2. • « Il n’existe pas d’anecdote plus ressassée ni plus fallacieuse
que la fameuse phrase mise par Gaston Tissandier dans la
bouche de Delaroche : « À partir d’aujourd’hui la peinture est
morte ! » Gernsheim, qui la cite, force le trait en lui ajoutant
ce commentaire : « s’exclama hystériquement Paul Delaroche
en voyant pour la première fois un daguerréotype17 ». Quels
que soient les défauts de Delaroche, il n’était certainement
pas hystérique, et il est plus que probable que cette citation
apocryphe ne traduise aucunement la réalité. L’engagement
du peintre au service de la laborieuse divulgation de ce
procédé, de l’hiver 1838 à l’été 1839, fut sans nul doute
considérable, mais il dénote une attitude à peu près
diamétralement opposée à celle qu’implique la fameuse
réplique. »
•
Stephen Bann , « Photographie et reproduction gravée », Études photographiques, 9 | Mai
2001, [En ligne], mis en ligne le 10 septembre 2008. URL :
http://etudesphotographiques.revues.org/241. Consulté le 30 juillet 2013.
3. • « Voici une bonne nouvelle pour l’avenir de la peinture. L’art
comme on le sait se divise en deux parties, la partie matérielle
et la partie intelligente. Des peintres s’attachent à la partie
matérielle seulement et rendent admirablement une robe de
satin. D’autres s’attachent à la partie intelligente ; ils
inventent, composent, dessinent et semblent ignorer le
rendu. Le peintre qui rend bien, c’est le maçon qui construit ;
l’autre, c’est l’architecte qui invente et compose. L’architecte
et le maçon en peinture sont en présence d’un grand
événement. Cet événement sera pour l’architecte un sujet de
joie, pour le maçon un sujet de désespoir. » Il ajoute plus loin :
« Qu’on ne pense pas que le daguerréotype tue l’art. Non, il
tue l’œuvre de la patience, il rend hommage à l’œuvre de la
pensée. »
•
• Antoine-Joseph Wiertz (1806-1865) article publié dans Le National
en 1855. Cité par André Rouillé dans La photographie en
France, Paris, Macula, 1989, p. 245.
5. « La photographie est "une science qui occupe les intelligences les plus
élevées, un art qui aiguise les esprits les plus sagaces (et dont
l'application est à la portée du dernier des imbéciles)
Cette surnaturelle photographie est exercée chaque jour, dans chaque
maison, par le premier venu et le dernier aussi, car elle a ouvert un
rendez-vous général à tous les fruits secs de toutes les carrières. Vous
voyez à chaque pas opérer photographiquement un peintre qui n'avait
jamais peint, un ténor sans engagement ; et de votre cocher comme
de votre concierge je me charge de faire en une leçon deux opérateurs
photographes de plus. La théorie photographique s'apprend en une
heure ; les premières notions de pratique, en une journée.
Ce qui ne s'apprend pas, je vais vous le dire : C’est le sentiment de la
lumière, c'est l'appréciation artistique des effets produits par les jours
divers et combinés, c'est l'application de tels ou tels de ces effets selon
la nature des physionomies que vous avez à reproduire…
6. Ce qui s'apprend encore beaucoup moins, c'est l'intelligence morale de votre
sujet, c'est ce tact rapide qui vous met en communion avec le modèle, vous le
fait juger et diriger vers ses habitudes, dans ses idées, selon son caractère, et
vous permet de donner (non pas banalement et au hasard, une indifférente
reproduction plastique à la portée du dernier servant de laboratoire) la
ressemblance la plus familière et la plus favorable, la ressemblance intime.
C'est le côté psychologique de la photographie, le mot ne me semble pas
trop ambitieux.
