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Par Jérôme PRÉVÔT
jerome.prevot@midi-olympique.fr
Ce fut peut-être la première vraie désillusion du XV de France. Le premier « pan sur le bec » pour
quinze coqs qui pensaient planer facilement sur la basse-cour olympique. À l’orée des années
folles, le rugby tricolore resplendit. Il revendique le chiffre impressionnant de 891 clubs et il
commence à former de vrais talents : le centre stratège René Crabos de Saint-Sever, le deuxième
ligne combattant Aimé Cassayet de Narbonne ou l’ailier racé Adolphe Jauréguy du Stade français.
Depuis la reprise du Tournoi en 1920, il n’a plus connu la cuiller de bois. Il attend donc qu’un titre
olympique vienne confirmer cette montée en puissance. En plus en ce printemps 1924, les jeux
Olympiques retrouvent Paris et plus spécifiquement le stade de Colombes, fief du Racing Club de
France, porté à 40 000 places avec le soutien financier du RCF (qui empochera la moitié des
recettes de toutes les épreuves olympiques).
LES BRITISH BOYCOTTENT
Malgré tout le soutien de Pierre de Coubertin, le rugby reste un « petit » sport Olympique, car la
Grande-Bretagne et ses dominions avaient décidé de boycotter souverainement ce rendez-vous.
Était-ce du mépris, comme on le croit trop souvent ? Pas vraiment si l’on relit leur communiqué
officiel : « Après le 1er mai, en raison de la chaleur, de la fatigue, de l’abandon de l’entraînement,
les résultats pouvaient être faussés… » Les Nations britanniques estiment donc que le rugby doit
rester un sport d’hiver, de boue et de pluie, et qu’il n’est pas question de demander à des joueurs
amateurs de se remobiliser après la fin traditionnelle de la saison.
Ainsi, le tournoi Olympique se résume à trois équipes : la France, la très modeste Roumanie, et les
États-Unis : jamais un podium ne fut à ce point assuré pour les Tricolores. La médaille d’or semble
attendre les Bleus sur un plateau d’argent. Le triomphe est prévu pour le 18 mai en conclusion de
France - États-Unis. La foule avait pris d’assaut la gare Saint-Lazare pour assister à une
apothéose. Le cercle traditionnel des connaisseurs du rugby avait été largement débordé par une
foule bigarrée et rigolarde, peu avertie des subtilités du jeu. On lui avait promis une acmé
patriotique et la compagnie de Chemin de fer qui exploitait la liaison Saint-Lazare-Colombes en
avait profité pour faire passer le ticket à… cinq francs : un vrai racket.
Mais dans les coulisses, les journalistes remarquent tout de suite la mine renfrognée des dirigeants
français. Ils n’ont pas oublié la leçon d’Anvers (lire ci-dessous) et ces Ricains qu’on prend pour des
faire-valoir sont de sacrés athlètes. Leur gabarit moyen a de quoi faire réfléchir le plus téméraire
des coqs en colère. Leur centre R.F. Hyland, par exemple, semble tomber d’une autre planète, il
combine la force des avants français à la rapidité de leurs trois-quarts. Octave Léry, président de
la FFR reconnaîtra plus tard : « J’ai vu certains de nos avants, réputés pour leur bravoure, fuir
devant ce phénomène humain. » En plus, René Crabos, le cerveau de la ligne d’attaque n’est pas
là, il s’est cassé une jambe durant le tournoi. Le plus incroyable, c’est que la plupart de ces joueurs
des universités de Californie pratiquaient le football américain ou le basket et n’avaient appris les
règles du rugby que lors de leur premier rassemblement à San Francisco. Il leur restait dix mille
kilomètres à parcourir. Leur entraîneur Charlie Austin se fit fort de leur apprendre toutes les
finesses de ce jeu, pratiqué sérieusement jusqu’en 1914 avant de tomber en désuétude.
