1. grand reportage taïwan
Formose
s’est inventé une drôle
d’aborigène éthique
Tel un village d’irréductibles Gaulois, l’île de Formose,
alias Taïwan, continue de défier la Chine, sa voisine.
Toute petite, la « belle île » joue les fières. C’est qu’elle
en a les moyens. Taïwan est riche, belle, mystérieuse
même. Cachés dans ses montagnes, des peuples aborigènes
s’accrochent à la vie. Et drôlement.
Le « ViLLage cuLtureL des aborigènes de Formose », à droite : show les traditions. De la tour taipei 101, vue sur une capitale moderne et fashion encerclée de montagnes mystérieuses.
C
inq cents missiles chinois seraient
braqués en permanence sur taïwan,
l’île rebelle, indépendante, sinophone mais sinophobe. une épée de
damoclès qui ne semble pas vraiment déranger
les vingt-trois millions de taïwanais. d’autant
que leur Président, ma Ying-jeou prône un
rapprochement judicieux avec la chine continentale. On respire.
alors, première république chinoise pour les
uns, vingt-troisième province de chine pour les
autres, Taïwan laisse planer le doute, et affiche
crânement sa liberté et ses différences – les
racines des taïwanais ne sont pas chinoises…
ce qui lui vaut encore quelques vacheries de
la part de Pékin. ainsi, un passager français
qui embarque pour un vol Paris-taipei sur une
compagnie aérienne taïwanaise (eva air ou
china airlines), constatera que son plan de vol
évite le territoire chinois… Quelques heures de
plus pour se préparer à découvrir « une autre
asie ». c’est la formule consacrée…
arrivée par le vol 88 d’eva air, Paris-charlesde-Gaulle taipei-taoyuan international airport.
Là, tout semble plus propre, high-tech, en décalage, et pas uniquement horaire. dès la sortie
de l’aérogare, dans les effluves de kérosène,
c’est le choc. L’île semble être en chantier. On
construit tous azimuts autour de taipei, la capitale. nouvelles voies d’autoroute, immeubles,
lignes de métro…
On dirait une pagode hypertrophiée
« ma petite île ne connaît pas la crise », pourraient chanter en chœur les conducteurs de
grosses berlines aux vitres teintées qui foncent
en direction des quartiers d’affaires.
Premiers émois, pourtant, dès l’autoroute. des
montagnes, partout, vertes, semblent désertes.
abriteraient-elle les 2 % d’aborigènes qui
Office de tOurisme de taïwan
www.taiwantourisme.com
Quand partir ?
taïwan est une île tropicale… La période
la plus agréable pour la visiter va
de fin octobre à début mars. il pleut
moins et les températures sont
clémentes ; il peut faire plus de 35 °C
à taipei en juillet. par ailleurs, le risque
de typhon est le plus faible.
2. grand reportage taïwan
Le mémoriaL de tchang Kaï-cheK et son esplanade de 25 hectares bien entretenue attirent les jeunes étudiants disciplinés… Relève de la garde au mémorial des Martyrs.
résistent aux 84 % de taïwanais et aux
14 % de chinois ? Pour l’instant, aucun aborigène à l’horizon.
et puis, très vite, la ville, moderne, qui s’étend
à perte de vue. Là-bas, en haut à gauche, sur
une colline, on dirait une pagode hypertrophiée sortie tout droit du passé évidemment
glorieux. un vrai monument historique. « Oui,
c’est un vieux bâtiment, confirme une autochtone avisée. c’est le Grand Hôtel, 487 chambres,
construit en 1952… » Le ton est donné. taïwan,
le dragon asiatique, n’aime pas le vétuste à
caractère antique version rustique. À perte de
vue, des tours, des immeubles – certains sont,
quand même, décrépits – encore des immeubles
de toutes tailles, toutes formes ou couleurs.
On se croirait presque en chine, voire à Hong
Kong ou macao. même goût pour l’urbanisation
débridée, un brin anarchique, pour la disharmonie tendance psychédélique. Par endroit.
dans Ximending, le quartier jeune et branché de Taipei. Le soir, les magasins restent ouverts jusqu’à 22 heures. Tous les moyens sont bons pour attirer les clients…
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Paradoxalement, la cité n’a rien d’inhospitalier. Au contraire. Il flotte comme un parfum de
côte d’azur dans certaines avenues rectilignes
bordées de palmiers et parcourues par des
milliers de scooters débridés. six millions d’habitants pour six millions de scooters ? Peut-être.
certains décrivent taipei comme une capitale
polluée. Ils n’ont pas tort. Il faut pourtant flâner.
regarder ce qui se cache derrière ces immeubles, ces bâtiments recouverts de carrelage.
flâner, pourquoi pas, jusqu’au mémorial délirant consacré à tchang Kaï-chek, une espèce
de père de la nation, despote à ses heures
perdues, généralissime disparu en 1975 après
27 années de règne. dans un temple en marbre
blanc haut de 76 mètres, surplombé d’un toit
en céramique bleu, tout le nécessaire – musée
kitsch, presque attendrissant – pour alimenter
un culte de la personnalité de type nord-coréen.
sans oublier la statue du grand homme, dans
les 25 tonnes de bronze… Le tout gardé par des
militaires immobiles, l’air martial, avec casques
en inox et souliers vernis à talonnettes. On
adore la relève de la garde.
