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ÉCOLE NATIONALE D’ADMINISTRATION PUBLIQUE
TRAVAIL de SESSION
L'INTÉRÊT PUBLIC: ÉTALON DE LA
GOUVERNANCE ÉTATIQUE
TRAVAIL PRÉSENTÉ
À MONSIEUR GÉRARD DIVAY
COMME EXIGENCE PARTIELLE DU COURS
ENP9301 – LES FONDEMENTS DE LA PENSÉE EN ADMINISTRATION PUBLIQUE
PAR
MONSIEUR MICHEL ROCHETTE
30 avril 2010
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION...................................................................................................................1
RÉFÉRENCES......................................................................................................................37
INTRODUCTION
« L'État doit être le promoteur actif et responsable du bien commun. »
Michel Chartrand
L'intérêt public est une notion qui a été abondamment discutée au cours des années en ce
qui a trait aux affaires de la République, de l'État et du Gouvernement. En effet, en latin, la
« Res Publica » signifie la chose publique par rapport à la « Res Privata », la chose privée.
D'ailleurs, au cours des siècles, on retrouve continuellement cette dichotomie, à la fois en
ce qui concerne les théories relatives à la constitution de l'État de même qu'à son fonction-
nement politique et administratif. Il en va de même en ce qui concerne la notion de l'intérêt
public qui a été continuellement confrontée à celle de l'intérêt privé.
À certaines époques, on considère que la notion d'intérêt public est essentielle au fonction-
nement d'une société politique démocratique alors qu'à d'autres périodes, on considère que
cette notion ne possède aucun sens pratique pouvant guider les nombreuses interventions
gouvernementales, beaucoup plus nombreuses qu'il y a quelques siècles. De plus, cette no-
tion a évolué dans le temps, passant d'un aspect relié essentiellement à la notion de proprié-
té publique à celle de valeur publique engendrée par les nombreuses actions administratives
des états modernes.
Cependant, la question qui se pose de nos jours est la suivante: l'intérêt public a-t-il tou-
jours une certaine utilité afin de guider le fonctionnement de l'État démocratique moderne,
non seulement en ce qui a trait à l'élaboration des lois mais également en ce qui touche à
son fonctionnement administratif et son rôle potentiel de gouvernance dans un contexte de
pluralité et de complexité de la vie sociale moderne?
1
À cette fin, ce texte est divisé en trois grandes sections. Tout d'abord, nous ferons une revue
historique en ce qui touche à l'expression « intérêt public » afin de comprendre ses origines
et son évolution au fil du temps. Par la suite, nous ferons un sommaire des nombreuses in-
terprétations de cette notion qui ont cours actuellement. Finalement, nous proposerons
quelques pistes d'approche afin de mieux définir cette notion et ses caractéristiques afin de
la rendre plus pertinente aux finalités actuelles de l'État ainsi qu'à de nouveaux rôles dans
un contexte de la gouvernance sociétale.
2
DÉVELOPPEMENT
« Sans intérêt commun, point de groupe »
Arthur Bentley
Origines et évolution de la notion d'intérêt public:
Au temps d'Aristote, on discoure sur la notion d'avantage commun. Les hommes s'associent
naturellement afin de subvenir à leurs besoins et forment des Cités. Aristote l'associe à une
forme familiale, vouée au bonheur de ses membres. Afin d'assurer un bonheur à tous, juste
et équitable, il devient essentiel d'envisager que certains biens seront communs et dispo-
nibles à tous. C'est donc cette « notion en commun qui fait une famille et une Cité » selon
Aristote. (Aristote, p.91-92)
Afin de participer au partage et à l'administration de ces biens communs, sensés assurer le
bonheur de la Cité, les membres doivent pouvoir avoir un droit de regard et d'intervention
sur les affaires publiques, devenant ainsi des citoyens et participant à la gouverne et étant
gouvernés également.
De plus, afin de les guider dans leurs délibérations, Aristote présente la notion « d'avantage
commun », qu'il définit en regard de notions éthiques telles que la justice, le bien et le mal.
De plus, selon Aristote, différentes formes d'organisations de la Cité permettent d'atteindre
l'avantage commun telles que la monarchie, l'aristocratie et le gouvernement constitution-
nel, transcendant l'organisation politique de la Cité. Cependant, « certaines déviations
comme la tyrannie, qui est une monarchie visant l'avantage du monarque, l'oligarchie, celle
des gens aisés, et la démocratie, celle des gens modestes, ne visent en aucun cas l'avantage
3
commun », retrouvant ainsi cette dichotomie publique-privée. (Aristote, p. 229-230)
Par la suite, à l'époque romaine, c'est plutôt la notion de « salus populi » qui est de rigueur,
c'est-à-dire la notion du bien-être du peuple. Cependant, derrière cette notion se retrouvait
l'idée, qu'à l'occasion, en tant que citoyens de Rome, il pouvait devenir nécessaire que l'on
sacrifiât ses biens personnels pour le bonheur de la nation, particulièrement en temps de
crise.
C'est au cours du 17e siècle, suite à la révolution anglaise, à la constitution du Parlement et
à l'avènement de la monarchie constitutionnelle, que la notion d'intérêt public prend nais-
sance, « gradually replacing the common good of philosophy and the salus populi favored
by Roman law » (Gunn, p. ix). Puisque les membres du Parlement étaient en fait de grands
propriétaires terriens, ils développèrent un intérêt commun, lors de leurs délibérations, afin
de vouloir protéger leurs biens personnels terriens contre la possibilité qu'ils soient confis-
qués lors d'invasions, de guerres, par le peuple lui-même qui n'en possédait point ou par le
Roi. Ainsi, la notion d'intérêt rejoint essentiellement son origine latine « interest ou inter-
esse», qui signifie « ce qui importe et important dans la relation vers l'être ».
À cette époque, la notion d'intérêt fait référence à une notion très terre à terre – sic - «pro-
tection of estates » (Gunn, p. 11) et devient publique parce qu'elle représente une préoccu-
pation commune des grands propriétaires, le seul public ayant le pouvoir, à cette époque, de
manifester et de faire valoir son intérêt. Cependant, bien que l'intérêt public semble être re-
lié à la protection des intérêts privés de quelques propriétaires terriens, il n'en demeure pas
moins qu'on peut extrapoler que la protection des terres, même pour ceux qui n'ont pas mais
qui sont susceptibles d'en avoir un jour, puisse devenir un élément important de cette socié-
té et acquiert une certaine valeur universelle pour celle-ci lorsque John Durie affirme que
« a public interest is nothing else but the universal private good of everyone. » (Gunn, p.
4
15)
Ainsi, au tout début, il appert que la notion d'intérêt public se limite à ce qui apparaît rai-
sonnable de mettre en commun en regard de ce qu'on perçoit comme étant ses avantages
immédiats tels que discutés entre hommes raisonnables au Parlement anglais. En effet, la
notion de raison par rapport à la notion de passion influence fortement la signification et
l'évolution de l'intérêt public. Contrairement à la passion pour quelque chose, cette dernière
notion étant considérée comme étant individuelle, c'est la raison – du latin ratio, calcul,
compte - qui doit guider les actions communes et la détermination de cet intérêt commun.
Il y a donc ici un aspect analyse qui se développe autour de cette notion contrairement aux
précédentes. Cependant, la notion de « raison d'État », si souvent invoquée au cours des
siècles, fait plutôt référence à cette idée de préservation des acquis de l'État plutôt qu'à la
notion que l'État utilise la raison afin de permettre aux hommes de mettre en commun cer-
tains avantages.
À la même époque, avec l'avènement de Hobbes et de quelques autres auteurs dont William
Penn, la notion d'intérêt publique s'étend au delà de la seule protection de quelques intérêts
terriens pour englober des notions de sécurité publique, d'ordre domestique, de félicité, de
richesse collective de même que de préservation des intérêts privés. On commence à voir
apparaître la différence entre des notions communes sur lesquelles on désire légiférer et des
notions individuelles. On commence à discuter séparément les notions de privé et de public
par l'expression « private wants and public needs. » (Gunn. p. 153) Ainsi, comme l'écrit
Gunn, « there was a public good distinct from that of particular citizens taken individually
and...differed from earlier doctrines that the public good emerged only from the expression
of private interests ». (Gunn, p. 151)
Parallèlement, d'autres auteurs discourent sur la notion d'intérêt commun ou une variante.
Rousseau écrit que, dans l'état de nature, les hommes visent à assurer essentiellement leurs
5
intérêts particuliers alors que dans l'état civil, les hommes s'associent afin d'assurer leur
conservation et leur richesse, que Rousseau décrit par la volonté générale d'association. De
cette volonté générale d'association, exprimée sous la forme d'un contrat social, Rousseau
décrit qu'une des clauses du contrat - sic - consiste à atteindre l'égalité, la liberté et la sécu-
rité, ce que Rousseau décrit comme étant des valeurs faisant parties du bien commun, bien
qui va au-delà de la simple addition des volontés particulières. Par cette analyse, Rousseau
insiste plutôt sur la notion de bien commun, sa conception de la République s'enlignant plus
avec celle des auteurs historiques qu'avec les développements de l'Angleterre de son
époque, préférant, quant à elle, la notion d'intérêt public.
Rousseau amène plutôt la notion d'intérêt général en ce qui a trait au bien commun. De son
point de vue, une société donnée, à un moment donné de son histoire, peut reconnaître que
certains aspects de la vie en société, dont certains biens et services, sont publics, accessibles
à tous, et n'ont pas à être mis en commun, réglementés et partagés équitablement entre les
membres de cette société tels que le soleil et l'air respiré. Ces biens sont des ressources re-
nouvelables et illimitées mais demeurent quand même publiques puisque personne ne peut
les contrôler directement et les transformer en intérêts privés. Cependant, dans l'esprit de
Rousseau, si ces mêmes ressources deviennent limitées, exclusives ou à utilisation qui gé-
nère de la rivalité et empêchent d'atteindre les valeurs de cette société, le bien public doit
devenir un bien commun, que l'ensemble de la société doit vouloir gérer par l'entremise du
contrat social et des lois qui en découlent afin d'en assurer une répartition équitable; il y a
donc un intérêt général qui se développe et qui se créé afin d'y pourvoir. Ainsi, pour qu'un
bien ou une service devienne commun, il doit y avoir un intérêt général afin de l'élever au-
dessus des intérêts privés vis-à-vis ce bien.
Rousseau a donc intégré la notion de bien commun à celle de l'intérêt général pour ce bien
commun mais dans la mesure d'atteindre un objectif, tel que l'équité, par exemple. Dans
6
l'esprit de Rousseau, cette notion d'intérêt général pour le bien commun doit pouvoir s'ex-
primer sur des aspects fondamentaux de la vie en société résultant du contrat social. En ef-
fet, il n'est pas possible, ni souhaitable, de représenter n'importe lequel aspect de la vie en
société comme étant un bien commun. Si on prend cette voie, on rejoint l'idée de Rousseau
qui affirme que « plus on fait des lois, plus on rejoint les intérêts particuliers..et on ne vise
plus l'intérêt général. » (Rousseau, p. 193)
À cette même époque, Locke oriente son discours sur l'intérêt commun par rapport à la pro-
tection et la conservation de la propriété, pas seulement foncière, par l'entremise d'un gou-
vernement qui régule les relations entre les citoyens. Locke discoure également sur la no-
tion de bien commun, suivant l'idée du « commonwealth », contrairement à ses prédéces-
seurs anglais, qui se limitaient à la protection de leurs biens individuels, mais dans un es-
prit où ce bien commun est créé par le travail ou la volonté commune de la société, qui de-
vient une sorte de propriété commune de la société politique.
Cette propriété publique sur laquelle on possède un intérêt commun est cependant limitée et
Locke la définit en opposition à la propriété privée, sur laquelle on possède un intérêt privé.
À cette fin, la propriété privée représente les intérêts des citoyens puisqu'il affirme que
« tout ce dont l'homme tire de la nature, du travail de ses mains, de sa peine et de son indus-
trie lui appartient seul. » (Locke, p. 163)
Quant aux biens en commun, à la propriété commune, ils sont de nature plus générale et
touchent à ce que Locke décrit comme recouvrant la vie, la sécurité, la santé, la liberté et la
protection en commun des biens individuels. Et le gouvernement sera créé afin de régler les
conflits quand il affirme que « les hommes sortent de l'état de nature et entrent en société
politique, lorsqu'ils créent des juges et des souverains, à qui ils communiquent l'autorité de
terminer leurs différents et de punir les injures ». (Locke, p. 208)
7
Contrairement à la notion originelle de l'intérêt dit public, mais plutôt un intérêt commun,
qui résulte de l'analyse et de la raison en tenant compte des intérêts particuliers et de leur
mise en commun, sans aucune référence explicite à une valeur telle que l'égalité ou l'équité,
la notion d'intérêt général de Rousseau est plus affirmative à cet égard. Il y a un aspect de
promotion alors que Locke se limite à la conservation et à la protection. Pour Rousseau,
on décrète ce qu'est l'intérêt général ou on étend cette notion de bien commun à plusieurs
égards jusqu'où la volonté générale du peuple peut nous amener. Pour Locke et ses contem-
porains, on développe, on conçoit, on analyse, on raisonne, on travaille pour le bien com-
mun et l'intérêt public qui en découle.
Cependant, il semble que les versions subséquentes de l'intérêt public ont voulu s'élever au-
dessus de la somme des intérêts privés mais, il n'en demeure pas moins, que la notion d'in-
térêt public discutée à cette époque fait toujours référence au lien avec les intérêts privés et
à la notion de possession, soit du bien commun ou des biens privés. Aux États-Unis, ces
auteurs ont sans doute inspiré certains personnages tels que Madison qui affirme que l'élec-
tion a pour « finalité de mettre aux postes de commande les hommes qui ont le plus de sa-
gesse pour distinguer le bien commun de la société et le plus de vertu pour le poursuivre ».
(Rosanvallon, p. 94)
D'autres auteurs ne discourent pas directement de la question des intérêts personnels et pri-
vés et de l'intérêt public mais présentent leur analyse dans un contexte plus large de la nais-
sance de l'État. En effet, bien que Testart analyse différentes causes possibles de la nais-
sance de l'État – guerre, religion, lutte des classes, hydraulique – il s'en remet à la question
des fidélités afin d'expliquer de façon globale cette constitution quand il affirme « qu'est-ce
qu'une société sans fidélités personnelles? » (Testart, p. 112) Selon son point de vue, les fi-
délités sont une cause nécessaire de la constitution des sociétés et « naissent avec la ri-
8
chesse et à cause d'elle. » (Testart, p. 117). Et ces richesses naissant avant tout de l'agricul-
ture et de la possession des terres, engendrant par la suite la naissance des intérêts particu-
liers et public qui vont de pair avec ces richesses. La référence à la richesse est intéressante
puisqu'elle rejoint la notion de « commonwealth » mais dans une optique de la création d'un
lien, d'une fidélité avec le reste de la société et non d'une simple possession ou d'un
contrat.
D'autres auteurs ont tenté de définir la question de l'intérêt public ou général par rapport à
celle de privé par rapport aux actions posées par les membres du même société plutôt que
d'invoquer de grandes valeurs universelles ou de grandes vertus. À cette fin, Tocqueville a
esquissé sa théorie de l'intérêt public, qu'il nomme « l'intérêt bien entendu ». Il le définit, en
parlant des Américains, comme étant « l'amour éclairé d'eux-mêmes, qui les porte sans
cesse à s'aider entre eux et les dispose à sacrifier volontiers au bien de l'État une partie de
leur temps et de leurs richesses. » (Tocqueville, p.119, IIe partie)
De plus, Tocqueville établit un lien intéressant entre les intérêts privés et l'intérêt public.
De son point de vue, les deux types d'intérêts sont reliés et contribuent à se définir mutuel-
lement. Encore là, Tocqueville note le côté pratique des Américains à cet égard lorsqu'il
énonce que « l'on tire difficilement un homme de lui-même pour l'intéresser à la destinée de
tout l'État...mais s'il faut passer un chemin au bout de son domaine...il découvrira, sans
qu'on le lui montre, le lien étroit qui unit ici l'intérêt particulier à l'intérêt général »(Tocque-
ville, p. 104) De cette façon, il devient forcé de s'occuper des affaires publiques et doit né-
cessairement mettre temporairement de côté ses intérêts privés à cette fin. De ces actions
simples, Tocqueville démontre que « chaque homme s'aperçoit qu'il n'est pas aussi indépen-
dant de ses semblables et que pour obtenir leur appui, il faut leur prêter son concours. »
(Tocqueville, p. 103) Ce faisant, il prend goût à la chose publique.