UN STAGE EN ANGLETERRE
Ces Américains avaient simplement pris la précaution de s’arrêter quinze jours en Angleterre, le
temps de récupérer le deuxième ligne A.C. Valentine qui étudiait et jouait à Oxford et faire
quelques matchs amicaux contre les meilleurs clubs, tous perdus, mais c’était l’occasion de
recevoir quelques conseils tactiques pour surprendre les Français. Dans un premier temps, c’est
eux qui sont surpris. À Boulogne, les douaniers les retiennent pendant six heures dans leur bateau
à cause d’un problème de visa. Les Américains se mettent en position de mêlée et forcent le
passage en envoyant valser les douaniers. La presse parle des « bagarreurs de saloon ». Les
jours qui précèdent le match sont tendus jusqu’à la mesquinerie. Le manager américain Sam
Goodman veut récuser l’arbitre pour des raisons pas très claires, mais son capitaine Colby Slater
le ramène à la raison. Puis les Français interdisent aux Américains de s’entraîner à Colombes ce
qui les relègue vers un terrain vague près de leur hôtel. Goodman n’apprécie pas, il trouve une
échelle et fait pénétrer son équipe par-dessus la clôture du stade dont les vestiaires restent
bizarrement accessibles au tout-venant. Alors que les joueurs répètent leurs gammes, des
aigrefins leur dérobent leurs portefeuilles. Puis les deux délégations s’écharpent sur le droit de
filmer la rencontre, les Américains ont leur caméra toute prête. Les Français leur parlent d’un
contrat d’exclusivité avec une compagnie cinématographique. Les palabres sont serrées, mais
Goodman argue que le contrat n’est pas valable pour les images de l’équipe américaine, les
Français baissent la garde.
Ce 18 mai, la foule en canotier et chapeau cloche comprend tout de suite qu’on l’a trompée sur le
rapport de force. Sur chaque choc, les Américains prennent l’ascendant, leur mêlée torture celle
des Bleus. Ces étudiants rayonnants de santé courent plus vite, plus longtemps et plaquent plus
secs. Ils usent même de quelques combinaisons astucieuses qui ne s’improvisent pas.
AGRESSIONS DANS LES TRIBUNES
Les Bleus coulent à pic et le public n’apprécie pas. Les supporters se laissent aller à la plus
primaire des rages. Sifflets, insultes, quolibets, et menaces quand Jean Vaysse et Adolphe
Jauréguy sortent sur civière. La foule se convainc qu’ils ont été visés par Cleaveland et par Slater.
Ce n’est qu’une méchante illusion, les deux plaquages étaient parfaitement réguliers, les Français
ont été victimes de la malchance et de leur manque de préparation. La foule redouble de fureur
alors que les Américains marquent cinq essais. Huit supporters américains enthousiastes sont
rossés à coups de canne par une poignée d’énergumènes. Ils sont transportés à l’hôpital. Sur le
terrain, ça s’énerve, Bioussa, Cassayet, Etcheberry ouvrent la boîte à gifles pour sauver les
meubles, des échauffourées fusent.
Les dirigeants français sont consternés par tant de médiocrité et de violence. Frantz Reichel, star
des journalistes sportifs, se prend la tête à deux mains. Il sait que la réputation de la France va
souffrir de ce désastre car cent journaux étrangers sont représentés en tribune de presse. Les
Américains s’imposent 17 à 3. Ils sont les meilleurs, c’est tout. Et le public couvre de ses lazzis la
montée du drapeau étoilé et le « Star Spangled Banner ». Ils lapident même le cameraman qui
tente de filmer la scène. 250 policiers se déploient pour couvrir la sortie précipitée des joueurs, de
plus en plus inquiets. « Nous avons vraiment cru qu’ils allaient nous lyncher », témoignera Norman
Cleaveland, le dernier survivant de l’aventure (il est mort en 1997). Un célèbre dirigeant franco-
américain, Allan Muhr, résume la voix brisée : « C’est ce qu’on pouvait faire de pire sans couteaux
ni revolvers. » Les Français, si prompts à donner des leçons, comprennent que les Américains ont
optimisé leur voyage en le transformant en stage de préparation intensive. Eux n’ont fait que se
reposer en se regardant le nombril. Mais dans les jours qui suivent, la presse se confond en
excuses, les journaux multiplient les articles à la gloire de ces héros venus de si loin et qui auront
fait du rugby le sport le plus suivi des JO, devant l’athlétisme. « Après le match, nous avions été
choyés. Il nous suffisait d’arriver dans un café pour être invités à boire gratuitement », poursuivit
Cleaveland depuis sa retraite de Santa-Fé au Nouveau Mexique.
