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Les voix
de la
Terre
Table de matières
Au point du cœur
Auprès de Grand-Arbre
Écoute les voix de la terre
Juliette la chouette
Le cœur trop petit
La fille de l’arbre
Rebelle le Loup
L’enfant qui parlait aux animaux
L’arbre qui chante
Le maître du jardin
Deux oiseaux
Commandements du Parc National
Le Roi Soleil
Cher Monsieur Plantefol
Les ballons
En attendant la pluie…
Nombril des mondes
Un arbre dans la lune
Le sapin
Le sage et le serpent
Le roi et le papillon
Une abeille dans le vent
Prière d’un enfant aux adultes d’aujourd’hui
Le trésor du baobab
Le conte de Luna
L’ami pommier
Le petit jardinier
Le papillon
Raconte-moi la mer
Ronds de nuit
Pour la Terre
S’émerveiller
Au point du cœur
AU POINT DU CŒUR
Je connais un pays où les pépites dorées
ont autant de valeur qu’un galet mille fois poncé
par le courant de la rivière.
Les blés mûrs, l’ombre qui effleure, le soleil levant,
le parfum du figuier ou l’aile perdue d’une libellule
sont là-bas les plus beaux des trésors.
Je connais un pays où les arbres sont rêveurs.
Ils y poussent ocre, mauves ou fuchsia.
Au fil des saisons, sur leurs feuilles oblongues,
naissent des poèmes s’inscrivant ligne après ligne
en fines nervures.
Rascal
Au Point du Cœur
Paris, l’École des loisirs, 2002
Auprès de Grand-Arbre
AUPRES DE GRAND-ARBRE
Grand-arbre était si grand… Je me demandais si un jour je serais aussi grand que lui… Les
nuits de pleine lune, Grand-arbre scintillait sous le ciel noir. Par la fenêtre, je regardais ses
branches se balancer avec grâce. Son ombre dansante sur les murs de ma chambre m’aidait à
m’endormir. Je lui disais :
― Bonne nuit, Grand-arbre !
Et il s’ébrouait comme un ours hors de l’eau pour me répondre. Les matins de printemps,
quand il faisait beau, je m’allongeais sur l’herbe à son pied. Les rayons du soleil se frayaient un
chemin à travers le feuillage, et ils dessinaient sur mon ventre une dentelle de lumière. Un
couple d’écureuils venait souvent s’amuser dans Grand-arbre. Ils passaient leur temps à se
courir après le long de ses branches interminables. Lorsqu’ils détalaient à toute vitesse sur
l’herbe, même le chat de la voisine ne parvenait à les rattraper.
― Bien fait pour toi ! lui criais-je. Tu n’as qu’à les laisser jouer !
Grand-arbre donnait en été des fruits sauvages. L’automne venu, ils éclataient en
tombant lourdement sur l’herbe : « Plonc ! » Alors ses feuilles se mettaient à roussir si fort
qu’on aurait dit que le feu était passé par là. Durant cette saison, les écureuils s’en donnaient à
cœur joie car ils devenaient parfaitement invisibles. Et Grand-arbre riait car les écureuils lui
chatouillaient le ventre et les bras.
L’hiver, Grand-arbre se dressait, nu, jetant ses mille branches dans les nuages gris,
comme s’il portait le ciel. Certains jours, une tourterelle venait s’y poser.
― Bonjour, Tourterelle ! lui disais-je. Comme tu es belle !
Alors elle rougissait. Du moins ça me plaisait de le croire… Quand le chat la laissait
tranquille, elle plantait son bec dans un fruit encore accroché à une branche pour en picorer
les pépins. Un soir d’hiver, en rentrant de l’école, je découvris que Grand-arbre avait disparu.
On avait arraché mon meilleur ami ! Depuis ma fenêtre, je ne voyais plus que des tours, des
usines, des routes, des ponts. À la place de Grand-arbre, il ne restait qu’un rond de terre noire
dans la pelouse verte. Une horrible cicatrice ! Moi, je pensais que Grand-arbre m’appartenait
parce qu’il vivait sous ma fenêtre.
― Tu te trompes, m’a-t-on expliqué. Grand-arbre, comme beaucoup d’autres arbres,
appartient à la ville. Là-bas, il y a des hommes et des femmes qui décident de leur sort.
Alors, le mien devait disparaître ? Je ne comprenais pas pourquoi. Mon amie la
tourterelle vint me voir par un froid matin. La pauvrette tournoyait au-dessus du rond de terre
noire en battant des ailes. Son perchoir préféré s’était envolé et elle me lançait des regards
étonnés… Elle finit par se poser sur l’herbe et s’intéressa à un vieux fruit qui pourrissait là ―
Grand-arbre lui avait laissé un souvenir. Ce n’était plus qu’une peau brune renfermant
quelques pépins. Elle planta son bec et s’apprêtait à les picorer quand le chat de la voisine
l’effraya et elle disparut dans le ciel blanc…
― Vilain, le chat ! Pourquoi fais-tu peur à tout le monde ?
Le chat joua un moment avec cette petite boule toute ridée. Il la poussa de la patte,
comme s’il s’agissait d’un ballon, et le fruit roula jusqu’au rond de terre noire. Il s’amusa à le
recouvrir en grattant la terre, puis, lassé de son jeu, s’éloigna de sa démarche imperturbable,
sans même se retourner. Un peu plus tard, ce même jour, le couple d’écureuils vint lui aussi.
Comment pouvais-je leur expliquer ce que je ne comprenais pas moi-même ? Ils
semblaient si tristes. On aurait dit qu’ils attendaient le retour de Grand-arbre. Le temps était
devenu menaçant et le chat avait dû rentrer chez lui. Un violent orage éclata durant la nuit. Le
tonnerre grondait sans relâche, des éclairs zébraient le ciel et la pluie ne voulait cesser.
Hélas, Grand-arbre n’était plus là pour me protéger. Je grelottais de frayeur au fond de
mon lit… L’hiver se termina sans que je revoie la tourterelle et les écureuils. D’ailleurs, je ne
voulais plus regarder au-dehors. Je n’ouvrais plus mes rideaux… Et puis le printemps pointa le
bout de son nez. Mais sans Grand-arbre, ma joie n’était pas complète.
Un matin, mon amie la tourterelle me réveilla en tapant au carreau. Je me précipitai à ma
fenêtre, écartait les rideaux et… « Oh ! » Je n’en croyais pas mes yeux.
― Vite ! Descendons !
Au centre de la pelouse, dans le rond de terre, un arbre poussait. Un vrai petit arbre qui
ressemblait déjà à Grand-arbre. Alertés par la tourterelle qui virevoltait de bonheur, le couple
d’écureuils vint aux nouvelles et nous dansâmes autour de Petit-arbre. Intrigué par cette
sarabande, le chat de la voisine entra à son tour dans la ronde. C’était aussi un peu grâce à lui
que Petit-arbre avait pu naître. La pluie de l’orage avait fait germer un pépin, mais c’est le chat
qui avait enterré le fruit… Bien sûr, Petit-arbre était beaucoup plus petit que moi, mais il allait
grandir, et c’était à moi de veiller sur lui.
― Je viendrai t’arroser chaque matin, lui promis-je.
Petit-arbre était si petit… Je me demandais si un jour il serait aussi grand que moi.
Michel Deydier
Auprès de Grand-arbre
Paris, Gautier-Languereau, 2006
Écoute les voix de la terre
ÉCOUTE LES VOIX DE LA TERRE
Durant mon enfance, mon grand-père était mon meilleur ami. Lorsque nous étions
ensemble, tout me semblait parfait. Nous aimions nous promener tous les deux dans les bois.
Nous n’allions jamais ni très loin, ni très vite. Nous prenions des chemins sinueux. Tout en
marchant, je lui posais de nombreuses questions.
― Grand-père, pourquoi… ?
― Que se passerait-il si… ?
― Est-ce que parfois… ?
Un jour, je lui ai demandé :
― Grand-père, qu’est-ce qu’une prière ?
Mon grand-père est resté silencieux un long moment. Puis nous sommes arrivés devant
les arbres les plus hauts de la forêt et il m’a répondu par une question :
― As-tu déjà entendu le murmure des arbres ?
J’ai écouté attentivement mais en vain.
― Regarde, m’a-t-il dit, les arbres montent vers le ciel. Ils vont toujours plus haut… Ils
veulent atteindre les nuages, le soleil, la lune et les étoiles. Ils cherchent à s’élever vers les
cieux.
J’ai pensé aux arbres, j’ai essayé de les entendre. Pendant que je réfléchissais, je me suis
assis sur un vieux rocher couvert de mousse.
― Les pierres et les montagnes nous parlent elles aussi. Leur calme, leur silence nous
inspirent la tranquillité, m’a expliqué mon grand-père.
Après avoir longuement réfléchi, j’ai ramassé un caillou et je l’ai mis dans ma poche.
Nous sommes allés un peu plus loin, près d’un ruisseau. L’eau bouillonnait, scintillait, et de
tout petits poissons tournoyaient dans l’ombre.
― Grand-père, est-ce que les ruisseaux murmurent eux aussi ? lui ai-je demandé.
― Bien sûr. Les lacs, les rivières et tous les cours d'eau également, m'a-t-il répondu.
Parfois, ils coulent tranquillement. Ils reflètent alors les nuages, les oiseaux, le soleil ou les
étoiles. Parfois, ils s'écoulent en remous à la surface de la terre, se
jettent dans la mer et s'évaporent dans le ciel. Puis le cycle
recommence… Le plus souvent, ils rient et s'amusent avec leurs
amis les rochers. Ou bien ils dansent, bondissent et puis
retombent…
Mais la nature s’exprime encore de bien d’autres façons. Les
herbes hautes s’agitent vers le soleil et les fleurs exhalent leur
doux parfum. Quant au vent, il chuchote, gémit, soupire. Il nous
souffle ses paroles.
Écoute le chant des oiseaux au petit matin, écoute leur
silence avant le lever du soleil. Entends-tu la mélodie du rouge-gorge à la tombée du jour ? Les
animaux se faufilent dans la forêt, brillent dans l'eau, escaladent les montagnes, s'envolent
dans les nuages ou se réfugient sous terre. C'est ainsi que tous les êtres vivants participent à la
beauté du monde…
Puis nous nous sommes tus tous les deux. Mon grand-père regardait au loin et je
réfléchissais à ce qu’il m’avait dit sur les rochers, les arbres, l’herbe, les oiseaux et les fleurs. J’ai
fini par lui demander comment priaient les hommes. Mon grand-père a souri et a passé sa
main dans mes cheveux.
― Tout comme la nature, les hommes ont leur propre langage… m’a-t-il répondu.
― On peut se pencher pour sentir le parfum d’une fleur, regarder le soleil se lever, sentir
la terre tourner doucement ou saluer le jour. On peut se promener dans un bois enneigé un
jour d’hiver et regarder son propre souffle entrer dans le souffle du monde. Mais la musique ou
la peinture sont aussi des manières de s’exprimer, de parler…Parfois, on se sent triste, malade
ou isolé. On répète alors des phrases que nous ont apprises par le passé nos parents ou nos
grands-parents. Mais il faut avant tout essayer de trouver ses
propres mots. Ce qui est important, c’est de dire ce que l’on
ressent vraiment, ce qui vient du cœur.
Au bout d’un moment, mon grand-père m’a dit qu’il était
l’heure de rentrer. Mais j’avais une dernière question à lui poser :
― Nos prières ont-elles des réponses ?
Il m’a souri.
― En général, ce ne sont pas vraiment des questions, mais si
on écoute bien, elles contiennent souvent leurs propres réponses.
Nous sommes comme les arbres, le vent et l’eau. Nous ne voulons pas changer ce qui nous
entoure mais nous changer nous-mêmes. C’est en évoluant que l’on transforme le monde.
Après cette promenade, mon grand-père et moi avons encore souvent marché ensemble.
Chaque fois j’ai essayé d’écouter les voix de la terre, mais je n’ai jamais été sûr de vraiment les
entendre.
Un jour, mon grand-père nous a quittés. J’ai eu beau penser à lui de toutes mes forces, il
n’est pas revenu. Il ne pouvait pas revenir. J’ai prié encore et encore jusqu’à ce que je n’y arrive
plus. Pendant longtemps, j’ai renoncé. Tout me paraissait sombre et je me sentais seul sans lui.
Quelques années plus tard, alors que je me promenais, je me suis assis sous un grand
arbre. Les branches remuaient et les feuilles bruissaient dans le vent. J’ai entendu le murmure
d’un ruisseau et le chant d’un rouge-gorge perché sur un chèvrefeuille.
J’ai également perçu un léger murmure mêlé au souffle du vent, au chant des oiseaux et
au clapotis de l’eau. La terre me parlait, comme mon grand-père me le disait. Alors j’ai
murmuré doucement, moi aussi :
― Merci pour les grands arbres et les belles fleurs, pour les rochers et les oiseaux, mais
surtout merci… pour mon grand-père.
Et là, quelque chose a changé. Je sentais mon grand-père à nouveau près de moi…
Pour la première fois depuis longtemps, tout me semblait parfait.
Douglas Wood
Écoute les voix de la Terre
Paris, Gründ, 2000
Juliette la chouette
Juliette, la chouette, n’en fait qu’à sa
tête. Ses parents ont beau lui dire qu’elle
fait tout de travers, rien n’y fait.
Contrairement aux autres chouettes,
Juliette dort la nuit et s’amuse le jour.
Papa et maman Chouette lui ont pourtant expliqué qu’elle était un animal « nocturne » et
que, par conséquent, comme toutes les autres chouettes, elle devait se reposer le jour pour
pouvoir veiller et chasser durant la nuit. Mais Juliette ne veut rien entendre.
Son horloge tourne à l’envers et lorsque ses parents, fatigués par leur chasse, viennent se
reposer au creux du vieux saule, dès l’aube, Juliette quitte le nid. La petite chouette a beaucoup
d’amis dans le pré d’à côté.
Papa et maman Chouette s’arrachent les plumes depuis qu’ils savent que Juliette
sympathise avec une famille de mulots venus s’installer au bout du grand champ. Quel
déshonneur pour la famille !
Car tout le monde sait que les chouettes chassent les mulots, musaraignes et autres petits
animaux des champs. Mais, non, Juliette n’en fait qu’à sa tête. Elle préfère se contenter
d’insectes et de vers de terre comme repas et faire des petites bêtes des champs ses
compagnons de jeux.
Hier, on l’a vue volant au ras des prés, tirant derrière elle un long ruban auquel
s’accrochaient, en riant, les petits mulots de la famille Cacao. Quel drôle de cerf-volant ! Mais
lorsque les petits de monsieur et madame Lapin ont voulu faire leur baptême de l’air,
s’accrochant eux aussi au ruban, tout le monde s’est retrouvé pattes en l’air dans le champ.
─ Trois lapereaux à faire décoller, c’est un peu trop ! a dit Juliette en riant.
Ce matin, pendant que monsieur et madame Chouette somnolent dans leur nid, Juliette
prend le soleil avec son amie musaraigne tout en écoutant le bavardage d’Amélie, la pie. Et,
l’après-midi, on retrouve notre amie en grande conversation avec la famille Souris, qui
commente joyeusement le baptême de l’air mouvementé des lapereaux intrépides.
─ On se fait plein d’amis lorsqu’on sort à midi, dit-elle à ses parents endormis.
Ah ! décidément, Juliette n’en fait qu’à sa tête !
Catherine Salambier
Les amis de Juliette la chouette
Belgique, Editions Hemma, 2000
LE CŒUR TROP PETIT
Quand je serai grand
Dit le petit vent
J’abattrai la forêt
Et donnerai du bois
À tous ceux qui ont froid
Quand je serai grand
Dit le petit pain
Je nourrirai tous ceux
Qui ont le ventre creux
Là-dessus s’en vient
La petite pluie
Qui n’a l’air de rien
Abattre le vent
Détremper le pain
Et tout comme avant
Les pauvres ont froid
Les pauvres ont faim
Mais mon histoire
N’est pas à croire :
Si le pain manque et
S’il fait froid sur terre
Ce n’est pas la faute à la pluie
Mais à l’homme, ce dromadaire
Qu’a le cœur trop petit.
Jean Rousselot
LA FILLE DE L’ARBRE
Un arbre à fruits se dressait sur une colline. De petits animaux lui tenaient compagnie et,
tout en bas, une ville envoyait vers le ciel des
fumées bleutées. Pourtant, les soirs d’été, quand
Maman Loir berçait un petit sur sa queue, l’arbre
se sentait mélancolique. « Moi seul, je n’ai pas
d’enfant à cajoler », pensait-il.
Il y pensa si fort, qu’un matin, un de ses
fruits se détacha brusquement. Il tomba, roula, et
se déroula.
C’était une petite fille. Bien sûr, elle était
un peu verte. « Mais le soleil lui donnera des couleurs ! » affirma l’arbre qui rayonnait de fierté.
On l’appela Brindille.
L’arbre lui fit un minuscule berceau de feuilles et se sentit tout à fait heureux. Ce n’était
pas tous les jours facile. Brindille voulait devenir championne de cloche-bourgeon.
— Sois prudente, mon pépin chéri ! s’inquiétait l’arbre.
Brindille faisait le ver.
— Mange donc proprement !
Et aussi le poirier.
— Tu me donnes le tournis ! C’est épuisant d’être papa !
Mais, dans l’ensemble, ils s’entendaient bien.
À la première neige, les petits animaux préparèrent un nid douillet pour passer l’hiver.
Chacun fit un creux à sa taille dans le foin et l’arbre bâilla :
— Bonne nuit, Brindille, fais de beaux rêves !
Bientôt tout devint silencieux. Brindille se tourna sur le côté. Puis de l’autre côté.
— Papa, je ne m’endors pas !
Mais personne ne répondit, tout était blanc et assoupi. Brindille se laissa glisser dans la
neige et frissonna. Au loin, la ville allumait ses lumières et scintillait doucement. « Là-bas, ça
ne dort pas ! » conclut Brindille. Et elle descendit bravement la colline. C’était un drôle
d’endroit. Tout, autour de Brindille, était en mouvement. On la bousculait.
— Pousse-toi de là ! dit quelqu’un.
— Ne reste pas en plein milieu ! dit un autre.
Brindille en tremblait. Elle sentit soudain que quelqu’un la soulevait, la tête en bas.
— Lâchez-moi ! cria-t-elle.
— Pardon ! répondit le singe, je t’avais prise pour une pomme. On m’en donne parfois.
— N’aie pas peur! dit une vieille. Gilles est un petit singe très gentil.
Puis elle couvrit Brindille avec son châle.
— La nuit est là, dit-elle doucement, il faut rentrer.
Dans une chambre sous les toits, elle coucha Brindille entre les couvertures, la borda,
l’embrassa et ne dit plus rien parce que l’enfant s’était endormie.
Au matin, Gilles secoua Brindille :
— Hé, la pomme ! Tu ne vas pas passer l’hiver à dormir !
— Je ne crois pas... soupira Brindille.
— Habille-toi chaudement, conseilla la vieille dame, il fait froid dans le square.
— Regarde-moi bien ! cria Gilles.
Et il escalada à toute vitesse l’arbre le plus proche.
— Incroyable, non ?
— C’est à la portée de n’importe qui ! répliqua Brindille.
— Et ça, tu ne l’as jamais fait ! Gilles s’élança en bondissant d’un arbre à l’autre. — Et
hop, et hop!
Mais tout à coup, une branche gelée se rompit et Gilles tomba de plusieurs mètres.
Brindille se précipita. Le singe ne bougeait plus. On le ramena tristement à la maison. La vieille
dame l’entoura avec une écharpe, mais Gilles avait une patte cassée et restait évanoui.
— Il y a sûrement quelque chose à faire ! sanglota Brindille. Mon papa saura peut-être...
Sur la colline, l’arbre dormait profondément.
— Mon petit papa, chuchota Brindille, j’ai un ennui. Un de mes amis est tombé malade...
Alors il se passa quelque chose d’extraordinaire.
L’arbre fit une feuille, en plein hiver, une toute petite au bout d’une branche.
Et il grommela dans son sommeil :
— Une tisane ! Une tisane avec une de mes feuilles, ça fait toujours du bien quand on est
patraque !
Brindille cueillit la petite feuille et prit aussi
quelques noisettes pour la route. L’arbre ronflait. Dès
la première cuillerée de tisane, Gilles se sentit
beaucoup mieux.
— Heureusement qu’il y a les arbres, dit
Brindille.
De jour en jour, le singe retrouvait sa bonne
humeur, et Brindille guettait l’arrivée du printemps.
Enfin, le vent apporta un petit bourgeon tout vert et parfumé.
— Mon arbre s’est réveillé, annonça Brindille.
— On t’accompagne un bout de chemin, proposa Gilles.
L’arbre sifflotait, très occupé à fabriquer des feuilles et des bourgeons.
— Où étais-tu passée ce matin ? demanda-t-il, surpris.
— Je te raconterai, dit Brindille, tu as bien dormi ?
— Comme une souche.
— Bonjour, dit le singe.
— C’est drôle, j’ai l’impression de vous connaître déjà, s’étonna l’arbre.
Brindille pouffa derrière sa main.
— Je t’expliquerai tout... dit-elle, mais plus tard. Maintenant, si on jouait à cache-cache-
feuille?
Magali Bonniol
La fille de l’arbre
Paris, L’école des loisirs, 2002
Rebelle le Loup
REBELLE LE LOUP
Dans la forêt, Rebelle, le loup solitaire, hurle à l’heure du crépuscule.
Rebelle a quitté son territoire.
Trop petit.
Le gibier était si rare, qu’il ne suffisait plus à nourrir la meute.
Il cherchera d’autres loups : qui voudront l’accepter.
Ailleurs. Sûrement.
Il erre des jours entiers. La nuit, sous les étoiles. Et il hurle : seul.
Rebelle fait un grand détour. Vers le Nord. Par trois fois, il s’arrête pour se reposer.
Il brise la glace qui recouvre une mare.
Pour boire avidement. Le vent hurlant durci la neige.
Au lever du soleil, Rebelle a atteint le Grand Pays des lacs. Il a faim. Et la mort le guette.
Il n’a pas chassé depuis si longtemps. Avec sa meute. Au point du jour, quand le vent s’est
calmé, Rebelle s’arrête. Il a senti le fumet d’un animal. Un vieux cerf : il le chassera.
Seul.
Durant des heures, le loup affamé poursuit sa proie. A travers les bois. Soudain : il baise
la gorge du cerf épuisé. D’un coup de croc. Et le dévore en toute hâte. Après quatre jours et
quatre nuits de marche, Rebelle s’enfonce dans la Forêt Bleue. Au Nord-Ouest des Grands lacs.
Ses forces sont revenues. Il marche de plus en plus vite. Il ne peut plus être seul. Il doit
rencontrer une louve : qui l’accompagnera. C’est la fin du jour. Le soleil a glissé, lentement,
derrière la masse grise des nuages.
Sur le sol blanc, des traces de pas et quelques poils entremêlés, l’avertissent qu’il pénètre
sur le territoire d’une meute. Rebelle entonne son chant plaintif. Pour appeler d’autres loups.
Un hurlement lui fait écho.
A son tour, Rebelle répond. Son cri n’est plus mélancolique. Il sent la présence de ses
semblables. Non loin de là, sur un promontoire rocheux, immobiles, les ombres des loups
surveillent leur vaste domaine. Rebelle s’approche lentement. Il incline la tête. Comme s’il se
soumettait.
Il distingue devant lui, assis en demi-cercle, huit loups. Leurs regards jaunes fixés sur lui.
Le vent, au sommet de sa fureur, tourbillonne. Imperturbable, la meute attend. Puis d’un seul
coup, se lève et avance. Et l’encercle. Et le flaire. Gueule contre gorge, les loups claquent des
mâchoires. Babines retroussées, ils grognent terriblement.
Le chef de meute est une jeune louve.
Dans l’obscurité, elle observe rebelle. Si elle ne veut pas de lui, il devra fuir. Quand elle
apparaît, soudain, à la clarté de la lune, avec sa robe blanche et ses yeux couleur d’or fondu,
Rebelle sait qu’il l’aimera toujours. Jusqu’à la nuit des temps. Brusquement, la jeune
louve donne un coup de tête. C’est le signal de l’attaque. Les loups se jettent sur l’intrus, le
bousculent.
Sans le mordre.
Tout en le mettant à l’épreuve.
C’est la coutume : s’il veut être accepté. Déjà, les loups s’éloignent. Seule la louve est
restée. Rebelle fait un bond de côté, décrit trois cercles. Il s’incline de nouveau. Elle, exécute à
son tour la même danse rituelle. Tous deux se frôlent et s’immobilisent enfin.
Effrontée et fière, la louve mordille son museau, bondit par-dessus lui et s’esquive en
courant.
Ils tournent comme des fous entre les arbres, laissant la meute somnoler.
C’est Rebelle que la louve a choisi.
Le soleil embrase la cime des pins.
Au creux d’un vieil arbre qui les protège du vent, ils s’endorment.
Serrés l’un contre l’autre.
Jacqueline Delaunay
Rebelle le loup
Paris, Editions Syros, 1993
L’enfant qui parlait aux animaux
L’enfant qui parlait aux animaux
Willy le Jamaïcan est au comble de la fierté : il vient de pêcher une tortue géante.
Renversée sur le dos, elle agonise en agitant ses grotesques nageoires...
Des touristes contemplent la scène en riant.
Seule une petite voix indignée s'élève, celle d'un tout jeune garçon...
Il n’y a pas très longtemps, je décidai de passer quelques jours de vacances aux Antilles.
Des amis m’avaient raconté que c’était un endroit merveilleux où je paresserais toute la
journée, me dorant au soleil sur des plages argentées et nageant dans une mer chaude et verte.
Je choisis la Jamaïque et pris le vol direct Londres-Kingston. Le trajet de l’aéroport jusqu’à mon
hôtel, sur le littoral nord, dura deux heures. Des montagnes aux forêts sombres et luxuriantes
couvraient l’île. Le gros Jamaïquain qui conduisait le taxi me disait qu’à l’intérieur de ces forêts
vivaient des communautés d’êtres diaboliques qui pratiquaient encore le vaudou, la sorcellerie
et autres rituels magiques.
