une histoire
Et d’une histoire un cri d’enfant habillé d’échardes.

150 >

151
jana & js
Il créait des “soundscapes’’. Il assemblait des sons pour créer
les environnements ou les ambiances sonores qui habillaient
la musique. Il fragmentait les sons comme il fragmentait son existence
à coups de drogues. Il disparaît de la vie, il disparait de la ville.

152 >

153
Esprit Frappeur
C’est lui qui tenait à la tête de cerf mort. Il s’était agrippé à l’idée comme si c’était sa
meilleure joke. Je n’étais pas pour- glauque à crever. La perspective de buter un animal
médaillé de branches m’apparaissait aussi épanouissant que chanter seul devant un tapis

denis
wielemans

girls in hawaï / hallo kosmo

Né le 9 octobre 1982 en Belgique. Il est décédé le
30 mai 2010, dans un accident de voiture
à Bruxelles.

de veaux abrutis à la Jupiler. Il a dit allez Tonio, mort, il aura juste l’air de dormir ; ce sera
mignon. Andy et Daniel se sont marrés ; ça faisait comme des pies qui rotent. Et puis les
autres ont suivi. Alors on a voulu shooter le cerf mais la ferme a pris feu. Aussi simple et
bizarroïde que dans les cauchemars qu’il faisait quasi chaque nuit quand on était enfants.
Toujours entre 4h et 5h30, il attrapait son duvet pour monter sa cellule post-traumatique
au fond de la baignoire. Je m’asseyais sur le bidet au bout de lui pour l’écouter repeindre
sa vignette dark et espérantiste avant de se rendormir. Ça m’a toujours semblé désaccordé
ce mec si joyeux que c’en est énervant- sans drogue et tout le temps- qui soit chamboulé
par tous ces mauvais rêves. Autant vous dire qu’alors que nous tous sombrions, il s’est
tout de suite senti chez lui dans les Ardennes. Il n’arrêtait pas, mort de rire, de répéter
cette ferme va finir par brûler. Il frappait, tabassait, abrutissait ses fûts : cette ferme va
finir par cramer. Merde, on a oublié le cerf à l’intérieur. On l’a laissé dormir debout sur le
tapis du salon. Ça l’a fait décoller ce cerf endormi au beau milieu de tout qui se consume.
Il s’est mis à vouloir sa peau tendue sur ses toms pour retrouver le son des chinois.
Il parlait. Je n’entendais plus rien. De loin, il avait l’air de claquer des dents ou de
mâchouiller un épi de maïs invisible pour des gens comme moi. Le dernier truc qui m’est
arrivé aux oreilles, c’est qu’il aurait peut-être préféré que ce soit le coq du drapeau qui
brûle, cet affreux coq qui nous servait d’emblème. Même les français n’ont pas osé le coller

ecrivain

aude walker

artiste

oli-b

sur leur drapeau. Mike lui disait, frappe, cogne, esprit frappeur. Denis frappait tant et tant
que la sueur ruisselait et faisait comme de l’huile sous la pluie. Et la pluie qui n’éteignait
rien. Pourtant, j’ai toujours cru que si elle nous poursuivait depuis tout ce temps ce n’était
pas pour rien. Bêtement, je croyais que ce linceul humide qui creuse les os était là pour
éteindre le feu. Quand ça s’est arrêté, on a retrouvé la tête du cerf, les yeux ouverts.
Il avait bien l’air de dormir.

154 >

155
oli-b
Finir sur un feu de signalisation est tragique. Mais finir en ayant
été le batteur d’un groupe qui s’appelait Girls in Hawaï, composé
uniquement de garçons laisse le souvenir de moments joyeux.
Denis était le “déconneur’’ de la bande. Envole-toi !

156 >

157
Le fait que je n’ai jamais vu grand-chose dans la musique. Sans doute mes yeux ne
fonctionnaient-ils pas très bien. Peut-être avais-je besoin de voir des sons, et de ne voir que
cela. Jusqu’à ce que je voie les arbres. Jusqu’à ce que je voie les séquoias. Là-bas, sur les
rives occidentales de la Sierra Nevada. Les rivières, les vallées, les bois, la mer, le littoral, les

alan
wilson

canned heat

Né le 4 juillet 1943 à Boston (Massachusetts,
États-Unis). Il est décédé le 3 septembre 1970
à Los Angeles. Dépressif, il succombe à une
overdose de barbituriques.

rochers, les falaises, les arbres. Ils sont tous pareils. Présents de toute éternité, ils le seront
encore quand vous aurez tous disparu. Ils n’ont pas changé. Nous, si.
Nous avons changé trop vite, trop furieusement, nous comportant tels des enfants turbulents
avec des feux d’artifice. Il semblerait que nous ayons eu à cœur de les faire exploser tous en
même temps, sans jamais penser aux conséquences. Ça s’est passé exactement comme je m’y
attendais.
Et maintenant, sommes-nous désolés ? Peut-être quelques-uns, ceux qui ont une petite voix et
de petites mains… mais les grandes gueules, les mains avides, ceux pour qui seul compte l’iciet-maintenant, ceux-là continuent de croire que l’homme est en concurrence avec la Nature,
et qu’il peut gagner.
Je regarde tout ça depuis le haut des gradins, et je ris. Bien sûr, on pensait qu’avec l’amour on
pourrait tout changer. On pensait que l’amour était plus puissant que les balles, les bombes
et les hélicoptères de combat, plus puissant que l’Agent orange et le napalm. Plus puissant
que Canned Heat – le feu en boîte. On croyait à Woodstock et Monterey et Haight-Ashbury.
On pensait qu’en croyant suffisamment en soi tout serait sûr de bien se terminer. Mais ça n’a
pas été le cas.
Il y a eu un jour où j’en ai eu ras le bol. Je devais me barrer. Et me barrer pour de bon.
Vous savez, si chaque année de ma vie était une heure de la vôtre, vous seriez morts demain.

ecrivain

rj ellory

artiste

c215-christian guémy

Réfléchissez-y une seconde.
Du 4 juillet 1943, Boston, Massachusetts 3 septembre 1970, Topanga Canyon, Californie.
C’était plié. C’est passé en un éclair. Mais quel éclat, n’est-ce pas ? Un éclat tel que même moi
je l’ai vu. Un endroit où je n’étais encore jamais allé.
Vous savez, l’eau a vraiment le goût de vin, et je ne dessoûle jamais.
Traduction : Claro

158 >

159
c215-christian guémy
On le surnommait ‘’The Blind Owl’’-la chouette aveugle- parce
qu’il n’y voyait rien. Mais peu importe ses yeux, il chantait,
ce qui comptait c’était la voix, le timbre timide, étouffé.
Vous n’aviez jamais entendu chanter comme ça, oh non.
Alan Wilson ou la voix d’une grande époque psychédélique ?

160 >

161
J’aurais aimé être elle, tout comme elle, Amy Winehouse, mais je ne suis pas mort à
vingt-sept ans ; à vingt-sept ans j’écrivais mon premier roman, refusé, pour moi cela
commençait ; mais elle avait déjà fini.
J’aurais aimé comme elle être dessin vivant, puzzle de fétiches, bouche visible, seins

amy
winehouse
Amy Jade Winehouse est née à Londres (Angleterre)
le 14 septembre 1983. Elle est décédée le 23 juillet 2011
à Londres des suites d’une overdose d’alcool.

remontés, chevelure d’encre au pinceau, d’un pinceau vigoureux de mangaka, fesses
serrées dans la jupe crayon, virgules noires étonnées sur les yeux, et chanter ; et
me foutre de ce que l’on voit, car on entend. Mais je ne chante pas et tout cela que je
montrerais ne servirait à rien, me desservirait, ne tiendrait pas.
J’aurais aimé, comme son corps de dessin redessiné de volutes sur sa peau blanche,
vivre dans cet espace au-delà du corps qui est celui des signes, et de la musique, et
chanter, car tout cet assemblage de détails de la féminité, qui n’existe pas à l’état
naturel, ne s’assemble et ne tient que par la musique. Mais je ne chante pas.
J’aurais aimé comme elle chanter cette musique là, cette musique qui ondule avec
force et lenteur, où sa voix de caoutchouc noir rebondit avec vigueur entre des
raquettes de cuivres à l’unisson, et ce rythme souple ininterrompu, de la chute et de
l’envol, étreint le cœur et ne s’arrête pas. La dépression l’accable, l’alcool la rétablit,
et ainsi de suite, le rythme en est celui de son âme troublée, et celui-là même de cette
musique qu’elle chante. Tant que l’on joue, tant que tu chantes, le cœur ne s’arrête
pas. Mais je ne suis pas mort, et je ne chante pas. Mon âme est sans musique.
J’aurais aimé chanter comme elle, apparaître comme elle, tout comme elle. Mais je
ne peux pas, je ne suis pas mort et je ne chante pas, cela ne me servirait de rien de
me montrer ainsi, alors je fais autre chose.

ecrivain

alexis jenni

artistes

graphic surgery

johnnychrist

A vingt-sept ans alors qu’elle mourait, j’écrivais mon premier roman, cela était mon
début, l’année de sa fin. Il faut bien que quelqu’un reste pour dire ce qu’il a vu
et entendu ; il faut bien qu’il en reste un, après, pour tout raconter. Raconter sa
vie bien pleine à elle, Amy Winehouse, morte à vingt-sept ans après avoir chanté
comme personne.

162 >

163
graphic surgery
Elle s’était prise au piège de son histoire. Enfermée à jouer un rôle
trop souvent explosif. Mais elle ne jouait pas. Elle était comme ça.
Pour de vrai. Elle savait y faire pour attirer l’attention. Et même quand
elle ne le voulait pas, les choses se passaient comme ça. Elle était
devenue sa propre créature.

164 >

165
johnnychrist
Amy s’oublie chez Dionysos. Oublie le passé. Oublie le
succès. Oublie tout, vit dans un mirage pour ne pas vivre
de futur. Suicide lent, délibéré, stupide. Ça, ce n’est pas
un mirage. Tiens en voilà un vrai Mirage, dernier gag
pathétique.

166 >

167
Je me rappelle que this place was stinky and dirty and divey
Et plus encore grungey, coupe ma peau, ça me rend humaine
Sifflant à l’agonie, tandis que tu te tords, je respire encore, comme
Une de ces saucisses accablées sur le grill du Hot Dog
Stand, juste en face du Comet Tavern où nous étions attablés comme

mia
zapatA
the gits

Née le 25 août 1965 à Louisville (Kentucky, États-Unis).
Elle a été violée puis assassinée par étranglement
à la sortie d’un bar le 7 juillet 1993 à Seattle.

Mourir finalement, je peux en témoigner, tout finit par mourir mais
Entre le dernier souffle et l’avant-dernier, c’est parfois compliqué
Zarbi et pathétique sont dans un bateau, frêle embarcation sans dessein
Qui coule à pic et m’emporte au ralenti comme dans
Un de ces films de genre mauvais qu’autrefois j’aimais regarder
Ignorante des douleurs tristes, des passions froides, moi tout ce que je voulais
Au milieu des gars du crew, ce soir-là, c’était boire – des coups – et rire et fumer, trop
K comme rocK’n roll, nos cheveux puent la bière et je hurle, étrangle le micro
Indocile, imperméable au calme, je veux du bruit et que ma voix dégorge sur
La scène – où je suis reine – des riffs de métal comme les
Lames désaccordées d’une symphonie en scies sauteuses
Emportée par des rafales de batterie, basses de titan
Rageuses, tous les quatre, nous étions comme une seule balle
Au milieu du soir, j’ai failli vomir, la gorge toujours
Nauséeuse ad lib, on bouge Mia, tu nous suis
Dans la nuit ? Je dis plus tard, les gars, ne vous en faites pas pour moi
Agonie ensuite dans ce parking dans la ruelle, ça va durer, trop

ecrivain

manuel candré

artistes

mademoiselle maurice

lim si ping - pixel pastry

168 >

Râles qui n’en finissent plus, je l’ai pas vue surgir, dans mon dos
Avec le cordon de mon Sweat « The Gits » en plus, ce fils de porc
Pour me rendre molle et lui dur, il m’annihile, il me force
Etranglée, déchirée, tabassée,
Réduite au point que... tout finit par mourir mais ça je l’ai déjà fait.

169
mademoiselle maurice
Son violeur, son meurtrier a été retrouvé. Mia est morte dix ans après.
Ses chansons passent toujours dans la sono, Mia est vivante. Le violeur,
le meurtrier s’est enfui. Mia n’a pas fini sa chanson. Elle est née dans le
Kentucky. A la sortie d’un bar. Le grunge est né à Seattle. A 27 ans. She is.

170 >

171
lim si ping - pixel pastry
Elle était un trophée. Il l’avait gagné, oui. Il aurait pu l’accrocher à son mur
s’il ne l’avait pas laissé traîner dans une rue, son corps battu, étranglé,
violé. C’est tout de même cocasse qu’elle soit devenue mythique à cause
d’un type prénommé Jésus.