9
Par ailleurs, Tocqueville note que c'est par l'association, d'abord civile, créée afin de pou-
voir organiser certains enjeux locaux et privés, que naît le désir de l'association politique,
association créée afin d'organiser de plus grands desseins qui préoccupent toute une société.
Ainsi, le désir de se préoccuper de l'intérêt général trouve son origine dans la réalisation
que l'union des membres donne de l'élan et de la force afin de régler les grandes questions
que leur état individualiste affaiblit comme écrit Tocqueville en disant « qu'il est souvent
plus facile de rassembler dans un but commun une multitude que quelques hommes...les
hommes s'unissant pour de grandes entreprises...voyant le parti qu'ils en tirent..l'intérêt
qu'ils ont à s'aider dans les moindres s'accroît également. » (Tocqueville, p. 114)
C'est donc une définition de l'intérêt public qui s'ancre dans les actions quotidiennes plutôt
que de viser de grands desseins. En ce sens, il rejoint d'autres auteurs contemporains qui
semblent plutôt privilégier l'étude des actions afin de découvrir ce qui représente l'intérêt
public à un moment donné de l'histoire. On entrevoit l'intérêt comme résultant d'un consen-
sus contrairement à la notion de contrat de Rousseau. Par exemple, Laborier mentionne
que les répertoires d'actions plutôt que les discours permettent de dégager des pistes des in-
térêts partagés et que « les controverses contribuent ainsi à l'énonciation des formes de l'in-
térêt dit général.» (Laborier, p. 425)
Quant à Pharo et à d'autres auteurs, ils introduisent la notion de conséquences résultant des
actions et déplacent la notion d'intérêt à ce niveau, d'où l'intérêt d'en faire partie et de s'y in-
téresser en faisant appel « à des communautés élargies supposées justifier les proposi-
tions ». Selon Pharo, les actions politiques ont des conséquences au-delà des relations di-
rectes que l'on retrouve au sein des actes privés - intérêts privés - en affirmant que « l'ac-
tion politique présente ainsi le trait distinctif d'entraîner des effets sur des communautés qui
n'ont en aucune façon donné leur accord sur l'action en question » (Pharo, p. 39)
10
Dewey abonde dans le même sens en allant encore plus loin. Même si l'interaction n'est que
de nature privée, elle peut également avoir des conséquences publiques dans la mesure où
elle affecte le bien-être de plusieurs en affirmant que « if it is found that the consequences
of conversation extend beyond the two directly concerned, that they affect the welfare of
many others, the act acquires a public capacity. » (Dewey, p. 13)
On retrouve donc ici la notion d'intérêts partagés et non la notion d'un intérêt naturel, inné
d'une conception quelconque de la vertu ou de la divinité. De plus, selon cette conception,
l'intérêt public existe dans la mesure où les conséquences d'événements publics ou privés
affectent des intérêts privés de l'ensemble d'un public, rejoignant l'approche de Locke mais
en mettant l'emphase sur les impacts des actions contrairement à la version de l'intérêt pu-
blic de Rousseau, qui la conçoit comme ayant une valeur intrinsèque.
11
Catégorisations de l'intérêt public:
« L'intérêt général est le principe d'action de l'État mais demeure sujet à bien des interpréta-
tions. »
(Chevalier)
Telle que l'affirme plusieurs auteurs dont Chevalier, la finalité du secteur privé vise la va-
leur des intérêts privés tandis que la finalité de l'État vise l'intérêt public. De plus, la notion
d'intérêt public évolue au cours du temps en fonction de l'environnement au sein duquel la
société fonctionne. Donc, il devient pertinent de comprendre les différentes conceptions qui
ont cours actuellement en ce qui a trait à la notion d'intérêt public. Tout dépendant des
angles d'approche, des analyses, des objectifs et même des intérêts individuels, différentes
conceptions de l'intérêt public semblent agir en même temps au sein d'une même société. À
cette fin, nous présentons ici différentes catégorisations de la notion d'intérêt public telles
que conçues actuellement. Dans plusieurs d'entre elles, on y reconnaît l'influence des pen-
seurs que nous venons de résumer.
Approche légaliste de l'intérêt public
Une de ces approches consiste à mettre l'emphase sur le juridique et la primauté des lois, à
l'image de la « Rule of Law britannique » et son évolution en État de droit, soumise à des
normes et à une habilitation juridique comme l'affirme Chevalier lorsqu'il écrit que « l'État
de droit tend à se présenter sous l'aspect formel de la hiérarchie des normes. » (Chevalier,
État de droit, p. 6)
Dans cette approche, l'intérêt public s'analyse sous l'aspect de la conformité à des règles et
à des normes. Ainsi, les lois, démocratiquement votées, sont censées représenter et définir
12
par défaut ce qu'est l'intérêt public suite à des débats comme ceux envisagés par Locke. Au
Québec, cette phase de l'intérêt public s'est plutôt manifestée dans l'incarnation de « l'État
gendarme et supplétif » du début du 20e siècle tel que GOW l'a démontré dans l'évolution
de l'administration publique québécoise. (GOW, p. 368)
Ainsi, cette approche engendre une conception de l'intérêt public qui sera plus conformiste
que normative, visant essentiellement « to regulate social life. » (Rutgers, p. 23) De nos
jours, la notion d'intérêt public, souvent mentionnée en préambule dans les textes de lois,
devient une exigence pour les juges, appelés à départager les droits. Ainsi, comme l'affirme
Trudel, « l'intérêt public devient une notion qui renvoie à l'environnement...et commande
nécessairement de s'éclairer de la situation concrète dans laquelle la mesure doit être appli-
quée ». (Trudel, p. 129)
En ce sens, l'intérêt public est utilisé par le législatif et le juridique afin d'interpréter les
conflits résultant des droits et des lois, que ceux-ci représentent la somme des préférences
individuelles ou quelque grandiose dessein social. On retrouve cette conception dans les
délibérations au sujet de l'Acte constitutionnel de 1867 où il est dit que « the General Par-
liament make laws for the peace, welfare and good government of the Federated Pro-
vinces. » (Rohr, p. 32) De nos jours, on retrouve également cette notion au sein des consti-
tutions de l'Espagne et du Portugal, notamment.
Par ailleurs, une telle approche s'enligne sur la vision de Locke et d'autres contemporains de
son époque, qui conçoivent l'intérêt public en fonction de la propriété et de l'instauration de
lois et de règles afin de garantir l'atteinte, la préservation et la satisfaction des intérêts pri-
vés. Pour eux, il n'est point question d'envisager l'intérêt public comme ayant une valeur
propre commune visant quelque dessein d'une communauté. Il s'agit plutôt de gérer les uti-
lités privées, une autre version proche cousine de cette conception de l'intérêt public. Une
13
autre version, qui découle de cette conception du droit, envisage l'intérêt public comme
l'équivalent d'obligations tandis que les droits seraient l'équivalent des intérêts particuliers.
Cette version oppose les deux et, à notre époque, on semble mettre plus l'emphase sur les
droits – intérêts privés - que sur les obligations – intérêt public-, cela étant sans doute ren-
forcé par la présence des Chartes des droits. Peut-être y aurait-il lieu d'instaurer une Charte
des obligations afin de rééquilibrer la situation?
Par ailleurs, une autre version légaliste exprime l'intérêt public comme le règlement des
conflits de façon harmonieuse, avec modération et en harmonie mais sans tenir compte des
résultats que l'on obtient. C'est cette version qui est décrite par Sorauf lorsqu'il écrit que
« to the extent that we may claim a public interest, that is our interest in the democratic me-
thod and its settlement of conflict by orderly rules and procedures . » (Sorauf, p. 633)
Approche possessive de l'intérêt public: économique et utilitaire
Cette version de l'intérêt public consiste à envisager l'intérêt public sous l'angle de posséder
des intérêts publics comme on possède des intérêts privés, souvent évalués uniquement
sous l'angle économique. C'est cet aspect de l'intérêt public - économie politique - qu'in-
carne le traité d'Adam Smith sur la main invisible où il note que c'est par le travail indivi-
duel, mu par des intérêts particuliers, que les citoyens concurrent indirectement à l'intérêt
public par sa célèbre citation:
« Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du marchand de bière et du boulanger, que
nous attendons notre dîner, mais bien du soin qu’ils apportent à leurs intérêts. Nous ne nous
adressons pas à leur humanité, mais à leur égoïsme. » (Adam Smith)
De plus, dans cette conception du public, qui possède des intérêts publics et des intérêts pri-
14
vés, on en vient à envisager les deux aspects comme étant en totale opposition comme l'af-
firme Cassinelli qui écrit que «the individual interests and the social interests are mutually
exclusive » (Cassinelli, p. 55)
Cependant, même Adam Smith reconnaît que certains travaux importants doivent être assu-
més par l'État, tels que la construction des infrastructures, la protection des libertés indivi-
duelles par la fonction régalienne, l'éducation, et qu'il en va de l'intérêt public qu'il en soit
ainsi, invoquant la justification essentiellement non économique de les édifier individuelle-
ment et le fait qu'ils seraient non rentables pour les acteurs privés.
Cependant, même au sein de l'école de la théorie actuelle des choix publics, qui vise la
maximisation des préférences individuelles, et représentant ainsi l'intérêt public selon leur
point de vue, certaines voies s'élèvent afin de faire valoir que la poursuite à tout prix de cel-
les-ci peut amener à une baisse de cet intérêt public quand Frederickson mentionne que
« scholars have also long known that individuals who pursue self-interest can impose col-
lective costs, knonwn as the tragedy of the commons. » (Frederickson, p. 204) En d'autres
termes, lorsque la stricte poursuite d'intérêts privés en vient à créer des dettes collectives, il
semblerait que l'intérêt public en soit affecté et qu'il devienne nécessaire d'intervenir. À
cette fin, le dicton qui dit que l'on privatise les profits et socialise les risques s'inscrit dans
cette ligne de pensée.
Approche politique de l'intérêt public: compromis, somme des intérêts privés, consensus
Pour d'autres sociétés, le jeu des intérêts et préférences individuels, exprimés par les enjeux
politiques propres à chacun, permettent de dégager un intérêt public prenant la forme de
consensus; les interventions de l'État ayant pour but de maintenir un équilibre entre les
nombreux groupes d'intérêts présents ou non, organisés ou non. C'est ce qu'affirme Mi-
15
chael Harmon en écrivant que l'intérêt public n'est rien d'autre que « the continually chan-
ging outcome of political activity among individuals and groups within a democratic politi-
cal system » (King, p. 14) Cette approche, plutôt rationnelle, rejoint la conception de Ben-
tham pour lequel l'intérêt public se manifeste par les désirs exprimés par le plus grand
nombre. On retrouve la même conception chez ceux que Schubert nomme les réalistes
pour lesquels « the conflict among special interests is transmitted into the public interest »
(Schubert, p. 348)
Ainsi, l'intérêt public n'est rien d'autre que ce que le public désire à un moment donné, en-
core faut-il définir le public et ce qu'il désire. De ce point de vue, voir l'intérêt public
comme une conséquence du processus politique permet sans doute d'atteindre le plus haut
niveau de contrôle démocratique sur cette question À cette fin, l'approche de Herring, qui
envisage l'intérêt public, non pas comme une fin en soi mais plutôt comme un processus de
découverte, l'équivalent du « due process » du secteur juridique, s'enlignerait bien avec
cette conception de l'intérêt public et permettrait, à tout le moins, de contrecarrer les
groupes d'intérêts privés, qui tenteraient d'influencer et de manipuler les décisions à leur
avantage, de telle sorte que leurs intérêts communs deviennent, de facto, l'intérêt public.
Une conception similaire se retrouve chez certains auteurs qui considèrent que le compro-
mis, qui résulte de ces rapports de force politique, reflète les intérêts de la classe moyenne
comme Sorauf qui écrit que « the public interest lies very close to middle-class interests. »
(Sorauf, p. 623) Cependant, une telle approche se limite aux décisions à court-terme et
l'intérêt public, sensé guider l'action gouvernementale à long-terme, perd de sa force et
change au gré des débats politiques quand Sorauf affirme que « at best, the public interest
as compromise legitimatizes the political solutions of the moment; its purpose is no-longer
to guide policy-making but to gain acceptance and approval for current political compro-
mise. » (Sorauf, p. 630)
16
Approche administrative de l'intérêt public: opérationnelle, bureaucratique, procédurale
Une autre version de l'intérêt public développée au cours des années est celle qui entrevoit
l'intérêt public uniquement en ce qui concerne l'implantation des politiques administratives
et des lois. En d'autres termes, si l'administration poursuit la mise en place de politiques de
façon efficace, efficiente, économique et sans intervention politique qui pourrait les faire
dérailler de leurs objectifs, l'intérêt public sera atteint. C'est cette même vision qui a animé
plusieurs auteurs dont Duguit lorsqu'il mentionne que la puissance de l'État n'existe que
dans la mesure du service public qu'elle rend, en conformité avec le droit et « substitue la
notion d'intérêt général à celle de volonté générale pour fonder la légitimité du pouvoir ad-
ministratif et sa finalité. » (Rosanvallon, p. 69) Quant à Herring, il écrit que « it is in the
execution of the laws that governement assumes direct and concrete meaning for the citi-
zen. » (Herring, p. 19)
Par ailleurs, c'est cet aspect procédural de l'intérêt public, qui fut mis en place pour contrer
« la pure exécution mécanique des lois, totalement subordonnée aux directives du pouvoir
politique » (Rosanvallon, p. 61), que le « Progressive Movement » de la fin du 19e siècle a
pris forme aux États-Unis. Ce faisant, il cherchait à établir « une administration gouverne-
mentale à la fois plus autonome et plus rationnelle » (Rosanvallon, p. 65) devant concourir
à l'intérêt public afin de contrecarrer les intérêts particuliers exprimés par les partis poli-
tiques de cette époque. Ainsi, aux États-Unis, c'est par la mise en place d'une administra-
tion rationnelle et efficace que l'on conçoit l'atteinte de l'intérêt public puisque l'administra-
tion publique a toujours « leaned more toward the hard science side of the endeavor ». (Fry
& Raadschelders, p. 364) Cette mouvance s'inscrit également dans les enseignements de
Weber que Rosanvallon cite en disant que « la construction d'une bureaucratie imperson-
nelle et rationnelle est bien alors perçue comme une entreprise au service de l'intérêt géné-
ral. » (Rosanvallon, p. 79)
17
C'est également ce que soutient Wilson quand il centre le propos de ses interventions autour
de la notion de « public trust » et de la réalisation de celle-ci par le « detailed and systema-
tic execution of public law » (Wilson, p. 212) tout en laissant de la discrétion quant à son
exécution quand il cite que « the cook must be trusted with a large discretion as to the ma-
nagement of the fires and the ovens. » (Wilson, p. 214)
C'était l'apogée du « Public Interest Model » mis en place afin de supplanter les modèles de
« Rule of factions » et de « Conflict of Factions » si présents jusqu'alors de telle sorte que le
« nonpolitical application of knowledge would achieve the public interest: a state of affairs
in which all would be better. » (Uveges & Keller, p. 4) Par ailleurs, d'autres auteurs de ce
temps dont Taylor et Fayol contribuent à renforcer cette rationalité quand Rosanvallon cite
que « la rationalisation était perçue comme un moyen d'objectiver et de réaliser l'intérêt gé-
néral »; le modèle américain « city commissionner » incarnant bien cette conception. (Ro-
sanvallon, p. 84)
Un autre auteur abondant dans ce sens fut Herring qui propose d'implanter, au sein de l'ad-
ministration, un processus organisationnel recoupant quatre phases bien distinctes allant de
la clarification, de la consultation, de la coopération et de la coordination dans l'exécution
des actions administratives afin de faire ressortir l'intérêt public. Ce faisant, selon Herring,
on ne part à la découverte de l'intérêt public comme tel mais, par l'entremise de ce proces-
sus systématique, on augmente les chances que l'intérêt public soit atteint sans réellement
savoir si on l'a effectivement atteint, permettant ainsi de court-circuiter les intérêts particu-
liers communs exprimés par les groupes de pression. De plus, une telle approche permet de
mieux encadrer a-priori le pouvoir discrétionnaire de l'administration tel qu'invoqué par Di-
mock, le risque étant que l'administrateur reflète ses propres valeurs dans ses actions et
dans sa quête de pouvoir « will-to-power » au lieu de l'intérêt public.