Les conséquences de ce match seront terribles : le rugby sera exclu du programme olympique. Il
restera pour un siècle au moins un sport confidentiel et l’élan des Américains sera brisé net. Ils ne
méritaient pas ça. Des années plus tard, l’arrière américain Charlie Doe (mort à 106 ans en 1995)
déclara : « Notre succès de 1924 fut encore plus fort que la victoire de nos jeunes hockeyeurs de
1980 sur la grande équipe d’Union soviétique. Mais avant l’arrivée de la télé, les jeux Olympiques
n’avaient pas énormément d’impact. Avec la couverture médiatique d’aujourd’hui, notre succès
aurait fait du rugby un sport majeur aux États-Unis. »

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  • 1. Par Jérôme PRÉVÔT jerome.prevot@midi-olympique.fr Ce fut peut-être la première vraie désillusion du XV de France. Le premier « pan sur le bec » pour quinze coqs qui pensaient planer facilement sur la basse-cour olympique. À l’orée des années folles, le rugby tricolore resplendit. Il revendique le chiffre impressionnant de 891 clubs et il commence à former de vrais talents : le centre stratège René Crabos de Saint-Sever, le deuxième ligne combattant Aimé Cassayet de Narbonne ou l’ailier racé Adolphe Jauréguy du Stade français. Depuis la reprise du Tournoi en 1920, il n’a plus connu la cuiller de bois. Il attend donc qu’un titre olympique vienne confirmer cette montée en puissance. En plus en ce printemps 1924, les jeux Olympiques retrouvent Paris et plus spécifiquement le stade de Colombes, fief du Racing Club de France, porté à 40 000 places avec le soutien financier du RCF (qui empochera la moitié des recettes de toutes les épreuves olympiques). LES BRITISH BOYCOTTENT Malgré tout le soutien de Pierre de Coubertin, le rugby reste un « petit » sport Olympique, car la Grande-Bretagne et ses dominions avaient décidé de boycotter souverainement ce rendez-vous. Était-ce du mépris, comme on le croit trop souvent ? Pas vraiment si l’on relit leur communiqué officiel : « Après le 1er mai, en raison de la chaleur, de la fatigue, de l’abandon de l’entraînement, les résultats pouvaient être faussés… » Les Nations britanniques estiment donc que le rugby doit rester un sport d’hiver, de boue et de pluie, et qu’il n’est pas question de demander à des joueurs amateurs de se remobiliser après la fin traditionnelle de la saison. Ainsi, le tournoi Olympique se résume à trois équipes : la France, la très modeste Roumanie, et les États-Unis : jamais un podium ne fut à ce point assuré pour les Tricolores. La médaille d’or semble attendre les Bleus sur un plateau d’argent. Le triomphe est prévu pour le 18 mai en conclusion de France - États-Unis. La foule avait pris d’assaut la gare Saint-Lazare pour assister à une apothéose. Le cercle traditionnel des connaisseurs du rugby avait été largement débordé par une foule bigarrée et rigolarde, peu avertie des subtilités du jeu. On lui avait promis une acmé patriotique et la compagnie de Chemin de fer qui exploitait la liaison Saint-Lazare-Colombes en avait profité pour faire passer le ticket à… cinq francs : un vrai racket. Mais dans les coulisses, les journalistes remarquent tout de suite la mine renfrognée des dirigeants français. Ils n’ont pas oublié la leçon d’Anvers (lire ci-dessous) et ces Ricains qu’on prend pour des faire-valoir sont de sacrés athlètes. Leur gabarit moyen a de quoi faire réfléchir le plus téméraire des coqs en colère. Leur centre R.F. Hyland, par exemple, semble tomber d’une autre planète, il combine la force des avants français à la rapidité de leurs trois-quarts. Octave Léry, président de la FFR reconnaîtra plus tard : « J’ai vu certains de nos avants, réputés pour leur bravoure, fuir
  • 2. devant ce phénomène humain. » En plus, René Crabos, le cerveau de la ligne d’attaque n’est pas là, il s’est cassé une jambe durant le tournoi. Le plus incroyable, c’est que la plupart de ces joueurs des universités de Californie pratiquaient le football américain ou le basket et n’avaient appris les règles du rugby que lors de leur premier rassemblement à San Francisco. Il leur restait dix mille kilomètres à parcourir. Leur entraîneur Charlie Austin se fit fort de leur apprendre toutes les finesses de ce jeu, pratiqué sérieusement jusqu’en 1914 avant de tomber en désuétude. UN STAGE EN ANGLETERRE Ces Américains avaient simplement pris la précaution de s’arrêter quinze jours en Angleterre, le temps de récupérer le deuxième ligne A.C. Valentine qui étudiait et jouait à Oxford et faire quelques matchs amicaux contre les meilleurs clubs, tous perdus, mais c’était l’occasion de recevoir quelques conseils tactiques pour surprendre les Français. Dans un premier