172 >

173
Biographies
des écrivains
et des
artistes

denis meyers

174 >

175
Pixelis mythiq27
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  • 2. © GOTHAM.LAB - YSAM SUTY 21 place de l’Hôtel Dieu 60000 Beauvais – France Tel +0033 6 14 18 95 95 Toute reproduction, traduction, adaptation intégrale ou partielle, quel que soit le procédé et le type de support, notamment par photo, photocopie, numérisation, capture d‘écran, sont interdites sans autorisation écrite de l‘éditeur et sans l‘accord des artistes et auteurs, pour tous pays. Les artistes ont autorisé Ysam et les éditions Gotham.Lab à diffuser les travaux présentés dans cet ouvrage et abandonné leurs droits pour les livre, expositions, communications et événements Mythiq 27. Imprimé en UE Dépôt légal septembre 2013 ISBN 978-29534253-4-5 EAN 9782953425345 2> 3
  • 4. remerciements > 10 introduction / once a time > 12 le casting / les membres du club 27 / les écrivains > 22 et artistes participants les œuvres / textes et images > 26 S O M M A I R E bios des écrivains et des artistes > 174 descriptif des oeuvres > 194 maykel lima 6> 7
  • 5. MEMBREs DU CLUB 27 ÉCRIVAINs PLASTICIENS PAGEs dave alexander paul vacca stief desmet 26-29 jean-michel basquiat oliver rohe orticanoodles / bernard pras frank fischer 30-35 chris bell arnaud viviant sp 38 36-39 d. boon philippe routier jonone / yz 40-45 arlester dyke christian marc durin-valois sd karoë / charlotte charbonnel 46-51 kurt cobain chad taylor invader / rero 52-57 peter de freitas émilie de turckheim oudhout 58-61 richey james edwards yann suty samuel coisne / yves ullens 62-67 john garrighan solange bied-charreton seize happywallmaker wen-jié yang 68-73 peter ham marc villemain david gouny / antoine gamard 74-79 les harvey claro denis meyers mademoiselle maurice 80-85 jimi hendrix sorj chalandon osch / invader / maykel lima 86-91 robert johnson david fauquemberg sd karoë / shaka 92-97 brian jones laurent binet autoreversegraphikart nina mae fowler 98-103 janis joplin jean-michel guenassia frank fischer / moolinex 104-109 rudy lewis jean-philippe blondel niark 1 110-113 ron “pigpen” mckernan harold cobert beb-deum / kashink 114-119 jacob miller grégoire delacourt yoh nagao / graphic surgery 120-125 damien morris laird hunt antoine gamard dhm-hugo mulder 126-131 jim morrison paul verhaeghen invader / rero / blek le rat 132-139 kristen pfaff brian evenson maykel lima seize happywallmaker 140-145 gary thain elsa flageul ludo 146-149 jeremy michael ward fabrice colin jana & js 150-153 denis wielemans aude walker oli-b 154-157 alan wilson rj ellory c215 – christian guémy 158-161 amy winehouse alexis jenni graphic surgery / johnnychrist 162-167 mia zapata manuel candré mademoiselle maurice lim si ping - pixel pastry 168-173 maykel lima 8> 9
  • 6. Gotham.Lab - Ysam remercie ses partenaires et amis de leur participation dans la réalisation de ce livre. remerciements Edouard Provenzani Magali Aubert Mathieu Bardeau Romain Bayle Gilberte Benayoun Véronique Bert Pierre Boiteux Gilles Bujon Gaëlle Colaert-Doublet Marie-Christine de Ville de Goyet Jean-Luc Dufour Erwan Guinard Anne Lambert Adriana Morales-Ferrer Varvara Lefèbvre Jennifer Merille Milena Oldfield Jean-Guillaume Panis Yves et Marie-Danielle Panis Stéphane Peysson Frank Philippe Philippe Stroppa Nicolas Suchaud Olivier Thomas Yanzan Tsering Jean-Claude Wydouw Gotham.Lab - Ysam remercie tous les écrivains et les plasticiens qui ont accepté de prêter leur talent à la concrétisation de cet ouvrage. 10 > 11
  • 8. était une fois Kurt Cobain. Un type normal, simple, abordable, devenu malgré lui une star et le porte-parole de toute une génération. Il était une fois une vie (dé)construite sur un malentendu. Le fondateur de Nirvana semblait vouloir n’être qu’un type comme tant d’autres. Malheureusement, il n’avait pas forcément choisi la meilleure voie en devenant musicien, et qui plus est talentueux, avec une chanson, Smells like teen spirit, qui fit basculer la vie de millions de personnes à travers le monde. Il incarnait le grunge, nouveau regard sur le monde et ses turpitudes, nouveau monde musical. Il symbolisait aussi la fin des paillettes, des cuirs moulants et des chevelures bouclées des rockeurs des années 80. Avec son visage d’ange, il était devenu une nouvelle espèce de Messie à qui on demandait son avis sur tout et sur rien. Il n’aurait pas supporté cette pression. Il refusa le rôle de roi de la génération X, ne comprenant pas l’hystérie que pouvaient susciter ses apparitions publiques. Il devint accro à l’héroïne. Kurt Cobain fuit de sa dernière cure de désintoxication et le 5 avril 1994 une balle de Remington mit fin au malentendu. ils aussi à échapper à leur quotidien, à la pression des fans, aux sollicitations des médias et de leur entourage. Mais à un malentendu s’en ajouta un autre. Au lendemain du suicide de son fils, la mère du chanteur de Nirvana aurait confié à l’agence Associated Press : « Maintenant il est parti et a rejoint ce club stupide. Je lui avais pourtant dit de ne pas le faire ». Elle aurait voulu parler des artistes fauchés en pleine gloire. Le journaliste comprend une allusion au chiffre 27. Peu importe la vérité, le Club 27 est né. En se suicidant, Kurt Cobain crée les conditions pour que ce club devienne une réalité. Des éléments épars s’agrègent, un mythe se crée. Le mythe des rock stars disparues à 27 ans de façon forcément peu banale ou inexpliquée. Une des dernières « recrues » du Club 27 est Amy Winehouse, la bien nommée. Sa notoriété, elle la doit autant à son talent de chanteuse qu’à ses frasques. Mais il n’est pas acquis que le mythe Winehouse existerait si elle nous avait quittés à un autre âge. Artiste de génie et illustration, jusqu’à la caricature, du cynisme et de l’imbécillité de notre époque. Chronique d’une autodestruction annoncée et d’excès abondamment relayés, amplifiés, transformés par les médias en phase avec les attentes superficielles de leur public pour faire toujours plus d’audience. Amy Winehouse a fourni le scénario inouï d’une carrière rythmée par un comportement outrancier, iconoclaste et suicidaire, une voix exceptionnelle, un alcoolisme précoce, et un look rock et glamour inoubliable. Un site internet avait poussé le mauvais goût jusqu’à inviter ses participants à gagner un baladeur numérique en pariant sur l’âge de la mort d’Amy Winehouse. Sa mort à 27 ans l’a intronisée aux côtés des grands talents du Club et relancé l’intérêt pour le mythe. il Flash back : FIN DES ANNEES 60 Il était une fois Brian Jones (co-fondateur des Rolling Stones), Janis Joplin, Jimi Hendrix et Jim Morrison (co-fondateur des Doors). Entre 1969 et 1971, ces quatre figures majeures du rock nous quittent dans des circonstances tragiques et troublantes. De leur passage éclair sur Terre, ils laissent derrière eux une œuvre impressionnante. Ils ont réinventé leur art. Comment jouer de la guitare après Jimi Hendrix ? Comment être poète après Jim Morrison ? Leur talent n’a d’égal que leurs dérives autodestructrices. Ils usent et abusent de drogues et d’alcool pour explorer de nouveaux territoires, stimuler leur créativité, inventer de nouveaux sons, une nouvelle musique. Certainement cherchent- 14 > Entre ces quatre artistes et la mort de Kurt Cobain en 1994, d’autres rockers, d’autres musiciens, d’autres artistes, partent à 27 ans. Ils auraient pu être des morts comme tant d’autres, à 22, 29 ou 45 ans. Mais, par la grâce du mythe Cobain, leur sortie à 27 ans constitue le dernier acte remarquable de leur carrière. Quelle bonne idée, si l’on peut dire, de disparaître au bon âge pour être admis au sein du mythique Club 27. LA GLOIRE POST-MORTEM PAR PROCURATION En 2013, Wikipédia recensait 44 membres à ce club. Si Jimi Hendrix ou Jim Morrison ont incontestablement marqué l’histoire de la musique, l’apport d’autres est plus discutable. Ron « Pigpen » McKernan, clavier des Grateful Dead, D. Boon, chanteur des Minutemen, ou encore Richey James Edwards des Manic Street Preachers n’auraient sans doute pas eu la même postérité s’ils étaient disparus un an plus tôt ou un an plus tard. A l’inverse, que seraient devenus certains membres du Club s’ils avaient survécu ? Manque d’inspiration, traversée du désert, ou retour à l’anonymat ? Nul ne le saura jamais. Leur disparition prématurée leur a en tout cas assuré l’entrée au panthéon des 27 et l’accès à une reconnaissance éternelle. Ils sont figés pour toujours en pleine gloire, en pleine jeunesse, et ne connaîtront pas une fin de carrière en crooner 15
  • 9. vintage pour les vieux fans de Brian Ferry ou chanteur international de variété comme Sting ou Elton John, chanteur de vieilles chansons françaises comme Iggy Pop. Ils n’auront pas à tenter le énième come-back pathétique pour financer leurs impôts ou leur train de vie. LE MARKETING DES GRANDES ET PETITES CROYANCES Sans entrer dans un débat sur le sens et l’intérêt de toutes les formes de croyances, il est cocasse de remarquer qu’en deux mille ans nous sommes passés du divin et de la quête de spiritualité à l’adoration de stars et de marques. L’humain a besoin d’icônes à admirer, de modèles à suivre ou à imiter. Avant ils étaient dieux, rois, pharaons, chevaliers, papes et saints. Aujourd’hui, ils sont plutôt musiciens, acteurs, footballeurs. Leurs histoires font vendre. Tout est récupérable et recyclable. Le divin et le marketing ont toujours fait bon ménage et cela ne semble pas près de changer, bien au contraire. Avec un cynisme tranquille, nous marketons tout pour créer des croyances et les transformer en produits. Jean Paul II (un des best-sellers de l’église catholique), Notre Dame de Fatima ou de Lourdes, sont jolis en médaille, boule à neige, statue en plâtre, en marbre ou en plastique lumineux (piles non fournies). Depuis plus de quarante ans, Mao figure parmi les icônes du Pop Art avec sa coiffure et son célèbre col éponyme, figés par Andy Warhol. On vénère depuis un demi-siècle la belle gueule de Che Guevara, icône des mouvements révolutionnaires, symbole de la contestation, mais aussi assassin au visage romantique avec son portrait réalisé par Alberto Korda, considéré comme l’une des photos les plus célèbres du monde. Mao et Che Guevara se déclinent en t-shirts, mugs, livres hommages, tapis de souris, badges, cahiers d’écoliers… à des millions d’exemplaires. Le Club 27 remplit à la perfection les conditions nécessaires pour faire la fortune des ayant-droits. Il plaît parce qu’il présente un story telling pertinent, des histoires parfaites pour le besoin de simplification caractéristique de notre époque. Les médias aiment ces destins fauchés en pleine jeunesse, avec un scénario limpide et percutant : des vies menées à cent dhm-hugo mulder à l’heure, des vies trop intenses, excessives, passées Mourir à 27 ans évite d’atteindre … trop vite, trop fort, avec un final éblouissant et précoce, les 72 ! Les membres du Club 27 restent tragique, troublant ou inexpliqué. figés en pleine gloire et ne connaîtront pas Grands et petits magazines, blogs et réseaux sociaux de lendemains difficiles. Ils ne deviendront pas des caricatures d’eux-mêmes prêtes propagent informations et rumeurs, construisent et à tous les compromis pour connaître une vieille gloire pathétique ou financer leurs divorces et leur train de vie. 16 > 17