Ce qui ne s’apprend pas non plus, c’est la probité dans le travail, c’est, dans un
genre aussi délicat que le portrait, le zèle, la recherche, le travail infatigable à
la poursuite persévérante, acharnée du mieux ; c’est, en un mot, l’honnêteté
commerciale que j’ose dire avoir héritée de notre père. »
• Félix Nadar, Mémoire pour la revendication de la propriété exclusive du
pseudonyme Nadar, (mémoire du tribunal de Paris) 1857
7. • « Il y a deux mois, l'un des plus habiles praticiens du procédé nouveau
de la photographie, M. Le Gray, envoyait au jury de l'exposition de
1850 neuf dessins sur papier, représentant des paysages, des portraits
d'après nature, et d'après des tableaux. Quand on eut admiré la
perfection surprenante des résultats obtenus, l'on se trouva
embarrassé pour classer des ouvrages dignes de rivaliser avec les
œuvres d'art les plus achevées, et qui toutefois, accomplis par un
procédé purement théorique, ne se rattachent point d'une manière
directe à la pratique du dessin. Rangées parmi les lithographies, les
œuvres de l'habile héliographe furent annoncées sous cette rubrique
au Livret de l'exposition actuelle. Mais il survint une sous-Commission
qui, envisageant la question à un autre point de vue, fit retirer les
dessins de M. Le Gray. Les premiers les avaient considérés comme
œuvres d'art ; les seconds les ont classés parmi les produits de la
science. Nous serions fort empêché de savoir à qui donner raison. »
•
Francis Wey « De l’influence de l’héliographie sur les Beaux-Arts » La Lumière, n°1, 1851, p.2-3
8. • Profession de foi de Le Gray :
• « Pour moi, j'émets le vœu que la photographie, au lieu
de tomber dans le domaine de l'industrie, du
commerce, rentre dans celui de l'art. C'est là sa
seule, sa véritable place, et c'est dans cette voie que je
chercherai toujours à la faire progresser. C'est aux
hommes qui s'attachent à son progrès de se pénétrer
de ce principe. Chercher à diminuer le prix des
épreuves, avant de trouver les moyens de faire des
œuvres complètes, serait s'exposer à perdre à tout
jamais l'avenir de notre art si intéressant. »
•
9. D. O. Hill et R. Adamson, portrait d’Elizabeth Rigby,
tirage salé, 20 x 15,3, v. 1845, coll. George Eastman House, Rochester.
10. •
»…Ceci nous amène à la partie artistique de notre
sujet, et à ces questions qui troublent quelquefois le
spectateur [the spectator], au sujet de savoir jusqu’à
quel point la photographie est vraiment un instrument
du pittoresque [a picturesque agent], quelles sont les
causes de ses succès et de ses échecs, et en quoi
consistent, au sens de l’art, ses succès et ses échecs ?
Ces questions peuvent être justement posées
maintenant que les procédés scientifiques sur lesquels
repose la pratique ont atteint une telle perfection
qu’on ne peut plus attendre, mis à part l’acquisition
tant convoitée de la couleur, de grandes
améliorations. »
11. • « Mais tandis que grâce à l’ingéniosité et à l’industrie
de centaines d’efforts tendus vers un même but, le
champ du nouvel instrument [agent] s’est ainsi élargi
au point de le mettre à la disposition du sujet le plus
vigoureux aussi bien que de la plus simple nature
morte, la photographie a-t-elle gagné, au point de vue
artistique, dans une proportion comparable ? Notre
réponse n’est pas affirmative, et il serait impossible
qu’elle le soit. »
• Elizabeth Eastlake et François Brunet , «« Et pourtant des choses
mineures… »», Études photographiques, 14 | janvier 2004, [En ligne], mis
en ligne le 16 septembre 2008. URL :
http://etudesphotographiques.revues.org/381. Consulté le 01 août 2013
12. • « Pour ces raisons, il est presque inutile de dire
que nous sympathisons cordialement avec sir
William Newton, qui créa un jour un beau
scandale à la Photographic Society en proposant
l’hérésie selon laquelle des images prises
légèrement en dehors du point focal de netteté
[pictures taken slightly out of focus], c’est-à-dire
présentant des formes légèrement incertaines et
indéfinies [slightly uncertain and undefined
forms], s’avéreraient, « quoique moins
chimiquement
réussies,
plus
belles
artistiquement». »
13. • « Si l’image photographique [the photograph], dans son
état primitif, imparfait du point de vue scientifique, entrait
mieux en résonance avec notre sentiment pour l’art, c’est
parce que, telle qu’elle était alors, elle était plus fidèle à
notre expérience de la Nature. »
• Et plus loin : « La perte de l’effet artistique [the falling off of
artistic effect] est encore plus frappante si nous
considérons maintenant le département du paysage. Dans
ce domaine, le succès avec lequel tous les flous et les
taches accidentels [all accidental blurs and blotches] sont