Grimper à 17 m/s
un plus loin, sur la place de la Liberté, des
étudiants en noir et blanc s’initient en transpirant au maniement du fusil d’apparat. d’autres,
à deux pas, dansent le hip-hop. séquence
contrastes. face au théâtre national, deux jardiniers tout droits sortis d’une rizière, bichonnent
les plantes vertes. Perdus dans les allées, des
retraités immortalisent l’instant sur toile. un
homme s’étire contre un pilier. taipei n’est plus à
un paradoxe près. moderne et ancestrale, frénétique d’une côté, apaisée de l’autre. une bipolarité à contempler du sommet de la fameuse
tour Taipei 101, fierté nationale, ex plus haut building du monde (509 mètres), entièrement
On se croirait presque en Chine, voire à Hong Kong ou Macao.
Même goût pour l’urbanisation débridée, un brin anarchique, pour
la disharmonie tendance psychédélique…
http://globetrotter-mag.com
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3. grand reportage taïwan
2,50 euros, c’est le prix d’une coupe simple,
la nuit, dans les salons « Just Cut » de Taipei.
se réGaLer À taipei
din tai Fung, www.dintaifung.com.tw
Blossoming, www.blossoming.com.tw
Chamonix teppanyaki, Guangfu,
www.chamonix.com.tw
Les moines boudhistes, le soir venu, se baladent comme les autres dans les rues piétonnes de Taipei.
un téLéphérique relie le Sun Moon lake au
« Village culturel des Aborigènes de Formose ».
dOrmir À taipei
the regent, www.regenthotels.com
Far eastern plaza Hotel,
www.shangri-la.com
dOrmir au Sun MOOn Lake
Le Fleur de Chine,
http://en.fleurdechinehotel.com/
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feng-shui. ses ascenseurs grimpent au
cent-unième à 17 m/s (5,5 étages par seconde).
décoiffant.
au loin, on devine la nature – et le plus grand
zoo d’asie. taipei est encerclée par des montagnes pleines de surprises. une route en lacets,
direction maokong, quelques minutes de voiture
et les premières plantations de thé apparaissent. un véritable Luna Park du thé. d’ailleurs,
la foule enthousiaste, non soumise au vertige,
préfère de loin emprunter le maokong gondola,
un téléphérique costaud (dans les 4 kilomètres
d’extase pour 50 nouveaux dollars taïwanais.
100 dollars = 2,45 euros). Là, on saura tout,
entre autres, sur le thé oolong, à l’oxydation
enzymatique incomplète et plus si affinités.
On peut même en boire gratis un peu partout.
sinon, pas mal de petits restos avec vue imprenable sur la mégalopole embrumée.
Combat Zone, mi hot, mi show
sachant tout du thé, descente vers taipei. La
nuit est tombée. La ville ne dort pas. il fait bon,
l’insécurité, personne ne connaît, les magasins
sont ouverts, la foule se promène. des jeunes,
des limousines. On ne comprend pas très bien
où ils vont, ce qu’ils font. tout est en chinois.
une promenade s’impose dans le quartier
branché, à Ximen. des jeunes encore, des rues
piétonnes, la maison rouge, merveilleuse, et,
autour, des terrasses engageantes, façon gay
friendly, ambiance douce, chaleureuse, pour
un verre au crépuscule. Enfin, un Aborigène.
une star même, acteur, beau gosse, umin Boya.
Le comédien vient présenter son dernier film,
Warriors of the Rainbow: Seediq Bale, l’histoire
d’une tribu qui se soulève contre l’occupant
japonais, en 1930. L’histoire finit mal.
tard dans la nuit, un petit tour dans combat
Zone, le quartier hot, un peu show. des bars
glauques aux couleurs criardes, quelques filles
court vêtues à la porte. une bière au manilla.
rien de bien méchant.
