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Le jeu de dupes continue
En septembre 2013, Ibrahim (prĂ©nom d’emprunt) est arrivĂ© en Belgique,
oĂč il s’est dĂ©clarĂ© refugiĂ©. Affirmant ĂȘtre nĂ© au SĂ©nĂ©gal en 1997, il a immĂ©-
diatement Ă©tĂ© pris en charge par le Service des tutelles. Mais l’Office des
étrangers a émis un doute sur son ùge et a exigé un test médical pour vérifier
la minorité. Résultat : un rapport formulé avec une «certitude scientifique
raisonnable», lui donnant l’ñge de 20 ans et trois mois, avec une marge
d’erreur de 2 ans ! Inutile de dire que pour Ibrahim, les consĂ©quences sont
lourdes. Au lieu de bĂ©nĂ©ficier d’une protection en tant qu’enfant, et donc
de perspectives d’étude, de sĂ©jour, d’accĂšs Ă  une protection sociale, il est Ă 
prĂ©sent considĂ©rĂ© comme un majeur demandeur d’asile, qui a menti sur
un élément important de sa situation (son ùge), ce qui jettera le discrédit
sur l’ensemble de son rĂ©cit.
Cette affaire portĂ©e rĂ©cemment devant le Conseil d’Etat (qui a rejetĂ© la
demande de suspension de la décision, voir page 44) illustre une fois de
plus combien l’évaluation de l’ñge des mineurs Ă©trangers non accompa-
gnĂ©s arrivant en Belgique sans disposer de documents d’identitĂ© probants
reste injuste et problématique.
On sait en effet que le triple test médical utilisé par le Service des tutelles
est peu fiable et qu’il faut l’appliquer avec circonspection. La loi prĂ©voit
d’ailleurs qu’en cas de doute, la minoritĂ© doit prĂ©valoir.
Si ce test est rĂ©alisĂ©, c’est Ă  cause d’un doute Ă©mis par une autoritĂ©, gĂ©nĂ©-
ralement l’Office des Ă©trangers, qui se base sur une apprĂ©ciation de l’ap-
parence physique de la personne (on imagine le fonctionnaire scrutant le
physique du jeune pour se faire une idée de son ùge!). Or, on sait aussi à
quel point cette apparence peut ĂȘtre trompeuse. Qu’on pense Ă  certains
sportifs qui, à 16 ou 17 ans, ont la taille et la stature d’un athlùte. L’in-
verse Ă©tant vrai aussi, des personnes majeures peuvent donner l’impres-
sion qu’elles sont encore mineures.
C’est donc l’apprĂ©ciation subjective d’un fonctionnaire non-qualifiĂ© qui
va dĂ©clencher la rĂ©alisation d’un examen mĂ©dical. Lequel peut conclure
que l’intĂ©ressĂ© a cinq ans de plus que l’ñge qu’il a dĂ©clarĂ©, comme dans
la situation qu’a eu à connaütre le Conseil d’Etat. Des documents d’iden-
titĂ© (carte d’identitĂ© Ă©lectronique et acte de naissance) avaient pourtant
Ă©tĂ© produits qui donnaient Ă  l’intĂ©ressĂ© l’ñge de 15 ans. Mais comme ils
n’étaient pas lĂ©galisĂ©s, ils n’avaient pas de caractĂšre probant. Pourquoi
le Service des tutelles n’a-t-il pas demandĂ© au poste diplomatique belge
compétent de légaliser les documents produits pour avoir une certitude
quant Ă  l’identitĂ© et l’ñge ? En cas de lĂ©galisation, fort probable, on aura
une nouvelle preuve de l’absence totale de fiabilitĂ© du test utilisĂ©.
PlutĂŽt que de se contenter d’une « certitude scientifique raisonnable », qui
s’apparente Ă  une incertitude que tout scientifique devrait avoir l’honnĂȘ-
teté de reconnaßtre, il faut rejeter une fois pour toutes ce test si peu fiable,
particuliùrement quand des documents sont produits et qu’ils peuvent
ĂȘtre lĂ©galisĂ©s. Faute de quoi on reste dans un jeu de dupes, oĂč chacun sait
que ce qu’il fait n’est pas crĂ©dible, et oĂč le jeune concernĂ© est la premiĂšre
victime.
Benoit Van Keirsbilck et Amélie Mouton
Journal du droit des Jeunes,
la revue juridique de l’action
sociale et Ă©ducative.
Jeunesse et Droit asbl
12,rueCharlesSteenebruggen
Ă  4020 LiĂšge
TĂ©l. 04/ 342.61.01 - Fax. 04/342.99.87
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RĂ©dacteur en chef
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Benoßt Lambart, tél. 04/ 342.61.01
RĂ©dactrice en chef adjointe
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Comité de rédaction
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Georges-Henri Beauthier, Michel Born, Geert
Cappelaere, Aurore Dachy, Christian Defays,
Amaury de Terwangne, Patrick Charlier,
Jacques Fierens, Dominique De Fraene,
Fabienne Druant, Isabelle Detry,
Jean Jacqmain, Alexia Jonckheere, Jean-Yves
Hayez, Karine Joliton, Georges Kellens,
Solayman Laqdim, Raymond Loop, Vincent
Macq, Valentine Mahieu, Paul Martens,
Thierry Moreau, Christian Noiret, Florence
Pondeville, Valérie Provost, Marc Preumont,
Isabelle Ravier-Delens, VĂ©ronique Richard,
Jean-François Servais, Marianne Thomas,
Christelle Trifaux, Françoise Tulkens, Benoßt
Van der Meerschen, Christian Wettinck.
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Spécimen sur simple demande.
Commission paritaire : 74797 - ISSN : 0775-0668 - Imprimé par EXCELLE PRINT, Lodomez 3, B-4970 Stavelot.
SOMMAIRE
MARS 2014 - N° 333
1 Éditorial : Le jeu de dupes continue,
Benoßt VanKeirsbilck et Amélie Mouton
3 Appel : Pour une étude globale sur les enfants
privés de liberté
5 Tribune : PÚres et repÚres,
IrĂšne Kaufer
7 Un enfant exposé aux violences entre parte-
naires est un enfant maltraité,,
Sophia Mesbahi
11 La rĂ©alisation des droits de l’enfant, c’est aussi
une question de budget,
Sarah D’hondt et Siska Van de Weyer
18 Le mariage d’enfant,
Mirna Strinic
DOCUMENTS
29 Charte sociale européenne. Extrait des Conclu-
sions 2013 du Comité européen des droits
sociaux. Observations interprétatives relatives
à l’article 30 (droit à la protection contre la
pauvretĂ© et l’exclusion sociale) - Janvier 2014
31 Circulaire portant sur les conditions minimales
de l’enquĂȘte sociale exigĂ©e dans le cadre de la loi
du 26 mai 2002 relative au droit Ă  l’intĂ©gration
sociale et dans le cadre de l’aide sociale accordĂ©e
par les CPAS et remboursĂ©e par l’État confor-
mément aux dispositions de la loi du 2 avril
1965
TRAVAUX PARLEMENTAIRES
36 Question de Mme Malika Sonnet Ă  Mme
Évelyne Huytebroeck, ministre de la Jeunesse,
intitulĂ©e «Échecs d’adoption»
36 Interpellations jointes de M. Antoine Tanzilli et
Mme Christie Morreale à Mme Évelyne Huyte-
broeck, ministre de la Jeunesse, intitulée «Avan-
cées en matiÚre de mise en autonomie des mineurs»
(Article 76 du rĂšglement)
JURISPRUDENCE
C.E. (n° 226.576) – 27 fĂ©vrier 2014
Mineur Ă©tranger non-accompagnĂ© – Evaluation de l’ñge
– Contestation – Test mĂ©dical – Document d’identitĂ©
non-lĂ©galisĂ© – Valeur probante – Non – Loi sur les droits
du patient – Application (non) – Subir un test mĂ©dical
ne fait pas du MENA un patient – Motivation d’un acte
administratif – Convention internationale des droits de
l’enfant (art. 3 et 8) – Pas d’effets directs.
40
Pol. Bruges (Bureau d’assistance judiciaire) -
11 juin 2013
Assistance judiciaire – Bureau – ApprĂ©ciation – ProcĂ©-
dure sans espoir
45
Conseil d’État (sect. cont. adm., 9ùme
ch.) -
4 septembre 2013
Suspension d’extrĂȘme urgence – DĂ©faut dans la no-
tification de la dĂ©cision – ImpossibilitĂ© de complĂ©ter
les moyens au cours de la procĂ©dure – Violation de
l’obligation de motivation formelle
45
NOUVEAU
Quels droits
face à la police ?
Voyez la couverture
intérieure en fin de
JDJ...
JDJ - N° 333 - mars 2014 3
APPEL
Étude globale
sur les enfants privés de liberté
«Les enfants n’ont rien Ă  faire derriĂšre les barreaux. Les
enfants doivent aller Ă  l’école. Ils doivent jouer avec leurs
amis. Ils devraient ĂȘtre dans leurs familles». Pas d’enfants
derriĂšre les barreaux! (DĂ©fense des Enfants International,
2005)
Nous, organisations de la société civile, appelons les
membres de l’AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale des Nations unies
[d’accepter la recommandation du ComitĂ© des droits de
l’enfant (1)
] de demander au Secrétaire général des Na-
tions unies d’entreprendre UNE ÉTUDE GLOBALE
SUR LES ENFANTS PRIVÉS DE LIBERTÉ (2)
afin
de recueillir des données et des statistiques complÚtes
de toutes les régions sur le nombre et la situation des en-
fants en détention, de partager les bonnes pratiques et
formuler des recommandations pour que des mesures
efficaces soient prises en vue de prévenir les violations
des droits de l’homme Ă  l’encontre des enfants en dĂ©-
tention et rĂ©duire le nombre d’enfants privĂ©s de libertĂ©.
Il y a un manque flagrant de données quantitatives et
qualitatives (notamment de données ventilées), de re-
cherches et d’informations fiables sur la situation des
enfants privés de leur liberté (3)
. La privation de liberté
a des conséquences trÚs négatives pour le développe-
ment harmonieux de l’enfant et devrait ĂȘtre une «me-
sure de dernier recours et pour le plus court laps de temps
possible» (4)
. Les enfants privés de liberté sont exposés à
des risques accrus d’abus, de violence, de discrimination
sociale sévÚre et de déni de leurs droits civils, politiques,
économiques, sociaux et culturels. Certains groupes dé-
favorisĂ©s sont plus touchĂ©s que d’autres, mais la sociĂ©tĂ©
en est affectĂ©e dans son ensemble d’autant plus que la
privation de libertĂ© tend Ă  accroĂźtre l’exclusion sociale,
le taux de récidive et les dépenses publiques.
L’étude tiendra compte de la privation de libertĂ© sous
toutes ses formes, entre autres: les enfants en conflit
avec la loi, les enfants confinés en raison de leur santé
physique ou mentale ou d’usage de drogue; les enfants
vivant en détention avec leurs parents; la détention par
les services d’immigration; les enfants dĂ©tenus pour leur
protection; la sécurité nationale; etc. Afin de garantir que
la privation de liberté soit bien comprise et donc utilisée
comme une mesure de dernier ressort, il est Ă©galement
crucial d’amĂ©liorer la comprĂ©hension des concepts clĂ©s
ayant trait aux droits et à la privation de liberté des
enfants (tels que dernier recours, le temps le plus court
possible, l’intĂ©rĂȘt supĂ©rieur de l’enfant, l’accĂšs Ă  la justice,
la détention préventive, la déjudiciarisation, la justice ré-
paratrice, les systĂšmes judiciaires formels et informels, les
mesures de diversion, les mesures de protection, l’ñge de
la responsabilité pénale, la réadaptation et la réinsertion,
la détention administrative; entre autres).
L’étude analysera la mise en Ɠuvre concrĂšte des lois et
les normes internationales et les possibilitĂ©s d’aide aux
États pour leur permettre d’amĂ©liorer leurs politiques
et pratiques. GrĂące Ă  la collecte de preuves et de don-
nĂ©es fiables, l’étude permettra Ă©galement de consolider
les bonnes pratiques et formuler des recommandations,
pour appuyer l’action des États, des organismes des Na-
tions unies et des autres parties prenantes afin de mieux
mettre en application les normes internationales et de
s’assurer que les enfants privĂ©s de libertĂ© jouissent effecti-
vement de leurs droits humains.
(1) Agir en vertu de la Convention des Nations unies sur les droits de l’enfant (CDE), article
45 (c)
(2) «La privation de libertĂ© signiïŹe toute forme de dĂ©tention ou d’emprisonnement ou de
placement d’une personne ĂągĂ©e de moins de 18 ans dans un Ă©tablissement public ou privĂ©,
duquel cette personne n’est pas autorisĂ©e Ă  sortir Ă  son grĂ©, par ordre de toute autoritĂ©
judiciaire, administrative ou toute autre autorité publique», RÚgles des Nations unies pour
la protection des mineurs privés de liberté, 1990 (RÚgles de La Havane)
(3) Le manque de données existantes sur les enfants privés de liberté est mentionné dans un
certain nombre de rapports ofïŹciels, entre autres : Rapport conjoint sur la prĂ©vention et
les réponses à la violence contre les enfants au sein du systÚme de justice pour mineurs
(2012), le Représentant spécial du Secrétaire général sur la violence contre enfants, le
Bureau du Haut commissaire aux droits de l’homme (BHCDH) et l’OfïŹce des Nations unies
contre la drogue et le crime (ONUDC ); Observation générale n°10 (2007) du BHCDH;
la dĂ©tention administrative d’enfants: un rapport mondial (2011), Centre juridique pour
les enfants, UniversitĂ© d’Essex et UNICEF; Rapport du Rapporteur spĂ©cial de l’ONU sur
les droits humains des migrants (A/HRC/20/24).
(4) Convention relative aux droits de l’enfant, article 37 (b)
4 JDJ - N° 333 - mars 20144 JDJ - N° 333 - mars 2014
APPEL
L’étude se concentrera sur les principaux aspects sui-
vants :
- Le recueil des données et des statistiques quan-
titatives et qualitatives sur les enfants privés de li-
bertĂ©, en ce qui concerne le genre, l’ñge, les groupes
vulnérables et les disparités (par exemple, les mi-
lieux urbains ou ruraux, les régions, les groupes
ethniques);
- La situation des enfants dans les centres de dé-
tention ainsi que l’utilisation et l’abus de la pri-
vation de liberté, compte tenu des lois et normes
internationales relatives aux droits de l’Homme;
- Les concepts clés liés aux droits et la privation de
liberté des enfants en vue de viser à informer et à
promouvoir un plus grand engagement pour amé-
liorer les systĂšmes judiciaires et la jouissance des
droits;
- La façon la plus efficace de mettre en application
les mesures de prévention et les mesures alterna-
tives pour s’assurer que la dĂ©tention n’est utilisĂ©e
qu’en dernier recours (privilĂ©giant la dĂ©judiciarisa-
tion et la justice rĂ©paratrice, entre autres) et qu’elle
conduit à des mesures adéquates de réadaptation;
- La formulation de recommandations et bonnes
pratiques pour mettre en Ɠuvre des normes, et
rĂ©duire le nombre d’enfants privĂ©s de leur libertĂ©.
Cette Ă©tude s’appuiera sur le modĂšle de l’Étude des
Nations unies sur l’impact des conflits armĂ©s sur les
enfants (1996) rĂ©alisĂ©e par Graça Machel et l’Étude
des Nations unies sur la violence contre les enfants
(2006) réalisée par Paulo Sergio Pinheiro. Ces deux
Ă©tudes exposent la nature, l’étendue et les causes liĂ©es
aux questions de conflit et de violence, ainsi que des
recommandations claires proposées pour des actions
de prĂ©vention et d’intervention. Notez que l’étude
réalisée par Pinheiro mentionne explicitement, en ce
qui concerne la garde à vue et la détention «[...] une
meilleure collecte de données est urgemment requise à tra-
vers le monde [...]» (5)
. Les deux Ă©tudes constituent une
solide plateforme pour le plaidoyer et l’action et ont
conduit Ă  des progrĂšs importants pour les enfants. Ces
études représentent un point de référence pour évaluer
les progrÚs accomplis dans ces domaines spécifiques.
La prĂ©sente Ă©tude fera de mĂȘme. Dans le domaine de
la privation de liberté, une évaluation concrÚte de la
situation est nécessaire et urgente.
Pour qu’une Ă©tude mondiale sur les enfants privĂ©s de
liberté soit réalisée, les signataires de cet appel insistent
auprĂšs des dĂ©putĂ©s de l’AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale des Nations
unies pour qu’ils demandent au SecrĂ©taire gĂ©nĂ©ral des
Nations unies de mener une telle Ă©tude approfondie,
en nommant un expert indĂ©pendant – qui travaillera
en collaboration avec le Groupe interinstitutions des
Nations unies sur la justice pour mineurs (IPJJ ), les
agences des Nations unies, les États membres, les or-
ganisations de la société civile, les universités et les en-
fants eux-mĂȘmes, ainsi que tous les autres partenaires
concernés.
Signataires  : African Child Policy Forum (ACPF),
Alliance for Children, Association for the Prevention
of Torture (APT), Casa Alianza (Switzerland), Child
Helpline International (CHI), Child Rights Interna-
tional Network (CRIN), Consortium for Street Chil-
dren, Coram Children’s Legal Centre, Defence for
Children International (DCI), Geneva Infant Feeding
Association - International Baby Food Action Net-
work (IBFAN-GIFA), Global Initiative to End All
Corporal Punishment of Children, Human Rights
Watch (HRW), Institut international des Droits de
l’Enfant (IDE), International Catholic Child Bureau
(ICCB/BICE), International Detention Coalition
(IDC), International Juvenile Justice Observatory
(IJJO), Our Children Foundation, Penal Reform In-
ternational (PRI), Plan International, Quaker United
Nations Office (QUNO), SOS Children’s Villages In-
ternational, Terre des Hommes International Federa-
tion, War Child Holland (WCH), World Organiza-
tion Against Torture (OMCT)
Rens. : www.childrendeprivedofliberty.info
contact@childrendeprivedofliberty.info
(5) Étude du SecrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de l’ONU sur la violence contre les enfants 2005, p.191.
JDJ - N° 333 - mars 2014 5
TRIBUNE
PĂšres et repĂšres
IrĂšne Kaufer(1)
(1) IrÚne Kaufer est féministe, syndicaliste et contribue réguliÚrement à la revue
Politique. Cet article est paru sur le blog de la revue Politique le 5 mars 2014.
http://blogs.politique.eu.org/
Du temps oĂč j’étais Ă  l’UniversitĂ©, mes cours de
psycho clinique m’expliquaient trĂšs sĂ©rieusement
les ravages de l’absence du pùre : l’enfant risquait
de tourner petit dĂ©linquant, meurtrier, ou «mĂȘme
homosexuel» (je me souviens bien des termes, gra-
vĂ©s dans mon esprit d’étudiante pas trĂšs Ă  l’aise,
Ă  l’époque, avec mes propres sentiments...) L’ab-
sence de la mĂšre, elle, provoquait des troubles de
l’attachement. Et surtout pas de confusion des
rîles, s’il vous plaüt.
Cela ne se passait pas dans un obscurantiste ins-
titut catho-judéo-islamique, mais au sein de la
trĂšs libre-exaministe ULB. Il est vrai qu’on Ă©tait
dans les années 1970, aux tout débuts de la ré-
volution fĂ©ministe (j’insiste : pas sexuelle, mais
fĂ©ministe, c’est cela qui m’a ouvert les yeux, les
oreilles et les perspectives de libertĂ©). Je n’aurais
pas pensé que 40 ans plus tard, malgré les avan-
cĂ©es pour l’émancipation des femme, l’ouverture
du mariage et de l’adoption pour les couples ho-
mosexuels et de la procréation médicale assistée
pour les lesbiennes, on en serait encore là : la loi
du PÚre, représentant symbolique de la Société, le
seul capable d’arracher l’enfant aux risques – que
dis-je, à la certitude – de relation fusionnelle avec
la mĂšre, et donc, celui dont le nom doit ĂȘtre sanc-
tifiĂ© sur la terre comme au ciel – oh pardon, lĂ  je
crois que je me trompe de registre. Quoique...
Si je reviens sur ces souvenirs, c’est en rĂ©action
aux multiples mises en garde qui nous sont as-
sĂ©nĂ©es devant la menace d’une nouvelle loi,
permettant aux parents de faire des choix dans
la transmission du nom de famille aux enfants :
nom du pÚre, de la mÚre, ou les deux accolés dans
l’ordre choisi. En cas de dĂ©saccord, c’est le double
nom qui s’imposera, dans l’ordre pùre-mùre. Une
évolution qui existe déjà, sous diverses formes,
chez la plupart de nos voisins.
Et voilà que le projet de loi soulÚve un tollé
presque digne des délires de nos ami/e/s français/
e/s contre la pseudo «théorie du genre» ! Une am-
biance de fin de monde, la perte des repĂšres pour
nos bambins, le tronçonnage brutal des arbres gé-
néalogiques et la montée des risques de consan-
guinité pour les couples futurs, si, si !
Commençons donc par les plus farfelus : la gé-
nĂ©alogie transformĂ©e en bouilllie infĂąme, oĂč un
mille-pattes ne retrouverait pas les siennes ? Allons
allons, à l’ùre de l’informatique, c’est un argument
vraiment ridicule.
Les risques de consanguinité  ? Encore plus ab-
surde : si seul le nom devait nous préserver du ma-
riage entre demi-frùres ou sƓurs ou entre cousin/
e/s, la situation actuelle est lourde de menaces...
Car si Françoise et Aline sont sƓurs et qu’elles se
perdent de vue, elles disparaissent d’office dans la
lĂ©gislation actuelle et leurs enfants respectifs n’ont
aucun nom commun pour les mettre en garde.
Pire : si Françoise a conçu Pierre avec Alain, puis
Perrine avec Jacques et que chacun/e est parti vivre
avec son pĂšre, Pierre et Perrine peuvent parfaite-
ment se retrouver pour former un couple, puisque
le nom de Françoise n’aura laissĂ© aucune trace...
Passons aux arguments plus sérieux, trÚs sérieux
mĂȘme, puisqu’ils se drapent dans le large manteau
de la psychanalyse : le Nom du PÚre, le seul ha-
bilitĂ© Ă  ouvrir Ă  l’Enfant les Portes de la SociĂ©tĂ©,
tout ça avec des majuscules bien sûr... Ben oui,
c’est sans doute pour ça que les enfants des fa-
milles monoparentales – des mùres seules à plus de
80% - sont si souvent pauvres (et pas parce que,
comme le prétendent les féministes, leurs mÚres
sont sous-payées, cantonnées dans des emplois
mal rémunérés, ou sans emploi, car ne trouvant
pas de solution pour l’accueil de leurs enfants...) :
parce qu’ils n’ont eu personne pour leur tenir la
porte de la société. Enfant sans pÚre, enfant sans
repùre; et sans nom du pùre, c’est pareil. Et sans
nom du pùre seul, ben c’est encore pareil.
Autre argument, il s’agirait de «compenser» une
inĂ©galitĂ© au dĂ©triment des hommes : parce qu’il
n’a pas la possibilitĂ© de porter l’enfant et le mettre
au monde, le pÚre aurait «droit» à la reconaissance
de la transmission de son nom de famille.
M’étant dĂ©jĂ  fait incendier par une vision peu idyl-
lique de la grossesse et de l’accouchement – qui
6 JDJ - N° 333 - mars 20146 JDJ - N° 333 - mars 2014
TRIBUNE
peuvent ĂȘtre vĂ©cus comme un poids autant qu’un
Ă©panouissement - je n’insisterai pas trop sur le fait
que si quelqu’un avait droit Ă  une «compensation»
ou une «reconnaissance», c’est bien la mĂšre... Sans
mĂȘme parler de la prise en charge, toujours tel-
lement inĂ©gale, des soins aux enfants, mĂȘme par
ces pĂšres qui ont pu transmettre leur nom, sans
contestation aucune. Mais ce que j’adore, c’est ce
souci (y compris parmi des femmes qui se reven-
diquent comme féministes) à dénoncer à grands
cris tout risque pour les hommes, si peu enclins
Ă  renoncer Ă  leurs multiples privilĂšges, de subir
le moindre désavantage : là, la supposée injustice
doit ĂȘtre rĂ©parĂ©e sur- le-champ. Les femmes, elles,
peuvent encore attendre.
Revenons Ă  la rĂ©alitĂ©. Dans tous les pays voisins oĂč
des législations semblables existent, la civilisation
ne s’est pas Ă©croulĂ©e et les enfants n’errent pas,
privés de racines, à la recherche de leur cordon
ombilical symbolique. Mais bon, un péril virtuel
reste un péril, surtout quand la menace vise des
catĂ©gories qui ont tout loisir de s’exprimer publi-
quement..
Cependant, Ă  mesure que les discussions avancent
et que les arguments s’affinent, apparaüt la vraie
terreur. Le double nom ? Tant d’opposants à la
loi trouvent soudain que c’est une excellente idĂ©e
qu’on se demande pourquoi ils ne l’ont pas pro-
posée plus tÎt. Non, ce qui leur paraßt vraiment
inacceptable, et mĂȘme contraire Ă  l’égalitĂ© entre
hommes et femmes, c’est la possibilitĂ© que seul
le nom de la mÚre soit gardé et que celui du pÚre
disparaisse, fût-ce en accord avec lui (car rappe-
lons-le, en cas de dĂ©saccord, c’est le double nom
qui sera donné, elle derriÚre et lui devant). Il ne
s’agit pas d’une crainte de perdre un pouvoir, non,
non, non, mais celle que le pĂšre se lave les mains
de ses responsabilités et abandonne sa progéni-
ture pour aller vaquer aux occupations qu’il aime
vraiment, son boulot, la drague, les jeux vidéo
et le foot (1)
. Moi, je serais un homme, je porte-
rais immĂ©diatement plainte pour sexisme : c’est
quoi, cette vision réductrice du mùle ne songeant
qu’à s’enfuir aprùs avoir transmis sa petite graine,
à moins d’avoir le droit de planter une pancarte
avec son titre de propriété, comme les animaux
pissent pour marquer leur territoire ?
Pour en revenir Ă  l’expĂ©rience la plus triviale, on
a pu consater depuis des lustres que la transmis-
sion de leur seul nom n’empĂȘche nullement les
pÚres volages de prendre le large ni de négliger
(ou refuser) de payer une pension alimentaire. À
l’inverse, plus que les mesures symboliques, des
congés parentaux convenablement rétribués et
Ă  prendre obligatoirement par les deux parents,
comme dans les pays nordiques, incitent davan-
tage les pĂšres Ă  prendre leur part du boulot d’édu-
cation et de soins aux enfants.