Mon hôtel était situé au sud d’une plage nacrée et le site était encore plus beau que je ne
l’avais imaginé. Mais en franchissant les grandes portes de l’entrée, je me sentis mal à l’aise. Il
n’y avait aucune raison, car apparemment tout allait bien, pourtant je n’arrivais pas à me
débarrasser de cette impression. L’hôtel avait quelque chose d’étrange et de sinistre. Malgré le
luxe et la beauté, il y avait une menace dans l’air, une odeur de danger qui flottait comme un
gaz empoisonné. Et je n’étais pas sûr que c’était seulement l’hôtel. L’île entière, les montagnes,
les forêts, les rochers noirs qui bordaient la côte, les arbres croulant sous des fleurs d’un rouge
éclatant, tout cela et bien d’autres choses faisaient que je me sentais mal à l’aise. Cette île
recelait quelque force maligne, je le pressentais.
Ma chambre d’hôtel avait une petite terrasse d’où je pouvais descendre jusqu’à la plage
de cocotiers. De temps à autre, une énorme noix de coco verte, grosse comme un ballon de
football, tombait du ciel et venait s’écraser sur le sable avec un bruit sourd. Le second soir de
mon arrivée, j’étais à ma terrasse avec un livre sur les genoux et un grand verre de punch à la
main. Je ne lisais pas, j’observais un petit lézard vert qui poursuivait un autre petit lézard vert,
sur sol, à six pieds de moi. Le chasseur suivait l’autre très lentement, avec d’infinies
précautions, et lorsqu’il fut près de l’atteindre, sa longue langue jaillit et toucha la queue du
deuxième. Celui-ci se retourna d’un bond et les deux lézards se firent face, sans bouger, collés
au sol, très tendus, en se regardant. Puis soudain, ils se mirent à exécuter un drôle de petite
danse sautillante. Ils sautillaient en l’air, en arrière, en avant, sur les côtés. Ils tournaient
comme deux boxeurs, bondissant, caracolant, tout en dansant. C’était un spectacle étrange et
je pensais qu’ils effectuaient une sorte de rituel amoureux. Je restais immobile, attendant la
suite.
Mais je ne vis jamais la suite parce qu’à ce moment là, je réalisai qu’en bas, sur la plage, il
y avait une extraordinaire agitation. D’un coup d’œil, j’aperçus une foule de gens rassemblée au
bord de l’eau, près d’un canoë de pêche que l’on tirait sur le sable. J’en déduisis que le pêcheur
avait dû faire une bonne prise et que la foule était venue regarder. J’ai toujours été fasciné par
la pêche. Je posai mon livre et me levai. D’autres personnes de l’hôtel descendaient de la
véranda et couraient sur la plage pour rejoindre l’attroupement, au bord de l’eau. Les hommes
portaient ces épouvantables bermudas qui descendent jusqu’aux genoux et des chemises roses,
orange et autres couleurs violentes... de quoi attraper la jaunisse. Les femmes avaient meilleur
goût et la plupart étaient vêtues de jolies robes en coton. Presque tous tenaient un verre à la
main.
Mais ce n’était pas la pêche l’objet des regards.
C’était une tortue, une tortue qui gisait sur le dos, dans le sable.
Mais quelle tortue !
Elle était gigantesque, un vrai mammouth. Je n’aurais jamais pensé qu’une tortue pût
être aussi énorme. Comment donner une idée de ses dimensions ? Je crois que si elle avait été
sur ses pattes, un homme de grande taille aurait pu s’asseoir sur son dos sans que ses pieds
touchent terre. Elle avait peut-être cinq pieds de long et quatre de large, avec une haute
carapace en forme de dôme, de toute beauté. Les pêcheurs qui l’avaient capturée l’avaient
renversée sur le dos pour l’empêcher de fuir. Ils avaient aussi enroulé une grosse corde autour
de sa carapace, et l’un d’eux, un Noir élancé, vêtu seulement d’un pagne, tenait fièrement cette
corde à deux mains, à une courte distance son long cou ridé. Ses quatre grosses nageoires,
munies de fortes griffes acérées, battaient l’air désespérément.
— Reculez, mesdames et messieurs, s’il vous plaît ! cria le pêcheur. Restez en arrière. Ses
griffes sont rudement dangereuses ! Elles peuvent vous arracher un bras !
La foule des clients de l’hôtel était à la fois effrayée et ravie par ce spectacle. Une
douzaine d’appareils photo surgirent et se mirent à mitrailler l’animal. De nombreuses femmes
poussaient des cris de plaisir et s’agrippaient aux bras de leurs hommes. Quant aux hommes,
ils manifestaient leur courage et leur virilité en faisant des réflexions stupides à haute voix :
— Hé ! Al ! Et si tu faisais des montures de lunettes en écaille avec sa carapace ? Ça serait
joli, hein ?
— Ce satané machin doit peser plus d’une tonne !
— Elle peut vraiment flotter ?
— Bien sûr. C’est aussi une excellente nageuse. Elle remorquerait un bateau facilement.
— Elle est carnassière ?
— Non, les tortues carnassières ne sont pas aussi grosses. Mais attention, elle vous
arrachera la main en moins de deux si vous vous approchez trop.
— C’est vrai ? demanda l’une des femmes au pêcheur. Elle pourrait arracher la main de
quelqu’un ?
— Oui, ça pourrait arriver très vite, répondit le pêcheur en souriant de ses dents
blanches et étincelantes. Quand elle est dans l’Océan, elle ne vous fait pas de mal. Mais si vous
la capturez, que vous la tirez sur la rive et que vous la renversez comme ça, alors, diable de
diable, gare ! Elle attrape tout ce qui se trouve à sa portée !
— Je crois que si j’étais à sa place, je ne serais pas non plus de très bonne humeur, dit la
femme.
Un imbécile avait trouvé une planche de bois sur le sable et il la tirait vers la tortue.
C’était une planche de belle taille, environ cinq pieds de long et peut-être un pouce d’épaisseur.
Il se mit à taper la tête de la tortue.
— Ne faites pas ça, dit le pêcheur. Ça la met en colère.
Quand le bout de la planche toucha le cou de la tortue, l’énorme tête se retourna
vivement, la gueule s’ouvrit et snap ! elle attrapa la planche et la broya comme un morceau de
fromage.
— Wow ! cria la foule. Vous avez vu ça ? Encore heureux que ce ne sait pas un bras !
— Laissez-la tranquille, dit le pêcheur. Ça ne sert à rien de l’exciter.
Un homme ventripotent, aux hanches larges et aux très courtes jambes, s’approcha du
pêcheur et lui dit :
— Ecoute, mon gars, je veux cette carapace. Je te l’achète.
Il se tourna vers sa corpulente épouse :
— Tu sais ce que je vais faire, Mildred ? Je vais ramener cette carapace à la maison et la
faire astiquer par quelqu’un du métier. Puis je la placerai au beau milieu de notre salle à
manger. C’est pas une idée, ça ?
— Fantastique, répliqua l’épouse rondelette. Vas-y, mon chou, achète-la.
— Ne t’inquiète pas, dit-il, c’est comme si c’était déjà fait.
Il demanda au pêcheur :
— Combien pour cette carapace ?
— Je l’ai déjà vendue, répondit le pêcheur. La carapace et tout.
— Pas si vite, mon gars, dit l’homme ventripotent. Je te paierai davantage. Allons, on t’a
offert combien ?
— Impossible, dit le pêcheur. Elle est déjà vendue.
— A qui ? demanda l’homme ventripotent.
— Au directeur.
— A quel directeur ?
— Le directeur de l’hôtel.
— Vous avez entendu ça ? hurla un autre homme. Il l’a vendue au directeur de notre
hôtel ! Et vous savez ce que ça signifie ? De la soupe à la tortue ! Parfaitement !
— C’est vrai ! Et du bifteck de tortue. Tu as déjà mangé du bifteck de tortue, Bill ?
— Jamais, Jack, mais j’en meurs d’envie.
— Un bifteck de tortue, c’est meilleur que du vrai bifteck, si on le prépare bien. C’est plus
tendre et ça a un de ces goûts !
— Ecoute, dit l’homme ventripotent au pêcheur, ce n’est pas la viande qui m’intéresse.
Le directeur peut la garder comme il peut garder tout ce qui est à l’intérieur, même dents et
ongles des pieds compris. Moi, ce que je veux, c’est la carapace.
— Et tel que je te connais, mon chou, lui dit sa femme en le regardant d’un air radieux,
tu l’auras.
Quant à moi, j’écoutais ces êtres humains parler de tuer, de manger et d’apprécier le goût
d’un animal qui paraissait, même sur le dos, rempli d’une extraordinaire majesté.
Une chose était certaine.
Cette tortue était plus âgée qu’aucun d’entre eux.
Elle avait navigué dans les eaux vertes des Antilles pendant probablement cent cinquante
ans. Elle existait déjà à l’époque où George Washington était président des Etats-Unis ou
lorsque Napoléon avait été battu à Waterloo. Sans doute était-elle alors très jeune, mais elle
existait certainement. Et maintenant, elle gisait là, renversée su cette plage, attendant d’être
sacrifiée pour de la soupe et du bifteck. Elle était évidemment alarmée par tout le bruit et tous
les cris qu’il y avait autour d’elle.
Elle tendait son vieux cou ridé et tortillait son énorme tête, comme si elle cherchait
quelqu’un qui lui expliquerait pourquoi on la maltraitait ainsi.
— Comment allez-vous l’amener jusqu’à l’hôtel ? demanda l’homme ventripotent.
— On va la traîner sur la plage avec la corde, répondit le pêcheur. Le personnel arrivera
bientôt pour la prendre. On a besoin de dix hommes qui tirent tous en même temps.
— Hé ! écoutez ! s’écria un jeune homme musclé. Pourquoi ne pas la tirer nous-mêmes ?
Le jeune homme musclé était poitrine nue et il portait des bermudas vert pomme et
cramoisi. Il avait un torse exceptionnellement velu, et de toute évidence, il aimait le montrer.
— Qui ose dire qu’on ne veut pas travailler pour gagner notre dîner ? cria-t-il en
bombant les muscles. Allez, les gars ! Qui vient faire un peu d’exercice ?
— Formidable ! hurlèrent les autres. Excellente idée !
Les hommes tendirent leurs verres à leurs femmes et s’élancèrent pour saisir la corde. Ils
se mirent à la queue leu leu, comme pour une lutte de traction, et l’homme au torse velu, placé
en tête, se nomma lui-même chef d’équipe.
— Allez-y, les gars ! brailla-t-il. Quand je dis Ho hisse, vous soulevez tous à la fois,
compris ?
Le pêcheur n’appréciait pas beaucoup cela.
— Il vaut mieux laisser ce travail à l’hôtel, dit-il.
— Balivernes ! hurla Torse velu. Ho hisse, les gars ! Ho hisse !
Tous soulevèrent. La tortue géante s’agita sur son dos et faillit basculer.
— Ne la renversez pas ! hurla le pêcheur. Vous allez la renverser, si vous faites ça ! Et si
elle se remet sur ses pattes, elle va s’enfuir !
— Du calme, mon petit gars, dit Torse velu d’un ton condescendant. Comment pourrait-
elle fuir ? Elle est attachée à une corde, non ?
— Cette vieille tortue vous entraînera tous avec elle, si elle peut ! cria le pêcheur. Elle
vous entraînera tous dans l’Océan !
—Ho hisse! hurla Torse velu, sans plus faire attention au pêcheur. Tirez, les gars ! Tirez!
Alors la tortue géante se mit à glisser très doucement le long de la plage, en direction de
l’hôtel, vers les cuisines, là où l’attendaient les longs couteaux. La troupe des femmes, des plus
âgés, des plus gros et des moins musclés suivait derrière, en les encourageant bruyamment.
— Ho hisse ! vociférait le chef d’équipe au torse velu. Du cran, les gars ! Vous pouvez
tirer plus que ça !
Soudain, j’entendis des cris. Tout le monde les entendit. Ils étaient si aigus, si stridents, si
pressants, qu’on les aurait entendus de n’importe où.
— Noon ! Noon ! Non ! Non ! Non !...
La foule se figea. Les hommes qui tiraient sur la corde s’arrêtèrent et les spectateurs
cessèrent leurs encouragements. Toutes les personnes présentes se retournèrent vers l’endroit
d’où provenaient ces cris. Je vis venir trois personnes de l’hôtel, un homme, une femme et un
petit garçon. Le petit garçon courait et entraînait l’homme sur la plage. L’homme le retenait
par le poignet mais l’enfant courait toujours. En même temps, il sautait, gigotait et se débattait
pour se libérer de l’étreinte de son père. C’était ce petit garçon qui criait.
— Non ! hurlait-il. Ne faites pas ça ! Libérez-la ! S’il vous plaît, libérez- la !
La femme – sa mère – essayait de lui attraper l’autre bras pour le retenir, elle aussi, mais
le petit garçon sautait tellement qu’elle n’y arrivait pas.
— Libérez-la ! hurlait l’enfant. C’est horrible, ce que vous faites ! S’il vous plaît, libérez-
la !
— Arrête, David ! dit sa mère qui essayait toujours de lui attraper l’autre bras. Ne joue
pas le bébé ! Tu te rends ridicule.
— Papa ! cria l’enfant. Papa ! Dis-leur de la libérer !
— Je ne peux pas faire ça, David, dit le père. Ça ne me regarde pas.
Les tireurs de corde s’étaient immobilisés, sans lâcher prise. Stupéfaits, silencieux, ils
fixaient l’enfant. Ils se sentaient tous un peu désorientés maintenant. Ils avaient l’air
légèrement confus des gens qu’on vient de surprendre en train d’accomplir un acte pas très
reluisant.
— Allons, viens, David, dit le père en tâchant d’entraîner son fils. Rentrons à l’hôtel et
laissons ces personnes tranquilles.
— Je ne veux pas rentrer ! fit l’enfant. Je ne veux pas rentrer ! Je veux qu’ils la libèrent !
— Voyons, David, dit la mère.
— File, moutard, dit l’homme au torse velu.
— Vous êtes horrible et cruel ! Vous êtes tous horribles et cruels !
Il jeta ces mots d’une voix aiguë et stridente aux quarante ou cinquante adultes qui
étaient sur la plage, et cette fois-ci, personne, pas même l’homme au torse velu, ne lui
répondit.
— Pourquoi ne la remettez-vous pas à la mer ? hurlait l’enfant. Elle ne vous a rien fait !
Libérez-la !
Quoique gêné, le père n’avait pas honte de son fils.
— Il raffole des animaux, dit-il en s’adressant à la foule. A la maison, il a tous les animaux
possibles et imaginables. Il leur parle.
— Il les adore, dit la mère.
Plusieurs personnes commencèrent à piétiner sur le sable. Ici et là, dans la foule, on
pouvait sentir un léger changement d’humeur, un sentiment de malaise et même un peu de
honte. L’enfant, qui n’avait pas plus de huit ou neuf ans, avait maintenant arrêté de lutter
contre son père qui le tenait toujours par le poignet, mais plus doucement.
— Allez ! criait l’enfant. Libérez-la ! Détachez la corde et libérez-la !
Il faisait face à la foule du haut de sa petite taille, les yeux brûlants comme des étoiles, et
les cheveux ébouriffés par le vent. Il était magnifique.
— Nous ne pouvons rien faire, David, dit doucement le père. Rentrons.
— Non ! cria l’enfant.
Il se secoua et libéra son poignet de l’étreinte de son père. Il fila comme une flèche sur le
sable, vers la tortue géante.
— David ! hurla le père en se jetant à sa poursuite. Arrête ! Reviens!
Le petit garçon s’échappa et fendit la foule comme un joueur de football qui court avec
son ballon, et la seule personne qui s’élança pour essayer de l’arrêter fut le pêcheur.
— Ne t’approche pas de cette tortue, mon garçon ! cria-t-il en se précipitant vers l’enfant.
Mais celui-ci l’évita et continua à courir.
— Elle va te broyer en petits morceaux ! hurla le pêcheur. Arrête, mon garçon ! Arrête !
Trop tard. L’enfant était arrivé à la hauteur de la tête de l’animal. La tortue l’aperçut et
l’énorme tête se tourna vivement pour lui faire face. Alors s’éleva la voix de la mère, son
gémissement douloureux et poignant.
— David ! Oh, David!
Le petit garçon tomba à genoux sur le sable, jeta ses bras autour du vieux cou ridé et
serra l’animal contre sa poitrine. Il appuya sa joue contre la tête de la tortue et du bout des
lèvres, il lui murmura des mots tendres que personne n’entendit. La tortue ne bougeait
absolument pas et ses nageoires cessèrent même de battre l’air. La foule poussa un grand
soupir, un long et doux soupir de soulagement. Plusieurs personnes reculèrent d’un pas ou
deux, comme pour essayer de mettre à distance un événement qui dépassait leur entendement.
Mais le père et la mère s’avancèrent à environ dix pieds de leur fils.
— Papa ! cria le petit garçon en caressant toujours la vieille tête brune, je t’en prie, fais
quelque chose, papa ! S’il te plaît, dis-leur de la libérer !
— Que se passe-t-il ? demanda un homme vêtu d’un costume blanc qui venait de
descendre de l’hôtel.
Il s’agissait, tout le monde le savait, de Mr. Edwards, le directeur. C’était un grand
Anglais au nez crochu, avec une longue figure rose.
— Extraordinaire ! dit-il en regardant l’enfant et la tortue. Quelle chance qu’elle ne lui ait
pas arraché la tête !
Il dit à l’enfant :
— Eloigne-toi, maintenant, petit. Cette bête est dangereuse.
— Je veux qu’ils la libèrent ! cria le petit garçon en berçant toujours la tortue contre lui.
Dites-leur de la libérer !
— Est-ce que vous vous rendez compte qu’elle peut le tuer à tout moment ? dit le
directeur au père.
— Laissez-le tranquille, dit le père.
— Quelle idiotie ! dit le directeur. Allez vite l’attraper ! Et soyez prudent !
— Non, dit le père.
— Comment, non ? fit le directeur. Mais ces bêtes peuvent tuer quelqu’un ! Vous ne
comprenez pas ?
— Si, répondit le père.
— Alors, pour l’amour du ciel, emmenez-le ! s’écria le directeur. Si vous ne l’emmenez
pas, ça va être affreux.
— A qui est-elle ? demanda le père. A qui est cette tortue ?
— A nous, dit le directeur. L’hôtel l’a achetée.
— Rendez-moi un service, dit le père. Vendez-la moi.
Le directeur regarda le père sans répondre.
— Vous ne connaissez pas mon fils, dit le père d’une voix tranquille. Si vous emmenez
cette tortue à l’hôtel et si vous la tuez, il piquera une crise, il deviendra fou.
— Attrapez-le, dit le directeur, et en vitesse.
— Il adore les animaux, continua le père. Vraiment, il les adore. Il communique avec eux.
La foule se taisait, comme hypnotisée.
— Si on la libère, dit le directeur, les pêcheurs l’attraperont une autre fois.
— Peut-être, dit le père. Mais ces tortues savent nager.
— Bien sûr qu’elles savent nager, dit le directeur. Mais on l’attrapera quand même. C’est
une prise de valeur, mettez-vous ça dans la tête. La carapace à elle seule vaut une fortune.
— Peu m’importe le prix, dit le père. Ne vous en inquiétez pas. Je veux l’acheter.
Le petit garçon était toujours agenouillé sur le sable, à côté de la tortue, lui caressant la
tête.
— Mr. Edwards, dit le père, vous me rendrez un très grand service si vous me la vendez.
Et vous ne le regretterez pas, je vous le promets. Vous verrez.
Le directeur leva légèrement les sourcils.
Il avait compris : on lui offrait une grosse somme d’argent.
Voilà qui changeait le problème. Il continua quelques secondes à s’essuyer les mains avec
son mouchoir. Puis il haussa les épaules et dit :
— Bien, si ça peut faire plaisir à votre fils.
— Merci, dit le père.
— Oh, merci ! s’écria la mère. Merci beaucoup !
— Willy ! fit le directeur en faisant signe au pêcheur.
Celui-ci s’approcha. Il semblait complètement éberlué.
— Je n’ai jamais vu ça de ma vie, dit-il. Cette vieille tortue est la plus féroce que j’aie
jamais attrapée. Elle s’est battue comme une diablesse quand nous l’avons ramenée. Il a fallu
qu’on se mette à six pour la décharger. Ce petit est cinglé !
— Oui, je sais, dit le directeur. Mais maintenant, je veux que tu la libères.
— La libérer ? s’écria le pêcheur, médusé. Pas celle-ci, Mr. Edwards ! Elle bat tous les
records ! C’est la plus grosse tortue que j’aie attrapée sur cette île ! De loin la plus grosse ! Et
l’argent ?
— Tu auras ton argent.
— Je veux que les autres aussi soient payés, dit le pêcheur.
Il désignait cinq Noirs à moitié nus, à côté d’une seconde barque, à quelques centaines
de yards, au bord de l’eau.
— On l’a eue à nous six, il faut qu’on soit tous payés, continua le pêcheur. Je ne la libère
pas tant qu’on n’a pas l’argent.
— Je te garantis que vous l’aurez, dit le directeur. Ça ne te suffit pas ?
— Je le confirme, ajouta le père de l’enfant en s’avançant. Et en plus, il y aura une prime
pour les six pêcheurs si vous la libérez tout de suite. Et quand je dis tout de suite, ça veut dire
tout de suite.
Le pêcheur regarda le père, puis le directeur.
— O.K., dit-il, puisque c’est ce que vous voulez.
— Une autre condition, dit le père. Avant de toucher votre argent, vous devez promettre
de ne pas essayer de l’attraper aussitôt. En tout cas, pas cet après-midi. C’est bien compris ?
— D’accord, dit le pêcheur. Marché conclu.
Il fit demi-tour et descendit la plage, en appelant les cinq autres pêcheurs. Il leur hurla
quelque chose que nous ne pûmes comprendre, et deux minutes plus tard, ils arrivaient tous
les six. Cinq transportaient de longues et larges perches en bois. L’enfant était toujours
agenouillé près de la tête de la tortue.
— David, lui dit doucement son père. Tout va bien, à présent, David. Ils vont la libérer.
Le petit garçon regarda autour de lui, sans enlever les bras du cou de la tortue.
Il ne se leva pas.
— Quand ? demanda-t-il.
— Maintenant, répondit le père. Tout de suite. Il vaut mieux que tu t’éloignes.
—Tu me le promets ? dit l’enfant.
— Oui, David. Je te le promets.
L’enfant enleva ses bras. Il se remit debout et recula de quelques pas.
— Reculez ! hurla le pêcheur. Restez bien en arrière, s’il vous plaît !
La foule se dégagea un peu sur la plage. Les hommes lâchèrent la corde et reculèrent.
Willy se mit à quatre pattes et se glissa prudemment à côté de la tortue. Puis il
commença à défaire le nœud de la corde, tout en prenant garde aux grosses nageoires.
Lorsqu’il eut détaché le nœud, Willy s’écarta, toujours à quatre pattes. Alors, les cinq autres
pêcheurs s’avancèrent avec leurs perches. Ces perches avaient environ sept pieds de long et
elles étaient extrêmement larges. Ils les calèrent sous la carapace de la tortue et se mirent à
balancer l’énorme bête d’un côté, de l’autre. La carapace avait un dôme élevé, d’une forme qui
facilitait le mouvement.
— Une, deux ! scandaient les pêcheurs tout en la balançant. Une, deux ! Une, deux ! Une,
deux !
Bien entendu, la vieille tortue était complètement affolée. Ses grosses nageoires
fouettaient l’air, et sa tête n’arrêtait pas de rentrer et de surgir de sa carapace.
— Elle va basculer ! scandaient les pêcheurs. Une, deux et hop ! Elle va basculer ! Une
autre fois et ça y est !
La tortue bascula sur le côté et retomba pesamment sur ses pattes, dans le sable. Elle ne
s’en alla pas tout de suite. L’énorme tête brune surgit de la carapace pour regarder bien autour
d’elle.
— Allons, tortue, vas-y ! cria le petit garçon. Retourne à la mer !
La tortue leva ses yeux noirs et enfoncés sur le petit garçon. Ses yeux étaient brillants,
vifs, pleins de la sagesse que donne le grand âge. L’enfant lui rendit son regard et, lorsqu’il lui
parla, ce fut d’une voix douce et amicale :
— Au revoir, ma vieille, dit-il. Et cette fois, va très loin.
Les yeux noirs restèrent fixés sur l’enfant pendant quelques secondes. Personne ne
bougeait. Puis, avec une grande dignité, l’énorme bête se retourna et se dirigea vers le bord de
l’eau en se dandinant, sans se presser. Elle traversa posément la plage de sable et sa grosse
carapace se balançait doucement.
La foule regardait en silence.
La tortue entra dans l’eau.
Elle continua d’avancer.
Bientôt, elle nageait. Maintenant, elle se trouvait dans son élément.
Elle nageait avec grâce, et très vite, la tête bien haute.
Dans la mer calme, elle faisait de petites vagues qui s’étalaient en éventail derrière elle,
comme le sillage d’un bateau.
En quelques minutes, elle avait effectué la moitié du chemin qui la séparait de l’horizon,
puis nous la perdîmes de vue. Subjugués, les clients commencèrent à se disperser vers l’hôtel.
A présent, ils ne songeaient plus à rire, à plaisanter, ni à railler. Il s’était passé quelque chose.
Un événement étrange s’était produit sur la plage.
Roald Dahl
L’enfant qui parlait aux animaux
Paris, Gallimard Jeunesse, 2007
(Adaptation)
L’ARBRE QUI CHANTE
Vincendon, un ami de grand-père, soutient que le vieil arbre n'est pas mort. « Les arbres ne meurent jamais
! dit-il. Et je vous le prouverai en le faisant chanter votre vieil érable. »
Vincendon est-il magicien ?