18
De plus, concevoir l'intérêt public sous l'angle d'une découverte encadrée par un processus
rigoureux permet un meilleur contrôle a posteriori par le système judiciaire tel que le décrit
Fritz lorsqu'il mentionne les critères retenus par la Cour suprême des États-Unis qui affirme
que « the statutory statement of the public purpose should be expressed in terms that are
sufficiently clear to afford a criterion by which the courts may judge whether the adminis-
tration policy has a reasonable relationship to the basic statutory purpose. » (Marx, p. 340)
Par la suite, d'autres versions sur le même thème de l'opérationalisation de l'intérêt public
furent développées telles que celle que l'on retrouve au sein de l'école managériale de
conception libérale comme l'affirme Chevalier en mentionnant que celle-ci est « tournée
vers la recherche et la mise en œuvre des techniques les plus efficaces de gestion ». (Cheva-
lier, Science Administrative, p. 29). On y retrouve essentiellement une tentative d'appliquer
au secteur public les recettes managériales du secteur privé en se basant sur l'hypothèse que
si elles permettent au privé de maximiser ses intérêts particuliers, elles devraient également
contribuer à faire de même pour l'intérêt public.
Cependant, puisque l'administration vise indirectement l'intérêt public en mettant en branle
de façon efficace et efficiente les services que l'on croit demandés par la population, il n'en
demeure pas moins qu'elle est incapable d'évaluer si l'intérêt public est nécessairement at-
teint par ses nombreuses actions. On retrouve cette même approche et cette même limite au
sein de la nouvelle gouvernance publique qui devient le maître d'œuvre de l'ensemble des
« non traditional policy processess and actors. » (Frederickson, p. 243). Encore là, l'intérêt
public est sous-entendu derrière cette nouvelle approche puisqu'elle ne consiste qu'à «
connect the various units of government and make coherent patterns of policy implementa-
tion possible in the absence of a central authority. » (Frederickson, p. 244)
Approche éthique de l'intérêt public: valeurs, morale, intérêt supérieur, religion
19
L'intérêt public peut se concevoir sous un angle éthique, l'éthique faisant référence à l'en-
semble des valeurs qui touchent aux comportements humains. Des notions telles que la jus-
tice, l'équité, le bien-être, l'amour de son prochain, l'emphatie et l'égalité peuvent constituer
les bases à partir desquelles on juge si on atteint l'intérêt public dans les nombreuses déci-
sions prises par l'État. De plus, une telle conception de l'intérêt public permet également
aux intérêts privés de se développer quand Cassinelli écrit que « there is nothing entailing
an opposition between public and private interests when the former is interpreted as life, li-
berty and the pursuit of happiness, in particular. » (Cassinelli, p. 55)
De plus, cette approche conçoit l'intérêt public comme un valeur humaine et intrinsèque à
toutes les sociétés, transcendant les religions et les nombreuses conceptions du monde. À
cette fin, on rejoint ce qu'affirme Griffith quand il écrit que « the concept of public interest
leads one to search for criteria of general welfare and the latter postulates values ». (Grif-
fith, p. 17) D'autres auteurs abondent dans le même sens et relient la notion d'intérêt public
et de valeur, dont Redford qui affirme que « the public interest may be defined in terms of
all interests...and the concept of value which is generally accepted in our society. » (Schu-
bert, p. 352)
D'autres auteurs, dont John Rohr et la « Blacksburg Gang », mettent l'emphase, non seule-
ment sur les aspects légaux de cette question, mais également sur les valeurs et les principes
que l'on retrouve au sein de la Constitution américaine. On vise un intérêt public avant tout
vertueux et déontologique. Dans cette même veine, d'autres interprètent l'intérêt public
comme l'équivalent de gestes altruistes alors que les intérêts privés seraient l'équivalent de
gestes égoïstes. Cependant, tel que le note Sorauf, une telle approche ne peut que refléter
de vagues et imprécises valeurs, certes valables, mais qui se traduisent mal en intérêt pu-
blic quand il écrit que « they are vague values, broad enough to elicit widespread agreee-
20
ment, but too far wide to be relevant for the struggle for policy influence. They are sym-
bols rather than interests. » (Sorauf, p. 632)
D'autres auteurs conçoivent l'intérêt public en terme de buts sociaux désirables pour l'en-
semble de la société, buts qui seraient supérieurs à d'autres tels que la conservation de l'en-
vironnement, la protection de la biodiversité, la protection du consommateur... Une telle ap-
proche semble intégrer des aspects moraux et religieux. Cependant, une telle approche se
réduit souvent à une vision restreinte de l'intérêt public où «the majority will, in the name
of the higher morality, attempt to impose the « truth » on all society. » (Sorauf, p. 628)
De plus, on retrouve au sein de certaines religions, certains principes éthiques tels que
l'amour de son prochain, des commandements liés aux comportements humains et des va-
leurs altruistes. Bien qu'utiles, ils ont, d'un point de vue analytique, le désavantage qu'on
tente de les justifier divinement, empêchant de les analyser et de les comprendre par rapport
à ce que la société désire mettre en commun, la foi en eux devenant le mot d'ordre.
Approche sociétale de l'intérêt public: impacts, résultats, conséquences
Une telle approche entrevoit l'intérêt public dans la mesure de ses conséquences sociétales.
Étant donné que pour certains, l'intérêt public ne peut être atteint et est difficilement mesu-
rable, on tente de l'évaluer à l'inverse, c'est-à-dire en analysant les conditions économiques
et sociales des citoyens visés par l'action gouvernementale et citoyenne. C'est cette ap-
proche que propose BrayBrooke quand il affirme que « the only way that we have of telling
whether the public interest has been served is by observing the condition of society .»
(Braybrooke, p. 144) Dans la même veine, il semble plus aisé de se fixer des objectifs in-
termédiaires et mesurables, quitte à rajuster le tir au fur et à mesure plutôt que de vouloir
21
concevoir et diriger l'action gouvernementale vers l'objectif ultime de l'intérêt public, objec-
tif qui s'opérationalise mal à court-terme.
Une autre approche sociétale de l'intérêt public consiste à mesurer la valeur publique
qu'amène l'action publique. Moore fait partie de cette école de pensée. Bien qu'en parlant
de valeur publique, on serait tenté de ne penser qu'à la valeur économique ou financière gé-
nérée par une activité publique comme dans le cadre d'une activité privée, Moore étend
l'analyse en écrivant que « the necessity of giving a general, politically acceptable answer
of acting as though there were a collective consumer with well-defined preferences for so-
cial conditions brought about by public enterprises, is the central intellectual problem in de-
fining the value of governmental activities. » (Moore, p. 39)
Par ailleurs, les actes privés et les actes publics sont inter reliés et ce sont les conséquences
de ceux-ci qui importent et qui déterminent la nature et l'à-propos de l'intérêt public. À
cette fin, Dewey affirme que « the line between private and public is to be drawn on the
basis of the extent and scope of the consequences of acts which are so important as to need
control .» (Dewey, p. 15) Si les intérêts de ceux qui subissent les conséquences d'actes
quelconques sont affectés, ceux-ci ont le potentiel de devenir des intérêts publics dont un
magistrat devra s'occuper quand Dewey dit que « officials are those who look out for and
take care of the interests of those affected » (Dewey, p. 16) et que « the state is the organi-
zation of the public effected through officials for the protection of the interests shared by its
members. » (Dewey, p. 33)
On retrouve une approche relativement identique dans certaines variantes de l'école de la
gouvernance dont le modèle d'analyse proposé par Lynn où il tente d'évaluer les impacts
d'un régime de gouvernance d'une société. Ce modèle est cependant limité aux résultats des
actions des différents intervenants et il semble y manquer une unité de mesure afin de pou-
22
voir juger de l'à-propos de celles-ci.
23
La notion d'intérêt public est-elle toujours utile?
« L'intérêt fournit un stimulant pour la formation et le maintien d'associations volontaires. »
Mancur Olson
Certains diront qu'il existe trop de variabilité de ce concept pour être quelque peu utile. Ce-
pendant, à défaut de pouvoir utiliser une norme générale, comment peut-on juger de la va-
leur des politiques publiques, de l'action gouvernementale, de la relation existante entre les
intérêts privés et publics, de la capacité de la société de faire face aux nombreux défis qui
l'attendent dans une monde de plus en plus complexe et risqué?
Dans un monde pluraliste comme le nôtre, il nous apparaît encore plus nécessaire d'établir
des finalités communes afin d'assurer une certaine cohésion de la société. Ainsi, comme
tout groupe ou association existe afin de soutenir, de protéger et de promouvoir des intérêts
communs de ce groupe, une société, dans son ensemble, doit pouvoir compter sur certaines
finalités, reflétant certaines valeurs intrinsèques à celle-ci, que les membres de cette société,
le public en général, trouvera intérêt à protéger, soutenir, promouvoir et développer.
Ainsi, il nous apparaît que la notion d'intérêt public a toujours son utilité par rapport aux
grands objectifs de toute société, sinon il peut nous apparaître inutile de vouloir vivre en-
semble. Et même si les membres qui composent cette société, individus et regroupements
d'individus sous formes d'entreprises et d'organisations privées, ne voient pas explicitement
l'utilité de cette notion d'intérêt public, ils seraient à même de constater, du peu qu'on puisse
leur démontrer, que même leurs intérêts privés et immédiats sont fortement influencés et
leur valeur est fortement marquée par un État qui, directement par l'entremise d'un gouver-
nement et par sa gouverne des autres membres de cette société, soutient, valorise, protège et
promeut l'intérêt public.
24
L'intérêt public: l'étalon des finalités et des valeurs d'une société
À cette étape-ci, il semblerait approprié de définir la notion d'intérêt public. Nous sommes
plutôt d'avis que cette norme doit être envisagée en y intégrant plusieurs des composantes
discutées précédemment, soit une approche multi-disciplinaire. Ce faisant, nous rejoignons
Appelby qui énonce que:
« The public interest is never merely the sum of all private interests nor the sum remaining
after canceling out their various pluses or minuses. It is not wholly separate from private in-
terests, and it derives from citizens with many private interests; but it is something distinc-
tive that arises within, among, apart from, and above private interests, focusing in govern-
ment some of the most elevated aspiration and deepest devotion of which human beings are
capable. » (Appelby, p.34)
Cette définition vient proposer une approche pro-active à l'élaboration de l'intérêt public
plutôt que de l'envisager uniquement sous un angle juridique, par exemple. En effet, ne pas
s'astreindre uniquement à cette dernière vision de l'intérêt public implique de vivre dans une
société où le peuple conserve sa fonction première d'élaborer ses propres valeurs et l'intérêt
public qui s'y développe. Quant aux juges, nous leur laissons le soin de s'assurer qu'on s'y
conforme par la suite et non l'inverse; ce faisant, on rejoint l'argumentation de Sorauf qui
écrit que « a value becomes an interest by the mere fact they support and act to acheive it. »
(Sorauf, p. 636)
L'intérêt public et l'intérêt privé se ressemblent. Tous deux visent l'intérêt d'un public donné
mais se situent à différents niveaux. Ainsi, dans le cadre de toute entreprise privée, ses va-
leurs ultimes sont essentiellement exprimées dans son énoncé de mission tandis que ses fi-
nalités se retrouvent exprimées dans ses objectifs à long-terme et à court-terme, lesquels
sont évalués à l'aune des nombreux intérêts privés - salariés, actionnaires, gouvernements,
25
financiers - qui ont à cœur son existence, ceux-ci étant conscients que la valeur financière et
non financière de leur intérêt privé individuel dépend de la capacité de l'organisation d'assu-
rer la viabilité de l'ensemble des intérêts privés de chacun des sous-groupes. Par exemple,
un employé d'une organisation privée a plusieurs intérêts financiers et économiques – sa-
laire et survie – et de nombreux intérêts non financiers – prestige, stabilité émotive, identi-
fication au groupe, etc. - à ce que l'organisation pour laquelle il œuvre, survive et prospère.
Souvent, en comptabilité, cette valeur commune, qui est plus grande que la somme de cha-
cune des composantes, est ce qu'on évalue par le concept d'achalandage « goodwill » et le
capital économique et social de l'entité.
On retrouve ce même élan dans certains textes plus récents comme celui de Moore qui, ne
parlant pas de la notion d'intérêt public comme telle, discoure cependant sur celle de la va-
leur publique. On y retrouve cependant le même désir de voir cette notion transcender celle
de la somme des intérêts individuels quand il écrit que, dans le cadre d'un service public
spécifique, « it not only raises doubts about individual citizens' desires for the services (and
therefore its value), but also makes it necessary to explain the value of the enterprise in
terms that would be satisfactory to the community as a whole (not just the beneficiaries of
the service). » (Moore, p. 39)
Si on projette ce microcosme de société que constitue toute organisation ou entreprise pri-
vée, à but lucratif ou non, il est possible d'en dégager une approche globale. Contrairement
à beaucoup d'auteurs, qui semblent privilégier une approche plutôt qu'une autre dépendant
de leurs préférences et de leur formation académique, nous sommes plutôt d'avis d'envisa-
ger une définition plus intégrante de l'intérêt public afin de répondre aux enjeux actuels de
la société complexe dans laquelle nous vivons. Ce faisant, nous rejoignions Herring pour
lequel l'intérêt public devient un élément essentiel de toute démocratie et doit guider l'ac-
tion étatique quand il écrit que « the democratic state, to be consistent with its own prin-
26
ciples, must preserve conditions under which a clear conception of the public interest can
be formulated and presented to voters. » (Herring, p. 380)
À cette fin, Goodsell définit six composantes essentielles d'une approche basée sur la no-
tion d'intérêt public: « legality-morality, political responsiveness and consensus, concern
for effects, concern for logic, and agenda awareness. » (Goodsell) On retrouve d'ailleurs le
même genre d'approche d'intérêt public à la page 182 du livre de Jun. Bien que celui-ci ne
le présente pas comme un modèle de l'intérêt public, on y retrouve les mêmes composantes,
cependant.
Selon cette approche, l'intérêt public, pour trouver toute sa force et sa pertinence, doit inté-
grer des notions de valeurs et d'accord sur les finalités de la société, exprimées librement au
sein du processus démocratique et politique, tout en faisant appel à la science afin d'estimer
les conséquences a priori et les impacts subséquents des nombreuses actions de la multitude
d'acteurs publics – service public - et privés – biens privés - , susceptibles de l'affecter.
Ainsi, pour la société toute entière, les valeurs recherchées s'expriment démocratiquement
dans différents forums, dans les constitutions des pays et par les citoyens. Les politiciens et
leurs gouvernements, mandataires des citoyens, les traduisent en lois et les juges, les inter-
prètent. Ainsi, cette approche serait éminemment démocratique et vient contrecarrer le pré-
jugé conventionnaliste comme l'affirmait Pharo où les lois, exprimant clairement les valeurs
recherchées et désirées par la société, donneraient au gouvernement et aux administrateurs
publics des balises et des principes quant à ce que recherche ultimement la société.
Ainsi, les débats politiques, au lieu de se concentrer sur le comment et les détails opération-
nels, devraient s'orienter sur les grands enjeux de la société, enjeux exprimant les valeurs
27
recherchées à long-terme du fait d'appartenir à une entité politique donnée. De telles va-
leurs varieront d'une société à l'autre mais on y retrouve certaines valeurs communes
comme, par exemple, dans la Déclaration des droits de l'homme des Nations Unies et au
sein d'approches sur la hiérarchie des valeurs de plusieurs auteurs dont Waldo.
Étant donné que les valeurs recherchées par la société expriment des désirs qui prennent du
temps à se réaliser, une deuxième composante de l'intérêt public devient essentielle, c'est-à-
dire l'élaboration des finalités, soient les objectifs sociaux, que l'on désire atteindre à moyen
et à long-terme en tenant compte des valeurs ultimes recherchées. Ces finalités deviennent
des balises, des repères, des indicateurs plus facilement « mesurables » que les valeurs et
qui permettent de connaître si, comme société, nous nous dirigeons dans la bonne direction.
C'est d'ailleurs ce que mentionne Foucault quand il cite que « le gouvernement est défini...
pour conduire, non à la forme du bien commun, comme disaient les textes des juristes, mais
à une fin convenable. » (Foucault, p. 646)
Bien qu'il puisse être difficile et pénible de définir les finalités, elles sont essentielles afin
de pouvoir concrétiser quelque peu la notion d'intérêt public. À cette fin, il y a lieu de
considérer certains critères pouvant nous guider à cette fin. Pour certains auteurs, il suffit
d'utiliser des critères tels que la finalité soit jugée bonne, profitable, recommandable et bé-
néfique. Il y a cependant d'autres critères qui nous apparaissent utiles d'envisager à cette
fin.