Bref : on aurait peut-ĂȘtre pu faire autrement, plus
simple, je ne suis guĂšre experte en la matiĂšre. Et
sans doute n’est-ce pas la mesure phare de l’éga-
litĂ© entre hommes et femmes. Ce sera peut-ĂȘtre
aussi un peu plus compliqué dans les familles,
mais oui, la possibilité de choix, ça oblige à ré-
flĂ©chir, parfois Ă  nĂ©gocier, et effectivement, c’est
«plus compliqué». Plus démocratique et égalitaire
aussi, peut-ĂȘtre ocratique, mais «plus compliqué».
Mais de lĂ  Ă  crier au tsunami moral, voire Ă  la dic-
tature  (2)
, il faut une sacrée trouille de perdre non
pas ses «repÚres», mais ses privilÚges.
Personnellement, cette loi m’apparaüt comme le
simple reflet d’une Ă©volution de la sociĂ©tĂ©, qui
n’est ni rĂ©volutionnaire ni menaçante. Je persiste
et je signe, en hommage Ă  ma mĂšre, IrĂšne Briefel -
ce qui n’est jamais que le nom de son pùre à elle...
(1) Cette vision est notamment dĂ©veloppĂ©e par l’ «expert» choisi par Moustique, le
professeur Patrick De Neuter
(2) Le «libéral» Armand De Decker, dans la Libre
JDJ - N° 333 - mars 2014 7
Un enfant exposé aux violences entre
partenaires est un enfant maltraité
Sophia Mesbahi(1)
L’onde de choc des violences conjugales peut parfois dĂ©passer le
couple et s’étendre aux enfants. Pendant longtemps, ces enfants ont
été considérés comme de simples témoins. Mais ceux qui assistent à
des scĂšnes de violences sont Ă©galement victimes. Dans cette analyse,
nous tĂącherons de dĂ©crire, d’une part, l’impact des violences entre
partenaires sur les enfants, d’autre part, de mettre en lumiùre le lien
entre cette exposition et l’apprentissage des relations inĂ©galitaires.
En chiffres
L’Institut pour l’ÉgalitĂ© des Femmes et des Hommes(3)
rapporte les chiffres suivants pour la  Belgique: dans
plus de 40% des situations de violences entre parte-
naires, au moins un enfant a été témoin de violences
sur l’un de ses parents. Quand il s’agit de violences
graves et trĂšs graves, la proportion frĂŽle les 50%. De
plus, 35% des auteurs ont eux-mĂȘmes assistĂ© dans leur
enfance Ă  des violences entre leurs parents.
En contexte de séparation, plus de 56% des situations
de violences ont lieu en présence des enfants.
Enfin, 40% des enfants exposés aux violences entre
partenaires sont Ă©galement victimes de maltraitances
physiques sur leur propre personne.
Pour parler des enfants exposés aux violences entre
partenaires, on a longtemps employé le terme «té-
moin». Pourtant, aujourd’hui, il est largement admis
que les enfants qui assistent Ă  des scĂšnes de violence
entre partenaires sont exposés directement à celles-ci.
Depuis quelques années, en matiÚre de lutte contre les
violences entre partenaires, les enfants sont reconnus
comme une catégorie de victimes à part entiÚre. Cette
reconnaissance participe Ă  la prise de conscience de
l’existence d’un prĂ©judice pour les enfants exposĂ©s Ă 
la violence. Ceux-ci sont davantage que des témoins,
puisqu’ils ne sont pas Ă  l’abri de la menace : «dans l’ex-
pression «tĂ©moin», il semble que l’enfant n’est pas person-
nellement impliqué, convoqué malgré lui dans ce contexte
et ce qu’il produit. Or il en est tout autrement. En effet,
l’enfant exposĂ© vit au cƓur d’une dynamique modulĂ©e par
le cycle de la violence conjugale»(2)
. De plus, il existe une
corrélation entre maltraitance infantile et violences
entre partenaires. En effet, nombreux sont les enfants
qui vivent dans un contexte violent et sont eux-mĂȘmes
victimes de maltraitances directes de la part de l’un ou
l’autre parent, voire les deux.
(1) Chargée de mission à la fédération des centres de planning familial des FPS. Le titre
de cet article est librement inspiré de la brochure Un enfant exposé aux violences
conjugales est un enfant maltraitĂ© rĂ©alisĂ©e par la Direction de l’ÉgalitĂ© des Chances de
la FĂ©dĂ©ration Wallonie-Bruxelles de Belgique, disponible Ă  l’adresse suivante : http://
www.egalite.cfwb.be
(2) J.-L. SIMOENS, Le cycle de la violence, un outil d’intervention ciblĂ©e auprĂšs des enfants
exposés aux violences conjugales, LiÚge, C.V.F.E., décembre 2011, p. 2.
(3) Voy. X, Les expériences des femmes et des hommes en matiÚre de violence psycholo-
gique, physique et sexuelle, I.E.F.H., 2010.
8 JDJ - N° 333 - mars 20148 JDJ - N° 333 - mars 2014
Impacts sur les enfants
Les conséquences sur la santé et le comportement
des enfants sont multiples, mais pas spécifiques. En
présence de certains symptÎmes caractéristiques de la
maltraitance, le professionnel de santé ou le travailleur
social peut seulement formuler l’hypothùse d’un
contexte familial préoccupant.
L’impact des violences conjugales sur l’enfant se rĂ©per-
cute aussi bien sur son développement psychologique
(estime de soi, culpabilisation, dépression, anxiété)
que physique (blessures accidentelles ou intention-
nelles, retard de croissance, énurésie, troubles du lan-
gage). Toutefois, tous les enfants exposés réagissent
différemment, et certains peuvent ne présenter aucun
trouble perceptible.
1) Troubles affectifs et relationnels
L’enfant peut manifester des difficultĂ©s Ă  s’attacher et/
ou à se séparer, à identifier ses émotions et les gérer.
Il peut également souffrir de timidité excessive, de
crainte des adultes, de dĂ©pression et d’anxiĂ©tĂ©.
2) Troubles comportementaux
Les enfants exposés aux violences peuvent avoir ten-
dance Ă  reproduire eux-mĂȘmes la violence au travers de
jeux, Ă  prĂ©senter des difficultĂ©s de concentration, Ă  ĂȘtre
irritables, excessivement fatigués ou au contraire, hy-
peractifs. Ils peuvent Ă©galement adopter des conduites
addictives, suicidaires, ou fuguer et «délinquer».
3) Conséquences physiques et psychosomatiques
Outre les blessures indirectes ou directes causées par
les violences intrafamiliales, l’enfant peut souffrir d’un
manque de soins ou de négligences.
Des troubles psychosomatiques peuvent Ă©galement
apparaĂźtre. Il s’agit le plus souvent d’énurĂ©sie, de re-
tards de croissance, de maux de tĂȘte, maux de ventre,
malaises, troubles du sommeil.
4) Effets sur le développement cognitif
Certains enfants développent, en réponse à la violence,
des troubles de l’apprentissage liĂ©s notamment Ă  un
dĂ©ficit d’attention et/ou Ă  un dĂ©sintĂ©rĂȘt pour l’école.
Ils peuvent aussi avoir des difficultĂ©s d’audition et de
langage.
Par ailleurs, 60% de ces enfants présentent un syn-
drome de stress post-traumatique. Il s’agit d’un trouble
anxieux qui survient Ă  la suite d’un ou plusieurs Ă©vĂ©ne-
ments stressants et qui se traduit par des difficultés de
concentration, d’attention, de l’irritabilitĂ©, de l’agres-
sivitĂ© envers soi-mĂȘme et les autres, de l’anxiĂ©tĂ©, de la
dépression, etc.
Attitudes des enfants face
aux violences entre partenaires
En réaction à la violence, les enfants peuvent avoir des
attitudes différentes. Ils peuvent prendre parti pour
l’un ou l’autre parent, ĂȘtre coincĂ©s dans un conflit
de loyauté(4)
ou encore faire comme si rien ne se pas-
sait. Selon le contexte, ils endossent un rÎle différent
et mettent en place des stratégies pour faire face aux
crises.
Lorsque l’enfant «perçoit l’environnement comme Ă©tant
composĂ© de «bourreaux» et de «victimes’»(5)
, il peut avoir
tendance Ă  prendre parti pour la victime. Il considĂšre
l’auteur comme responsable de ce qui se passe au sein
du foyer et tente d’éviter que la violence n’atteigne
le parent victime. Si l’enfant perçoit son environne-
ment comme «composĂ© de «gagnants» et de ‘perdants’;
la violence est un moyen efficace pour ĂȘtre du cĂŽtĂ© des
gagnants»(6)
. Il s’identifie alors au parent auteur et
considĂšre la victime comme responsable de ce qui leur
arrive Ă  tous.
Si l’enfant reçoit des messages contradictoires de la
part de ses parents, il peut se sentir obligé de prendre
position. Dans ce cas, l’enfant ne prend rĂ©ellement
parti ni pour l’un ni pour l’autre et tente de rester fi-
dĂšle aux deux. Il peut alors se sentir responsable et
impuissant.
L’enfant peut Ă©galement ĂȘtre dans le dĂ©ni et prĂ©texter
que les violences n’existent pas. Si ses parents bana-
lisent celles-ci, l’enfant doute de son ressenti et peut
aller jusqu’à bloquer ses Ă©motions.
(4) L’enfant se retrouve malgrĂ© lui tiraillĂ© entre les attentes de son pĂšre et celles de
sa mĂšre.
(5) Un enfant exposé aux violences conjugales est un enfant maltraité, op. cit., p. 34.
(6) Ibidem, p. 36..
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1) Stratégies adoptées
Que les violences soient dirigées contre eux ou contre
un parent, les enfants développent des techniques de
défense et de protection. Ces mécanismes viennent
influencer les facteurs de risques et de protection in-
hérents à leur situation (famille, entourage, école, aide
sociale).
Les stratégies principales sont les suivantes(7)
 :
- blocage psychologique ou déconnexion émotion-
nelle;
- crĂ©ation d’une situation imaginaire;
- Ă©vitement physique;
- recherche d’amour et d’acceptation;
- prise en charge comme gardien protecteur;
- demande directe/indirecte d’aide;
- réorientation des émotions vers des activités positives;
- tentatives de donner du sens aux violences, de les pré-
dire, d’éviter l’irruption des comportements violents.
2) RÎles endossés
Dans la dynamique familiale, les enfants exposés aux
violences sont amenés à endosser certains rÎles afin de
se protĂ©ger. Les positions qu’ils adoptent peuvent Ă©vo-
luer au cours du cycle de la violence et circuler d’un
enfant à l’autre dans la fratrie.
Le «petit parent» se sent investi d’une mission de pro-
tection vis-Ă -vis du parent victime et de la fratrie, il
veille à leur sécurité tandis que le «petit agresseur» peut
avoir des passages à l’acte violents envers la victime.
Il s’identifie à l’auteur des violences pour contrer ses
angoisses et Ă©viter de contrarier le parent auteur. Dans
un autre registre, l’«enfant modĂšle» est autonome et trĂšs
bon Ă  l’école, il fait de son mieux pour ne jamais faire
de vagues et il évite tout ce qui, selon lui, est généra-
teur de violences. Le «bouc émissaire» quant à lui, est
au cƓur des tensions et perçu par les adultes comme la
cause des violences.
Bien que ces rÎles servent à «retrouver une impression
de contrÎle sur leur environnement»(8)
, ils peuvent nuire
Ă  l’épanouissement des enfants s’ils perdurent dans le
temps. Une fois écartés de la violence, les enfants se
dĂ©gagent petit Ă  petit des rĂŽles qu’ils avaient endossĂ©s
et apprennent à retrouver leur place d’enfant.
La parentalité remise
en question
Qu’ils soient victimes ou auteurs, la prise en charge
des violences entre partenaires met (inévitablement ?)
en doute les compétences parentales.
a. Victime et responsable de la souffrance
des enfants ?
La violence est intimement liée au manque de choix.
En effet, «les violences conjugales infligent une souffrance
psychologique qui affecte la volonté du sujet, ses liens af-
fectifs, ses loyautés et ses croyances. Elles occultent pour
beaucoup de femmes l’impact sur leurs enfants et l’im-
pact sur leurs capacités de perceptions parentales»(9)
. Cer-
taines victimes peuvent ainsi sembler confuses et peu
concernées par les violences agies au sein de la famille.
En consĂ©quence, l’exercice de la parentalitĂ© est inco-
hĂ©rent et il n’est pas rare que les victimes soient tenues
responsables de la souffrance de leurs enfants par leur
entourage, le corps médical ou certains travailleurs so-
ciaux. D’ailleurs, «les manquements des mĂšres, en tant
que parent, sont beaucoup plus signalés que ceux des
pÚres»(10)
.
Pourtant, si négligences il y a, elles sont majoritai-
rement le rĂ©sultat de la culpabilitĂ©, l’angoisse, la co-
lĂšre, l’indisponibilitĂ© Ă©motionnelle ou simplement
l’absence ou la perte de savoir-faire(11)
. L’inconstance
dans l’éducation des enfants est Ă©galement considĂ©rĂ©e
comme une stratégie pour éviter les crises. En présence
de l’auteur des violences, «les victimes peuvent se mon-
trer soit plus froides ou brusques, soit au contraire plus
indulgentes ou permissives Ă  l’égard de leur enfant»(12)
.
b. L’auteur de violences est-il un mauvais
parent (13)
?
Les auteurs de violences conjugales sont souvent consi-
dérés comme de mauvais parents. Pour beaucoup, il
(7) Ibidem, p. 30-31.
(8) Ibidem, p. 32.
(9) A. AÏT HMAD, Violence conjugale et enfants : oĂč en sommes-nous ?, LiĂšge, C.V.F.E.,
septembre 2012, p. 2.
(10) Un enfant exposé aux violences conjugales est un enfant maltraité, op. cit., p. 45.
(11) A. AÏT HMAD, Violence conjugale et enfants : oĂč en sommes-nous ?, op. cit., p. 3.
(12) Un enfant exposé aux violences conjugales est un enfant maltraité, op. cit., p. 46.
(13) À ce sujet, Voy. B. BASTARD, Un conjoint violent est-il un mauvais parent ?, Bruxelles,
Fédération Wallonie-Bruxelles de Belgique, octobre 2013.
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semble en effet difficile de concilier adéquation vis-à-vis
de l’enfant et violences entre partenaires.
Une étude française a montré que «les pÚres violents
ont un style de parentalité différent de celui des pÚres non
violents»(14)
. L’évaluation des compĂ©tences parentales des
auteurs est essentielle pour Ă©valuer le risque que courent
les enfants exposés. Leur capacité à tenir compte des
besoins de l’enfant est limitĂ©e et ils font preuve de peu
d’empathie. Cependant, lorsqu’il s’agit de l’intĂ©rĂȘt de
l’enfant, il faut absolument distinguer le partenaire du
pĂšre; «en effet, comment penser que la mise Ă  l’écart d’un
pÚre puisse résoudre le problÚme comme par un coup de
baguette magique ?»(15)
.
Quelle que soit la situation familiale, c’est l’«intĂ©rĂȘt su-
pĂ©rieur de l’enfant»(16)
qui doit primer. Avec un soutien
adaptĂ©, les aptitudes parentales peuvent toujours ĂȘtre
dĂ©veloppĂ©es. C’est la raison pour laquelle, mĂȘme en
contexte de violences conjugales, le maintien des rela-
tions parents/enfants est de plus en plus valorisé.
Apprentissage de l’inĂ©galitĂ©
entre hommes et femmes
Répétition de la violence et rapports sociaux inéga-
litaires vont de pair. En effet, l’impact des violences
conjugales varie notamment selon le sexe de l’enfant.
Selon certains psychologues, les garçons auraient ten-
dance à extérioriser davantage les conséquences de leur
exposition à la violence. D’autre part, les petits garçons
comme les petites filles observent et apprennent trĂšs tĂŽt
Ă  reproduire la violence ou Ă  se positionner en victime.
Plus tard, dans leurs relations amoureuses, ces enfants
peuvent ĂȘtre amenĂ©s Ă  reproduire les comportements
agressifs ou la victimisation. Pour une femme qui a
Ă©tĂ© exposĂ©e aux violences dans l’enfance, la probabilitĂ©
d’ĂȘtre victime de violences conjugales est trois fois plus
grande. Si elle a été victime de maltraitances directes,
celle-ci est cinq fois plus grande.
On constate ainsi que certains garçons adoptent des
comportements agressifs et de domination, tandis
que chez certaines filles, on remarque une tendance Ă 
«s’adapter au dĂ©sir et attentes de l’autre, repousser les limites
de ce qui est acceptable pour soi, par empathie et/ou pour
exister, ou encore pour tenter d’obtenir une reconnaissance
sociale»(17)
.
La distinction de l’impact selon le sexe dĂ©pend prin-
cipalement de la socialisation. En effet, les rĂŽles attri-
bués traditionnellement aux filles et garçons ainsi que
les rÎles intériorisés par ceux-ci favorisent la répétition
de la violence.
Cette exposition aux violences et leur répétition ali-
mentent les reprĂ©sentations sociales inĂ©galitaires. L’ap-
prentissage de l’inĂ©galitĂ© entre hommes et femmes est
intimement liĂ© aux dynamiques familiales. C’est pour-
quoi, dans le cadre de la prise en charge des victimes et
des enfants exposés aux violences entre partenaires, il est
essentiel de travailler sur la non-violence et les relations
Ă©galitaires.
Conclusion
L’exposition aux violences entre partenaires est dĂ©sor-
mais reconnue comme de la maltraitance infantile.
L’apprentissage des relations inĂ©galitaires est une de ses
consĂ©quences et non des moindres, puisque l’intĂ©rio-
risation de l’inĂ©galitĂ© entre hommes et femmes a des
répercussions potentielles sur la vie affective, sexuelle,
sociale et professionnelle de ces futurs adultes. Alors,
que peut-on faire ? Deux pistes de réflexion sont à envi-
sager : le travail en réseau et la prise en charge spécifique
des enfants exposés.
La prise en charge des violences intrafamiliales a plus de
chance de porter ses fruits si elle repose sur un travail Ă 
la fois pluridisciplinaire et spécialisé. En temps de crise,
le réseau psycho-médico-social tout entier doit se mobi-
liser afin d’accueillir les victimes adultes et enfants. Par
la suite, un travail de fond doit nécessairement avoir lieu
pour permettre aux enfants exposĂ©s d’intĂ©grer des mo-
dĂšles relationnels Ă©galitaires. Ce travail sert Ă©galement
de prévention à la répétition de la violence. Un enfant à
qui l’on a appris Ă  reconnaĂźtre les modĂšles Ă©galitaires et
qui les met en Ɠuvre dans ses relations avec autrui est
moins susceptible de reproduire ou subir des violences
dans sa vie affective et sexuelle future.
Un accompagnement de qualité des enfants participe
à la lutte contre les violences intrafamiliales et prévient
l’apparition de nouvelles victimes.
(14) Un enfant exposé aux violences conjugales est un enfant maltraité, op. cit., p. 42.
(15) B. BASTARD, Un conjoint violent est-il un mauvais parent ?, op. cit., p. 44.
(16) Article 3 de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant : «Dans toutes les
dĂ©cisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions
publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités admi-
nistratives ou des organes lĂ©gislatifs, l’intĂ©rĂȘt supĂ©rieur de l’enfant doit ĂȘtre
une considération primordiale».
(17) Un enfant exposé aux violences conjugales est un enfant maltraité, op. cit., p. 28.
JDJ - N° 333 - mars 2014 11
La rĂ©alisation des droits de l’enfant,
c’est aussi une question de budget
Sarah D’hondt et Siska Van de Weyer(1)
Le ComitĂ© des Droits de l’Enfant des Nations unies exprime
depuis quelques annĂ©es ses prĂ©occupations sur l’absence de toute
indication concernant la maniĂšre dont Ă©voluent les budgets des
États signataires de la Convention dans les matiùres qui concernent
les mineurs. Il entame cette annĂ©e une rĂ©ïŹ‚exion en vue de rĂ©diger
un commentaire général sur le «child budgeting». Comment aborder
concrÚtement cet exercice en Belgique ? La Commission nationale des
droits de l’enfant (CNDE) a rĂ©alisĂ© une note de rĂ©ïŹ‚exion pour poser
les jalons d’un choix politique rĂ©ïŹ‚Ă©chi en la matiĂšre.
(1) Respectivement présidente et attachée de la Commission nationale pour les droits de
l'enfant. Cette contribution est le rĂ©sumĂ© d’une note de rĂ©ïŹ‚exion, rĂ©digĂ©e dans le cadre
des travaux de la Commission Nationale pour les Droits de l’Enfant. Elle vise à susciter
une rĂ©ïŹ‚exion plus gĂ©nĂ©rale en la matiĂšre. Les auteurs remercient le Kenniscentrum
Kinderrechten (KeKi), De Ambrassade, DEI Belgique, la Kinderrechtencoalitie, le Kin-
derrechtencommissariaat, l’Institut du DĂ©lĂ©guĂ© gĂ©nĂ©ral aux droits de l’enfant, l’Institut
pour l’égalitĂ© des femmes et des hommes, Unicef Belgique, la Vlaamse administratie
(Agentschap sociaal-cultureel werk voor jeugd en volwassenen, afdeling Jeugd et le
DĂ©partement FinanciĂ«n en Begroting) et l’OEJAJ pour leurs suggestions. La note a Ă©tĂ©
intégralement publiée en NL dans le TJK (Tijdschrift voor Jeugd- en Kinderrechten).
La version FR complĂšte (avec mention des sources consultĂ©es) ïŹgure sur www.cnde.
be, rubrique «actualités sur la CNDE».
Lors de l’établissement d’un canevas pour le rapport
pĂ©riodique sur la mise en Ɠuvre de la Convention In-
ternationale relative aux droits de l’enfant en Belgique
(CIDE), s’est posĂ©e la question de la disponibilitĂ© de
l’information concernant les budgets des programmes
destinés aux mineurs. Le constat est malheureuse-
ment identique à celui déjà effectué en 2010, lors de
la présentation belge du précédent rapport CIDE pé-
riodique (troisiÚme et quatriÚme rapports combinés)
de la Belgique : les données ne sont pas directement
disponibles.
C’est la raison pour laquelle le secrĂ©tariat de la Com-
mission Nationale pour les Droits de l’Enfant (CNDE)
a dĂ©cidĂ© d’explorer les jalons d’un choix politique rĂ©-
fléchi pour la budgétisation des programmes destinés
aux enfants (en anglais, child budgeting). Dans cette
note, cette budgétisation est présentée comme une
premiĂšre Ă©tape. Une analyse approfondie du budget
pour mineurs permettra par la suite de construire les
fondements d’un child friendly budgeting, c’est-à-dire
une façon d’allouer le budget qui soit adaptĂ©e aux en-
fants et Ă  leurs besoins.
La FĂ©dĂ©ration Wallonie-Bruxelles semble d’ores et dĂ©jĂ 
convaincue de l’importance d’une telle dĂ©marche. Son
plan d’action triennal pour les enfants le plus rĂ©cent
fait Ă©tat de la volontĂ© d’ «identifier dans le budget les al-
locations et montants qui ont comme destinataires directs
ou indirects les enfants». De son cĂŽtĂ©, le plan d’Action
flamand pour les droits de l'enfant (Vlaams Actie-
plan Kinderrechten) 2011-2014 envisage la possibi-
litĂ© d’inventorier les budgets utilisĂ©s pour amĂ©liorer la
situation des enfants, afin d’optimaliser leur attribu-
tion (objectif opérationnel 1.4). Lors du premier suivi
du plan flamand pour la politique de la jeunesse et
du plan d’Action flamand pour les droits de l‘enfant,
les points de contact ont été invités à mentionner les
budgets. L’exercice a Ă©chouĂ© Ă  cause d’un manque de
réaction. Le gouvernement flamand souhaite toutefois
poursuivre la réflexion et espÚre que le secrétariat de la
CNDE pourra l’inspirer.
À la suite d'impulsions internationales (United Na-
tions Entity for Gender Equality and the Empower-
ment of Women) et europĂ©ennes (Conseil de l’Eu-
rope), le gouvernement fédéral a, depuis 2007, mis en
Ɠuvre un autre systĂšme de budgĂ©tisation thĂ©matique,
le gender budgeting. Cela nous a semblé un point de
dĂ©part intĂ©ressant pour Ă©tudier la faisabilitĂ© d’un pro-
gramme similaire en faveur des enfants.
Cette contribution s’articule autour de trois thùmes :
nous esquisserons premiÚrement un cadre théorique de
la demande actuelle de procéder à une budgétisation
des programmes destinés aux enfants, nous aborderons
ensuite la plus-value et les limites d’un tel exercice et,
finalement, nous proposerons des recommandations en
vue d’une application concrùte dans le contexte belge,
avec pour objectif final de parvenir à une budgétisation
adaptée aux enfants (child friendly budgeting).
12 JDJ - N° 333 - mars 201412 JDJ - N° 333 - mars 2014
Cadre théorique
«Dans le cas des droits économiques, sociaux et culturels,
ils [les États parties] prennent ces mesures dans toutes
les limites des ressources dont ils disposent ». L’article
4 de la Convention internationale relative aux droits
de l’enfant (CIDE) peut ĂȘtre vu comme une premiĂšre
tentative de s’engager dans le child budgeting et de
tendre vers une utilisation optimale des budgets. Le
ComitĂ© des droits de l’enfant des Nations unies de-
mande Ă©galement dans ses directives concernant la
forme et le contenu des rapports pĂ©riodiques d’indi-
quer si le budget pour la rĂ©alisation des droits de l’en-
fant est clairement identifié et suivi et de reprendre
certaines informations budgétaires dans les rapports
pĂ©riodiques des États parties.
L’intĂ©rĂȘt de l’article 4 de la CIDE est d’ailleurs sou-
ligné par le Comité par le biais de son Observation
générale n° 5 et des recommandations formulées lors
de la Journée de Discussion générale de 2007 consa-
crĂ©e au thĂšme «budget pour les droits de l’enfant». Le
Comité encourage vivement les pouvoirs publics des
États signataires de la Convention à identifier de façon
périodique les moyens économiques, humains et orga-
nisationnels disponibles pour la réalisation des droits
de l’enfant, ainsi que les moyens qui sont effective-
ment utilisĂ©s pour implĂ©menter les droits de l’enfant.
Cette information est en effet utile pour une Ă©valuation
correcte des mesures qui sont prises Ă  tous les niveaux
de l’État. Elle permet de veiller à ce que le planning
Ă©conomique et social – qui donne lieu Ă  des dĂ©cisions
politiques et budgĂ©taires – soit Ă©tabli dans l’intĂ©rĂȘt su-
pĂ©rieur de l’enfant et que les mineurs, y compris les
groupes vulnérables, soient protégés contre les effets
indésirables de la politique économique ou contre les
fluctuations du marché financier.
