Les professionnels (des bibliothèques) confrontés au paysage mouvant de la gratuité
1. Olivier Ploux, Directeur du réseau des médiathèques du Beauvaisis (60)
J O U R N É E D ’ É T U D E « Q U E L L E G R A T U I T É
D A N S U N M O N D E M A R C H A N D ? »
M É D I A D I X
V E N D R E D I 0 5 J U I L L E T 2 0 1 3
Les professionnels confrontés au
paysage mouvant de la gratuité
3. I. Gratuité et bibliothèques, les
retrouvailles ?
3« Quelle gratuité dans un monde marchand ?"
4. Impact de l’introduction de la
gratuité sur les inscriptions.
Ville Population Inscriptions
totales de date
à date
Augmentation en
%
Nouveaux
inscrits en %
Augmentation
en points
Remarques
Senlis 16 452 +2 850 +42% +10,85 Inscriptions payantes
pour les enfants
Fontaine 23 500 +15,57% +62% +1,96
Vandoeuvre-les-Nancy 31 447 +45%*
Saint-Herblain 43 901 +3 383 +15% +7,71
Saint-Brieuc 46 437 +15,8% +22% +2,4 Inscriptions payantes
pour + 13 ans
Le Havre 183 900 +500 +265%*
Lille 191 164 +6 000 +14% +1,33
* Sur les mois de septembre 2008 et septembre 2009
D'une année sur l'autre, on constate une forte fidélisation : effet
d’aubaine réduit.
4« Quelle gratuité dans un monde marchand ?"
5. Des nouvelles fraîches de la
gratuité.
Pessac : 80 % des nouveaux inscrits sont des adultes, surtout des étudiants
et des personnes âgées.
Decines : augmentation forte des adhésions (+36%) et du lectorat actif,
impact sur tous les quartiers, retour des jeunes adultes et des seniorsa ville
Besançon : + 33 %
Dijon : depuis le 1er avril
5« Quelle gratuité dans un monde marchand ?"
6. « Quelle gratuité dans un monde marchand ?" 6
Et dans l’autre sens ? Le coup de
la tarification.
Autun (1988) : - 30% d’inscrits
Nîmes (1990) : - 20% (1996, retour de la gratuité : +24%)
Tour (juin 2009) : - 0,5%
Nîmes (2008) : - 25%
7. La gratuité et les prêts.
Enquête Lerebours (1999) : 1,96 prêts / an dans les bibliothèques
gratuites, contre 2,28 dans les bibliothèques payantes.
Enquête 2009 :
Ville Population Augmentation en % Augmentation des
prêts
Senlis 16 452 +42% +17%
Fontaine 23 500 +15,57% +14,53%
Saint-Herblain 43 901 +15% +9,23%
Saint-Brieuc 46 437 +15,8%
La gratuité modifie le rapport au prêt de documents. Les usagers
empruntent moins (emprutent utile ?). Il n’y a plus d’obligation à
emprunter, plus de dépense à « amortir ».
7« Quelle gratuité dans un monde marchand ?"
8. La gratuité et les ratios
adulte/jeunesse.
* Nouvelles inscriptions hors réinscriptions
Les inscriptions jeunesse n’augmentent significativement que si les
inscriptions étaient payantes pour cette catégorie de public
Sinon, elle n’augmentent pas, voire décroissent (Saint-Brieuc, Pau)
Les adultes, ces passagers clandestins, sortent du bois !
Ville Population Augmentation
en %
Remarques Augmentation des adultes
inscrits
Senlis 16 452 +42% Inscriptions payantes pour
les enfants
+43%
Fontaine 23 500 +15,57% +88%*
Saint-Herblain 43 901 +15% +56%
Saint-Brieuc 46 437 +15,8% Avant : inscriptions
payantes pour + 13 ans
Surtout les + 60 ans, les 14-17
ans et les 18-25 ans
8« Quelle gratuité dans un monde marchand ?"
9. Des usagers respectueux.
« Payer entraîne une plus grande
responsabilisation de l’usager » ?
La gratuité améliorerait les relations entre les
usagers et le personnel.
La gratuité peut favoriser une appropriation
responsable de l’espace public (cf Limoges).
9« Quelle gratuité dans un monde marchand ?"
10. La gratuité : un impact
sociologique ?
Comparaison PCS France / PCS bibliothèques municipales :
10« Quelle gratuité dans un monde marchand ?"
11. Démocratisation : bien, mais
peut mieux faire.
11« Quelle gratuité dans un monde marchand ?"
12. Sociologie de la gratuité : une
moyennisation accrue ?
Arles (2001) : « la progression du nombre d’inscrits […] semble concerner
peu ou prou la plupart des tranches d’âge et des catégories
socioprofessionnelles ». 17% d’ouvriers inscrits !