Le mariage de la Lune et du Soleil
L’appel de la nature est trop puissant. un train,
vite, direction sud-sud-ouest. Le train est japonais. un shinkansen en version chinoise. arrivée
à taichung en 50 minutes à peine. Juste le temps
d’apercevoir la campagne, une succession de
villages, des maisons carrées, modernes – pas
vraiment de caractère –, à la japonaise. taichung,
deux minutes d’arrêt, 2,6 millions d’habitants.
Encore une mégalopole aux influences multiples,
froide, chaude, étrange, prévisible. Paradoxale
et taïwanaise. si on a le temps, une randonnée
à tainan, ci-dessus, les abords du grand temple de Mazu. à taipei, en haut, à droite, séance d’étirements. Le sun moon LaKe, majestueux, surtout au petit matin.
dans le dah-Ken forest Park s’impose ; ne pas
oublier le Wen chang temple. c’est un temple,
comme son nom l’indique.
Et, si on est pris par le temps, on filera directement vers le sun moon Lake, ´ the heart of
Taiwan ª , déclarent les spécialistes. séquence
romantisme. La beauté du lac est à couper le
souffle. Là où la Lune rencontre le Soleil, où la
surface de l’eau flirte avec le ciel, ne manquer
ni l’aurore ni le crépuscule. seulement si on
aime les variations irréelles de couleurs. sinon,
tout autour, les hôtels pullulent – le fleur de
chine sort du lot, chic, terrasse choc, élégance
dépouillée – et accueillent les jeunes mariés.
Les couples se font photographier, ici, sur les
berges du sun moon Lake, en grande tenue,
c’est la tradition. c’est kitsch, émouvant, en
rose et blanc ou fantaisie.
sur les hauteurs du lac du soleil et de la Lune –
déjà perché à 748 mètres d’altitude –, perdu
dans une étendue de palmiers à bétel, trône
un vestige du passé : la villa de tchang Kaïchek. Les bords du lac sont domestiquées. des
pontons, situés à shuishe, sur la rive nord, ou
à ita thao, au sud, permettent à la foule d’embarquer pour une minicroisière commentée
(en chinois). arrêt obligé pour visiter le temple
Wenwu dédié à confucius.
de toute façon, tout est prévu pour s’imprégner de la beauté environnante. L’écotourisme
a fait des miracles. sentiers de rando (une
quarantaine) autour du lac, vélos à dispo pour
pédaler en pleine extase sur les pistes cyclables qui serpentent et offrent des points de vue
féeriques. romantisme et pragmatisme font
ainsi bon ménage au royaume du mariage sous
toutes ses formes. car, ici, l’Histoire a également rendez-vous avec les traditions.
sur Le net
www.taroko.gov.tw
http://tour.tainan.gov.tw
drôle de tribut aux tribus
ce lac, créé dans les années 1920 par l’occupant nippon mué en bâtisseur de barrages,
est situé sur les terres des Aborigènes. Enfin !
ces descendants des premiers austronésiens,
installés à taïwan depuis 10 000 ans, ne sont
pas loin. À l’autre bout du téléphérique, paraîtil. ah ? Les aborigènes seraient-ils plus près
des étoiles. « Les cultures aborigènes ont eu,
ces dernières années, un sursaut de vitalité dû
aux luttes sociales menées par les aborigènes
afin de défendre leurs droits et de ne pas laisser
mourir leur culture. » c’est écrit sur le dépliant
touristique. On ne demande qu’à voir.
La gare du téléphérique est prise d’assaut. des
hordes joyeuses à la peau mate. c’est le Jour des
aborigènes, le 27 juillet, et l’accès au fameux
une petite FiLLe aborigène a revêtu
les vêtements traditionnels de sa tribu.
http://globetrotter-mag.com
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4. grand reportage taïwan
dOrmir À tainan
Jia Jia wesmarket Hotel,
www.jj-whotel.com.tw
dOrmir À tarOkO
Silks place taroko Hotel
http://taroko.silksplace.com.tw
Lors de La journée des aborigènes, le 27 juillet,
le parc d’attractions qui leur est consacré est pris
d’assaut. Au programme : spectacLes, retrouvailles,
pique-niques, jeux. à jiaoshi, ci-dessus, on se
ressemble aussi pour une séance de bain de pieds.
« Village culturel des aborigènes de formose »
est gratuit pour les quelque 470 000 membres
des 14 groupes reconnus par le gouvernement :
les amis, les atayal, les Bunun, les Kavalan, les
Paiwan, les Puyuma, les rukai, les saisiat, les
sakizaya, les da’o (Yami), les thao, les truku,
les tsou et les seedeq ; les « non reconnus » –
Babuza, Basay, Hoanya, Ketagalan, Luilang,
Pazeh-Kaxabu, Popora, Qaugaut, siraya, taokas,
Trobiawan – ont dû également affluer vu le
monde. après 1,8 kilomètre d’ascension, apparaît
une espèce de disneyland à la sauce tribale. un
village reconstitué, les traditions scénarisées,
quelques anciens se souviennent de leur jeunesse
et déplorent les temps présents ; les jeunes piqueniquent. un spectacle est organisé. des chants et
des danses en costumes traditionnels. un homme
regarde, les yeux rougis et se souvient sans doute.