Le ComitĂ© des droits de l’enfant des Nations unies de-
meure malheureusement extrĂȘmement vague concer-
nant la maniĂšre dont cet exercice pourrait ĂȘtre abordĂ©
concrĂštement. En outre, il ne procĂšde toujours pas Ă 
une évaluation effective des choix budgétaires qui sont
connus. Pour l’instant, le ComitĂ© se contente d’obser-
ver simplement l’obligation de non-rĂ©gression, «the
obligation to not take any retrogressive steps». Nous at-
tendons donc impatiemment le commentaire général
sur le child budgeting en voie d’élaboration.
La littérature disponible indique que le child budgeting
est un processus complexe, intensif et de longue durée.
Nous prĂ©conisons dĂšs lors de confronter tout d’abord
la plus-value du child budgeting aux efforts que coûtera
sans aucun doute cet exercice.
Avantages
La budgétisation des programmes destinés aux en-
fants est un outil stratégique qui peut permettre une
meilleure compréhension du systÚme de financement
complexe et fragmenté des pouvoirs publics. La carto-
graphie qui en rĂ©sulte peut Ă©galement ĂȘtre rĂ©vĂ©latrice
d’éventuels manques et chevauchements.
L’établissement d’un compte rendu transparent a aussi
l’avantage de permettre aux citoyens (mineur et ma-
jeur) de mieux comprendre les affectations budgétaires
des pouvoirs publics(2)
. Enfin, un tel travail donne aux
autoritĂ©s l’occasion de rendre compte de leurs dĂ©-
penses et de leurs efforts pour la réalisation des droits
de l’enfant.
Cette budgétisation est ainsi un instrument important
pour rendre mesurable et visible l’effet d’une politique
des droits de l’enfant. Toutefois, il faut relativiser le
lien entre un budget et l’effet qui en rĂ©sulte. Un bud-
get important n’est pas toujours nĂ©cessaire pour rĂ©ali-
ser des projets intĂ©ressants. De plus, il n’est pas en tant
que tel la preuve d’une politique efficace et adaptĂ©e
aux enfants.
Une transparence Ă  ce niveau prĂ©sente en outre l’avan-
tage de pouvoir prévenir plus aisément les attentes ir-
réalistes de certaines ONG qui font du lobbying en
faveur des droits de l’enfant. Elle peut les pousser à
établir des priorités et à poursuivre avant tout une
amĂ©lioration de l’efficacitĂ© dans l’utilisation des res-
sources budgétaires. Une attitude pragmatique peut
ainsi se substituer Ă  une quĂȘte parfois irrĂ©aliste de bud-
gets toujours plus importants.
Le rĂ©sultat de l’analyse des budgets consacrĂ©s aux mi-
neurs peut en outre susciter Ă  court terme une prise de
conscience, dans le monde politique, de la nécessité
pour les budgets départementaux de concentrer leur
attention sur le développement de programmes adap-
tés aux enfants.
À long terme, une telle analyse peut conduire à une
utilisation plus efficace des moyens publics, ainsi qu’à
(2) Dans ce cadre, nous recommandons à l’État belge de participer au projet International
Budget Partnership du centre américain Centre on Budget and Policy Priorities,
voir http://internationalbudget.org/what-we-do/open-budget-survey/).
JDJ - N° 333 - mars 2014 13
améliorer les collaborations entre les différents services.
Le résultat peut également permettre de développer
une méthodologie prédictive en matiÚre de coûts afin
d’estimer le budget des programmes Ă  dĂ©velopper.
Le child budgeting pourrait aussi, pour autant qu’une
mĂȘme approche soit adoptĂ©e, ĂȘtre un instrument utile
lors de la comparaison des priorités politiques des pays
les uns avec les autres. Une telle cartographie Ă©largie
permet la rĂ©alisation d’analyses et l’échange de bonnes
pratiques au niveau international. Il conviendra tou-
tefois de tenir compte ici dans une large mesure des
différentes situations de départ et des priorités et réali-
tés culturelles différentes, qui peuvent toutes avoir leur
impact tant sur le contenu de la notion de «droits de
l’enfant» que sur la transposition concrĂšte des droits de
l’enfant dans leur politique. En outre, nous rĂ©itĂ©rons
à nouveau ici cette remarque : le budget ne constitue
qu’un des Ă©lĂ©ments Ă  prendre en compte lors de l’ana-
lyse. Il ne dit en soi rien sur la qualité de la politique
menĂ©e. Cela vaut aussi bien au niveau national qu’in-
ternational.
Limites
Cet exercice a aussi ses limites. Tout d’abord, il est trùs
difficile de distinguer, dans la comptabilité publique
globale, un budget en faveur des mineurs sans prévoir
la moindre marge d’erreur.
Les données budgétaires sont souvent incomplÚtes,
insuffisamment détaillées, peu transparentes ou sim-
plement indisponibles. Ce qui implique notamment
que les budgets des programmes destinés à des groupes
cibles spécifiques, comme les mineurs qui vivent dans
la pauvreté ou les mineurs étrangers, ne sont pas tou-
jours aisément identifiables.
En cas d’absence de ventilation entre les bĂ©nĂ©ficiaires
mineurs et majeurs, il y aura Ă©galement lieu d’utiliser
des clés de répartition pour calculer la part réservée
aux mineurs. Il n’est bien entendu pas opportun de
se fonder systématiquement sur la proportion de mi-
neurs dans la population totale. Les clés de répartition
doivent ĂȘtre fixĂ©es (par approximation) en fonction
des montants effectivement dépensés pour les mi-
neurs. Cette maniÚre de procéder rend inévitablement
le résultat final moins précis.
Par ailleurs, certaines mesures prises dans des do-
maines qui ne présentent aucun lien avec des mineurs
peuvent parfois avoir des effets positifs indirects sur
eux. Par exemple, la taxe sur le tabac augmente le prix
des cigarettes, ce qui peut avoir un effet dissuasif sur la
consommation de tabac chez les mineurs.
Une autre limite touche Ă  l’objectivitĂ© de l’exercice.
Étant donnĂ© que notre cartographie a pour but de
procéder par la suite à une analyse et à une évaluation
de la politique budgétaire qui a été menée, il faudra
reprendre uniquement les données qui constituent
une plus-value pour l’analyse envisagĂ©e. Il faudra donc
savoir quels sont les budgets qui offrent ou non une
plus-value en termes de droits de l’enfant. C’est ainsi
que l’on pourra, par exemple, estimer que les budgets
destinĂ©s Ă  l’amĂ©nagement de passages pour piĂ©tons ou
de casse-vitesse aux abords des Ă©coles doivent ĂȘtre in-
clus, contrairement aux budgets destinés à aménager
un rond-point de sécurité ou à limiter la vitesse en ag-
glomération, ce qui entraßne inévitablement des choix
subjectifs avec pour conséquence que la définition fi-
nale du budget en faveur des mineurs ne pourra se
dérouler en toute objectivité. Afin de pouvoir accorder
une certaine autoritĂ© Ă  l’exercice, il y a lieu d’élaborer
une mĂ©thodologie bien rĂ©flĂ©chie soutenue par l’en-
semble des personnes concernées.
Une troisiÚme réserve constitue la charge de travail trÚs
intense qu’implique l’exercice. En cas de compĂ©tences
mixtes, différents niveaux de pouvoir sont compétents
pour le financement d’un seul et mĂȘme poste budgĂ©-
taire. Cela implique que les données sont éparpillées à
plusieurs niveaux de compétences et éventuellement
enregistrées de différentes maniÚres. Les réunir et les
rendre comparables entre elles nécessitera donc une
approche uniforme, qui reste Ă  construire.
Étant donnĂ© que les dĂ©penses publiques prennent rĂ©-
guliùrement la forme d’un transfert à un autre pou-
voir chargĂ© de l’exĂ©cution effective de la politique, un
risque de double comptage n’est pas exclu. Le dĂ©dou-
blement de ces données demandera lui aussi du temps.
Une comparaison des budgets sur plusieurs années
peut en outre s’avĂ©rer difficile parce que, en plus des
programmes et des organisations, il est possible que les
définitions et les catégories de budget au sein de ces pro-
grammes subissent des modifications au fil du temps.
Ce type de budgétisation entraßnera inévitablement
des frais supplémentaires, et ce tant au niveau de la
collecte des données nécessaires auprÚs de tous les dé-
partements qu’au niveau de leur traitement. Le coĂ»t
s’exprime à la fois en termes de personnel et d’infra-
structure technique.
14 JDJ - N° 333 - mars 201414 JDJ - N° 333 - mars 2014
Un travail intensif mais utile
AprÚs cette premiÚre analyse, il apparaßt déjà claire-
ment qu’une approche parfaitement objective est ex-
clue quelle que soit la méthodologie finalement choi-
sie, et que l’exercice comportera son lot d’imperfec-
tions.
Toutefois, et malgrĂ© le fait qu’elle implique un travail
intensif, la budgétisation des programmes consacrés
aux mineurs fait partie intĂ©grante d’une politique des
droits de l’enfant performante. Le citoyen a le droit
de connaĂźtre les prioritĂ©s politiques et l’impact des
mesures politiques (pour autant que cet impact soit
mesurable et plus encore: pour autant que la mesure
de cet impact puisse ĂȘtre rĂ©alisĂ©e sur la base d’informa-
tions budgĂ©taires). D’autre part, tous les États parties
à la Convention sont soumis à l’obligation internatio-
nale de justifier comment ils respectent la Conven-
tion qu’ils ont ratifiĂ©e. Un simple renvoi Ă  des initia-
tives législatives et administratives, sans évaluer ou au
moins rendre mesurable leur impact et l’efficacitĂ© des
efforts budgĂ©taires entrepris, ne peut pas ĂȘtre quali-
fiĂ© de «justification». Ce qui intĂ©resse le ComitĂ©, c’est
l’effet concret de ces initiatives sur la vie quotidienne
des mineurs.
Pour les raisons susmentionnées, nous ne doutons pas
de la plus-value d’une budgĂ©tisation spĂ©cifique, ser-
vant Ă  la fois d’instrument prĂ©paratoire pour une po-
litique et de vecteur d’évaluation de cette derniĂšre par
la suite. Tout en retenant qu’une information budgĂ©-
taire ne constitue qu’un seul aspect d’une Ă©valuation
qualitative et quantitative. Une telle Ă©valuation pour-
rait s’effectuer par le biais d’indicateurs des droits de
l’enfant, dont l’élaboration est actuellement mise en
route par la Commission Nationale pour les Droits de
l’Enfant.
Objectif ïŹnal : un budget
adapté aux enfants
La budgétisation des programmes destinés aux mi-
neurs ne constitue, Ă  notre sens, que la premiĂšre Ă©tape
d’un processus plus vaste visant Ă  Ă©tablir un budget
adapté aux enfants (child friendly budgeting). Le Co-
mitĂ© des Droits de l’Enfant des Nations unies en a fait
la recommandation à la suite de la journée de discus-
sion générale sur «le secteur privé comme fournisseur de
services», qui a eu lieu en 2002.
Lorsque la cartographie des budgets destinés aux mi-
neurs aura Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e, elle devra ĂȘtre soumis Ă  une
analyse approfondie et déboucher sur des recomman-
dations. L’objectif est de parvenir à une affectation et
une utilisation efficaces des budgets pour mettre en
Ɠuvre la politique en faveur des mineurs.
Nous pouvons ainsi distinguer trois phases qui for-
ment un cycle fondĂ© sur une vision des droits de l’en-
fant: la cartographie des budgets (child budgeting),
l’analyse, et les recommandations politiques en vue
de procéder au child friendly budgeting. Ci-aprÚs, nous
développons ces trois phases, en précisant les objectifs
poursuivis et la maniĂšre dont ils peuvent ĂȘtre rĂ©alisĂ©s(3)
.
Phase 1
Cartographie des budgets
destinés aux mineurs
Qui ?
Les pouvoirs publics disposent largement du person-
nel et de l’expertise nĂ©cessaires (des personnes qui
sont responsables de l’établissement de statistiques,
de budgets, de demandes de budgets, de la collecte
de donnĂ©es). L’accĂšs aux donnĂ©es chiffrĂ©es ainsi que
l’apprĂ©ciation de leur pertinence et de leur prĂ©cision
ne constitue en principe aucun problĂšme pour eux. Si
tel devait nĂ©anmoins ĂȘtre le cas, le problĂšme pourrait
alors ĂȘtre pris Ă  sa source. Les pouvoirs publics sont en
principe les plus Ă  mĂȘme de brosser le tableau le plus
exhaustif possible des budgets destinés aux mineurs.
Le ComitĂ© des Droits de l’Enfant des Nations unies
s’adresse lui aussi explicitement aux pouvoirs publics
dans sa demande de collecte des budgets et de leur
intégration aux rapports périodiques CIDE.
Si la tĂąche doit donc principalement incomber aux
pouvoirs publics, elle se réalisera de préférence en
proche collaboration avec le monde académique et la
sociĂ©tĂ© civile. Le rĂŽle de ces derniers s’intensifiera au
cours des Ă©tapes suivantes.
L’élaboration d’une mĂ©thodologie uniforme et l’ac-
compagnement du projet doivent, Ă  notre sens, ĂȘtre
confiés de préférence à une équipe multidisciplinaire
composĂ©e Ă  la fois d’experts techniques, qui savent
(3) Nous rappelons que la présente contribution a pour vocation de susciter la discussion.
La faisabilité politique, budgétaire et technique de la proposition relÚve en majeure
partie des entitĂ©s publiques qui, de prĂ©fĂ©rence, se feront inspirer par l’expertise du
monde académique et de la société civile.
JDJ - N° 333 - mars 2014 15
quelles données sont disponibles et sous quelle forme
elles sont disponibles (pourcentages, chiffres globaux,
chiffres ventilés, collectés par année fiscale ou par an-
nĂ©e scolaire
), et d’experts de fond (disposant de so-
lides connaissances en matiÚre de budgétisation des
programmes pour mineurs, de droits de l’enfant, de
politiques menées en faveur des mineurs, compte tenu
de la structure de l’État
). La collecte des donnĂ©es in
concreto revient plutÎt aux administrations concernées.
Comment ?
Il est important que tout choix méthodologique soit
motivé explicitement. Une telle transparence permettra
d’accroĂźtre la fiabilitĂ© et la clartĂ© du compte rendu qui
sera Ă©tabli et de l’analyse qui s’ensuivra. Il nous semble
opportun d’adopter, dùs cette premiùre phase, une ap-
proche axĂ©e sur les droits de l’enfant.
ConcrĂštement, cela implique que l’on dĂ©termine avant
toute chose les droits de l’enfant sur lesquels on veut
travailler. Pour dĂ©terminer concrĂštement ces droits –
un exercice préalable qui simplifiera par la suite la dé-
termination des budgets pertinents – il sera Ă©ventuel-
lement possible d’utiliser le canevas de rapport que le
secrétariat de la CNDE a établi(4)
.
On devra garder Ă  l’esprit qu’il est plus aisĂ©, pour cer-
tains droits que pour d’autres, de collecter les budgets
y afférents, et que les budgets affectés à la réalisation de
droits sociaux et économiques pourront se révéler plus
aisément identifiables que ceux touchant aux droits ci-
vils et politiques. Il faudra aussi tenir compte du fait
que les droits de l’enfant sont intimement liĂ©s. Il en
va de mĂȘme pour leur mise en Ɠuvre, de sorte qu’il
pourra ĂȘtre nĂ©cessaire de collecter des budgets qui, de
prime abord, ne semblaient pas directement pertinents
pour l’analyse.
Quels budgets collecter ?
Plusieurs autres choix devront ĂȘtre opĂ©rĂ©s: va-t-on
uniquement collecter des budgets dont les destina-
taires directs sont les mineurs ou va-t-on opter pour
l’autre extrĂ©mitĂ© et tenter d’impliquer dans l’exercice,
dans un souci de sécurité, chaque programme qui a
une quelconque incidence sur les mineurs? Ou va-t-on
opter pour un juste milieu réalisable?
On peut d’ailleurs encore aller plus loin. La renon-
ciation, par un pouvoir public, Ă  une source de reve-
nus, par exemple, en accordant une rĂ©duction d’impĂŽt
aux familles avec enfants, peut aussi ĂȘtre considĂ©rĂ©e
comme s’inscrivant pleinement dans le budget à desti-
nation des mineurs. Ces coûts indirects pour les pou-
voirs publics pourront Ă©galement ĂȘtre pris en compte
lors du constat de la situation et lors de l’analyse de
l’utilisation efficace du budget.
Compte tenu de la structure de l’État belge, il faudra
aussi dĂ©cider si l’on se borne aux budgets des auto-
ritĂ©s fĂ©dĂ©rales et des États fĂ©dĂ©rĂ©s, ou si on y intĂšgre
Ă©galement les budgets provinciaux et locaux. Cette in-
tégration permettrait une plus grande précision dans
la détermination du budget, mais il faudra veiller à
Ă©viter tout doublon dans le comptage, en raison des
transferts de montants d’un pouvoir à l’autre. Il fau-
dra, qui plus est, vĂ©rifier si les avantages d’une prĂ©ci-
sion accrue justifient les efforts plus importants devant
ĂȘtre consentis pour cartographier les budgets de tous
les niveaux de pouvoir.
Enfin, il faudra aussi décider si on reprend unique-
ment les initiatives qui découlent directement de la
politique publique (l’ensemble des initiatives entre-
prises par les pouvoirs publics pour améliorer le fonc-
tionnement de la société et qui ont un impact visible
sur la population) ou aussi la facilitation de l’organi-
sation et le fonctionnement de ce pouvoir public (tels
que les salaires, achats de matériaux, comptabilité).
Les décisions en la matiÚre seront de préférence prises
sur la base du fil conducteur suivant : la plus-value
qu’offrent les programmes en question pour la rĂ©alisa-
tion des droits de l’enfant.
Nous recommandons d’envisager les budgets de tous
les secteurs et programmes dont les mineurs sont les
destinataires, que ce soit exclusivement (par exemple,
l’enseignement obligatoire), implicitement (par
exemple, la culture, la sécurité routiÚre) ou simple-
ment indirectement (par exemple, la formation pro-
fessionnelle des animateurs de jeunes, les programmes
destinés aux mÚres en détention, le soutien à la paren-
talité ou les formations spécifiques axées sur les mi-
neurs et destinĂ©es aux membres du personnel d’insti-
tutions fermĂ©es pour des mineurs), pour autant qu’il
soit possible de faire un lien avec les droits de l’enfant.
Il faudra ensuite encore choisir de soit se contenter de
données budgétaires globales (par exemple, le budget
pour l’enseignement, les soins de santĂ©, sans aucune
(4) Consultable sur www.cnde.be, rubrique ‘ActualitĂ©s sur la CNDE’.
16 JDJ - N° 333 - mars 201416 JDJ - N° 333 - mars 2014
ventilation en fonction des groupes spécifiques de mi-
neurs
), soit de collecter des données plus spécifiques
(en fonction de la catĂ©gorie d’ñge, de la vulnĂ©rabilitĂ© du
groupe, par exemple, sur la base des recommandations
du Comité CRC en la matiÚre). La deuxiÚme option
implique tout un travail d’analyse et risque de s’avĂ©rer
techniquement difficile à opérer.
Quant à la période à couvrir, nous recommandons de
procéder à la collecte de budgets couvrant plusieurs an-
nées. Seule cette approche permet une analyse appro-
fondie des budgets et de leur Ă©volution et d’en tirer les
conclusions nécessaires pour pouvoir donner forme en-
suite à un budget adapté aux enfants.
Phase 2
Analyse des budgets en faveur
des mineurs
Durant cette phase, l’objectif est de
- vérifier si la façon dont le budget pour mineurs est
attribué permet une réalisation optimale des droits de
l’enfant. Il s’agit de visualiser les divergences entre le
budget prévu et le budget réellement affecté, aprÚs quoi
il est possible de rechercher des explications possibles
pour les différences observées;
- visualiser les fluctuations d’une annĂ©e Ă  l’autre dans le
budget total et dans les postes budgétaires prioritaires;
détecter les tendances en matiÚre de dépenses (budget
prévu, escompté et effectif) à moyen terme; vérifier
dans quelle mesure une crise Ă©conomique peut influen-
cer le budget consacré aux mineurs;
- dĂ©terminer l’incidence des efforts budgĂ©taires sur les
résultats; échanger des bonnes pratiques en comparant
entre eux des budgets destinés à des programmes simi-
laires auprÚs de différents pouvoirs publics;
- vérifier si les efforts budgétaires consentis sont suffi-
sants en vue de l’accomplissement des engagements
politiques des déclarations politiques qui requiÚrent
un budget;
- Ă©pingler les charges indirectes. Il s’agit de vĂ©rifier
quelles dépenses supplémentaires sont nécessaires pour
compenser le fait que certains rĂ©sultats n’ont pas Ă©tĂ©
atteints ou que les pouvoirs publics n’ont pas mis en
place ou financĂ© les programmes nĂ©cessaires. À titre
d’exemple, les frais des programmes de santĂ© en faveur
des mineurs atteints d’obĂ©sitĂ© ou d’une MST, destinĂ©s
à remédier à une politique de prévention inexistante
ou défaillante. Il sera ainsi possible de vérifier aussi
quels coûts pourraient disparaßtre si les programmes
atteignaient effectivement leurs objectifs;
- développer une méthodologie prédictive des coûts afin
de pouvoir Ă©valuer le budget de nouveaux programmes
à développer.
En fonction des rĂ©sultats de l’analyse qui est exĂ©cutĂ©e
sur la base du ou des objectifs fixés, il sera ensuite pos-
sible de formuler des recommandations spécifiques en
vue de l’amĂ©lioration et de la mise au point des dĂ©penses
budgétaires (child friendly budgeting).
L’analyse se dĂ©roulera immanquablement de maniĂšre
subjective étant donné que les personnes en charge de
ce travail partiront d’une perspective donnĂ©e. Le dĂ©ve-
loppement d’une mĂ©thodologie solide fondĂ©e sur un
consensus pourra en minimiser autant que possible les
effets.
Il faudra avant toute chose déterminer le destinataire
de l’analyse: l’analyse a-t-elle l’intention de fournir des
informations aux citoyens, aux pouvoirs public ou plus
spécifiquement à certains départements ?
Se pose aussi la question de savoir si on va procéder à
une analyse statique ou dynamique. En cas d’analyse
statique, seul le budget en question sera analysé. Une
analyse dynamique, au contraire, comparera l’évolution
des budgets dans le temps en épinglant les différences
dans les budgets attribués et les dépenses, et ce sur dif-
férentes périodes. Les analyses dynamiques sont impor-
tantes lorsqu’on souhaite Ă©valuer dans quelle mesure les
États respectent leurs obligations en matiĂšre de rĂ©alisa-
tion des droits de l’enfant (cf. art 4 CIDE).
Il conviendra encore, d’un point de vue Ă©conomique,
lors de l’analyse des budgets et des tendances qui se
dessinent, de tenir compte d’une possible modification
des chiffres de la population et de l’inflation au fil du
temps. Si les budgets augmentent plus lentement que
l’effet combinĂ© de l’inflation et du chiffre de la popula-
tion, cela signifie que les dĂ©penses s’inscriront en rĂ©alitĂ©
à la baisse si elles sont exprimées en euros «constants».
Il faudra en outre faire une distinction entre la valeur
rĂ©elle et la valeur nominale d’un montant : en cas de
comparaison couvrant plusieurs décennies, il faudra
tenir compte du fait qu’un montant d’il y a vingt ans
Ă©quivaut aujourd’hui un montant bien plus Ă©levĂ©, Ă©tant
donnĂ© l’inflation.
JDJ - N° 333 - mars 2014 17
Enfin, il faudra Ă©galement tenir compte du fait que les
droits repris dans la CIDE (et dans d’autres Conven-
tions des droits de l’homme) sont intimement liĂ©s;
voir, par exemple, l’importance d’une bonne politique
de santĂ© et d’une politique d’intĂ©gration sociale en vue
d’une Ă©galitĂ© effective du droit Ă  l’enseignement. Dans
un tel cas de corrélation, il faudra également faire le lien
entre les différents postes budgétaires.
AprĂšs avoir procĂ©dĂ© aux choix susmentionnĂ©s, l’élabo-
ration d’une mĂ©thodologie pour l’analyse qualitative
des budgets pour mineurs peut ĂȘtre entamĂ©e. Cet exer-
cice peut ĂȘtre inspirĂ© par de bonnes pratiques existantes,
telles que les expériences de Save the Children, de HAQ
Centre for Child Rights, de l’Inde, de la Jordanie et de
San Diego. Nous renvoyons aussi à quelques procédures
d’analyse budgĂ©taire qui ne sont pas axĂ©es sur le mineur,
mais qui sont appliquées par des instances internationales
renommées, telles que le Public Expenditure Reviews de
la Banque Mondiale et le Public Expenditure and Finan-
cial Accountability (PEFA) appliquĂ© par l’OCDE.
Phase 3 Recommandations en vue
d’un child friendly budgeting
Sur la base de l’analyse, des recommandations politiques
pourront ĂȘtre formulĂ©es pour parvenir Ă  un child frien-
dly budgeting, permettant d’allouer le budget disponible
pour la politique en faveur des mineurs de la maniĂšre la
plus efficace possible.
On y procĂšde en partant de la CIDE, avec l’idĂ©e d’éta-
blir des budgets poursuivant les objectifs suivants :
- rĂ©alisertouslesdroitsdel’enfantdanstousleursaspects;
- renforcer les capacités des institutions qui poursuivent
la rĂ©alisation des droits de l’enfant;
- mettre au point une politique inclusive tenant compte
de tous les groupes (vulnérables) de la société.
La recommandation d’un child friendly budgeting ne
concerne pas seulement les départements et ministÚres
directement concernés par les mineurs. Elle vaut pour
l’ensemble des administrations Ă©tant donnĂ© qu’elles ont
toutes une influence, Ă  tout le moins indirecte, sur la
réalisation de la CIDE. Chaque département doit (par
exemple, via des correspondants par administration,
tels que ceux actifs au sein du groupe de suivi CIDE
au niveau de la FWB) démontrer comment ses propres
budgets et programmes sont conciliables avec la réalisa-
tion des droits Ă©conomiques, sociaux, culturels, civils et
politiques des mineurs.
La mise en place de ce budget nécessitera toutefois un
appui professionnel : les acteurs qui sont impliqués dans
la préparation et la définition de la politique et dans
la détermination du budget y afférent, doivent avoir
la possibilitĂ© d’acquĂ©rir de l’expĂ©rience en matiĂšre de
droits de l’enfant pour dĂ©velopper un rĂ©flexe en matiĂšre
d’intĂ©gration de cette approche. Un dĂ©veloppement ef-
ficace de ce réflexe passera notamment par une visibilité
accrue des budgets dans les systùmes d’enregistrement
existants.