Tout d'abord, contrairement au secteur privé, qui ne vise qu'à satisfaire ses intérêts privés, la
finalité publique doit être extravertie comme l'affirme Chevalier qui écrit que « l'organisa-
tion publique est instituée pour satisfaire des intérêts qui la dépassent. »(Chevalier, p. 34)
Par ailleurs, les finalités sociales doivent aller au-delà de l'efficacité administrative et de
28
l'économie comme on les retrouve strictement dans le secteur privé. On doit évaluer les fi-
nalités en regard des bénéfices sociaux attendus et désirés, ceux-ci devant tenir compte des
externalités et non seulement des aspects économiques. C'est ce que décrit Jun quand il dis-
cute du concept de « effectiveness », qui ne semble pas avoir d'équivalent français car on le
traduit par efficacité tout comme pour le mot « efficiency. » (Jun, p. 174)
Par ailleurs, les finalités sociales doivent être élaborées en fonction de la composante « pu-
blic » de la notion d'intérêt public. À cette fin, Sir George Cornewall a présenté cette ver-
sion du public qui est toujours d'actualité. « Public, as opposed to private, is that which has
no immediate relation to any specific person or persons, but may directly concern any
member of the community, withouth distinction. » (Barry, p. 195)
De plus, un autre critère afin de déterminer les finalités sociales consisterait à les élaborer
en tenant compte a priori des intérêts communs des groupes qui seront affectés par les
conséquences futures des décisions et des actions à la fois d'acteurs privées et d'acteurs pu-
blics. De cette ensemble d'intérêts communs, qui fait référence aux aspects qui touchent et
qui affectent une communauté donnée, il serait loisible de « déduire » les finalités d'une so-
ciété en « ordonnant ceux-ci », les plus importants de ces intérêts communs devenant des
candidats potentiels des finalités publiques. Ainsi, l'intérêt commun d'un groupe se trans-
forme en intérêt public lorsque des conséquences d'actions peuvent affecter et peuvent
avoir un impact sur tous, qu'on le réalise ou pas. Dewey abonde dans ce sens lorsqu'il écrit
qu'un public se crée lorsque « a common interest develops in controlling, indirect, exten-
sive, enduring and serious consequences of conjoint and interactinng behavior .» (Dewey,
p. 126) C'est également ce que Cassinelli conçoit quand il écrit que « the word interest re-
fers to something that we should be interested in, even though we may not be, and it could
be replaced by profit, welfare or benefit », certains exemples de finalités. (Cassinelli, p. 46)
29
« Faute de réfléchir aux conséquences de ses actes, on court à la ruine et à la catastrophe. »
(Khaldûn, p. 627) C'est dans cette optique que le modèle de la décision des actions gouver-
nementales de Simon peut-être intégré avec cette approche de l'intérêt public, à la fois pour
déterminer les finalités de même que pour évaluer les conséquences des actions entreprises,
rejoignant le critère de la logique de Goodsell.
Ainsi, par une approche plus scientifique, basée sur la rationalité pure ou limitée par les
contraintes des contextes opérationnels, il devient possible d'évaluer a priori et a posteriori
les conséquences ultimes directes et indirectes des interventions en fonction des nombreux
moyens et objectifs intermédiaires que l'organisation peut se fixer, soit la mesure de la
« social efficiency en regard des finalités désirées.
Le modèle à la Simon utiliserait les composantes suivantes: moyens « means » d'actions
choisis en tenant compte des interrelations et des actions conjointes des différentes compo-
santes de l'État, de la participation citoyenne de même que des entreprises privées qui parti-
cipent à la prestation de services dits publics. La mesure des finalités « ends » seraient éva-
luées grâce à des indicateurs de valeur publique tels qu'élaborés par Moore dans « Public
Value ». Sorauf abonde dans le même sens quand il affirme que « a decision is said to be in
the public interest if it serves the ends of the whole public rather than some sector of the pu-
blic . » (Sorauf, p. 619)
Ce faisant, on rejoint plusieurs auteurs qui sont d'avis que la combinaison de plusieurs
sciences peut contribuer à assister la société à concrétiser cette notion d'intérêt public. Nous
ne citerons que Lasswell qui écrit que « when new models of institutional processes are de-
vised, models which can unify quantitative and nonquantitative observations and point the
way to new empirical, theoritical and policy activties. » (Lasswell p. 9)
30
La gestion intégrée des risques sociaux
Le modèle proposé par Goodsell couvre les principaux éléments d'une approche basée sur
l'intérêt public. Cependant, dans ce modèle, il semble y manquer une composante impor-
tante, soit la notion de risque ou de vulnérabilité. En effet, les facteurs complexes de la so-
ciété moderne, qui font en sorte que les valeurs et les finalités ne soient pas atteintes,
peuvent s'analyser sous l'angle du risque.
D'ailleurs Dewey le reconnaît déjà indirectement en 1951, celui-ci mettant l'emphase sur les
contrôles, qui sont le pendant des risques, et écrit sur les notions de promotion et de restric-
tion, deux aspects fondamentaux de la gestion intégrée du risque. Il écrit que «the line bet-
ween private and public is to be drawn on the basis of the extent and scope of the conse-
quences of acts which are so important as to need control, whether by inhibition or promo-
tion. » (Dewey, p. 15) Simon aborde dans le même sens, bien qu'il ne crut pas à la notion
d'intérêt public mais, reconnaissant qu'on peut la gérer pro activement, écrit que «we do
not speak of attaining the public interest...they can only be protected or advanced. » (Si-
mon) Quant à Cassinelli, il reconnaît déjà ce rôle de gestionnaire de risque global au gou-
vernement quand il écrit que « the gouverment action should correspond to promote, de-
fend, be responsible and assist in the realization of public interest. » (Cassinelli, p. 58)
De plus, cette approche pro active et intégrée de la gestion des risques sociaux par rapport à
l'objectif des finalités publiques s'intègre bien dans la mouvance récente de la gouvernance
sociétale où l'État semble vouloir jouer un rôle de coordination des interventions des nom-
breux acteurs sociaux, rejoignant l'énoncé de Rutgers qui dit que « governance seems to
suggest an image of social reality where state and society bifurcation disappears. » (Rut-
gers, p. 23)
31
Par ailleurs, la gestion de certains risques sociaux existe depuis un certain temps. En effet,
on n'a qu'à penser aux programmes de sécurité sociale qui existent dans de nombreux pays.
Cependant, ceux-ci restent limités à certains aspects et visent souvent une redistribution des
revenus, l'intérêt public visé étant le soutien des revenus au détriment de l'équité inter géné-
rationnel. Une nouvelle approche se dessine actuellement, soit la gestion des risques so-
ciaux, qu'ils soient de nature physique, naturel, santé, environnemental, politique et que la
Banque Mondiale nomme le « Social Risk Management » et que d'autres auteurs appellent
le « Societal ERM ». Cette nouvelle façon vise un intérêt public sans doute différent de ce
qu'on retrouve avec l'approche de la sécurité sociale. On entrevoit cette approche comme
permettant aux individus de devenir résilient à une ensemble de risques pouvant les affecter
au cours de leur vie, la Banque Mondiale décrivant celle-ci en tant que « public interven-
tions to assist individuals, households and communities better manage risk» et étant de
moins en moins orientée vers le soutien des revenus uniquement. (Holzmann p.3)
De plus, un des aspects fondamentaux de la gestion intégrée des risques est de l'envisager
non seulement sous l'angle de vouloir limiter les pertes mais également d'encourager les op-
portunités. Cependant, afin de pouvoir concevoir celle-ci, il est nécessaire d'avoir une
norme de référence; la valeur d'une entreprise étant souvent celle retenue pour évaluer l'im-
pact des risques sur l'intérêt privé tandis la norme de l'intérêt public serait à définir en fonc-
tion des finalités sociales, permettant à cette dernière de remplir ce rôle pour les risques so-
ciaux. Ainsi, les nombreuses interventions gouvernementales et celles du privé, qui se font
souvent sans coordination - équivalent des contrôles en risque privé -, pourraient être éva-
luées à l'aune de cette norme de l'intérêt public et l'on pourrait juger de leur valeur intrin-
sèque par rapport à la norme de l'intérêt public, elle-même conçue pour refléter les valeurs
désirées à long-terme par la société. Ce faisant, on rejoindrait ce qu'énonce Kooiman, qui
écrit que, dans une société de plus en plus complexe, plusieurs acteurs peuvent contribuer à
« solving societal problems or creating societal opportunities..and establishing a normative
32
foundation for those activities. » (Kooiman, p. 4)
L'intérêt public: autres aspects opérationnels et questionnements
Les théories de la décision et des choix rationnels visent les pratiques internes de l'adminis-
tration. En d'autres termes, si l'administration va, l'intérêt public suivra. Il semblerait que de
vouloir être efficace et efficient va en partie dans le sens de l'intérêt public lorsqu'il s'agit de
programmes et de services connus, stables, acceptés depuis longtemps et pour lesquels les
conséquences sont déjà bien connues. Cependant, lorsqu'il s'agit d'enjeux nouveaux de la
société pour lesquels les solutions n'existent pas encore, vouloir concevoir l'intérêt public
uniquement d'un point de vue rationnel et indirect aux décisions nous semble réducteur.
L'implication citoyenne et législative deviennent donc essentielles afin de guider l'adminis-
tration dans la bonne voie, sinon on risque de voir l'administration, sous un couvert d'effi-
cience, adopter ses propres vues et valeurs de ce que constitue l'intérêt public, la société su-
bissant un risque moral de la part de l'administration.
Par ailleurs, il va de soi que si un intérêt public a été reconnu, un service public doit accom-
pagner sa réalisation. Cependant, sa mise en place doit-elle être nécessairement assumée
par une entreprise publique, c'est-à-dire une entreprise possédée par l'État? L'entreprise pri-
vée peut-elle, sous certaines conditions, contribuer à l'atteinte des finalités de la société?
Comment pourrait-on séparer les services publics entre ceux assumés entièrement par
l'État, par les citoyens eux-mêmes, par les entreprises privées et ceux partagés entre eux en
se basant sur la notion de l'intérêt public? À cette fin, il serait intéressant d'analyser, comme
l'écrit Chandler, comment différentes combinaisons citoyens et administrateurs profession-
nels ont coexisté au cours des époques tout en ayant satisfait l'intérêt public ou non de cha-
cune. Ainsi, vu sous l'angle d'une « frontière efficiente », il serait intéressant d'étudier l'im-
pact, en regard de la norme de l'intérêt public, de ces combinaisons; peut-être découvri-
33
rait-on différentes combinaisons qui donneraient le même résultat global? Voir Appendice
1
Il serait intéressant d'analyser les liens qui peuvent exister entre les intérêts individuels et
l'intérêt public. À prime abord, il semble approprié de constater que les actions gouverne-
mentales entreprises dans le cadre de l'intérêt public affectent directement les intérêts privés
et que les intérêts privés, en retour, peuvent affecter et influencer positivement ou négative-
ment l'atteinte de l'intérêt public. Les deux semblent agir en vase communicant. Ainsi, dans
le cadre de l'élaboration d'une politique dans l'intérêt public, Pennock mentionne quelques
critères à tenir compte. Tout d'abord, une politique peut être dans l'intérêt public sans pour
autant que ceux qui en sont affectés n'est nécessairement conscience qu'il y a un intérêt du
public, qui transcende leur propre intérêt. Ainsi, un règlement qui interdit la conduite ex-
cessive est dans l'intérêt public puisqu'il protège à la fois l'individu et ses propres intérêts et
l'intérêt de la population dans son ensemble de vivre dans un environnement sécuritaire. De
plus, l'intérêt public a une notion de temps. Ainsi, l'intérêt public doit tenir compte des inté-
rêts privés et publiques des générations à venir.
Certains critiquent souvent la notion d'intérêt public comme étant « non opérationalisable »,
c'est-à-dire qu'il est difficile de l'utiliser afin de guider l'action gouvernementale au quoti-
dien. En effet, si on pouvait la rendre plus concrète, on pourrait ainsi mieux encadrer l'ad-
ministration publique et son niveau de discrétion à cet égard. Ainsi, certains efforts
semblent émerger à ce niveau. En effet, dans le cadre de la politique d'accès à l'information
au Royaume-Uni, les fonctionnaires doivent utiliser un test de l'intérêt public, basé sur cer-
tains critères, afin d'encadrer leur décision subséquente. Bien qu'il s'agisse d'un test non em-
pirique, il a toutefois le mérite de vouloir « forcer » l'administration à envisager cet aspect a
priori et à justifier ses décisions et actions en conséquence. Étudier une telle approche serait
sans doute pertinente afin de voir dans quelle mesure elle permettrait d'opérationaliser ce
34
test à d'autres champs d'activités. On se retrouve à rejoindre la version processus de l'intérêt
public discutée précédemment.
Finalement, il serait intéressant d'étudier quelle genre de formation et quels nouveaux types
d'employés de l'État seront nécessaires afin de mettre en pratique une telle approche de l'in-
térêt public. À prime abord, il semble qu'il faudra élargir la formation des fonctionnaires,
rejoignant ce que certains auteurs proposent lorsqu'ils écrivent à propos de la nécessité
d'une formation généraliste des fonctionnaires appelés à œuvrer à ce niveau. Ainsi, mon-
sieur Parenteau de l'ÉNAP écrit qu'il serait utile que le fonctionnaire puisse relier son
champ de spécialisation « aux intérêts plus larges du gouvernement et de la société globale,
augmenter sa capacité d'analyse des problèmes gouvernementaux et des politiques pu-
bliques. » (Parenteau, p. 198)
35
CONCLUSION
« Carthage n'aurait pas conservé tant de puissance pendant près de six cents ans, si elle
n'avait pas été servie par l'intelligence politique et une tradition gouvernementale. »
Cicéron
Quel type d'intérêt public doit-on privilégier? Doit-on envisager celui-ci comme étant sim-
plement la somme des intérêts privés à partir duquel un consensus s'établit? C'est en fait
tentant de l'envisager sous cet angle. L'intérêt public devient essentiellement ce que désire
la population, représentée par ses dirigeants à un moment donné dans le temps. De cette ap-
proche changeante dans le temps, on court toujours le risque que des intérêts particuliers
vont tenter d'imposer leurs vues et que leurs versions deviennent l'intérêt général. On a ten-
té de limiter ce risque au fil des années en mettant en place une administration bureaucra-
tique dont le mandat est justement de mettre en place des interventions pour s'assurer que
l'intérêt public soit atteint.