Chevilly-Larue : cadres + professions intermédiaires + employés = 53,5%
du public inscrit à la médiathèque, contre 52,8% de la population de
Chevilly-Larue. Mais seulement 1% d’ouvriers.
Saint-Brieuc : la gratuité a bénéficié aux habitants de tous les quartiers et
profité principalement aux employés, aux retraités, aux étudiants
Senlis : inversion de la tendance centre-ville/quartiers. A la marge,
apparition d’un public nouveau (population d’origine étrangère).
Saint-Herblain : la gratuité a profité à tous les quartiers.
12« Quelle gratuité dans un monde marchand ?"
14. La gratuité dans le monde.
La gratuité 100% d’origine : Etats-Unis,
Angleterre, Canada (et Québec)
La gratuité « acquis social » : Belgique
francophone, pays scandinaves, Espagne…
La tarification naturelle : Allemagne, Italie,
Pays-Bas
La gratuité contrariée/refoulée : France
14« Quelle gratuité dans un monde marchand ?"
15. Les biens publics ou collectifs.
Le bien public ou collectif : dépenses publiques qui
profitent à tous ou qui doivent être accessibles à tous,
comme l’air pur, les routes.
La quantité du bien fourni ne varie pas selon les consommations
individuelles
Personne ne peut demander de dédommagement pour avoir
contribué à produire ce bien
Aucun membre de la communauté ne peut en être exclu; le bien
public est d’autant plus performant qu’il accueillera d’utilisateurs
15« Quelle gratuité dans un monde marchand ?"
16. Les bibliothèques, un bien
collectif hybride ?
Les bibliothèques, une exception culturelle (F. Benhamou) :
Les bibliothèques sont caractérisées par la difficulté d’y réaliser des gains de productivité.
Elles présentent nombre de caractéristiques des biens collectifs (coût dérisoire de tout
utilisateur supplémentaire).
Les biens culturels proposés présentent un caractère optionnel : on ne peut prévoir à quelle
date ils seront consommés, ni dans quelle proportion.
Cela suffit pour justifier que l’Etat et les collectivités en assument la charge.
Donc : GRATUITÉ ?
Des contraintes internes (forte affluence, tarification, dégradations, régulations), font des
bibliothèques des biens semi-collectifs.
Donc : TARIFICATION ?
16« Quelle gratuité dans un monde marchand ?"
17. Les bibliothèques, un service
municipal hybride ?
Les catégories de services publics locaux :
les services publics communaux gratuits et obligatoires (école, voirie...)
les services publics communaux payants et/ou services publics industriels et
commerciaux
les services publics administratifs dits facultatifs (créés à l'initiative des
collectivités locales)
Ils sont financés par l'impôt, les subventions publiques, par les
usagers. C'est le contribuable qui finance le service et non l'usage.
LES BIBLIOTHEQUES, un service obligatoire ?
LES BIBLIOTHEQUES, un service facultatif ?
17« Quelle gratuité dans un monde marchand ?"
18. Anthropologie de la gratuité.
« La société est redevable envers sa population de travailleurs,
d’obligations qui ne sauraient se réduire au seul versement d’un salaire. Il
n’est pas pensable de se tenir quitte à jamais d’obligations socialement
contractées » (Mary Douglas, Marcel Mauss)
Le don n’est pas l’exception, il fait partie de l’économie de marché.
Le don favorise la création de communautés d’individus que tout sépare.
On peut appeler cela un CONTRAT SOCIAL, de la
SOLIDARITEou du LIEN SOCIAL.
18« Quelle gratuité dans un monde marchand ?"
19. Sociologie de la gratuité.
« L’égalité des places procède moins de l’égalisation des revenus que
de la mise à disposition de tous des biens longtemps réservés à
quelques uns. […] Si l’on réclame davantage d’égalité sociale, ce n’est
pas seulement parce que les individus sont fondamentalement égaux,
c’est aussi et surtout parce que les travailleurs contribuent à la
production des richesses et du bien-être collectif et que, partant, la
société leur doit quelque chose. […] L’égalité et la protection des
travailleurs sont une manière de rembourser la dette sociale que
chacun doit à la collectivité et que la collectivité doit à chacun ».
François DUBET. Les places et les chances. Ed du Seuil, 2010
19« Quelle gratuité dans un monde marchand ?"
20. Economie de la gratuité.
Le modèle français de politique culturelle promeut la
subvention à l’offre plutôt qu’à la demande.
Effets pervers : effets anti-redistributeurs,
augmentation des coûts et des prix de la culture
Solutions :
Discrimination positive et/ou négative
Subvention de la demande (chèques culture)
Subvention du consommateur (abonnement « payés »)
Gratuité totale
20« Quelle gratuité dans un monde marchand ?"