Conclusion
Différentes options sont possibles pour donner forme
à une budgétisation des programmes destinés aux mi-
neurs, Ă  son analyse et Ă  la rĂ©alisation d’un budget qui
soit adapté aux enfants. Elles dépendront vraisemblable-
ment de la faisabilité pratique et de la charge de travail
supplĂ©mentaire qu’elles entraĂźnent. Il est important d’en
avoir, à l’avance, une image suffisamment claire. Trop
d’exercices de budgĂ©tisation n’ont, par le passĂ©, connu
qu’une seule Ă©dition. Leur rĂ©pĂ©tition est pourtant une
condition essentielle Ă  l’analyse des progrĂšs enregistrĂ©s.
Cette mission est loin d’ĂȘtre aisĂ©e et restera toujours un
dĂ©fi, indĂ©pendamment des efforts dĂ©ployĂ©s en vue d’ap-
pliquer une méthodologie la plus sûre possible.
Mais la budgétisation des programmes destinés aux mi-
neurs constitue indéniablement une source abondante
d’informations qui permet plus de transparence. Son
analyse peut mener Ă  une gestion plus efficace et plus
axée sur les enfants (child friendly budgeting). Elle permet
de dessiner les tendances, de prédire les dépenses à venir
et de stimuler une politique réellement axée sur le mi-
neur. Rappelons que le ComitĂ© des droits de l’enfant des
Nations unies invite les États parties Ă  procĂ©der au child
budgeting dans le cadre de leurs rapports périodiques.
Avec cette contribution, le secrétariat de la CNDE sou-
haite lancer le dĂ©bat, qui pourrait – en cas de soutien
convainquant – ĂȘtre suivi d’un test pratique concernant
le budget lié à un droit sélectionné, sur la base des do-
cuments budgétaires disponibles et des compléments
d’info ad hoc du dĂ©partement compĂ©tent de chaque
entitĂ© concernĂ©e. Les rĂ©sultats d’un tel exercice pratique
pourraient inspirer par la suite les autorités dans la prise
de décision réfléchie en matiÚre de child budgeting.
Toute réaction est la bienvenue sur info@ncrk-cnde.be.
18 JDJ - N° 333 - mars 201418 JDJ - N° 333 - mars 2014
Le mariage d’enfant
Mirna Strinic(1)
MalgrĂ© l’existence des lois nationales, des conventions internationales
et les engagements quasi universels de mettre ïŹn au mariage
d’enfant, il demeure une menace rĂ©elle et actuelle pour les droits
de l’enfant dans plus d’une centaine de pays. Les garçons Ă©tant
beaucoup moins susceptibles que les ïŹlles de se marier jeunes, les
victimes principales de ces mariages sont les jeunes ïŹlles.
(1) Stagiaire, DĂ©fense des enfants internationalCet article est publiĂ© sous forme de ïŹche
pédagogique sur le site de Défense des enfants international Belgique. Il est accompagné
d’annexe et d’une proposition d’animation sur la thĂ©matique. Voir www.dei-belgique.
be
(2) Rapport de l’UNFPA «Marrying too young» (Mariage prĂ©coce), octobre 2012, dispo-
nible sur le site : http://www.unfpa.org/webdav/site/global/shared/documents/
publications/2012/MarryingTooYoung.pdf
(3) http://assembly.coe.int/ASP/Doc/XrefViewHTML.asp?FileID=
10969&Language=FR
Selon le rapport du Fonds des Nations unies pour la
population (UNFPA)(2)
, en 2010, 158 pays ont indi-
quĂ© que l’ñge lĂ©gal du mariage sans consentement pa-
rental Ă©tait fixĂ© Ă  18 ans pour les femmes. Étant donnĂ©
que l’union peut ĂȘtre prononcĂ©e avant l’ñge de 18 ans
dans 146 pays et avant l’ñge de 15 ans dans 52 pays,
si les parents donnent leur accord, le mariage d’enfant
reste une pratique largement répandue, notamment
en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud. Ces ma-
riages sont également pratiqués dans certaines com-
munautés en Amérique latine, au Moyen-Orient et en
Europe de l’Est.
Cette pratique n’est donc pas limitĂ©e Ă  une rĂ©gion,
mais existe dans quasiment toutes les cultures. Cepen-
dant, Ă©tant donnĂ© qu’il s’agit d’un tabou, de nombreux
mariages d’enfant ne sont ni officiels ni enregistrĂ©s. Ce
n’est que rĂ©cemment que davantage de donnĂ©es sur
le mariage d’enfant sont disponibles. Les statistiques
disponibles nous montrent qu’aujourd’hui une mi-
neure est mariée précocement dans le monde toutes
les trois secondes. Si les tendances actuelles persistent,
142 millions de filles seront mariées dans la prochaine
décennie. Une fille sur neuf se mariera avant son quin-
ziĂšme anniversaire. Le nombre annuel de mariages
d’enfant sera passĂ© de 14,2 millions (soit environ
39 000 par jour) en 2010 à prùs de 15,1 millions d’ici
Ă  2030.
Qu’est-ce que le mariage
d’enfant ?
Toute dĂ©finition du mariage d’enfant doit ĂȘtre assez
large pour embrasser l’ensemble des pratiques qui
peuvent lui ĂȘtre assimilĂ©es. En gĂ©nĂ©ral, un mariage
d’enfant se dĂ©finit comme Ă©tant un mariage officiel
ou une union non officialisĂ©e oĂč l’un ou les deux
conjoints ont moins de 18 ans. Étant donnĂ© qu’un
tel conjoint, compte tenu de son jeune Ăąge, peut ra-
rement prendre une décision libre et éclairée sur son
partenaire, mais aussi sur le mariage qui est un enga-
gement conséquent et à long terme ayant des impli-
cations trĂšs importantes (avoir des enfants, les Ă©lever,
s’occuper d’un mĂ©nage, etc.), ce mariage se rapproche
souvent du mariage «précoce». Il se rapproche égale-
ment du mariage «forcé» qui se définit comme étant
l’union de deux personnes dont l’une au moins n’a
pas consenti entiĂšrement et librement Ă  se marier(3)
.
Il/elle se marie contre son gré, car, en cas de refus, des
moyens coercitifs sont utilisés par sa famille pour for-
cer son «consentement» : chantage affectif, contraintes
physiques, violence, enlĂšvement, enfermement,
confiscation des papiers d’identitĂ©, etc. Le «mariage
par enlÚvement» constitue une sous-catégorie du ma-
riage forcé. Il existe toujours dans plusieurs pays du
monde. Au Kirghizistan, par exemple, les jeunes filles
sont amenées de force ou par manipulation dans la
maison de leur futur Ă©poux. C’est lĂ  qu’on les sĂ©questre
jusqu’à ce que les femmes de la maison parviennent à
leur mettre sur la tĂȘte le foulard de la mariĂ©e, signe
final de l’abdication et du consentement. Les parents
du kidnappeur vont ensuite porter Ă  leur future belle-
famille une lettre de consentement rédigée par la jeune
JDJ - N° 333 - mars 2014 19
fille, afin de calmer leur colĂšre(4)
. Le mariage d’enfant
peut ĂȘtre Ă©galement assimilĂ© au mariage «arrangé» oĂč
les familles des deux futurs Ă©poux jouent un rĂŽle cen-
tral dans l’arrangement du mariage. Les enfants sont
aussi trÚs souvent les victimes du mariage «simulé»
(«blanc» si simulé par les deux parties, «gris» par une
partie), également appelé «mariage de complaisance»
oĂč au moins l’un des Ă©poux n’a pas l’intention de crĂ©er
une communauté de vie durable, mais uniquement
l’obtention d’un avantage liĂ© au statut d’époux (par
exemple, l’obtention d’un titre de sĂ©jour)(5)
.
Toutefois, si certains mariages d’enfant se contractent
contre leur volontĂ©, d’autres sont initialement deman-
dĂ©s par les jeunes eux-mĂȘmes ou avec leur consente-
ment. Dans ce cas-là, il s’agit du mariage en forme
de fugue oĂč le jeune couple dĂ©cide de se marier sans
l’accord parental.
Quelles sont les principales
causes d’un mariage d’enfant ?
En général, les circonstances qui favorisent le ma-
riage d’enfant sont nombreuses, variant Ă©normĂ©ment
en fonction du lieu et du contexte de chaque pays et
communauté. Néanmoins, parmi les causes générales à
l’origine de ces mariages figurent les causes suivantes :
une dĂ©pendance Ă  l’égard des valeurs et tra-
ditions culturelles
L’un des objectifs principaux d’un mariage d’enfant est
de maintenir les traditions enracinées dans certaines
cultures depuis des générations. Dans de nombreux
pays, l’honneur de la famille, qui passe par la virgi-
nité féminine, est si important que les parents, sous
la pression sociale, par peur des grossesses hors ma-
riage, forcent leurs filles à se marier bien avant qu’elles
ne soient prĂȘtes. Certains parents craignent que s’ils
ne marient pas leurs filles conformément aux attentes
traditionnelles, elles ne se marieront jamais. Vu qu’il
existe des traditions différentes de par le monde, les
mariages d’enfant diffĂšrent Ă©galement. Nous pouvons
citer quelques exemples de traditions spécifiques :
- Les filles peuvent ĂȘtre contraintes de se marier dans
une autre famille à titre de compensation pour le «sang
versé», Ă©vitant ainsi qu’un fils de leur propre famille
ne soit tué.
- Dans d’autres cas, les filles peuvent ĂȘtre enlevĂ©es Ă  titre
de vengeance pour un acte répréhensible commis par
la famille de la jeune fille, et ayant pour conséquence
qu’elle ne soit plus «acceptable» comme Ă©pouse.
- Le «sororat» oblige un homme Ă  Ă©pouser les sƓurs
cadettes de son épouse décédée, surtout lorsque la
défunte laisse derriÚre elle des enfants en bas ùge, alors
que le «lĂ©virat» prescrit Ă  la veuve d’épouser le frĂšre de
son mari défunt sans enfant afin de perpétuer le nom
du dĂ©funt et d’assurer la transmission du patrimoine.
- Il existe aussi le mariage d’échange du type «bedel» oĂč
une famille promet une de ses filles en mariage au fils
d’une autre famille, en Ă©change de la sƓur de celui-ci,
pour Ă©viter d’avoir Ă  payer de dot.
- Certaines coutumes, notamment en Inde, permet-
tent d’utiliser les jeunes filles comme des monnaies
d’échange : une personne qui aurait contractĂ© une
dette, et qui serait incapable de la rembourser s’engage
Ă  donner sa fille Ă  son crĂ©ancier qui l’épouse ou la cĂšde
Ă  son fils.
- Les jeunes filles de certains pays d’Asie centrale doi-
vent se conformer Ă  la pratique encore courante du
«kalym», un paiement effectuĂ© Ă  la famille de l’épouse-
enfant par le mari et sa famille, qui incite d’ailleurs
les deux parties Ă  poursuivre la tradition du mariage
d’enfant. En effet, la famille de la mariĂ©e reçoit une
rĂ©munĂ©ration pĂ©cuniaire et n’est plus responsable fi-
nanciĂšrement de la jeune fille, et le mari et sa famille
se sentent autorisés à placer la jeune fille dans une
position de servante et à l’exploiter à des fins domes-
tiques, physiques et sexuelles.
- Pour certains hommes, le mariage est un moyen d’échap-
per Ă  des poursuites pour agression sexuelle, viol ou
enlÚvement du fait que la loi leur permet de bénéficier
d’une peine rĂ©duite aprĂšs avoir Ă©tĂ© reconnus coupables
d’avoir «pris la virginitĂ© d’une personne en lui promettant
le mariage».
l’inĂ©galitĂ© des genres 
Dans les sociĂ©tĂ©s pratiquant le mariage d’enfant, les
femmes et les jeunes filles ont un statut inférieur, ré-
sultat de traditions et de croyances niant leurs droits
et leurs compétences à jouer un rÎle égal à celui des
hommes.
(4) Travis BETH, «Ala Kachuu : la tradition pour justiïŹer l’injustiïŹable», le Trouble Friday,
11 novembre 2005
(5) http://www.droitsquotidiens.be/lexique/mariage-simul-e9.html
20 JDJ - N° 333 - mars 201420 JDJ - N° 333 - mars 2014
la pauvreté 
Dans de nombreux pays, le mariage d’enfant est liĂ© Ă 
la pauvreté. Dans certains cas, les parents autorisent
le mariage de leurs enfants par nécessité économique.
Dans les familles aux revenus limités, les filles peuvent
ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme des fardeaux, qui coĂ»tent da-
vantage qu’elles ne rapportent. Ainsi, leur mariage est
un moyen de survie pour sa famille. En les mariant,
leurs parents passent la charge Ă  une autre famille. De
plus, dans de nombreux cas, les parents optent pour
le mariage de leurs filles dans le but d’assurer leur ave-
nir. Par exemple, selon l’Unicef, de nombreuses jeunes
Bangladaises sont mariées peu aprÚs la puberté, en par-
tie pour libĂ©rer leurs parents d’une charge Ă©conomique
et en partie pour protéger leur intégrité sexuelle. Les
filles de familles trĂšs pauvres ou les orphelines peu-
vent se retrouver troisiĂšme ou quatriĂšme Ă©pouse d’un
homme bien plus ùgé et devenir des esclaves domes-
tiques et sexuelles.
les conflits, catastrophes et situations
d’urgence
Les situations précaires augmentent la pression éco-
nomique qui pĂšse sur les foyers, entraĂźnant le mariage
précoce des filles trop jeunes.
la difficulté à faire appliquer les lois
MĂȘme si la plupart des pays ont adoptĂ© des lois in-
terdisant le mariage d’enfant et les pratiques nuisibles
qui s’y rapportent, trop souvent celles-ci ne sont pas
appliquées et les réalités sociales, économiques et
culturelles perpétuent cette pratique(6)
. Beaucoup de
familles ignorent la loi et l’enfreignent. Dans certains
pays, cette violation est si répandue que les poursuites
sont rares. Par exemple, dans le sud de l’Inde, une pra-
tique religieuse exige des parents de marier leur fille Ă 
un dieu ou un temple. Habituellement, le mariage ap-
pelĂ© «devadasi» a lieu avant que la fille n’atteigne l’ñge
de la pubertĂ©. L’union fait d’elle une prostituĂ©e rĂ©servĂ©e
aux castes supérieures de la collectivité. Cette pratique
est demeurĂ©e lĂ©gale en Inde jusqu’en 1988, mais elle se
poursuit de nos jours parce que les autorités policiÚres
locales n’appliquent pas la loi, alors que dans les vil-
lages, les populations ne font aucun effort pour l’abolir.
Quelles sont les conséquences
d’un mariage d’enfant ?
Le mariage d’enfant est prĂ©judiciable Ă  la vie des enfants
mariés. Non seulement ils sont, dans la plupart des cas,
(6) «Qui parle en mon nom ?, Mettre ïŹn au mariage des enfants», Alexandra HERVISH
et Charlotte FELDMAN-JACOBS, mai 2011, disponible sur le site: http://www.prb.
org/pdf11/ending-child-marriage_fr.pdf .
JDJ - N° 333 - mars 2014 21
privés du droit de choisir leur propre partenaire, mais
ils sont aussi marginalisés et sujets à diverses pratiques
religieuses, sociales, politiques et culturelles portant
atteinte Ă  leurs droits fondamentaux.
Mariées trop jeunes, les filles sont exposées à :
la violence et les relations sexuelles forcées
Dans les mariages d’enfant, les filles n’ont guùre les
moyens de se dĂ©fendre alors qu’elles sont trĂšs sou-
vent exposées à la violence physique et psychologique
mettant en danger leur santé et leur vie. Le pire est
qu’elles pensent que le mariage donne à leur mari le
droit de les violenter et prennent rarement des me-
sures pour mettre un terme Ă  ces violations. Reflet de
la discrimination dont la femme est l’objet au sein de
la société, le mariage forcé débouche bien souvent sur
des violences sexuelles, d’autant que le viol conjugal
ne constitue pas, dans nombre d’États, une infraction
passible de sanctions. En outre, s’agissant des filles, le
mariage d’enfant est une forme de violence Ă  l’égard
des femmes, visĂ©e par l’expression «pratiques culturelles
et traditionnelles préjudiciables»(7)
.
l’esclavage moderne
Le mariage d’enfant peut Ă©galement conduire Ă  l’es-
clavage moderne(8)
vu que la mariĂ©e peut ĂȘtre abusĂ©e
et contrainte Ă  une vie de servitude domestique, de
travail d’esclave ou d’exploitation sexuelle à des fins
commerciales. Elle n’a d’autre choix que d’effectuer les
tùches qui lui sont attribuées.
des risques pour leur santé
Le mariage d’enfant peut avoir des consĂ©quences par-
ticuliÚrement graves sur la santé mentale (troubles
psychologiques, dépressions etc.) et physique (souf-
frances physiques provenant des violences conjugales
et sexuelles subies, complications de la grossesse Ă  la
suite du développement insuffisant de leur corps, ac-
couchement difficile, mortalité maternelle, etc.) des
jeunes mariées. En ce qui concerne la santé sexuelle,
les filles mariées à un jeune ùge deviennent générale-
ment sexuellement actives dĂšs leur mariage, parfois
mĂȘme avant leur premiĂšre menstruation. Elles n’ont
souvent qu’un accĂšs limitĂ© Ă  l’information en matiĂšre
de contraception et aux services dans ce domaine. La
plupart d’entre elles n’a ni les connaissances nĂ©cessaires
ni la capacité pour demander des rapports sexuels
protégés. Par conséquent, ayant trÚs tÎt des relations
sexuelles avec un mari plus ĂągĂ©, susceptible d’avoir Ă©tĂ©
en contact avec le virus du Sida ou d’autres infections
sexuellement transmissibles, elles y sont davantage ex-
posées.
des grossesses précoces
Les jeunes mariées sont exposées à des grossesses pré-
coces (en général non désirées) et accouchements répé-
tĂ©s avant d’ĂȘtre parvenues Ă  maturitĂ© au plan physique
et psychologique. Certaines ne savent pas comment
Ă©viter une grossesse, tandis que d’autres ne sont pas
en mesure d’obtenir des moyens de contraception. Les
mariées ne sont parfois pas capables de refuser des rap-
ports sexuels non désirés ou de résister à des rapports
sexuels forcés. Les statistiques disponibles montrent
que prÚs de 16 millions de jeunes filles ùgées de 15 à
19 ans et 2 millions de jeunes filles de moins de 15 ans
accouchent chaque année. Au niveau mondial, une
jeune fille sur cinq a dĂ©jĂ  eu un enfant Ă  l’ñge de 18 ans.
Dans les régions les plus pauvres du monde, ce chiffre
passe de 1 Ă  3(9)
. Ces accouchements prématurés sont
un facteur trùs important d’augmentation des taux de
mortalité maternelle et infantile(10)
, Ă©tant donnĂ© qu’ils
sont généralement longs et pénibles. En outre, selon
l’Organisation mondiale de la santĂ©(11)
, chaque année
dans le monde, 50 000 à 100 000 femmes présentent
une fistule obstétricale, à savoir une brÚche de la filiÚre
pelvi-gĂ©nitale. L’apparition d’une fistule obstĂ©tricale
est directement liĂ©e Ă  l’une des principales causes de
mortalité maternelle : un accouchement prolongé sans
prise en charge médicale appropriée, ce qui provoque
une incontinence permanente, le ressentiment de la
honte et, par conséquent, un abandon de la femme
par le mari et une exclusion sociale(12)
.
(7) «Violating children’s rights: Harmful practices based on tradition, culture, religion or
superstition», disponible sur le site : http://srsg.violenceagainstchildren.org/sites/
default/ïŹles/documents/docs/InCo_Report_15Oct.pdf.
(8) http://www.esclavagemoderne.org/008-l-esclavage-moderne/13-page.htm.
(9) http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs364/fr/.
(10) Si une mÚre est ùgée de moins de 18 ans, le risque que son nourrisson meure dabs sa
premiĂšre annĂ©e de vie est de 60 % supĂ©rieur Ă  celui d’un nourrisson nĂ© d’une mĂšre
ayant plus de 19 ans. MĂȘme si l’enfant survit, il risque plus fortement de souffrir d’un
poids insufïŹsant Ă  la naissance, de sous-nutrition et d’un retard de son dĂ©veloppement
physique et cognitif : UNICEF, «La situation des enfants dans le monde – 2009; La
santé maternelle et néonatale», disponible sur le site :
http://www.unicef.org/french/sowc09/docs/SOWC09-FullReport-FR.pdf.
(11) http://www.who.int/features/factïŹles/obstetric_ïŹstula/fr.
(12) «Les enfants victimes de pratiques coutumiÚres préjudiciables», consultable sur le
site: http://www.childsrights.org/html/documents/themes/pratiques_tradition-
nelles_nefastes.pdf.
22 JDJ - N° 333 - mars 201422 JDJ - N° 333 - mars 2014
l’analphabĂ©tisme et une Ă©ducation de piĂštre
qualité
Lorsqu’une fille est promise en mariage, ou est officiel-
lement mariĂ©e, elle est souvent retirĂ©e de l’école pour
jouer son rĂŽle d’épouse et de mĂšre Ă  la maison avec peu
de possibilitĂ©s de revenus propres. Il est rare qu’une
fille mariĂ©e continue sa scolaritĂ© lorsqu’elle tombe en-
ceinte. Cette scolarité incomplÚte limite radicalement
ses perspectives d’emploi et de carriùre la plaçant en
situation de totale dépendance économique et sociale
Ă  l’égard de son conjoint.
la limitation de leur liberté personnelle
Étant limitĂ©es dans leur libertĂ© personnelle d’avoir
des Ă©changes avec des jeunes de leur Ăąge et le reste de
la communauté et séparées de leur famille et amis,
les filles précocement mariées sont de ce fait géné-
ralement socialement isolées et subissent des consé-
quences graves sur leur bien-ĂȘtre mental et psychique.
Les restrictions imposées à leur liberté de mouvement
les empĂȘchent Ă©galement d’avoir des soins de santĂ© et
de bénéficier des services de planification familiale.
Les droits de l’enfant bafouĂ©s
La Convention internationale relative aux droits de
l’enfant(13)
Ă©numĂšre toute une liste des droits recon-
nus Ă  l’enfant qui dĂ©finit comme «tout ĂȘtre humain ĂągĂ©
de moins de 18 ans» (art. 1). Cependant, le mariage en
tant que tel n’y est pas traitĂ© de maniĂšre prĂ©cise ce qui
ne diminue pas le fait qu’il porte atteinte à plusieurs
droits humains fondamentaux, influençant la vie des
enfants, notamment des filles, dans tous ses aspects.
Les droits de l’enfant susceptibles d’ĂȘtre bafouĂ©s par le
mariage sont :
- le droit de ne pas ĂȘtre discriminĂ©(e) (art. 2);
- la libertĂ© d’opinion si l’enfant est capable de discer-
nement (art. 12);
- le droit Ă  la protection contre toutes formes de vio-
lence et les mauvais traitements (art. 19);
- le droit de vivre en bonne santé (art. 24);
- le droit Ă  l’éducation (art. 28 et 29);
- le droit au repos et au jeu (art. 31);
- le droit à la protection contre l’exploitation sexuelle
(art. 34) et
- le droit Ă  la protection contre la vente, la traite ou
l’enlùvement (art. 35).
(13) Convention internationale relative aux droits de l’enfant a Ă©tĂ© adoptĂ©e
le 20 novembre 1989 et entrée en vigueur le 2 septembre 1990.
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  • 1. Le jeu de dupes continue En septembre 2013, Ibrahim (prĂ©nom d’emprunt) est arrivĂ© en Belgique, oĂč il s’est dĂ©clarĂ© refugiĂ©. Affirmant ĂȘtre nĂ© au SĂ©nĂ©gal en 1997, il a immĂ©- diatement Ă©tĂ© pris en charge par le Service des tutelles. Mais l’Office des Ă©trangers a Ă©mis un doute sur son Ăąge et a exigĂ© un test mĂ©dical pour vĂ©rifier la minoritĂ©. RĂ©sultat : un rapport formulĂ© avec une «certitude scientifique raisonnable», lui donnant l’ñge de 20 ans et trois mois, avec une marge d’erreur de 2 ans ! Inutile de dire que pour Ibrahim, les consĂ©quences sont lourdes. Au lieu de bĂ©nĂ©ficier d’une protection en tant qu’enfant, et donc de perspectives d’étude, de sĂ©jour, d’accĂšs Ă  une protection sociale, il est Ă  prĂ©sent considĂ©rĂ© comme un majeur demandeur d’asile, qui a menti sur un Ă©lĂ©ment important de sa situation (son Ăąge), ce qui jettera le discrĂ©dit sur l’ensemble de son rĂ©cit. Cette affaire portĂ©e rĂ©cemment devant le Conseil d’Etat (qui a rejetĂ© la demande de suspension de la dĂ©cision, voir page 44) illustre une fois de plus combien l’évaluation de l’ñge des mineurs Ă©trangers non accompa- gnĂ©s arrivant en Belgique sans disposer de documents d’identitĂ© probants reste injuste et problĂ©matique. On sait en effet que le triple test mĂ©dical utilisĂ© par le Service des tutelles est peu fiable et qu’il faut l’appliquer avec circonspection. La loi prĂ©voit d’ailleurs qu’en cas de doute, la minoritĂ© doit prĂ©valoir. Si ce test est rĂ©alisĂ©, c’est Ă  cause d’un doute Ă©mis par une autoritĂ©, gĂ©nĂ©- ralement l’Office des Ă©trangers, qui se base sur une apprĂ©ciation de l’ap- parence physique de la personne (on imagine le fonctionnaire scrutant le physique du jeune pour se faire une idĂ©e de son Ăąge!). Or, on sait aussi Ă  quel point cette apparence peut ĂȘtre trompeuse. Qu’on pense Ă  certains sportifs qui, Ă  16 ou 17 ans, ont la taille et la stature d’un athlĂšte. L’in- verse Ă©tant vrai aussi, des personnes majeures peuvent donner l’impres- sion qu’elles sont encore mineures. C’est donc l’apprĂ©ciation subjective d’un fonctionnaire non-qualifiĂ© qui va dĂ©clencher la rĂ©alisation d’un examen mĂ©dical. Lequel peut conclure que l’intĂ©ressĂ© a cinq ans de plus que l’ñge qu’il a dĂ©clarĂ©, comme dans la situation qu’a eu Ă  connaĂźtre le Conseil d’Etat. Des documents d’iden- titĂ© (carte d’identitĂ© Ă©lectronique et acte de naissance) avaient pourtant Ă©tĂ© produits qui donnaient Ă  l’intĂ©ressĂ© l’ñge de 15 ans. Mais comme ils n’étaient pas lĂ©galisĂ©s, ils n’avaient pas de caractĂšre probant. Pourquoi le Service des tutelles n’a-t-il pas demandĂ© au poste diplomatique belge compĂ©tent de lĂ©galiser les documents produits pour avoir une certitude quant Ă  l’identitĂ© et l’ñge ? En cas de lĂ©galisation, fort probable, on aura une nouvelle preuve de l’absence totale de fiabilitĂ© du test utilisĂ©. PlutĂŽt que de se contenter d’une « certitude scientifique raisonnable », qui s’apparente Ă  une incertitude que tout scientifique devrait avoir l’honnĂȘ- tetĂ© de reconnaĂźtre, il faut rejeter une fois pour toutes ce test si peu fiable, particuliĂšrement quand des documents sont produits et qu’ils peuvent ĂȘtre lĂ©galisĂ©s. Faute de quoi on reste dans un jeu de dupes, oĂč chacun sait que ce qu’il fait n’est pas crĂ©dible, et oĂč le jeune concernĂ© est la premiĂšre victime. Benoit Van Keirsbilck et AmĂ©lie Mouton Journal du droit des Jeunes, la revue juridique de l’action sociale et Ă©ducative. Jeunesse et Droit asbl 12,rueCharlesSteenebruggen Ă  4020 LiĂšge TĂ©l. 04/ 342.61.01 - Fax. 04/342.99.87 Courriel :jdj@skynet.be Site internet : www.jeunesseetdroit.be RĂ©dacteur en chef BenoĂźt Van Keirsbilck SecrĂ©taire de rĂ©daction BenoĂźt Lambart, tĂ©l. 04/ 342.61.01 RĂ©dactrice en chef adjointe AmĂ©lie Mouton, tĂ©l. 02/ 209.61.65 amelie.mouton@droitdesjeunes.com ComitĂ© de rĂ©daction Jean-Pierre BartholomĂ©, Georges-Henri Beauthier, Michel Born, Geert Cappelaere, Aurore Dachy, Christian Defays, Amaury de Terwangne, Patrick Charlier, Jacques Fierens, Dominique De Fraene, Fabienne Druant, Isabelle Detry, Jean Jacqmain, Alexia Jonckheere, Jean-Yves Hayez, Karine Joliton, Georges Kellens, Solayman Laqdim, Raymond Loop, Vincent Macq, Valentine Mahieu, Paul Martens, Thierry Moreau, Christian Noiret, Florence Pondeville, ValĂ©rie Provost, Marc Preumont, Isabelle Ravier-Delens, VĂ©ronique Richard, Jean-François Servais, Marianne Thomas, Christelle Trifaux, Françoise Tulkens, BenoĂźt Van der Meerschen, Christian Wettinck. Maquette graphique Areti Gontras, aretigontras@gmail.com Insertions publicitaires TĂ©l. 04/342.61.01 - Fax 04/342.99.87 e-mail : jdj@skynet.be SecrĂ©tariat administratif Anne Billen TĂ©l. 04/342.61.01 - Fax 04/342.99.87 e-mail : jdj@skynet.be Abonnement : 70 euros l'an (10 nos ) SpĂ©cimen sur simple demande.