L'autre approche consiste à considérer que l'intérêt public est plus que simplement la
somme des intérêts privés et qu'elle vise à long-terme à assurer la cohésion sociale en met-
tant l'emphase sur certaines valeurs désirées par la société. L'avantage de cette approche est
d'être extravertie, de viser un objectif même s'il semble difficile à atteindre. Inévitable-
ment, on doit se poser des questions pour connaître où nous en sommes vis-à-vis de l'objec-
tif ultime, ce qui encourage l'analyse pro-active des conséquences et des impacts des nom-
breuses actions gouvernementales et privées qui composent la société complexe dans la-
quelle nous vivons. Il semble, en effet, que, dans un tel contexte de complexité sociale ac-
crue, il devienne encore plus nécessaire d'avoir des balises et une approche structurée et in-
tégrant les meilleures pratiques des nombreuses écoles de pensée de l'intérêt public, afin de
nous guider vers une société plus juste au lieu d'être simplement en mode « muddling
through. »
36
RÉFÉRENCES
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38
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39
Appendice 1: Combinaison d'administration et d'implication citoyenne sur l'intérêt public
40

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L'intérêt public: Étalon de la gouvernance étatique

  • 1. ÉCOLE NATIONALE D’ADMINISTRATION PUBLIQUE TRAVAIL de SESSION L'INTÉRÊT PUBLIC: ÉTALON DE LA GOUVERNANCE ÉTATIQUE TRAVAIL PRÉSENTÉ À MONSIEUR GÉRARD DIVAY COMME EXIGENCE PARTIELLE DU COURS ENP9301 – LES FONDEMENTS DE LA PENSÉE EN ADMINISTRATION PUBLIQUE PAR MONSIEUR MICHEL ROCHETTE 30 avril 2010
  • 3. INTRODUCTION « L'État doit être le promoteur actif et responsable du bien commun. » Michel Chartrand L'intérêt public est une notion qui a été abondamment discutée au cours des années en ce qui a trait aux affaires de la République, de l'État et du Gouvernement. En effet, en latin, la « Res Publica » signifie la chose publique par rapport à la « Res Privata », la chose privée. D'ailleurs, au cours des siècles, on retrouve continuellement cette dichotomie, à la fois en ce qui concerne les théories relatives à la constitution de l'État de même qu'à son fonction- nement politique et administratif. Il en va de même en ce qui concerne la notion de l'intérêt public qui a été continuellement confrontée à celle de l'intérêt privé. À certaines époques, on considère que la notion d'intérêt public est essentielle au fonction- nement d'une société politique démocratique alors qu'à d'autres périodes, on considère que cette notion ne possède aucun sens pratique pouvant guider les nombreuses interventions gouvernementales, beaucoup plus nombreuses qu'il y a quelques siècles. De plus, cette no- tion a évolué dans le temps, passant d'un aspect relié essentiellement à la notion de proprié- té publique à celle de valeur publique engendrée par les nombreuses actions administratives des états modernes. Cependant, la question qui se pose de nos jours est la suivante: l'intérêt public a-t-il tou- jours une certaine utilité afin de guider le fonctionnement de l'État démocratique moderne, non seulement en ce qui a trait à l'élaboration des lois mais également en ce qui touche à son fonctionnement administratif et son rôle potentiel de gouvernance dans un contexte de pluralité et de complexité de la vie sociale moderne? 1
  • 4. À cette fin, ce texte est divisé en trois grandes sections. Tout d'abord, nous ferons une revue historique en ce qui touche à l'expression « intérêt public » afin de comprendre ses origines et son évolution au fil du temps. Par la suite, nous ferons un sommaire des nombreuses in- terprétations de cette notion qui ont cours actuellement. Finalement, nous proposerons quelques pistes d'approche afin de mieux définir cette notion et ses caractéristiques afin de la rendre plus pertinente aux finalités actuelles de l'État ainsi qu'à de nouveaux rôles dans un contexte de la gouvernance sociétale. 2
  • 5. DÉVELOPPEMENT « Sans intérêt commun, point de groupe » Arthur Bentley Origines et évolution de la notion d'intérêt public: Au temps d'Aristote, on discoure sur la notion d'avantage commun. Les hommes s'associent naturellement afin de subvenir à leurs besoins et forment des Cités. Aristote l'associe à une forme familiale, vouée au bonheur de ses membres. Afin d'assurer un bonheur à tous, juste et équitable, il devient essentiel d'envisager que certains biens seront communs et dispo- nibles à tous. C'est donc cette « notion en commun qui fait une famille et une Cité » selon Aristote. (Aristote, p.91-92) Afin de participer au partage et à l'administration de ces biens communs, sensés assurer le bonheur de la Cité, les membres doivent pouvoir avoir un droit de regard et d'intervention sur les affaires publiques, devenant ainsi des citoyens et participant à la gouverne et étant gouvernés également. De plus, afin de les guider dans leurs délibérations, Aristote présente la notion « d'avantage commun », qu'il définit en regard de notions éthiques telles que la justice, le bien et le mal. De plus, selon Aristote, différentes formes d'organisations de la Cité permettent d'atteindre l'avantage commun telles que la monarchie, l'aristocratie et le gouvernement constitution- nel, transcendant l'organisation politique de la Cité. Cependant, « certaines déviations comme la tyrannie, qui est une monarchie visant l'avantage du monarque, l'oligarchie, celle des gens aisés, et la démocratie, celle des gens modestes, ne visent en aucun cas l'avantage 3
  • 6. commun », retrouvant ainsi cette dichotomie publique-privée. (Aristote, p. 229-230) Par la suite, à l'époque romaine, c'est plutôt la notion de « salus populi » qui est de rigueur, c'est-à-dire la notion du bien-être du peuple. Cependant, derrière cette notion se retrouvait l'idée, qu'à l'occasion, en tant que citoyens de Rome, il pouvait devenir nécessaire que l'on sacrifiât ses biens personnels pour le bonheur de la nation, particulièrement en temps de crise. C'est au cours du 17e siècle, suite à la révolution anglaise, à la constitution du Parlement et à l'avènement de la monarchie constitutionnelle, que la notion d'intérêt public prend nais- sance, « gradually replacing the common good of philosophy and the salus populi favored by Roman law » (Gunn, p. ix). Puisque les membres du Parlement étaient en fait de grands propriétaires terriens, ils développèrent un intérêt commun, lors de leurs délibérations, afin de vouloir protéger leurs biens personnels terriens contre la possibilité qu'ils soient confis- qués lors d'invasions, de guerres, par le peuple lui-même qui n'en possédait point ou par le Roi. Ainsi, la notion d'intérêt rejoint essentiellement son origine latine « interest ou inter- esse», qui signifie « ce qui importe et important dans la relation vers l'être ». À cette époque, la notion d'intérêt fait référence à une notion très terre à terre – sic - «pro- tection of estates » (Gunn, p. 11) et devient publique parce qu'elle représente une préoccu- pation commune des grands propriétaires, le seul public ayant le pouvoir, à cette époque, de manifester et de faire valoir son intérêt. Cependant, bien que l'intérêt public semble être re- lié à la protection des intérêts privés de quelques propriétaires terriens, il n'en demeure pas moins qu'on peut extrapoler que la protection des terres, même pour ceux qui n'ont pas mais qui sont susceptibles d'en avoir un jour, puisse devenir un élément important de cette socié- té et acquiert une certaine valeur universelle pour celle-ci lorsque John Durie affirme que « a public interest is nothing else but the universal private good of everyone. » (Gunn, p. 4
  • 7. 15) Ainsi, au tout début, il appert que la notion d'intérêt public se limite à ce qui apparaît rai- sonnable de mettre en commun en regard de ce qu'on perçoit comme étant ses avantages immédiats tels que discutés entre hommes raisonnables au Parlement anglais. En effet, la notion de raison par rapport à la notion de passion influence fortement la signification et l'évolution de l'intérêt public. Contrairement à la passion pour quelque chose, cette dernière notion étant considérée comme étant individuelle, c'est la raison – du latin ratio, calcul, compte - qui doit guider les actions communes et la détermination de cet intérêt commun. Il y a donc ici un aspect analyse qui se développe autour de cette notion contrairement aux précédentes. Cependant, la notion de « raison d'État », si souvent invoquée au cours des siècles, fait plutôt référence à cette idée de préservation des acquis de l'État plutôt qu'à la notion que l'État utilise la raison afin de permettre aux hommes de mettre en commun cer- tains avantages. À la même époque, avec l'avènement de Hobbes et de quelques autres auteurs dont William Penn, la notion d'intérêt publique s'étend au delà de la seule protection de quelques intérêts terriens pour englober des notions de sécurité publique, d'ordre domestique, de félicité, de richesse collective de même que de préservation des intérêts privés. On commence à voir apparaître la différence entre des notions communes sur lesquelles on désire légiférer et des notions individuelles. On commence à discuter séparément les notions de privé et de public par l'expression « private wants and public needs. » (Gunn. p. 153) Ainsi, comme l'écrit Gunn, « there was a public good distinct from that of particular citizens taken individually and...differed from earlier doctrines that the public good emerged only from the expression of private interests ». (Gunn, p. 151) Parallèlement, d'autres auteurs discourent sur la notion d'intérêt commun ou une variante. Rousseau écrit que, dans l'état de nature, les hommes visent à assurer essentiellement leurs 5
  • 8. intérêts particuliers alors que dans l'état civil, les hommes s'associent afin d'assurer leur conservation et leur richesse, que Rousseau décrit par la volonté générale d'association. De cette volonté générale d'association, exprimée sous la forme d'un contrat social, Rousseau décrit qu'une des clauses du contrat - sic - consiste à atteindre l'égalité, la liberté et la sécu- rité, ce que Rousseau décrit comme étant des valeurs faisant parties du bien commun, bien qui va au-delà de la simple addition des volontés particulières. Par cette analyse, Rousseau insiste plutôt sur la notion de bien commun, sa conception de la République s'enlignant plus avec celle des auteurs historiques qu'avec les développements de l'Angleterre de son époque, préférant, quant à elle, la notion d'intérêt public. Rousseau amène plutôt la notion d'intérêt général en ce qui a trait au bien commun. De son point de vue, une société donnée, à un moment donné de son histoire, peut reconnaître que certains aspects de la vie en société, dont certains biens et services, sont publics, accessibles à tous, et n'ont pas à être mis en commun, réglementés et partagés équitablement entre les membres de cette société tels que le soleil et l'air respiré. Ces biens sont des ressources re- nouvelables et illimitées mais demeurent quand même publiques puisque personne ne peut les contrôler directement et les transformer en intérêts privés. Cependant, dans l'esprit de Rousseau, si ces mêmes ressources deviennent limitées, exclusives ou à utilisation qui gé- nère de la rivalité et empêchent d'atteindre les valeurs de cette société, le bien public doit devenir un bien commun, que l'ensemble de la société doit vouloir gérer par l'entremise du contrat social et des lois qui en découlent afin d'en assurer une répartition équitable; il y a donc un intérêt général qui se développe et qui se créé afin d'y pourvoir. Ainsi, pour qu'un bien ou une service devienne commun, il doit y avoir un intérêt général afin de l'élever au- dessus des intérêts privés vis-à-vis ce bien. Rousseau a donc intégré la notion de bien commun à celle de l'intérêt général pour ce bien commun mais dans la mesure d'atteindre un objectif, tel que l'équité, par exemple. Dans 6
  • 9. l'esprit de Rousseau, cette notion d'intérêt général pour le bien commun doit pouvoir s'ex- primer sur des aspects fondamentaux de la vie en société résultant du contrat social. En ef- fet, il n'est pas possible, ni souhaitable, de représenter n'importe lequel aspect de la vie en société comme étant un bien commun. Si on prend cette voie, on rejoint l'idée de Rousseau qui affirme que « plus on fait des lois, plus on rejoint les intérêts particuliers..et on ne vise plus l'intérêt général. » (Rousseau, p. 193) À cette même époque, Locke oriente son discours sur l'intérêt commun par rapport à la pro- tection et la conservation de la propriété, pas seulement foncière, par l'entremise d'un gou- vernement qui régule les relations entre les citoyens. Locke discoure également sur la no- tion de bien commun, suivant l'idée du « commonwealth », contrairement à ses prédéces- seurs anglais, qui se limitaient à la protection de leurs biens individuels, mais dans un es- prit où ce bien commun est créé par le travail ou la volonté commune de la société, qui de- vient une sorte de propriété commune de la société politique. Cette propriété publique sur laquelle on possède un intérêt commun est cependant limitée et Locke la définit en opposition à la propriété privée, sur laquelle on possède un intérêt privé. À cette fin, la propriété privée représente les intérêts des citoyens puisqu'il affirme que « tout ce dont l'homme tire de la nature, du travail de ses mains, de sa peine et de son indus- trie lui appartient seul. » (Locke, p. 163) Quant aux biens en commun, à la propriété commune, ils sont de nature plus générale et touchent à ce que Locke décrit comme recouvrant la vie, la sécurité, la santé, la liberté et la protection en commun des biens individuels. Et le gouvernement sera créé afin de régler les conflits quand il affirme que « les hommes sortent de l'état de nature et entrent en société politique, lorsqu'ils créent des juges et des souverains, à qui ils communiquent l'autorité de terminer leurs différents et de punir les injures ». (Locke, p. 208) 7
  • 10. Contrairement à la notion originelle de l'intérêt dit public, mais plutôt un intérêt commun, qui résulte de l'analyse et de la raison en tenant compte des intérêts particuliers et de leur mise en commun, sans aucune référence explicite à une valeur telle que l'égalité ou l'équité, la notion d'intérêt général de Rousseau est plus affirmative à cet égard. Il y a un aspect de promotion alors que Locke se limite à la conservation et à la protection. Pour Rousseau, on décrète ce qu'est l'intérêt général ou on étend cette notion de bien commun à plusieurs égards jusqu'où la volonté générale du peuple peut nous amener. Pour Locke et ses contem- porains, on développe, on conçoit, on analyse, on raisonne, on travaille pour le bien com- mun et l'intérêt public qui en découle. Cependant, il semble que les versions subséquentes de l'intérêt public ont voulu s'élever au- dessus de la somme des intérêts privés mais, il n'en demeure pas moins, que la notion d'in- térêt public discutée à cette époque fait toujours référence au lien avec les intérêts privés et à la notion de possession, soit du bien commun ou des biens privés. Aux États-Unis, ces auteurs ont sans doute inspiré certains personnages tels que Madison qui affirme que l'élec- tion a pour « finalité de mettre aux postes de commande les hommes qui ont le plus de sa- gesse pour distinguer le bien commun de la société et le plus de vertu pour le poursuivre ». (Rosanvallon, p. 94) D'autres auteurs ne discourent pas directement de la question des intérêts personnels et pri- vés et de l'intérêt public mais présentent leur analyse dans un contexte plus large de la nais- sance de l'État. En effet, bien que Testart analyse différentes causes possibles de la nais- sance de l'État – guerre, religion, lutte des classes, hydraulique – il s'en remet à la question des fidélités afin d'expliquer de façon globale cette constitution quand il affirme « qu'est-ce qu'une société sans fidélités personnelles? » (Testart, p. 112) Selon son point de vue, les fi- délités sont une cause nécessaire de la constitution des sociétés et « naissent avec la ri- 8
  • 11. chesse et à cause d'elle. » (Testart, p. 117). Et ces richesses naissant avant tout de l'agricul- ture et de la possession des terres, engendrant par la suite la naissance des intérêts particu- liers et public qui vont de pair avec ces richesses. La référence à la richesse est intéressante puisqu'elle rejoint la notion de « commonwealth » mais dans une optique de la création d'un lien, d'une fidélité avec le reste de la société et non d'une simple possession ou d'un contrat. D'autres auteurs ont tenté de définir la question de l'intérêt public ou général par rapport à celle de privé par rapport aux actions posées par les membres du même société plutôt que d'invoquer de grandes valeurs universelles ou de grandes vertus. À cette fin, Tocqueville a esquissé sa théorie de l'intérêt public, qu'il nomme « l'intérêt bien entendu ». Il le définit, en parlant des Américains, comme étant « l'amour éclairé d'eux-mêmes, qui les porte sans cesse à s'aider entre eux et les dispose à sacrifier volontiers au bien de l'État une partie de leur temps et de leurs richesses. » (Tocqueville, p.119, IIe partie) De plus, Tocqueville établit un lien intéressant entre les intérêts privés et l'intérêt public. De son point de vue, les deux types d'intérêts sont reliés et contribuent à se définir mutuel- lement. Encore là, Tocqueville note le côté pratique des Américains à cet égard lorsqu'il énonce que « l'on tire difficilement un homme de lui-même pour l'intéresser à la destinée de tout l'État...mais s'il faut passer un chemin au bout de son domaine...il découvrira, sans qu'on le lui montre, le lien étroit qui unit ici l'intérêt particulier à l'intérêt général »(Tocque- ville, p. 104) De cette façon, il devient forcé de s'occuper des affaires publiques et doit né- cessairement mettre temporairement de côté ses intérêts privés à cette fin. De ces actions simples, Tocqueville démontre que « chaque homme s'aperçoit qu'il n'est pas aussi indépen- dant de ses semblables et que pour obtenir leur appui, il faut leur prêter son concours. » (Tocqueville, p. 103) Ce faisant, il prend goût à la chose publique. 9