C'était un matin de janvier. Un de ces beaux matins blancs et secs pareils à ces vieux
montagnards qui ont du givre à leurs moustaches et des yeux pétillants de soleil. Il avait neigé
toute la nuit à gros flocons serrés. Puis, le jour venu, un grand souffle de vent du nord avait
débarbouillé le ciel. Derrière la maison, la forêt qui commence au pied de la montagne s'était
endormie dans un grand silence glacé. Entre les arbres, les ombres étaient bleues. Les sapins
ployaient encore sous leur charge de neige, car le vent de l'aube n'avait soufflé que pour
chasser les nuages.
Isabelle et Gérard habitaient là, tout près du bois, dans la maison de leurs grands-
parents. C'était une toute petite maison aux murs gris et aux volets verts. Elle se trouvait à
l'écart du village que l'on devinait à peine, ce matin-là, très loin, au bord de la rivière gelée. On
ne voyait même plus le chemin qui court entre les champs et traverse la prairie. De la fenêtre,
les deux enfants essayaient de le suivre du regard. Ils le trouvèrent très facilement jusqu'au
premier tournant, près du gros érable mort depuis deux ans et que le grand-père ne s'était pas
encore décidé à couper, mais, plus loin, tout se confondait.
Tandis qu'ils regardaient ainsi, le nez collé à la vitre, Isabelle et Gérard virent passer un
oiseau, puis un autre, puis tout un vol qui se percha sur la treille d'où tombèrent des paquets
de neige.
― Ils ont froid, dit Isabelle. Il faut leur donner des graines ou du pain.
Elle prépara des graines, et Gérard ouvrit la fenêtre.
― Ferme vite, cria Grand-père, tu vas faire entrer tout l'hiver dans la cuisine !
Les enfants se mirent à rire. Comme si l'hiver pouvait entrer dans une maison ! Isabelle
jeta ses graines sur le sentier que Grand-père avait balayé pour aller jusqu'au bûcher chercher
du bois. Grand-mère se mit à tousser et souleva les cercles de fonte de la cuisinière pour
enfourner une énorme bûche dans le foyer. Dès que la fenêtre fut refermée, deux oiseaux
quittèrent la treille pour venir picorer. Les autres semblaient inquiets, mais, comme rien ne
bougeait, ils s'envolèrent à leur tour tandis que d'autres tombaient du toit, tout droit, presque
sans battre des ailes.
― Ils n'auront jamais assez de graines, dit Isabelle. Il en vient de plus en plus.
― Mais si, mais si ! cria Grand-mère. Si tu leur donnes tout, ce sont mes poules qui
n'auront plus rien !
― Et si tu continues, tu finiras par attirer tous les oiseaux de la forêt, renchérit Grand-
père.
Isabelle se résigna et revint à la fenêtre. Elle resta un long moment à côté de son frère,
essuyant la vitre quand la buée l'empêchait de voir. Soudain, elle empoigna le bras de Gérard
en disant:
― Regarde, sur le chemin !
Gérard leva les yeux. Là-bas, plus loin que le gros érable mort, un animal curieux
avançait dans la neige. Il ressemblait beaucoup au petit lapin mécanique que le Père Noël avait
apporté à Gérard quelques années plus tôt. Comme le jouet, il sautillait, vacillait de droite à
gauche et s'arrêtait à chaque instant. Toujours comme le lapin, il était vêtu de poils gris et
portait de longues oreilles qui se rejoignaient au sommet de son crâne.
Cette apparition était tellement surprenante que les enfants oublièrent les oiseaux. Ils
restaient bouche bée, observant sans mot dire cet animal étrange dont les yeux, par moments,
lançaient des éclats de lumière. Quand le lapin, qui marchait uniquement sur ses pattes de
derrière, eut atteint la haie bordant le jardin, les enfants ne virent plus que sa tête.
― On dirait qu'il vient ici, murmura Gérard.
― C'est vrai, il fait le tour du jardin.
Le lapin disparut et il y eut un long silence un peu angoissant. Les enfants retenaient leur
souffle, l'oreille tendue. Bientôt, des pas sonnèrent sur les marches de pierre, et les oiseaux
s'envolèrent si brutalement que les enfants sursautèrent.
― Vous n'avez rien entendu ? demanda Grand-père.
Les deux petits hochèrent la tête.
― Qu'est-ce que ça peut bien être ? dit Grand-mère.
À cette heure-ci, le facteur était encore loin. Les grands-parents n'avaient rien vu, et les
enfants n'osaient répondre. Ils ne pouvaient tout de même pas dire: « C'est un lapin mécanique
grand comme un homme qui arrive tout seul et bat de la semelle sur le palier ! » Il y eut encore
un frottement contre la pierre, puis on entendit frapper à la porte. Les grands-parents se
regardèrent, puis regardèrent la porte. Enfin, comme on frappait plus fort, Grand-père cria :
― Entrez !
La porte s'ouvrit lentement, et ce fut tout d'abord une large bouffée de bise qui pénétra
dans la cuisine. Cette fois, c'était le lapin qui apportait l'hiver dans son poil gris. Car c'était bien
lui qui se tenait là, debout sur le seuil, tout surpris par la chaleur et l'odeur du feu de bois où
cuisait la pâtée des vrais lapins. Grand-mère se précipite pour fermer la porte. Et voilà que le
lapin se met à parler :
― Bonjour, bonjour, dit-il. Je viens très tôt, il faut m'excuser, mais…
Les poils gris s'écartent à la hauteur du visage, de grosses lunettes paraissent, puis un nez
tout rouge, puis des moustaches raides comme un balai de crin, puis un visage piqueté de
barbe blanche pareille à celle de Grand-père.
― Mais c'est Vincendon ! s'exclame Grand-père. C'est Vincendon !
Et c'était vrai ! C'était bien Vincendon. Et ce fut seulement quand il eut ôté son bonnet à
oreilles relevées et quitté sa pelisse dont le col montait à hauteur de ses yeux que les enfants
eurent la certitude que le lapin mécanique était un homme. Ils ne l'avaient jamais vu, mais
Grand-père leur avait souvent parlé de ce vieil ami. Le père Vincendon essuyait ses lunettes, il
essuyait les larmes qui coulaient de ses yeux en répétant :
― Je vous vois à peine. La chaleur après le froid me fait toujours pleurer. Et mes lunettes
sont couvertes de buée.
Il n'y voyait pas, mais il pouvait parler et écouter. Bientôt, assis au coin du feu à côté de
Grand-père, il se mit à raconter des histoires de sa jeunesse. Grand-père en racontait aussi. Ils
parlaient en même temps, personne ne les écoutait, mais ils semblaient heureux tous les deux.
Les enfants sont déjà retournés à la fenêtre. Il n'y a plus de graines, mais quelques oiseaux
s'obstinent à chercher. Une ombre passe sur la neige, un gros oiseau noir descend pour aller se
poser sur l'arbre mort. Gérard se retourne.
― Grand-père, il y a un aigle sur l'arbre mort ! Viens vite ! Viens vite voir, Grand-père !
Grand-père ne bouge pas, mais Vincendon se lève et rejoint les enfants. Ses lunettes
rondes enfin propres sont sur son nez. Il dit :
― Ce n'est pas un aigle, c'est un corbeau. Et l'arbre, c'est un érable, mais il n'est pas
mort.
De son fauteuil, Grand-père crie :
― Il est mort depuis deux ans. Et je l'abattrai dès que je pourrai.
― Je te dis qu'il n'est pas mort, affirme Vincendon. Les arbres ne meurent jamais…
― Ne me raconte pas des choses pareilles, dit Grand-père, l'air surpris. Je t'assure que ça
fait deux printemps qu'il n'a pas bourgeonné. Je te dis qu'il est mort et bon pour le feu.
Vincendon les regarde tous, et pourtant, on dirait qu'il ne les voit pas, qu'il voit autre
chose, très loin, bien plus loin que le bout de la plaine.
― Je vous répète que les arbres ne meurent jamais, dit-il… Et je vous le prouverai… Je
vous le prouverai en faisant chanter votre vieil érable.
Grand-père parait incrédule. Mais il se tait. Vincendon est son ami, sans doute ne veut-il
pas le contrarier. Les enfants se regardent. Ont-ils bien entendu ? Déjà Vincendon a regagné
son fauteuil et repris le cours de ses histoires. Et il va rester là jusqu'à la tombée de la nuit,
partageant avec eux le repas du midi. Vincendon habitait tout au bout du pays, une maison
dont les fenêtres regardaient couler la rivière. Dès qu'il entendit les roues ferrées crisser sur le
gravier de la cour, Vincendon sortit sur le pas de sa porte. Il leva les bras dans un geste
comique et s'écria :
― Diantre ! Voilà des clients sérieux ! Depuis le temps que je les attendais !
Il portait une chemise claire et un tablier de toile bleue qui tombait jusque sur ses pieds.
Ses manches relevées laissaient paraître ses avant-bras maigres ; ainsi, ses mains semblaient
encore plus grosses.
Il aida Grand-père à transporter les planches jusqu'au fond d'une longue pièce un peu
sombre où les enfants n'osèrent pas les suivre. Une odeur étrange venait jusqu'à eux, et ils
demeuraient sur place, se tenant par la main.
Pourtant, Vincendon les fit entrer dans une autre pièce plus claire.
Au plafond, le soleil reflété par la rivière jouait en vagues folles.
― Vous me permettrez bien de terminer ce que j'ai commencé, dit Vincendon.
Grand-père approuva, et le vieux bonhomme se remit au travail. Ses énormes mains qui
semblaient si maladroites pouvaient manipuler les objets les plus menus et les plus fragiles.
Vincendon expliqua qu'il polissait le rouage d'une serrure de coffret à secrets. Il faisait tout en
bois, même les serrures et les charnières. Pour lui, le métal n'était qu'un serviteur du bois.
― Le bois, disait-il, c'est un matériau noble. Vivant ? toujours vivant. Le métal est bon à
fabriquer les outils qui nous permettront de travailler le bois. Mais le bois… le bois…
Quand il prononçait ce mot, ses yeux n'étaient plus les mêmes.
Vincendon n'était pas un homme comme les autres : il était amoureux du bois.
Il en parlait vraiment comme d'un être vivant, comme d'une personne de sa famille, avec
qui il vivait depuis des années et des années. Avec le bois, il pouvait tout réaliser. De petits
coffrets incrustés d'ivoire et de marqueteries compliquées. De petites tables dont les pieds
étaient si minces que les enfants retenaient leur souffle de peur de les faire tomber.
Les murs de son atelier étaient garnis d'outils posés sur les rayons ou suspendus à des
râteliers. Il y avait des rabots de toutes dimensions et de toutes formes, des scies, des gouges,
des ciseaux, des varlopes, des boîtes à coupes, des compas et bien d'autres instruments dont
les enfants entendaient le nom pour la première fois. Et puis, il y avait des pots de colle, des
bouteilles de vernis, des pains de cire et du bois partout. Du bois de toutes les essences, de
toutes les formes, de toutes les couleurs.
Comme Isabelle, qui est très curieuse, se dirigeait vers une petite porte et posait déjà sa
main sur la poignée, Vincendon se précipita :
― Non, non, dit-il, n'entre pas là…
C'est dans cette pièce qu'est mon secret.
Isabelle pensa au cabinet de Barbe-Bleue, mais elle se mit à rire. Il y avait longtemps
qu'elle ne croyait plus à tout cela.
― C'est mon secret, reprit Vincendon. Tu le connaîtras quand tu auras entendu chanter
ton arbre.
L'été passa trop vite, avec les vacances et les courses merveilleuses dans la campagne et
la forêt. Les deux arbres plantés par Grand-père poussaient bien. Les oiseaux s'arrêtaient déjà.
Vers la rentrée des classes, leurs feuilles commencèrent à jaunir et les grands vents d'automne
les emportèrent au loin. Les deux petits érables semblaient morts, mais Gérard et Isabelle
savaient qu'ils venaient seulement de s'endormir pour l'hiver. À cause des devoirs toujours
difficiles et des leçons à apprendre, les deux enfants avaient oublié les gros érables et la
promesse du père Vincendon.
Un jeudi matin, quelques jours avant la Noël, les enfants comprirent dès le réveil que la
neige était revenue. Il y avait un grand silence tout autour de la maison, et la lumière filtrait
par les fentes des volets était plus blanche que celle des autres matins. Ils se levèrent très vite
malgré le froid.
― Les oiseaux, dit Isabelle. Il faut penser aux oiseaux.
Elle allait ouvrir la fenêtre pour jeter des graines lorsqu'elle aperçut, hésitant sur le
sentier tout blanc, le lapin mécanique.
― Vincendon, c'est monsieur Vincendon !
C'était bien lui, vêtu de sa pelisse grise et de son bonnet à oreilles, mais il portait sous
son bras un long paquet enveloppé de papier brun. Le vieil homme approchait lentement,
évitant les congères et cherchant avec peine le tracé du chemin. Il passa les deux érables que
l'on devinait à peine dans la grisaille, son bonnet dansa un moment au-dessus de la haie puis
disparut.
― C'est lui, répétaient les enfants ! C'est bien lui !
Ils ne savaient pas ce qu'apportait Vincendon, mais leur cœur s'était mis à battre très
fort. Dès que les semelles du vieil homme heurtèrent le seuil de pierre, Gérard courut ouvrir
la porte.
L'air qui entra en même temps que Vincendon était tout piqueté de minuscules flocons
blancs. Le feu grogna plus fort, puis ce fut le silence. Ils étaient là tous les quatre, à regarder le
père Vincendon et son paquet solidement ficelé.
Vincendon posa son paquet sur la table, ôta ses lunettes, les essuya longuement, se
moucha, remit ses lunettes et s'approcha du feu en frottant l'une contre l'autre ses grosses
mains qui faisaient un bruit de râpe.
― Il fait meilleur ici que dehors, dit-il.
Les enfants s'impatientaient. Chacun d'un côté de la table, ils regardaient le paquet sans
oser y toucher. Le vieil homme semblait prendre plaisir à prolonger leur attente. Il les observait
du coin de l'œil et adressa aux grands-parents des sourires complices.
Enfin, il se retourna et dit :
― Alors, qu'est-ce que vous attendez pour l'ouvrir ? Ce n'est tout de même pas à moi de
défaire le paquet.
Quatre petites mains volèrent en même temps. Les nœuds étaient nombreux et bien
serrés.
― Prête-nous tes ciseaux, Grand-mère…
― Non, dit Vincendon. Il faut apprendre la patience et l'économie. Défaites les nœuds et
n'abîmez rien, je veux récupérer ma ficelle et mon papier.
Il fallut patienter encore, se faire mal aux ongles, se chamailler un peu. Vincendon riait.
Les grands-parents, aussi impatients que les enfants, attendaient, suivant des yeux chacun
de leurs gestes.
Enfin, le papier fut enlevé, et une longue boîte de bois roux et luisant apparut. Elle était
plus large d'un bout que de l'autre. Vincendon s'en approcha lentement et l'ouvrit.
À l'intérieur, dans un lit de velours vert, un violon dormait.
― Voilà, dit simplement le vieil homme. Ce n'était pas plus
compliqué que ça. Les cordes, le velours et les crins de l'archet, tout se
trouvait au cœur de votre arbre.
― Mon Dieu, répétait Grand-mère, qui avait joint ses mains en
signe d'admiration. Mon Dieu, que c'est beau !
― Ça alors !... ça alors ! bégayait Grand-père. Je te savais très
adroit, mais tout de même !
Le vieil artisan souriait. Il passa plusieurs fois sa main sur sa
moustache avant de dire :
― Vous comprenez pourquoi je ne voulais pas vous laisser entrer
dans mon séchoir ? Vous auriez vu des violons, des guitares, des
mandolines et bien d'autres instruments. Et vous auriez tout deviné. Eh
oui ! je suis luthier. Je fais des violons… Et l'érable, voyez-vous, c'est le
bois qui chante le mieux.
Sa grosse main s'avança lentement pour caresser l'instrument, puis elle se retira toute
tremblante.
― Alors, dit-il à Gérard. Tu ne veux pas essayer de jouer ? Tu ne veux pas faire chanter
ton arbre ? Allons, tu peux le prendre, il ne te mordra pas, sois tranquille.
Le garçon sortit le violon de son lit, et le prit comme il avait vu les musiciens le faire. Il
posa l'archet sur les cordes et en tira un grincement épouvantable. Grand-mère se boucha les
oreilles tandis que le chat, réveillé en sursaut, disparaissait sous le buffet. Tout le monde se mit
à rire.
― Eh bien ! dit Grand-père, si c'est ce que tu appelles chanter !
― Il faut qu'il apprenne, dit Vincendon en prenant l'instrument, qu'il plaça sous son
menton.
Et le vieux luthier aux mains énormes se mit à jouer. Il jouait en marchant lentement
dans la pièce, en direction de la fenêtre. Immobiles, les enfants regardaient et écoutaient.
C'était une musique très douce, qui semblait raconter une histoire pareille à ces vieilles
légendes venues du fond des âges, comme le vent et les oiseaux qui arrivent en même temps
du fond de l'horizon.
Vincendon jouait, et c'était vraiment l'âme du vieil arbre qui chantait dans son violon.
Bernard Clavel
L’arbre qui chante
Paris, Pocket Jeunesse, 2002
Le Maître du Jardin
Le Maître du Jardin
Il était un roi d’Arménie. Dans son jardin de fleurs et d’arbres rares poussait un rosier
chétif et pourtant précieux entre tous. Le nom de ce rosier était Anahakan. Jamais, de mémoire
de roi, il n’avait pu fleurir. Mais s’il était choyé plus qu’une femme aimée, c’était qu’on espérait
une rose de lui, l’Unique dont parlaient les vieux livres. Il était dit ceci : « Sur le rosier
Anahakan un jour viendra la rose généreuse, celle qui donnera au maître du jardin l’éternelle
jeunesse. »
Tous les matins le roi venait donc se courber dévotement devant lui. Il chaussait ses
lorgnons, examinait ses branches, cherchait un espoir de bourgeon parmi ses feuilles, n’en
trouvait pas le moindre, se redressait enfin, la mine terrible, prenait au col son jardinier et lui
disait :
– Sais-tu ce qui t’attend, mauvais bougre, si ce rosier s’obstine à demeurer stérile ? La
prison ! L’oubliette profonde !
C’est ainsi que le roi tous les printemps changeait de jardinier. On menait au cachot celui
qui n’avait pu faire fleurir la rose. Un autre venait, qui ne savait mieux faire, et finissait sa vie
comme son malheureux confrère, entre quatre murs noirs. Douze printemps passèrent, et
douze jardiniers. Le treizième était un fier jeune homme. Il s’appelait Samuel. Il dit au roi :
– Seigneur, je veux tenter ma chance.
Le roi lui répondit :
– Ceux qui t’ont précédé étaient de grands experts, des savants d’âge mûr. Ils ont tous
échoué. Et toi, blanc-bec, tu oses !
– Je sens que quelque chose, en moi, me fera réussir, dit Samuel.
– Quoi donc, jeune fou ?
– La peur, seigneur, la peur de mourir en prison !
Samuel par les allées du jardin magnifique s’en fut à son rosier. Il lui parla longtemps à
voix basse. Puis il bêcha la terre autour de son pied maigre, l’arrosa, demeura près de lui nuit et
jour, à le garder du vent, à caresser ses feuilles.
Il enfouit ses racines dans du terreau moelleux. Aux premières gelées il l’habilla de paille.
Il se mit à l’aimer. Sous la neige il resta comme au chevet d’un enfant, à chanter des berceuses.
Le printemps vint. Samuel ne quitta plus des yeux son rosier droit et frêle, guettant ses
moindres pousses, priant et respirant pour lui. Dans le jardin, des fleurs partout s’épanouirent,
mais il ne les vit pas. Il ne regardait que la branche sans rose. Au premier jour de mai, comme
l’aube naissait :
– Rosier, mon fils, où as-tu mal ?
A peine avait-il dit ces mots qu’il vit sortir de ses racines un ver noir, long, terreux. Il
voulut le saisir. Un oiseau se posa sur sa main, et les ailes battantes lui vola sa capture. A
l’instant un serpent surgit d’un buisson proche. Il avala le ver, il avala l’oiseau. Alors un aigle
descendit du haut du ciel. Il tua le serpent, le prit dans ses serres, s’envola. Comme il
s’éloignait vers l’horizon où le jour se levait, un bourgeon apparut sur le rosier. Samuel le
contempla, il se pencha sur lui, il l’effleura d’un souffle, et lentement la rose généreuse s’ouvrit
au soleil du matin.
– Merci, dit-il, merci.
Il s’en fut au palais en criant la nouvelle. Le roi était au lit. Il bâilla. Il grogna :
– Moi qui dormais si bien !
– Seigneur, lui dit Samuel, la rose Anahakan s’est ouverte. Vous voilà immortel, ô maître
du jardin !
Le roi bondit hors de ses couvertures, ouvrit les bras, rugit :
– Merveille ! Qu’on poste cent gardes armés de pied en cap autour de ce rosier ! dit-il,
gesticulant. Je ne veux voir personne à dix lieues à la ronde ! Samuel, jusqu’à ta mort, tu
veilleras sur lui !
Samuel lui répondit :
– Jusqu’à ma mort, seigneur.
Le roi dans son palais régna dix ans encore, puis un soir il quitta ce monde en disant ces
paroles :
– Le maître du jardin meurt comme tout le monde. Tout n’était que mensonge.
– Non, dit le jardinier, à genoux près de lui. Le maître du jardin, ce ne fut jamais vous. La
jeunesse éternelle est à celui qui veille, et j’ai veillé, seigneur, et je veille toujours, de l’aube au
crépuscule, du crépuscule au jour.
Il lui ferma les yeux, baisa son front pâle, puis sortit sous les étoiles. Il salua chacune.
Samuel avait le temps désormais. Tout le temps.
Henri Gougaud
L’Arbre d’Amour et de Sagesse
Paris, Editions du Seuil, 1992
L'DEUX OISEAUX
Ce premier matin d’hiver, je ne bougeais pas.
J’étais seul.
Il faisait froid.
Il est venu et s’est posé près de moi.
Il a chanté et ça m’a réchauffé.
Il m’a encouragé à voler.
Je n’ai pas eu peur, j’ai fais mes premiers pas.
Il m’a emmené par-dessus les arbres.
Jamais je n’aurais cru en être capable.
Il m’a parlé des graines, m’a donné les meilleures, a picoré les mauvaises.
Avec lui j’ai appris à échapper au chat, si futé, si sournois.
Il m’a montré comment couper d’un coup de bec un brin d’herbe sec.
Il m’a appris à choisir un arbre, à y construire un nid pour élever mes petits.
Il m’a fait voler jusqu’au ciel, oublier le paysage pour faire de grands voyages.
Ce dernier soir d’hiver, nous nous sommes posés sur une branche, sans parler, en silence.
Cette nuit-là, nous étions deux.
Nous ne bougions pas. Il a fait très froid.
Au premier matin du printemps, il n’était plus là.
Je l’ai attendu.
Il n’est pas revenu.
Alors seulement, j’ai franchi le pas.
À tire-d’aile, j’ai quitté seul cet endroit.
Mais il volera toujours avec moi.
Éric Battut
Deux Oiseaux
Paris, Autrement Jeunesse, 2004
Commandements
du
Parc National
Le parc national protège contre l’ignorance et le vandalisme
Des biens et des beautés qui appartiennent à tous.
Les défenseurs de la vie sont les amis du parc national.
Les amis du progrès et de la paix sont les amis du parc national.
Les sportifs, les artistes et les savants sont les amis du parc national.
Voici l’espace, voici l’air pur, voici le silence.
Le royaume des aurores intactes et des bêtes naïves.
Tout ce qui vous manque dans les villes.
Est ici préservé pour votre joie.
Eaux libres : hommes libres.
Ici commence le pays de la liberté.
La liberté de se bien conduire.
Les inconscients ne respectent pas la nature.
Ils croient se grandir en la polluant
Et ne savent même pas qu’elle se venge.
Puisez dans le trésor des hauteurs
Mais qu’il brille après vous pour tous les autres.
La faiblesse a peur des grands espaces.
La sottise a peur du silence.
Ouvrez vos yeux et vos oreilles. Fermez vos transistors.
Pas de bruit. Pas de moteurs. Pas de klaxons.
Ecoutez les musiques de la montagne.
Les vraies merveilles ne coûtent pas un centime.
La marche nettoie la cervelle et rend gai.
Enterrez vos soucis, et vos boîtes de conserves.
Un visiteur intelligent ne laisse aucune trace de son passage.
Ni inscriptions. Ni destructions. Ni désordre. Ni déchets.
Les papiers gras sont les cartes de visite des mufles.
Récoltez de beaux souvenirs mais ne cueillez pas les fleurs.
N’arrachez surtout pas les plantes : il pousserait des pierres.
Il faut beaucoup de brins d’herbe pour tisser un homme.
Ravageur de forêts : mauvais citoyen.
Qui détruit le nid vide le ciel, rend la terre stérile.
Ennemi des bêtes : ennemi de la vie : ennemi de l’avenir.
Oiseaux, marmottes, hermines, chamois, bouquetins.
Et tout le petit peuple de poil et de plume
Ont désormais besoin de votre amitié pour survivre.
Déclarez la paix aux animaux timides.
Ne les troublez pas dans leurs affaires
Afin que les printemps futurs réjouissent encore vos enfants.
Défense ici de chasser, sauf aux images.
N’allumez pas de feu au hasard. Ne campez pas n’importe où.
Certains gestes irréfléchis peuvent tout compromettre.
Le parc national, c’est le grand jardin des Français.
Et c’est aussi votre héritage personnel.
Acceptez consciemment, de bon cœur, ses disciplines
Et gardez-le vous-même contre le vandalisme et l’ignorance.
Samivel
Cimes et merveilles
(Adaptation)
LE ROI SOLEIL
Parce qu’il était le roi du ciel,
le soleil demanda qu’on lui confectionne
une jolie couronne,
une cuirasse d’argent,
un manteau d’hermine,
une épée ciselée,
une canne à pommeau d’or
ainsi que des pantoufles coiffées
de grelots dorés.
Mais cling ! clang ! clong !
tout cet attirail de métal
encombrait le ciel.