  • 2. Commission paritaire : 74797 - ISSN : 0775-0668 - ImprimĂ© par EXCELLE PRINT, Lodomez 3, B-4970 Stavelot. SOMMAIRE MARS 2014 - N° 333 1 Éditorial : Le jeu de dupes continue, BenoĂźt VanKeirsbilck et AmĂ©lie Mouton 3 Appel : Pour une Ă©tude globale sur les enfants privĂ©s de libertĂ© 5 Tribune : PĂšres et repĂšres, IrĂšne Kaufer 7 Un enfant exposĂ© aux violences entre parte- naires est un enfant maltraitĂ©,, Sophia Mesbahi 11 La rĂ©alisation des droits de l’enfant, c’est aussi une question de budget, Sarah D’hondt et Siska Van de Weyer 18 Le mariage d’enfant, Mirna Strinic DOCUMENTS 29 Charte sociale europĂ©enne. Extrait des Conclu- sions 2013 du ComitĂ© europĂ©en des droits sociaux. Observations interprĂ©tatives relatives Ă  l’article 30 (droit Ă  la protection contre la pauvretĂ© et l’exclusion sociale) - Janvier 2014 31 Circulaire portant sur les conditions minimales de l’enquĂȘte sociale exigĂ©e dans le cadre de la loi du 26 mai 2002 relative au droit Ă  l’intĂ©gration sociale et dans le cadre de l’aide sociale accordĂ©e par les CPAS et remboursĂ©e par l’État confor- mĂ©ment aux dispositions de la loi du 2 avril 1965 TRAVAUX PARLEMENTAIRES 36 Question de Mme Malika Sonnet Ă  Mme Évelyne Huytebroeck, ministre de la Jeunesse, intitulĂ©e «Échecs d’adoption» 36 Interpellations jointes de M. Antoine Tanzilli et Mme Christie Morreale Ă  Mme Évelyne Huyte- broeck, ministre de la Jeunesse, intitulĂ©e «Avan- cĂ©es en matiĂšre de mise en autonomie des mineurs» (Article 76 du rĂšglement) JURISPRUDENCE C.E. (n° 226.576) – 27 fĂ©vrier 2014 Mineur Ă©tranger non-accompagnĂ© – Evaluation de l’ñge – Contestation – Test mĂ©dical – Document d’identitĂ© non-lĂ©galisĂ© – Valeur probante – Non – Loi sur les droits du patient – Application (non) – Subir un test mĂ©dical ne fait pas du MENA un patient – Motivation d’un acte administratif – Convention internationale des droits de l’enfant (art. 3 et 8) – Pas d’effets directs. 40 Pol. Bruges (Bureau d’assistance judiciaire) - 11 juin 2013 Assistance judiciaire – Bureau – ApprĂ©ciation – ProcĂ©- dure sans espoir 45 Conseil d’État (sect. cont. adm., 9Ăšme ch.) - 4 septembre 2013 Suspension d’extrĂȘme urgence – DĂ©faut dans la no- tification de la dĂ©cision – ImpossibilitĂ© de complĂ©ter les moyens au cours de la procĂ©dure – Violation de l’obligation de motivation formelle 45 NOUVEAU Quels droits face Ă  la police ? Voyez la couverture intĂ©rieure en fin de JDJ...
  • 3. JDJ - N° 333 - mars 2014 3 APPEL Étude globale sur les enfants privĂ©s de libertĂ© «Les enfants n’ont rien Ă  faire derriĂšre les barreaux. Les enfants doivent aller Ă  l’école. Ils doivent jouer avec leurs amis. Ils devraient ĂȘtre dans leurs familles». Pas d’enfants derriĂšre les barreaux! (DĂ©fense des Enfants International, 2005) Nous, organisations de la sociĂ©tĂ© civile, appelons les membres de l’AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale des Nations unies [d’accepter la recommandation du ComitĂ© des droits de l’enfant (1) ] de demander au SecrĂ©taire gĂ©nĂ©ral des Na- tions unies d’entreprendre UNE ÉTUDE GLOBALE SUR LES ENFANTS PRIVÉS DE LIBERTÉ (2) afin de recueillir des donnĂ©es et des statistiques complĂštes de toutes les rĂ©gions sur le nombre et la situation des en- fants en dĂ©tention, de partager les bonnes pratiques et formuler des recommandations pour que des mesures efficaces soient prises en vue de prĂ©venir les violations des droits de l’homme Ă  l’encontre des enfants en dĂ©- tention et rĂ©duire le nombre d’enfants privĂ©s de libertĂ©. Il y a un manque flagrant de donnĂ©es quantitatives et qualitatives (notamment de donnĂ©es ventilĂ©es), de re- cherches et d’informations fiables sur la situation des enfants privĂ©s de leur libertĂ© (3) . La privation de libertĂ© a des consĂ©quences trĂšs nĂ©gatives pour le dĂ©veloppe- ment harmonieux de l’enfant et devrait ĂȘtre une «me- sure de dernier recours et pour le plus court laps de temps possible» (4) . Les enfants privĂ©s de libertĂ© sont exposĂ©s Ă  des risques accrus d’abus, de violence, de discrimination sociale sĂ©vĂšre et de dĂ©ni de leurs droits civils, politiques, Ă©conomiques, sociaux et culturels. Certains groupes dĂ©- favorisĂ©s sont plus touchĂ©s que d’autres, mais la sociĂ©tĂ© en est affectĂ©e dans son ensemble d’autant plus que la privation de libertĂ© tend Ă  accroĂźtre l’exclusion sociale, le taux de rĂ©cidive et les dĂ©penses publiques. L’étude tiendra compte de la privation de libertĂ© sous toutes ses formes, entre autres: les enfants en conflit avec la loi, les enfants confinĂ©s en raison de leur santĂ© physique ou mentale ou d’usage de drogue; les enfants vivant en dĂ©tention avec leurs parents; la dĂ©tention par les services d’immigration; les enfants dĂ©tenus pour leur protection; la sĂ©curitĂ© nationale; etc. Afin de garantir que la privation de libertĂ© soit bien comprise et donc utilisĂ©e comme une mesure de dernier ressort, il est Ă©galement crucial d’amĂ©liorer la comprĂ©hension des concepts clĂ©s ayant trait aux droits et Ă  la privation de libertĂ© des enfants (tels que dernier recours, le temps le plus court possible, l’intĂ©rĂȘt supĂ©rieur de l’enfant, l’accĂšs Ă  la justice, la dĂ©tention prĂ©ventive, la dĂ©judiciarisation, la justice rĂ©- paratrice, les systĂšmes judiciaires formels et informels, les mesures de diversion, les mesures de protection, l’ñge de la responsabilitĂ© pĂ©nale, la rĂ©adaptation et la rĂ©insertion, la dĂ©tention administrative; entre autres). L’étude analysera la mise en Ɠuvre concrĂšte des lois et les normes internationales et les possibilitĂ©s d’aide aux États pour leur permettre d’amĂ©liorer leurs politiques et pratiques. GrĂące Ă  la collecte de preuves et de don- nĂ©es fiables, l’étude permettra Ă©galement de consolider les bonnes pratiques et formuler des recommandations, pour appuyer l’action des États, des organismes des Na- tions unies et des autres parties prenantes afin de mieux mettre en application les normes internationales et de s’assurer que les enfants privĂ©s de libertĂ© jouissent effecti- vement de leurs droits humains. (1) Agir en vertu de la Convention des Nations unies sur les droits de l’enfant (CDE), article 45 (c) (2) «La privation de libertĂ© signiïŹe toute forme de dĂ©tention ou d’emprisonnement ou de placement d’une personne ĂągĂ©e de moins de 18 ans dans un Ă©tablissement public ou privĂ©, duquel cette personne n’est pas autorisĂ©e Ă  sortir Ă  son grĂ©, par ordre de toute autoritĂ© judiciaire, administrative ou toute autre autoritĂ© publique», RĂšgles des Nations unies pour la protection des mineurs privĂ©s de libertĂ©, 1990 (RĂšgles de La Havane) (3) Le manque de donnĂ©es existantes sur les enfants privĂ©s de libertĂ© est mentionnĂ© dans un certain nombre de rapports ofïŹciels, entre autres : Rapport conjoint sur la prĂ©vention et les rĂ©ponses Ă  la violence contre les enfants au sein du systĂšme de justice pour mineurs (2012), le ReprĂ©sentant spĂ©cial du SecrĂ©taire gĂ©nĂ©ral sur la violence contre enfants, le Bureau du Haut commissaire aux droits de l’homme (BHCDH) et l’OfïŹce des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC ); Observation gĂ©nĂ©rale n°10 (2007) du BHCDH; la dĂ©tention administrative d’enfants: un rapport mondial (2011), Centre juridique pour les enfants, UniversitĂ© d’Essex et UNICEF; Rapport du Rapporteur spĂ©cial de l’ONU sur les droits humains des migrants (A/HRC/20/24). (4) Convention relative aux droits de l’enfant, article 37 (b)
  • 4. 4 JDJ - N° 333 - mars 20144 JDJ - N° 333 - mars 2014 APPEL L’étude se concentrera sur les principaux aspects sui- vants : - Le recueil des donnĂ©es et des statistiques quan- titatives et qualitatives sur les enfants privĂ©s de li- bertĂ©, en ce qui concerne le genre, l’ñge, les groupes vulnĂ©rables et les disparitĂ©s (par exemple, les mi- lieux urbains ou ruraux, les rĂ©gions, les groupes ethniques); - La situation des enfants dans les centres de dĂ©- tention ainsi que l’utilisation et l’abus de la pri- vation de libertĂ©, compte tenu des lois et normes internationales relatives aux droits de l’Homme; - Les concepts clĂ©s liĂ©s aux droits et la privation de libertĂ© des enfants en vue de viser Ă  informer et Ă  promouvoir un plus grand engagement pour amĂ©- liorer les systĂšmes judiciaires et la jouissance des droits; - La façon la plus efficace de mettre en application les mesures de prĂ©vention et les mesures alterna- tives pour s’assurer que la dĂ©tention n’est utilisĂ©e qu’en dernier recours (privilĂ©giant la dĂ©judiciarisa- tion et la justice rĂ©paratrice, entre autres) et qu’elle conduit Ă  des mesures adĂ©quates de rĂ©adaptation; - La formulation de recommandations et bonnes pratiques pour mettre en Ɠuvre des normes, et rĂ©duire le nombre d’enfants privĂ©s de leur libertĂ©. Cette Ă©tude s’appuiera sur le modĂšle de l’Étude des Nations unies sur l’impact des conflits armĂ©s sur les enfants (1996) rĂ©alisĂ©e par Graça Machel et l’Étude des Nations unies sur la violence contre les enfants (2006) rĂ©alisĂ©e par Paulo Sergio Pinheiro. Ces deux Ă©tudes exposent la nature, l’étendue et les causes liĂ©es aux questions de conflit et de violence, ainsi que des recommandations claires proposĂ©es pour des actions de prĂ©vention et d’intervention. Notez que l’étude rĂ©alisĂ©e par Pinheiro mentionne explicitement, en ce qui concerne la garde Ă  vue et la dĂ©tention «[...] une meilleure collecte de donnĂ©es est urgemment requise Ă  tra- vers le monde [...]» (5) . Les deux Ă©tudes constituent une solide plateforme pour le plaidoyer et l’action et ont conduit Ă  des progrĂšs importants pour les enfants. Ces Ă©tudes reprĂ©sentent un point de rĂ©fĂ©rence pour Ă©valuer les progrĂšs accomplis dans ces domaines spĂ©cifiques. La prĂ©sente Ă©tude fera de mĂȘme. Dans le domaine de la privation de libertĂ©, une Ă©valuation concrĂšte de la situation est nĂ©cessaire et urgente. Pour qu’une Ă©tude mondiale sur les enfants privĂ©s de libertĂ© soit rĂ©alisĂ©e, les signataires de cet appel insistent auprĂšs des dĂ©putĂ©s de l’AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale des Nations unies pour qu’ils demandent au SecrĂ©taire gĂ©nĂ©ral des Nations unies de mener une telle Ă©tude approfondie, en nommant un expert indĂ©pendant – qui travaillera en collaboration avec le Groupe interinstitutions des Nations unies sur la justice pour mineurs (IPJJ ), les agences des Nations unies, les États membres, les or- ganisations de la sociĂ©tĂ© civile, les universitĂ©s et les en- fants eux-mĂȘmes, ainsi que tous les autres partenaires concernĂ©s. Signataires  : African Child Policy Forum (ACPF), Alliance for Children, Association for the Prevention of Torture (APT), Casa Alianza (Switzerland), Child Helpline International (CHI), Child Rights Interna- tional Network (CRIN), Consortium for Street Chil- dren, Coram Children’s Legal Centre, Defence for Children International (DCI), Geneva Infant Feeding Association - International Baby Food Action Net- work (IBFAN-GIFA), Global Initiative to End All Corporal Punishment of Children, Human Rights Watch (HRW), Institut international des Droits de l’Enfant (IDE), International Catholic Child Bureau (ICCB/BICE), International Detention Coalition (IDC), International Juvenile Justice Observatory (IJJO), Our Children Foundation, Penal Reform In- ternational (PRI), Plan International, Quaker United Nations Office (QUNO), SOS Children’s Villages In- ternational, Terre des Hommes International Federa- tion, War Child Holland (WCH), World Organiza- tion Against Torture (OMCT) Rens. : www.childrendeprivedofliberty.info contact@childrendeprivedofliberty.info (5) Étude du SecrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de l’ONU sur la violence contre les enfants 2005, p.191.
  • 5. JDJ - N° 333 - mars 2014 5 TRIBUNE PĂšres et repĂšres IrĂšne Kaufer(1) (1) IrĂšne Kaufer est fĂ©ministe, syndicaliste et contribue rĂ©guliĂšrement Ă  la revue Politique. Cet article est paru sur le blog de la revue Politique le 5 mars 2014. http://blogs.politique.eu.org/ Du temps oĂč j’étais Ă  l’UniversitĂ©, mes cours de psycho clinique m’expliquaient trĂšs sĂ©rieusement les ravages de l’absence du pĂšre : l’enfant risquait de tourner petit dĂ©linquant, meurtrier, ou «mĂȘme homosexuel» (je me souviens bien des termes, gra- vĂ©s dans mon esprit d’étudiante pas trĂšs Ă  l’aise, Ă  l’époque, avec mes propres sentiments...) L’ab- sence de la mĂšre, elle, provoquait des troubles de l’attachement. Et surtout pas de confusion des rĂŽles, s’il vous plaĂźt. Cela ne se passait pas dans un obscurantiste ins- titut catho-judĂ©o-islamique, mais au sein de la trĂšs libre-exaministe ULB. Il est vrai qu’on Ă©tait dans les annĂ©es 1970, aux tout dĂ©buts de la rĂ©- volution fĂ©ministe (j’insiste : pas sexuelle, mais fĂ©ministe, c’est cela qui m’a ouvert les yeux, les oreilles et les perspectives de libertĂ©). Je n’aurais pas pensĂ© que 40 ans plus tard, malgrĂ© les avan- cĂ©es pour l’émancipation des femme, l’ouverture du mariage et de l’adoption pour les couples ho- mosexuels et de la procrĂ©ation mĂ©dicale assistĂ©e pour les lesbiennes, on en serait encore là : la loi du PĂšre, reprĂ©sentant symbolique de la SociĂ©tĂ©, le seul capable d’arracher l’enfant aux risques – que dis-je, Ă  la certitude – de relation fusionnelle avec la mĂšre, et donc, celui dont le nom doit ĂȘtre sanc- tifiĂ© sur la terre comme au ciel – oh pardon, lĂ  je crois que je me trompe de registre. Quoique... Si je reviens sur ces souvenirs, c’est en rĂ©action aux multiples mises en garde qui nous sont as- sĂ©nĂ©es devant la menace d’une nouvelle loi, permettant aux parents de faire des choix dans la transmission du nom de famille aux enfants : nom du pĂšre, de la mĂšre, ou les deux accolĂ©s dans l’ordre choisi. En cas de dĂ©saccord, c’est le double nom qui s’imposera, dans l’ordre pĂšre-mĂšre. Une Ă©volution qui existe dĂ©jĂ , sous diverses formes, chez la plupart de nos voisins. Et voilĂ  que le projet de loi soulĂšve un tollĂ© presque digne des dĂ©lires de nos ami/e/s français/ e/s contre la pseudo «thĂ©orie du genre» ! Une am- biance de fin de monde, la perte des repĂšres pour nos bambins, le tronçonnage brutal des arbres gĂ©- nĂ©alogiques et la montĂ©e des risques de consan- guinitĂ© pour les couples futurs, si, si ! Commençons donc par les plus farfelus : la gĂ©- nĂ©alogie transformĂ©e en bouilllie infĂąme, oĂč un mille-pattes ne retrouverait pas les siennes ? Allons allons, Ă  l’ùre de l’informatique, c’est un argument vraiment ridicule. Les risques de consanguinité  ? Encore plus ab- surde : si seul le nom devait nous prĂ©server du ma- riage entre demi-frĂšres ou sƓurs ou entre cousin/ e/s, la situation actuelle est lourde de menaces... Car si Françoise et Aline sont sƓurs et qu’elles se perdent de vue, elles disparaissent d’office dans la lĂ©gislation actuelle et leurs enfants respectifs n’ont aucun nom commun pour les mettre en garde. Pire : si Françoise a conçu Pierre avec Alain, puis Perrine avec Jacques et que chacun/e est parti vivre avec son pĂšre, Pierre et Perrine peuvent parfaite- ment se retrouver pour former un couple, puisque le nom de Françoise n’aura laissĂ© aucune trace... Passons aux arguments plus sĂ©rieux, trĂšs sĂ©rieux mĂȘme, puisqu’ils se drapent dans le large manteau de la psychanalyse : le Nom du PĂšre, le seul ha- bilitĂ© Ă  ouvrir Ă  l’Enfant les Portes de la SociĂ©tĂ©, tout ça avec des majuscules bien sĂ»r... Ben oui, c’est sans doute pour ça que les enfants des fa- milles monoparentales – des mĂšres seules Ă  plus de 80% - sont si souvent pauvres (et pas parce que, comme le prĂ©tendent les fĂ©ministes, leurs mĂšres sont sous-payĂ©es, cantonnĂ©es dans des emplois mal rĂ©munĂ©rĂ©s, ou sans emploi, car ne trouvant pas de solution pour l’accueil de leurs enfants...) : parce qu’ils n’ont eu personne pour leur tenir la porte de la sociĂ©tĂ©. Enfant sans pĂšre, enfant sans repĂšre; et sans nom du pĂšre, c’est pareil. Et sans nom du pĂšre seul, ben c’est encore pareil. Autre argument, il s’agirait de «compenser» une inĂ©galitĂ© au dĂ©triment des hommes : parce qu’il n’a pas la possibilitĂ© de porter l’enfant et le mettre au monde, le pĂšre aurait «droit» Ă  la reconaissance de la transmission de son nom de famille. M’étant dĂ©jĂ  fait incendier par une vision peu idyl- lique de la grossesse et de l’accouchement – qui
  • 6. 6 JDJ - N° 333 - mars 20146 JDJ - N° 333 - mars 2014 TRIBUNE peuvent ĂȘtre vĂ©cus comme un poids autant qu’un Ă©panouissement - je n’insisterai pas trop sur le fait que si quelqu’un avait droit Ă  une «compensation» ou une «reconnaissance», c’est bien la mĂšre... Sans mĂȘme parler de la prise en charge, toujours tel- lement inĂ©gale, des soins aux enfants, mĂȘme par ces pĂšres qui ont pu transmettre leur nom, sans contestation aucune. Mais ce que j’adore, c’est ce souci (y compris parmi des femmes qui se reven- diquent comme fĂ©ministes) Ă  dĂ©noncer Ă  grands cris tout risque pour les hommes, si peu enclins Ă  renoncer Ă  leurs multiples privilĂšges, de subir le moindre dĂ©savantage : lĂ , la supposĂ©e injustice doit ĂȘtre rĂ©parĂ©e sur- le-champ. Les femmes, elles, peuvent encore attendre. Revenons Ă  la rĂ©alitĂ©. Dans tous les pays voisins oĂč des lĂ©gislations semblables existent, la civilisation ne s’est pas Ă©croulĂ©e et les enfants n’errent pas, privĂ©s de racines, Ă  la recherche de leur cordon ombilical symbolique. Mais bon, un pĂ©ril virtuel reste un pĂ©ril, surtout quand la menace vise des catĂ©gories qui ont tout loisir de s’exprimer publi- quement.. Cependant, Ă  mesure que les discussions avancent et que les arguments s’affinent, apparaĂźt la vraie terreur. Le double nom ? Tant d’opposants Ă  la loi trouvent soudain que c’est une excellente idĂ©e qu’on se demande pourquoi ils ne l’ont pas pro- posĂ©e plus tĂŽt. Non, ce qui leur paraĂźt vraiment inacceptable, et mĂȘme contraire Ă  l’égalitĂ© entre hommes et femmes, c’est la possibilitĂ© que seul le nom de la mĂšre soit gardĂ© et que celui du pĂšre disparaisse, fĂ»t-ce en accord avec lui (car rappe- lons-le, en cas de dĂ©saccord, c’est le double nom qui sera donnĂ©, elle derriĂšre et lui devant). Il ne s’agit pas d’une crainte de perdre un pouvoir, non, non, non, mais celle que le pĂšre se lave les mains de ses responsabilitĂ©s et abandonne sa progĂ©ni- ture pour aller vaquer aux occupations qu’il aime vraiment, son boulot, la drague, les jeux vidĂ©o et le foot (1) . Moi, je serais un homme, je porte- rais immĂ©diatement plainte pour sexisme : c’est quoi, cette vision rĂ©ductrice du mĂąle ne songeant qu’à s’enfuir aprĂšs avoir transmis sa petite graine, Ă  moins d’avoir le droit de planter une pancarte avec son titre de propriĂ©tĂ©, comme les animaux pissent pour marquer leur territoire ? Pour en revenir Ă  l’expĂ©rience la plus triviale, on a pu consater depuis des lustres que la transmis- sion de leur seul nom n’empĂȘche nullement les pĂšres volages de prendre le large ni de nĂ©gliger (ou refuser) de payer une pension alimentaire. À l’inverse, plus que les mesures symboliques, des congĂ©s parentaux convenablement rĂ©tribuĂ©s et Ă  prendre obligatoirement par les deux parents, comme dans les pays nordiques, incitent davan- tage les pĂšres Ă  prendre leur part du boulot d’édu- cation et de soins aux enfants. Bref : on aurait peut-ĂȘtre pu faire autrement, plus simple, je ne suis guĂšre experte en la matiĂšre. Et sans doute n’est-ce pas la mesure phare de l’éga- litĂ© entre hommes et femmes. Ce sera peut-ĂȘtre aussi un peu plus compliquĂ© dans les familles, mais oui, la possibilitĂ© de choix, ça oblige Ă  rĂ©- flĂ©chir, parfois Ă  nĂ©gocier, et effectivement, c’est «plus compliqué». Plus dĂ©mocratique et Ă©galitaire aussi, peut-ĂȘtre ocratique, mais «plus compliqué». Mais de lĂ  Ă  crier au tsunami moral, voire Ă  la dic- tature  (2) , il faut une sacrĂ©e trouille de perdre non pas ses «repĂšres», mais ses privilĂšges. Personnellement, cette loi m’apparaĂźt comme le simple reflet d’une Ă©volution de la sociĂ©tĂ©, qui n’est ni rĂ©volutionnaire ni menaçante. Je persiste et je signe, en hommage Ă  ma mĂšre, IrĂšne Briefel - ce qui n’est jamais que le nom de son pĂšre Ă  elle... (1) Cette vision est notamment dĂ©veloppĂ©e par l’ «expert» choisi par Moustique, le professeur Patrick De Neuter (2) Le «libĂ©ral» Armand De Decker, dans la Libre
  • 7. JDJ - N° 333 - mars 2014 7 Un enfant exposĂ© aux violences entre partenaires est un enfant maltraitĂ© Sophia Mesbahi(1) L’onde de choc des violences conjugales peut parfois dĂ©passer le couple et s’étendre aux enfants. Pendant longtemps, ces enfants ont Ă©tĂ© considĂ©rĂ©s comme de simples tĂ©moins. Mais ceux qui assistent Ă  des scĂšnes de violences sont Ă©galement victimes. Dans cette analyse, nous tĂącherons de dĂ©crire, d’une part, l’impact des violences entre partenaires sur les enfants, d’autre part, de mettre en lumiĂšre le lien entre cette exposition et l’apprentissage des relations inĂ©galitaires. En chiffres L’Institut pour l’ÉgalitĂ© des Femmes et des Hommes(3) rapporte les chiffres suivants pour la  Belgique: dans plus de 40% des situations de violences entre parte- naires, au moins un enfant a Ă©tĂ© tĂ©moin de violences sur l’un de ses parents. Quand il s’agit de violences graves et trĂšs graves, la proportion frĂŽle les 50%. De plus, 35% des auteurs ont eux-mĂȘmes assistĂ© dans leur enfance Ă  des violences entre leurs parents. En contexte de sĂ©paration, plus de 56% des situations de violences ont lieu en prĂ©sence des enfants. Enfin, 40% des enfants exposĂ©s aux violences entre partenaires sont Ă©galement victimes de maltraitances physiques sur leur propre personne. Pour parler des enfants exposĂ©s aux violences entre partenaires, on a longtemps employĂ© le terme «tĂ©- moin». Pourtant, aujourd’hui, il est largement admis que les enfants qui assistent Ă  des scĂšnes de violence entre partenaires sont exposĂ©s directement Ă  celles-ci. Depuis quelques annĂ©es, en matiĂšre de lutte contre les violences entre partenaires, les enfants sont reconnus comme une catĂ©gorie de victimes Ă  part entiĂšre. Cette reconnaissance participe Ă  la prise de conscience de l’existence d’un prĂ©judice pour les enfants exposĂ©s Ă  la violence. Ceux-ci sont davantage que des tĂ©moins, puisqu’ils ne sont pas Ă  l’abri de la menace : «dans l’ex- pression «tĂ©moin», il semble que l’enfant n’est pas person- nellement impliquĂ©, convoquĂ© malgrĂ© lui dans ce contexte et ce qu’il produit. Or il en est tout autrement. En effet, l’enfant exposĂ© vit au cƓur d’une dynamique modulĂ©e par le cycle de la violence conjugale»(2) . De plus, il existe une corrĂ©lation entre maltraitance infantile et violences entre partenaires. En effet, nombreux sont les enfants qui vivent dans un contexte violent et sont eux-mĂȘmes victimes de maltraitances directes de la part de l’un ou l’autre parent, voire les deux. (1) ChargĂ©e de mission Ă  la fĂ©dĂ©ration des centres de planning familial des FPS. Le titre de cet article est librement inspirĂ© de la brochure Un enfant exposĂ© aux violences conjugales est un enfant maltraitĂ© rĂ©alisĂ©e par la Direction de l’ÉgalitĂ© des Chances de la FĂ©dĂ©ration Wallonie-Bruxelles de Belgique, disponible Ă  l’adresse suivante : http:// www.egalite.cfwb.be (2) J.-L. SIMOENS, Le cycle de la violence, un outil d’intervention ciblĂ©e auprĂšs des enfants exposĂ©s aux violences conjugales, LiĂšge, C.V.F.E., dĂ©cembre 2011, p. 2. (3) Voy. X, Les expĂ©riences des femmes et des hommes en matiĂšre de violence psycholo- gique, physique et sexuelle, I.E.F.H., 2010.