  • 12. Par ailleurs, Tocqueville note que c'est par l'association, d'abord civile, créée afin de pou- voir organiser certains enjeux locaux et privés, que naît le désir de l'association politique, association créée afin d'organiser de plus grands desseins qui préoccupent toute une société. Ainsi, le désir de se préoccuper de l'intérêt général trouve son origine dans la réalisation que l'union des membres donne de l'élan et de la force afin de régler les grandes questions que leur état individualiste affaiblit comme écrit Tocqueville en disant « qu'il est souvent plus facile de rassembler dans un but commun une multitude que quelques hommes...les hommes s'unissant pour de grandes entreprises...voyant le parti qu'ils en tirent..l'intérêt qu'ils ont à s'aider dans les moindres s'accroît également. » (Tocqueville, p. 114) C'est donc une définition de l'intérêt public qui s'ancre dans les actions quotidiennes plutôt que de viser de grands desseins. En ce sens, il rejoint d'autres auteurs contemporains qui semblent plutôt privilégier l'étude des actions afin de découvrir ce qui représente l'intérêt public à un moment donné de l'histoire. On entrevoit l'intérêt comme résultant d'un consen- sus contrairement à la notion de contrat de Rousseau. Par exemple, Laborier mentionne que les répertoires d'actions plutôt que les discours permettent de dégager des pistes des in- térêts partagés et que « les controverses contribuent ainsi à l'énonciation des formes de l'in- térêt dit général.» (Laborier, p. 425) Quant à Pharo et à d'autres auteurs, ils introduisent la notion de conséquences résultant des actions et déplacent la notion d'intérêt à ce niveau, d'où l'intérêt d'en faire partie et de s'y in- téresser en faisant appel « à des communautés élargies supposées justifier les proposi- tions ». Selon Pharo, les actions politiques ont des conséquences au-delà des relations di- rectes que l'on retrouve au sein des actes privés - intérêts privés - en affirmant que « l'ac- tion politique présente ainsi le trait distinctif d'entraîner des effets sur des communautés qui n'ont en aucune façon donné leur accord sur l'action en question » (Pharo, p. 39) 10
  • 13. Dewey abonde dans le même sens en allant encore plus loin. Même si l'interaction n'est que de nature privée, elle peut également avoir des conséquences publiques dans la mesure où elle affecte le bien-être de plusieurs en affirmant que « if it is found that the consequences of conversation extend beyond the two directly concerned, that they affect the welfare of many others, the act acquires a public capacity. » (Dewey, p. 13) On retrouve donc ici la notion d'intérêts partagés et non la notion d'un intérêt naturel, inné d'une conception quelconque de la vertu ou de la divinité. De plus, selon cette conception, l'intérêt public existe dans la mesure où les conséquences d'événements publics ou privés affectent des intérêts privés de l'ensemble d'un public, rejoignant l'approche de Locke mais en mettant l'emphase sur les impacts des actions contrairement à la version de l'intérêt pu- blic de Rousseau, qui la conçoit comme ayant une valeur intrinsèque. 11
  • 14. Catégorisations de l'intérêt public: « L'intérêt général est le principe d'action de l'État mais demeure sujet à bien des interpréta- tions. » (Chevalier) Telle que l'affirme plusieurs auteurs dont Chevalier, la finalité du secteur privé vise la va- leur des intérêts privés tandis que la finalité de l'État vise l'intérêt public. De plus, la notion d'intérêt public évolue au cours du temps en fonction de l'environnement au sein duquel la société fonctionne. Donc, il devient pertinent de comprendre les différentes conceptions qui ont cours actuellement en ce qui a trait à la notion d'intérêt public. Tout dépendant des angles d'approche, des analyses, des objectifs et même des intérêts individuels, différentes conceptions de l'intérêt public semblent agir en même temps au sein d'une même société. À cette fin, nous présentons ici différentes catégorisations de la notion d'intérêt public telles que conçues actuellement. Dans plusieurs d'entre elles, on y reconnaît l'influence des pen- seurs que nous venons de résumer. Approche légaliste de l'intérêt public Une de ces approches consiste à mettre l'emphase sur le juridique et la primauté des lois, à l'image de la « Rule of Law britannique » et son évolution en État de droit, soumise à des normes et à une habilitation juridique comme l'affirme Chevalier lorsqu'il écrit que « l'État de droit tend à se présenter sous l'aspect formel de la hiérarchie des normes. » (Chevalier, État de droit, p. 6) Dans cette approche, l'intérêt public s'analyse sous l'aspect de la conformité à des règles et à des normes. Ainsi, les lois, démocratiquement votées, sont censées représenter et définir 12
  • 15. par défaut ce qu'est l'intérêt public suite à des débats comme ceux envisagés par Locke. Au Québec, cette phase de l'intérêt public s'est plutôt manifestée dans l'incarnation de « l'État gendarme et supplétif » du début du 20e siècle tel que GOW l'a démontré dans l'évolution de l'administration publique québécoise. (GOW, p. 368) Ainsi, cette approche engendre une conception de l'intérêt public qui sera plus conformiste que normative, visant essentiellement « to regulate social life. » (Rutgers, p. 23) De nos jours, la notion d'intérêt public, souvent mentionnée en préambule dans les textes de lois, devient une exigence pour les juges, appelés à départager les droits. Ainsi, comme l'affirme Trudel, « l'intérêt public devient une notion qui renvoie à l'environnement...et commande nécessairement de s'éclairer de la situation concrète dans laquelle la mesure doit être appli- quée ». (Trudel, p. 129) En ce sens, l'intérêt public est utilisé par le législatif et le juridique afin d'interpréter les conflits résultant des droits et des lois, que ceux-ci représentent la somme des préférences individuelles ou quelque grandiose dessein social. On retrouve cette conception dans les délibérations au sujet de l'Acte constitutionnel de 1867 où il est dit que « the General Par- liament make laws for the peace, welfare and good government of the Federated Pro- vinces. » (Rohr, p. 32) De nos jours, on retrouve également cette notion au sein des consti- tutions de l'Espagne et du Portugal, notamment. Par ailleurs, une telle approche s'enligne sur la vision de Locke et d'autres contemporains de son époque, qui conçoivent l'intérêt public en fonction de la propriété et de l'instauration de lois et de règles afin de garantir l'atteinte, la préservation et la satisfaction des intérêts pri- vés. Pour eux, il n'est point question d'envisager l'intérêt public comme ayant une valeur propre commune visant quelque dessein d'une communauté. Il s'agit plutôt de gérer les uti- lités privées, une autre version proche cousine de cette conception de l'intérêt public. Une 13
  • 16. autre version, qui découle de cette conception du droit, envisage l'intérêt public comme l'équivalent d'obligations tandis que les droits seraient l'équivalent des intérêts particuliers. Cette version oppose les deux et, à notre époque, on semble mettre plus l'emphase sur les droits – intérêts privés - que sur les obligations – intérêt public-, cela étant sans doute ren- forcé par la présence des Chartes des droits. Peut-être y aurait-il lieu d'instaurer une Charte des obligations afin de rééquilibrer la situation? Par ailleurs, une autre version légaliste exprime l'intérêt public comme le règlement des conflits de façon harmonieuse, avec modération et en harmonie mais sans tenir compte des résultats que l'on obtient. C'est cette version qui est décrite par Sorauf lorsqu'il écrit que « to the extent that we may claim a public interest, that is our interest in the democratic me- thod and its settlement of conflict by orderly rules and procedures . » (Sorauf, p. 633) Approche possessive de l'intérêt public: économique et utilitaire Cette version de l'intérêt public consiste à envisager l'intérêt public sous l'angle de posséder des intérêts publics comme on possède des intérêts privés, souvent évalués uniquement sous l'angle économique. C'est cet aspect de l'intérêt public - économie politique - qu'in- carne le traité d'Adam Smith sur la main invisible où il note que c'est par le travail indivi- duel, mu par des intérêts particuliers, que les citoyens concurrent indirectement à l'intérêt public par sa célèbre citation: « Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du marchand de bière et du boulanger, que nous attendons notre dîner, mais bien du soin qu’ils apportent à leurs intérêts. Nous ne nous adressons pas à leur humanité, mais à leur égoïsme. » (Adam Smith) De plus, dans cette conception du public, qui possède des intérêts publics et des intérêts pri- 14
  • 17. vés, on en vient à envisager les deux aspects comme étant en totale opposition comme l'af- firme Cassinelli qui écrit que «the individual interests and the social interests are mutually exclusive » (Cassinelli, p. 55) Cependant, même Adam Smith reconnaît que certains travaux importants doivent être assu- més par l'État, tels que la construction des infrastructures, la protection des libertés indivi- duelles par la fonction régalienne, l'éducation, et qu'il en va de l'intérêt public qu'il en soit ainsi, invoquant la justification essentiellement non économique de les édifier individuelle- ment et le fait qu'ils seraient non rentables pour les acteurs privés. Cependant, même au sein de l'école de la théorie actuelle des choix publics, qui vise la maximisation des préférences individuelles, et représentant ainsi l'intérêt public selon leur point de vue, certaines voies s'élèvent afin de faire valoir que la poursuite à tout prix de cel- les-ci peut amener à une baisse de cet intérêt public quand Frederickson mentionne que « scholars have also long known that individuals who pursue self-interest can impose col- lective costs, knonwn as the tragedy of the commons. » (Frederickson, p. 204) En d'autres termes, lorsque la stricte poursuite d'intérêts privés en vient à créer des dettes collectives, il semblerait que l'intérêt public en soit affecté et qu'il devienne nécessaire d'intervenir. À cette fin, le dicton qui dit que l'on privatise les profits et socialise les risques s'inscrit dans cette ligne de pensée. Approche politique de l'intérêt public: compromis, somme des intérêts privés, consensus Pour d'autres sociétés, le jeu des intérêts et préférences individuels, exprimés par les enjeux politiques propres à chacun, permettent de dégager un intérêt public prenant la forme de consensus; les interventions de l'État ayant pour but de maintenir un équilibre entre les nombreux groupes d'intérêts présents ou non, organisés ou non. C'est ce qu'affirme Mi- 15
  • 18. chael Harmon en écrivant que l'intérêt public n'est rien d'autre que « the continually chan- ging outcome of political activity among individuals and groups within a democratic politi- cal system » (King, p. 14) Cette approche, plutôt rationnelle, rejoint la conception de Ben- tham pour lequel l'intérêt public se manifeste par les désirs exprimés par le plus grand nombre. On retrouve la même conception chez ceux que Schubert nomme les réalistes pour lesquels « the conflict among special interests is transmitted into the public interest » (Schubert, p. 348) Ainsi, l'intérêt public n'est rien d'autre que ce que le public désire à un moment donné, en- core faut-il définir le public et ce qu'il désire. De ce point de vue, voir l'intérêt public comme une conséquence du processus politique permet sans doute d'atteindre le plus haut niveau de contrôle démocratique sur cette question À cette fin, l'approche de Herring, qui envisage l'intérêt public, non pas comme une fin en soi mais plutôt comme un processus de découverte, l'équivalent du « due process » du secteur juridique, s'enlignerait bien avec cette conception de l'intérêt public et permettrait, à tout le moins, de contrecarrer les groupes d'intérêts privés, qui tenteraient d'influencer et de manipuler les décisions à leur avantage, de telle sorte que leurs intérêts communs deviennent, de facto, l'intérêt public. Une conception similaire se retrouve chez certains auteurs qui considèrent que le compro- mis, qui résulte de ces rapports de force politique, reflète les intérêts de la classe moyenne comme Sorauf qui écrit que « the public interest lies very close to middle-class interests. » (Sorauf, p. 623) Cependant, une telle approche se limite aux décisions à court-terme et l'intérêt public, sensé guider l'action gouvernementale à long-terme, perd de sa force et change au gré des débats politiques quand Sorauf affirme que « at best, the public interest as compromise legitimatizes the political solutions of the moment; its purpose is no-longer to guide policy-making but to gain acceptance and approval for current political compro- mise. » (Sorauf, p. 630) 16
  • 19. Approche administrative de l'intérêt public: opérationnelle, bureaucratique, procédurale Une autre version de l'intérêt public développée au cours des années est celle qui entrevoit l'intérêt public uniquement en ce qui concerne l'implantation des politiques administratives et des lois. En d'autres termes, si l'administration poursuit la mise en place de politiques de façon efficace, efficiente, économique et sans intervention politique qui pourrait les faire dérailler de leurs objectifs, l'intérêt public sera atteint. C'est cette même vision qui a animé plusieurs auteurs dont Duguit lorsqu'il mentionne que la puissance de l'État n'existe que dans la mesure du service public qu'elle rend, en conformité avec le droit et « substitue la notion d'intérêt général à celle de volonté générale pour fonder la légitimité du pouvoir ad- ministratif et sa finalité. » (Rosanvallon, p. 69) Quant à Herring, il écrit que « it is in the execution of the laws that governement assumes direct and concrete meaning for the citi- zen. » (Herring, p. 19) Par ailleurs, c'est cet aspect procédural de l'intérêt public, qui fut mis en place pour contrer « la pure exécution mécanique des lois, totalement subordonnée aux directives du pouvoir politique » (Rosanvallon, p. 61), que le « Progressive Movement » de la fin du 19e siècle a pris forme aux États-Unis. Ce faisant, il cherchait à établir « une administration gouverne- mentale à la fois plus autonome et plus rationnelle » (Rosanvallon, p. 65) devant concourir à l'intérêt public afin de contrecarrer les intérêts particuliers exprimés par les partis poli- tiques de cette époque. Ainsi, aux États-Unis, c'est par la mise en place d'une administra- tion rationnelle et efficace que l'on conçoit l'atteinte de l'intérêt public puisque l'administra- tion publique a toujours « leaned more toward the hard science side of the endeavor ». (Fry & Raadschelders, p. 364) Cette mouvance s'inscrit également dans les enseignements de Weber que Rosanvallon cite en disant que « la construction d'une bureaucratie imperson- nelle et rationnelle est bien alors perçue comme une entreprise au service de l'intérêt géné- ral. » (Rosanvallon, p. 79) 17
  • 20. C'est également ce que soutient Wilson quand il centre le propos de ses interventions autour de la notion de « public trust » et de la réalisation de celle-ci par le « detailed and systema- tic execution of public law » (Wilson, p. 212) tout en laissant de la discrétion quant à son exécution quand il cite que « the cook must be trusted with a large discretion as to the ma- nagement of the fires and the ovens. » (Wilson, p. 214) C'était l'apogée du « Public Interest Model » mis en place afin de supplanter les modèles de « Rule of factions » et de « Conflict of Factions » si présents jusqu'alors de telle sorte que le « nonpolitical application of knowledge would achieve the public interest: a state of affairs in which all would be better. » (Uveges & Keller, p. 4) Par ailleurs, d'autres auteurs de ce temps dont Taylor et Fayol contribuent à renforcer cette rationalité quand Rosanvallon cite que « la rationalisation était perçue comme un moyen d'objectiver et de réaliser l'intérêt gé- néral »; le modèle américain « city commissionner » incarnant bien cette conception. (Ro- sanvallon, p. 84) Un autre auteur abondant dans ce sens fut Herring qui propose d'implanter, au sein de l'ad- ministration, un processus organisationnel recoupant quatre phases bien distinctes allant de la clarification, de la consultation, de la coopération et de la coordination dans l'exécution des actions administratives afin de faire ressortir l'intérêt public. Ce faisant, selon Herring, on ne part à la découverte de l'intérêt public comme tel mais, par l'entremise de ce proces- sus systématique, on augmente les chances que l'intérêt public soit atteint sans réellement savoir si on l'a effectivement atteint, permettant ainsi de court-circuiter les intérêts particu- liers communs exprimés par les groupes de pression. De plus, une telle approche permet de mieux encadrer a-priori le pouvoir discrétionnaire de l'administration tel qu'invoqué par Di- mock, le risque étant que l'administrateur reflète ses propres valeurs dans ses actions et dans sa quête de pouvoir « will-to-power » au lieu de l'intérêt public. 18