Alors, un matin, le roi soleil
abandonna toutes ses possessions
à l’horizon.
Des enfants
découvrirent des trésors.
Ils s’en firent des jouets,
qui brillent encore comme des bijoux précieux.
Gilles Tibo
CHER MONSIEUR PLANTEFOL
Cher Monsieur Plantefol,
J’aime beaucoup les baleines et je crois que j’en ai vu une dans mon bassin aujourd’hui. S’il
vous plaît, envoyez-moi des renseignements sur les baleines, j’ai peur qu’il arrive du mal à la
mienne.
Je vous embrasse,
Émilie
Chère Émilie,
Voici quelques informations à propos des baleines. Tu n’as sûrement pas vu une baleine, car elles
ne vivent pas dans les bassins, mais dans l’eau salée.
Bien à toi,
Plantefol
Cher Monsieur Plantefol,
Maintenant je mets du sel dans le bassin tous les jours avant d’aller à l’école, et la nuit dernière
j’ai vu ma baleine qui souriait. Je crois qu’elle se sent
mieux.
Croyez-vous qu’elle s’est perdue ?
Je vous embrasse,
Émilie
Chère Émilie,
Je t’en prie, ne mets plus de sel dans le bassin, je suis
sûr que cela ne plairait pas à tes parents. Je crains que ce ne soit pas une baleine qui se trouve
dans ton bassin. Les baleines ne se perdent pas, elles savent toujours où elles se trouvent dans les
océans.
Bien à toi,
Plantefol
Cher Monsieur Plantefol,
Ce soir je suis très heureuse parce que j’ai vu ma baleine sauter et faire des jets d’eau. Je crois
qu’elle est bleue.
Est-ce que ça veut dire que c’est une baleine bleue ?
Je vous embrasse,
Émilie
P.S. Qu’est-ce qu’il faut lui donner à manger ?
Chère Émilie,
Les baleines bleues sont bleues et elles mangent de toutes petites créatures qui ressemblent à des
crevettes et qui vivent dans la mer. Cependant je dois te dire qu’une baleine bleue est beaucoup
trop grosse pour vivre dans ton bassin.
Bien à toi,
Plantefol
P. S. Il s’agit peut-être d’un poisson rouge de couleur bleue.
Cher Monsieur Plantefol,
La nuit dernière j’ai lu votre lettre à ma baleine.
Après, elle m’a laissé lui caresser la tête. C’était formidable.
En cachette je lui ai apporté des céréales et des miettes de pain.
Ce matin j’ai regardé dans le bassin : il n’en restait plus !
Je crois que je vais l’appeler Amélie, qu’est-ce que vous en pensez ?
Je vous embrasse,
Émilie
Chère Émilie,
Je dois te préciser impérativement, dès maintenant, qu’il est parfaitement impossible à une
baleine de vivre dans ton bassin. Tu ne sais sans doute pas que les baleines sont des animaux
migrateurs, ce qui veut dire qu’elles parcourent de grandes distances chaque jour.
Je suis désolé de te décevoir.
Bien à toi,
Plantefol
Cher Monsieur Plantefol,
Ce soir je suis un peu triste. Amélie est partie. Je crois qu’elle a compris votre lettre, et elle a
décidé de redevenir un animal migrateur.
Je vous embrasse,
Émilie
Chère Émilie,
Je t’en prie, ne sois pas trop triste. C’était vraiment impossible pour une baleine de vivre dans ton
bassin. Peut-être, quand tu seras grande, tu parcourras les océans pour étudier et protéger les
baleines.
Bien à toi,
Plantefol
Cher Monsieur Plantefol,
J’ai eu le plus beau jour de ma vie !
J’étais au bord de la mer et – vous ne devinerez jamais – j’ai vu Amélie ! Je l’ai appelée et elle
m’a souri. Je suis sûre que c’était elle parce qu’elle m’a laissé lui caresser la tête.
Je lui ai donné un morceau de mon sandwich et on s’est dit au revoir. J’ai crié que je l’aimais
beaucoup et après – j’espère que ça ne vous ennuiera pas – que vous aussi vous l’aimiez.
Je vous embrasse,
Émilie (et Amélie)
Simon James
Cher Monsieur Plantefol
Rennes, Éditions Ouest-France, 1991
LES BALLONS
Durant la nuit,
le réveille-matin du soleil se dérégla.
À l’aube, il ne sonna pas l’heure du lever.
Ainsi, pendant toute la matinée
le soleil continua à ronfler, ronfler, ronfler…
Partout sur la terre
on tenta de le réveiller.
Dans les pays du nord,
on lui lança des boules de neige.
Au sud, on lui lança des coquillages.
Mais rien ne réveillait le soleil,
qui dormait à poings fermés.
Finalement, un petit garçon
fit monter un ballon tout rond,
qui chatouilla le nez du soleil
et le fit éternuer.
Le lendemain matin,
mille enfants,
craignant que le soleil ne se réveille pas,
couraient dans les champs
avec des ballons
tout ronds.
Gilles Tibo
En attendant la pluie…
La plupart des gens se plaignent qu’il pleuve trop souvent. Ils voudraient du soleil tous
les jours. Pourtant, dans la lointaine savane africaine, le soleil chauffe si fort que le paysage
tremble à l’horizon. Du plus grand éléphant au plus petit insecte, tous les animaux de la savane
attendant la pluie avec impatience : leur vie en dépend.
Comme les autres, les guépards attendent la saison des pluies. Avec elle reviendront les
grands troupeaux et les chasses faciles. Depuis que les gazelles sont parties vers des terres plus
verdoyantes, il n’y a plus assez de proies pour tous. Ces jeunes mâles sont inquiets. Si la pluie
n’arrive pas, ce sera la famine !
Et, cette année, la pluie ne vient pas. La savane se dessèche, le sol se craquelle, la
végétation jaunit.
Une femelle guépard est à l’affût sur un arbre mort.
Elle a deux petits, aussi n’a-t-elle pas pu suivre les
gazelles. Comment nourrir sa progéniture ?
Grâce à sa vue perçante, elle aperçoit quelques
zèbres buvant l’eau d’une des dernières mares. Si elle
parvient à s’approcher assez près sans être repérée, elle a
peut-être sa chance…
Des cris aigus retentissent dans les herbes sèches : les deux petits appellent. Ils sont trop
jeunes pour accompagner leur mère. Mais il faut pourtant que celle-ci rapporte à manger. Elle
les emmène donc dans une cachette sûre avant de partir en chasse. À cette heure de la journée,
elle ne craint pas de concurrents : il fait déjà trop chaud pour les autres félins.
La mère guépard a pu s’approcher des zèbres. Elle touche à peine le sol de ses pattes
légères. Mais, soudain, une brindille craque et un oiseaux s’envole, effrayé. L’alarme est
donnée !
Les zèbres s’enfuient au galop dans la plaine, mais la course est trop rapide pour le petit
qui les accompagne. La mère guépard le rattrape facilement et, d’un coup de patte, le fait
rouler dans la poussière. À bout de souffle, elle s’allonge quelques minutes à côté de sa proie.
Puis elle l’emporte avant que les hyènes ne viennent lui voler son repas.
Les petits guépards n’ont pas assisté à la chasse.
Cachés près d’une mare voisine, ils sont attentifs à tout
ce qui se passe. Un éléphant se roule dans la boue en
soufflant. La boue protègera sa peau des parasites. Quelques
gazelles retardataires passent par là. Elles pourront se
désaltérer dès que le pachyderme sera parti. Quelle
aubaine !
Sous la patte d’un petit guépard, quelque chose a
bougé : c’est un crapaud, qui file se mettre à l’abri dans l’eau. Poussés par la curiosité, les
jeunes félins oublient toute prudence et quittent leur cachette pour suivre l’étrange
animal.
Les voici au bord de l’eau. Alors qu’ils s’approchent, un crocodile, camouflé dans la boue,
arrive soudain sur eux, la gueule grande ouverte.
Il manque de peu les petits guépards, qui détalent à toute vitesse.
La mère retrouve ses petits tout tremblants près du vieux tronc. Inquiète de ne pas les
avoir trouvés dans leur cachette, elle les cherchait depuis plus d’une heure. C’est un miracle
que les jeunes guépards aient échappé au crocodile !
Pour se rassurer, rien ne vaut les caresses et les
coups de langue. La mère a mangé, puis elle a donné
un peu de viande à ses petits afin de les habituer. Le
soleil se couche, la nuit sera bientôt là. Les petits
s’endorment.
À l’aube, la savane se réveille avec les
rugissements des lions. Tout à coup, un bruit de
sabots alerte la mère guépard. Ce sont trois girafes qui passent par là, à quelques pas de la
famille. Elles sont inoffensives, mais il ne faudrait pas que l’une d’elles marche sur un petit par
mégarde. La mère se précipite pour les éloigner.
La pluie ne vient toujours pas, la savane est plus sèche que jamais.
Le dernier troupeau de gnous se dirige vers des nuages
lointains, soulevant des colonises de poussière.
Il a peut-être plu là-bas.
La pluie, c’est une promesse d’herbe tendre. Ici, il n’y
aura bientôt plus d’herbe et la température devient
insupportable.
La plupart des animaux se tapissent à l’ombre, sans forces.
Mais un jour, vers midi, l’air devient vraiment
étouffant. La mère guépard a senti quelque chose, car elle
lève la tête vers le ciel et renifle l’air à petits coups. De gros
nuages noirs et lourds surgissent de l’horizon et
s’approchent lentement.
Soudain, de grand éclairs illuminent l’horizon et des
grondements de tonnerre roulent sur la savane. Les petits,
effrayés, blottissent contre leur mère. C’est leur premier orage, mais leur instinct leur dit que
ce spectacle inquiétant annonce une bonne surprise.
La pluie ! Enfin la pluie ! Après les premières gouttes timides, des cascades d’eau
tombent du ciel. C’est un vrai déluge dont les animaux cherchent à s’abriter, tant la pluie est
violente. Dans quelques heures, la rivière se remplira et, bientôt, la savane reverdira.
Les petits guépards ont compris que la pluie est un bienfait : grâce à elle, ils ont une
chance de survivre et peut-être, un jour, pourront-ils avoir des petits à leur tour.
Emmanuelle Zicot
En attendant la pluie
Paris, l’École des loisirs, 2001
NOMBRIL DES MONDES
J’écoute la chanson
de la rivière sur les cailloux
une main dans l’eau qui va
une main dans l’herbe
un œil dans les nuages
un pied sur terre
un pied
contre l’écorce d’un jeune saule
une épaule dans le soleil
et
dans un coude de la rivière
une oreille aux pinsons
une oreille aux murmures de l’eau
une narine dans la menthe fraîche
les reins dans la mousse
je suis
le nombril des mondes.
Jean-Hugues Malineau
Un arbre dans la lune
UN ARBRE DANS LA LUNE
En vacances chez ses grands-parents, Daphné est une petite fille rêveuse et solitaire. Dans ses
jeux, elle a une relation toute particulière avec la nature, les arbres, les feuilles et les fleurs. Elle
s’invente ainsi des saisons qui n’existe pas, et soigne les papillons blessés. Dans ses rêves, elle crée
des forêts magiques et féeriques, et poursuit un chemin idyllique avec les éléments naturels.
Grâce à d’extraordinaires rencontres, elle saura tout des habitudes, des coutumes et des secrets
des arbres. Au grès de ses aventures, Daphné fera tout pour sauver la forêt d’un monstre
mécanique détruisant la nature…
Daphné est une petite fille qui veut être un arbre. Elle aime tellement les arbres qu’elle
ne trouve rien de plus beau sur la terre. « Ni sur la lune » ajoutent, en plaisantant, ses grands-
parents chez qui elle passe ses vacances et qui prétendent que, souvent, leur petite-fille est
« dans la lune ». En quoi, ils se trompent. Daphné n’est pas « dans la lune ».
Elle est dans les arbres, dans ceux du jardin de ses grands-parents, dans ceux de la
proche forêt, et surtout dans celui qui est considéré comme le trésor de la famille : l’Arbre des
Quatre Saisons. Cet arbre a la particularité d’être tous les arbres à la fois, et en toute saison.
C’est très pratique pour Daphné. A-t-elle envie d’être à Noël ? Elle s’installe entre les
branches de l’hiver pour y cueillir le gui et le houx. Au bout des branches du printemps, elle
découvre des nids et regarde les œufs éclore.
Avec les feuilles de l’automne, elle se fabrique des colliers et des bracelets. Enfin, sur une
même branche d’été, elle peut ramasser des prunes, des abricots, des cerises et des figues. Fille
unique, Daphné a l’habitude d’être seule. Dans sa solitude, elle est attentive à ne pas causer le
moindre mal aux gens comme aux bêtes ou aux végétaux.
Mieux encore, elle soigne les papillons blessés. Elle a ouvert un hôpital dont elle est
l’infirmière. Elle panse les branches cassées des arbres avec des rubans adhésifs et réussit, à
force de patience, à les recoller complètement. Si elle avait des cartes de visite comme les
grandes personnes, elle y ferait inscrire :
Daphné
infirmière pour les papillons
et médecin pour les arbres.
Quand elle est fatiguée de jouer avec l’Arbre des Quatre Saisons, ou avec les papillons,
Daphné s’en va dans la forêt qui commence où le jardin finit. C'est une forêt magique comme
toutes les forêts et où une petite fille peut se promener sans crainte : les animaux ne s’y battent
pas entre eux. Ils s’aiment.
On y voit passer, bras dessus, bras dessous, le lapin et la belette, le renard et le faisan, la
biche et le loup. Les chasseurs ne peuvent y pénétrer. Chaque fois qu’ils essaient, un terrible
orage éclate qui les trempe jusqu’aux os et les force à rebrousser chemin avec, pour seul butin,
un rhume qui dure huit jours, au moins, sans parler des complications, bronchite ou pleurésie.
Dans cette forêt magique, Daphné voit, et entend, de drôles de choses. Une fois, elle
rencontre sur son chemin un poisson qui, l’imprudent, s’est éloigné de la mer. Une vague
l’accompagne. Un poisson et une vague, dans une forêt, ce n’est pas normal, pense Daphné qui
demande :
─ Où allez-vous tous les deux ?
─ Vers le bleu du ciel. Le bleu de la mer ne nous suffit plus et nous voudrions nager dans
le bleu du ciel. Voilà des jours que nous cherchons à l’atteindre. Nous sommes fatigués.
─ Si vous êtes fatigués, asseyez-vous à l’ombre d’un arbre. On ne peut pas être mieux que
là !
C’est ce qu’ils font. Et l’ombre enchantée par l’appréciation de Daphné se présente :
─ Je suis l’ombre de l’arbre, et voici ma sœur jumelle, la fraîcheur.
L’ombre, la fraîcheur, le poisson, la vague et Daphné se mettent à raconter des histoires
tellement passionnantes qu’un nuage qui passe par là s’arrête pour les écouter, puis, à force de
tendre l’oreille, finit par s’approcher et se poser en plein dans l’ombre à laquelle il avoue :
─ Si vous saviez comme il fait chaud, là-haut, et comme je suis content de me rafraîchir
un peu…
La vague et le poisson interrogent le nuage sur le ciel qu’ils imaginent comme un autre
océan. Le nuage rit d’une telle comparaison. Il propose au poisson et à la vague d’aller y faire
un tour, pour voir. Ils acceptent.
Le nuage offre également à l’ombre, à la fraîcheur et à Daphné d’être du voyage. Toutes
trois refusent. Nuage, poisson et vague s’envolent vers le ciel. Pendant la nuit qui suit cette
rencontre, Daphné rêve que la mer est un arbre avec des vagues à la place des branches et de
l’écume à la place des fruits.
C’est une nuit de pleine lune et Daphné rêve aussi qu’elle est un arbre dans la lune. Au
matin, elle mange trois tartines de miel, deux tartines de confiture d’abricot, et boit deux bols
de chocolat au lait.
─ Les rêves, ça creuse, explique-t-elle à sa grand-mère que cet appétit excessif étonne.
Après ce copieux petit déjeuner, Daphné retourne dans la forêt. Elle y rencontre une
huppe et, comme c’est la première fois qu’elle voit un tel oiseau, elle s’écrie :
─ Qu’est-ce que c’est que cette bestiole ? Antilope par les cornes et zèbre par la queue ?
─ Je ne suis pas un zèbre, rectifie l’oiseau, bien que je suis rayée de blanc et de noir. Et
je ne suis pas non plus une antilope bien que j’aie l’air d’avoir des cornes sur la tête. Ce sont
des cornes de plumes qui forment la huppe dont je tiens mon nom. Je suis la Huppe, la plus
belle des Huppes puisque je suis la Reine des Huppes.
─ Majesté, dit Daphné en s’inclinant profondément, je vous prie d’accepter mes excuses.
─ Je les accepte, dit la Huppe, bonne fille.
Depuis, Daphné et la Reines des Huppes se promènent ensemble. Dès que Daphné
pénètre dans la forêt magique, la Huppe vient se poser sur son épaule et raconte les derniers
événements, l’éclosion d’un champignon qui sent la violette, la naissance d’une source dorée,
le mariage d’une libellule avec un romarin frisé.
Une autre fois encore, sur son chemin, Daphné trouve un caillou parfaitement blanc,
parfaitement rond, on dirait un œuf de marbre. Il est tellement joli ce caillou que Daphné le
met dans sa poche. Le caillou proteste aussitôt, il n’aime pas être dans le noir d’une poche, il
n’aime que la lumière.
Autrefois, raconte-t-il à Daphné un peu surprise d’entendre un caillou parler, quand les
dieux vivaient avec les hommes et avaient leurs statues dans les temples, lui, le caillou, était le
doigt d’une déesse. Les dieux, les temples ont disparu, et, dans cette débâcle, la déesse a perdu
sa tête et ses bras. Les bras avec leur main, les mains avec leurs doigts, dispersés dans la nature,
ont, peu à peu, perdu les formes que leur avait données le sculpteur et sont redevenus ce qu’ils
étaient, de simples pierres.
Telle est l’histoire de Petit Caillou, tel est son nom, qui garde de son ancienne splendeur
dans les temples dressés à ciel ouvert sur le haut des collines, le goût de la lumière. Daphné
promet à Petit Caillou qu’elle l’installera au pied de l’Arbre des Quatre Saisons, dans la partie
été où il sera toujours au soleil. Petit Caillou, bien élevé, se confond en remerciements.
Avec l’Arbre des Quatre Saisons, la Reine des Huppes et Petit Caillou, Daphné compte
donc trois amis. Elle en va avoir un quatrième, ou plutôt une quatrième, puisqu’il s’agit d’une
magicienne.
Exactement au centre de la forêt se trouve un immense chêne qui est la demeure de la
magicienne. Elle y a élu domicile parce que, elle aussi, elle aime les arbres. Elle s’est bâti un nid
à la façon des oiseaux, mais un nid à sa mesure : elle mesure un mètre cinquante.
Comme les habitants de la forêt la chérissent autant qu’ils la respectent, ils appellent la
magicienne, « révérende ». Et quand elle entend cela, la magicienne ne manque pas de rire, se
moquant d’elle-même, et lançant joyeusement : « Révérende mère, oui, je suis la révérende Nid
d’Oiseau. »
Révérende Nid d’Oiseau, c’est ainsi que la nomment ses intimes parmi lesquels ne tarde
pas à compter Daphné, éblouie et vite conquise par les tours de la magicienne. En effet, c’est la
révérende Nid d’Oiseau qui commande à l’orage mettant en fuite
les chasseurs.
C’est elle qui, d’un coup d’œil, fait bouillir l’eau dans sa
théière et apparaître, au gré de sa gourmandise ou de celle de ses
invités, les meilleurs gâteaux de gingembre, les meilleures glaces
au chocolat, les meilleures pastèques, celles d’Andalousie, avec
leurs belles joues rouges et leurs innombrables yeux noirs.
La révérende Nid d’Oiseau apprend à Daphné des tas de
choses sur les arbres, leurs habitudes, leurs coutumes, leurs secrets.
─ Qu’est-ce qu’un arbre ? C’est quelqu’un qui n’a pas de mains pour se défendre, ni de
pieds pour s’enfuir, explique-t-elle. Et elle ajoute :
─ On en profite pour les massacrer. Il ne faut jamais maltraiter un arbre, tu entends,
Daphné, pas plus qu’il ne faut dire à un enfant qu’il est bête. Qu’est-ce qu’un enfant ? Un
adulte qui n’a pas encore eu le temps de grandir.
À écouter de tels propos, à s’amuser avec de tels amis, le mois de juillet passe vite pour
Daphné, et c’est le mois d’août sur la forêt magique. Début août, le grand-père rentre à la
maison avec des journaux qu’il étale sur la table.
─ Regardez, dit-il, consterné, à la grand-mère et à Daphné. Tous les journaux ont le
même titre :
SOS forêt
MM attaque
Daphné demande ce que cela veut dire. MM, cela veut dire la Méchante Machine, celle
qui avale les arbres par centaines et engloutit une forêt en une seule bouchée. Les forêts
menacées lancent un appel au secours, un SOS.
La Méchante Machine, pour le moment, n’attaque pas les humains qu’elle se contente de
terroriser par son bruit infernal et ses mauvaises odeurs. Elle pue et elle tue. Dans le pays, l’état
de tristesse générale est décrété. Que faire ?
C’est l’été. Les gens sont à la mer où à la montagne. Dans le village de la forêt magique ne
restent que des vieillards et des enfants comme Daphné. Chacun se terre dans sa maison
quand défile dans les rues la Méchante Machine qui rote des vapeurs d’essence et hurle des
menaces aux arbres, même à ceux qui se cachent dans les jardins.
─ Aucun mur, aucune grille ne m’arrêtera quand j’aurai faim, crie la Méchante Machine.
Daphné décide de sauver la forêt et de délivrer son pays de la Méchante Machine.
Daphné réunit aussitôt la Reine des Huppes et Petit Caillou qui approuvent son projet. Oui, il
faut en finir, cela ne peut plus durer.
L’Arbre des Quatre Saisons qui sent ses jours comptés dépérit. Dans la forêt magique, les
bêtes n’osent plus sortir de leur terrier, elles souffrent de la faim et de la soif. C’est intolérable.
Mais comment détruire la Méchante Machine ?
Daphné, la Reine des Huppes et Petit Caillou s’en vont demander des conseils, et de
l’aide, à la magicienne. La révérende Nid d’Oiseau est désespérée. Elle est sans pouvoir contre
la Méchante Machine. L’orage à qui elle commandait contre les chasseurs refuse d’obéir.
─ Je veux bien tremper les chasseurs, je ne veux pas salir mes gouttes de pluie et mes
éclairs sur cette machine crasseuse qui sue le cambouis, répète obstinément l’orage.
Exaspérée par une telle attitude, la révérende Nid d’Oiseau annonce à ses amis qu’elle
s’en va à jamais, qu’elle quitte la forêt pour rejoindre le nuage, la vague et le poisson qui, elle
vient de l’apprendre, ne risquent plus rien, réfugiés quelque part dans l’infini. Ils y sont
inaccessibles, donc, heureux.
─ Qui m’aime me suive, dit la magicienne. Je transforme mon nid en tapis volant et nous
partons tout de suite.
Personne ne veut, ou ne peut, partir tout de suite. Daphné doit prévenir ses grands-
parents, et la Reine des Huppes son peuple. Avant de s’envoler définitivement, la révérende
Nid d’Oiseau fait cadeau à Daphné d’une formule magique à apprendre par cœur, à ne répéter
à personne, et à n’utiliser qu’en cas de danger extrême :
Arbre mon cher arbre
change-moi en arbre
au centre de la lune.
─ Je n’aurais pas cru que la révérende Nid d’Oiseau soit aussi
égoïste, dit la Reine des Huppes, et nous abandonne au moment
où nous avons le plus besoin d’elle.
─ Cela ne fait rien, nous vaincrons. Les forts seront vaincus.
Nous vaincrons parce que nous sommes les plus faibles, répond
Daphné.
─ Daphné a raison, assure Petit Caillou. Cette Méchante Machine est très forte, mais elle
doit avoir une faiblesse cachée. Il suffit de trouver cette faiblesse et d’en tirer profit pour
abattre la Machine. Quand j’étais le doigt d’une déesse, on parlait beaucoup, dans les temples,
d’un petit garçon, David, qui avait réussi à terrasser un géant, Goliath, rien qu’en lui lançant
une pierre en plein front. Je serai cette pierre et Daphné sera un autre David.
Il faut sauver les arbres. Le temps presse. On décide, à l’unanimité, que Daphné se
déguisera en arbre pour attirer l’attention, et éveiller l’appétit de la Méchante Machine. C’est
facile : Daphné n’a qu’à mettre la veste en velours côtelé marron de son grand-père, on dirait
une écorce. Et sur la tête, la capeline à fleurs de sa grand-mère.
─ J’aurai l’air d’un arbre en fleur qui se promène, dit Daphné.
Aussitôt dit, aussitôt fait. Daphné, déguisé en arbre, part se promener sur la route. Elle
tient dans son poing Petit
Caillou qui supplie :
─ Ne me serre pas si fort, tu m’étouffes, n’oublie pas notre plan d’attaque. Dès que la
Méchante Machine ouvre sa gueule, tu me lances dedans, et crois-moi, un morceau de marbre,
un ancien doigt de déesse qui aurait trois mille ans aujourd’hui, c’est autrement difficile à
digérer qu’un arbre tendre ou une forêt magique. La Méchante machine crèvera d’indigestion,
et quand elle sera morte, tu viendras me délivrer. Ne me laisse pas au milieu de cette ferraille.
─ Oui, oui, tais-toi, j’entends la Méchante Machine qui arrive, chuchote Daphné.
Et elle est là, la Méchante Machine, noire de cambouis et de méchanceté, monstrueuse
guêpe de fer, ses yeux en forme d’ampoule hors de la tête. « Tiens, remarque-t-elle, un arbre
qui se promène, je vais le croquer, ça me mettra en appétit ». Ses mâchoires s’écartent,
montrant une rangée de dents tellement pointues, tellement laides que Daphné, surprise, vise
mal.