21. Gratuité marchande, gratuité
repoussoir ?
Dans une société marchande, la gratuité a pour finalité de
développer la demande en biens de consommation, elle est « un
modèle économique associé à un service privé ».
« La nouvelle gratuité marchande repose sur la diffusion d’un
produit gratuit ou d’une offre gratuite financés soit par la publicité,
soit par l’exploitation à des fins commerciales de fichiers
d’utilisateurs, soit par la vente de produits dérivés, d’abonnements
ou d’applications diverses » (G. Gudin de Vallerin).
SEDUIRE
FIDELISER
VENDRE
21« Quelle gratuité dans un monde marchand ?"
22. Le juste prix des bibliothèques.
« Qu’un service soit gratuit ou payant, qu’il ait un prix élevé ou « un
prix nul », est d’une importance évidente pour l’usager, et détermine
en aval son organisation financière et son mode de gestion, et
révèle en amont un choix politique et financier capital » (R. Herzog).
Le prix est plus que le prix :
Le prix est un pari sur la valeur du produit
Le prix est donc une prime au public favorisé, acquis
Les bibliothèques, le moins cher des services culturels :
86% des inscrits des bibliothèques considèrent que la tarification
est peu élevée (2002)
Le prix moyen des bibliothèques tourne autour de 10 € (CREDOC)
22« Quelle gratuité dans un monde marchand ?"
23. Bibliothèques, le pas de deux.
Gratuité partielle et discriminations diverses :
Par supports, catégories d’âge, statuts, lieux de résidence, statut
fiscal (quotient familial, niveaux d’imposition…)
80 % du public est exonéré (rapport Borzeix 2002)
Jusqu’à 19 discriminations possibles recensées !
La gratuité totale, une exception qui l’est de moins en
moins :
Avant 2010 : 20% des bibliothèques
2011 : 35% des bibliothèques
Note : 46% pour les villes <5000 hbts.
23« Quelle gratuité dans un monde marchand ?"
24. Gratuité, nouvelles formules.
Agglomération de Saint-Brieuc : gratuité de
l’inscription la 1ère année.
Le Chesnay : trois niveaux d’inscriptions (offre de
base « gratuite »/ offre moyennement payante ; offre « premium »,
plus chère) : seule la quantité de documents empruntables (livres +
accès Internet) varie.
24« Quelle gratuité dans un monde marchand ?"
25. Le consentement à payer,
notions.
Avant : bibliothèques = monopole de la diffusion à faible
coût de contenus culturels = consentement à payer
élevé
Après : croissance de l’offre culturelle en ligne (privé ET
public), disponibilité immédiate = consentement à payer
de plus en plus faible
« La rareté fait monter les prix, l’abondance les fait
baisser » (M. Maisonneuve)
25« Quelle gratuité dans un monde marchand ?"
26. Le public et la gratuité : les
Français et l’argent…
1979 : pour 27% des usagers et 13 % des non-usagers,
la gratuité est la formule « normale » pour l’emprunt
1995 : 31%
2005 : 51% et 47% ( non-usagers)
Seuls 5% des non-inscrits invoquent la tarification pour
justifier leur non-inscription (sic!).
26« Quelle gratuité dans un monde marchand ?"
27. Le passager clandestin.
27« Quelle gratuité dans un monde marchand ?"
Certains usagers se soustraient à l’effort collectif en misant sur la
participation financière (ou intellectuelle) de leurs pairs, tout en cherchant
à profiter du service offert.
C’est le type d’usager que l’on désigne par le terme de « passager
clandestin ».
En France, on évalue à 15% la part du « public invisible » (CREDOC),
celui qui emprunte sur la carte d’un tiers.
28. Le coût par usager.
L’indicateur B.3.4.1 de la norme ISO 11620 “mesure des performances des
bibliothèques” :
C’est le coût par usager, soit les dépenses annuelles de fonctionnement divisées par le
nombre d’usagers.
Coûts annexes :
Carnets de régie, coffres-forts, lecteurs de cartes bleues, prime allouée au(x) régisseur(s)
(NBI)…
Coûts « cachés » :
Temps de travail des agents (bibliothécaires, comptables, Trésor Public) chargés de la régie
des recettes.
28« Quelle gratuité dans un monde marchand ?"
29. Les recettes des bibliothèques :
le 1% symbolique
En 1999, les recettes représentaient moins de 3% du budget des
bibliothèques.
Les recettes directes.
Lille (recettes de 100 000 € / an) : 2 % du budget de fonctionnement
Dijon (80 000 € / an) : 1,5 %
Rouen (32 000 € / an) , Saint-Brieuc (20 000 € / an) , Le Havre (51 000 € / an) : 1%
Besançon (48 000 € / an)
Le coût de la tarification.