  • 10. nourrissent la légende de ces artistes maudits, alimentent les fantasmes de toutes les couches de la société. Les fabricants, les éditeurs et l’industrie de l’entertainment proposent assiettes, médailles, « tableaux d’art », posters, draps, films, comédies musicales, compilations et best of commémoratifs… tout est bon dans l’artiste labellisé Club 27 ! Le cimetière du Père Lachaise est connu dans le monde entier depuis que Jim Morrison y repose. Les t-shirts souvenir, avec sa moue boudeuse et sexy, se vendent toujours très bien. Kurt Cobain est devenu le porte-drapeau involontaire d’une génération, certes, mais, n’en déplaise aux fans, il est aussi une figure de mode, l’inventeur de la grunge attitude avec cheveux sales, jean déchiré, baskets usées et gilet à grosses mailles. La star mal habillée à la perfection se décline également en sweat à capuche, pendentif, casquette ou drapeau. Jimi Hendrix a beaucoup fait pour la coiffure afro et la vente des bandanas. Le développement des objets du désir Amy Winehouse est tributaire d’accords entre les fabricants et ses ayants droits. Elle a tout d’une icône reproductible à l’infini, avec un look typé 60’s – coiffure rockabilly et eye-liner Cléopâtre rock – aussi célèbre que sa voix jazzy. Le livre, un face à face entre écrivains et plasticiens Commençons par ce que n’est pas Mythiq 27. Ce n’est pas une série de biographies, de représentations figuratives ou encore un ouvrage pédagogique. Ce n’est pas une énième tentative d’explication du mythe. Il ne s’agit pas non plus d’une série de portraits d’artistes sur qui, pour certains, tout a été dit ou presque. Nous avons conçu le livre Mythiq 27 comme une exposition qui invite les participants à prendre de la distance par rapport à l’anecdote, la narration ou l’illustration directe de chaque membre du Club 27 et de projeter leur propre vision du mythe. L’idée : 27 écrivains écrivent 27 lignes sur 27 artistes disparus à 27 ans, mis en image par des artistes plasticiens d’aujourd’hui. C’est un livre d’art et d’écrits, une œuvre hybride, une composition collective. Le projet supposait la mise en place d’un cadre de travail comportant certaines règles. Aux écrivains, nous avons imposé pour seule contrainte d’écrire 27 lignes. Aux plasticiens nous avons demandé de détourner le sujet afin de l’intégrer dans leur propre démarche artistique et intellectuelle. LA LÉGITIMATION PAR LA THEORISATION Le vernis académique, scientifique, érudit est indispensable pour légitimer un phénomène. Nous avons besoin de théoriser, prouver, démontrer des « vérités scientifiques ». Le Club 27 est comblé. De nombreuses thèses, débats, articles alimentent les destins tragiques de ses membres. En 2007 un groupe de chercheurs de l’Université de Technologie du Queensland en Australie a posé la question suivante : « 27 ans est-il un âge dangereux pour un musicien célèbre ? ». La conclusion de l’étude a révélé que le risque de décéder entre 20 et 40 ans est plus élevé pour un musicien célèbre que pour le reste de la population, mais que l’âge de 27 ans n’a rien de maléfique. Ouf. Les artistes sont devenus des marques avec l’éventail complet des outils indispensables à leur lancement, leur développement et leur croissance-croyance. A la réalité de leur talent et leur apport artistique s’ajoutent des applications commerciales. Ils deviennent des produits d’adoration et de consommation. La perpétuation du mythe du Club 27 a un bel avenir. Si une nouvelle génération avait à son tour la bonne idée de nous quitter à 27 ans… la carrière post-mortem de chaque ‘’recrue’’ est déjà tracée ! 18 > Auteurs et plasticiens proposent des textes et des œuvres reflétant l’impact des membres du Club 27 sur leur propre vie, sur leur production artistique et sur leur vision de l’histoire de l’art et de la société. Qu’ils soient ici remerciés d’avoir relevé le défi en acceptant un thème et une démarche imposés. L’exercice est difficile et demande une extraordinaire capacité d’adaptation sans renier sa propre personnalité. La sélection des écrivains et des artistes propose un panorama riche de la création artistique et littéraire d’aujourd’hui. Elle offre des perspectives inattendues et très personnelles. Les membres du Club 27 ont marqué les artistes et les auteurs de toutes les générations. Mythiq 27 en est un recueil. Tous ont quelque chose à dire, à raconter, à représenter. Manuel Candré a laissé sa plume à Mia Zapata, dans un témoignage imaginaire et bouleversant sur les dernières heures de sa vie. RJ Ellroy prend possession de l’esprit d’Alan Wilson. Marc Durin-Valois entre dans les pensées discursives d’Arlester « Dyke » Christian, de cette mort qui vient si vite. 19
  • 11. Sorj Chalandon traduit la proximité de certaines icônes dans la vie de chacun, « J’ai bien connu Jimi Hendrix. Il était punaisé sur le mur de ma chambre ». Il symbolisait cette soif de liberté, d’expression, de départ. Cette proximité, on la retrouve aussi chez Jean-Michel Guenassia pour qui Janis Joplin « c’était une amie, une vraie, le genre qui ne trahira jamais, elle faisait partie de la famille ». Combien d’adolescents des années 90 se sont sentis en harmonie totale avec Kurt Cobain, comme l’écrit si bien Chad Taylor : « Quelqu’un a dit un jour qu’une icône était un mélange de sacré et de profane. Kurt Cobain a coché les deux cases ». Alexis Jenni nous livre un témoignage d’admiration presque amoureuse pour Amy Winehouse. Dans un tout autre registre, la mort de Chris Bell devient drôle sous la plume d’Arnaud Viviant. Plus poétique, flirtant avec l’abstraction, Claro s’adresse personnellement à Les Harvey. Ainsi, les 27 écrivains nous rappellent que les membres du Club 27 ne mourront jamais. Leurs voix, leurs musiques, leurs œuvres, font partie de notre vie, de nos mémoires. Les plasticiens ont également exprimé une grande diversité de regards et d’interprétations, des plus sombres aux plus lumineux, des plus poétiques aux plus abstraits, des plus drôles aux plus respectueux. Humour caustique et un peu potache avec les dessins aquarellés de Laurina Paperina. Détournement abstrait aux lignes colorées de Frank Fischer qui revisite un skull de Basquiat et la pochette du célèbre LP de Janis Joplin, Pearl. Bernard Pras rassemble une multitude d’objets dans une anamorphose qui raconte des histoires et des mondes aussi riches et abondants que l’œuvre de Basquiat. Avec malice SP38 offre à Chris Bell un vélo, moyen de locomotion bien plus sûr que l’automobile et qui lui aurait peut-être sauvé la vie. YZ évoque D. Boon enfoui dans la tôle cabossée et froissée du crash de son véhicule. Samuel Coisne imagine la vie de Richey James Edwards par l’image de dollars troués, comme une vie au capital dilapidé par les excès. Rero noircit les lettres « The End » et les barre. La fin, mais pas tout à fait. Plus qu’un hommage à une chanson, Jim Morrison meurt et un mythe naît. Maykel Lima révèle avec talent la présence/absence des icônes du rock avec une photographie fantomatique et inquiétante qui évoque Janis Joplin. 20 > Oudhout nous montre ce qu’il reste après l’accident de Peter de Freitas, une tâche de sang sur sa moto. Wen-Jié Yang met en scène les trips de John Garrighan, libéré, en apesanteur. La dose fatale ne le laissera pas redescendre. Les « rubik’s cube » d’Invader nous rappellent combien Jimi Hendrix, Jim Morrison et la pochette de Nevermind de Nirvana nous sont familiers, ancrés dans notre inconscient collectif. Jimi Hendrix est un dieu. Un dieu de la guitare. Maykel Lima lui confectionne un bel autel, un endroit où ses fans pourront se recueillir. autoreversegraphikart baigne dans une ambiance morbide avec ses photos/ radios X de Brian Jones mort, Brian Jones vivant, Brian Jones mort-vivant. Les déstructurations de Graphic Surgery évoquent les vies intenses, chaotiques et brisées de Jacob Miller et Amy Winehouse. Beb-deum se moque avec tendresse d’une ancienne groupie de Ron « Pigpen » Mckernan. L’hommage de Blek le Rat à Jim Morrison passe par le film Apocalypse Now et la chanson The End qui en servit de bande-son. La dose fatale d’héroïne imaginée par Ludo a quelque chose d’un doigt d’honneur, un fuck you à la vie de Gary Thain. Oli-B pleure Denis Wielemans de manière très joyeuse. C215-Christian Guémy plonge Alan Wilson dans une transe dont il n’échappera pas. « I Am » clame Mademoiselle Maurice au nom de Mia Zapata dont la vie a été détruite avec violence. « I Am », avec douceur, poésie et sérénité. Le temps gomme et lisse aspérités et détails des destins, même les plus horribles, désespérés ou terrifiants. redape « I Am » aurait pu être le cri de chacun des Richey James Edwards n’a pas révolutionné membres du Club 27, devenus des êtres l’histoire de la musique et n’aurait sans doute mythiques, des héros de notre époque pas connu la même postérité s’il était disparu déglinguée. « I Am ». Une œuvre, un destin. Une éternité. un an plus tôt ou un an plus tard. Doigt d’honneur… pour lui-même ou au nom de tous les disparus ? 21
  • 12. le casting les membres du club 27 les écrivains les artistes oudhout 22 > 23
  • 13. laurina paperina Telle une photo de « classe » du Club 27, ses membres sont croqués sur un ton irrespectueux, humoristique et caricatural où leurs principales caractéristiques sont associées aux causes de leur décès. 24 > 25
  • 14. Faire l’épitaphe de Dave Alexander revient à pratiquer le journalisme selon Chesterton : « écrire “Lord Jones est mort” à des gens qui n’ont jamais su que Lord Jones existait ». Des Stooges originels, il y avait Iggy bien sûr, iguane de légende qui aura traversé toutes les périodes de glaciations, les deux frères Asheton, Ron et Scott, et puis.. et puis… DAVe alexander Né le 3 juin 1947 à Ann Arbor (Michigan, États-Unis). Il est décédé le 10 février 1975 d’un œdème pulmonaire des suites d’une pancréatite aigüe liée à une consommation d’alcool excessive. qui déjà ? Oui, le mec juste derrière Iggy sur la pochette du premier album, celle où ils sont tous comme les frères Dalton… Dave Alexander, donc. As known as – ou plutôt - as unknown as Zander. Quatrième membre du groupe et cinquième roue du carrosse. Arrivé là parce qu’il avait une voiture. Banale histoire de chaise musicale. Ce sera la basse. Pourquoi la basse ? Parce que. Histoire de vacation ; pas de vocation. Zander ne tiendra pas longtemps à l’ombre de l’Iguane. Deux 33 tours et puis s’en va… Une prestation désastreuse lors d’un concert en août 1970 au Goose Lake International Music Festival. Too drunk to play. L’ire d’Iggy l’irradie : you’re fired ! Zander ne moufte pas. L’héroïsme, c’est pas son truc. Ni l’héroïne du reste. La vraie cause de la rupture de son CDD selon certains : incompatibilité de défonce. Lui c’était l’alcool. Retour au bercail, à Ann Arbor dans la morne plaine de Detroit. Régime alcool et vinyles. Qui sait combien de groupes, Dave rejoint le soir au fond de ses verres d’alcool pour s’en retrouver systématiquement viré à l’aube ? Il faut imaginer Sisyphe complètement bourré. Une pancréatite l’oblige à se faire admettre à l’hôpital. Pour s’en faire virer quatre jours plus tard. Prestation désastreuse encore : un œdème pulmonaire fatal. Il a 27 ans. Mais ce beau jour, le 10 février 1975, la chance sourit enfin à Zander. Sans rien ecrivain paul vacca artiste stief desmet comprendre, il est admis dans le groupe le plus classieux de l’histoire du rock : le Mythic 27. À bras ouverts. Il y trimballe tous les soirs sa basse et sa canette pour les meilleurs gigs over the rainbow. L’année dernière, une nouvelle recrue, tatouée qui taquinait aussi le goulot comme lui, est même arrivée… Aux dernières nouvelles, Dave n’a toujours pas été viré… 26 > 27
  • 15. stief desmet Dave Alexander fut viré des Stooges par Iggy Pop qui trouvait qu’il était un enfant gâté et un incompétent. Pour ne rien arranger, il était alcoolique. S’il avait fait partie du groupe, c’est uniquement parce qu’il avait une voiture. Une supposée success story à l’américaine qui est en fait l’histoire d’un petit aigle déchu qui a rejoint le Club 27. 28 > 29
  • 16. La question n’est pas de savoir ce que vaut Jean-Michel Basquiat aujourd’hui, sa valeur marchande et culturelle, sa place dans les musées et les grandes collections. Il n’est pas question de savoir si sa peinture, si singulière dans le paysage artistique JEAN-MICHEL BASQUIAT Né le 22 décembre 1960 à Brooklyn (New York, États-Unis). Il est décédé des suites d’une overdose de cocaïne et d’héroïne le 13 août 1988 à New York. des années quatre-vingt, des années quatre-vingt en leur épicentre, New York, si cette peinture qui déroute, et qui jure, et qui échappe au goût désastreux de son époque, qui en est comme la réfutation radicale, l’ailleurs absolu, mais qui, injustement, paradoxalement, finit par incarner pour nous ces années-là, sans doute plus qu’aucune autre, si cette peinture de Jean-Michel Basquiat produit toujours un trouble, ébranle, fomente quelque rupture, si elle demeure singulière et subversive dans notre monde contemporain. Il n’est pas non plus question d’inclination, ecrivain oliver rohe artistes orticanoodles bernard pras frank fischer 30 > de notre éventuelle inclination pour elles, sa peinture, sa personne, sa figure. La question est de savoir si l’apparition d’un enfant sauvage est aujourd’hui possible. 31
  • 17. orticanoodles 32 > Tranches de vies, Basquiat au regard tranchant, tranches de génie, d’un génie. Assemblage chaotique et pourtant organisé d’un parcours semé d’embûches. Quelle merde la vie. bernard pras Décomposition-recomposition, homme archiboldien. Homme enfant recomposé à partir de jouets en plastique qui rend hommage à la fausse naïveté d’un artiste complexe, précurseur du street art. 33
  • 18. frank fischer Derrière ces lignes se cache une tête. La célèbre œuvre de Basquiat, Head, est détournée de façon abstraite et dans ces lignes vous pouvez reconnaître une tête hypertrophiée, une oreille gauche, deux yeux tristes, des cheveux bleus et noirs ou un réseau neural, le tout sur un fond orange et bleu et rouge et blanc et noir, parsemé de dessins et de lettres. 34 > 35