  • 8. 8 JDJ - N° 333 - mars 20148 JDJ - N° 333 - mars 2014 Impacts sur les enfants Les consĂ©quences sur la santĂ© et le comportement des enfants sont multiples, mais pas spĂ©cifiques. En prĂ©sence de certains symptĂŽmes caractĂ©ristiques de la maltraitance, le professionnel de santĂ© ou le travailleur social peut seulement formuler l’hypothĂšse d’un contexte familial prĂ©occupant. L’impact des violences conjugales sur l’enfant se rĂ©per- cute aussi bien sur son dĂ©veloppement psychologique (estime de soi, culpabilisation, dĂ©pression, anxiĂ©tĂ©) que physique (blessures accidentelles ou intention- nelles, retard de croissance, Ă©nurĂ©sie, troubles du lan- gage). Toutefois, tous les enfants exposĂ©s rĂ©agissent diffĂ©remment, et certains peuvent ne prĂ©senter aucun trouble perceptible. 1) Troubles affectifs et relationnels L’enfant peut manifester des difficultĂ©s Ă  s’attacher et/ ou Ă  se sĂ©parer, Ă  identifier ses Ă©motions et les gĂ©rer. Il peut Ă©galement souffrir de timiditĂ© excessive, de crainte des adultes, de dĂ©pression et d’anxiĂ©tĂ©. 2) Troubles comportementaux Les enfants exposĂ©s aux violences peuvent avoir ten- dance Ă  reproduire eux-mĂȘmes la violence au travers de jeux, Ă  prĂ©senter des difficultĂ©s de concentration, Ă  ĂȘtre irritables, excessivement fatiguĂ©s ou au contraire, hy- peractifs. Ils peuvent Ă©galement adopter des conduites addictives, suicidaires, ou fuguer et «dĂ©linquer». 3) ConsĂ©quences physiques et psychosomatiques Outre les blessures indirectes ou directes causĂ©es par les violences intrafamiliales, l’enfant peut souffrir d’un manque de soins ou de nĂ©gligences. Des troubles psychosomatiques peuvent Ă©galement apparaĂźtre. Il s’agit le plus souvent d’énurĂ©sie, de re- tards de croissance, de maux de tĂȘte, maux de ventre, malaises, troubles du sommeil. 4) Effets sur le dĂ©veloppement cognitif Certains enfants dĂ©veloppent, en rĂ©ponse Ă  la violence, des troubles de l’apprentissage liĂ©s notamment Ă  un dĂ©ficit d’attention et/ou Ă  un dĂ©sintĂ©rĂȘt pour l’école. Ils peuvent aussi avoir des difficultĂ©s d’audition et de langage. Par ailleurs, 60% de ces enfants prĂ©sentent un syn- drome de stress post-traumatique. Il s’agit d’un trouble anxieux qui survient Ă  la suite d’un ou plusieurs Ă©vĂ©ne- ments stressants et qui se traduit par des difficultĂ©s de concentration, d’attention, de l’irritabilitĂ©, de l’agres- sivitĂ© envers soi-mĂȘme et les autres, de l’anxiĂ©tĂ©, de la dĂ©pression, etc. Attitudes des enfants face aux violences entre partenaires En rĂ©action Ă  la violence, les enfants peuvent avoir des attitudes diffĂ©rentes. Ils peuvent prendre parti pour l’un ou l’autre parent, ĂȘtre coincĂ©s dans un conflit de loyautĂ©(4) ou encore faire comme si rien ne se pas- sait. Selon le contexte, ils endossent un rĂŽle diffĂ©rent et mettent en place des stratĂ©gies pour faire face aux crises. Lorsque l’enfant «perçoit l’environnement comme Ă©tant composĂ© de «bourreaux» et de «victimes’»(5) , il peut avoir tendance Ă  prendre parti pour la victime. Il considĂšre l’auteur comme responsable de ce qui se passe au sein du foyer et tente d’éviter que la violence n’atteigne le parent victime. Si l’enfant perçoit son environne- ment comme «composĂ© de «gagnants» et de ‘perdants’; la violence est un moyen efficace pour ĂȘtre du cĂŽtĂ© des gagnants»(6) . Il s’identifie alors au parent auteur et considĂšre la victime comme responsable de ce qui leur arrive Ă  tous. Si l’enfant reçoit des messages contradictoires de la part de ses parents, il peut se sentir obligĂ© de prendre position. Dans ce cas, l’enfant ne prend rĂ©ellement parti ni pour l’un ni pour l’autre et tente de rester fi- dĂšle aux deux. Il peut alors se sentir responsable et impuissant. L’enfant peut Ă©galement ĂȘtre dans le dĂ©ni et prĂ©texter que les violences n’existent pas. Si ses parents bana- lisent celles-ci, l’enfant doute de son ressenti et peut aller jusqu’à bloquer ses Ă©motions. (4) L’enfant se retrouve malgrĂ© lui tiraillĂ© entre les attentes de son pĂšre et celles de sa mĂšre. (5) Un enfant exposĂ© aux violences conjugales est un enfant maltraitĂ©, op. cit., p. 34. (6) Ibidem, p. 36..
  • 9. JDJ - N° 333 - mars 2014 9 1) StratĂ©gies adoptĂ©es Que les violences soient dirigĂ©es contre eux ou contre un parent, les enfants dĂ©veloppent des techniques de dĂ©fense et de protection. Ces mĂ©canismes viennent influencer les facteurs de risques et de protection in- hĂ©rents Ă  leur situation (famille, entourage, Ă©cole, aide sociale). Les stratĂ©gies principales sont les suivantes(7)  : - blocage psychologique ou dĂ©connexion Ă©motion- nelle; - crĂ©ation d’une situation imaginaire; - Ă©vitement physique; - recherche d’amour et d’acceptation; - prise en charge comme gardien protecteur; - demande directe/indirecte d’aide; - rĂ©orientation des Ă©motions vers des activitĂ©s positives; - tentatives de donner du sens aux violences, de les prĂ©- dire, d’éviter l’irruption des comportements violents. 2) RĂŽles endossĂ©s Dans la dynamique familiale, les enfants exposĂ©s aux violences sont amenĂ©s Ă  endosser certains rĂŽles afin de se protĂ©ger. Les positions qu’ils adoptent peuvent Ă©vo- luer au cours du cycle de la violence et circuler d’un enfant Ă  l’autre dans la fratrie. Le «petit parent» se sent investi d’une mission de pro- tection vis-Ă -vis du parent victime et de la fratrie, il veille Ă  leur sĂ©curitĂ© tandis que le «petit agresseur» peut avoir des passages Ă  l’acte violents envers la victime. Il s’identifie Ă  l’auteur des violences pour contrer ses angoisses et Ă©viter de contrarier le parent auteur. Dans un autre registre, l’«enfant modĂšle» est autonome et trĂšs bon Ă  l’école, il fait de son mieux pour ne jamais faire de vagues et il Ă©vite tout ce qui, selon lui, est gĂ©nĂ©ra- teur de violences. Le «bouc Ă©missaire» quant Ă  lui, est au cƓur des tensions et perçu par les adultes comme la cause des violences. Bien que ces rĂŽles servent Ă  «retrouver une impression de contrĂŽle sur leur environnement»(8) , ils peuvent nuire Ă  l’épanouissement des enfants s’ils perdurent dans le temps. Une fois Ă©cartĂ©s de la violence, les enfants se dĂ©gagent petit Ă  petit des rĂŽles qu’ils avaient endossĂ©s et apprennent Ă  retrouver leur place d’enfant. La parentalitĂ© remise en question Qu’ils soient victimes ou auteurs, la prise en charge des violences entre partenaires met (inĂ©vitablement ?) en doute les compĂ©tences parentales. a. Victime et responsable de la souffrance des enfants ? La violence est intimement liĂ©e au manque de choix. En effet, «les violences conjugales infligent une souffrance psychologique qui affecte la volontĂ© du sujet, ses liens af- fectifs, ses loyautĂ©s et ses croyances. Elles occultent pour beaucoup de femmes l’impact sur leurs enfants et l’im- pact sur leurs capacitĂ©s de perceptions parentales»(9) . Cer- taines victimes peuvent ainsi sembler confuses et peu concernĂ©es par les violences agies au sein de la famille. En consĂ©quence, l’exercice de la parentalitĂ© est inco- hĂ©rent et il n’est pas rare que les victimes soient tenues responsables de la souffrance de leurs enfants par leur entourage, le corps mĂ©dical ou certains travailleurs so- ciaux. D’ailleurs, «les manquements des mĂšres, en tant que parent, sont beaucoup plus signalĂ©s que ceux des pĂšres»(10) . Pourtant, si nĂ©gligences il y a, elles sont majoritai- rement le rĂ©sultat de la culpabilitĂ©, l’angoisse, la co- lĂšre, l’indisponibilitĂ© Ă©motionnelle ou simplement l’absence ou la perte de savoir-faire(11) . L’inconstance dans l’éducation des enfants est Ă©galement considĂ©rĂ©e comme une stratĂ©gie pour Ă©viter les crises. En prĂ©sence de l’auteur des violences, «les victimes peuvent se mon- trer soit plus froides ou brusques, soit au contraire plus indulgentes ou permissives Ă  l’égard de leur enfant»(12) . b. L’auteur de violences est-il un mauvais parent (13) ? Les auteurs de violences conjugales sont souvent consi- dĂ©rĂ©s comme de mauvais parents. Pour beaucoup, il (7) Ibidem, p. 30-31. (8) Ibidem, p. 32. (9) A. AÏT HMAD, Violence conjugale et enfants : oĂč en sommes-nous ?, LiĂšge, C.V.F.E., septembre 2012, p. 2. (10) Un enfant exposĂ© aux violences conjugales est un enfant maltraitĂ©, op. cit., p. 45. (11) A. AÏT HMAD, Violence conjugale et enfants : oĂč en sommes-nous ?, op. cit., p. 3. (12) Un enfant exposĂ© aux violences conjugales est un enfant maltraitĂ©, op. cit., p. 46. (13) À ce sujet, Voy. B. BASTARD, Un conjoint violent est-il un mauvais parent ?, Bruxelles, FĂ©dĂ©ration Wallonie-Bruxelles de Belgique, octobre 2013.
  • 10. 10 JDJ - N° 333 - mars 201410 JDJ - N° 333 - mars 2014 semble en effet difficile de concilier adĂ©quation vis-Ă -vis de l’enfant et violences entre partenaires. Une Ă©tude française a montrĂ© que «les pĂšres violents ont un style de parentalitĂ© diffĂ©rent de celui des pĂšres non violents»(14) . L’évaluation des compĂ©tences parentales des auteurs est essentielle pour Ă©valuer le risque que courent les enfants exposĂ©s. Leur capacitĂ© Ă  tenir compte des besoins de l’enfant est limitĂ©e et ils font preuve de peu d’empathie. Cependant, lorsqu’il s’agit de l’intĂ©rĂȘt de l’enfant, il faut absolument distinguer le partenaire du pĂšre; «en effet, comment penser que la mise Ă  l’écart d’un pĂšre puisse rĂ©soudre le problĂšme comme par un coup de baguette magique ?»(15) . Quelle que soit la situation familiale, c’est l’«intĂ©rĂȘt su- pĂ©rieur de l’enfant»(16) qui doit primer. Avec un soutien adaptĂ©, les aptitudes parentales peuvent toujours ĂȘtre dĂ©veloppĂ©es. C’est la raison pour laquelle, mĂȘme en contexte de violences conjugales, le maintien des rela- tions parents/enfants est de plus en plus valorisĂ©. Apprentissage de l’inĂ©galitĂ© entre hommes et femmes RĂ©pĂ©tition de la violence et rapports sociaux inĂ©ga- litaires vont de pair. En effet, l’impact des violences conjugales varie notamment selon le sexe de l’enfant. Selon certains psychologues, les garçons auraient ten- dance Ă  extĂ©rioriser davantage les consĂ©quences de leur exposition Ă  la violence. D’autre part, les petits garçons comme les petites filles observent et apprennent trĂšs tĂŽt Ă  reproduire la violence ou Ă  se positionner en victime. Plus tard, dans leurs relations amoureuses, ces enfants peuvent ĂȘtre amenĂ©s Ă  reproduire les comportements agressifs ou la victimisation. Pour une femme qui a Ă©tĂ© exposĂ©e aux violences dans l’enfance, la probabilitĂ© d’ĂȘtre victime de violences conjugales est trois fois plus grande. Si elle a Ă©tĂ© victime de maltraitances directes, celle-ci est cinq fois plus grande. On constate ainsi que certains garçons adoptent des comportements agressifs et de domination, tandis que chez certaines filles, on remarque une tendance Ă  «s’adapter au dĂ©sir et attentes de l’autre, repousser les limites de ce qui est acceptable pour soi, par empathie et/ou pour exister, ou encore pour tenter d’obtenir une reconnaissance sociale»(17) . La distinction de l’impact selon le sexe dĂ©pend prin- cipalement de la socialisation. En effet, les rĂŽles attri- buĂ©s traditionnellement aux filles et garçons ainsi que les rĂŽles intĂ©riorisĂ©s par ceux-ci favorisent la rĂ©pĂ©tition de la violence. Cette exposition aux violences et leur rĂ©pĂ©tition ali- mentent les reprĂ©sentations sociales inĂ©galitaires. L’ap- prentissage de l’inĂ©galitĂ© entre hommes et femmes est intimement liĂ© aux dynamiques familiales. C’est pour- quoi, dans le cadre de la prise en charge des victimes et des enfants exposĂ©s aux violences entre partenaires, il est essentiel de travailler sur la non-violence et les relations Ă©galitaires. Conclusion L’exposition aux violences entre partenaires est dĂ©sor- mais reconnue comme de la maltraitance infantile. L’apprentissage des relations inĂ©galitaires est une de ses consĂ©quences et non des moindres, puisque l’intĂ©rio- risation de l’inĂ©galitĂ© entre hommes et femmes a des rĂ©percussions potentielles sur la vie affective, sexuelle, sociale et professionnelle de ces futurs adultes. Alors, que peut-on faire ? Deux pistes de rĂ©flexion sont Ă  envi- sager : le travail en rĂ©seau et la prise en charge spĂ©cifique des enfants exposĂ©s. La prise en charge des violences intrafamiliales a plus de chance de porter ses fruits si elle repose sur un travail Ă  la fois pluridisciplinaire et spĂ©cialisĂ©. En temps de crise, le rĂ©seau psycho-mĂ©dico-social tout entier doit se mobi- liser afin d’accueillir les victimes adultes et enfants. Par la suite, un travail de fond doit nĂ©cessairement avoir lieu pour permettre aux enfants exposĂ©s d’intĂ©grer des mo- dĂšles relationnels Ă©galitaires. Ce travail sert Ă©galement de prĂ©vention Ă  la rĂ©pĂ©tition de la violence. Un enfant Ă  qui l’on a appris Ă  reconnaĂźtre les modĂšles Ă©galitaires et qui les met en Ɠuvre dans ses relations avec autrui est moins susceptible de reproduire ou subir des violences dans sa vie affective et sexuelle future. Un accompagnement de qualitĂ© des enfants participe Ă  la lutte contre les violences intrafamiliales et prĂ©vient l’apparition de nouvelles victimes. (14) Un enfant exposĂ© aux violences conjugales est un enfant maltraitĂ©, op. cit., p. 42. (15) B. BASTARD, Un conjoint violent est-il un mauvais parent ?, op. cit., p. 44. (16) Article 3 de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant : «Dans toutes les dĂ©cisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privĂ©es de protection sociale, des tribunaux, des autoritĂ©s admi- nistratives ou des organes lĂ©gislatifs, l’intĂ©rĂȘt supĂ©rieur de l’enfant doit ĂȘtre une considĂ©ration primordiale». (17) Un enfant exposĂ© aux violences conjugales est un enfant maltraitĂ©, op. cit., p. 28.
  • 11. JDJ - N° 333 - mars 2014 11 La rĂ©alisation des droits de l’enfant, c’est aussi une question de budget Sarah D’hondt et Siska Van de Weyer(1) Le ComitĂ© des Droits de l’Enfant des Nations unies exprime depuis quelques annĂ©es ses prĂ©occupations sur l’absence de toute indication concernant la maniĂšre dont Ă©voluent les budgets des États signataires de la Convention dans les matiĂšres qui concernent les mineurs. Il entame cette annĂ©e une rĂ©ïŹ‚exion en vue de rĂ©diger un commentaire gĂ©nĂ©ral sur le «child budgeting». Comment aborder concrĂštement cet exercice en Belgique ? La Commission nationale des droits de l’enfant (CNDE) a rĂ©alisĂ© une note de rĂ©ïŹ‚exion pour poser les jalons d’un choix politique rĂ©ïŹ‚Ă©chi en la matiĂšre. (1) Respectivement prĂ©sidente et attachĂ©e de la Commission nationale pour les droits de l'enfant. Cette contribution est le rĂ©sumĂ© d’une note de rĂ©ïŹ‚exion, rĂ©digĂ©e dans le cadre des travaux de la Commission Nationale pour les Droits de l’Enfant. Elle vise Ă  susciter une rĂ©ïŹ‚exion plus gĂ©nĂ©rale en la matiĂšre. Les auteurs remercient le Kenniscentrum Kinderrechten (KeKi), De Ambrassade, DEI Belgique, la Kinderrechtencoalitie, le Kin- derrechtencommissariaat, l’Institut du DĂ©lĂ©guĂ© gĂ©nĂ©ral aux droits de l’enfant, l’Institut pour l’égalitĂ© des femmes et des hommes, Unicef Belgique, la Vlaamse administratie (Agentschap sociaal-cultureel werk voor jeugd en volwassenen, afdeling Jeugd et le DĂ©partement FinanciĂ«n en Begroting) et l’OEJAJ pour leurs suggestions. La note a Ă©tĂ© intĂ©gralement publiĂ©e en NL dans le TJK (Tijdschrift voor Jeugd- en Kinderrechten). La version FR complĂšte (avec mention des sources consultĂ©es) ïŹgure sur www.cnde. be, rubrique «actualitĂ©s sur la CNDE». Lors de l’établissement d’un canevas pour le rapport pĂ©riodique sur la mise en Ɠuvre de la Convention In- ternationale relative aux droits de l’enfant en Belgique (CIDE), s’est posĂ©e la question de la disponibilitĂ© de l’information concernant les budgets des programmes destinĂ©s aux mineurs. Le constat est malheureuse- ment identique Ă  celui dĂ©jĂ  effectuĂ© en 2010, lors de la prĂ©sentation belge du prĂ©cĂ©dent rapport CIDE pĂ©- riodique (troisiĂšme et quatriĂšme rapports combinĂ©s) de la Belgique : les donnĂ©es ne sont pas directement disponibles. C’est la raison pour laquelle le secrĂ©tariat de la Com- mission Nationale pour les Droits de l’Enfant (CNDE) a dĂ©cidĂ© d’explorer les jalons d’un choix politique rĂ©- flĂ©chi pour la budgĂ©tisation des programmes destinĂ©s aux enfants (en anglais, child budgeting). Dans cette note, cette budgĂ©tisation est prĂ©sentĂ©e comme une premiĂšre Ă©tape. Une analyse approfondie du budget pour mineurs permettra par la suite de construire les fondements d’un child friendly budgeting, c’est-Ă -dire une façon d’allouer le budget qui soit adaptĂ©e aux en- fants et Ă  leurs besoins. La FĂ©dĂ©ration Wallonie-Bruxelles semble d’ores et dĂ©jĂ  convaincue de l’importance d’une telle dĂ©marche. Son plan d’action triennal pour les enfants le plus rĂ©cent fait Ă©tat de la volontĂ© d’ «identifier dans le budget les al- locations et montants qui ont comme destinataires directs ou indirects les enfants». De son cĂŽtĂ©, le plan d’Action flamand pour les droits de l'enfant (Vlaams Actie- plan Kinderrechten) 2011-2014 envisage la possibi- litĂ© d’inventorier les budgets utilisĂ©s pour amĂ©liorer la situation des enfants, afin d’optimaliser leur attribu- tion (objectif opĂ©rationnel 1.4). Lors du premier suivi du plan flamand pour la politique de la jeunesse et du plan d’Action flamand pour les droits de l‘enfant, les points de contact ont Ă©tĂ© invitĂ©s Ă  mentionner les budgets. L’exercice a Ă©chouĂ© Ă  cause d’un manque de rĂ©action. Le gouvernement flamand souhaite toutefois poursuivre la rĂ©flexion et espĂšre que le secrĂ©tariat de la CNDE pourra l’inspirer. À la suite d'impulsions internationales (United Na- tions Entity for Gender Equality and the Empower- ment of Women) et europĂ©ennes (Conseil de l’Eu- rope), le gouvernement fĂ©dĂ©ral a, depuis 2007, mis en Ɠuvre un autre systĂšme de budgĂ©tisation thĂ©matique, le gender budgeting. Cela nous a semblĂ© un point de dĂ©part intĂ©ressant pour Ă©tudier la faisabilitĂ© d’un pro- gramme similaire en faveur des enfants. Cette contribution s’articule autour de trois thĂšmes : nous esquisserons premiĂšrement un cadre thĂ©orique de la demande actuelle de procĂ©der Ă  une budgĂ©tisation des programmes destinĂ©s aux enfants, nous aborderons ensuite la plus-value et les limites d’un tel exercice et, finalement, nous proposerons des recommandations en vue d’une application concrĂšte dans le contexte belge, avec pour objectif final de parvenir Ă  une budgĂ©tisation adaptĂ©e aux enfants (child friendly budgeting).