  • 21. De plus, concevoir l'intérêt public sous l'angle d'une découverte encadrée par un processus rigoureux permet un meilleur contrôle a posteriori par le système judiciaire tel que le décrit Fritz lorsqu'il mentionne les critères retenus par la Cour suprême des États-Unis qui affirme que « the statutory statement of the public purpose should be expressed in terms that are sufficiently clear to afford a criterion by which the courts may judge whether the adminis- tration policy has a reasonable relationship to the basic statutory purpose. » (Marx, p. 340) Par la suite, d'autres versions sur le même thème de l'opérationalisation de l'intérêt public furent développées telles que celle que l'on retrouve au sein de l'école managériale de conception libérale comme l'affirme Chevalier en mentionnant que celle-ci est « tournée vers la recherche et la mise en œuvre des techniques les plus efficaces de gestion ». (Cheva- lier, Science Administrative, p. 29). On y retrouve essentiellement une tentative d'appliquer au secteur public les recettes managériales du secteur privé en se basant sur l'hypothèse que si elles permettent au privé de maximiser ses intérêts particuliers, elles devraient également contribuer à faire de même pour l'intérêt public. Cependant, puisque l'administration vise indirectement l'intérêt public en mettant en branle de façon efficace et efficiente les services que l'on croit demandés par la population, il n'en demeure pas moins qu'elle est incapable d'évaluer si l'intérêt public est nécessairement at- teint par ses nombreuses actions. On retrouve cette même approche et cette même limite au sein de la nouvelle gouvernance publique qui devient le maître d'œuvre de l'ensemble des « non traditional policy processess and actors. » (Frederickson, p. 243). Encore là, l'intérêt public est sous-entendu derrière cette nouvelle approche puisqu'elle ne consiste qu'à « connect the various units of government and make coherent patterns of policy implementa- tion possible in the absence of a central authority. » (Frederickson, p. 244) Approche éthique de l'intérêt public: valeurs, morale, intérêt supérieur, religion 19
  • 22. L'intérêt public peut se concevoir sous un angle éthique, l'éthique faisant référence à l'en- semble des valeurs qui touchent aux comportements humains. Des notions telles que la jus- tice, l'équité, le bien-être, l'amour de son prochain, l'emphatie et l'égalité peuvent constituer les bases à partir desquelles on juge si on atteint l'intérêt public dans les nombreuses déci- sions prises par l'État. De plus, une telle conception de l'intérêt public permet également aux intérêts privés de se développer quand Cassinelli écrit que « there is nothing entailing an opposition between public and private interests when the former is interpreted as life, li- berty and the pursuit of happiness, in particular. » (Cassinelli, p. 55) De plus, cette approche conçoit l'intérêt public comme un valeur humaine et intrinsèque à toutes les sociétés, transcendant les religions et les nombreuses conceptions du monde. À cette fin, on rejoint ce qu'affirme Griffith quand il écrit que « the concept of public interest leads one to search for criteria of general welfare and the latter postulates values ». (Grif- fith, p. 17) D'autres auteurs abondent dans le même sens et relient la notion d'intérêt public et de valeur, dont Redford qui affirme que « the public interest may be defined in terms of all interests...and the concept of value which is generally accepted in our society. » (Schu- bert, p. 352) D'autres auteurs, dont John Rohr et la « Blacksburg Gang », mettent l'emphase, non seule- ment sur les aspects légaux de cette question, mais également sur les valeurs et les principes que l'on retrouve au sein de la Constitution américaine. On vise un intérêt public avant tout vertueux et déontologique. Dans cette même veine, d'autres interprètent l'intérêt public comme l'équivalent de gestes altruistes alors que les intérêts privés seraient l'équivalent de gestes égoïstes. Cependant, tel que le note Sorauf, une telle approche ne peut que refléter de vagues et imprécises valeurs, certes valables, mais qui se traduisent mal en intérêt pu- blic quand il écrit que « they are vague values, broad enough to elicit widespread agreee- 20
  • 23. ment, but too far wide to be relevant for the struggle for policy influence. They are sym- bols rather than interests. » (Sorauf, p. 632) D'autres auteurs conçoivent l'intérêt public en terme de buts sociaux désirables pour l'en- semble de la société, buts qui seraient supérieurs à d'autres tels que la conservation de l'en- vironnement, la protection de la biodiversité, la protection du consommateur... Une telle ap- proche semble intégrer des aspects moraux et religieux. Cependant, une telle approche se réduit souvent à une vision restreinte de l'intérêt public où «the majority will, in the name of the higher morality, attempt to impose the « truth » on all society. » (Sorauf, p. 628) De plus, on retrouve au sein de certaines religions, certains principes éthiques tels que l'amour de son prochain, des commandements liés aux comportements humains et des va- leurs altruistes. Bien qu'utiles, ils ont, d'un point de vue analytique, le désavantage qu'on tente de les justifier divinement, empêchant de les analyser et de les comprendre par rapport à ce que la société désire mettre en commun, la foi en eux devenant le mot d'ordre. Approche sociétale de l'intérêt public: impacts, résultats, conséquences Une telle approche entrevoit l'intérêt public dans la mesure de ses conséquences sociétales. Étant donné que pour certains, l'intérêt public ne peut être atteint et est difficilement mesu- rable, on tente de l'évaluer à l'inverse, c'est-à-dire en analysant les conditions économiques et sociales des citoyens visés par l'action gouvernementale et citoyenne. C'est cette ap- proche que propose BrayBrooke quand il affirme que « the only way that we have of telling whether the public interest has been served is by observing the condition of society .» (Braybrooke, p. 144) Dans la même veine, il semble plus aisé de se fixer des objectifs in- termédiaires et mesurables, quitte à rajuster le tir au fur et à mesure plutôt que de vouloir 21
  • 24. concevoir et diriger l'action gouvernementale vers l'objectif ultime de l'intérêt public, objec- tif qui s'opérationalise mal à court-terme. Une autre approche sociétale de l'intérêt public consiste à mesurer la valeur publique qu'amène l'action publique. Moore fait partie de cette école de pensée. Bien qu'en parlant de valeur publique, on serait tenté de ne penser qu'à la valeur économique ou financière gé- nérée par une activité publique comme dans le cadre d'une activité privée, Moore étend l'analyse en écrivant que « the necessity of giving a general, politically acceptable answer of acting as though there were a collective consumer with well-defined preferences for so- cial conditions brought about by public enterprises, is the central intellectual problem in de- fining the value of governmental activities. » (Moore, p. 39) Par ailleurs, les actes privés et les actes publics sont inter reliés et ce sont les conséquences de ceux-ci qui importent et qui déterminent la nature et l'à-propos de l'intérêt public. À cette fin, Dewey affirme que « the line between private and public is to be drawn on the basis of the extent and scope of the consequences of acts which are so important as to need control .» (Dewey, p. 15) Si les intérêts de ceux qui subissent les conséquences d'actes quelconques sont affectés, ceux-ci ont le potentiel de devenir des intérêts publics dont un magistrat devra s'occuper quand Dewey dit que « officials are those who look out for and take care of the interests of those affected » (Dewey, p. 16) et que « the state is the organi- zation of the public effected through officials for the protection of the interests shared by its members. » (Dewey, p. 33) On retrouve une approche relativement identique dans certaines variantes de l'école de la gouvernance dont le modèle d'analyse proposé par Lynn où il tente d'évaluer les impacts d'un régime de gouvernance d'une société. Ce modèle est cependant limité aux résultats des actions des différents intervenants et il semble y manquer une unité de mesure afin de pou- 22
  • 25. voir juger de l'à-propos de celles-ci. 23
  • 26. La notion d'intérêt public est-elle toujours utile? « L'intérêt fournit un stimulant pour la formation et le maintien d'associations volontaires. » Mancur Olson Certains diront qu'il existe trop de variabilité de ce concept pour être quelque peu utile. Ce- pendant, à défaut de pouvoir utiliser une norme générale, comment peut-on juger de la va- leur des politiques publiques, de l'action gouvernementale, de la relation existante entre les intérêts privés et publics, de la capacité de la société de faire face aux nombreux défis qui l'attendent dans une monde de plus en plus complexe et risqué? Dans un monde pluraliste comme le nôtre, il nous apparaît encore plus nécessaire d'établir des finalités communes afin d'assurer une certaine cohésion de la société. Ainsi, comme tout groupe ou association existe afin de soutenir, de protéger et de promouvoir des intérêts communs de ce groupe, une société, dans son ensemble, doit pouvoir compter sur certaines finalités, reflétant certaines valeurs intrinsèques à celle-ci, que les membres de cette société, le public en général, trouvera intérêt à protéger, soutenir, promouvoir et développer. Ainsi, il nous apparaît que la notion d'intérêt public a toujours son utilité par rapport aux grands objectifs de toute société, sinon il peut nous apparaître inutile de vouloir vivre en- semble. Et même si les membres qui composent cette société, individus et regroupements d'individus sous formes d'entreprises et d'organisations privées, ne voient pas explicitement l'utilité de cette notion d'intérêt public, ils seraient à même de constater, du peu qu'on puisse leur démontrer, que même leurs intérêts privés et immédiats sont fortement influencés et leur valeur est fortement marquée par un État qui, directement par l'entremise d'un gouver- nement et par sa gouverne des autres membres de cette société, soutient, valorise, protège et promeut l'intérêt public. 24
  • 27. L'intérêt public: l'étalon des finalités et des valeurs d'une société À cette étape-ci, il semblerait approprié de définir la notion d'intérêt public. Nous sommes plutôt d'avis que cette norme doit être envisagée en y intégrant plusieurs des composantes discutées précédemment, soit une approche multi-disciplinaire. Ce faisant, nous rejoignons Appelby qui énonce que: « The public interest is never merely the sum of all private interests nor the sum remaining after canceling out their various pluses or minuses. It is not wholly separate from private in- terests, and it derives from citizens with many private interests; but it is something distinc- tive that arises within, among, apart from, and above private interests, focusing in govern- ment some of the most elevated aspiration and deepest devotion of which human beings are capable. » (Appelby, p.34) Cette définition vient proposer une approche pro-active à l'élaboration de l'intérêt public plutôt que de l'envisager uniquement sous un angle juridique, par exemple. En effet, ne pas s'astreindre uniquement à cette dernière vision de l'intérêt public implique de vivre dans une société où le peuple conserve sa fonction première d'élaborer ses propres valeurs et l'intérêt public qui s'y développe. Quant aux juges, nous leur laissons le soin de s'assurer qu'on s'y conforme par la suite et non l'inverse; ce faisant, on rejoint l'argumentation de Sorauf qui écrit que « a value becomes an interest by the mere fact they support and act to acheive it. » (Sorauf, p. 636) L'intérêt public et l'intérêt privé se ressemblent. Tous deux visent l'intérêt d'un public donné mais se situent à différents niveaux. Ainsi, dans le cadre de toute entreprise privée, ses va- leurs ultimes sont essentiellement exprimées dans son énoncé de mission tandis que ses fi- nalités se retrouvent exprimées dans ses objectifs à long-terme et à court-terme, lesquels sont évalués à l'aune des nombreux intérêts privés - salariés, actionnaires, gouvernements, 25
  • 28. financiers - qui ont à cœur son existence, ceux-ci étant conscients que la valeur financière et non financière de leur intérêt privé individuel dépend de la capacité de l'organisation d'assu- rer la viabilité de l'ensemble des intérêts privés de chacun des sous-groupes. Par exemple, un employé d'une organisation privée a plusieurs intérêts financiers et économiques – sa- laire et survie – et de nombreux intérêts non financiers – prestige, stabilité émotive, identi- fication au groupe, etc. - à ce que l'organisation pour laquelle il œuvre, survive et prospère. Souvent, en comptabilité, cette valeur commune, qui est plus grande que la somme de cha- cune des composantes, est ce qu'on évalue par le concept d'achalandage « goodwill » et le capital économique et social de l'entité. On retrouve ce même élan dans certains textes plus récents comme celui de Moore qui, ne parlant pas de la notion d'intérêt public comme telle, discoure cependant sur celle de la va- leur publique. On y retrouve cependant le même désir de voir cette notion transcender celle de la somme des intérêts individuels quand il écrit que, dans le cadre d'un service public spécifique, « it not only raises doubts about individual citizens' desires for the services (and therefore its value), but also makes it necessary to explain the value of the enterprise in terms that would be satisfactory to the community as a whole (not just the beneficiaries of the service). » (Moore, p. 39) Si on projette ce microcosme de société que constitue toute organisation ou entreprise pri- vée, à but lucratif ou non, il est possible d'en dégager une approche globale. Contrairement à beaucoup d'auteurs, qui semblent privilégier une approche plutôt qu'une autre dépendant de leurs préférences et de leur formation académique, nous sommes plutôt d'avis d'envisa- ger une définition plus intégrante de l'intérêt public afin de répondre aux enjeux actuels de la société complexe dans laquelle nous vivons. Ce faisant, nous rejoignions Herring pour lequel l'intérêt public devient un élément essentiel de toute démocratie et doit guider l'ac- tion étatique quand il écrit que « the democratic state, to be consistent with its own prin- 26
  • 29. ciples, must preserve conditions under which a clear conception of the public interest can be formulated and presented to voters. » (Herring, p. 380) À cette fin, Goodsell définit six composantes essentielles d'une approche basée sur la no- tion d'intérêt public: « legality-morality, political responsiveness and consensus, concern for effects, concern for logic, and agenda awareness. » (Goodsell) On retrouve d'ailleurs le même genre d'approche d'intérêt public à la page 182 du livre de Jun. Bien que celui-ci ne le présente pas comme un modèle de l'intérêt public, on y retrouve les mêmes composantes, cependant. Selon cette approche, l'intérêt public, pour trouver toute sa force et sa pertinence, doit inté- grer des notions de valeurs et d'accord sur les finalités de la société, exprimées librement au sein du processus démocratique et politique, tout en faisant appel à la science afin d'estimer les conséquences a priori et les impacts subséquents des nombreuses actions de la multitude d'acteurs publics – service public - et privés – biens privés - , susceptibles de l'affecter. Ainsi, pour la société toute entière, les valeurs recherchées s'expriment démocratiquement dans différents forums, dans les constitutions des pays et par les citoyens. Les politiciens et leurs gouvernements, mandataires des citoyens, les traduisent en lois et les juges, les inter- prètent. Ainsi, cette approche serait éminemment démocratique et vient contrecarrer le pré- jugé conventionnaliste comme l'affirmait Pharo où les lois, exprimant clairement les valeurs recherchées et désirées par la société, donneraient au gouvernement et aux administrateurs publics des balises et des principes quant à ce que recherche ultimement la société. Ainsi, les débats politiques, au lieu de se concentrer sur le comment et les détails opération- nels, devraient s'orienter sur les grands enjeux de la société, enjeux exprimant les valeurs 27
  • 30. recherchées à long-terme du fait d'appartenir à une entité politique donnée. De telles va- leurs varieront d'une société à l'autre mais on y retrouve certaines valeurs communes comme, par exemple, dans la Déclaration des droits de l'homme des Nations Unies et au sein d'approches sur la hiérarchie des valeurs de plusieurs auteurs dont Waldo. Étant donné que les valeurs recherchées par la société expriment des désirs qui prennent du temps à se réaliser, une deuxième composante de l'intérêt public devient essentielle, c'est-à- dire l'élaboration des finalités, soient les objectifs sociaux, que l'on désire atteindre à moyen et à long-terme en tenant compte des valeurs ultimes recherchées. Ces finalités deviennent des balises, des repères, des indicateurs plus facilement « mesurables » que les valeurs et qui permettent de connaître si, comme société, nous nous dirigeons dans la bonne direction. C'est d'ailleurs ce que mentionne Foucault quand il cite que « le gouvernement est défini... pour conduire, non à la forme du bien commun, comme disaient les textes des juristes, mais à une fin convenable. » (Foucault, p. 646) Bien qu'il puisse être difficile et pénible de définir les finalités, elles sont essentielles afin de pouvoir concrétiser quelque peu la notion d'intérêt public. À cette fin, il y a lieu de considérer certains critères pouvant nous guider à cette fin. Pour certains auteurs, il suffit d'utiliser des critères tels que la finalité soit jugée bonne, profitable, recommandable et bé- néfique. Il y a cependant d'autres critères qui nous apparaissent utiles d'envisager à cette fin. Tout d'abord, contrairement au secteur privé, qui ne vise qu'à satisfaire ses intérêts privés, la finalité publique doit être extravertie comme l'affirme Chevalier qui écrit que « l'organisa- tion publique est instituée pour satisfaire des intérêts qui la dépassent. »(Chevalier, p. 34) Par ailleurs, les finalités sociales doivent aller au-delà de l'efficacité administrative et de 28