Petit Caillou n’entre pas dans la bouche, mais dans l’œil de la Méchante Machine qui en
trépigne de douleur et de colère. Elle est déchaînée et parvient à arracher Petit Caillou de sa
paupière et à le lancer avec une telle force qu’il disparaît dans les alentours du soleil où l’attend
la déesse qui l’accueille d’un radieux « te voilà enfin, toi, le petit doigt qui me manquait pour
entrer, complète, au paradis des déesses. »
Daphné et la Méchante Machine restent face à face.
─ Je vais te manger, gronde la Méchante Machine en lançant sur Daphné un puissant,
un poisseux souffle électrique qui la renverse.
Daphné rassemble ses dernières forces pour se relever et s’enfuir à toute allure vers la
forêt afin d’y trouver refuge dans le chêne. Elle court, Daphné, et ses amis accourent à son
secours. En vain.
Ni la Reine des Huppes, ni les papillons ne parviennent à ralentir la Méchante Machine
qui va de plus en plus vite. Elle se rapproche irrésistiblement, impitoyablement de Daphné qui,
se sentant perdue, se souvient alors de la formule magique donnée par la révérende Nid
d’Oiseau et crie :
Arbre mon cher arbre
change-moi en arbre
au centre de la lune.
Souhait formulé avec tant de force qu’il est aussitôt exaucé. Daphné s’envole sous les
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Les Voix de la Terre - Dossier Écologique

  • 2. Table de matières Au point du cœur Auprès de Grand-Arbre Écoute les voix de la terre Juliette la chouette Le cœur trop petit La fille de l’arbre Rebelle le Loup L’enfant qui parlait aux animaux L’arbre qui chante Le maître du jardin Deux oiseaux Commandements du Parc National Le Roi Soleil Cher Monsieur Plantefol Les ballons En attendant la pluie… Nombril des mondes Un arbre dans la lune Le sapin Le sage et le serpent Le roi et le papillon Une abeille dans le vent Prière d’un enfant aux adultes d’aujourd’hui Le trésor du baobab Le conte de Luna L’ami pommier Le petit jardinier Le papillon Raconte-moi la mer Ronds de nuit Pour la Terre S’émerveiller
  • 3. Au point du cœur AU POINT DU CŒUR Je connais un pays où les pépites dorées ont autant de valeur qu’un galet mille fois poncé par le courant de la rivière. Les blés mûrs, l’ombre qui effleure, le soleil levant, le parfum du figuier ou l’aile perdue d’une libellule sont là-bas les plus beaux des trésors. Je connais un pays où les arbres sont rêveurs. Ils y poussent ocre, mauves ou fuchsia. Au fil des saisons, sur leurs feuilles oblongues, naissent des poèmes s’inscrivant ligne après ligne en fines nervures. Rascal Au Point du Cœur Paris, l’École des loisirs, 2002
  • 4. Auprès de Grand-Arbre AUPRES DE GRAND-ARBRE Grand-arbre était si grand… Je me demandais si un jour je serais aussi grand que lui… Les nuits de pleine lune, Grand-arbre scintillait sous le ciel noir. Par la fenêtre, je regardais ses branches se balancer avec grâce. Son ombre dansante sur les murs de ma chambre m’aidait à m’endormir. Je lui disais : ― Bonne nuit, Grand-arbre ! Et il s’ébrouait comme un ours hors de l’eau pour me répondre. Les matins de printemps, quand il faisait beau, je m’allongeais sur l’herbe à son pied. Les rayons du soleil se frayaient un chemin à travers le feuillage, et ils dessinaient sur mon ventre une dentelle de lumière. Un couple d’écureuils venait souvent s’amuser dans Grand-arbre. Ils passaient leur temps à se courir après le long de ses branches interminables. Lorsqu’ils détalaient à toute vitesse sur l’herbe, même le chat de la voisine ne parvenait à les rattraper. ― Bien fait pour toi ! lui criais-je. Tu n’as qu’à les laisser jouer ! Grand-arbre donnait en été des fruits sauvages. L’automne venu, ils éclataient en tombant lourdement sur l’herbe : « Plonc ! » Alors ses feuilles se mettaient à roussir si fort qu’on aurait dit que le feu était passé par là. Durant cette saison, les écureuils s’en donnaient à cœur joie car ils devenaient parfaitement invisibles. Et Grand-arbre riait car les écureuils lui chatouillaient le ventre et les bras. L’hiver, Grand-arbre se dressait, nu, jetant ses mille branches dans les nuages gris, comme s’il portait le ciel. Certains jours, une tourterelle venait s’y poser. ― Bonjour, Tourterelle ! lui disais-je. Comme tu es belle ! Alors elle rougissait. Du moins ça me plaisait de le croire… Quand le chat la laissait tranquille, elle plantait son bec dans un fruit encore accroché à une branche pour en picorer les pépins. Un soir d’hiver, en rentrant de l’école, je découvris que Grand-arbre avait disparu. On avait arraché mon meilleur ami ! Depuis ma fenêtre, je ne voyais plus que des tours, des usines, des routes, des ponts. À la place de Grand-arbre, il ne restait qu’un rond de terre noire
  • 5. dans la pelouse verte. Une horrible cicatrice ! Moi, je pensais que Grand-arbre m’appartenait parce qu’il vivait sous ma fenêtre. ― Tu te trompes, m’a-t-on expliqué. Grand-arbre, comme beaucoup d’autres arbres, appartient à la ville. Là-bas, il y a des hommes et des femmes qui décident de leur sort. Alors, le mien devait disparaître ? Je ne comprenais pas pourquoi. Mon amie la tourterelle vint me voir par un froid matin. La pauvrette tournoyait au-dessus du rond de terre noire en battant des ailes. Son perchoir préféré s’était envolé et elle me lançait des regards étonnés… Elle finit par se poser sur l’herbe et s’intéressa à un vieux fruit qui pourrissait là ― Grand-arbre lui avait laissé un souvenir. Ce n’était plus qu’une peau brune renfermant quelques pépins. Elle planta son bec et s’apprêtait à les picorer quand le chat de la voisine l’effraya et elle disparut dans le ciel blanc… ― Vilain, le chat ! Pourquoi fais-tu peur à tout le monde ? Le chat joua un moment avec cette petite boule toute ridée. Il la poussa de la patte, comme s’il s’agissait d’un ballon, et le fruit roula jusqu’au rond de terre noire. Il s’amusa à le recouvrir en grattant la terre, puis, lassé de son jeu, s’éloigna de sa démarche imperturbable, sans même se retourner. Un peu plus tard, ce même jour, le couple d’écureuils vint lui aussi. Comment pouvais-je leur expliquer ce que je ne comprenais pas moi-même ? Ils semblaient si tristes. On aurait dit qu’ils attendaient le retour de Grand-arbre. Le temps était devenu menaçant et le chat avait dû rentrer chez lui. Un violent orage éclata durant la nuit. Le tonnerre grondait sans relâche, des éclairs zébraient le ciel et la pluie ne voulait cesser. Hélas, Grand-arbre n’était plus là pour me protéger. Je grelottais de frayeur au fond de mon lit… L’hiver se termina sans que je revoie la tourterelle et les écureuils. D’ailleurs, je ne voulais plus regarder au-dehors. Je n’ouvrais plus mes rideaux… Et puis le printemps pointa le bout de son nez. Mais sans Grand-arbre, ma joie n’était pas complète. Un matin, mon amie la tourterelle me réveilla en tapant au carreau. Je me précipitai à ma fenêtre, écartait les rideaux et… « Oh ! » Je n’en croyais pas mes yeux. ― Vite ! Descendons ! Au centre de la pelouse, dans le rond de terre, un arbre poussait. Un vrai petit arbre qui ressemblait déjà à Grand-arbre. Alertés par la tourterelle qui virevoltait de bonheur, le couple d’écureuils vint aux nouvelles et nous dansâmes autour de Petit-arbre. Intrigué par cette sarabande, le chat de la voisine entra à son tour dans la ronde. C’était aussi un peu grâce à lui que Petit-arbre avait pu naître. La pluie de l’orage avait fait germer un pépin, mais c’est le chat qui avait enterré le fruit… Bien sûr, Petit-arbre était beaucoup plus petit que moi, mais il allait grandir, et c’était à moi de veiller sur lui. ― Je viendrai t’arroser chaque matin, lui promis-je. Petit-arbre était si petit… Je me demandais si un jour il serait aussi grand que moi. Michel Deydier Auprès de Grand-arbre Paris, Gautier-Languereau, 2006
  • 6. Écoute les voix de la terre ÉCOUTE LES VOIX DE LA TERRE Durant mon enfance, mon grand-père était mon meilleur ami. Lorsque nous étions ensemble, tout me semblait parfait. Nous aimions nous promener tous les deux dans les bois. Nous n’allions jamais ni très loin, ni très vite. Nous prenions des chemins sinueux. Tout en marchant, je lui posais de nombreuses questions. ― Grand-père, pourquoi… ? ― Que se passerait-il si… ? ― Est-ce que parfois… ? Un jour, je lui ai demandé : ― Grand-père, qu’est-ce qu’une prière ? Mon grand-père est resté silencieux un long moment. Puis nous sommes arrivés devant les arbres les plus hauts de la forêt et il m’a répondu par une question : ― As-tu déjà entendu le murmure des arbres ? J’ai écouté attentivement mais en vain. ― Regarde, m’a-t-il dit, les arbres montent vers le ciel. Ils vont toujours plus haut… Ils veulent atteindre les nuages, le soleil, la lune et les étoiles. Ils cherchent à s’élever vers les cieux. J’ai pensé aux arbres, j’ai essayé de les entendre. Pendant que je réfléchissais, je me suis assis sur un vieux rocher couvert de mousse. ― Les pierres et les montagnes nous parlent elles aussi. Leur calme, leur silence nous inspirent la tranquillité, m’a expliqué mon grand-père. Après avoir longuement réfléchi, j’ai ramassé un caillou et je l’ai mis dans ma poche. Nous sommes allés un peu plus loin, près d’un ruisseau. L’eau bouillonnait, scintillait, et de tout petits poissons tournoyaient dans l’ombre. ― Grand-père, est-ce que les ruisseaux murmurent eux aussi ? lui ai-je demandé.
  • 7. ― Bien sûr. Les lacs, les rivières et tous les cours d'eau également, m'a-t-il répondu. Parfois, ils coulent tranquillement. Ils reflètent alors les nuages, les oiseaux, le soleil ou les étoiles. Parfois, ils s'écoulent en remous à la surface de la terre, se jettent dans la mer et s'évaporent dans le ciel. Puis le cycle recommence… Le plus souvent, ils rient et s'amusent avec leurs amis les rochers. Ou bien ils dansent, bondissent et puis retombent… Mais la nature s’exprime encore de bien d’autres façons. Les herbes hautes s’agitent vers le soleil et les fleurs exhalent leur doux parfum. Quant au vent, il chuchote, gémit, soupire. Il nous souffle ses paroles. Écoute le chant des oiseaux au petit matin, écoute leur silence avant le lever du soleil. Entends-tu la mélodie du rouge-gorge à la tombée du jour ? Les animaux se faufilent dans la forêt, brillent dans l'eau, escaladent les montagnes, s'envolent dans les nuages ou se réfugient sous terre. C'est ainsi que tous les êtres vivants participent à la beauté du monde… Puis nous nous sommes tus tous les deux. Mon grand-père regardait au loin et je réfléchissais à ce qu’il m’avait dit sur les rochers, les arbres, l’herbe, les oiseaux et les fleurs. J’ai fini par lui demander comment priaient les hommes. Mon grand-père a souri et a passé sa main dans mes cheveux. ― Tout comme la nature, les hommes ont leur propre langage… m’a-t-il répondu. ― On peut se pencher pour sentir le parfum d’une fleur, regarder le soleil se lever, sentir la terre tourner doucement ou saluer le jour. On peut se promener dans un bois enneigé un jour d’hiver et regarder son propre souffle entrer dans le souffle du monde. Mais la musique ou la peinture sont aussi des manières de s’exprimer, de parler…Parfois, on se sent triste, malade ou isolé. On répète alors des phrases que nous ont apprises par le passé nos parents ou nos grands-parents. Mais il faut avant tout essayer de trouver ses propres mots. Ce qui est important, c’est de dire ce que l’on ressent vraiment, ce qui vient du cœur. Au bout d’un moment, mon grand-père m’a dit qu’il était l’heure de rentrer. Mais j’avais une dernière question à lui poser : ― Nos prières ont-elles des réponses ? Il m’a souri. ― En général, ce ne sont pas vraiment des questions, mais si on écoute bien, elles contiennent souvent leurs propres réponses. Nous sommes comme les arbres, le vent et l’eau. Nous ne voulons pas changer ce qui nous entoure mais nous changer nous-mêmes. C’est en évoluant que l’on transforme le monde.
  • 8. Après cette promenade, mon grand-père et moi avons encore souvent marché ensemble. Chaque fois j’ai essayé d’écouter les voix de la terre, mais je n’ai jamais été sûr de vraiment les entendre. Un jour, mon grand-père nous a quittés. J’ai eu beau penser à lui de toutes mes forces, il n’est pas revenu. Il ne pouvait pas revenir. J’ai prié encore et encore jusqu’à ce que je n’y arrive plus. Pendant longtemps, j’ai renoncé. Tout me paraissait sombre et je me sentais seul sans lui. Quelques années plus tard, alors que je me promenais, je me suis assis sous un grand arbre. Les branches remuaient et les feuilles bruissaient dans le vent. J’ai entendu le murmure d’un ruisseau et le chant d’un rouge-gorge perché sur un chèvrefeuille. J’ai également perçu un léger murmure mêlé au souffle du vent, au chant des oiseaux et au clapotis de l’eau. La terre me parlait, comme mon grand-père me le disait. Alors j’ai murmuré doucement, moi aussi : ― Merci pour les grands arbres et les belles fleurs, pour les rochers et les oiseaux, mais surtout merci… pour mon grand-père. Et là, quelque chose a changé. Je sentais mon grand-père à nouveau près de moi… Pour la première fois depuis longtemps, tout me semblait parfait. Douglas Wood Écoute les voix de la Terre Paris, Gründ, 2000
  • 9. Juliette la chouette Juliette, la chouette, n’en fait qu’à sa tête. Ses parents ont beau lui dire qu’elle fait tout de travers, rien n’y fait. Contrairement aux autres chouettes, Juliette dort la nuit et s’amuse le jour. Papa et maman Chouette lui ont pourtant expliqué qu’elle était un animal « nocturne » et que, par conséquent, comme toutes les autres chouettes, elle devait se reposer le jour pour pouvoir veiller et chasser durant la nuit. Mais Juliette ne veut rien entendre. Son horloge tourne à l’envers et lorsque ses parents, fatigués par leur chasse, viennent se reposer au creux du vieux saule, dès l’aube, Juliette quitte le nid. La petite chouette a beaucoup d’amis dans le pré d’à côté. Papa et maman Chouette s’arrachent les plumes depuis qu’ils savent que Juliette sympathise avec une famille de mulots venus s’installer au bout du grand champ. Quel déshonneur pour la famille ! Car tout le monde sait que les chouettes chassent les mulots, musaraignes et autres petits animaux des champs. Mais, non, Juliette n’en fait qu’à sa tête. Elle préfère se contenter d’insectes et de vers de terre comme repas et faire des petites bêtes des champs ses compagnons de jeux. Hier, on l’a vue volant au ras des prés, tirant derrière elle un long ruban auquel s’accrochaient, en riant, les petits mulots de la famille Cacao. Quel drôle de cerf-volant ! Mais lorsque les petits de monsieur et madame Lapin ont voulu faire leur baptême de l’air, s’accrochant eux aussi au ruban, tout le monde s’est retrouvé pattes en l’air dans le champ. ─ Trois lapereaux à faire décoller, c’est un peu trop ! a dit Juliette en riant. Ce matin, pendant que monsieur et madame Chouette somnolent dans leur nid, Juliette prend le soleil avec son amie musaraigne tout en écoutant le bavardage d’Amélie, la pie. Et, l’après-midi, on retrouve notre amie en grande conversation avec la famille Souris, qui commente joyeusement le baptême de l’air mouvementé des lapereaux intrépides. ─ On se fait plein d’amis lorsqu’on sort à midi, dit-elle à ses parents endormis. Ah ! décidément, Juliette n’en fait qu’à sa tête ! Catherine Salambier Les amis de Juliette la chouette Belgique, Editions Hemma, 2000
  • 10. LE CŒUR TROP PETIT Quand je serai grand Dit le petit vent J’abattrai la forêt Et donnerai du bois À tous ceux qui ont froid Quand je serai grand Dit le petit pain Je nourrirai tous ceux Qui ont le ventre creux Là-dessus s’en vient La petite pluie Qui n’a l’air de rien Abattre le vent Détremper le pain Et tout comme avant Les pauvres ont froid Les pauvres ont faim Mais mon histoire N’est pas à croire : Si le pain manque et S’il fait froid sur terre Ce n’est pas la faute à la pluie Mais à l’homme, ce dromadaire Qu’a le cœur trop petit. Jean Rousselot
  • 11. LA FILLE DE L’ARBRE Un arbre à fruits se dressait sur une colline. De petits animaux lui tenaient compagnie et, tout en bas, une ville envoyait vers le ciel des fumées bleutées. Pourtant, les soirs d’été, quand Maman Loir berçait un petit sur sa queue, l’arbre se sentait mélancolique. « Moi seul, je n’ai pas d’enfant à cajoler », pensait-il. Il y pensa si fort, qu’un matin, un de ses fruits se détacha brusquement. Il tomba, roula, et se déroula. C’était une petite fille. Bien sûr, elle était un peu verte. « Mais le soleil lui donnera des couleurs ! » affirma l’arbre qui rayonnait de fierté. On l’appela Brindille. L’arbre lui fit un minuscule berceau de feuilles et se sentit tout à fait heureux. Ce n’était pas tous les jours facile. Brindille voulait devenir championne de cloche-bourgeon. — Sois prudente, mon pépin chéri ! s’inquiétait l’arbre. Brindille faisait le ver. — Mange donc proprement ! Et aussi le poirier. — Tu me donnes le tournis ! C’est épuisant d’être papa ! Mais, dans l’ensemble, ils s’entendaient bien. À la première neige, les petits animaux préparèrent un nid douillet pour passer l’hiver. Chacun fit un creux à sa taille dans le foin et l’arbre bâilla : — Bonne nuit, Brindille, fais de beaux rêves ! Bientôt tout devint silencieux. Brindille se tourna sur le côté. Puis de l’autre côté. — Papa, je ne m’endors pas ! Mais personne ne répondit, tout était blanc et assoupi. Brindille se laissa glisser dans la neige et frissonna. Au loin, la ville allumait ses lumières et scintillait doucement. « Là-bas, ça ne dort pas ! » conclut Brindille. Et elle descendit bravement la colline. C’était un drôle d’endroit. Tout, autour de Brindille, était en mouvement. On la bousculait. — Pousse-toi de là ! dit quelqu’un. — Ne reste pas en plein milieu ! dit un autre. Brindille en tremblait. Elle sentit soudain que quelqu’un la soulevait, la tête en bas. — Lâchez-moi ! cria-t-elle.
  • 12. — Pardon ! répondit le singe, je t’avais prise pour une pomme. On m’en donne parfois. — N’aie pas peur! dit une vieille. Gilles est un petit singe très gentil. Puis elle couvrit Brindille avec son châle. — La nuit est là, dit-elle doucement, il faut rentrer. Dans une chambre sous les toits, elle coucha Brindille entre les couvertures, la borda, l’embrassa et ne dit plus rien parce que l’enfant s’était endormie. Au matin, Gilles secoua Brindille : — Hé, la pomme ! Tu ne vas pas passer l’hiver à dormir ! — Je ne crois pas... soupira Brindille. — Habille-toi chaudement, conseilla la vieille dame, il fait froid dans le square. — Regarde-moi bien ! cria Gilles. Et il escalada à toute vitesse l’arbre le plus proche. — Incroyable, non ? — C’est à la portée de n’importe qui ! répliqua Brindille. — Et ça, tu ne l’as jamais fait ! Gilles s’élança en bondissant d’un arbre à l’autre. — Et hop, et hop! Mais tout à coup, une branche gelée se rompit et Gilles tomba de plusieurs mètres. Brindille se précipita. Le singe ne bougeait plus. On le ramena tristement à la maison. La vieille dame l’entoura avec une écharpe, mais Gilles avait une patte cassée et restait évanoui. — Il y a sûrement quelque chose à faire ! sanglota Brindille. Mon papa saura peut-être... Sur la colline, l’arbre dormait profondément. — Mon petit papa, chuchota Brindille, j’ai un ennui. Un de mes amis est tombé malade... Alors il se passa quelque chose d’extraordinaire. L’arbre fit une feuille, en plein hiver, une toute petite au bout d’une branche. Et il grommela dans son sommeil : — Une tisane ! Une tisane avec une de mes feuilles, ça fait toujours du bien quand on est patraque ! Brindille cueillit la petite feuille et prit aussi quelques noisettes pour la route. L’arbre ronflait. Dès la première cuillerée de tisane, Gilles se sentit beaucoup mieux. — Heureusement qu’il y a les arbres, dit Brindille. De jour en jour, le singe retrouvait sa bonne humeur, et Brindille guettait l’arrivée du printemps. Enfin, le vent apporta un petit bourgeon tout vert et parfumé.
  • 13. — Mon arbre s’est réveillé, annonça Brindille. — On t’accompagne un bout de chemin, proposa Gilles. L’arbre sifflotait, très occupé à fabriquer des feuilles et des bourgeons. — Où étais-tu passée ce matin ? demanda-t-il, surpris. — Je te raconterai, dit Brindille, tu as bien dormi ? — Comme une souche. — Bonjour, dit le singe. — C’est drôle, j’ai l’impression de vous connaître déjà, s’étonna l’arbre. Brindille pouffa derrière sa main. — Je t’expliquerai tout... dit-elle, mais plus tard. Maintenant, si on jouait à cache-cache- feuille? Magali Bonniol La fille de l’arbre Paris, L’école des loisirs, 2002
  • 14. Rebelle le Loup REBELLE LE LOUP Dans la forêt, Rebelle, le loup solitaire, hurle à l’heure du crépuscule. Rebelle a quitté son territoire. Trop petit. Le gibier était si rare, qu’il ne suffisait plus à nourrir la meute. Il cherchera d’autres loups : qui voudront l’accepter. Ailleurs. Sûrement. Il erre des jours entiers. La nuit, sous les étoiles. Et il hurle : seul. Rebelle fait un grand détour. Vers le Nord. Par trois fois, il s’arrête pour se reposer. Il brise la glace qui recouvre une mare. Pour boire avidement. Le vent hurlant durci la neige. Au lever du soleil, Rebelle a atteint le Grand Pays des lacs. Il a faim. Et la mort le guette. Il n’a pas chassé depuis si longtemps. Avec sa meute. Au point du jour, quand le vent s’est calmé, Rebelle s’arrête. Il a senti le fumet d’un animal. Un vieux cerf : il le chassera. Seul. Durant des heures, le loup affamé poursuit sa proie. A travers les bois. Soudain : il baise la gorge du cerf épuisé. D’un coup de croc. Et le dévore en toute hâte. Après quatre jours et quatre nuits de marche, Rebelle s’enfonce dans la Forêt Bleue. Au Nord-Ouest des Grands lacs. Ses forces sont revenues. Il marche de plus en plus vite. Il ne peut plus être seul. Il doit rencontrer une louve : qui l’accompagnera. C’est la fin du jour. Le soleil a glissé, lentement, derrière la masse grise des nuages. Sur le sol blanc, des traces de pas et quelques poils entremêlés, l’avertissent qu’il pénètre sur le territoire d’une meute. Rebelle entonne son chant plaintif. Pour appeler d’autres loups. Un hurlement lui fait écho.