éliminés, ainsi que la perfection tranchante de l’objet qui se
détache sur un ciel dépourvu de la moindre
moucheture, font exactement autant de tort à l’art qu’ils
font d’honneur à la science. »
14. • « L’exactitude du dessin, la vérité du détail et l’absence de convention, qui
sont les plus hautes caractéristiques artistiques de la photographie, sont
certes des qualités peu ordinaires ; mais l’étudiant qui sort de l’académie
avec ce bagage n’en est encore qu’au seuil de l’art. La faculté de
sélectionner et de rejeter, l’application vivante de ce langage qui gît inerte
dans sa boîte de couleurs, le mariage de son esprit avec l’objet qui est
devant lui, et la progéniture qui, partageant à moitié ses traits avec ceux
de la Nature, naît de cette union – en somme, tout ce qui touche au libre
arbitre de l’être intelligent par opposition à l’obéissance de la machine –
, tout cela et bien plus encore constitue le mystère appelé Art, mystère à
l’élucidation duquel la photographie peut apporter une contribution
précieuse, tout simplement en montrant ce qu’il n’est pas [simply by
showing what it is not]. Il n’y a, à la vérité, dans ce pouvoir d’imitation
littérale, privée de raison, qu’elle revendique comme son titre, rien en
quoi, au bout du compte, elle ne soulage l’artiste d’un fardeau, bien plutôt
qu’elle ne le supplante dans une fonction. »
15. • « Si, par conséquent, l’heure doit venir où l’art
serait recherché – ainsi qu’il devrait l’être –
pour lui-même avant tout, nos artistes et nos
clients [patrons] seront alors d’un ordre bien
plus élevé qu’à présent ; et s’il est quelque
chose qui puisse provoquer un apogée si
désirable, ce sera l’introduction de la
Photographie. »
16. • « En matière de peinture et de statuaire, le Credo actuel des gens
du monde, surtout en France (et je ne crois pas que qui que ce soit
ose affirmer le contraire), est celui-ci: "Je crois à la nature et je ne
crois qu'à la nature (il y a de bonnes raisons pour cela). Je crois que
l'art est et ne peut être que la reproduction exacte de la nature
(une secte timide et dissidente veut que les objets de nature
répugnante soient écartés, ainsi un pot de chambre ou un
squelette). Ainsi l'industrie qui nous donnerait un résultat identique
à la nature serait l'art absolu." Un Dieu vengeur a exaucé les vœux
de cette multitude. Daguerre fut son Messie. Et alors elle se dit:
"Puisque la photographie nous donne toutes les garanties
désirables d'exactitude (ils croient cela, les insensés), l'art, c'est la
photographie." A partir de ce moment, la société immonde se
rua, comme un seul Narcisse, pour contempler sa triviale image sur
le métal. Une folie, un fanatisme extraordinaire s'empara de tous
ces nouveaux adorateurs du soleil. »
•
Charles Baudelaire, « Le public moderne et la photographie », Études
photographiques, 6 | Mai 1999, [En ligne], mis en ligne le . URL :
http://etudesphotographiques.revues.org/185. consulté le 22 octobre 2013.
17. • « S'il est permis à la photographie de suppléer l'art dans quelquesunes de ses fonctions, elle l'aura bientôt supplanté ou corrompu
tout à fait, grâce à l'alliance naturelle qu'elle trouvera dans la
sottise de la multitude. Il faut donc qu'elle rentre dans son véritable
devoir, qui est d'être la servante des sciences et des arts, mais la
très humble servante, comme l'imprimerie et la sténographie, qui
n'ont ni créé ni suppléé la littérature. Qu'elle enrichisse rapidement
l'album du voyageur et rende à ses yeux la précision qui manquait à
sa mémoire, qu'elle orne la bibliothèque du naturaliste, exagère les
animaux microscopiques, fortifie même de quelques
renseignements les hypothèses de l'astronome; qu'elle soit enfin le
secrétaire et le garde-note de quiconque a besoin dans sa
profession d'une absolue exactitude matérielle, jusque-là rien de
mieux. Qu'elle sauve de l'oubli les ruines pendantes, les livres, les
estampes et les manuscrits que le temps dévore, les choses
précieuses dont la forme va disparaître et qui demandent une place
dans les archives de notre mémoire, elle sera remerciée et
applaudie. Mais s'il lui est permis d'empiéter sur le domaine de
l'impalpable et de l'imaginaire, sur tout ce qui ne vaut que parce
que l'homme y ajoute de son âme, alors malheur à nous! »
18. • « L'observateur de bonne foi affirmera-t-il que
l'invasion de la photographie et la grande folie
industrielle sont tout à fait étrangères à ce
résultat déplorable? Est-il permis de supposer
qu'un peuple dont les yeux s'accoutument à
considérer les résultats d'une science matérielle
comme les produits du beau, n'a pas
singulièrement,
au
bout
d'un
certain
temps, diminué la faculté de juger et de sentir ce
qu'il y a de plus éthéré et de plus immatériel ? »