  • 19. Je m’appelle Chris Bell. Nous sommes le 27 décembre 1978, j’ai 27 ans, il est environ une heure du matin, à Memphis. Je sors du resto de mon père où j’ai encore rien bouffé. Mais j’ai bu. Quand mon vieux m’a une nouvelle fois reproché de rien toucher à ce qu’il y avait dans mon assiette, je suis allé chris bell BIG STAR Né le 12 janvier 1951 à Memphis (Tennessee, États-Unis). Il est décédé dans un accident de voiture le 27 décembre 1978 à Memphis. me shooter dans les chiottes de son bouclard. J’adore mon père. Je l’aime et il m’aimera toujours. C’est juste que l’héro te donne plus envie de vomir que de bouffer, parce que c’est plus agréable de vomir quand tu as le ventre vide. Putain, que la nuit est douce. Je suis au volant de ma Triumph TR6, la plus chouette des bagnoles, que je me suis offerte avec l’avance sur mon premier album solo. J’allume la radio. Merde. Que du disco. Je change de fréquence. Merde. Que du punk. Demain, je ne sais pas pourquoi je pense à ça, ce sera l’anniversaire de ce salopard d’Alex Chilton. Quand je pense que c’était mon meilleur pote au lycée. Quand je pense que c’est moi qui lui ai demandé de venir jouer dans Big Star. Quand je pense que j’ai quitté Big Star à cause de lui. Tout ça me donne envie d’appuyer sur le champignon. Je change de fréquence. Merde, le nouvel album des Stones. Qui eux aussi font du disco. Le problème de Chilton, c’est qu’il n’aime pas assez les Beatles. Alex est une chiotte de Ricain nationaliste. Il n’a pas compris que c’était Dieu qui avait formé les Beatles depuis le cosmos, depuis son Entendement cosmique. UN JOUR QUELQU’UN M’A PARLE D’AMOUR, MAIS JE NE SAIS PLUS QUI C’EST. Putain, je devrais noter ça, c’est un bon titre pour une chanson. Je suis allé enregistrer aux Air Studios de George Martin. J’ai croisé Paul McCartney et Linda, on a bavardé ensemble une dizaine de minutes. C’était le plus beau jour de ma ecrivain arnaud viviant artiste sp 38 vie. Il ne me reste plus qu’à rencontrer Lennon et Harrison parce que Ringo, je m’en bats les couilles. Que cette voiture va vite. Comme l’héro dans mon sang, AND I FEEL LIKE JESUS SON, comme chante ce connard de Lou Reed. Quelle perte de temps de se prendre pour Lou Reed, quand on peut se prendre comme moi pour John Lennon. Et je roule vers ma mort, vers ma mort. 36 > 37
  • 20. sp 38 Un accident de voiture qui est vécu comme une libération. Enfin Chris Bell quitte une vie qui ne lui allait plus. S’il s’était déplacé en vélo, il n’aurait pas perdu le contrôle de sa voiture et ne se serait pas scratché. Oui, le vélo peut-être un véhicule rock’n’roll ! 38 > 39
  • 21. Le dernier breakneck solo de D. Boon On ne meurt par sur l’interstate 10, c’est une route bien plus longue que la mort. On ne meurt par sur l’interstate 10, même sous le ciel torpide D. boon MINUTEMEN Né le 1er avril 1958 à San Pedro (Californie, États-Unis). Il est décédé dans un accident de van le 22 décembre 1885 en Arizona. de décembre. On nous dit que sur cet axe dans le désert d’Arizona, D. Boon était allongé à l’arrière d’un van, malade et somnolent, que son amie au volant s’était assoupie, que le véhicule sortit alors brusquement de la route, que D. Boon fut éjecté du véhicule par la secousse et qu’il se brisa la nuque. Mais c’est du pur délire, sans doute produit par l’esprit fiévreux du passager lui-même. Depuis sa banquette, D. Boon croyait voir aussi son père à genoux, vétéran de la Navy qui naguère à l’avant des Buick installait pour le nourrir des autoradios. Il le regardait les brancher avec soin, comme s’il greffait sur un ami un organe vital, puis tester l’appareil en enfonçant les touches l’une après l’autre. L’ouvrier dans le songe de D. Boon assurait qu’il ne laissait sortir les Buick de l’atelier que si leur autoradio promettait de fonctionner des années plus tard encore, quand son fils serait devenu le chanteur des Minutemen et qu’on entendrait It ain’t no picnic sur les ondes de Californie. ecrivain philippe routier artistes yz jonone D. Boon aura pu rêver cela et aussi d’être tombé du van par le hayon arrière. Mais, à part lui, personne ne croit à la mort métal asphalte de l’artiste funk-blues. En réalité, depuis la disparition de D. Boon de nos radars et de nos enceintes, l’interstate 10 est devenue un ruisseau dormant et le songe du chanteur un conte muet. 40 > 41
  • 22. jonone Le corps est pris au piège de la tôle. Il est compressé. Compressé comme le sera la voiture une fois envoyée à la décharge. Avant d’être fondue, de devenir un autre véhicule qui sera peut-être encore accidenté. Avec un futur membre du Club 27 dedans ? L’histoire ne demande qu’à se répéter. 42 > 43
  • 23. yz Elle n’est pas montée sur scène, mais elle lui a volé la vedette. Sur le fil. Elle est devenue sa dernière scène en quelque sorte. D. Boon croyait monter dans une voiture alors que c’était déjà un corbillard. C’est sûrement pour cela qu’il a passé tout son dernier trajet sur l’Interstate 10 allongé. 44 > 45
  • 24. On m’appelle Dyke, J’imagine des funky Broadway partout, Alors je chante, Funky, funky Broadway, arlester Dyke christian dyke & the blazers Né le 13 juin 1943 à Buffalo (New York, États-Unis). Il a été assassiné le 13 mars 1971 à Phoenix. J’en vois depuis toujours, A Buffalo, quand j’étais avec mes potes de Larue, A Phoenix, avec mon groupe Dyke and the blazers, Riff de guitares et orgues épaisses, saxos qui miaulent, Alors forcément je chante Funky, funky Broadway, Les filles 66 adorent, Et moi, J’continue d’repérer des Funky Broadway dans toutes les villes, Avec des drôles de foules funky, De belles femmes funky, Parfois un drôle de mec funky, L’inventeur du funk, ouais, c’est moi, Arlester Christian Dyke, D comme dope, Dyke comme die, Août 71 à Phoenix, j’marche tranquille, j’ai 27 ans, J’crois bien que toutes les rues de ma vie seront toujours, Des funky, funky Broadway, Avec ses foules, ses filles sublimes, et des types bizarres, ecrivain marc durin-valois artistes sd karoë charlotte charbonnel Y’en a un justement qui me regarde d’un drôle d’air, Seigneur, Me tire dessus avec son flingue, Putain de… Funky, funky Broadway ! 46 > 47
  • 25. sd karoë Le plancher des salles de concert a gardé les traces du funk de Dyke. Un 27 (dé)composé d’empreintes de pas dansants, de sang séché, de sueur. Les souvenirs de la furie d’un artiste possédé. Encore plus en live. 48 > 49
  • 26. charlotte charbonnel C’est le « bruit blanc », un dispositif qui permet d’enregistrer les ondes sismiques, de capter celles qui annoncent une catastrophe. L’appareil de Dyke, lui, s’emballe. A cause de son mode de vie. De ses fréquentations. Et de sa musique. Oui, de sa musique. Et si c’était elle qui expliquait tout ? 50 > 51
  • 27. Root beer et héroïne. Et un flingue, et du papier toilette pour nettoyer le foutoir. Quelqu’un a dit un jour qu’une icône était un mélange de sacré et de profane. Kurt Cobain a coché les deux cases. KURT cobain nirvana Né le 20 février 1967 à Aberdeen (Washington, États-Unis). Il s’est suicidé d’une balle dans la tête le 5 avril 1994 à Seattle. Toutefois, certains de ses proches et un détective privé défendent la théorie de l’assassinat. Il était capricieux mais consciencieux. Le genre de type à lécher son assiette au restau. Ou à piquer un fard en se voyant refuser sa carte de crédit. Il dormait dans sa voiture quand « Smells Like Teen Spirit » a déboulé dans les bacs. Quand il a pressé la détente, il était déjà père et millionnaire. Il a écrit des chansons courtes qu’on peut jouer à l’infini. Il n’avait plus de voix au bout de quelques prises. Il a eu les yeux bleus toute sa vie. Sa femme s’est fait tatouer un « K » sur son ventre blanc. La taille de sa fille était inscrite sur la porte. Quand son père s’est suicidé, elle mesurait quatre-vingt centimètres. Mes fils ont presque l’âge de Kurt. Quand je pense à ce qu’ils savent aujourd’hui, et ne savent pas, il faut que je m’imagine à leur âge. Les choses auraient pu mieux se passer pour lui. Les choses auraient pu nettement dégénérer. Tous ces vieux qui levaient les yeux vers un type si jeune. Un tee-shirt. Une pochette d’album. ecrivain chad taylor artistes rero invader Un air qu’on fredonne. Votre vieux moi veut revenir en arrière et communiquer avec ça. Parler à Kurt le gamin, et non Kurt l’artiste. Mais vous aviez alors son âge. Vous n’auriez rien eu à lui dire. Traduction : Claro 52 > 53
  • 28. invader Un bébé nage dans une piscine, un billet d’un dollar au bout d’un fil devant lui. La célébrissime couverture de l’album Nevermind est réinterprétée avec des carreaux de faïence. Comme ceux d’une piscine. 54 > 55
  • 29. rero 56 > Mourir si jeune. Gâcher tout ce talent. Se tuer à petit feu. Se shooter. S’isoler. Pointer son arme. Tirer. Partir, trop vite trop tôt. Et nous ? C’est une hérésie. 57
  • 30. Pete de Freitas et moi sommes nés la même année, moi en 1980, lui en 1961 d’une mère qui accouchait sur une île d’opossums, d’oiseaux-mouches et de paresseux à 18 molaires, peter de freitas echo & the bunnymen Né le 2 août 1961 à Port of Spain (Trinidad and Tobago). Il est décédé d’un accident de voiture sur le chemin de Liverpool à Londres, le 14 juin 1989. Trinidad et Tobago j’ai nommé, tandis que la mienne expulsait l’enfant au bord du Rhône où nagent l’ablette et les catholiques nous prirent vite en main, au-dessus de la Manche, les bénédictins, en scapulaire noir à capuchon, firent à Pete la leçon, tandis qu’au dessous de la Manche, mes Sœurs s’agenouillaient sans qu’on sache pourquoi Pete part à Liverpool - Foie-Piscine littéralement comme John Paul George et Ringo dont pas un seul ne sut que la ville fut le port d’attache du Titanic incoulable qui néanmoins coula le chef d’orchestre, héros-musicien, jusqu’à la fin, baguettes à la main, Pete le batteur décompte le temps, se plante dans le mur ecrivain émilie de turckheim artiste oudhout de briques, de beurre, de béton, l’histoire ne le dit pas mais retient l’année (1989, bicentenaire, célébrations, guillotines en papier mâché, bonnet phrygien sur ma tête d’enfant) et la moto à 72 chevaux et 27 chandelles 58 > 59
  • 31. oudhout Sur la route entre Londres et Liverpool, la Ducati de Pete de Freitas percute une voiture. Le choc est fatal pour le batteur d’Echo & The Bunnymen. Il ne reste rien de lui si ce n’est une moto sur le sol. Le métal sera toujours plus fort que la chair. 60 > 61
  • 32. Reste cette bonne vieille Vauxhall Cavalier métallisée, abandonnée près du Severn Bridge, la batterie à plat et à l’intérieur un foutoir sans nom, ce n’est plus une voiture mais un squat, un squat comme ta chambre de l’hôtel Embassy et toi où es-tu ? On t’a vu dans un marché hippie à Goa. richey james edwards manic street preachers Né le 22 décembre 1967 à Blackwood (Caerphilly, Pays de Galles). Il est porté disparu depuis le 1er février 1995 et été présumé mort le 23 novembre 2008. Mais où es-tu ? Tu n’as laissé aucun message, aucun message qui explique pourquoi chaque jour pendant quinze jours deux cents livres ont été retirées de ton putain de compte en banque et ensuite c’est toi qui t’es évaporé. On t’a vu dans les îles de Fuerteventura. Et pourquoi cette virée en taxi dans les collines de ton enfance avant de disparaître ? Qu’estce que t’es allé foutre à Blackwood ? Un pèlerinage ? Dire au revoir à cette ville où tu t’es découvert ce goût pour les lames de rasoir les couteaux les tessons de bouteilles, il y a tant de façons de se faire du bien, oh oui c’est si bon, c’est si bon d’entendre la lame fendre la peau comme du tissu, pénétrer dou-dou-doucement dans la chair et ensuite c’est le sang qui suinte, qui te crème le corps, un onguent un élixir et tu y fourres la langue petit gourmand. Faut bien que tu manges, l’anorexique. On t’a vu te baigner dans le Gange. Tu disais que tout est banal à côté de l’effort que tu fais pour te concentrer sur la coupure la douleur la lame, et la lame tu l’appuyais plus fort – mais où es-tu ? –, toujours plus fort, comme si tu cherchais quelque chose plus profond. Qu’est-ce que tu cherchais quand tu t’es gravé « 4 REAL » sur l’avant-bras ? On t’a vu à Lanzarote. Tu te souviens de la gueule du journaleux quand tu t’es offert cette friandise dandy à 17 points ecrivain yann suty artistes samuel coisne yves ullens de suture, ce serpent cutterisé qui te rampait dessus te faisait autant triper que les mégots que tu t’écrases sur ta peau devenue cendrier – mais où es tu ? – et entendre ta chair crépiter comme sous le coup d’un effet larsen est meilleur, ouais, encore meilleur que tout le reste cette bonne vieille Vauxhall Cavalier métallisée, abandonnée près du Severn Bridge, la batterie à plat et à l’intérieur un foutoir sans nom, ce n’est plus une voiture mais un squat. 62 > 63
  • 33. samuel coisne Il a dilapidé sa vie comme on dilapide un capital. Un dollar après l’autre, une année après l’autre, il s’est tué, à coups de cachets, d’alcool, de mutilations. Sa disparition relève finalement de l’anecdote. 27 ans, 27 dollars. 64 > 65
  • 34. yves ullens Les couleurs de la vie et la mort. Rouge pétillant et joyeux, rouge de l’énergie et de la vie, rouge et puis s’en va en pourpre, pourpre de la lassitude, de l’envie de ne plus avoir envie ou juste de mettre fin à tout ça. Rouge et pourpre, un cercueil, un totem, la délivrance. yves ullens Les couleurs de la vie et la mort. Rouge pétillant et joyeux, rouge de l’énergie et de la vie, rouge et puis s’en va en pourpre, pourpre de la lassitude, de l’envie de ne plus avoir envie ou juste de mettre fin à tout ça. Rouge et pourpre, un cercueil, un totem, la délivrance. 66 > 67