  • 15. A son tour, Rebelle répond. Son cri n’est plus mélancolique. Il sent la présence de ses semblables. Non loin de là, sur un promontoire rocheux, immobiles, les ombres des loups surveillent leur vaste domaine. Rebelle s’approche lentement. Il incline la tête. Comme s’il se soumettait. Il distingue devant lui, assis en demi-cercle, huit loups. Leurs regards jaunes fixés sur lui. Le vent, au sommet de sa fureur, tourbillonne. Imperturbable, la meute attend. Puis d’un seul coup, se lève et avance. Et l’encercle. Et le flaire. Gueule contre gorge, les loups claquent des mâchoires. Babines retroussées, ils grognent terriblement. Le chef de meute est une jeune louve. Dans l’obscurité, elle observe rebelle. Si elle ne veut pas de lui, il devra fuir. Quand elle apparaît, soudain, à la clarté de la lune, avec sa robe blanche et ses yeux couleur d’or fondu, Rebelle sait qu’il l’aimera toujours. Jusqu’à la nuit des temps. Brusquement, la jeune louve donne un coup de tête. C’est le signal de l’attaque. Les loups se jettent sur l’intrus, le bousculent. Sans le mordre. Tout en le mettant à l’épreuve. C’est la coutume : s’il veut être accepté. Déjà, les loups s’éloignent. Seule la louve est restée. Rebelle fait un bond de côté, décrit trois cercles. Il s’incline de nouveau. Elle, exécute à son tour la même danse rituelle. Tous deux se frôlent et s’immobilisent enfin. Effrontée et fière, la louve mordille son museau, bondit par-dessus lui et s’esquive en courant. Ils tournent comme des fous entre les arbres, laissant la meute somnoler. C’est Rebelle que la louve a choisi. Le soleil embrase la cime des pins. Au creux d’un vieil arbre qui les protège du vent, ils s’endorment. Serrés l’un contre l’autre. Jacqueline Delaunay Rebelle le loup Paris, Editions Syros, 1993
  • 16. L’enfant qui parlait aux animaux L’enfant qui parlait aux animaux Willy le Jamaïcan est au comble de la fierté : il vient de pêcher une tortue géante. Renversée sur le dos, elle agonise en agitant ses grotesques nageoires... Des touristes contemplent la scène en riant. Seule une petite voix indignée s'élève, celle d'un tout jeune garçon... Il n’y a pas très longtemps, je décidai de passer quelques jours de vacances aux Antilles. Des amis m’avaient raconté que c’était un endroit merveilleux où je paresserais toute la journée, me dorant au soleil sur des plages argentées et nageant dans une mer chaude et verte. Je choisis la Jamaïque et pris le vol direct Londres-Kingston. Le trajet de l’aéroport jusqu’à mon hôtel, sur le littoral nord, dura deux heures. Des montagnes aux forêts sombres et luxuriantes couvraient l’île. Le gros Jamaïquain qui conduisait le taxi me disait qu’à l’intérieur de ces forêts vivaient des communautés d’êtres diaboliques qui pratiquaient encore le vaudou, la sorcellerie et autres rituels magiques. Mon hôtel était situé au sud d’une plage nacrée et le site était encore plus beau que je ne l’avais imaginé. Mais en franchissant les grandes portes de l’entrée, je me sentis mal à l’aise. Il n’y avait aucune raison, car apparemment tout allait bien, pourtant je n’arrivais pas à me débarrasser de cette impression. L’hôtel avait quelque chose d’étrange et de sinistre. Malgré le luxe et la beauté, il y avait une menace dans l’air, une odeur de danger qui flottait comme un gaz empoisonné. Et je n’étais pas sûr que c’était seulement l’hôtel. L’île entière, les montagnes, les forêts, les rochers noirs qui bordaient la côte, les arbres croulant sous des fleurs d’un rouge éclatant, tout cela et bien d’autres choses faisaient que je me sentais mal à l’aise. Cette île recelait quelque force maligne, je le pressentais. Ma chambre d’hôtel avait une petite terrasse d’où je pouvais descendre jusqu’à la plage
  • 17. de cocotiers. De temps à autre, une énorme noix de coco verte, grosse comme un ballon de football, tombait du ciel et venait s’écraser sur le sable avec un bruit sourd. Le second soir de mon arrivée, j’étais à ma terrasse avec un livre sur les genoux et un grand verre de punch à la main. Je ne lisais pas, j’observais un petit lézard vert qui poursuivait un autre petit lézard vert, sur sol, à six pieds de moi. Le chasseur suivait l’autre très lentement, avec d’infinies précautions, et lorsqu’il fut près de l’atteindre, sa longue langue jaillit et toucha la queue du deuxième. Celui-ci se retourna d’un bond et les deux lézards se firent face, sans bouger, collés au sol, très tendus, en se regardant. Puis soudain, ils se mirent à exécuter un drôle de petite danse sautillante. Ils sautillaient en l’air, en arrière, en avant, sur les côtés. Ils tournaient comme deux boxeurs, bondissant, caracolant, tout en dansant. C’était un spectacle étrange et je pensais qu’ils effectuaient une sorte de rituel amoureux. Je restais immobile, attendant la suite. Mais je ne vis jamais la suite parce qu’à ce moment là, je réalisai qu’en bas, sur la plage, il y avait une extraordinaire agitation. D’un coup d’œil, j’aperçus une foule de gens rassemblée au bord de l’eau, près d’un canoë de pêche que l’on tirait sur le sable. J’en déduisis que le pêcheur avait dû faire une bonne prise et que la foule était venue regarder. J’ai toujours été fasciné par la pêche. Je posai mon livre et me levai. D’autres personnes de l’hôtel descendaient de la véranda et couraient sur la plage pour rejoindre l’attroupement, au bord de l’eau. Les hommes portaient ces épouvantables bermudas qui descendent jusqu’aux genoux et des chemises roses, orange et autres couleurs violentes... de quoi attraper la jaunisse. Les femmes avaient meilleur goût et la plupart étaient vêtues de jolies robes en coton. Presque tous tenaient un verre à la main. Mais ce n’était pas la pêche l’objet des regards. C’était une tortue, une tortue qui gisait sur le dos, dans le sable. Mais quelle tortue ! Elle était gigantesque, un vrai mammouth. Je n’aurais jamais pensé qu’une tortue pût être aussi énorme. Comment donner une idée de ses dimensions ? Je crois que si elle avait été sur ses pattes, un homme de grande taille aurait pu s’asseoir sur son dos sans que ses pieds touchent terre. Elle avait peut-être cinq pieds de long et quatre de large, avec une haute carapace en forme de dôme, de toute beauté. Les pêcheurs qui l’avaient capturée l’avaient renversée sur le dos pour l’empêcher de fuir. Ils avaient aussi enroulé une grosse corde autour de sa carapace, et l’un d’eux, un Noir élancé, vêtu seulement d’un pagne, tenait fièrement cette corde à deux mains, à une courte distance son long cou ridé. Ses quatre grosses nageoires, munies de fortes griffes acérées, battaient l’air désespérément. — Reculez, mesdames et messieurs, s’il vous plaît ! cria le pêcheur. Restez en arrière. Ses griffes sont rudement dangereuses ! Elles peuvent vous arracher un bras ! La foule des clients de l’hôtel était à la fois effrayée et ravie par ce spectacle. Une douzaine d’appareils photo surgirent et se mirent à mitrailler l’animal. De nombreuses femmes poussaient des cris de plaisir et s’agrippaient aux bras de leurs hommes. Quant aux hommes,
  • 18. ils manifestaient leur courage et leur virilité en faisant des réflexions stupides à haute voix : — Hé ! Al ! Et si tu faisais des montures de lunettes en écaille avec sa carapace ? Ça serait joli, hein ? — Ce satané machin doit peser plus d’une tonne ! — Elle peut vraiment flotter ? — Bien sûr. C’est aussi une excellente nageuse. Elle remorquerait un bateau facilement. — Elle est carnassière ? — Non, les tortues carnassières ne sont pas aussi grosses. Mais attention, elle vous arrachera la main en moins de deux si vous vous approchez trop. — C’est vrai ? demanda l’une des femmes au pêcheur. Elle pourrait arracher la main de quelqu’un ? — Oui, ça pourrait arriver très vite, répondit le pêcheur en souriant de ses dents blanches et étincelantes. Quand elle est dans l’Océan, elle ne vous fait pas de mal. Mais si vous la capturez, que vous la tirez sur la rive et que vous la renversez comme ça, alors, diable de diable, gare ! Elle attrape tout ce qui se trouve à sa portée ! — Je crois que si j’étais à sa place, je ne serais pas non plus de très bonne humeur, dit la femme. Un imbécile avait trouvé une planche de bois sur le sable et il la tirait vers la tortue. C’était une planche de belle taille, environ cinq pieds de long et peut-être un pouce d’épaisseur. Il se mit à taper la tête de la tortue. — Ne faites pas ça, dit le pêcheur. Ça la met en colère. Quand le bout de la planche toucha le cou de la tortue, l’énorme tête se retourna vivement, la gueule s’ouvrit et snap ! elle attrapa la planche et la broya comme un morceau de fromage. — Wow ! cria la foule. Vous avez vu ça ? Encore heureux que ce ne sait pas un bras ! — Laissez-la tranquille, dit le pêcheur. Ça ne sert à rien de l’exciter. Un homme ventripotent, aux hanches larges et aux très courtes jambes, s’approcha du pêcheur et lui dit : — Ecoute, mon gars, je veux cette carapace. Je te l’achète. Il se tourna vers sa corpulente épouse : — Tu sais ce que je vais faire, Mildred ? Je vais ramener cette carapace à la maison et la faire astiquer par quelqu’un du métier. Puis je la placerai au beau milieu de notre salle à manger. C’est pas une idée, ça ? — Fantastique, répliqua l’épouse rondelette. Vas-y, mon chou, achète-la. — Ne t’inquiète pas, dit-il, c’est comme si c’était déjà fait. Il demanda au pêcheur : — Combien pour cette carapace ? — Je l’ai déjà vendue, répondit le pêcheur. La carapace et tout.
  • 19. — Pas si vite, mon gars, dit l’homme ventripotent. Je te paierai davantage. Allons, on t’a offert combien ? — Impossible, dit le pêcheur. Elle est déjà vendue. — A qui ? demanda l’homme ventripotent. — Au directeur. — A quel directeur ? — Le directeur de l’hôtel. — Vous avez entendu ça ? hurla un autre homme. Il l’a vendue au directeur de notre hôtel ! Et vous savez ce que ça signifie ? De la soupe à la tortue ! Parfaitement ! — C’est vrai ! Et du bifteck de tortue. Tu as déjà mangé du bifteck de tortue, Bill ? — Jamais, Jack, mais j’en meurs d’envie. — Un bifteck de tortue, c’est meilleur que du vrai bifteck, si on le prépare bien. C’est plus tendre et ça a un de ces goûts ! — Ecoute, dit l’homme ventripotent au pêcheur, ce n’est pas la viande qui m’intéresse. Le directeur peut la garder comme il peut garder tout ce qui est à l’intérieur, même dents et ongles des pieds compris. Moi, ce que je veux, c’est la carapace. — Et tel que je te connais, mon chou, lui dit sa femme en le regardant d’un air radieux, tu l’auras. Quant à moi, j’écoutais ces êtres humains parler de tuer, de manger et d’apprécier le goût d’un animal qui paraissait, même sur le dos, rempli d’une extraordinaire majesté. Une chose était certaine. Cette tortue était plus âgée qu’aucun d’entre eux. Elle avait navigué dans les eaux vertes des Antilles pendant probablement cent cinquante ans. Elle existait déjà à l’époque où George Washington était président des Etats-Unis ou lorsque Napoléon avait été battu à Waterloo. Sans doute était-elle alors très jeune, mais elle existait certainement. Et maintenant, elle gisait là, renversée su cette plage, attendant d’être sacrifiée pour de la soupe et du bifteck. Elle était évidemment alarmée par tout le bruit et tous les cris qu’il y avait autour d’elle. Elle tendait son vieux cou ridé et tortillait son énorme tête, comme si elle cherchait quelqu’un qui lui expliquerait pourquoi on la maltraitait ainsi. — Comment allez-vous l’amener jusqu’à l’hôtel ? demanda l’homme ventripotent. — On va la traîner sur la plage avec la corde, répondit le pêcheur. Le personnel arrivera bientôt pour la prendre. On a besoin de dix hommes qui tirent tous en même temps. — Hé ! écoutez ! s’écria un jeune homme musclé. Pourquoi ne pas la tirer nous-mêmes ? Le jeune homme musclé était poitrine nue et il portait des bermudas vert pomme et cramoisi. Il avait un torse exceptionnellement velu, et de toute évidence, il aimait le montrer. — Qui ose dire qu’on ne veut pas travailler pour gagner notre dîner ? cria-t-il en bombant les muscles. Allez, les gars ! Qui vient faire un peu d’exercice ?
  • 20. — Formidable ! hurlèrent les autres. Excellente idée ! Les hommes tendirent leurs verres à leurs femmes et s’élancèrent pour saisir la corde. Ils se mirent à la queue leu leu, comme pour une lutte de traction, et l’homme au torse velu, placé en tête, se nomma lui-même chef d’équipe. — Allez-y, les gars ! brailla-t-il. Quand je dis Ho hisse, vous soulevez tous à la fois, compris ? Le pêcheur n’appréciait pas beaucoup cela. — Il vaut mieux laisser ce travail à l’hôtel, dit-il. — Balivernes ! hurla Torse velu. Ho hisse, les gars ! Ho hisse ! Tous soulevèrent. La tortue géante s’agita sur son dos et faillit basculer. — Ne la renversez pas ! hurla le pêcheur. Vous allez la renverser, si vous faites ça ! Et si elle se remet sur ses pattes, elle va s’enfuir ! — Du calme, mon petit gars, dit Torse velu d’un ton condescendant. Comment pourrait- elle fuir ? Elle est attachée à une corde, non ? — Cette vieille tortue vous entraînera tous avec elle, si elle peut ! cria le pêcheur. Elle vous entraînera tous dans l’Océan ! —Ho hisse! hurla Torse velu, sans plus faire attention au pêcheur. Tirez, les gars ! Tirez! Alors la tortue géante se mit à glisser très doucement le long de la plage, en direction de l’hôtel, vers les cuisines, là où l’attendaient les longs couteaux. La troupe des femmes, des plus âgés, des plus gros et des moins musclés suivait derrière, en les encourageant bruyamment. — Ho hisse ! vociférait le chef d’équipe au torse velu. Du cran, les gars ! Vous pouvez tirer plus que ça ! Soudain, j’entendis des cris. Tout le monde les entendit. Ils étaient si aigus, si stridents, si pressants, qu’on les aurait entendus de n’importe où. — Noon ! Noon ! Non ! Non ! Non !... La foule se figea. Les hommes qui tiraient sur la corde s’arrêtèrent et les spectateurs cessèrent leurs encouragements. Toutes les personnes présentes se retournèrent vers l’endroit d’où provenaient ces cris. Je vis venir trois personnes de l’hôtel, un homme, une femme et un petit garçon. Le petit garçon courait et entraînait l’homme sur la plage. L’homme le retenait par le poignet mais l’enfant courait toujours. En même temps, il sautait, gigotait et se débattait pour se libérer de l’étreinte de son père. C’était ce petit garçon qui criait. — Non ! hurlait-il. Ne faites pas ça ! Libérez-la ! S’il vous plaît, libérez- la ! La femme – sa mère – essayait de lui attraper l’autre bras pour le retenir, elle aussi, mais le petit garçon sautait tellement qu’elle n’y arrivait pas. — Libérez-la ! hurlait l’enfant. C’est horrible, ce que vous faites ! S’il vous plaît, libérez- la ! — Arrête, David ! dit sa mère qui essayait toujours de lui attraper l’autre bras. Ne joue pas le bébé ! Tu te rends ridicule.
  • 21. — Papa ! cria l’enfant. Papa ! Dis-leur de la libérer ! — Je ne peux pas faire ça, David, dit le père. Ça ne me regarde pas. Les tireurs de corde s’étaient immobilisés, sans lâcher prise. Stupéfaits, silencieux, ils fixaient l’enfant. Ils se sentaient tous un peu désorientés maintenant. Ils avaient l’air légèrement confus des gens qu’on vient de surprendre en train d’accomplir un acte pas très reluisant. — Allons, viens, David, dit le père en tâchant d’entraîner son fils. Rentrons à l’hôtel et laissons ces personnes tranquilles. — Je ne veux pas rentrer ! fit l’enfant. Je ne veux pas rentrer ! Je veux qu’ils la libèrent ! — Voyons, David, dit la mère. — File, moutard, dit l’homme au torse velu. — Vous êtes horrible et cruel ! Vous êtes tous horribles et cruels ! Il jeta ces mots d’une voix aiguë et stridente aux quarante ou cinquante adultes qui étaient sur la plage, et cette fois-ci, personne, pas même l’homme au torse velu, ne lui répondit. — Pourquoi ne la remettez-vous pas à la mer ? hurlait l’enfant. Elle ne vous a rien fait ! Libérez-la ! Quoique gêné, le père n’avait pas honte de son fils. — Il raffole des animaux, dit-il en s’adressant à la foule. A la maison, il a tous les animaux possibles et imaginables. Il leur parle. — Il les adore, dit la mère. Plusieurs personnes commencèrent à piétiner sur le sable. Ici et là, dans la foule, on pouvait sentir un léger changement d’humeur, un sentiment de malaise et même un peu de honte. L’enfant, qui n’avait pas plus de huit ou neuf ans, avait maintenant arrêté de lutter contre son père qui le tenait toujours par le poignet, mais plus doucement. — Allez ! criait l’enfant. Libérez-la ! Détachez la corde et libérez-la ! Il faisait face à la foule du haut de sa petite taille, les yeux brûlants comme des étoiles, et les cheveux ébouriffés par le vent. Il était magnifique. — Nous ne pouvons rien faire, David, dit doucement le père. Rentrons. — Non ! cria l’enfant. Il se secoua et libéra son poignet de l’étreinte de son père. Il fila comme une flèche sur le sable, vers la tortue géante. — David ! hurla le père en se jetant à sa poursuite. Arrête ! Reviens! Le petit garçon s’échappa et fendit la foule comme un joueur de football qui court avec son ballon, et la seule personne qui s’élança pour essayer de l’arrêter fut le pêcheur. — Ne t’approche pas de cette tortue, mon garçon ! cria-t-il en se précipitant vers l’enfant. Mais celui-ci l’évita et continua à courir. — Elle va te broyer en petits morceaux ! hurla le pêcheur. Arrête, mon garçon ! Arrête !
  • 22. Trop tard. L’enfant était arrivé à la hauteur de la tête de l’animal. La tortue l’aperçut et l’énorme tête se tourna vivement pour lui faire face. Alors s’éleva la voix de la mère, son gémissement douloureux et poignant. — David ! Oh, David! Le petit garçon tomba à genoux sur le sable, jeta ses bras autour du vieux cou ridé et serra l’animal contre sa poitrine. Il appuya sa joue contre la tête de la tortue et du bout des lèvres, il lui murmura des mots tendres que personne n’entendit. La tortue ne bougeait absolument pas et ses nageoires cessèrent même de battre l’air. La foule poussa un grand soupir, un long et doux soupir de soulagement. Plusieurs personnes reculèrent d’un pas ou deux, comme pour essayer de mettre à distance un événement qui dépassait leur entendement. Mais le père et la mère s’avancèrent à environ dix pieds de leur fils. — Papa ! cria le petit garçon en caressant toujours la vieille tête brune, je t’en prie, fais quelque chose, papa ! S’il te plaît, dis-leur de la libérer ! — Que se passe-t-il ? demanda un homme vêtu d’un costume blanc qui venait de descendre de l’hôtel. Il s’agissait, tout le monde le savait, de Mr. Edwards, le directeur. C’était un grand Anglais au nez crochu, avec une longue figure rose. — Extraordinaire ! dit-il en regardant l’enfant et la tortue. Quelle chance qu’elle ne lui ait pas arraché la tête ! Il dit à l’enfant : — Eloigne-toi, maintenant, petit. Cette bête est dangereuse. — Je veux qu’ils la libèrent ! cria le petit garçon en berçant toujours la tortue contre lui. Dites-leur de la libérer ! — Est-ce que vous vous rendez compte qu’elle peut le tuer à tout moment ? dit le directeur au père. — Laissez-le tranquille, dit le père. — Quelle idiotie ! dit le directeur. Allez vite l’attraper ! Et soyez prudent ! — Non, dit le père. — Comment, non ? fit le directeur. Mais ces bêtes peuvent tuer quelqu’un ! Vous ne comprenez pas ? — Si, répondit le père. — Alors, pour l’amour du ciel, emmenez-le ! s’écria le directeur. Si vous ne l’emmenez pas, ça va être affreux. — A qui est-elle ? demanda le père. A qui est cette tortue ? — A nous, dit le directeur. L’hôtel l’a achetée. — Rendez-moi un service, dit le père. Vendez-la moi. Le directeur regarda le père sans répondre. — Vous ne connaissez pas mon fils, dit le père d’une voix tranquille. Si vous emmenez cette tortue à l’hôtel et si vous la tuez, il piquera une crise, il deviendra fou.
  • 23. — Attrapez-le, dit le directeur, et en vitesse. — Il adore les animaux, continua le père. Vraiment, il les adore. Il communique avec eux. La foule se taisait, comme hypnotisée. — Si on la libère, dit le directeur, les pêcheurs l’attraperont une autre fois. — Peut-être, dit le père. Mais ces tortues savent nager. — Bien sûr qu’elles savent nager, dit le directeur. Mais on l’attrapera quand même. C’est une prise de valeur, mettez-vous ça dans la tête. La carapace à elle seule vaut une fortune. — Peu m’importe le prix, dit le père. Ne vous en inquiétez pas. Je veux l’acheter. Le petit garçon était toujours agenouillé sur le sable, à côté de la tortue, lui caressant la tête. — Mr. Edwards, dit le père, vous me rendrez un très grand service si vous me la vendez. Et vous ne le regretterez pas, je vous le promets. Vous verrez. Le directeur leva légèrement les sourcils. Il avait compris : on lui offrait une grosse somme d’argent. Voilà qui changeait le problème. Il continua quelques secondes à s’essuyer les mains avec son mouchoir. Puis il haussa les épaules et dit : — Bien, si ça peut faire plaisir à votre fils. — Merci, dit le père. — Oh, merci ! s’écria la mère. Merci beaucoup ! — Willy ! fit le directeur en faisant signe au pêcheur. Celui-ci s’approcha. Il semblait complètement éberlué. — Je n’ai jamais vu ça de ma vie, dit-il. Cette vieille tortue est la plus féroce que j’aie jamais attrapée. Elle s’est battue comme une diablesse quand nous l’avons ramenée. Il a fallu qu’on se mette à six pour la décharger. Ce petit est cinglé ! — Oui, je sais, dit le directeur. Mais maintenant, je veux que tu la libères. — La libérer ? s’écria le pêcheur, médusé. Pas celle-ci, Mr. Edwards ! Elle bat tous les records ! C’est la plus grosse tortue que j’aie attrapée sur cette île ! De loin la plus grosse ! Et l’argent ? — Tu auras ton argent. — Je veux que les autres aussi soient payés, dit le pêcheur. Il désignait cinq Noirs à moitié nus, à côté d’une seconde barque, à quelques centaines de yards, au bord de l’eau. — On l’a eue à nous six, il faut qu’on soit tous payés, continua le pêcheur. Je ne la libère pas tant qu’on n’a pas l’argent. — Je te garantis que vous l’aurez, dit le directeur. Ça ne te suffit pas ? — Je le confirme, ajouta le père de l’enfant en s’avançant. Et en plus, il y aura une prime pour les six pêcheurs si vous la libérez tout de suite. Et quand je dis tout de suite, ça veut dire tout de suite.
  • 24. Le pêcheur regarda le père, puis le directeur. — O.K., dit-il, puisque c’est ce que vous voulez. — Une autre condition, dit le père. Avant de toucher votre argent, vous devez promettre de ne pas essayer de l’attraper aussitôt. En tout cas, pas cet après-midi. C’est bien compris ? — D’accord, dit le pêcheur. Marché conclu. Il fit demi-tour et descendit la plage, en appelant les cinq autres pêcheurs. Il leur hurla quelque chose que nous ne pûmes comprendre, et deux minutes plus tard, ils arrivaient tous les six. Cinq transportaient de longues et larges perches en bois. L’enfant était toujours agenouillé près de la tête de la tortue. — David, lui dit doucement son père. Tout va bien, à présent, David. Ils vont la libérer. Le petit garçon regarda autour de lui, sans enlever les bras du cou de la tortue. Il ne se leva pas. — Quand ? demanda-t-il. — Maintenant, répondit le père. Tout de suite. Il vaut mieux que tu t’éloignes. —Tu me le promets ? dit l’enfant. — Oui, David. Je te le promets. L’enfant enleva ses bras. Il se remit debout et recula de quelques pas. — Reculez ! hurla le pêcheur. Restez bien en arrière, s’il vous plaît ! La foule se dégagea un peu sur la plage. Les hommes lâchèrent la corde et reculèrent. Willy se mit à quatre pattes et se glissa prudemment à côté de la tortue. Puis il commença à défaire le nœud de la corde, tout en prenant garde aux grosses nageoires. Lorsqu’il eut détaché le nœud, Willy s’écarta, toujours à quatre pattes. Alors, les cinq autres pêcheurs s’avancèrent avec leurs perches. Ces perches avaient environ sept pieds de long et elles étaient extrêmement larges. Ils les calèrent sous la carapace de la tortue et se mirent à balancer l’énorme bête d’un côté, de l’autre. La carapace avait un dôme élevé, d’une forme qui facilitait le mouvement. — Une, deux ! scandaient les pêcheurs tout en la balançant. Une, deux ! Une, deux ! Une, deux ! Bien entendu, la vieille tortue était complètement affolée. Ses grosses nageoires fouettaient l’air, et sa tête n’arrêtait pas de rentrer et de surgir de sa carapace. — Elle va basculer ! scandaient les pêcheurs. Une, deux et hop ! Elle va basculer ! Une autre fois et ça y est ! La tortue bascula sur le côté et retomba pesamment sur ses pattes, dans le sable. Elle ne s’en alla pas tout de suite. L’énorme tête brune surgit de la carapace pour regarder bien autour d’elle. — Allons, tortue, vas-y ! cria le petit garçon. Retourne à la mer ! La tortue leva ses yeux noirs et enfoncés sur le petit garçon. Ses yeux étaient brillants, vifs, pleins de la sagesse que donne le grand âge. L’enfant lui rendit son regard et, lorsqu’il lui
  • 25. parla, ce fut d’une voix douce et amicale : — Au revoir, ma vieille, dit-il. Et cette fois, va très loin. Les yeux noirs restèrent fixés sur l’enfant pendant quelques secondes. Personne ne bougeait. Puis, avec une grande dignité, l’énorme bête se retourna et se dirigea vers le bord de l’eau en se dandinant, sans se presser. Elle traversa posément la plage de sable et sa grosse carapace se balançait doucement. La foule regardait en silence. La tortue entra dans l’eau. Elle continua d’avancer. Bientôt, elle nageait. Maintenant, elle se trouvait dans son élément. Elle nageait avec grâce, et très vite, la tête bien haute. Dans la mer calme, elle faisait de petites vagues qui s’étalaient en éventail derrière elle, comme le sillage d’un bateau. En quelques minutes, elle avait effectué la moitié du chemin qui la séparait de l’horizon, puis nous la perdîmes de vue. Subjugués, les clients commencèrent à se disperser vers l’hôtel. A présent, ils ne songeaient plus à rire, à plaisanter, ni à railler. Il s’était passé quelque chose. Un événement étrange s’était produit sur la plage. Roald Dahl L’enfant qui parlait aux animaux Paris, Gallimard Jeunesse, 2007 (Adaptation)
  • 26. L’ARBRE QUI CHANTE Vincendon, un ami de grand-père, soutient que le vieil arbre n'est pas mort. « Les arbres ne meurent jamais ! dit-il. Et je vous le prouverai en le faisant chanter votre vieil érable. » Vincendon est-il magicien ? C'était un matin de janvier. Un de ces beaux matins blancs et secs pareils à ces vieux montagnards qui ont du givre à leurs moustaches et des yeux pétillants de soleil. Il avait neigé toute la nuit à gros flocons serrés. Puis, le jour venu, un grand souffle de vent du nord avait débarbouillé le ciel. Derrière la maison, la forêt qui commence au pied de la montagne s'était endormie dans un grand silence glacé. Entre les arbres, les ombres étaient bleues. Les sapins ployaient encore sous leur charge de neige, car le vent de l'aube n'avait soufflé que pour chasser les nuages. Isabelle et Gérard habitaient là, tout près du bois, dans la maison de leurs grands- parents. C'était une toute petite maison aux murs gris et aux volets verts. Elle se trouvait à l'écart du village que l'on devinait à peine, ce matin-là, très loin, au bord de la rivière gelée. On ne voyait même plus le chemin qui court entre les champs et traverse la prairie. De la fenêtre, les deux enfants essayaient de le suivre du regard. Ils le trouvèrent très facilement jusqu'au premier tournant, près du gros érable mort depuis deux ans et que le grand-père ne s'était pas encore décidé à couper, mais, plus loin, tout se confondait. Tandis qu'ils regardaient ainsi, le nez collé à la vitre, Isabelle et Gérard virent passer un oiseau, puis un autre, puis tout un vol qui se percha sur la treille d'où tombèrent des paquets de neige. ― Ils ont froid, dit Isabelle. Il faut leur donner des graines ou du pain. Elle prépara des graines, et Gérard ouvrit la fenêtre. ― Ferme vite, cria Grand-père, tu vas faire entrer tout l'hiver dans la cuisine !