  • 12. 12 JDJ - N° 333 - mars 201412 JDJ - N° 333 - mars 2014 Cadre thĂ©orique «Dans le cas des droits Ă©conomiques, sociaux et culturels, ils [les États parties] prennent ces mesures dans toutes les limites des ressources dont ils disposent ». L’article 4 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant (CIDE) peut ĂȘtre vu comme une premiĂšre tentative de s’engager dans le child budgeting et de tendre vers une utilisation optimale des budgets. Le ComitĂ© des droits de l’enfant des Nations unies de- mande Ă©galement dans ses directives concernant la forme et le contenu des rapports pĂ©riodiques d’indi- quer si le budget pour la rĂ©alisation des droits de l’en- fant est clairement identifiĂ© et suivi et de reprendre certaines informations budgĂ©taires dans les rapports pĂ©riodiques des États parties. L’intĂ©rĂȘt de l’article 4 de la CIDE est d’ailleurs sou- lignĂ© par le ComitĂ© par le biais de son Observation gĂ©nĂ©rale n° 5 et des recommandations formulĂ©es lors de la JournĂ©e de Discussion gĂ©nĂ©rale de 2007 consa- crĂ©e au thĂšme «budget pour les droits de l’enfant». Le ComitĂ© encourage vivement les pouvoirs publics des États signataires de la Convention Ă  identifier de façon pĂ©riodique les moyens Ă©conomiques, humains et orga- nisationnels disponibles pour la rĂ©alisation des droits de l’enfant, ainsi que les moyens qui sont effective- ment utilisĂ©s pour implĂ©menter les droits de l’enfant. Cette information est en effet utile pour une Ă©valuation correcte des mesures qui sont prises Ă  tous les niveaux de l’État. Elle permet de veiller Ă  ce que le planning Ă©conomique et social – qui donne lieu Ă  des dĂ©cisions politiques et budgĂ©taires – soit Ă©tabli dans l’intĂ©rĂȘt su- pĂ©rieur de l’enfant et que les mineurs, y compris les groupes vulnĂ©rables, soient protĂ©gĂ©s contre les effets indĂ©sirables de la politique Ă©conomique ou contre les fluctuations du marchĂ© financier. Le ComitĂ© des droits de l’enfant des Nations unies de- meure malheureusement extrĂȘmement vague concer- nant la maniĂšre dont cet exercice pourrait ĂȘtre abordĂ© concrĂštement. En outre, il ne procĂšde toujours pas Ă  une Ă©valuation effective des choix budgĂ©taires qui sont connus. Pour l’instant, le ComitĂ© se contente d’obser- ver simplement l’obligation de non-rĂ©gression, «the obligation to not take any retrogressive steps». Nous at- tendons donc impatiemment le commentaire gĂ©nĂ©ral sur le child budgeting en voie d’élaboration. La littĂ©rature disponible indique que le child budgeting est un processus complexe, intensif et de longue durĂ©e. Nous prĂ©conisons dĂšs lors de confronter tout d’abord la plus-value du child budgeting aux efforts que coĂ»tera sans aucun doute cet exercice. Avantages La budgĂ©tisation des programmes destinĂ©s aux en- fants est un outil stratĂ©gique qui peut permettre une meilleure comprĂ©hension du systĂšme de financement complexe et fragmentĂ© des pouvoirs publics. La carto- graphie qui en rĂ©sulte peut Ă©galement ĂȘtre rĂ©vĂ©latrice d’éventuels manques et chevauchements. L’établissement d’un compte rendu transparent a aussi l’avantage de permettre aux citoyens (mineur et ma- jeur) de mieux comprendre les affectations budgĂ©taires des pouvoirs publics(2) . Enfin, un tel travail donne aux autoritĂ©s l’occasion de rendre compte de leurs dĂ©- penses et de leurs efforts pour la rĂ©alisation des droits de l’enfant. Cette budgĂ©tisation est ainsi un instrument important pour rendre mesurable et visible l’effet d’une politique des droits de l’enfant. Toutefois, il faut relativiser le lien entre un budget et l’effet qui en rĂ©sulte. Un bud- get important n’est pas toujours nĂ©cessaire pour rĂ©ali- ser des projets intĂ©ressants. De plus, il n’est pas en tant que tel la preuve d’une politique efficace et adaptĂ©e aux enfants. Une transparence Ă  ce niveau prĂ©sente en outre l’avan- tage de pouvoir prĂ©venir plus aisĂ©ment les attentes ir- rĂ©alistes de certaines ONG qui font du lobbying en faveur des droits de l’enfant. Elle peut les pousser Ă  Ă©tablir des prioritĂ©s et Ă  poursuivre avant tout une amĂ©lioration de l’efficacitĂ© dans l’utilisation des res- sources budgĂ©taires. Une attitude pragmatique peut ainsi se substituer Ă  une quĂȘte parfois irrĂ©aliste de bud- gets toujours plus importants. Le rĂ©sultat de l’analyse des budgets consacrĂ©s aux mi- neurs peut en outre susciter Ă  court terme une prise de conscience, dans le monde politique, de la nĂ©cessitĂ© pour les budgets dĂ©partementaux de concentrer leur attention sur le dĂ©veloppement de programmes adap- tĂ©s aux enfants. À long terme, une telle analyse peut conduire Ă  une utilisation plus efficace des moyens publics, ainsi qu’à (2) Dans ce cadre, nous recommandons Ă  l’État belge de participer au projet International Budget Partnership du centre amĂ©ricain Centre on Budget and Policy Priorities, voir http://internationalbudget.org/what-we-do/open-budget-survey/).
  • 13. JDJ - N° 333 - mars 2014 13 amĂ©liorer les collaborations entre les diffĂ©rents services. Le rĂ©sultat peut Ă©galement permettre de dĂ©velopper une mĂ©thodologie prĂ©dictive en matiĂšre de coĂ»ts afin d’estimer le budget des programmes Ă  dĂ©velopper. Le child budgeting pourrait aussi, pour autant qu’une mĂȘme approche soit adoptĂ©e, ĂȘtre un instrument utile lors de la comparaison des prioritĂ©s politiques des pays les uns avec les autres. Une telle cartographie Ă©largie permet la rĂ©alisation d’analyses et l’échange de bonnes pratiques au niveau international. Il conviendra tou- tefois de tenir compte ici dans une large mesure des diffĂ©rentes situations de dĂ©part et des prioritĂ©s et rĂ©ali- tĂ©s culturelles diffĂ©rentes, qui peuvent toutes avoir leur impact tant sur le contenu de la notion de «droits de l’enfant» que sur la transposition concrĂšte des droits de l’enfant dans leur politique. En outre, nous rĂ©itĂ©rons Ă  nouveau ici cette remarque : le budget ne constitue qu’un des Ă©lĂ©ments Ă  prendre en compte lors de l’ana- lyse. Il ne dit en soi rien sur la qualitĂ© de la politique menĂ©e. Cela vaut aussi bien au niveau national qu’in- ternational. Limites Cet exercice a aussi ses limites. Tout d’abord, il est trĂšs difficile de distinguer, dans la comptabilitĂ© publique globale, un budget en faveur des mineurs sans prĂ©voir la moindre marge d’erreur. Les donnĂ©es budgĂ©taires sont souvent incomplĂštes, insuffisamment dĂ©taillĂ©es, peu transparentes ou sim- plement indisponibles. Ce qui implique notamment que les budgets des programmes destinĂ©s Ă  des groupes cibles spĂ©cifiques, comme les mineurs qui vivent dans la pauvretĂ© ou les mineurs Ă©trangers, ne sont pas tou- jours aisĂ©ment identifiables. En cas d’absence de ventilation entre les bĂ©nĂ©ficiaires mineurs et majeurs, il y aura Ă©galement lieu d’utiliser des clĂ©s de rĂ©partition pour calculer la part rĂ©servĂ©e aux mineurs. Il n’est bien entendu pas opportun de se fonder systĂ©matiquement sur la proportion de mi- neurs dans la population totale. Les clĂ©s de rĂ©partition doivent ĂȘtre fixĂ©es (par approximation) en fonction des montants effectivement dĂ©pensĂ©s pour les mi- neurs. Cette maniĂšre de procĂ©der rend inĂ©vitablement le rĂ©sultat final moins prĂ©cis. Par ailleurs, certaines mesures prises dans des do- maines qui ne prĂ©sentent aucun lien avec des mineurs peuvent parfois avoir des effets positifs indirects sur eux. Par exemple, la taxe sur le tabac augmente le prix des cigarettes, ce qui peut avoir un effet dissuasif sur la consommation de tabac chez les mineurs. Une autre limite touche Ă  l’objectivitĂ© de l’exercice. Étant donnĂ© que notre cartographie a pour but de procĂ©der par la suite Ă  une analyse et Ă  une Ă©valuation de la politique budgĂ©taire qui a Ă©tĂ© menĂ©e, il faudra reprendre uniquement les donnĂ©es qui constituent une plus-value pour l’analyse envisagĂ©e. Il faudra donc savoir quels sont les budgets qui offrent ou non une plus-value en termes de droits de l’enfant. C’est ainsi que l’on pourra, par exemple, estimer que les budgets destinĂ©s Ă  l’amĂ©nagement de passages pour piĂ©tons ou de casse-vitesse aux abords des Ă©coles doivent ĂȘtre in- clus, contrairement aux budgets destinĂ©s Ă  amĂ©nager un rond-point de sĂ©curitĂ© ou Ă  limiter la vitesse en ag- glomĂ©ration, ce qui entraĂźne inĂ©vitablement des choix subjectifs avec pour consĂ©quence que la dĂ©finition fi- nale du budget en faveur des mineurs ne pourra se dĂ©rouler en toute objectivitĂ©. Afin de pouvoir accorder une certaine autoritĂ© Ă  l’exercice, il y a lieu d’élaborer une mĂ©thodologie bien rĂ©flĂ©chie soutenue par l’en- semble des personnes concernĂ©es. Une troisiĂšme rĂ©serve constitue la charge de travail trĂšs intense qu’implique l’exercice. En cas de compĂ©tences mixtes, diffĂ©rents niveaux de pouvoir sont compĂ©tents pour le financement d’un seul et mĂȘme poste budgĂ©- taire. Cela implique que les donnĂ©es sont Ă©parpillĂ©es Ă  plusieurs niveaux de compĂ©tences et Ă©ventuellement enregistrĂ©es de diffĂ©rentes maniĂšres. Les rĂ©unir et les rendre comparables entre elles nĂ©cessitera donc une approche uniforme, qui reste Ă  construire. Étant donnĂ© que les dĂ©penses publiques prennent rĂ©- guliĂšrement la forme d’un transfert Ă  un autre pou- voir chargĂ© de l’exĂ©cution effective de la politique, un risque de double comptage n’est pas exclu. Le dĂ©dou- blement de ces donnĂ©es demandera lui aussi du temps. Une comparaison des budgets sur plusieurs annĂ©es peut en outre s’avĂ©rer difficile parce que, en plus des programmes et des organisations, il est possible que les dĂ©finitions et les catĂ©gories de budget au sein de ces pro- grammes subissent des modifications au fil du temps. Ce type de budgĂ©tisation entraĂźnera inĂ©vitablement des frais supplĂ©mentaires, et ce tant au niveau de la collecte des donnĂ©es nĂ©cessaires auprĂšs de tous les dĂ©- partements qu’au niveau de leur traitement. Le coĂ»t s’exprime Ă  la fois en termes de personnel et d’infra- structure technique.
  • 14. 14 JDJ - N° 333 - mars 201414 JDJ - N° 333 - mars 2014 Un travail intensif mais utile AprĂšs cette premiĂšre analyse, il apparaĂźt dĂ©jĂ  claire- ment qu’une approche parfaitement objective est ex- clue quelle que soit la mĂ©thodologie finalement choi- sie, et que l’exercice comportera son lot d’imperfec- tions. Toutefois, et malgrĂ© le fait qu’elle implique un travail intensif, la budgĂ©tisation des programmes consacrĂ©s aux mineurs fait partie intĂ©grante d’une politique des droits de l’enfant performante. Le citoyen a le droit de connaĂźtre les prioritĂ©s politiques et l’impact des mesures politiques (pour autant que cet impact soit mesurable et plus encore: pour autant que la mesure de cet impact puisse ĂȘtre rĂ©alisĂ©e sur la base d’informa- tions budgĂ©taires). D’autre part, tous les États parties Ă  la Convention sont soumis Ă  l’obligation internatio- nale de justifier comment ils respectent la Conven- tion qu’ils ont ratifiĂ©e. Un simple renvoi Ă  des initia- tives lĂ©gislatives et administratives, sans Ă©valuer ou au moins rendre mesurable leur impact et l’efficacitĂ© des efforts budgĂ©taires entrepris, ne peut pas ĂȘtre quali- fiĂ© de «justification». Ce qui intĂ©resse le ComitĂ©, c’est l’effet concret de ces initiatives sur la vie quotidienne des mineurs. Pour les raisons susmentionnĂ©es, nous ne doutons pas de la plus-value d’une budgĂ©tisation spĂ©cifique, ser- vant Ă  la fois d’instrument prĂ©paratoire pour une po- litique et de vecteur d’évaluation de cette derniĂšre par la suite. Tout en retenant qu’une information budgĂ©- taire ne constitue qu’un seul aspect d’une Ă©valuation qualitative et quantitative. Une telle Ă©valuation pour- rait s’effectuer par le biais d’indicateurs des droits de l’enfant, dont l’élaboration est actuellement mise en route par la Commission Nationale pour les Droits de l’Enfant. Objectif ïŹnal : un budget adaptĂ© aux enfants La budgĂ©tisation des programmes destinĂ©s aux mi- neurs ne constitue, Ă  notre sens, que la premiĂšre Ă©tape d’un processus plus vaste visant Ă  Ă©tablir un budget adaptĂ© aux enfants (child friendly budgeting). Le Co- mitĂ© des Droits de l’Enfant des Nations unies en a fait la recommandation Ă  la suite de la journĂ©e de discus- sion gĂ©nĂ©rale sur «le secteur privĂ© comme fournisseur de services», qui a eu lieu en 2002. Lorsque la cartographie des budgets destinĂ©s aux mi- neurs aura Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e, elle devra ĂȘtre soumis Ă  une analyse approfondie et dĂ©boucher sur des recomman- dations. L’objectif est de parvenir Ă  une affectation et une utilisation efficaces des budgets pour mettre en Ɠuvre la politique en faveur des mineurs. Nous pouvons ainsi distinguer trois phases qui for- ment un cycle fondĂ© sur une vision des droits de l’en- fant: la cartographie des budgets (child budgeting), l’analyse, et les recommandations politiques en vue de procĂ©der au child friendly budgeting. Ci-aprĂšs, nous dĂ©veloppons ces trois phases, en prĂ©cisant les objectifs poursuivis et la maniĂšre dont ils peuvent ĂȘtre rĂ©alisĂ©s(3) . Phase 1 Cartographie des budgets destinĂ©s aux mineurs Qui ? Les pouvoirs publics disposent largement du person- nel et de l’expertise nĂ©cessaires (des personnes qui sont responsables de l’établissement de statistiques, de budgets, de demandes de budgets, de la collecte de donnĂ©es). L’accĂšs aux donnĂ©es chiffrĂ©es ainsi que l’apprĂ©ciation de leur pertinence et de leur prĂ©cision ne constitue en principe aucun problĂšme pour eux. Si tel devait nĂ©anmoins ĂȘtre le cas, le problĂšme pourrait alors ĂȘtre pris Ă  sa source. Les pouvoirs publics sont en principe les plus Ă  mĂȘme de brosser le tableau le plus exhaustif possible des budgets destinĂ©s aux mineurs. Le ComitĂ© des Droits de l’Enfant des Nations unies s’adresse lui aussi explicitement aux pouvoirs publics dans sa demande de collecte des budgets et de leur intĂ©gration aux rapports pĂ©riodiques CIDE. Si la tĂąche doit donc principalement incomber aux pouvoirs publics, elle se rĂ©alisera de prĂ©fĂ©rence en proche collaboration avec le monde acadĂ©mique et la sociĂ©tĂ© civile. Le rĂŽle de ces derniers s’intensifiera au cours des Ă©tapes suivantes. L’élaboration d’une mĂ©thodologie uniforme et l’ac- compagnement du projet doivent, Ă  notre sens, ĂȘtre confiĂ©s de prĂ©fĂ©rence Ă  une Ă©quipe multidisciplinaire composĂ©e Ă  la fois d’experts techniques, qui savent (3) Nous rappelons que la prĂ©sente contribution a pour vocation de susciter la discussion. La faisabilitĂ© politique, budgĂ©taire et technique de la proposition relĂšve en majeure partie des entitĂ©s publiques qui, de prĂ©fĂ©rence, se feront inspirer par l’expertise du monde acadĂ©mique et de la sociĂ©tĂ© civile.
  • 15. JDJ - N° 333 - mars 2014 15 quelles donnĂ©es sont disponibles et sous quelle forme elles sont disponibles (pourcentages, chiffres globaux, chiffres ventilĂ©s, collectĂ©s par annĂ©e fiscale ou par an- nĂ©e scolaire
), et d’experts de fond (disposant de so- lides connaissances en matiĂšre de budgĂ©tisation des programmes pour mineurs, de droits de l’enfant, de politiques menĂ©es en faveur des mineurs, compte tenu de la structure de l’État
). La collecte des donnĂ©es in concreto revient plutĂŽt aux administrations concernĂ©es. Comment ? Il est important que tout choix mĂ©thodologique soit motivĂ© explicitement. Une telle transparence permettra d’accroĂźtre la fiabilitĂ© et la clartĂ© du compte rendu qui sera Ă©tabli et de l’analyse qui s’ensuivra. Il nous semble opportun d’adopter, dĂšs cette premiĂšre phase, une ap- proche axĂ©e sur les droits de l’enfant. ConcrĂštement, cela implique que l’on dĂ©termine avant toute chose les droits de l’enfant sur lesquels on veut travailler. Pour dĂ©terminer concrĂštement ces droits – un exercice prĂ©alable qui simplifiera par la suite la dĂ©- termination des budgets pertinents – il sera Ă©ventuel- lement possible d’utiliser le canevas de rapport que le secrĂ©tariat de la CNDE a Ă©tabli(4) . On devra garder Ă  l’esprit qu’il est plus aisĂ©, pour cer- tains droits que pour d’autres, de collecter les budgets y affĂ©rents, et que les budgets affectĂ©s Ă  la rĂ©alisation de droits sociaux et Ă©conomiques pourront se rĂ©vĂ©ler plus aisĂ©ment identifiables que ceux touchant aux droits ci- vils et politiques. Il faudra aussi tenir compte du fait que les droits de l’enfant sont intimement liĂ©s. Il en va de mĂȘme pour leur mise en Ɠuvre, de sorte qu’il pourra ĂȘtre nĂ©cessaire de collecter des budgets qui, de prime abord, ne semblaient pas directement pertinents pour l’analyse. Quels budgets collecter ? Plusieurs autres choix devront ĂȘtre opĂ©rĂ©s: va-t-on uniquement collecter des budgets dont les destina- taires directs sont les mineurs ou va-t-on opter pour l’autre extrĂ©mitĂ© et tenter d’impliquer dans l’exercice, dans un souci de sĂ©curitĂ©, chaque programme qui a une quelconque incidence sur les mineurs? Ou va-t-on opter pour un juste milieu rĂ©alisable? On peut d’ailleurs encore aller plus loin. La renon- ciation, par un pouvoir public, Ă  une source de reve- nus, par exemple, en accordant une rĂ©duction d’impĂŽt aux familles avec enfants, peut aussi ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme s’inscrivant pleinement dans le budget Ă  desti- nation des mineurs. Ces coĂ»ts indirects pour les pou- voirs publics pourront Ă©galement ĂȘtre pris en compte lors du constat de la situation et lors de l’analyse de l’utilisation efficace du budget. Compte tenu de la structure de l’État belge, il faudra aussi dĂ©cider si l’on se borne aux budgets des auto- ritĂ©s fĂ©dĂ©rales et des États fĂ©dĂ©rĂ©s, ou si on y intĂšgre Ă©galement les budgets provinciaux et locaux. Cette in- tĂ©gration permettrait une plus grande prĂ©cision dans la dĂ©termination du budget, mais il faudra veiller Ă  Ă©viter tout doublon dans le comptage, en raison des transferts de montants d’un pouvoir Ă  l’autre. Il fau- dra, qui plus est, vĂ©rifier si les avantages d’une prĂ©ci- sion accrue justifient les efforts plus importants devant ĂȘtre consentis pour cartographier les budgets de tous les niveaux de pouvoir. Enfin, il faudra aussi dĂ©cider si on reprend unique- ment les initiatives qui dĂ©coulent directement de la politique publique (l’ensemble des initiatives entre- prises par les pouvoirs publics pour amĂ©liorer le fonc- tionnement de la sociĂ©tĂ© et qui ont un impact visible sur la population) ou aussi la facilitation de l’organi- sation et le fonctionnement de ce pouvoir public (tels que les salaires, achats de matĂ©riaux, comptabilitĂ©). Les dĂ©cisions en la matiĂšre seront de prĂ©fĂ©rence prises sur la base du fil conducteur suivant : la plus-value qu’offrent les programmes en question pour la rĂ©alisa- tion des droits de l’enfant. Nous recommandons d’envisager les budgets de tous les secteurs et programmes dont les mineurs sont les destinataires, que ce soit exclusivement (par exemple, l’enseignement obligatoire), implicitement (par exemple, la culture, la sĂ©curitĂ© routiĂšre) ou simple- ment indirectement (par exemple, la formation pro- fessionnelle des animateurs de jeunes, les programmes destinĂ©s aux mĂšres en dĂ©tention, le soutien Ă  la paren- talitĂ© ou les formations spĂ©cifiques axĂ©es sur les mi- neurs et destinĂ©es aux membres du personnel d’insti- tutions fermĂ©es pour des mineurs), pour autant qu’il soit possible de faire un lien avec les droits de l’enfant. Il faudra ensuite encore choisir de soit se contenter de donnĂ©es budgĂ©taires globales (par exemple, le budget pour l’enseignement, les soins de santĂ©, sans aucune (4) Consultable sur www.cnde.be, rubrique ‘ActualitĂ©s sur la CNDE’.
  • 16. 16 JDJ - N° 333 - mars 201416 JDJ - N° 333 - mars 2014 ventilation en fonction des groupes spĂ©cifiques de mi- neurs
), soit de collecter des donnĂ©es plus spĂ©cifiques (en fonction de la catĂ©gorie d’ñge, de la vulnĂ©rabilitĂ© du groupe, par exemple, sur la base des recommandations du ComitĂ© CRC en la matiĂšre). La deuxiĂšme option implique tout un travail d’analyse et risque de s’avĂ©rer techniquement difficile Ă  opĂ©rer. Quant Ă  la pĂ©riode Ă  couvrir, nous recommandons de procĂ©der Ă  la collecte de budgets couvrant plusieurs an- nĂ©es. Seule cette approche permet une analyse appro- fondie des budgets et de leur Ă©volution et d’en tirer les conclusions nĂ©cessaires pour pouvoir donner forme en- suite Ă  un budget adaptĂ© aux enfants. Phase 2 Analyse des budgets en faveur des mineurs Durant cette phase, l’objectif est de - vĂ©rifier si la façon dont le budget pour mineurs est attribuĂ© permet une rĂ©alisation optimale des droits de l’enfant. Il s’agit de visualiser les divergences entre le budget prĂ©vu et le budget rĂ©ellement affectĂ©, aprĂšs quoi il est possible de rechercher des explications possibles pour les diffĂ©rences observĂ©es; - visualiser les fluctuations d’une annĂ©e Ă  l’autre dans le budget total et dans les postes budgĂ©taires prioritaires; dĂ©tecter les tendances en matiĂšre de dĂ©penses (budget prĂ©vu, escomptĂ© et effectif) Ă  moyen terme; vĂ©rifier dans quelle mesure une crise Ă©conomique peut influen- cer le budget consacrĂ© aux mineurs; - dĂ©terminer l’incidence des efforts budgĂ©taires sur les rĂ©sultats; Ă©changer des bonnes pratiques en comparant entre eux des budgets destinĂ©s Ă  des programmes simi- laires auprĂšs de diffĂ©rents pouvoirs publics; - vĂ©rifier si les efforts budgĂ©taires consentis sont suffi- sants en vue de l’accomplissement des engagements politiques des dĂ©clarations politiques qui requiĂšrent un budget; - Ă©pingler les charges indirectes. Il s’agit de vĂ©rifier quelles dĂ©penses supplĂ©mentaires sont nĂ©cessaires pour compenser le fait que certains rĂ©sultats n’ont pas Ă©tĂ© atteints ou que les pouvoirs publics n’ont pas mis en place ou financĂ© les programmes nĂ©cessaires. À titre d’exemple, les frais des programmes de santĂ© en faveur des mineurs atteints d’obĂ©sitĂ© ou d’une MST, destinĂ©s Ă  remĂ©dier Ă  une politique de prĂ©vention inexistante ou dĂ©faillante. Il sera ainsi possible de vĂ©rifier aussi quels coĂ»ts pourraient disparaĂźtre si les programmes atteignaient effectivement leurs objectifs; - dĂ©velopper une mĂ©thodologie prĂ©dictive des coĂ»ts afin de pouvoir Ă©valuer le budget de nouveaux programmes Ă  dĂ©velopper. En fonction des rĂ©sultats de l’analyse qui est exĂ©cutĂ©e sur la base du ou des objectifs fixĂ©s, il sera ensuite pos- sible de formuler des recommandations spĂ©cifiques en vue de l’amĂ©lioration et de la mise au point des dĂ©penses budgĂ©taires (child friendly budgeting). L’analyse se dĂ©roulera immanquablement de maniĂšre subjective Ă©tant donnĂ© que les personnes en charge de ce travail partiront d’une perspective donnĂ©e. Le dĂ©ve- loppement d’une mĂ©thodologie solide fondĂ©e sur un consensus pourra en minimiser autant que possible les effets. Il faudra avant toute chose dĂ©terminer le destinataire de l’analyse: l’analyse a-t-elle l’intention de fournir des informations aux citoyens, aux pouvoirs public ou plus spĂ©cifiquement Ă  certains dĂ©partements ? Se pose aussi la question de savoir si on va procĂ©der Ă  une analyse statique ou dynamique. En cas d’analyse statique, seul le budget en question sera analysĂ©. Une analyse dynamique, au contraire, comparera l’évolution des budgets dans le temps en Ă©pinglant les diffĂ©rences dans les budgets attribuĂ©s et les dĂ©penses, et ce sur dif- fĂ©rentes pĂ©riodes. Les analyses dynamiques sont impor- tantes lorsqu’on souhaite Ă©valuer dans quelle mesure les États respectent leurs obligations en matiĂšre de rĂ©alisa- tion des droits de l’enfant (cf. art 4 CIDE). Il conviendra encore, d’un point de vue Ă©conomique, lors de l’analyse des budgets et des tendances qui se dessinent, de tenir compte d’une possible modification des chiffres de la population et de l’inflation au fil du temps. Si les budgets augmentent plus lentement que l’effet combinĂ© de l’inflation et du chiffre de la popula- tion, cela signifie que les dĂ©penses s’inscriront en rĂ©alitĂ© Ă  la baisse si elles sont exprimĂ©es en euros «constants». Il faudra en outre faire une distinction entre la valeur rĂ©elle et la valeur nominale d’un montant : en cas de comparaison couvrant plusieurs dĂ©cennies, il faudra tenir compte du fait qu’un montant d’il y a vingt ans Ă©quivaut aujourd’hui un montant bien plus Ă©levĂ©, Ă©tant donnĂ© l’inflation.