  • 35. Tu es invisible Ils étaient venus avant toi et déjà ils étaient morts ainsi, les guitars heroes de papa, les mecs en poster dans la chambre de maman, les romantiques à rouflaquettes, ces bardes au sourire triste et à la mèche lustrée, tous ces jeunes gens vivaient trop intensément pour john garrighan the berlin project Né le 1er avril 1983 à Pittsburg (Pennsylvanie, États-Unis). Il est décédé le 30 janvier 2011 à Monroeville (Alabama - Etats-Unis). La cause de sa disparition reste indéterminée. ne pas mourir tout de suite, ils ont avalé leur langue avant qu’on leur la coupe, je suis seul à crever, personne ne me comprend, les grands yeux révulsés par tant de guerres dans le monde, veinules par trop trouées de leurs seringues salutaires, et les filets de bave, de la lèvre à la main, de la main à la gratte, de la gratte à l’ampli, mais l’ampli débranché ne relaie rien d’intelligible. D’abord c’est en anglais, on capte rien du tout. Ensuite il y a des mots d’argot, et l’argot en anglais, je t’assure qu’il faut se lever tôt. Déjà que j’ai tendance à parler d’un courriel, au moins au temps d’Hendrix, tout ça n’existait pas. Alors sur un autre ton, s’il te plaît, ton élégie alternative. Enfin, petit couillon, repose en paix, essaie de te reposer, mais laisse-moi te dire quand même: tu ne t’illustres en rien. La rock’n’roll attitude a pénétré l’arène, ses slogans chic et choc ont mis tout le monde d’accord, il lui était facile d’étendre son empire, de venir te cueillir en ta chambre d’enfant. Déjà très tôt, avec les Playmobils, tu prends le parti des gangsters. Le shérif est plutôt has been. Puis les choses s’accélèrent. Les tatouages sur le torse, l’addiction aux stupéfiants, le groupe de punk rock formé au lycée. Arrête, on dirait une blague. Haïr tes parents, dire merde aux gens, en vouloir aux marchés financiers ? Gifler des pom-poms girls. Détester George W. Bush. La crise d’adolescence qui ne passe pas. Ou peut-être le désarroi de l’âge adulte : « je ne veux pas mourir en vieux con ». Mais John, aucune réalité n’est en ce monde exclusive, tu n’es pas plus malin d’être mort jeune et blond. Ou plus beau, ou plus immortel. Tu n’es pas mieux que ta mère ou que ton ecrivain solange bied-charreton artistes seize happywallmaker wen-jié yang père. Tu n’es pas mieux que mon grand-père. Ta fille ne fera pas mieux que toi. Eh, oh, tu te prends pour qui, avec ton overdose, là ? Même pas un suicide, une mort de petit bourgeois, de petite frappe sans envergure. Que reste-t-il de John Garrighan après le retrait du cadavre ? Le filet de bave a disparu sous la serpillère. Mon pauvre, tu es invisible. Tu ressembles à tout le monde, tu ressembles aux caprices de tout le monde. 68 > 69
  • 36. seize happywallmaker Tout se mélange. La seringue devient la drogue. La drogue devient l’extase. L’extase devient le corps. Le corps devient la seringue. La seringue devient le corps. Le corps devient la drogue. La drogue devient la seringue. La seringue devient l’extase. A moins que ça ne soit l’inverse. Tout dépend du sens dans lequel on le prend. 70 > 71
  • 37. wen-jié yang Elle coule dans les veines. Joie. Trip. On n’est plus soi-même. On est hors de soi. Dans un autre monde. Une autre dimension. Libéré des pesanteurs. De son corps. Mais la dose est trop forte. Over. 72 > 73
  • 38. Vous avez peut-être déjà eu l’occasion de réaliser par vous-même le nœud, baptisé avec force à propos, du pendu – cela dit, si vous lisez ce texte, c’est qu’il était mal exécuté, voire carrément coulant. À titre personnel, soyez certain que je n’ai absolument rien contre la pendaison en tant que méthode ; du moins n’ai-je rien à objecter quant à son esthétique peter ham Badfinger Né le 27 avril 1947 à Swansea (Pays de Galles). Il s’est suicidé dans sa maison du comté de Surrey (Angleterre) le 24 avril 1975. générale, et moins encore son efficacité. Ce qui toutefois m’a toujours intrigué, et me dissuade aujourd’hui encore d’user de ce moyen somme toute un peu démonstratif, ce n’est pas tant la gêne d’être découvert en impeccable érection (tout corps se balançant dans l’espace enregistre une décharge qui l’accule à une turgescence priapique et post-mortem), mais des considérations autrement anxiogènes. Que Peter Ham, après tant d’autres il est vrai, les ait surmontées, suffirait amplement à ma sympathie. Mais soyons concrets. Réussir un tel nœud n’est pas d’une si folle évidence, vous l’avez compris. Si votre technique n’est que rudimentaire, et quand bien même vous seriez un fameux casse-cou, vous aurez une veine de pendu si vous ne souffrez que d’un lumbago, en lieu et place de la nuque que vous escomptiez vous briser. C’est précisément ce qui me touche, dans ce qu’a réussi à faire Peter Ham (en plus de s’être baptisé BADFINGER, témoignage d’un humour excellemment britannique.) Car il faut l’imaginer, Peter Ham, prendre la peine d’être tout sourire à la mercerie du coin de la rue, se rendre en bibliothèque, y chercher un manuel qui fût assez complet, enfin (et sans doute est-ce le plus pénible) s’exercer : faire et refaire le nœud, tester sa résistance à une contraction brutale, inopinée, calculer le ratio utile entre des éléments aussi complexes que la masse corporelle, la hauteur de projection, le type de corde utilisée (textile, synthétique, chanvre, autres ?), enfin positionner une chaise suffisamment solide (avouez que ce serait quand même ballot de se rompre les os en grimpant dessus), et faire ecrivain marc villemain artistes david gouny antoine gamard des essais avec ce qu’il a sous la main, édredon, manche de guitare, sac à patates en toile de jute, que sais-je encore. Ce que je veux dire, c’est que celui qui se pend est vraiment résolu à mourir. C’est pas un truc de chochotte. Et moi qui ne suis pas bien doué de mes dix doigts, contrairement à notre BADFINGER, je serais bien foutu de le rater, mon nœud. Heureusement, j’ai plusieurs cordes à mon arc : je trouverai bien autre chose. 74 > 75
  • 39. david gouny 76 > Certains patronymes ne sont pas très flatteurs. Quand on s’appelle « Jambon » (Ham), il est incontestable que c’est bien un jambon qui se pend et se balance au bout d’une corde. La mort pour rire ? 77
  • 40. antoine gamard Un nœud enroulé autour de son cou, il sauta depuis l’escabeau. Crac. Ralenti sur le corps et le visage devenu rouge, tout rouge, avant de virer au bleu. Quant au jaune, c’était un peu plus bas, une réaction incontrôlable mais parfaitement naturelle au cours d’une pendaison. 78 > 79
  • 41. Zone danger où sont où vont les mains trempées dans l’acier guitare d’une vie promise – et mourir, de mise, enfin l’est puisqu’en vain un son un sens sottises que seul l’âge explore à mi-chemin des tentations qui du jardin une brûlure. les harvey stone the crows Leslie « Les » Harvey est né le 13 septembre 1944 à Glasgow (Écosse). Il est décédé le 3 mai 1972 à Swansea, au Pays de Galles, des suites d’une électrocution lors d’un concert à Swansea. Naître n’est jamais qu’une farce électrique le sais-tu l’oublies-tu LES et d’imaginer un sort autre qu’effacement HARVEY dans le puits du jour – retour au venin des sources sources zone danger en partage en servage danger ô zone le sais-tu l’oublies-tu ce chemin parcouru à rebours du courant électrique qu’est la vie et, de mise, mourir exercice à six cordes on ne revient pas n’en sort pas on naît au pire moment de la vie et chaque corde chaque doigt se resserre et fait des nœuds laisse des marques LES au pire moment de la vie HARVEY le sais-tu depuis Glasgow les marais les pierres sur les pierres doigts écorchés à retenir le sang sous la peau il afflue plus fort plus grand puisqu’en vain un son un sens efforts de l’âge entier vaincu les mains LES frappent six fois la corde tendue au-dessus de l’abîme HARVEY l’oublies-tu zone danger oublies-tu la source et son venin qu’on boit à même l’air à même ce qui devient musique et ce au pire moment de la vie celui de naître encore et encore à même le bois des scènes des forêts des temples du bois des doigts crispés le sais-tu HARVEY depuis les tourbes magiques d’Ecosse où ecrivain claro artistes denis meyers mademoiselle maurice ne jamais deux fois mourir zone danger zone ô danger promesse vient le jour sans fond ce puits le sang afflue plus fort tes mains il faut mourir – dans l’antre du Swansea Top Rank quand tu HARVEY entames l’étude instable des molécules zone tourbe et pierre sur pierre aucun temple ne sera construit tu le sais l’oublies le nies. 80 > 81
  • 42. denis meyers 82 > Le mur des consternations de Les Harvey ou une lettre d’excuse géante pour clamer au monde entier le désarroi de partir à cause d’une électrocution forcément stupide. L’électrocution est toujours stupide. Visage paisible. La fin, terrible, peut être le début de la sérénité. 83
  • 43. mademoiselle maurice Paix à son âme. Tu parles. Il ne savait pas qu’il serait une cible facile pour la mort. Sa vie n’avait rien de tragique. Il la vivait à fond mais n’ira pas jusqu’au bout, c’est tout. Pas de messe, juste une scène, des spots, un public, des applaudissements, une dernière fois. 84 > 85
  • 44. J’ai bien connu Jimi Hendrix. Il était punaisé sur le mur de ma chambre. Tête renversée, bandeau dans les cheveux, chemise à fleurs, il aimait une guitare brûlante. Avec Pink Floyd, Hendrix était ma vie. Il y avait le lycée, bien sûr. Et aussi la famille. Mais lui, je l’avais choisi. jimi hendrix James Marshall « Jimi » Hendrix est né le 27 novembre 1942 à Seattle (Washington, États-Unis). Il est décédé le 18 septembre 1970 à Londres, asphyxié des suites d’une intoxication par somnifères. A l’époque, je chantais. Quelques frères lyonnais avaient créé « Free Sound », un groupe de rock comme de l’autre côté des mers. Jacques était au clavier, Philippe à la basse, Victor bousculait la batterie, Gilbert était guitariste. Et moi, je chantais. Les instruments étaient riches, ma voix était pauvre. Surtout, les mots murmurés au micro avaient été barbouillés de yaourt. Ni français, ni anglais, un idiome sirupeux qui mentait aux oreilles. Ne parlant pas d’autre langue, j’avais inventé la mienne. Un jour, à force d’adolescence, j’ai réussi à laisser pousser mes cheveux. Nous étions en 1969, ils touchaient mes oreilles. Un peigne, une glace, j’ai crêpé ce que j’avais sur la tête pour devenir afro. - Tu as fait une coupe à la Hendrix ? m’a dit un copain. Dans le miroir, ce n’était pas ça. Un paquet ridicule, un mouton de poussière sous le canapé. Mais quand même. Une fois le foulard attaché, « Voodoo Child » ou « Purple haze » au plus fort dans la pièce, caressant une Stratocaster imaginaire, j’étais lui. Cassé en deux sur son affiche, Hendrix m’imitait même à la perfection. Ainsi, grâce aux notes de Gilbert et à mes cheveux, j’ai longtemps été James Marshall Hendrix, né à Seattle. Le jour de sa mort, le 18 septembre 1970, j’ai dessiné un bandeau de deuil dans un coin de l’affiche. Mourir à 27 ans ? Je n’avais plus que dix ans à tenir. Un soir d’hiver, mon père est entré dans ma chambre. Et il a arraché le poster. ecrivain sorj chalandon artistes osch invader maykel lima 86 > - Il n’y a pas de chanteurs blancs sur cette terre ? - Plus tard, il collait sur mon mur une affiche de François Deguelt, qui venait de se produire dans la région. Je connaissais une seule de ses chansons : « Le ciel, le soleil et la mer ». Que mon père fredonnait le dimanche, à la lumière morne. - Ces hommes n’étaient pas mes amis. Alors je suis parti… 87
  • 45. osch Jimi Hendrix est un guitariste. Jimi Hendrix est une star. Jimi Hendrix est un saint. Jimi Hendrix est un alien. Jimi Hendrix est afro. Jimi Hendrix est un pharaon. Jimi Hendrix nous regarde. Jimi Hendrix ne veille absolument pas sur nous. Jim Hendrix nous aime. Jimi Hendrix nous emmerde. 88 > invader Lorsque l’on s’approche trop de la star, on ne la voit plus, comme si elle faussait toutes nos perceptions. La star ne peut se contempler que de loin. Plus on l’approche, plus elle devient floue, surtout quand elle est en rublck’s cube. 89
  • 46. maykel lima La célébration débutera à 22h au son de Voodoo Child. L’évangile du jour traitera de la représentation de la femme dans la musique de Jimi Hendrix. La question-débat sera consacrée à la pédale wah-wah. La communion s’effectuera aux amphétamines. Au nom du père, du fils et de Jimi Hendrix. 90 > 91