St-Brieuc : équivalent d’1 agent à mi-temps
Le Havre : 60% des sommes perçues (31 000 € à déduire des recettes)
29« Quelle gratuité dans un monde marchand ?"
30. Le coût par usager : un exemple
concret.
30« Quelle gratuité dans un monde marchand ?"
31. III. Petit détour par les musées.
31« Quelle gratuité dans un monde marchand ?"
32. La gratuité des musées.
Le bilan de l’expérimentation menée en 2008 :
Fréquentation : + 50%.
La gratuité a attiré les classes moyennes et supérieures, les étudiants, des
primo-visiteurs, un public de proximité, un public populaire dont les liens avec
la culture sont distendus et la familiarité avec les musées plutôt lâche.
La gratuité a surtout bénéficié aux musées de province.
Des visites plus courtes mais plus fréquentes (proximité).
« Le prix est donc bien un obstacle à la fréquentation
pour la partie du public qui ressent un minimum de goût
pour les activités culturelles » (François ROUET et Sylvie OCTOBRE)
32« Quelle gratuité dans un monde marchand ?"
33. IV. La gratuité, c’est tendance.
33« Quelle gratuité dans un monde marchand ?"
34. Pour en finir avec…
« La gratuité c’est politique »
« La gratuité ne profite qu’au public aisé »
« 10 € pour emprunter des livres, c’est pas
cher »
« La gratuité, ça déresponsabilise »
« La gratuité, c’est cheap »
34« Quelle gratuité dans un monde marchand ?"
35. …au profit d’un peu de bon sens.
« La gratuité c’est politique » ?
…la mise en place de nouveaux services
aussi
...les recrutements aussi…
...l'extension des horaires d'ouverture
aussi…
35« Quelle gratuité dans un monde marchand ?"
36. …et pour une gratuité positive.
« La gratuité responsabilise »
« La gratuité est normale »
« La gratuité ça marche (pour les
bibliothèques) »
« La gratuité c’est cheap
La gratuité c’est chic !
36« Quelle gratuité dans un monde marchand ?"
37. Un concept en phase avec les
nouveaux usages.
Société du zapping : je veux tout
essayer!...sans frais
Société du risque 0 : je veux pouvoir me
tromper…sans frais
Société de la demande : tout, tout de suite
…sans frais (voir ci après)
37« Quelle gratuité dans un monde marchand ?"
38. Internet, culture et gratuité : une
culture du gratuit ?
Internet et le partage en ligne incitent à profiter
gratuitement des données publiques : le Patrimoine, ici
et maintenant, gratuitement.
Enquête BVA-Orange (nov. 2010) : 44% des sondés
refusent de payer pour des biens culturels sur Internet
Etude Hadopi (juin 2013) : la consommation est
conditionnée par la qualité de l'offre et son
prix. "On constate une hétérogénétié de la
consommation ». 26 juin,
Si la culture en ligne est (presque) gratuite, pourquoi
payer dans la vraie vie ?
.
38« Quelle gratuité dans un monde marchand ?"
39. V. Dire la gratuité.
39« Quelle gratuité dans un monde marchand ?"
44. Conclusion 1.
La gratuité totale est un modèle
économique pertinent et particulièrement
adapté aux bibliothèques municipales.
44« Quelle gratuité dans un monde marchand ?"
45. Conclusion 2.
Les conditions à remplir pour sa gratuité :
La variable territoriale : prime aux bibliothèques
« régionales » (cf gratuité des musées de province)
La variable de la proximité : prime aux petites et
moyennes villes
La variable des moyens : prime aux bibliothèques
dotées de ressources et de services conséquents
45« Quelle gratuité dans un monde marchand ?"
46. Conclusion 3.
La gratuité est fragile, il faut l’entretenir.
L'évaluation : rendre compte aux élus et au public
avant / pendant / après
http://www.mediatheque-decines.fr/content/abonnement-gratuit-premier-bilan
L'animation : la gratuité doit être alimentée par de
nouveaux projets
Il faut rendre la gratuité désirable
46« Quelle gratuité dans un monde marchand ?"
47. Conclusion 4.
« Tout contribuable sait donc qu’il paye et
combien il paye pour sa bibliothèque. Quand il
passe devant, il peut dire : c’est à moi, et quand
il est rentré : JE SUIS CHEZ MOI » E. Morel.
47« Quelle gratuité dans un monde marchand ?"
48. Conclusion 5.
Défense et illustration de la gratuité positive : la
BMF à Limoges
48« Quelle gratuité dans un monde marchand ?"
49. Merci de votre attention
Contact : o.ploux@beauvaisis.fr
49« Quelle gratuité dans un monde marchand ?"