  • 27. Les enfants se mirent à rire. Comme si l'hiver pouvait entrer dans une maison ! Isabelle jeta ses graines sur le sentier que Grand-père avait balayé pour aller jusqu'au bûcher chercher du bois. Grand-mère se mit à tousser et souleva les cercles de fonte de la cuisinière pour enfourner une énorme bûche dans le foyer. Dès que la fenêtre fut refermée, deux oiseaux quittèrent la treille pour venir picorer. Les autres semblaient inquiets, mais, comme rien ne bougeait, ils s'envolèrent à leur tour tandis que d'autres tombaient du toit, tout droit, presque sans battre des ailes. ― Ils n'auront jamais assez de graines, dit Isabelle. Il en vient de plus en plus. ― Mais si, mais si ! cria Grand-mère. Si tu leur donnes tout, ce sont mes poules qui n'auront plus rien ! ― Et si tu continues, tu finiras par attirer tous les oiseaux de la forêt, renchérit Grand- père. Isabelle se résigna et revint à la fenêtre. Elle resta un long moment à côté de son frère, essuyant la vitre quand la buée l'empêchait de voir. Soudain, elle empoigna le bras de Gérard en disant: ― Regarde, sur le chemin ! Gérard leva les yeux. Là-bas, plus loin que le gros érable mort, un animal curieux avançait dans la neige. Il ressemblait beaucoup au petit lapin mécanique que le Père Noël avait apporté à Gérard quelques années plus tôt. Comme le jouet, il sautillait, vacillait de droite à gauche et s'arrêtait à chaque instant. Toujours comme le lapin, il était vêtu de poils gris et portait de longues oreilles qui se rejoignaient au sommet de son crâne. Cette apparition était tellement surprenante que les enfants oublièrent les oiseaux. Ils restaient bouche bée, observant sans mot dire cet animal étrange dont les yeux, par moments, lançaient des éclats de lumière. Quand le lapin, qui marchait uniquement sur ses pattes de derrière, eut atteint la haie bordant le jardin, les enfants ne virent plus que sa tête. ― On dirait qu'il vient ici, murmura Gérard. ― C'est vrai, il fait le tour du jardin. Le lapin disparut et il y eut un long silence un peu angoissant. Les enfants retenaient leur souffle, l'oreille tendue. Bientôt, des pas sonnèrent sur les marches de pierre, et les oiseaux s'envolèrent si brutalement que les enfants sursautèrent. ― Vous n'avez rien entendu ? demanda Grand-père. Les deux petits hochèrent la tête. ― Qu'est-ce que ça peut bien être ? dit Grand-mère. À cette heure-ci, le facteur était encore loin. Les grands-parents n'avaient rien vu, et les enfants n'osaient répondre. Ils ne pouvaient tout de même pas dire: « C'est un lapin mécanique grand comme un homme qui arrive tout seul et bat de la semelle sur le palier ! » Il y eut encore un frottement contre la pierre, puis on entendit frapper à la porte. Les grands-parents se regardèrent, puis regardèrent la porte. Enfin, comme on frappait plus fort, Grand-père cria : ― Entrez !
  • 28. La porte s'ouvrit lentement, et ce fut tout d'abord une large bouffée de bise qui pénétra dans la cuisine. Cette fois, c'était le lapin qui apportait l'hiver dans son poil gris. Car c'était bien lui qui se tenait là, debout sur le seuil, tout surpris par la chaleur et l'odeur du feu de bois où cuisait la pâtée des vrais lapins. Grand-mère se précipite pour fermer la porte. Et voilà que le lapin se met à parler : ― Bonjour, bonjour, dit-il. Je viens très tôt, il faut m'excuser, mais… Les poils gris s'écartent à la hauteur du visage, de grosses lunettes paraissent, puis un nez tout rouge, puis des moustaches raides comme un balai de crin, puis un visage piqueté de barbe blanche pareille à celle de Grand-père. ― Mais c'est Vincendon ! s'exclame Grand-père. C'est Vincendon ! Et c'était vrai ! C'était bien Vincendon. Et ce fut seulement quand il eut ôté son bonnet à oreilles relevées et quitté sa pelisse dont le col montait à hauteur de ses yeux que les enfants eurent la certitude que le lapin mécanique était un homme. Ils ne l'avaient jamais vu, mais Grand-père leur avait souvent parlé de ce vieil ami. Le père Vincendon essuyait ses lunettes, il essuyait les larmes qui coulaient de ses yeux en répétant : ― Je vous vois à peine. La chaleur après le froid me fait toujours pleurer. Et mes lunettes sont couvertes de buée. Il n'y voyait pas, mais il pouvait parler et écouter. Bientôt, assis au coin du feu à côté de Grand-père, il se mit à raconter des histoires de sa jeunesse. Grand-père en racontait aussi. Ils parlaient en même temps, personne ne les écoutait, mais ils semblaient heureux tous les deux. Les enfants sont déjà retournés à la fenêtre. Il n'y a plus de graines, mais quelques oiseaux s'obstinent à chercher. Une ombre passe sur la neige, un gros oiseau noir descend pour aller se poser sur l'arbre mort. Gérard se retourne. ― Grand-père, il y a un aigle sur l'arbre mort ! Viens vite ! Viens vite voir, Grand-père ! Grand-père ne bouge pas, mais Vincendon se lève et rejoint les enfants. Ses lunettes rondes enfin propres sont sur son nez. Il dit : ― Ce n'est pas un aigle, c'est un corbeau. Et l'arbre, c'est un érable, mais il n'est pas mort. De son fauteuil, Grand-père crie : ― Il est mort depuis deux ans. Et je l'abattrai dès que je pourrai. ― Je te dis qu'il n'est pas mort, affirme Vincendon. Les arbres ne meurent jamais… ― Ne me raconte pas des choses pareilles, dit Grand-père, l'air surpris. Je t'assure que ça fait deux printemps qu'il n'a pas bourgeonné. Je te dis qu'il est mort et bon pour le feu. Vincendon les regarde tous, et pourtant, on dirait qu'il ne les voit pas, qu'il voit autre chose, très loin, bien plus loin que le bout de la plaine. ― Je vous répète que les arbres ne meurent jamais, dit-il… Et je vous le prouverai… Je vous le prouverai en faisant chanter votre vieil érable. Grand-père parait incrédule. Mais il se tait. Vincendon est son ami, sans doute ne veut-il pas le contrarier. Les enfants se regardent. Ont-ils bien entendu ? Déjà Vincendon a regagné
  • 29. son fauteuil et repris le cours de ses histoires. Et il va rester là jusqu'à la tombée de la nuit, partageant avec eux le repas du midi. Vincendon habitait tout au bout du pays, une maison dont les fenêtres regardaient couler la rivière. Dès qu'il entendit les roues ferrées crisser sur le gravier de la cour, Vincendon sortit sur le pas de sa porte. Il leva les bras dans un geste comique et s'écria : ― Diantre ! Voilà des clients sérieux ! Depuis le temps que je les attendais ! Il portait une chemise claire et un tablier de toile bleue qui tombait jusque sur ses pieds. Ses manches relevées laissaient paraître ses avant-bras maigres ; ainsi, ses mains semblaient encore plus grosses. Il aida Grand-père à transporter les planches jusqu'au fond d'une longue pièce un peu sombre où les enfants n'osèrent pas les suivre. Une odeur étrange venait jusqu'à eux, et ils demeuraient sur place, se tenant par la main. Pourtant, Vincendon les fit entrer dans une autre pièce plus claire. Au plafond, le soleil reflété par la rivière jouait en vagues folles. ― Vous me permettrez bien de terminer ce que j'ai commencé, dit Vincendon. Grand-père approuva, et le vieux bonhomme se remit au travail. Ses énormes mains qui semblaient si maladroites pouvaient manipuler les objets les plus menus et les plus fragiles. Vincendon expliqua qu'il polissait le rouage d'une serrure de coffret à secrets. Il faisait tout en bois, même les serrures et les charnières. Pour lui, le métal n'était qu'un serviteur du bois. ― Le bois, disait-il, c'est un matériau noble. Vivant ? toujours vivant. Le métal est bon à fabriquer les outils qui nous permettront de travailler le bois. Mais le bois… le bois… Quand il prononçait ce mot, ses yeux n'étaient plus les mêmes. Vincendon n'était pas un homme comme les autres : il était amoureux du bois. Il en parlait vraiment comme d'un être vivant, comme d'une personne de sa famille, avec qui il vivait depuis des années et des années. Avec le bois, il pouvait tout réaliser. De petits coffrets incrustés d'ivoire et de marqueteries compliquées. De petites tables dont les pieds étaient si minces que les enfants retenaient leur souffle de peur de les faire tomber. Les murs de son atelier étaient garnis d'outils posés sur les rayons ou suspendus à des râteliers. Il y avait des rabots de toutes dimensions et de toutes formes, des scies, des gouges, des ciseaux, des varlopes, des boîtes à coupes, des compas et bien d'autres instruments dont les enfants entendaient le nom pour la première fois. Et puis, il y avait des pots de colle, des bouteilles de vernis, des pains de cire et du bois partout. Du bois de toutes les essences, de toutes les formes, de toutes les couleurs. Comme Isabelle, qui est très curieuse, se dirigeait vers une petite porte et posait déjà sa main sur la poignée, Vincendon se précipita : ― Non, non, dit-il, n'entre pas là… C'est dans cette pièce qu'est mon secret. Isabelle pensa au cabinet de Barbe-Bleue, mais elle se mit à rire. Il y avait longtemps qu'elle ne croyait plus à tout cela.
  • 30. ― C'est mon secret, reprit Vincendon. Tu le connaîtras quand tu auras entendu chanter ton arbre. L'été passa trop vite, avec les vacances et les courses merveilleuses dans la campagne et la forêt. Les deux arbres plantés par Grand-père poussaient bien. Les oiseaux s'arrêtaient déjà. Vers la rentrée des classes, leurs feuilles commencèrent à jaunir et les grands vents d'automne les emportèrent au loin. Les deux petits érables semblaient morts, mais Gérard et Isabelle savaient qu'ils venaient seulement de s'endormir pour l'hiver. À cause des devoirs toujours difficiles et des leçons à apprendre, les deux enfants avaient oublié les gros érables et la promesse du père Vincendon. Un jeudi matin, quelques jours avant la Noël, les enfants comprirent dès le réveil que la neige était revenue. Il y avait un grand silence tout autour de la maison, et la lumière filtrait par les fentes des volets était plus blanche que celle des autres matins. Ils se levèrent très vite malgré le froid. ― Les oiseaux, dit Isabelle. Il faut penser aux oiseaux. Elle allait ouvrir la fenêtre pour jeter des graines lorsqu'elle aperçut, hésitant sur le sentier tout blanc, le lapin mécanique. ― Vincendon, c'est monsieur Vincendon ! C'était bien lui, vêtu de sa pelisse grise et de son bonnet à oreilles, mais il portait sous son bras un long paquet enveloppé de papier brun. Le vieil homme approchait lentement, évitant les congères et cherchant avec peine le tracé du chemin. Il passa les deux érables que l'on devinait à peine dans la grisaille, son bonnet dansa un moment au-dessus de la haie puis disparut. ― C'est lui, répétaient les enfants ! C'est bien lui ! Ils ne savaient pas ce qu'apportait Vincendon, mais leur cœur s'était mis à battre très fort. Dès que les semelles du vieil homme heurtèrent le seuil de pierre, Gérard courut ouvrir la porte. L'air qui entra en même temps que Vincendon était tout piqueté de minuscules flocons blancs. Le feu grogna plus fort, puis ce fut le silence. Ils étaient là tous les quatre, à regarder le père Vincendon et son paquet solidement ficelé. Vincendon posa son paquet sur la table, ôta ses lunettes, les essuya longuement, se moucha, remit ses lunettes et s'approcha du feu en frottant l'une contre l'autre ses grosses mains qui faisaient un bruit de râpe. ― Il fait meilleur ici que dehors, dit-il. Les enfants s'impatientaient. Chacun d'un côté de la table, ils regardaient le paquet sans oser y toucher. Le vieil homme semblait prendre plaisir à prolonger leur attente. Il les observait du coin de l'œil et adressa aux grands-parents des sourires complices. Enfin, il se retourna et dit :
  • 31. ― Alors, qu'est-ce que vous attendez pour l'ouvrir ? Ce n'est tout de même pas à moi de défaire le paquet. Quatre petites mains volèrent en même temps. Les nœuds étaient nombreux et bien serrés. ― Prête-nous tes ciseaux, Grand-mère… ― Non, dit Vincendon. Il faut apprendre la patience et l'économie. Défaites les nœuds et n'abîmez rien, je veux récupérer ma ficelle et mon papier. Il fallut patienter encore, se faire mal aux ongles, se chamailler un peu. Vincendon riait. Les grands-parents, aussi impatients que les enfants, attendaient, suivant des yeux chacun de leurs gestes. Enfin, le papier fut enlevé, et une longue boîte de bois roux et luisant apparut. Elle était plus large d'un bout que de l'autre. Vincendon s'en approcha lentement et l'ouvrit. À l'intérieur, dans un lit de velours vert, un violon dormait. ― Voilà, dit simplement le vieil homme. Ce n'était pas plus compliqué que ça. Les cordes, le velours et les crins de l'archet, tout se trouvait au cœur de votre arbre. ― Mon Dieu, répétait Grand-mère, qui avait joint ses mains en signe d'admiration. Mon Dieu, que c'est beau ! ― Ça alors !... ça alors ! bégayait Grand-père. Je te savais très adroit, mais tout de même ! Le vieil artisan souriait. Il passa plusieurs fois sa main sur sa moustache avant de dire : ― Vous comprenez pourquoi je ne voulais pas vous laisser entrer dans mon séchoir ? Vous auriez vu des violons, des guitares, des mandolines et bien d'autres instruments. Et vous auriez tout deviné. Eh oui ! je suis luthier. Je fais des violons… Et l'érable, voyez-vous, c'est le bois qui chante le mieux. Sa grosse main s'avança lentement pour caresser l'instrument, puis elle se retira toute tremblante. ― Alors, dit-il à Gérard. Tu ne veux pas essayer de jouer ? Tu ne veux pas faire chanter ton arbre ? Allons, tu peux le prendre, il ne te mordra pas, sois tranquille. Le garçon sortit le violon de son lit, et le prit comme il avait vu les musiciens le faire. Il posa l'archet sur les cordes et en tira un grincement épouvantable. Grand-mère se boucha les oreilles tandis que le chat, réveillé en sursaut, disparaissait sous le buffet. Tout le monde se mit à rire. ― Eh bien ! dit Grand-père, si c'est ce que tu appelles chanter ! ― Il faut qu'il apprenne, dit Vincendon en prenant l'instrument, qu'il plaça sous son menton.
  • 32. Et le vieux luthier aux mains énormes se mit à jouer. Il jouait en marchant lentement dans la pièce, en direction de la fenêtre. Immobiles, les enfants regardaient et écoutaient. C'était une musique très douce, qui semblait raconter une histoire pareille à ces vieilles légendes venues du fond des âges, comme le vent et les oiseaux qui arrivent en même temps du fond de l'horizon. Vincendon jouait, et c'était vraiment l'âme du vieil arbre qui chantait dans son violon. Bernard Clavel L’arbre qui chante Paris, Pocket Jeunesse, 2002
  • 33. Le Maître du Jardin Le Maître du Jardin Il était un roi d’Arménie. Dans son jardin de fleurs et d’arbres rares poussait un rosier chétif et pourtant précieux entre tous. Le nom de ce rosier était Anahakan. Jamais, de mémoire de roi, il n’avait pu fleurir. Mais s’il était choyé plus qu’une femme aimée, c’était qu’on espérait une rose de lui, l’Unique dont parlaient les vieux livres. Il était dit ceci : « Sur le rosier Anahakan un jour viendra la rose généreuse, celle qui donnera au maître du jardin l’éternelle jeunesse. » Tous les matins le roi venait donc se courber dévotement devant lui. Il chaussait ses lorgnons, examinait ses branches, cherchait un espoir de bourgeon parmi ses feuilles, n’en trouvait pas le moindre, se redressait enfin, la mine terrible, prenait au col son jardinier et lui disait : – Sais-tu ce qui t’attend, mauvais bougre, si ce rosier s’obstine à demeurer stérile ? La prison ! L’oubliette profonde ! C’est ainsi que le roi tous les printemps changeait de jardinier. On menait au cachot celui qui n’avait pu faire fleurir la rose. Un autre venait, qui ne savait mieux faire, et finissait sa vie comme son malheureux confrère, entre quatre murs noirs. Douze printemps passèrent, et douze jardiniers. Le treizième était un fier jeune homme. Il s’appelait Samuel. Il dit au roi : – Seigneur, je veux tenter ma chance. Le roi lui répondit : – Ceux qui t’ont précédé étaient de grands experts, des savants d’âge mûr. Ils ont tous échoué. Et toi, blanc-bec, tu oses ! – Je sens que quelque chose, en moi, me fera réussir, dit Samuel. – Quoi donc, jeune fou ? – La peur, seigneur, la peur de mourir en prison !
  • 34. Samuel par les allées du jardin magnifique s’en fut à son rosier. Il lui parla longtemps à voix basse. Puis il bêcha la terre autour de son pied maigre, l’arrosa, demeura près de lui nuit et jour, à le garder du vent, à caresser ses feuilles. Il enfouit ses racines dans du terreau moelleux. Aux premières gelées il l’habilla de paille. Il se mit à l’aimer. Sous la neige il resta comme au chevet d’un enfant, à chanter des berceuses. Le printemps vint. Samuel ne quitta plus des yeux son rosier droit et frêle, guettant ses moindres pousses, priant et respirant pour lui. Dans le jardin, des fleurs partout s’épanouirent, mais il ne les vit pas. Il ne regardait que la branche sans rose. Au premier jour de mai, comme l’aube naissait : – Rosier, mon fils, où as-tu mal ? A peine avait-il dit ces mots qu’il vit sortir de ses racines un ver noir, long, terreux. Il voulut le saisir. Un oiseau se posa sur sa main, et les ailes battantes lui vola sa capture. A l’instant un serpent surgit d’un buisson proche. Il avala le ver, il avala l’oiseau. Alors un aigle descendit du haut du ciel. Il tua le serpent, le prit dans ses serres, s’envola. Comme il s’éloignait vers l’horizon où le jour se levait, un bourgeon apparut sur le rosier. Samuel le contempla, il se pencha sur lui, il l’effleura d’un souffle, et lentement la rose généreuse s’ouvrit au soleil du matin. – Merci, dit-il, merci. Il s’en fut au palais en criant la nouvelle. Le roi était au lit. Il bâilla. Il grogna : – Moi qui dormais si bien ! – Seigneur, lui dit Samuel, la rose Anahakan s’est ouverte. Vous voilà immortel, ô maître du jardin ! Le roi bondit hors de ses couvertures, ouvrit les bras, rugit : – Merveille ! Qu’on poste cent gardes armés de pied en cap autour de ce rosier ! dit-il, gesticulant. Je ne veux voir personne à dix lieues à la ronde ! Samuel, jusqu’à ta mort, tu veilleras sur lui ! Samuel lui répondit : – Jusqu’à ma mort, seigneur. Le roi dans son palais régna dix ans encore, puis un soir il quitta ce monde en disant ces paroles : – Le maître du jardin meurt comme tout le monde. Tout n’était que mensonge. – Non, dit le jardinier, à genoux près de lui. Le maître du jardin, ce ne fut jamais vous. La jeunesse éternelle est à celui qui veille, et j’ai veillé, seigneur, et je veille toujours, de l’aube au crépuscule, du crépuscule au jour. Il lui ferma les yeux, baisa son front pâle, puis sortit sous les étoiles. Il salua chacune. Samuel avait le temps désormais. Tout le temps. Henri Gougaud L’Arbre d’Amour et de Sagesse Paris, Editions du Seuil, 1992
  • 35. L'DEUX OISEAUX Ce premier matin d’hiver, je ne bougeais pas. J’étais seul. Il faisait froid. Il est venu et s’est posé près de moi. Il a chanté et ça m’a réchauffé. Il m’a encouragé à voler. Je n’ai pas eu peur, j’ai fais mes premiers pas. Il m’a emmené par-dessus les arbres. Jamais je n’aurais cru en être capable. Il m’a parlé des graines, m’a donné les meilleures, a picoré les mauvaises. Avec lui j’ai appris à échapper au chat, si futé, si sournois. Il m’a montré comment couper d’un coup de bec un brin d’herbe sec. Il m’a appris à choisir un arbre, à y construire un nid pour élever mes petits. Il m’a fait voler jusqu’au ciel, oublier le paysage pour faire de grands voyages.
  • 36. Ce dernier soir d’hiver, nous nous sommes posés sur une branche, sans parler, en silence. Cette nuit-là, nous étions deux. Nous ne bougions pas. Il a fait très froid. Au premier matin du printemps, il n’était plus là. Je l’ai attendu. Il n’est pas revenu. Alors seulement, j’ai franchi le pas. À tire-d’aile, j’ai quitté seul cet endroit. Mais il volera toujours avec moi. Éric Battut Deux Oiseaux Paris, Autrement Jeunesse, 2004
  • 37. Commandements du Parc National Le parc national protège contre l’ignorance et le vandalisme Des biens et des beautés qui appartiennent à tous. Les défenseurs de la vie sont les amis du parc national. Les amis du progrès et de la paix sont les amis du parc national. Les sportifs, les artistes et les savants sont les amis du parc national. Voici l’espace, voici l’air pur, voici le silence. Le royaume des aurores intactes et des bêtes naïves. Tout ce qui vous manque dans les villes. Est ici préservé pour votre joie. Eaux libres : hommes libres. Ici commence le pays de la liberté. La liberté de se bien conduire. Les inconscients ne respectent pas la nature. Ils croient se grandir en la polluant Et ne savent même pas qu’elle se venge. Puisez dans le trésor des hauteurs Mais qu’il brille après vous pour tous les autres. La faiblesse a peur des grands espaces. La sottise a peur du silence. Ouvrez vos yeux et vos oreilles. Fermez vos transistors. Pas de bruit. Pas de moteurs. Pas de klaxons. Ecoutez les musiques de la montagne. Les vraies merveilles ne coûtent pas un centime. La marche nettoie la cervelle et rend gai.