  • 47. Tu posais souriant sur la pochette du vinyle, feutre à large ruban, costume à rayures fines – pas un faux pli. Tes longs doigts élégants plaquaient sur la Gibson un accord diminué. Déjà, tu avais l’air ailleurs. Ce regard incertain, je l’ignorais alors frappé de cataracte. Je ne peux pas rester en place, le blues s’abat comme robert johnson Robert Leroy Johnson est né le 8 mai 1911 à Hazlehurst (Mississippi, États-Unis). Il est décédé le 16 août 1938 à Greenwood, Mississippi. Les circonstances de sa disparition restent mystérieuses. Pour certains, il aurait été empoisonné par un mari jaloux tandis que pour d’autres, il aurait succombé à une syphilis ou à une pneumonie. une grêle… Johnny Shines disait de toi : « C’était le genre de mec que tu pouvais réveiller n’importe quand, il était prêt à partir. » Quelle veine tu as eu de courir avec lui les bouges du grand Sud, d’Helena jusqu’à Little Rock, de Robinsonville à Greenwood. Ce Shines, pas de doute, avait le sens de la formule : « Robert Johnson était un gars timide, mais du genre qui en imposait ». De Memphis à Norfolk, il y a trente-six heures de route… L’ami Shines s’émerveillait, au soir des longues virées dans le Mississippi à l’arrière d’un pick-up, sur un wagon de marchandises, au long des routes poussiéreuses, de te voir si fringant, sapé comme à la noce. L’homme est un prisonnier, toujours insatisfait...Vingt-neuf morceaux, pas un de plus, gravés dans des chambres d’hôtel. Assez pour laisser une trace. Muddy Waters, Sonny Boy Williamson, Howlin’ Wolf – la plainte à fleur d’âme de ta voix de fausset, les riffs endiablés de ta slide, le rythme lancinant des basses, tant de génie les confondait. On dit que tu jouais le dos tourné aux musiciens, jaloux de tes talents – ou avais-tu vraiment quelque sombre secret à leur dissimuler ? Moi et le Démon, on marche côte à côte… On connaît la légende, l’ombre immense penchée sur toi, avec son long chapeau, la nuit au bord d’un carrefour. Des amantes d’un soir ont juré t’avoir vu caresser ta guitare en contemplant la lune, penché à leur fenêtre. Hellhound on my trail… Quand on ecrivain david fauquemberg artistes shaka sd karoë est poursuivi par les chiens de l’enfer, on ne s’arrête pas le soir au lieu-dit des Trois-Fourches. C’est là que tu es mort, empoisonné dit-on par le tenancier d’un juke joint, jaloux des regards éperdus de sa femme. Rentre dans ma cuisine, dehors il va pleuvoir… Au registre des causes, ton certificat de décès énonce : « No Doctor ». 92 > 93
  • 48. sd karoë Les guitares dont il jouait créaient des sons que nul n’avait jamais entendus. Certains prétendaient que Robert Johnson ne jouait pas, il se contentait de faire résonner les battements de son cœur. D’autres disaient que c’était la musique du Diable. 94 > 95
  • 49. shaka Il aimait raconter qu’il s’était endormi à un carrefour quand une brise fraîche l’avait réveillé. Une ombre au long chapeau lui avait pris sa guitare, l’avait accordée et avait joué quelques notes avant de la lui rendre. Depuis ce jour-là Robert Johnson était devenu le plus grand joueur de blues. Mais jamais il ne précisa les conditions de son pacte avec le Diable. 96 > 97
  • 50. Deux mots sur Brian Jones Il y a comme ça des gens dont la vie peut tenir en un seul mot, et le rock’n roll en compte beaucoup : Stratocaster pour Hendrix, Nevermind pour Kurt Cobain, Iguane pour Iggy Pop, New York pour Lou Reed, vairon pour Bowie (alors qu’en fait brian jones the rolling stones Lewis Brian Hopkins Jones est né le 28 février 1942 à Cheltenham (Gloucestershire, Angleterre). Il est décédé le 3 juillet 1969 dans la piscine de sa résidence. L’autopsie révélera qu’il avait pris des amphétamines et de l’alcool. non, mais en rock c’est la légende qui compte), Satan pour Robert Johnson, bermuda pour Angus Young, etc. Pour Brian Jones, il en faut deux : sitar, piscine. Brian Jones, personne ne sait trop quelles chansons on lui doit, on se rappelle juste que c’était le créatif de la bande, l’artiste maudit, l’ange blond foudroyé avec sa coupe de playmobil, le guitariste génial à l’ombre duquel grenouillait le jeune Keith Richards mal dégrossi et super laid. Get off of my cloud, 19th nervous breakdown, Jumpin’ Jack flash, Mother’s litlle helper, Ruby tuesday, Under my thumb, quand même. Qui jouait aussi de la slide guitare, de la harpe, de la trompette, du hautbois, du marimba, du mellotron et en fait d’à peu près tous les instruments, même ceux dont on ne soupçonnait pas l’existence. Entre tous, le sitar symbolise Brian Jones le multi-instrumentiste défoncé parce que de loin ça ressemble à une pipe à crack géante, on sent bien que c’est un truc un peu indien, et en même temps on voit que c’est quand même un genre de guitare, comme le banjo ou la mandoline, mais avec un karma plus hippie. Et surtout, il en joue sur Paint it black, l’une des quatre plus grandes chansons des Stones. 3 juillet 1969, séquence Ophélie : on retrouve le corps de Brian Jones dans sa piscine. ecrivain laurent binet artistes autoreversegraphikart nina mae fowler Sa petite amie accuse le maçon chargé de rénover la maison du Stone. Vingt-cinq ans plus tard, sur son lit de mort, le maçon avoue. Ils s’étaient engueulés, il l’a noyé. Pour lui rendre hommage, Mick Jagger récite du Shelley : «il n’est pas mort, il s’est réveillé du rêve de la vie.» Sitar, Piscine : vie et mort de Brian Jones. 98 > 99
  • 51. autoreverse graphikart 100 > Brian Jones n’est pas un humain, mais une machine conçue à partir d’un assemblage d’organes vivants, de fils, de branchements et de légendes. Brian Jones n’est pas vivant, il est un zombie qui revient d’entre les morts pour jouer quelques notes de guitare, de sitar ou de marimba. 101
  • 52. nina mae fowler 102 > Il a créé le groupe. Il en a choisi les membres. Le nom ? C’est lui. La musique ? Il décidait de tout ce qui était joué. Les concerts, c’est lui aussi qui les trouvait. Il est le groupe. Et maintenant, ils le mettent à l’écart ? Il les voit bien qui complotent. Mick, Keith, vous êtes des salauds. 103
  • 53. Janis… Janis n’avait pas de nom. Elle n’en avait pas besoin. Tout le monde savait qui elle était. Comme Elvis ou Buddy. Comme quand on disait John ou Paul, il n’y avait aucune confusion possible. Ils ne sont pas si nombreux les intimes qu’on n’appelle que par leur prénom. Elle, c’était une amie, une vraie, le genre qui ne te trahira jamais, elle faisait partie de la famille. janis joplin Janis Lyn Joplin est née le 19 janvier 1943 à Port Arthur (Texas, États-Unis). Elle est décédée le 4 octobre 1970 à Los Angeles des suites d’une surdose d’héroïne. Janis, c’était un ovni musical. Elle s’était placée d’emblée sur le même piédestal que les plus grands. Personne ne l’avait vu venir et, quelques secondes après avoir entendu Piece of my heart, c’était une évidence, on vivrait toute notre vie ensemble. Elle nous avait foutu une telle trouille avec sa voix rocailleuse et chaude, capable de loopings insensés, de miauler et de rugir, de s’envoler si haut, si loin et de nous faire chavirer d’extase. Avant elle, aucune femme n’avait chanté du rock ; surtout, aucune n’avait été admise comme une chanteuse de rock. Certains disaient qu’elle chantait du blues. C’était vrai aussi. Elle passait de l’un à l’autre comme une funambule. Mais il y avait quelque chose en plus de sa voix phénoménale, quelque chose de charnel, de sensuel même. Oui, c’est ça, elle nous parlait d’amour, à chaque instant, et des souffrances de sa vie. Même si on ne comprenait pas ce qu’elle chantait, on le sentait, cette musique était passionnelle. Ça ne s’expliquait pas, on la vivait comme une révolte amoureuse. Cette vibration se logeait dans la colonne vertébrale, ce volcan musical nous emportait à chaque chanson. Dans ce maelstrom, il n’y avait ni calcul, ni arrière-pensée. Son excentricité n’était pas une posture mais ce qu’elle vivait si intensément et qui nous bouleversait tant parce qu’on s’y reconnaissait. Janis ne jouait pas, elle était. Ce qui nous touchait chez Janis, c’est, finalement, ce qu’on ne connaissait pas d’elle (et qu’on a appris seulement plus tard), ce qu’on devinait seulement dans ce frisson qu’elle nous filait, dans cette incroyable humanité qui la rendait si proche, une voix magique qui révélait sa ecrivain jean-michel guenassia artistes frank fischer moolinex vulnérabilité et ses excès qui la brûlaient. Elle, c’était une femme qui donnait tout, prenait tous les risques, se permettait toutes les folies, comme si chaque concert devait être le dernier, comme si elle était, à chaque chanson, obligée d’atteindre la note parfaite et de vibrer avec une intensité et une puissance uniques. A peine était-elle apparue qu’elle avait disparu, c’était il y a longtemps, une infinie tristesse, mais on savait déjà qu’elle ne nous quitterait jamais. 104 > 105
  • 54. frank fischer La célèbre pochette de l’album « Pearl » de Janis Joplin est détournée de façon abstraite et réinterprétée en lignes de couleur. Si vous aimez Janis Joplin, vous voyez dans ces lignes la chanteuse dans une pose langoureuse sur un sofa, avec sa jupe rouge et son boa rose, et son sourire, son sourire, oh, son sourire. 106 > 107
  • 55. moolinex Mais qu’est-ce que je fais là ? Le paradis ? Ce n’est pas pour moi, quel enfer ! 108 > 109
  • 56. Under the boardwalk – 21 mai 1962 Et nous chantons. C’est ça, le pire – nous chantons. La voix de Johnny emplit le studio. Elle évoque un soleil éclatant, un soleil qui brûle le goudron. Elle fait naître une histoire, l’océan, la plage, la promenade, l’amour pour rudy lewis the drifters Né le 23 août 1936 à Philadelphia (Pennsylvanie, États-Unis). Il est décédé à New York le 20 mai 1964 dans une chambre d’hôtel à Harlem probablement d’une overdose. cette fille à nos côtés. Je m’entends. C’est ça le pire – je m’entends. Je m’entends susurrer de cette voix de crooner, de cette voix qui a été ma planche de salut, de cette voix qui s’est élevée dans les églises, sur les routes, sur les plateaux de télévision, je m’entends susurrer sous la passerelle, sous la passerelle, sous la passerelle. Devant mes yeux, il y a Rudy. Son corps, son rire, son regard perdu. Il y a aussi les images que je n’ai pas vues. Celles qu’on m’a décrites. Son cadavre dans la chambre d’hôtel. La seringue. La moquette tachée. 27 ans. Seigneur. 27 ans. Mes yeux s’embuent mais il faut continuer à chanter. Parce que le studio a été réservé il y a longtemps déjà. Parce qu’il coûte cher. Parce que la maison de disques ne veut pas revenir là-dessus. Parce qu’il faut célébrer la vie. Parce qu’il faut continuer à manger, boire, pisser, aimer. Tout a été décidé en quelques heures. Johnny prendrait la place de Rudy, ce qu’il faisait déjà parfois. Et la chanson existerait. Une chanson d’été. Une chanson gaie. Une chanson d’amour. Rudy est mort d’une overdose hier soir et aujourd’hui, nous sommes en studio. Nous chantons. C’est atroce. Je savais, pour les hommes. Ceux que Rudy voyait en cachette. Je n’ai jamais rien dit. ecrivain jean-philippe blondel artiste niark 1 Noir. Pédé. Héroïnomane. Décédé. Manquant. Les souvenirs remontent. Nous, sur un toit, à Brooklyn. Nous, en train d’écouter Le Révérend. Ses yeux. Sa bouche. Et tandis que la voix de Johnny s’envole, je me fonds dans les chœurs, je répète sous la passerelle, sous la passerelle, sous la passerelle. Quand le morceau se termine, je n’ai qu’une envie- être dans 10, 20, 50 ans – et ne plus me souvenir de rien. 110 > 111
  • 57. niark 1 112 > Oh no. Hope. Qu’est-ce qui le torturait comme ça ? Son addiction à la drogue ? Sa sexualité ? Ou bien le succès ? Est-ce que c’était son conflit avec l’église? Avec le gospel ? Il était esclave de tout se qui se passait dans sa tête. La drogue tue. No Hope, sauf dans la tête. 113
  • 58. Les 27 propositions du nombre 27 - Jim Morrison est décédé à 27 ans. - La Révélation Divine inscrite sur rouleaux grâce aux 27 signes de l’alphabet hébreu. - 27 est la longueur du coudée « mir » ayant servi à construire la pyramide Khéops. ron “ pigpen” MCKERNAN grateful dead Ronald C. « Pigpen » McKernan est né le 8 septembre 1945 à San Bruno (Californie, États-Unis). Il est décédé le 8 mars 1973 d’une hémorragie digestive dans sa maison de Corte Madera en Californie. - Pour Saint Matthieu, 27 est le nombre de générations de David au Christ. - 27 Maîtres ont poursuivi les meurtriers d’Hiram. - Jésus a dicté 27 phrases latines à Madeleine qui pourtant ne connaissait pas le latin. - À 27 ans, d’après les visions de Marie d’Agréda, Jésus préluda à son évangélisation. - Kurt Cobain est décédé à 27 ans. - L’astrologie hindoue étudie 27 maisons lunaires. - 27 est le nombre de lettres de l’alphabet espagnol. - Le Nouveau Testament de la Bible de Jérusalem est composé de 27 livres. - Nostradamus pensait que la guerre menée par l’Antéchrist durerait 27 ans. - Au XVIe siècle, le tribunal de la Sainte Inquisition posait 27 questions aux sorcières. - L’alphabet grec primitif comportait 27 lettres. - Janis Joplin est décédée à 27 ans. - Pour les Indiens, le dieu Soma était accompagné de 27 femmes. - Pour Allendy, 27 incarne l’évolution tendant à unifier la dualité. - La Mâdhyamaka-Kârikâ de Nâgârjuna se compose de 27 courts chapitres. - 27 indique la lumière des ténèbres pour Alfred Weysen. - 27 est le nombre de l’Esprit Saint pour Abellio. - Jakob Boehme appelle ce nombre « la mort ». ecrivain harold cobert artistes beb-deum kashink - Amy Winehouse est décédée à 27 ans. - Le 27e et dernier livre du Nouveau Testament est l’Apocalypse de Jean. - La Saint Jean, apôtre du Christ, est le 27 décembre. - 27 est la trinité au cube, soit la trinité élevée à sa propre puissance. - 27 est la date fatidique où sont morts de grands artistes. - Ron Pigpen McKernan des Grateful Dead est décédé le 8 mars 1973 à l’âge de 27 ans. 114 > 115