temps, c’est eux qui sont surpris. À Boulogne, les douaniers les retiennent pendant six heures dans leur bateau à cause d’un problème de visa. Les Américains se mettent en position de mêlée et forcent le passage en envoyant valser les douaniers. La presse parle des « bagarreurs de saloon ». Les jours qui précèdent le match sont tendus jusqu’à la mesquinerie. Le manager américain Sam Goodman veut récuser l’arbitre pour des raisons pas très claires, mais son capitaine Colby Slater le ramène à la raison. Puis les Français interdisent aux Américains de s’entraîner à Colombes ce qui les relègue vers un terrain vague près de leur hôtel. Goodman n’apprécie pas, il trouve une échelle et fait pénétrer son équipe par-dessus la clôture du stade dont les vestiaires restent bizarrement accessibles au tout-venant. Alors que les joueurs répètent leurs gammes, des aigrefins leur dérobent leurs portefeuilles. Puis les deux délégations s’écharpent sur le droit de filmer la rencontre, les Américains ont leur caméra toute prête. Les Français leur parlent d’un contrat d’exclusivité avec une compagnie cinématographique. Les palabres sont serrées, mais Goodman argue que le contrat n’est pas valable pour les images de l’équipe américaine, les Français baissent la garde. Ce 18 mai, la foule en canotier et chapeau cloche comprend tout de suite qu’on l’a trompée sur le rapport de force. Sur chaque choc, les Américains prennent l’ascendant, leur mêlée torture celle des Bleus. Ces étudiants rayonnants de santé courent plus vite, plus longtemps et plaquent plus secs. Ils usent même de quelques combinaisons astucieuses qui ne s’improvisent pas. AGRESSIONS DANS LES TRIBUNES Les Bleus coulent à pic et le public n’apprécie pas. Les supporters se laissent aller à la plus primaire des rages. Sifflets, insultes, quolibets, et menaces quand Jean Vaysse et Adolphe Jauréguy sortent sur civière. La foule se convainc qu’ils ont été visés par Cleaveland et par Slater. Ce n’est qu’une méchante illusion, les deux plaquages étaient parfaitement réguliers, les Français ont été victimes de la malchance et de leur manque de préparation. La foule redouble de fureur alors que les Américains marquent cinq essais. Huit supporters américains enthousiastes sont rossés à coups de canne par une poignée d’énergumènes. Ils sont transportés à l’hôpital. Sur le terrain, ça s’énerve, Bioussa, Cassayet, Etcheberry ouvrent la boîte à gifles pour sauver les meubles, des échauffourées fusent. Les dirigeants français sont consternés par tant de médiocrité et de violence. Frantz Reichel, star
  • 3. des journalistes sportifs, se prend la tête à deux mains. Il sait que la réputation de la France va souffrir de ce désastre car cent journaux étrangers sont représentés en tribune de presse. Les Américains s’imposent 17 à 3. Ils sont les meilleurs, c’est tout. Et le public couvre de ses lazzis la montée du drapeau étoilé et le « Star Spangled Banner ». Ils lapident même le cameraman qui tente de filmer la scène. 250 policiers se déploient pour couvrir la sortie précipitée des joueurs, de plus en plus inquiets. « Nous avons vraiment cru qu’ils allaient nous lyncher », témoignera Norman Cleaveland, le dernier survivant de l’aventure (il est mort en 1997). Un célèbre dirigeant franco- américain, Allan Muhr, résume la voix brisée : « C’est ce qu’on pouvait faire de pire sans couteaux ni revolvers. » Les Français, si prompts à donner des leçons, comprennent que les Américains ont optimisé leur voyage en le transformant en stage de préparation intensive. Eux n’ont fait que se reposer en se regardant le nombril. Mais dans les jours qui suivent, la presse se confond en excuses, les journaux multiplient les articles à la gloire de ces héros venus de si loin et qui auront fait du rugby le sport le plus suivi des JO, devant l’athlétisme. « Après le match, nous avions été choyés. Il nous suffisait d’arriver dans un café pour être invités à boire gratuitement », poursuivit Cleaveland depuis sa retraite de Santa-Fé au Nouveau Mexique. Les conséquences de ce match seront terribles : le rugby sera exclu du programme olympique. Il restera pour un siècle au moins un sport confidentiel et l’élan des Américains sera brisé net. Ils ne méritaient pas ça. Des années plus tard, l’arrière américain Charlie Doe (mort à 106 ans en 1995) déclara : « Notre succès de 1924 fut encore plus fort que la victoire de nos jeunes hockeyeurs de 1980 sur la grande équipe d’Union soviétique. Mais avant l’arrivée de la télé, les jeux Olympiques n’avaient pas énormément d’impact. Avec la couverture médiatique d’aujourd’hui, notre succès aurait fait du rugby un sport majeur aux États-Unis. »