  • 31. l'économie comme on les retrouve strictement dans le secteur privé. On doit évaluer les fi- nalités en regard des bénéfices sociaux attendus et désirés, ceux-ci devant tenir compte des externalités et non seulement des aspects économiques. C'est ce que décrit Jun quand il dis- cute du concept de « effectiveness », qui ne semble pas avoir d'équivalent français car on le traduit par efficacité tout comme pour le mot « efficiency. » (Jun, p. 174) Par ailleurs, les finalités sociales doivent être élaborées en fonction de la composante « pu- blic » de la notion d'intérêt public. À cette fin, Sir George Cornewall a présenté cette ver- sion du public qui est toujours d'actualité. « Public, as opposed to private, is that which has no immediate relation to any specific person or persons, but may directly concern any member of the community, withouth distinction. » (Barry, p. 195) De plus, un autre critère afin de déterminer les finalités sociales consisterait à les élaborer en tenant compte a priori des intérêts communs des groupes qui seront affectés par les conséquences futures des décisions et des actions à la fois d'acteurs privées et d'acteurs pu- blics. De cette ensemble d'intérêts communs, qui fait référence aux aspects qui touchent et qui affectent une communauté donnée, il serait loisible de « déduire » les finalités d'une so- ciété en « ordonnant ceux-ci », les plus importants de ces intérêts communs devenant des candidats potentiels des finalités publiques. Ainsi, l'intérêt commun d'un groupe se trans- forme en intérêt public lorsque des conséquences d'actions peuvent affecter et peuvent avoir un impact sur tous, qu'on le réalise ou pas. Dewey abonde dans ce sens lorsqu'il écrit qu'un public se crée lorsque « a common interest develops in controlling, indirect, exten- sive, enduring and serious consequences of conjoint and interactinng behavior .» (Dewey, p. 126) C'est également ce que Cassinelli conçoit quand il écrit que « the word interest re- fers to something that we should be interested in, even though we may not be, and it could be replaced by profit, welfare or benefit », certains exemples de finalités. (Cassinelli, p. 46) 29
  • 32. « Faute de réfléchir aux conséquences de ses actes, on court à la ruine et à la catastrophe. » (Khaldûn, p. 627) C'est dans cette optique que le modèle de la décision des actions gouver- nementales de Simon peut-être intégré avec cette approche de l'intérêt public, à la fois pour déterminer les finalités de même que pour évaluer les conséquences des actions entreprises, rejoignant le critère de la logique de Goodsell. Ainsi, par une approche plus scientifique, basée sur la rationalité pure ou limitée par les contraintes des contextes opérationnels, il devient possible d'évaluer a priori et a posteriori les conséquences ultimes directes et indirectes des interventions en fonction des nombreux moyens et objectifs intermédiaires que l'organisation peut se fixer, soit la mesure de la « social efficiency en regard des finalités désirées. Le modèle à la Simon utiliserait les composantes suivantes: moyens « means » d'actions choisis en tenant compte des interrelations et des actions conjointes des différentes compo- santes de l'État, de la participation citoyenne de même que des entreprises privées qui parti- cipent à la prestation de services dits publics. La mesure des finalités « ends » seraient éva- luées grâce à des indicateurs de valeur publique tels qu'élaborés par Moore dans « Public Value ». Sorauf abonde dans le même sens quand il affirme que « a decision is said to be in the public interest if it serves the ends of the whole public rather than some sector of the pu- blic . » (Sorauf, p. 619) Ce faisant, on rejoint plusieurs auteurs qui sont d'avis que la combinaison de plusieurs sciences peut contribuer à assister la société à concrétiser cette notion d'intérêt public. Nous ne citerons que Lasswell qui écrit que « when new models of institutional processes are de- vised, models which can unify quantitative and nonquantitative observations and point the way to new empirical, theoritical and policy activties. » (Lasswell p. 9) 30
  • 33. La gestion intégrée des risques sociaux Le modèle proposé par Goodsell couvre les principaux éléments d'une approche basée sur l'intérêt public. Cependant, dans ce modèle, il semble y manquer une composante impor- tante, soit la notion de risque ou de vulnérabilité. En effet, les facteurs complexes de la so- ciété moderne, qui font en sorte que les valeurs et les finalités ne soient pas atteintes, peuvent s'analyser sous l'angle du risque. D'ailleurs Dewey le reconnaît déjà indirectement en 1951, celui-ci mettant l'emphase sur les contrôles, qui sont le pendant des risques, et écrit sur les notions de promotion et de restric- tion, deux aspects fondamentaux de la gestion intégrée du risque. Il écrit que «the line bet- ween private and public is to be drawn on the basis of the extent and scope of the conse- quences of acts which are so important as to need control, whether by inhibition or promo- tion. » (Dewey, p. 15) Simon aborde dans le même sens, bien qu'il ne crut pas à la notion d'intérêt public mais, reconnaissant qu'on peut la gérer pro activement, écrit que «we do not speak of attaining the public interest...they can only be protected or advanced. » (Si- mon) Quant à Cassinelli, il reconnaît déjà ce rôle de gestionnaire de risque global au gou- vernement quand il écrit que « the gouverment action should correspond to promote, de- fend, be responsible and assist in the realization of public interest. » (Cassinelli, p. 58) De plus, cette approche pro active et intégrée de la gestion des risques sociaux par rapport à l'objectif des finalités publiques s'intègre bien dans la mouvance récente de la gouvernance sociétale où l'État semble vouloir jouer un rôle de coordination des interventions des nom- breux acteurs sociaux, rejoignant l'énoncé de Rutgers qui dit que « governance seems to suggest an image of social reality where state and society bifurcation disappears. » (Rut- gers, p. 23) 31
  • 34. Par ailleurs, la gestion de certains risques sociaux existe depuis un certain temps. En effet, on n'a qu'à penser aux programmes de sécurité sociale qui existent dans de nombreux pays. Cependant, ceux-ci restent limités à certains aspects et visent souvent une redistribution des revenus, l'intérêt public visé étant le soutien des revenus au détriment de l'équité inter géné- rationnel. Une nouvelle approche se dessine actuellement, soit la gestion des risques so- ciaux, qu'ils soient de nature physique, naturel, santé, environnemental, politique et que la Banque Mondiale nomme le « Social Risk Management » et que d'autres auteurs appellent le « Societal ERM ». Cette nouvelle façon vise un intérêt public sans doute différent de ce qu'on retrouve avec l'approche de la sécurité sociale. On entrevoit cette approche comme permettant aux individus de devenir résilient à une ensemble de risques pouvant les affecter au cours de leur vie, la Banque Mondiale décrivant celle-ci en tant que « public interven- tions to assist individuals, households and communities better manage risk» et étant de moins en moins orientée vers le soutien des revenus uniquement. (Holzmann p.3) De plus, un des aspects fondamentaux de la gestion intégrée des risques est de l'envisager non seulement sous l'angle de vouloir limiter les pertes mais également d'encourager les op- portunités. Cependant, afin de pouvoir concevoir celle-ci, il est nécessaire d'avoir une norme de référence; la valeur d'une entreprise étant souvent celle retenue pour évaluer l'im- pact des risques sur l'intérêt privé tandis la norme de l'intérêt public serait à définir en fonc- tion des finalités sociales, permettant à cette dernière de remplir ce rôle pour les risques so- ciaux. Ainsi, les nombreuses interventions gouvernementales et celles du privé, qui se font souvent sans coordination - équivalent des contrôles en risque privé -, pourraient être éva- luées à l'aune de cette norme de l'intérêt public et l'on pourrait juger de leur valeur intrin- sèque par rapport à la norme de l'intérêt public, elle-même conçue pour refléter les valeurs désirées à long-terme par la société. Ce faisant, on rejoindrait ce qu'énonce Kooiman, qui écrit que, dans une société de plus en plus complexe, plusieurs acteurs peuvent contribuer à « solving societal problems or creating societal opportunities..and establishing a normative 32
  • 35. foundation for those activities. » (Kooiman, p. 4) L'intérêt public: autres aspects opérationnels et questionnements Les théories de la décision et des choix rationnels visent les pratiques internes de l'adminis- tration. En d'autres termes, si l'administration va, l'intérêt public suivra. Il semblerait que de vouloir être efficace et efficient va en partie dans le sens de l'intérêt public lorsqu'il s'agit de programmes et de services connus, stables, acceptés depuis longtemps et pour lesquels les conséquences sont déjà bien connues. Cependant, lorsqu'il s'agit d'enjeux nouveaux de la société pour lesquels les solutions n'existent pas encore, vouloir concevoir l'intérêt public uniquement d'un point de vue rationnel et indirect aux décisions nous semble réducteur. L'implication citoyenne et législative deviennent donc essentielles afin de guider l'adminis- tration dans la bonne voie, sinon on risque de voir l'administration, sous un couvert d'effi- cience, adopter ses propres vues et valeurs de ce que constitue l'intérêt public, la société su- bissant un risque moral de la part de l'administration. Par ailleurs, il va de soi que si un intérêt public a été reconnu, un service public doit accom- pagner sa réalisation. Cependant, sa mise en place doit-elle être nécessairement assumée par une entreprise publique, c'est-à-dire une entreprise possédée par l'État? L'entreprise pri- vée peut-elle, sous certaines conditions, contribuer à l'atteinte des finalités de la société? Comment pourrait-on séparer les services publics entre ceux assumés entièrement par l'État, par les citoyens eux-mêmes, par les entreprises privées et ceux partagés entre eux en se basant sur la notion de l'intérêt public? À cette fin, il serait intéressant d'analyser, comme l'écrit Chandler, comment différentes combinaisons citoyens et administrateurs profession- nels ont coexisté au cours des époques tout en ayant satisfait l'intérêt public ou non de cha- cune. Ainsi, vu sous l'angle d'une « frontière efficiente », il serait intéressant d'étudier l'im- pact, en regard de la norme de l'intérêt public, de ces combinaisons; peut-être découvri- 33
  • 36. rait-on différentes combinaisons qui donneraient le même résultat global? Voir Appendice 1 Il serait intéressant d'analyser les liens qui peuvent exister entre les intérêts individuels et l'intérêt public. À prime abord, il semble approprié de constater que les actions gouverne- mentales entreprises dans le cadre de l'intérêt public affectent directement les intérêts privés et que les intérêts privés, en retour, peuvent affecter et influencer positivement ou négative- ment l'atteinte de l'intérêt public. Les deux semblent agir en vase communicant. Ainsi, dans le cadre de l'élaboration d'une politique dans l'intérêt public, Pennock mentionne quelques critères à tenir compte. Tout d'abord, une politique peut être dans l'intérêt public sans pour autant que ceux qui en sont affectés n'est nécessairement conscience qu'il y a un intérêt du public, qui transcende leur propre intérêt. Ainsi, un règlement qui interdit la conduite ex- cessive est dans l'intérêt public puisqu'il protège à la fois l'individu et ses propres intérêts et l'intérêt de la population dans son ensemble de vivre dans un environnement sécuritaire. De plus, l'intérêt public a une notion de temps. Ainsi, l'intérêt public doit tenir compte des inté- rêts privés et publiques des générations à venir. Certains critiquent souvent la notion d'intérêt public comme étant « non opérationalisable », c'est-à-dire qu'il est difficile de l'utiliser afin de guider l'action gouvernementale au quoti- dien. En effet, si on pouvait la rendre plus concrète, on pourrait ainsi mieux encadrer l'ad- ministration publique et son niveau de discrétion à cet égard. Ainsi, certains efforts semblent émerger à ce niveau. En effet, dans le cadre de la politique d'accès à l'information au Royaume-Uni, les fonctionnaires doivent utiliser un test de l'intérêt public, basé sur cer- tains critères, afin d'encadrer leur décision subséquente. Bien qu'il s'agisse d'un test non em- pirique, il a toutefois le mérite de vouloir « forcer » l'administration à envisager cet aspect a priori et à justifier ses décisions et actions en conséquence. Étudier une telle approche serait sans doute pertinente afin de voir dans quelle mesure elle permettrait d'opérationaliser ce 34
  • 37. test à d'autres champs d'activités. On se retrouve à rejoindre la version processus de l'intérêt public discutée précédemment. Finalement, il serait intéressant d'étudier quelle genre de formation et quels nouveaux types d'employés de l'État seront nécessaires afin de mettre en pratique une telle approche de l'in- térêt public. À prime abord, il semble qu'il faudra élargir la formation des fonctionnaires, rejoignant ce que certains auteurs proposent lorsqu'ils écrivent à propos de la nécessité d'une formation généraliste des fonctionnaires appelés à œuvrer à ce niveau. Ainsi, mon- sieur Parenteau de l'ÉNAP écrit qu'il serait utile que le fonctionnaire puisse relier son champ de spécialisation « aux intérêts plus larges du gouvernement et de la société globale, augmenter sa capacité d'analyse des problèmes gouvernementaux et des politiques pu- bliques. » (Parenteau, p. 198) 35
  • 38. CONCLUSION « Carthage n'aurait pas conservé tant de puissance pendant près de six cents ans, si elle n'avait pas été servie par l'intelligence politique et une tradition gouvernementale. » Cicéron Quel type d'intérêt public doit-on privilégier? Doit-on envisager celui-ci comme étant sim- plement la somme des intérêts privés à partir duquel un consensus s'établit? C'est en fait tentant de l'envisager sous cet angle. L'intérêt public devient essentiellement ce que désire la population, représentée par ses dirigeants à un moment donné dans le temps. De cette ap- proche changeante dans le temps, on court toujours le risque que des intérêts particuliers vont tenter d'imposer leurs vues et que leurs versions deviennent l'intérêt général. On a ten- té de limiter ce risque au fil des années en mettant en place une administration bureaucra- tique dont le mandat est justement de mettre en place des interventions pour s'assurer que l'intérêt public soit atteint. L'autre approche consiste à considérer que l'intérêt public est plus que simplement la somme des intérêts privés et qu'elle vise à long-terme à assurer la cohésion sociale en met- tant l'emphase sur certaines valeurs désirées par la société. L'avantage de cette approche est d'être extravertie, de viser un objectif même s'il semble difficile à atteindre. Inévitable- ment, on doit se poser des questions pour connaître où nous en sommes vis-à-vis de l'objec- tif ultime, ce qui encourage l'analyse pro-active des conséquences et des impacts des nom- breuses actions gouvernementales et privées qui composent la société complexe dans la- quelle nous vivons. Il semble, en effet, que, dans un tel contexte de complexité sociale ac- crue, il devienne encore plus nécessaire d'avoir des balises et une approche structurée et in- tégrant les meilleures pratiques des nombreuses écoles de pensée de l'intérêt public, afin de nous guider vers une société plus juste au lieu d'être simplement en mode « muddling through. » 36
  • 39. RÉFÉRENCES ARISTOTE, (1993). Les politiques, Paris, Flammarion, 575p. GUNN, J.A.W. (1969), Politics and the Public Interest in the Seventeenth Century, London, Routledge & Kegan, 355p. ROUSSEAU, Jean-Jacques (1762), Du contrat social ou principes du droit politique, Am- sterdam, réédité chez Hachette Littératures, 1978 LOCKE, John (1992), Traité du gouvernement civil, Paris, Flammarion, 381p. TESTART, Alain (2004), L'origine de l'État, la servitude volontaire, Paris, Éditions Er- rance, 137p. TOCQUEVILLE, Alexis de (1986), De la démocratie en Amérique, Paris, Gallimard, vol.2, IIe partie, chapitres 1-9. LABORIER, Pascale et Danny TROM (2003), Historicités de l'action publique, Paris, PUF, 540p. PHARO, Patrick (1991), Politique et savoir-vivre, Paris, L'Harmattan, chapitre 2, p.37-60 DEWEY, John (1988), The Public and its Problems, Ohio University Press, chap 1 CHEVALIER, Jacques (2004), L'État de droit, Paris, La documentation française, 112p. CHEVALIER, Jacques (2002), Science Administrative, Paris, PUF, 633p. RUTGERS, Mark, (2003), Retracing Public Administration, Amsterdam/Boston, JAI/Else- vier Science Ltd, 365p. GOW, James Ian, (1986), Histoire de l'administration publique québécoise, 1867-1970, Montréal, PUM, 443p. KING, Stephen M. & Bradley S. CHILTON (2009), Administration in the Public Interest: Principles, policies and practices, Durham, N.C., Carolina Academic Press, 375p. TRUDEL, Pierre, L'intérêt public, Faculté de droit, Université de Montréal ROHR, John A. (1997), Canadian Constitutionalism and the Confederation Debate: a View from America, Center for Public Administration and Policy, Virginia Tech Institute, 46p. SMITH, Adam (1764), De la richesse des nations, 1er livre, chapitre 2 FREDERICKSON, George H. & SMITH Kevin B (2003), The Public Administration Theory Primer, Cambridge, WestView Press, 280p. HERRING, E. Pendleton (1936), Public Administration and the Public Interest, New York, Russell & Russell, 416p. DIMOCK, Marshall E. (1967), The Role of Discretion in Moderm Administration, The Frontiers of Public Administration, New Yok, Russell & Russell, p. 45-64 MARX, Fritz Morstein (dir) (1946), Elements of Public Administration, 572p. ROSANVALLON, Pierre (2008), La légitimité démocratique, Paris, Seuil, 367p. WILSON, Woodrow (1887), The Study of Administration, Political Science Quarterly, vol. 2, no 2, p.197-222 37
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  • 42. Appendice 1: Combinaison d'administration et d'implication citoyenne sur l'intérêt public 40