  • 59. beb-deum Il se souvient d’une de ses plus ferventes groupies, qui s’était fait tatouer son visage sur sa poitrine. Elle se souvient avec nostalgie des bons moments vécus avec sa musique. Elle vieillit, lui est définitivement jeune. 116 > 117
  • 60. kashink Final nul, saloperie d’alcool. Sur sa tombe est inscrit “Ronald C. McKernan 1945–1973 “Pigpen” était, est et restera pour toujours un des Grateful Dead”. Ron, membre actif du mouvement psychédélique. Vive les couleurs de la vie. 118 > 119
  • 61. En voiture, un père jacob miller inner circle Né le 4 mai 1955 à Mandeville (Jamaïque). Il est décédé le 23 mars 1980 dans un accident de voiture alors qu’il se rendait au studio Tuff Gong, à Kingston. tend un morceau de canne à sucre à l’enfant assis à l’arrière, percute un poteau téléphonique ; meurt. Fait-il grégoire delacourt de yoh nagao son graphic surgery fils ecrivain artistes un parricide ? 120 > 121
  • 62. yoh nagao Il garde la fumée dans ses poumons jusqu’à ce qu’elle le brûle, puis il la recrache. Et la recrache et la recrache. Elle n’en finit plus de s’échapper de sa bouche, comme s’il était une cheminée ou une espèce machine à produire de la fumée. Il est sans doute temps de monter sur scène. 122 > 123
  • 63. graphic surgery S’il avait eu une ceinture. Mais il n’y en a pas dans sa voiture. Il n’est pas ce genre d’homme qui attache sa ceinture. Oh non, surtout pas. Il est beaucoup plus libre que ça. Le pylône, lui aussi, est libre. Coup d’arrêt brutal. Trajectoire brisée. Lignes brisées. Vie brisée. 124 > 125
  • 64. Soit 27 lignes découpées dans « La nébuleuse du crabe », de William S. Burroughs, in Nova Express Ils n’ont pas ce qu’ils appellent « l’oxygène de l’émotion » dans l’atmosphère. Une structure conique de métal iridescent chatoyant de lumière. damien morris the red shore Né le 22 mai 1980 en Australie. Il est décédé en 2007 dans un accident de bus près de Coffs Harbour (Australie), alors qu’il se rendait avec son groupe à Sydney pour un concert. Une musique pareille au vent dans de fins câbles métalliques apportant une once de soulagement. Des feuilles transparentes avec des trous virus comme des cartes perforées glissées dans l’hôte de la machine molle. Vous avez inversé le temps pendant dix minutes effacé de la bande les formules électromagnétiques. Vous remarquez que quelque chose suce tout le parfum de la nourriture. Ils vivent sous l’eau dans le corps avec une ligne aérienne. Incapables de fournir d’autres informations hormis le vent s’avançant dans une montagnes de déchets jusqu’au ciel. Secouez la poignée — cet hôpital fondu dans l’air. Difficile de distinguer des cartes survenues au niveau verbal. Qu’a dit déjà le vieil homme à propos des poux ? Là où les nains sexuels attendrissent les trous érogènes. Le chef a été invariablement aspiré par la gravité de grands singes non régénérés. Oui il est très facile de prédire ce que les gens vont penser voir sentir et entendre ecrivain laird hunt artistes antoine gamard dhm-hugo mulder d’ici mille ans. Une centaine ou un millier de photos bleues bruissent tandis que la machine joue du blues. « Nova – Nova – Nova », hurlent les nains de la mort. Légère surdose de laideur peur et haine. Le médium où respire la vie animale. Sur un coron de métal encore chaud. 126 > Traduction : Claro 127
  • 65. antoine gamard Et le sang de Damien Morris coule sur le siège du car, se déverse par la fenêtre, goutte le long de la tôle, se répand sur le bitume, ruisselle sur toute la Pacific Highway et se déverse dans l’océan, créant ainsi un rivage rouge, The Red Shore, comme le nom de son groupe. 128 > 129
  • 66. dhm-hugo mulder La mort sourit à Damien. Lui qui chante dans un groupe de Death Metal. Non, la mort n’attendra pas qu’il devienne vieux. Elle préfère qu’il la rejoigne le plus vite possible, pour lui chanter des berceuses, le soir, au coin du feu. 130 > 131
  • 67. Babylon Blues : Un fragment Je l’ai rencontrée au magasin de bricolage de Oak Street, où elle regardait la pile de planches de contreplaqué qui diminuait. J’avais une voiture, elle avait le dernier marteau, on a passé un marché. Une fois sa bicoque de Bywater condamnée, on est allé au Vieux Carré. Dans mon appartement, au premier étage, nous allions sûrement survivre à la tempête. jim morrison the doors Né le 8 décembre 1943 à Melbourne (Floride, États-Unis). Il est décédé le 3 juillet 1971 à Paris. L’absence d’autopsie a donné lieu à de nombreuses spéculations même si la cause officielle est une crise cardiaque. Elle explose de rire en voyant mon ordinateur portable ouvert à une page où on explique comment se préparer en cas d’ouragan. Elle va dans la salle de bains, regarde la baignoire, remplie à ras bord. Eh merde, dit-elle. Au diable l’eau potable. On se calme. On y va. On s’y glisse. La déesse se déshabille ; la déesse me prend par la main ; la déesse me guide – dans la baignoire, dans l’eau, sous la surface soyeuse de son cœur. L’éclat vert du cadran de la radio : unique lumière dans la pièce. Ses yeux dans les miens ; sa main dans la mienne ; sa vie sur mes lèvres. Et maintenant la pluie sur les planches. Aucune hésitation dans cette pluie ; grosses gouttes rondes. Le grondement du tonnerre. Ou est-ce la radio ? Girl you gotta love your man. Un murmure dans mon oreille. Un écho. Pas le murmure d’un fantôme : le murmure d’une divinité, un démiurge se retirant de la création, un tout dernier conseil sur les lèvres. Girl you gotta love your man. La radio meurt. Juste elle et moi, donc. Elle et moi dans le noir. D’où vient cette ultime lueur dans son œil ? Quelle lumière ? Quel nez piquant de soufre ? Sa main fraîche sur mon front. Comme un baume. Sa main fraîche, sa pression. Douce. Sa pression. Douce. M’enfonçant sous l’eau. Tu veux savoir ? demande-t-elle. Profondément, intensément, intimement, ecrivain paul verhaeghen artistes invader rero blek le rat irrévérencieusement savoir ? Ses mots me parviennent, mais comment ? Comment refuser ses enseignements ? J’acquiesce. Ne bouge plus, dit-elle, et tu sauras. Je n’ai plus la force d’acquiescer. Mais de l’eau montent les bulles, éphémère épigramme : « Je t’ai aimé du jour où je t’ai vu. » Girl you gotta love your man. Traduction : Claro 132 > 133
  • 68. invader Ceux qui s’approchent trop de lui ne le voient plus. Pour qu’il se révèle à eux, il leur faut s’éloigner. Mais plus ils reculent, moins il est distinct. Ils n’ont qu’à le prier. Après tout, ils le prenaient bien pour un dieu. 134 > 135
  • 69. rero C’est la fin. C’est bientôt la fin. Dès que toutes les lettres seront noircies, Jim Morrison tirera sa révérence. Comment ? On ne le sait pas. Trois petits points pour un grand mystère. C’est la fin, mais pas tout à fait. Elle se barre, elle est barrée. Il y aura une autre vie après la vie. Le mythe Jim Morrisson. 136 > 137
  • 70. blek le rat Hommage-clin d’œil à Apocalypse Now de Francis Ford Coppola. Quand le héros du film, Willard, va à la rencontre de son principal fantôme, le capitaine Kurtz, pour le tuer, The End devient la bande-son d’une véritable psychothérapie. 138 > 139
  • 71. Des jours que je me répète ceci : d’abord Kurt, puis moi. Mon tour arrive. Kurt atteint ce chiffre magique, on organise une petite fête d’anniversaire pour lui et le peu qu’il lui reste de vie s’écoule lentement. Pas si lentement, en fait : ça prend juste quelques semaines, quelques jours, quelques heures. L’impression que son anniversaire n’est même pas fini kristen pfaff hole Kristen Marie Pfaff est née le 26 mai 1967 à Buffalo (New-York, États-Unis). Elle est décédée le 15 juin 1994 à Seattle des suites d’une « intoxication aiguë aux opiacés ». que déjà ils essaient de maintenir sa tête brisée avec des pinces à linge. Bon, bref. Me voici, à peine sorti de détox, et le voilà, lui, allongé sur le bloc. C’est une évidence que je devrais chasser pour passer à autre chose ? Vous rigolez. Peut-être que j’aurais dû partir le premier, pas le second, mais quelque chose a mal tourné. Puis je comprends : non, je ne pouvais pas partir avant d’avoir atteint le chiffre magique. Comme lui. Du coup, je dois regarder les heures s’égrener et ma fin approcher, ce même chiffre magique qui me rattrape. Et essayer de me faire croire à moi-même que je vais lui survivre. Il faudrait que je retourne à Minneapolis. Là-bas, je devrais pouvoir m’en sortir. Ou à Buffalo. Bon, d’accord, pas à Buffalo. Le premier type qu’on a envoyé sur la chaise électrique, il était de Buffalo, et cette ville en a fait son principal titre de gloire. Son orgueil. Mais Minneapolis, ouais, c’est sûr, je pourrais réessayer. Je ne sais pas comment ça m’arrivera. Pas comme pour lui, ça c’est clair : moi je ne touche pas à tout ce qui se charge. Et je ne parle pas que des flingues. Mais il y a ça, aussi : l’anniversaire approche et même si j’ai pas rechuté depuis des jours, voire des semaines – comment savoir ? – je ne pense qu’à ça : prendre ma dose. Un petit cadeau d’anniv pour ma pomme. Un jour après l’autre, qu’ils disent. Ça serait parfait si la vie se résumait à une journée. Mais ce sont toutes ces autres journées qui posent problème. ecrivain brian evenson artistes maykel lima seize happywallmaker Respirer à fond. L’astuce, c’est d’arriver jusqu’au point où tu vois la mort qui te regarde, puis qui te frôle en allant niquer quelqu’un d’autre. Juste cette fois, une petite gâterie, puis rester clean de nouveau. Juste quelques heures hors sentier, puis de nouveau en piste. Ouais, c’est ça. Accroche-toi c’est parti. Traduction : Claro 140 > 141
  • 72. maykel lima Murs, lit de la chambre de l’appartement, disparus. Vêtements, disparus. Basse, disparue. La drogue fait tout disparaître, même Kristen. Mais elle est là. Un fantôme, un souvenir. 142 > 143
  • 73. seize happywallmaker Elle voulait tout reprendre à zéro. Un nouveau départ. Mais elle n’arrivait à se concentrer sur rien, à cause de cette tentation. Qui prenait de plus en plus de place. Qui lui accaparait tout l’esprit. Mais qui lui procurerait un bien fou. Et qui l’empêcherait de tout reprendre à zéro. 144 > 145
  • 74. On croit que la mort c’est le silence la douceur l’harmonie les nuages ouatés Dieu en toge et des angelots à harpes dorées. On croit qu’il y a la plénitude, la fin du corps et de la souffrance. Au pire, on ne croit pas à tout cela et on pense qu’il n’y a rien, juste l’effacement, gary thain URIAH HEEP Né le 15 mai 1948 à Christchurch (NouvelleZélande). Il est décédé le 8 décembre 1975 à Londres, d’une overdose d’héroïne. l’évanouissement d’une vie entière, un électrocardiogramme plat, un cœur qui stoppe net, un cerveau qui grille : le poison qui dévore tout. Et pourtant. La chose la plus dingue, c’est le larsen et le bordel, les deux ensemble, comme si le son, immanquablement, convoquait le désordre. C’est le cerveau qui bout et les blessures qui saignent encore, c’est la mémoire de la souffrance qui vous revient d’un coup, en pleine gueule comme une mauvaise gifle. C’est le capharnaüm et la tronche de Morrison, bouffi et barbu, trop moulé dans son pantalon de cuir, sa main molle dans la mienne et l’odeur de mauvais alcool. Il parle d’Alabama Song, puis de Brecht, il est confus, il sourit. Il s’en fout. C’est le visage d’Hendrix, pâle et effacé comme le Christ sur le Saint-Suaire de Turin, étourdi de fumée et de musique, accroché à sa guitare électrique, évanescent. C’est Janis Joplin dans une Mercedes décapotable rutilante, le sourire aux oreilles, la voix de rocaille et les cheveux fous, hirsute et déguenillée, si vieille soudain, et c’est ce qu’elle dit à qui veut bien l’entendre, qu’elle a toujours fait plus vieille que son âge, et il faut avouer qu’elle n’a pas tort mais qu’elle n’est pas la seule, tous nous faisons plus vieux que notre âge, tous nous avons l’air ecrivain elsa flageul triste des vieux enfants, ceux qui connaissent l’amertume des rêves brisés, tous ludo nous avons la dégaine des adolescents qui ne veulent pas grandir, ceux qui artiste dans la fragilité voient la brisure, dans la jeunesse la nudité et dans la musique le divin. On ne devrait jamais mourir. On ne devrait jamais rencontrer ses idoles. 146 > 147
  • 75. ludo Il planta l’aiguille dans sa veine, pressa la seringue pour s’envoyer cette dose fatale qui avait quelque chose d’un doigt d’honneur, un fuck you à la vie. Pour la première fois de sa vie, Gary Thain goûtait à l’héroïne. 148 > 149