  • 17. JDJ - N° 333 - mars 2014 17 Enfin, il faudra Ă©galement tenir compte du fait que les droits repris dans la CIDE (et dans d’autres Conven- tions des droits de l’homme) sont intimement liĂ©s; voir, par exemple, l’importance d’une bonne politique de santĂ© et d’une politique d’intĂ©gration sociale en vue d’une Ă©galitĂ© effective du droit Ă  l’enseignement. Dans un tel cas de corrĂ©lation, il faudra Ă©galement faire le lien entre les diffĂ©rents postes budgĂ©taires. AprĂšs avoir procĂ©dĂ© aux choix susmentionnĂ©s, l’élabo- ration d’une mĂ©thodologie pour l’analyse qualitative des budgets pour mineurs peut ĂȘtre entamĂ©e. Cet exer- cice peut ĂȘtre inspirĂ© par de bonnes pratiques existantes, telles que les expĂ©riences de Save the Children, de HAQ Centre for Child Rights, de l’Inde, de la Jordanie et de San Diego. Nous renvoyons aussi Ă  quelques procĂ©dures d’analyse budgĂ©taire qui ne sont pas axĂ©es sur le mineur, mais qui sont appliquĂ©es par des instances internationales renommĂ©es, telles que le Public Expenditure Reviews de la Banque Mondiale et le Public Expenditure and Finan- cial Accountability (PEFA) appliquĂ© par l’OCDE. Phase 3 Recommandations en vue d’un child friendly budgeting Sur la base de l’analyse, des recommandations politiques pourront ĂȘtre formulĂ©es pour parvenir Ă  un child frien- dly budgeting, permettant d’allouer le budget disponible pour la politique en faveur des mineurs de la maniĂšre la plus efficace possible. On y procĂšde en partant de la CIDE, avec l’idĂ©e d’éta- blir des budgets poursuivant les objectifs suivants : - rĂ©alisertouslesdroitsdel’enfantdanstousleursaspects; - renforcer les capacitĂ©s des institutions qui poursuivent la rĂ©alisation des droits de l’enfant; - mettre au point une politique inclusive tenant compte de tous les groupes (vulnĂ©rables) de la sociĂ©tĂ©. La recommandation d’un child friendly budgeting ne concerne pas seulement les dĂ©partements et ministĂšres directement concernĂ©s par les mineurs. Elle vaut pour l’ensemble des administrations Ă©tant donnĂ© qu’elles ont toutes une influence, Ă  tout le moins indirecte, sur la rĂ©alisation de la CIDE. Chaque dĂ©partement doit (par exemple, via des correspondants par administration, tels que ceux actifs au sein du groupe de suivi CIDE au niveau de la FWB) dĂ©montrer comment ses propres budgets et programmes sont conciliables avec la rĂ©alisa- tion des droits Ă©conomiques, sociaux, culturels, civils et politiques des mineurs. La mise en place de ce budget nĂ©cessitera toutefois un appui professionnel : les acteurs qui sont impliquĂ©s dans la prĂ©paration et la dĂ©finition de la politique et dans la dĂ©termination du budget y affĂ©rent, doivent avoir la possibilitĂ© d’acquĂ©rir de l’expĂ©rience en matiĂšre de droits de l’enfant pour dĂ©velopper un rĂ©flexe en matiĂšre d’intĂ©gration de cette approche. Un dĂ©veloppement ef- ficace de ce rĂ©flexe passera notamment par une visibilitĂ© accrue des budgets dans les systĂšmes d’enregistrement existants. Conclusion DiffĂ©rentes options sont possibles pour donner forme Ă  une budgĂ©tisation des programmes destinĂ©s aux mi- neurs, Ă  son analyse et Ă  la rĂ©alisation d’un budget qui soit adaptĂ© aux enfants. Elles dĂ©pendront vraisemblable- ment de la faisabilitĂ© pratique et de la charge de travail supplĂ©mentaire qu’elles entraĂźnent. Il est important d’en avoir, Ă  l’avance, une image suffisamment claire. Trop d’exercices de budgĂ©tisation n’ont, par le passĂ©, connu qu’une seule Ă©dition. Leur rĂ©pĂ©tition est pourtant une condition essentielle Ă  l’analyse des progrĂšs enregistrĂ©s. Cette mission est loin d’ĂȘtre aisĂ©e et restera toujours un dĂ©fi, indĂ©pendamment des efforts dĂ©ployĂ©s en vue d’ap- pliquer une mĂ©thodologie la plus sĂ»re possible. Mais la budgĂ©tisation des programmes destinĂ©s aux mi- neurs constitue indĂ©niablement une source abondante d’informations qui permet plus de transparence. Son analyse peut mener Ă  une gestion plus efficace et plus axĂ©e sur les enfants (child friendly budgeting). Elle permet de dessiner les tendances, de prĂ©dire les dĂ©penses Ă  venir et de stimuler une politique rĂ©ellement axĂ©e sur le mi- neur. Rappelons que le ComitĂ© des droits de l’enfant des Nations unies invite les États parties Ă  procĂ©der au child budgeting dans le cadre de leurs rapports pĂ©riodiques. Avec cette contribution, le secrĂ©tariat de la CNDE sou- haite lancer le dĂ©bat, qui pourrait – en cas de soutien convainquant – ĂȘtre suivi d’un test pratique concernant le budget liĂ© Ă  un droit sĂ©lectionnĂ©, sur la base des do- cuments budgĂ©taires disponibles et des complĂ©ments d’info ad hoc du dĂ©partement compĂ©tent de chaque entitĂ© concernĂ©e. Les rĂ©sultats d’un tel exercice pratique pourraient inspirer par la suite les autoritĂ©s dans la prise de dĂ©cision rĂ©flĂ©chie en matiĂšre de child budgeting. Toute rĂ©action est la bienvenue sur info@ncrk-cnde.be.
  • 18. 18 JDJ - N° 333 - mars 201418 JDJ - N° 333 - mars 2014 Le mariage d’enfant Mirna Strinic(1) MalgrĂ© l’existence des lois nationales, des conventions internationales et les engagements quasi universels de mettre ïŹn au mariage d’enfant, il demeure une menace rĂ©elle et actuelle pour les droits de l’enfant dans plus d’une centaine de pays. Les garçons Ă©tant beaucoup moins susceptibles que les ïŹlles de se marier jeunes, les victimes principales de ces mariages sont les jeunes ïŹlles. (1) Stagiaire, DĂ©fense des enfants internationalCet article est publiĂ© sous forme de ïŹche pĂ©dagogique sur le site de DĂ©fense des enfants international Belgique. Il est accompagnĂ© d’annexe et d’une proposition d’animation sur la thĂ©matique. Voir www.dei-belgique. be (2) Rapport de l’UNFPA «Marrying too young» (Mariage prĂ©coce), octobre 2012, dispo- nible sur le site : http://www.unfpa.org/webdav/site/global/shared/documents/ publications/2012/MarryingTooYoung.pdf (3) http://assembly.coe.int/ASP/Doc/XrefViewHTML.asp?FileID= 10969&Language=FR Selon le rapport du Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA)(2) , en 2010, 158 pays ont indi- quĂ© que l’ñge lĂ©gal du mariage sans consentement pa- rental Ă©tait fixĂ© Ă  18 ans pour les femmes. Étant donnĂ© que l’union peut ĂȘtre prononcĂ©e avant l’ñge de 18 ans dans 146 pays et avant l’ñge de 15 ans dans 52 pays, si les parents donnent leur accord, le mariage d’enfant reste une pratique largement rĂ©pandue, notamment en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud. Ces ma- riages sont Ă©galement pratiquĂ©s dans certaines com- munautĂ©s en AmĂ©rique latine, au Moyen-Orient et en Europe de l’Est. Cette pratique n’est donc pas limitĂ©e Ă  une rĂ©gion, mais existe dans quasiment toutes les cultures. Cepen- dant, Ă©tant donnĂ© qu’il s’agit d’un tabou, de nombreux mariages d’enfant ne sont ni officiels ni enregistrĂ©s. Ce n’est que rĂ©cemment que davantage de donnĂ©es sur le mariage d’enfant sont disponibles. Les statistiques disponibles nous montrent qu’aujourd’hui une mi- neure est mariĂ©e prĂ©cocement dans le monde toutes les trois secondes. Si les tendances actuelles persistent, 142 millions de filles seront mariĂ©es dans la prochaine dĂ©cennie. Une fille sur neuf se mariera avant son quin- ziĂšme anniversaire. Le nombre annuel de mariages d’enfant sera passĂ© de 14,2 millions (soit environ 39 000 par jour) en 2010 Ă  prĂšs de 15,1 millions d’ici Ă  2030. Qu’est-ce que le mariage d’enfant ? Toute dĂ©finition du mariage d’enfant doit ĂȘtre assez large pour embrasser l’ensemble des pratiques qui peuvent lui ĂȘtre assimilĂ©es. En gĂ©nĂ©ral, un mariage d’enfant se dĂ©finit comme Ă©tant un mariage officiel ou une union non officialisĂ©e oĂč l’un ou les deux conjoints ont moins de 18 ans. Étant donnĂ© qu’un tel conjoint, compte tenu de son jeune Ăąge, peut ra- rement prendre une dĂ©cision libre et Ă©clairĂ©e sur son partenaire, mais aussi sur le mariage qui est un enga- gement consĂ©quent et Ă  long terme ayant des impli- cations trĂšs importantes (avoir des enfants, les Ă©lever, s’occuper d’un mĂ©nage, etc.), ce mariage se rapproche souvent du mariage «prĂ©coce». Il se rapproche Ă©gale- ment du mariage «forcé» qui se dĂ©finit comme Ă©tant l’union de deux personnes dont l’une au moins n’a pas consenti entiĂšrement et librement Ă  se marier(3) . Il/elle se marie contre son grĂ©, car, en cas de refus, des moyens coercitifs sont utilisĂ©s par sa famille pour for- cer son «consentement» : chantage affectif, contraintes physiques, violence, enlĂšvement, enfermement, confiscation des papiers d’identitĂ©, etc. Le «mariage par enlĂšvement» constitue une sous-catĂ©gorie du ma- riage forcĂ©. Il existe toujours dans plusieurs pays du monde. Au Kirghizistan, par exemple, les jeunes filles sont amenĂ©es de force ou par manipulation dans la maison de leur futur Ă©poux. C’est lĂ  qu’on les sĂ©questre jusqu’à ce que les femmes de la maison parviennent Ă  leur mettre sur la tĂȘte le foulard de la mariĂ©e, signe final de l’abdication et du consentement. Les parents du kidnappeur vont ensuite porter Ă  leur future belle- famille une lettre de consentement rĂ©digĂ©e par la jeune
  • 19. JDJ - N° 333 - mars 2014 19 fille, afin de calmer leur colĂšre(4) . Le mariage d’enfant peut ĂȘtre Ă©galement assimilĂ© au mariage «arrangé» oĂč les familles des deux futurs Ă©poux jouent un rĂŽle cen- tral dans l’arrangement du mariage. Les enfants sont aussi trĂšs souvent les victimes du mariage «simulé» («blanc» si simulĂ© par les deux parties, «gris» par une partie), Ă©galement appelĂ© «mariage de complaisance» oĂč au moins l’un des Ă©poux n’a pas l’intention de crĂ©er une communautĂ© de vie durable, mais uniquement l’obtention d’un avantage liĂ© au statut d’époux (par exemple, l’obtention d’un titre de sĂ©jour)(5) . Toutefois, si certains mariages d’enfant se contractent contre leur volontĂ©, d’autres sont initialement deman- dĂ©s par les jeunes eux-mĂȘmes ou avec leur consente- ment. Dans ce cas-lĂ , il s’agit du mariage en forme de fugue oĂč le jeune couple dĂ©cide de se marier sans l’accord parental. Quelles sont les principales causes d’un mariage d’enfant ? En gĂ©nĂ©ral, les circonstances qui favorisent le ma- riage d’enfant sont nombreuses, variant Ă©normĂ©ment en fonction du lieu et du contexte de chaque pays et communautĂ©. NĂ©anmoins, parmi les causes gĂ©nĂ©rales Ă  l’origine de ces mariages figurent les causes suivantes : une dĂ©pendance Ă  l’égard des valeurs et tra- ditions culturelles L’un des objectifs principaux d’un mariage d’enfant est de maintenir les traditions enracinĂ©es dans certaines cultures depuis des gĂ©nĂ©rations. Dans de nombreux pays, l’honneur de la famille, qui passe par la virgi- nitĂ© fĂ©minine, est si important que les parents, sous la pression sociale, par peur des grossesses hors ma- riage, forcent leurs filles Ă  se marier bien avant qu’elles ne soient prĂȘtes. Certains parents craignent que s’ils ne marient pas leurs filles conformĂ©ment aux attentes traditionnelles, elles ne se marieront jamais. Vu qu’il existe des traditions diffĂ©rentes de par le monde, les mariages d’enfant diffĂšrent Ă©galement. Nous pouvons citer quelques exemples de traditions spĂ©cifiques : - Les filles peuvent ĂȘtre contraintes de se marier dans une autre famille Ă  titre de compensation pour le «sang versé», Ă©vitant ainsi qu’un fils de leur propre famille ne soit tuĂ©. - Dans d’autres cas, les filles peuvent ĂȘtre enlevĂ©es Ă  titre de vengeance pour un acte rĂ©prĂ©hensible commis par la famille de la jeune fille, et ayant pour consĂ©quence qu’elle ne soit plus «acceptable» comme Ă©pouse. - Le «sororat» oblige un homme Ă  Ă©pouser les sƓurs cadettes de son Ă©pouse dĂ©cĂ©dĂ©e, surtout lorsque la dĂ©funte laisse derriĂšre elle des enfants en bas Ăąge, alors que le «lĂ©virat» prescrit Ă  la veuve d’épouser le frĂšre de son mari dĂ©funt sans enfant afin de perpĂ©tuer le nom du dĂ©funt et d’assurer la transmission du patrimoine. - Il existe aussi le mariage d’échange du type «bedel» oĂč une famille promet une de ses filles en mariage au fils d’une autre famille, en Ă©change de la sƓur de celui-ci, pour Ă©viter d’avoir Ă  payer de dot. - Certaines coutumes, notamment en Inde, permet- tent d’utiliser les jeunes filles comme des monnaies d’échange : une personne qui aurait contractĂ© une dette, et qui serait incapable de la rembourser s’engage Ă  donner sa fille Ă  son crĂ©ancier qui l’épouse ou la cĂšde Ă  son fils. - Les jeunes filles de certains pays d’Asie centrale doi- vent se conformer Ă  la pratique encore courante du «kalym», un paiement effectuĂ© Ă  la famille de l’épouse- enfant par le mari et sa famille, qui incite d’ailleurs les deux parties Ă  poursuivre la tradition du mariage d’enfant. En effet, la famille de la mariĂ©e reçoit une rĂ©munĂ©ration pĂ©cuniaire et n’est plus responsable fi- nanciĂšrement de la jeune fille, et le mari et sa famille se sentent autorisĂ©s Ă  placer la jeune fille dans une position de servante et Ă  l’exploiter Ă  des fins domes- tiques, physiques et sexuelles. - Pour certains hommes, le mariage est un moyen d’échap- per Ă  des poursuites pour agression sexuelle, viol ou enlĂšvement du fait que la loi leur permet de bĂ©nĂ©ficier d’une peine rĂ©duite aprĂšs avoir Ă©tĂ© reconnus coupables d’avoir «pris la virginitĂ© d’une personne en lui promettant le mariage». l’inĂ©galitĂ© des genres  Dans les sociĂ©tĂ©s pratiquant le mariage d’enfant, les femmes et les jeunes filles ont un statut infĂ©rieur, rĂ©- sultat de traditions et de croyances niant leurs droits et leurs compĂ©tences Ă  jouer un rĂŽle Ă©gal Ă  celui des hommes. (4) Travis BETH, «Ala Kachuu : la tradition pour justiïŹer l’injustiïŹable», le Trouble Friday, 11 novembre 2005 (5) http://www.droitsquotidiens.be/lexique/mariage-simul-e9.html
  • 20. 20 JDJ - N° 333 - mars 201420 JDJ - N° 333 - mars 2014 la pauvreté  Dans de nombreux pays, le mariage d’enfant est liĂ© Ă  la pauvretĂ©. Dans certains cas, les parents autorisent le mariage de leurs enfants par nĂ©cessitĂ© Ă©conomique. Dans les familles aux revenus limitĂ©s, les filles peuvent ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme des fardeaux, qui coĂ»tent da- vantage qu’elles ne rapportent. Ainsi, leur mariage est un moyen de survie pour sa famille. En les mariant, leurs parents passent la charge Ă  une autre famille. De plus, dans de nombreux cas, les parents optent pour le mariage de leurs filles dans le but d’assurer leur ave- nir. Par exemple, selon l’Unicef, de nombreuses jeunes Bangladaises sont mariĂ©es peu aprĂšs la pubertĂ©, en par- tie pour libĂ©rer leurs parents d’une charge Ă©conomique et en partie pour protĂ©ger leur intĂ©gritĂ© sexuelle. Les filles de familles trĂšs pauvres ou les orphelines peu- vent se retrouver troisiĂšme ou quatriĂšme Ă©pouse d’un homme bien plus ĂągĂ© et devenir des esclaves domes- tiques et sexuelles. les conflits, catastrophes et situations d’urgence Les situations prĂ©caires augmentent la pression Ă©co- nomique qui pĂšse sur les foyers, entraĂźnant le mariage prĂ©coce des filles trop jeunes. la difficultĂ© Ă  faire appliquer les lois MĂȘme si la plupart des pays ont adoptĂ© des lois in- terdisant le mariage d’enfant et les pratiques nuisibles qui s’y rapportent, trop souvent celles-ci ne sont pas appliquĂ©es et les rĂ©alitĂ©s sociales, Ă©conomiques et culturelles perpĂ©tuent cette pratique(6) . Beaucoup de familles ignorent la loi et l’enfreignent. Dans certains pays, cette violation est si rĂ©pandue que les poursuites sont rares. Par exemple, dans le sud de l’Inde, une pra- tique religieuse exige des parents de marier leur fille Ă  un dieu ou un temple. Habituellement, le mariage ap- pelĂ© «devadasi» a lieu avant que la fille n’atteigne l’ñge de la pubertĂ©. L’union fait d’elle une prostituĂ©e rĂ©servĂ©e aux castes supĂ©rieures de la collectivitĂ©. Cette pratique est demeurĂ©e lĂ©gale en Inde jusqu’en 1988, mais elle se poursuit de nos jours parce que les autoritĂ©s policiĂšres locales n’appliquent pas la loi, alors que dans les vil- lages, les populations ne font aucun effort pour l’abolir. Quelles sont les consĂ©quences d’un mariage d’enfant ? Le mariage d’enfant est prĂ©judiciable Ă  la vie des enfants mariĂ©s. Non seulement ils sont, dans la plupart des cas, (6) «Qui parle en mon nom ?, Mettre ïŹn au mariage des enfants», Alexandra HERVISH et Charlotte FELDMAN-JACOBS, mai 2011, disponible sur le site: http://www.prb. org/pdf11/ending-child-marriage_fr.pdf .
  • 21. JDJ - N° 333 - mars 2014 21 privĂ©s du droit de choisir leur propre partenaire, mais ils sont aussi marginalisĂ©s et sujets Ă  diverses pratiques religieuses, sociales, politiques et culturelles portant atteinte Ă  leurs droits fondamentaux. MariĂ©es trop jeunes, les filles sont exposĂ©es à : la violence et les relations sexuelles forcĂ©es Dans les mariages d’enfant, les filles n’ont guĂšre les moyens de se dĂ©fendre alors qu’elles sont trĂšs sou- vent exposĂ©es Ă  la violence physique et psychologique mettant en danger leur santĂ© et leur vie. Le pire est qu’elles pensent que le mariage donne Ă  leur mari le droit de les violenter et prennent rarement des me- sures pour mettre un terme Ă  ces violations. Reflet de la discrimination dont la femme est l’objet au sein de la sociĂ©tĂ©, le mariage forcĂ© dĂ©bouche bien souvent sur des violences sexuelles, d’autant que le viol conjugal ne constitue pas, dans nombre d’États, une infraction passible de sanctions. En outre, s’agissant des filles, le mariage d’enfant est une forme de violence Ă  l’égard des femmes, visĂ©e par l’expression «pratiques culturelles et traditionnelles prĂ©judiciables»(7) . l’esclavage moderne Le mariage d’enfant peut Ă©galement conduire Ă  l’es- clavage moderne(8) vu que la mariĂ©e peut ĂȘtre abusĂ©e et contrainte Ă  une vie de servitude domestique, de travail d’esclave ou d’exploitation sexuelle Ă  des fins commerciales. Elle n’a d’autre choix que d’effectuer les tĂąches qui lui sont attribuĂ©es. des risques pour leur santĂ© Le mariage d’enfant peut avoir des consĂ©quences par- ticuliĂšrement graves sur la santĂ© mentale (troubles psychologiques, dĂ©pressions etc.) et physique (souf- frances physiques provenant des violences conjugales et sexuelles subies, complications de la grossesse Ă  la suite du dĂ©veloppement insuffisant de leur corps, ac- couchement difficile, mortalitĂ© maternelle, etc.) des jeunes mariĂ©es. En ce qui concerne la santĂ© sexuelle, les filles mariĂ©es Ă  un jeune Ăąge deviennent gĂ©nĂ©rale- ment sexuellement actives dĂšs leur mariage, parfois mĂȘme avant leur premiĂšre menstruation. Elles n’ont souvent qu’un accĂšs limitĂ© Ă  l’information en matiĂšre de contraception et aux services dans ce domaine. La plupart d’entre elles n’a ni les connaissances nĂ©cessaires ni la capacitĂ© pour demander des rapports sexuels protĂ©gĂ©s. Par consĂ©quent, ayant trĂšs tĂŽt des relations sexuelles avec un mari plus ĂągĂ©, susceptible d’avoir Ă©tĂ© en contact avec le virus du Sida ou d’autres infections sexuellement transmissibles, elles y sont davantage ex- posĂ©es. des grossesses prĂ©coces Les jeunes mariĂ©es sont exposĂ©es Ă  des grossesses prĂ©- coces (en gĂ©nĂ©ral non dĂ©sirĂ©es) et accouchements rĂ©pĂ©- tĂ©s avant d’ĂȘtre parvenues Ă  maturitĂ© au plan physique et psychologique. Certaines ne savent pas comment Ă©viter une grossesse, tandis que d’autres ne sont pas en mesure d’obtenir des moyens de contraception. Les mariĂ©es ne sont parfois pas capables de refuser des rap- ports sexuels non dĂ©sirĂ©s ou de rĂ©sister Ă  des rapports sexuels forcĂ©s. Les statistiques disponibles montrent que prĂšs de 16 millions de jeunes filles ĂągĂ©es de 15 Ă  19 ans et 2 millions de jeunes filles de moins de 15 ans accouchent chaque annĂ©e. Au niveau mondial, une jeune fille sur cinq a dĂ©jĂ  eu un enfant Ă  l’ñge de 18 ans. Dans les rĂ©gions les plus pauvres du monde, ce chiffre passe de 1 Ă  3(9) . Ces accouchements prĂ©maturĂ©s sont un facteur trĂšs important d’augmentation des taux de mortalitĂ© maternelle et infantile(10) , Ă©tant donnĂ© qu’ils sont gĂ©nĂ©ralement longs et pĂ©nibles. En outre, selon l’Organisation mondiale de la santĂ©(11) , chaque annĂ©e dans le monde, 50 000 Ă  100 000 femmes prĂ©sentent une fistule obstĂ©tricale, Ă  savoir une brĂšche de la filiĂšre pelvi-gĂ©nitale. L’apparition d’une fistule obstĂ©tricale est directement liĂ©e Ă  l’une des principales causes de mortalitĂ© maternelle : un accouchement prolongĂ© sans prise en charge mĂ©dicale appropriĂ©e, ce qui provoque une incontinence permanente, le ressentiment de la honte et, par consĂ©quent, un abandon de la femme par le mari et une exclusion sociale(12) . (7) «Violating children’s rights: Harmful practices based on tradition, culture, religion or superstition», disponible sur le site : http://srsg.violenceagainstchildren.org/sites/ default/ïŹles/documents/docs/InCo_Report_15Oct.pdf. (8) http://www.esclavagemoderne.org/008-l-esclavage-moderne/13-page.htm. (9) http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs364/fr/. (10) Si une mĂšre est ĂągĂ©e de moins de 18 ans, le risque que son nourrisson meure dabs sa premiĂšre annĂ©e de vie est de 60 % supĂ©rieur Ă  celui d’un nourrisson nĂ© d’une mĂšre ayant plus de 19 ans. MĂȘme si l’enfant survit, il risque plus fortement de souffrir d’un poids insufïŹsant Ă  la naissance, de sous-nutrition et d’un retard de son dĂ©veloppement physique et cognitif : UNICEF, «La situation des enfants dans le monde – 2009; La santĂ© maternelle et nĂ©onatale», disponible sur le site : http://www.unicef.org/french/sowc09/docs/SOWC09-FullReport-FR.pdf. (11) http://www.who.int/features/factïŹles/obstetric_ïŹstula/fr. (12) «Les enfants victimes de pratiques coutumiĂšres prĂ©judiciables», consultable sur le site: http://www.childsrights.org/html/documents/themes/pratiques_tradition- nelles_nefastes.pdf.
  • 22. 22 JDJ - N° 333 - mars 201422 JDJ - N° 333 - mars 2014 l’analphabĂ©tisme et une Ă©ducation de piĂštre qualitĂ© Lorsqu’une fille est promise en mariage, ou est officiel- lement mariĂ©e, elle est souvent retirĂ©e de l’école pour jouer son rĂŽle d’épouse et de mĂšre Ă  la maison avec peu de possibilitĂ©s de revenus propres. Il est rare qu’une fille mariĂ©e continue sa scolaritĂ© lorsqu’elle tombe en- ceinte. Cette scolaritĂ© incomplĂšte limite radicalement ses perspectives d’emploi et de carriĂšre la plaçant en situation de totale dĂ©pendance Ă©conomique et sociale Ă  l’égard de son conjoint. la limitation de leur libertĂ© personnelle Étant limitĂ©es dans leur libertĂ© personnelle d’avoir des Ă©changes avec des jeunes de leur Ăąge et le reste de la communautĂ© et sĂ©parĂ©es de leur famille et amis, les filles prĂ©cocement mariĂ©es sont de ce fait gĂ©nĂ©- ralement socialement isolĂ©es et subissent des consĂ©- quences graves sur leur bien-ĂȘtre mental et psychique. Les restrictions imposĂ©es Ă  leur libertĂ© de mouvement les empĂȘchent Ă©galement d’avoir des soins de santĂ© et de bĂ©nĂ©ficier des services de planification familiale. Les droits de l’enfant bafouĂ©s La Convention internationale relative aux droits de l’enfant(13) Ă©numĂšre toute une liste des droits recon- nus Ă  l’enfant qui dĂ©finit comme «tout ĂȘtre humain ĂągĂ© de moins de 18 ans» (art. 1). Cependant, le mariage en tant que tel n’y est pas traitĂ© de maniĂšre prĂ©cise ce qui ne diminue pas le fait qu’il porte atteinte Ă  plusieurs droits humains fondamentaux, influençant la vie des enfants, notamment des filles, dans tous ses aspects. Les droits de l’enfant susceptibles d’ĂȘtre bafouĂ©s par le mariage sont : - le droit de ne pas ĂȘtre discriminĂ©(e) (art. 2); - la libertĂ© d’opinion si l’enfant est capable de discer- nement (art. 12); - le droit Ă  la protection contre toutes formes de vio- lence et les mauvais traitements (art. 19); - le droit de vivre en bonne santĂ© (art. 24); - le droit Ă  l’éducation (art. 28 et 29); - le droit au repos et au jeu (art. 31); - le droit Ă  la protection contre l’exploitation sexuelle (art. 34) et - le droit Ă  la protection contre la vente, la traite ou l’enlĂšvement (art. 35). (13) Convention internationale relative aux droits de l’enfant a Ă©tĂ© adoptĂ©e le 20 novembre 1989 et entrĂ©e en vigueur le 2 septembre 1990.