  • 38. Enterrez vos soucis, et vos boîtes de conserves. Un visiteur intelligent ne laisse aucune trace de son passage. Ni inscriptions. Ni destructions. Ni désordre. Ni déchets. Les papiers gras sont les cartes de visite des mufles. Récoltez de beaux souvenirs mais ne cueillez pas les fleurs. N’arrachez surtout pas les plantes : il pousserait des pierres. Il faut beaucoup de brins d’herbe pour tisser un homme. Ravageur de forêts : mauvais citoyen. Qui détruit le nid vide le ciel, rend la terre stérile. Ennemi des bêtes : ennemi de la vie : ennemi de l’avenir. Oiseaux, marmottes, hermines, chamois, bouquetins. Et tout le petit peuple de poil et de plume Ont désormais besoin de votre amitié pour survivre. Déclarez la paix aux animaux timides. Ne les troublez pas dans leurs affaires Afin que les printemps futurs réjouissent encore vos enfants. Défense ici de chasser, sauf aux images. N’allumez pas de feu au hasard. Ne campez pas n’importe où. Certains gestes irréfléchis peuvent tout compromettre. Le parc national, c’est le grand jardin des Français. Et c’est aussi votre héritage personnel. Acceptez consciemment, de bon cœur, ses disciplines Et gardez-le vous-même contre le vandalisme et l’ignorance. Samivel Cimes et merveilles (Adaptation)
  • 39. LE ROI SOLEIL Parce qu’il était le roi du ciel, le soleil demanda qu’on lui confectionne une jolie couronne, une cuirasse d’argent, un manteau d’hermine, une épée ciselée, une canne à pommeau d’or ainsi que des pantoufles coiffées de grelots dorés. Mais cling ! clang ! clong ! tout cet attirail de métal encombrait le ciel. Alors, un matin, le roi soleil abandonna toutes ses possessions à l’horizon. Des enfants découvrirent des trésors. Ils s’en firent des jouets, qui brillent encore comme des bijoux précieux. Gilles Tibo
  • 40. CHER MONSIEUR PLANTEFOL Cher Monsieur Plantefol, J’aime beaucoup les baleines et je crois que j’en ai vu une dans mon bassin aujourd’hui. S’il vous plaît, envoyez-moi des renseignements sur les baleines, j’ai peur qu’il arrive du mal à la mienne. Je vous embrasse, Émilie Chère Émilie, Voici quelques informations à propos des baleines. Tu n’as sûrement pas vu une baleine, car elles ne vivent pas dans les bassins, mais dans l’eau salée. Bien à toi, Plantefol Cher Monsieur Plantefol, Maintenant je mets du sel dans le bassin tous les jours avant d’aller à l’école, et la nuit dernière j’ai vu ma baleine qui souriait. Je crois qu’elle se sent mieux. Croyez-vous qu’elle s’est perdue ? Je vous embrasse, Émilie Chère Émilie, Je t’en prie, ne mets plus de sel dans le bassin, je suis sûr que cela ne plairait pas à tes parents. Je crains que ce ne soit pas une baleine qui se trouve dans ton bassin. Les baleines ne se perdent pas, elles savent toujours où elles se trouvent dans les océans. Bien à toi, Plantefol Cher Monsieur Plantefol,
  • 41. Ce soir je suis très heureuse parce que j’ai vu ma baleine sauter et faire des jets d’eau. Je crois qu’elle est bleue. Est-ce que ça veut dire que c’est une baleine bleue ? Je vous embrasse, Émilie P.S. Qu’est-ce qu’il faut lui donner à manger ? Chère Émilie, Les baleines bleues sont bleues et elles mangent de toutes petites créatures qui ressemblent à des crevettes et qui vivent dans la mer. Cependant je dois te dire qu’une baleine bleue est beaucoup trop grosse pour vivre dans ton bassin. Bien à toi, Plantefol P. S. Il s’agit peut-être d’un poisson rouge de couleur bleue. Cher Monsieur Plantefol, La nuit dernière j’ai lu votre lettre à ma baleine. Après, elle m’a laissé lui caresser la tête. C’était formidable. En cachette je lui ai apporté des céréales et des miettes de pain. Ce matin j’ai regardé dans le bassin : il n’en restait plus ! Je crois que je vais l’appeler Amélie, qu’est-ce que vous en pensez ? Je vous embrasse, Émilie Chère Émilie, Je dois te préciser impérativement, dès maintenant, qu’il est parfaitement impossible à une baleine de vivre dans ton bassin. Tu ne sais sans doute pas que les baleines sont des animaux migrateurs, ce qui veut dire qu’elles parcourent de grandes distances chaque jour. Je suis désolé de te décevoir. Bien à toi, Plantefol
  • 42. Cher Monsieur Plantefol, Ce soir je suis un peu triste. Amélie est partie. Je crois qu’elle a compris votre lettre, et elle a décidé de redevenir un animal migrateur. Je vous embrasse, Émilie Chère Émilie, Je t’en prie, ne sois pas trop triste. C’était vraiment impossible pour une baleine de vivre dans ton bassin. Peut-être, quand tu seras grande, tu parcourras les océans pour étudier et protéger les baleines. Bien à toi, Plantefol Cher Monsieur Plantefol, J’ai eu le plus beau jour de ma vie ! J’étais au bord de la mer et – vous ne devinerez jamais – j’ai vu Amélie ! Je l’ai appelée et elle m’a souri. Je suis sûre que c’était elle parce qu’elle m’a laissé lui caresser la tête. Je lui ai donné un morceau de mon sandwich et on s’est dit au revoir. J’ai crié que je l’aimais beaucoup et après – j’espère que ça ne vous ennuiera pas – que vous aussi vous l’aimiez. Je vous embrasse, Émilie (et Amélie) Simon James Cher Monsieur Plantefol Rennes, Éditions Ouest-France, 1991
  • 43. LES BALLONS Durant la nuit, le réveille-matin du soleil se dérégla. À l’aube, il ne sonna pas l’heure du lever. Ainsi, pendant toute la matinée le soleil continua à ronfler, ronfler, ronfler… Partout sur la terre on tenta de le réveiller. Dans les pays du nord, on lui lança des boules de neige. Au sud, on lui lança des coquillages. Mais rien ne réveillait le soleil, qui dormait à poings fermés. Finalement, un petit garçon fit monter un ballon tout rond, qui chatouilla le nez du soleil et le fit éternuer. Le lendemain matin, mille enfants, craignant que le soleil ne se réveille pas, couraient dans les champs avec des ballons tout ronds. Gilles Tibo
  • 44. En attendant la pluie… La plupart des gens se plaignent qu’il pleuve trop souvent. Ils voudraient du soleil tous les jours. Pourtant, dans la lointaine savane africaine, le soleil chauffe si fort que le paysage tremble à l’horizon. Du plus grand éléphant au plus petit insecte, tous les animaux de la savane attendant la pluie avec impatience : leur vie en dépend. Comme les autres, les guépards attendent la saison des pluies. Avec elle reviendront les grands troupeaux et les chasses faciles. Depuis que les gazelles sont parties vers des terres plus verdoyantes, il n’y a plus assez de proies pour tous. Ces jeunes mâles sont inquiets. Si la pluie n’arrive pas, ce sera la famine ! Et, cette année, la pluie ne vient pas. La savane se dessèche, le sol se craquelle, la végétation jaunit. Une femelle guépard est à l’affût sur un arbre mort. Elle a deux petits, aussi n’a-t-elle pas pu suivre les gazelles. Comment nourrir sa progéniture ? Grâce à sa vue perçante, elle aperçoit quelques zèbres buvant l’eau d’une des dernières mares. Si elle parvient à s’approcher assez près sans être repérée, elle a peut-être sa chance… Des cris aigus retentissent dans les herbes sèches : les deux petits appellent. Ils sont trop jeunes pour accompagner leur mère. Mais il faut pourtant que celle-ci rapporte à manger. Elle les emmène donc dans une cachette sûre avant de partir en chasse. À cette heure de la journée, elle ne craint pas de concurrents : il fait déjà trop chaud pour les autres félins. La mère guépard a pu s’approcher des zèbres. Elle touche à peine le sol de ses pattes légères. Mais, soudain, une brindille craque et un oiseaux s’envole, effrayé. L’alarme est donnée ! Les zèbres s’enfuient au galop dans la plaine, mais la course est trop rapide pour le petit
  • 45. qui les accompagne. La mère guépard le rattrape facilement et, d’un coup de patte, le fait rouler dans la poussière. À bout de souffle, elle s’allonge quelques minutes à côté de sa proie. Puis elle l’emporte avant que les hyènes ne viennent lui voler son repas. Les petits guépards n’ont pas assisté à la chasse. Cachés près d’une mare voisine, ils sont attentifs à tout ce qui se passe. Un éléphant se roule dans la boue en soufflant. La boue protègera sa peau des parasites. Quelques gazelles retardataires passent par là. Elles pourront se désaltérer dès que le pachyderme sera parti. Quelle aubaine ! Sous la patte d’un petit guépard, quelque chose a bougé : c’est un crapaud, qui file se mettre à l’abri dans l’eau. Poussés par la curiosité, les jeunes félins oublient toute prudence et quittent leur cachette pour suivre l’étrange animal. Les voici au bord de l’eau. Alors qu’ils s’approchent, un crocodile, camouflé dans la boue, arrive soudain sur eux, la gueule grande ouverte. Il manque de peu les petits guépards, qui détalent à toute vitesse. La mère retrouve ses petits tout tremblants près du vieux tronc. Inquiète de ne pas les avoir trouvés dans leur cachette, elle les cherchait depuis plus d’une heure. C’est un miracle que les jeunes guépards aient échappé au crocodile ! Pour se rassurer, rien ne vaut les caresses et les coups de langue. La mère a mangé, puis elle a donné un peu de viande à ses petits afin de les habituer. Le soleil se couche, la nuit sera bientôt là. Les petits s’endorment. À l’aube, la savane se réveille avec les rugissements des lions. Tout à coup, un bruit de sabots alerte la mère guépard. Ce sont trois girafes qui passent par là, à quelques pas de la famille. Elles sont inoffensives, mais il ne faudrait pas que l’une d’elles marche sur un petit par mégarde. La mère se précipite pour les éloigner. La pluie ne vient toujours pas, la savane est plus sèche que jamais. Le dernier troupeau de gnous se dirige vers des nuages lointains, soulevant des colonises de poussière. Il a peut-être plu là-bas. La pluie, c’est une promesse d’herbe tendre. Ici, il n’y aura bientôt plus d’herbe et la température devient insupportable.
  • 46. La plupart des animaux se tapissent à l’ombre, sans forces. Mais un jour, vers midi, l’air devient vraiment étouffant. La mère guépard a senti quelque chose, car elle lève la tête vers le ciel et renifle l’air à petits coups. De gros nuages noirs et lourds surgissent de l’horizon et s’approchent lentement. Soudain, de grand éclairs illuminent l’horizon et des grondements de tonnerre roulent sur la savane. Les petits, effrayés, blottissent contre leur mère. C’est leur premier orage, mais leur instinct leur dit que ce spectacle inquiétant annonce une bonne surprise. La pluie ! Enfin la pluie ! Après les premières gouttes timides, des cascades d’eau tombent du ciel. C’est un vrai déluge dont les animaux cherchent à s’abriter, tant la pluie est violente. Dans quelques heures, la rivière se remplira et, bientôt, la savane reverdira. Les petits guépards ont compris que la pluie est un bienfait : grâce à elle, ils ont une chance de survivre et peut-être, un jour, pourront-ils avoir des petits à leur tour. Emmanuelle Zicot En attendant la pluie Paris, l’École des loisirs, 2001
  • 47. NOMBRIL DES MONDES J’écoute la chanson de la rivière sur les cailloux une main dans l’eau qui va une main dans l’herbe un œil dans les nuages un pied sur terre un pied contre l’écorce d’un jeune saule une épaule dans le soleil et dans un coude de la rivière une oreille aux pinsons une oreille aux murmures de l’eau une narine dans la menthe fraîche les reins dans la mousse je suis le nombril des mondes. Jean-Hugues Malineau
  • 48. Un arbre dans la lune UN ARBRE DANS LA LUNE En vacances chez ses grands-parents, Daphné est une petite fille rêveuse et solitaire. Dans ses jeux, elle a une relation toute particulière avec la nature, les arbres, les feuilles et les fleurs. Elle s’invente ainsi des saisons qui n’existe pas, et soigne les papillons blessés. Dans ses rêves, elle crée des forêts magiques et féeriques, et poursuit un chemin idyllique avec les éléments naturels. Grâce à d’extraordinaires rencontres, elle saura tout des habitudes, des coutumes et des secrets des arbres. Au grès de ses aventures, Daphné fera tout pour sauver la forêt d’un monstre mécanique détruisant la nature… Daphné est une petite fille qui veut être un arbre. Elle aime tellement les arbres qu’elle ne trouve rien de plus beau sur la terre. « Ni sur la lune » ajoutent, en plaisantant, ses grands- parents chez qui elle passe ses vacances et qui prétendent que, souvent, leur petite-fille est « dans la lune ». En quoi, ils se trompent. Daphné n’est pas « dans la lune ». Elle est dans les arbres, dans ceux du jardin de ses grands-parents, dans ceux de la proche forêt, et surtout dans celui qui est considéré comme le trésor de la famille : l’Arbre des Quatre Saisons. Cet arbre a la particularité d’être tous les arbres à la fois, et en toute saison. C’est très pratique pour Daphné. A-t-elle envie d’être à Noël ? Elle s’installe entre les branches de l’hiver pour y cueillir le gui et le houx. Au bout des branches du printemps, elle découvre des nids et regarde les œufs éclore. Avec les feuilles de l’automne, elle se fabrique des colliers et des bracelets. Enfin, sur une même branche d’été, elle peut ramasser des prunes, des abricots, des cerises et des figues. Fille unique, Daphné a l’habitude d’être seule. Dans sa solitude, elle est attentive à ne pas causer le moindre mal aux gens comme aux bêtes ou aux végétaux.
  • 49. Mieux encore, elle soigne les papillons blessés. Elle a ouvert un hôpital dont elle est l’infirmière. Elle panse les branches cassées des arbres avec des rubans adhésifs et réussit, à force de patience, à les recoller complètement. Si elle avait des cartes de visite comme les grandes personnes, elle y ferait inscrire : Daphné infirmière pour les papillons et médecin pour les arbres. Quand elle est fatiguée de jouer avec l’Arbre des Quatre Saisons, ou avec les papillons, Daphné s’en va dans la forêt qui commence où le jardin finit. C'est une forêt magique comme toutes les forêts et où une petite fille peut se promener sans crainte : les animaux ne s’y battent pas entre eux. Ils s’aiment. On y voit passer, bras dessus, bras dessous, le lapin et la belette, le renard et le faisan, la biche et le loup. Les chasseurs ne peuvent y pénétrer. Chaque fois qu’ils essaient, un terrible orage éclate qui les trempe jusqu’aux os et les force à rebrousser chemin avec, pour seul butin, un rhume qui dure huit jours, au moins, sans parler des complications, bronchite ou pleurésie. Dans cette forêt magique, Daphné voit, et entend, de drôles de choses. Une fois, elle rencontre sur son chemin un poisson qui, l’imprudent, s’est éloigné de la mer. Une vague l’accompagne. Un poisson et une vague, dans une forêt, ce n’est pas normal, pense Daphné qui demande : ─ Où allez-vous tous les deux ? ─ Vers le bleu du ciel. Le bleu de la mer ne nous suffit plus et nous voudrions nager dans le bleu du ciel. Voilà des jours que nous cherchons à l’atteindre. Nous sommes fatigués. ─ Si vous êtes fatigués, asseyez-vous à l’ombre d’un arbre. On ne peut pas être mieux que là ! C’est ce qu’ils font. Et l’ombre enchantée par l’appréciation de Daphné se présente : ─ Je suis l’ombre de l’arbre, et voici ma sœur jumelle, la fraîcheur. L’ombre, la fraîcheur, le poisson, la vague et Daphné se mettent à raconter des histoires tellement passionnantes qu’un nuage qui passe par là s’arrête pour les écouter, puis, à force de tendre l’oreille, finit par s’approcher et se poser en plein dans l’ombre à laquelle il avoue : ─ Si vous saviez comme il fait chaud, là-haut, et comme je suis content de me rafraîchir un peu… La vague et le poisson interrogent le nuage sur le ciel qu’ils imaginent comme un autre océan. Le nuage rit d’une telle comparaison. Il propose au poisson et à la vague d’aller y faire un tour, pour voir. Ils acceptent. Le nuage offre également à l’ombre, à la fraîcheur et à Daphné d’être du voyage. Toutes trois refusent. Nuage, poisson et vague s’envolent vers le ciel. Pendant la nuit qui suit cette rencontre, Daphné rêve que la mer est un arbre avec des vagues à la place des branches et de l’écume à la place des fruits.
  • 50. C’est une nuit de pleine lune et Daphné rêve aussi qu’elle est un arbre dans la lune. Au matin, elle mange trois tartines de miel, deux tartines de confiture d’abricot, et boit deux bols de chocolat au lait. ─ Les rêves, ça creuse, explique-t-elle à sa grand-mère que cet appétit excessif étonne. Après ce copieux petit déjeuner, Daphné retourne dans la forêt. Elle y rencontre une huppe et, comme c’est la première fois qu’elle voit un tel oiseau, elle s’écrie : ─ Qu’est-ce que c’est que cette bestiole ? Antilope par les cornes et zèbre par la queue ? ─ Je ne suis pas un zèbre, rectifie l’oiseau, bien que je suis rayée de blanc et de noir. Et je ne suis pas non plus une antilope bien que j’aie l’air d’avoir des cornes sur la tête. Ce sont des cornes de plumes qui forment la huppe dont je tiens mon nom. Je suis la Huppe, la plus belle des Huppes puisque je suis la Reine des Huppes. ─ Majesté, dit Daphné en s’inclinant profondément, je vous prie d’accepter mes excuses. ─ Je les accepte, dit la Huppe, bonne fille. Depuis, Daphné et la Reines des Huppes se promènent ensemble. Dès que Daphné pénètre dans la forêt magique, la Huppe vient se poser sur son épaule et raconte les derniers événements, l’éclosion d’un champignon qui sent la violette, la naissance d’une source dorée, le mariage d’une libellule avec un romarin frisé. Une autre fois encore, sur son chemin, Daphné trouve un caillou parfaitement blanc, parfaitement rond, on dirait un œuf de marbre. Il est tellement joli ce caillou que Daphné le met dans sa poche. Le caillou proteste aussitôt, il n’aime pas être dans le noir d’une poche, il n’aime que la lumière. Autrefois, raconte-t-il à Daphné un peu surprise d’entendre un caillou parler, quand les dieux vivaient avec les hommes et avaient leurs statues dans les temples, lui, le caillou, était le doigt d’une déesse. Les dieux, les temples ont disparu, et, dans cette débâcle, la déesse a perdu sa tête et ses bras. Les bras avec leur main, les mains avec leurs doigts, dispersés dans la nature, ont, peu à peu, perdu les formes que leur avait données le sculpteur et sont redevenus ce qu’ils étaient, de simples pierres. Telle est l’histoire de Petit Caillou, tel est son nom, qui garde de son ancienne splendeur dans les temples dressés à ciel ouvert sur le haut des collines, le goût de la lumière. Daphné promet à Petit Caillou qu’elle l’installera au pied de l’Arbre des Quatre Saisons, dans la partie été où il sera toujours au soleil. Petit Caillou, bien élevé, se confond en remerciements. Avec l’Arbre des Quatre Saisons, la Reine des Huppes et Petit Caillou, Daphné compte donc trois amis. Elle en va avoir un quatrième, ou plutôt une quatrième, puisqu’il s’agit d’une magicienne. Exactement au centre de la forêt se trouve un immense chêne qui est la demeure de la magicienne. Elle y a élu domicile parce que, elle aussi, elle aime les arbres. Elle s’est bâti un nid
  • 51. à la façon des oiseaux, mais un nid à sa mesure : elle mesure un mètre cinquante. Comme les habitants de la forêt la chérissent autant qu’ils la respectent, ils appellent la magicienne, « révérende ». Et quand elle entend cela, la magicienne ne manque pas de rire, se moquant d’elle-même, et lançant joyeusement : « Révérende mère, oui, je suis la révérende Nid d’Oiseau. » Révérende Nid d’Oiseau, c’est ainsi que la nomment ses intimes parmi lesquels ne tarde pas à compter Daphné, éblouie et vite conquise par les tours de la magicienne. En effet, c’est la révérende Nid d’Oiseau qui commande à l’orage mettant en fuite les chasseurs. C’est elle qui, d’un coup d’œil, fait bouillir l’eau dans sa théière et apparaître, au gré de sa gourmandise ou de celle de ses invités, les meilleurs gâteaux de gingembre, les meilleures glaces au chocolat, les meilleures pastèques, celles d’Andalousie, avec leurs belles joues rouges et leurs innombrables yeux noirs. La révérende Nid d’Oiseau apprend à Daphné des tas de choses sur les arbres, leurs habitudes, leurs coutumes, leurs secrets. ─ Qu’est-ce qu’un arbre ? C’est quelqu’un qui n’a pas de mains pour se défendre, ni de pieds pour s’enfuir, explique-t-elle. Et elle ajoute : ─ On en profite pour les massacrer. Il ne faut jamais maltraiter un arbre, tu entends, Daphné, pas plus qu’il ne faut dire à un enfant qu’il est bête. Qu’est-ce qu’un enfant ? Un adulte qui n’a pas encore eu le temps de grandir. À écouter de tels propos, à s’amuser avec de tels amis, le mois de juillet passe vite pour Daphné, et c’est le mois d’août sur la forêt magique. Début août, le grand-père rentre à la maison avec des journaux qu’il étale sur la table. ─ Regardez, dit-il, consterné, à la grand-mère et à Daphné. Tous les journaux ont le même titre : SOS forêt MM attaque Daphné demande ce que cela veut dire. MM, cela veut dire la Méchante Machine, celle qui avale les arbres par centaines et engloutit une forêt en une seule bouchée. Les forêts menacées lancent un appel au secours, un SOS. La Méchante Machine, pour le moment, n’attaque pas les humains qu’elle se contente de terroriser par son bruit infernal et ses mauvaises odeurs. Elle pue et elle tue. Dans le pays, l’état de tristesse générale est décrété. Que faire ? C’est l’été. Les gens sont à la mer où à la montagne. Dans le village de la forêt magique ne restent que des vieillards et des enfants comme Daphné. Chacun se terre dans sa maison quand défile dans les rues la Méchante Machine qui rote des vapeurs d’essence et hurle des
  • 52. menaces aux arbres, même à ceux qui se cachent dans les jardins. ─ Aucun mur, aucune grille ne m’arrêtera quand j’aurai faim, crie la Méchante Machine. Daphné décide de sauver la forêt et de délivrer son pays de la Méchante Machine. Daphné réunit aussitôt la Reine des Huppes et Petit Caillou qui approuvent son projet. Oui, il faut en finir, cela ne peut plus durer. L’Arbre des Quatre Saisons qui sent ses jours comptés dépérit. Dans la forêt magique, les bêtes n’osent plus sortir de leur terrier, elles souffrent de la faim et de la soif. C’est intolérable. Mais comment détruire la Méchante Machine ? Daphné, la Reine des Huppes et Petit Caillou s’en vont demander des conseils, et de l’aide, à la magicienne. La révérende Nid d’Oiseau est désespérée. Elle est sans pouvoir contre la Méchante Machine. L’orage à qui elle commandait contre les chasseurs refuse d’obéir. ─ Je veux bien tremper les chasseurs, je ne veux pas salir mes gouttes de pluie et mes éclairs sur cette machine crasseuse qui sue le cambouis, répète obstinément l’orage. Exaspérée par une telle attitude, la révérende Nid d’Oiseau annonce à ses amis qu’elle s’en va à jamais, qu’elle quitte la forêt pour rejoindre le nuage, la vague et le poisson qui, elle vient de l’apprendre, ne risquent plus rien, réfugiés quelque part dans l’infini. Ils y sont inaccessibles, donc, heureux. ─ Qui m’aime me suive, dit la magicienne. Je transforme mon nid en tapis volant et nous partons tout de suite. Personne ne veut, ou ne peut, partir tout de suite. Daphné doit prévenir ses grands- parents, et la Reine des Huppes son peuple. Avant de s’envoler définitivement, la révérende Nid d’Oiseau fait cadeau à Daphné d’une formule magique à apprendre par cœur, à ne répéter à personne, et à n’utiliser qu’en cas de danger extrême : Arbre mon cher arbre change-moi en arbre au centre de la lune. ─ Je n’aurais pas cru que la révérende Nid d’Oiseau soit aussi égoïste, dit la Reine des Huppes, et nous abandonne au moment où nous avons le plus besoin d’elle. ─ Cela ne fait rien, nous vaincrons. Les forts seront vaincus. Nous vaincrons parce que nous sommes les plus faibles, répond Daphné. ─ Daphné a raison, assure Petit Caillou. Cette Méchante Machine est très forte, mais elle doit avoir une faiblesse cachée. Il suffit de trouver cette faiblesse et d’en tirer profit pour abattre la Machine. Quand j’étais le doigt d’une déesse, on parlait beaucoup, dans les temples, d’un petit garçon, David, qui avait réussi à terrasser un géant, Goliath, rien qu’en lui lançant une pierre en plein front. Je serai cette pierre et Daphné sera un autre David.
  • 53. Il faut sauver les arbres. Le temps presse. On décide, à l’unanimité, que Daphné se déguisera en arbre pour attirer l’attention, et éveiller l’appétit de la Méchante Machine. C’est facile : Daphné n’a qu’à mettre la veste en velours côtelé marron de son grand-père, on dirait une écorce. Et sur la tête, la capeline à fleurs de sa grand-mère. ─ J’aurai l’air d’un arbre en fleur qui se promène, dit Daphné. Aussitôt dit, aussitôt fait. Daphné, déguisé en arbre, part se promener sur la route. Elle tient dans son poing Petit Caillou qui supplie : ─ Ne me serre pas si fort, tu m’étouffes, n’oublie pas notre plan d’attaque. Dès que la Méchante Machine ouvre sa gueule, tu me lances dedans, et crois-moi, un morceau de marbre, un ancien doigt de déesse qui aurait trois mille ans aujourd’hui, c’est autrement difficile à digérer qu’un arbre tendre ou une forêt magique. La Méchante machine crèvera d’indigestion, et quand elle sera morte, tu viendras me délivrer. Ne me laisse pas au milieu de cette ferraille. ─ Oui, oui, tais-toi, j’entends la Méchante Machine qui arrive, chuchote Daphné. Et elle est là, la Méchante Machine, noire de cambouis et de méchanceté, monstrueuse guêpe de fer, ses yeux en forme d’ampoule hors de la tête. « Tiens, remarque-t-elle, un arbre qui se promène, je vais le croquer, ça me mettra en appétit ». Ses mâchoires s’écartent, montrant une rangée de dents tellement pointues, tellement laides que Daphné, surprise, vise mal. Petit Caillou n’entre pas dans la bouche, mais dans l’œil de la Méchante Machine qui en trépigne de douleur et de colère. Elle est déchaînée et parvient à arracher Petit Caillou de sa paupière et à le lancer avec une telle force qu’il disparaît dans les alentours du soleil où l’attend la déesse qui l’accueille d’un radieux « te voilà enfin, toi, le petit doigt qui me manquait pour entrer, complète, au paradis des déesses. » Daphné et la Méchante Machine restent face à face. ─ Je vais te manger, gronde la Méchante Machine en lançant sur Daphné un puissant, un poisseux souffle électrique qui la renverse. Daphné rassemble ses dernières forces pour se relever et s’enfuir à toute allure vers la forêt afin d’y trouver refuge dans le chêne. Elle court, Daphné, et ses amis accourent à son secours. En vain. Ni la Reine des Huppes, ni les papillons ne parviennent à ralentir la Méchante Machine qui va de plus en plus vite. Elle se rapproche irrésistiblement, impitoyablement de Daphné qui, se sentant perdue, se souvient alors de la formule magique donnée par la révérende Nid d’Oiseau et crie : Arbre mon cher arbre change-moi en arbre au centre de la lune. Souhait formulé avec tant de force qu’il est aussitôt exaucé. Daphné s’envole sous les