  • 76. La photo la plus connue de Jeremy Michael Ward est une photo méconnue D’un garçon plus discret encore Seul et notoirement paumé Devant un dispositif électronique vibrant d’une complexité haineuse jeremy michael ward the mars volta / de facto Né le 5 mai 1976 à Fort Worth (Texas, États-Unis). Il est décédé le 25 mai 2003 à Los Angeles d’une overdose d’héroïne. Mais pas tout à fait autant si l’avis d’un fantôme Vous intéresse que la musique Idiote sublime Et sauvage lâchée par ses frères affamés du Texas Ni que sa vie bizarre tyrannisée par la dope et Hantée par des ombres infoutues comme c’est souvent le cas dans l’Ouest De présenter des papiers en règle. Un jour sur la banquette arrière d’une voiture Jeremy tomba sur le journal d’un homme Qui lui ressemblait Qui est toujours en vie suppose-t-on mais n’a rien appris et ne lira jamais ces lignes Un homme dont la guimbarde avait été confisquée par le défunt en personne Et comme lui avait été lâché en pleine torpeur et cherchait ses parents ou Quelque sens qu’on puisse – guitares ou non – donner à l’existence Mais Jeremy fouina trop pas assez plutôt mal en tout cas et Un dimanche californien pourri oublia d’ouvrir les yeux Ce qui fait que la musique fut enregistrée sans lui Que les paroles s’écrivirent sans lui (Elles parlaient d’héroïne elles aussi, de naissance, d’hallucinations) ecrivain fabrice colin artiste jana & js Que l’album se vendit sans lui à des centaines de milliers d’exemplaires Et qu’un nombre dramatiquement restreint de grandes filles pleurèrent son minois d’ange Et sa chemise sombre serrée de maudit aux abois Et moins encore se souvinrent que Jeremy Michael Ward faisait d’un rien une histoire Et d’une histoire un cri d’enfant habillé d’échardes. 150 > 151
  • 77. jana & js Il créait des “soundscapes’’. Il assemblait des sons pour créer les environnements ou les ambiances sonores qui habillaient la musique. Il fragmentait les sons comme il fragmentait son existence à coups de drogues. Il disparaît de la vie, il disparait de la ville. 152 > 153
  • 78. Esprit Frappeur C’est lui qui tenait à la tête de cerf mort. Il s’était agrippé à l’idée comme si c’était sa meilleure joke. Je n’étais pas pour- glauque à crever. La perspective de buter un animal médaillé de branches m’apparaissait aussi épanouissant que chanter seul devant un tapis denis wielemans girls in hawaï / hallo kosmo Né le 9 octobre 1982 en Belgique. Il est décédé le 30 mai 2010, dans un accident de voiture à Bruxelles. de veaux abrutis à la Jupiler. Il a dit allez Tonio, mort, il aura juste l’air de dormir ; ce sera mignon. Andy et Daniel se sont marrés ; ça faisait comme des pies qui rotent. Et puis les autres ont suivi. Alors on a voulu shooter le cerf mais la ferme a pris feu. Aussi simple et bizarroïde que dans les cauchemars qu’il faisait quasi chaque nuit quand on était enfants. Toujours entre 4h et 5h30, il attrapait son duvet pour monter sa cellule post-traumatique au fond de la baignoire. Je m’asseyais sur le bidet au bout de lui pour l’écouter repeindre sa vignette dark et espérantiste avant de se rendormir. Ça m’a toujours semblé désaccordé ce mec si joyeux que c’en est énervant- sans drogue et tout le temps- qui soit chamboulé par tous ces mauvais rêves. Autant vous dire qu’alors que nous tous sombrions, il s’est tout de suite senti chez lui dans les Ardennes. Il n’arrêtait pas, mort de rire, de répéter cette ferme va finir par brûler. Il frappait, tabassait, abrutissait ses fûts : cette ferme va finir par cramer. Merde, on a oublié le cerf à l’intérieur. On l’a laissé dormir debout sur le tapis du salon. Ça l’a fait décoller ce cerf endormi au beau milieu de tout qui se consume. Il s’est mis à vouloir sa peau tendue sur ses toms pour retrouver le son des chinois. Il parlait. Je n’entendais plus rien. De loin, il avait l’air de claquer des dents ou de mâchouiller un épi de maïs invisible pour des gens comme moi. Le dernier truc qui m’est arrivé aux oreilles, c’est qu’il aurait peut-être préféré que ce soit le coq du drapeau qui brûle, cet affreux coq qui nous servait d’emblème. Même les français n’ont pas osé le coller ecrivain aude walker artiste oli-b sur leur drapeau. Mike lui disait, frappe, cogne, esprit frappeur. Denis frappait tant et tant que la sueur ruisselait et faisait comme de l’huile sous la pluie. Et la pluie qui n’éteignait rien. Pourtant, j’ai toujours cru que si elle nous poursuivait depuis tout ce temps ce n’était pas pour rien. Bêtement, je croyais que ce linceul humide qui creuse les os était là pour éteindre le feu. Quand ça s’est arrêté, on a retrouvé la tête du cerf, les yeux ouverts. Il avait bien l’air de dormir. 154 > 155
  • 79. oli-b Finir sur un feu de signalisation est tragique. Mais finir en ayant été le batteur d’un groupe qui s’appelait Girls in Hawaï, composé uniquement de garçons laisse le souvenir de moments joyeux. Denis était le “déconneur’’ de la bande. Envole-toi ! 156 > 157
  • 80. Le fait que je n’ai jamais vu grand-chose dans la musique. Sans doute mes yeux ne fonctionnaient-ils pas très bien. Peut-être avais-je besoin de voir des sons, et de ne voir que cela. Jusqu’à ce que je voie les arbres. Jusqu’à ce que je voie les séquoias. Là-bas, sur les rives occidentales de la Sierra Nevada. Les rivières, les vallées, les bois, la mer, le littoral, les alan wilson canned heat Né le 4 juillet 1943 à Boston (Massachusetts, États-Unis). Il est décédé le 3 septembre 1970 à Los Angeles. Dépressif, il succombe à une overdose de barbituriques. rochers, les falaises, les arbres. Ils sont tous pareils. Présents de toute éternité, ils le seront encore quand vous aurez tous disparu. Ils n’ont pas changé. Nous, si. Nous avons changé trop vite, trop furieusement, nous comportant tels des enfants turbulents avec des feux d’artifice. Il semblerait que nous ayons eu à cœur de les faire exploser tous en même temps, sans jamais penser aux conséquences. Ça s’est passé exactement comme je m’y attendais. Et maintenant, sommes-nous désolés ? Peut-être quelques-uns, ceux qui ont une petite voix et de petites mains… mais les grandes gueules, les mains avides, ceux pour qui seul compte l’iciet-maintenant, ceux-là continuent de croire que l’homme est en concurrence avec la Nature, et qu’il peut gagner. Je regarde tout ça depuis le haut des gradins, et je ris. Bien sûr, on pensait qu’avec l’amour on pourrait tout changer. On pensait que l’amour était plus puissant que les balles, les bombes et les hélicoptères de combat, plus puissant que l’Agent orange et le napalm. Plus puissant que Canned Heat – le feu en boîte. On croyait à Woodstock et Monterey et Haight-Ashbury. On pensait qu’en croyant suffisamment en soi tout serait sûr de bien se terminer. Mais ça n’a pas été le cas. Il y a eu un jour où j’en ai eu ras le bol. Je devais me barrer. Et me barrer pour de bon. Vous savez, si chaque année de ma vie était une heure de la vôtre, vous seriez morts demain. ecrivain rj ellory artiste c215-christian guémy Réfléchissez-y une seconde. Du 4 juillet 1943, Boston, Massachusetts 3 septembre 1970, Topanga Canyon, Californie. C’était plié. C’est passé en un éclair. Mais quel éclat, n’est-ce pas ? Un éclat tel que même moi je l’ai vu. Un endroit où je n’étais encore jamais allé. Vous savez, l’eau a vraiment le goût de vin, et je ne dessoûle jamais. Traduction : Claro 158 > 159
  • 81. c215-christian guémy On le surnommait ‘’The Blind Owl’’-la chouette aveugle- parce qu’il n’y voyait rien. Mais peu importe ses yeux, il chantait, ce qui comptait c’était la voix, le timbre timide, étouffé. Vous n’aviez jamais entendu chanter comme ça, oh non. Alan Wilson ou la voix d’une grande époque psychédélique ? 160 > 161
  • 82. J’aurais aimé être elle, tout comme elle, Amy Winehouse, mais je ne suis pas mort à vingt-sept ans ; à vingt-sept ans j’écrivais mon premier roman, refusé, pour moi cela commençait ; mais elle avait déjà fini. J’aurais aimé comme elle être dessin vivant, puzzle de fétiches, bouche visible, seins amy winehouse Amy Jade Winehouse est née à Londres (Angleterre) le 14 septembre 1983. Elle est décédée le 23 juillet 2011 à Londres des suites d’une overdose d’alcool. remontés, chevelure d’encre au pinceau, d’un pinceau vigoureux de mangaka, fesses serrées dans la jupe crayon, virgules noires étonnées sur les yeux, et chanter ; et me foutre de ce que l’on voit, car on entend. Mais je ne chante pas et tout cela que je montrerais ne servirait à rien, me desservirait, ne tiendrait pas. J’aurais aimé, comme son corps de dessin redessiné de volutes sur sa peau blanche, vivre dans cet espace au-delà du corps qui est celui des signes, et de la musique, et chanter, car tout cet assemblage de détails de la féminité, qui n’existe pas à l’état naturel, ne s’assemble et ne tient que par la musique. Mais je ne chante pas. J’aurais aimé comme elle chanter cette musique là, cette musique qui ondule avec force et lenteur, où sa voix de caoutchouc noir rebondit avec vigueur entre des raquettes de cuivres à l’unisson, et ce rythme souple ininterrompu, de la chute et de l’envol, étreint le cœur et ne s’arrête pas. La dépression l’accable, l’alcool la rétablit, et ainsi de suite, le rythme en est celui de son âme troublée, et celui-là même de cette musique qu’elle chante. Tant que l’on joue, tant que tu chantes, le cœur ne s’arrête pas. Mais je ne suis pas mort, et je ne chante pas. Mon âme est sans musique. J’aurais aimé chanter comme elle, apparaître comme elle, tout comme elle. Mais je ne peux pas, je ne suis pas mort et je ne chante pas, cela ne me servirait de rien de me montrer ainsi, alors je fais autre chose. ecrivain alexis jenni artistes graphic surgery johnnychrist A vingt-sept ans alors qu’elle mourait, j’écrivais mon premier roman, cela était mon début, l’année de sa fin. Il faut bien que quelqu’un reste pour dire ce qu’il a vu et entendu ; il faut bien qu’il en reste un, après, pour tout raconter. Raconter sa vie bien pleine à elle, Amy Winehouse, morte à vingt-sept ans après avoir chanté comme personne. 162 > 163
  • 83. graphic surgery Elle s’était prise au piège de son histoire. Enfermée à jouer un rôle trop souvent explosif. Mais elle ne jouait pas. Elle était comme ça. Pour de vrai. Elle savait y faire pour attirer l’attention. Et même quand elle ne le voulait pas, les choses se passaient comme ça. Elle était devenue sa propre créature. 164 > 165
  • 84. johnnychrist Amy s’oublie chez Dionysos. Oublie le passé. Oublie le succès. Oublie tout, vit dans un mirage pour ne pas vivre de futur. Suicide lent, délibéré, stupide. Ça, ce n’est pas un mirage. Tiens en voilà un vrai Mirage, dernier gag pathétique. 166 > 167
  • 85. Je me rappelle que this place was stinky and dirty and divey Et plus encore grungey, coupe ma peau, ça me rend humaine Sifflant à l’agonie, tandis que tu te tords, je respire encore, comme Une de ces saucisses accablées sur le grill du Hot Dog Stand, juste en face du Comet Tavern où nous étions attablés comme mia zapatA the gits Née le 25 août 1965 à Louisville (Kentucky, États-Unis). Elle a été violée puis assassinée par étranglement à la sortie d’un bar le 7 juillet 1993 à Seattle. Mourir finalement, je peux en témoigner, tout finit par mourir mais Entre le dernier souffle et l’avant-dernier, c’est parfois compliqué Zarbi et pathétique sont dans un bateau, frêle embarcation sans dessein Qui coule à pic et m’emporte au ralenti comme dans Un de ces films de genre mauvais qu’autrefois j’aimais regarder Ignorante des douleurs tristes, des passions froides, moi tout ce que je voulais Au milieu des gars du crew, ce soir-là, c’était boire – des coups – et rire et fumer, trop K comme rocK’n roll, nos cheveux puent la bière et je hurle, étrangle le micro Indocile, imperméable au calme, je veux du bruit et que ma voix dégorge sur La scène – où je suis reine – des riffs de métal comme les Lames désaccordées d’une symphonie en scies sauteuses Emportée par des rafales de batterie, basses de titan Rageuses, tous les quatre, nous étions comme une seule balle Au milieu du soir, j’ai failli vomir, la gorge toujours Nauséeuse ad lib, on bouge Mia, tu nous suis Dans la nuit ? Je dis plus tard, les gars, ne vous en faites pas pour moi Agonie ensuite dans ce parking dans la ruelle, ça va durer, trop ecrivain manuel candré artistes mademoiselle maurice lim si ping - pixel pastry 168 > Râles qui n’en finissent plus, je l’ai pas vue surgir, dans mon dos Avec le cordon de mon Sweat « The Gits » en plus, ce fils de porc Pour me rendre molle et lui dur, il m’annihile, il me force Etranglée, déchirée, tabassée, Réduite au point que... tout finit par mourir mais ça je l’ai déjà fait. 169
  • 86. mademoiselle maurice Son violeur, son meurtrier a été retrouvé. Mia est morte dix ans après. Ses chansons passent toujours dans la sono, Mia est vivante. Le violeur, le meurtrier s’est enfui. Mia n’a pas fini sa chanson. Elle est née dans le Kentucky. A la sortie d’un bar. Le grunge est né à Seattle. A 27 ans. She is. 170 > 171
  • 87. lim si ping - pixel pastry Elle était un trophée. Il l’avait gagné, oui. Il aurait pu l’accrocher à son mur s’il ne l’avait pas laissé traîner dans une rue, son corps battu, étranglé, violé. C’est tout de même cocasse qu’elle soit devenue mythique à cause d’un type prénommé Jésus. 172 > 173