La foule déchaînée communie, s’esclaffe et boit
de la bière. Les ancêtres ne seront pas déçus.
intéressant, surprenant, amusant, effrayant. Les
aborigènes n’ont-ils droit, en guise de reconnaissance, qu’à un parc d’attractions ? angel, jeune
guide Lukai du parc, réfute, positivement catégorique. elle est heureuse, son village de montagne
va très bien, elle pourra même épouser un taïwanais, les langues aborigènes sont enseignées
dans les écoles… Les écoles de la vie « made in
taïwan » ont désormais la couleur des costumes
traditionnels chatoyants.
tainan magnifie la vie
tout est (donc) pour le mieux dans le meilleur
des mondes possibles. impression renforcée
à tainan, plus au sud. de prime abord, une cité
moderne. en y regardant de plus près, un paradis.
La capitale historique de taïwan est l’endroit rêvé
pour déguster un snack. miam. en plus, on peut
y admirer un joli fort en ruine, fort Zeelandia,
tenu au XViie siècle par les Hollandais, quand la
mer arrivait encore jusque là. sans oublier fort
Provintia et sa chihkan tower, première école de
tainan, temple, bijou architectural. d’ailleurs, « la
vraie culture chinoise est à Taïwan ! » rappelle un
amoureux d’Histoire, guide bénévole et retraité
actif. en tout cas, tainan abrite des temples
incroyablement vivants – tel le grand temple
de Mazu –, lieux de vie magnifiés par une spiritualité discrète et partagée. La prière semble
étrangement naturelle. tout comme une balade
dans Old tainan district courthouse, une visite
au marché nocturne ou un dîner au resto sans
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au restaurant sous Le banian, à Tainan,
on compose soi-même son menu. Ci-dessous,
dans Les gorges de taroKo, le mémorial de
la Source éternelle rend hommage aux ouvriers
morts pendant la construction de la route.
La tour de chiKan, à tainan, s’appellait Provintia quand elle a été construite par les Hollandais en 1653.
enseigne que tout le monde appelle under the
Banian tree (sous le banian)… On choisit son
menu. ambiance détendue. tout comme dans le
nouveau quartier de shennong street, au cœur
du Old five channels cultural Zone, nouvelle aire
de jeu des artistes et créateurs, lieu plein de
petits bars branchés, de galeries d’art, d’artisans,
d’étudiants. tainan fait éclore la vie où on ne s’y
attendait plus. On quitte cette ville à regrets. d’un
coup d’ailes, Hualien, sur la côte est.
perdu dans la Vallée mystérieuse
de là, direction une œuvre d’art naturelle, point
de passage obligé à taïwan, les gorges de taroko.
comme taïwan ne fait pas partie des nations
unies, ces gorges n’ont aucune chance de
figurer sur la liste des sites classés au patrimoine
mondial de l’unesco. dommage. il faut prendre
un à deux jours pour apprécier le spectacle
grandiose qu’offre ce parc national époustouflant. Casque de chantier obligatoire sur la tête,
ne pas hésiter à marcher le long de cette route
fantastique de 19 kilomètres de long et de s’enfoncer dans un labyrinthe de marbre, ponctué
de ponts suspendus, de tunnels obscurs. au pied
de falaises vertigineuses, une rivière aux eaux
turquoises. Pas mal de possibilités de randos à
la poursuite de papillons géants, dans le silence
d’une nature plus que magique ; la shakadang
trail ou marche de la Vallée mystérieuse reste
une expérience fantastique. séquence recueillement au sanctuaire de la source éternelle dressé
contre une immense falaise à la mémoire des
226 ouvriers morts lors de la construction de la
route, dans les années 1960, lorsque tchang Kaïchek voulait transformer la vie.
Enfin, retour à Taipei, frémissante. Finalement,
cette ville, ce pays, possèdent des racines bien
étranges. On ne sait plus vraiment lesquelles,
d’ailleurs. aborigènes ou chinoises ? et ce pays
est-il ultramoderne, urbanisé à la Blade runner,
ou sauvage et pur comme une terre à découvrir ? au visiteur de le décider après tout.
PhiliPPe legrain
Y aLLer
La compagnie eva air assure des vols
directs entre paris et taipei en un peu
plus de 13 heures. pour noël, un billet
revient à environ 1 000 euros.
http://globetrotter-mag.com
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