1. ÉTRANGERS : L’ALERTE
BLEUE
Par Emmanuel MASSICARD emmanuel.massicard@midi-olympique.fr
L’équipe de France ne gagne pas. Pire, elle n’est plus en mesure de rivaliser avec les
meilleurs. Les causes de cette déliquescence sont multiples, liées au management, au
projet de jeu, à l’organisation collective, à la technique individuelle et aux qualités
rugbystiques ou physiques des hommes. Quoi d’autre ? L’importance - démesurée -
du travail physique (pour prendre du poids, tenir la cadence et se rassurer) qui a
largement grignoté le temps accordé à la mise en place du jeu et au développement
rugbystique.
L’ultime épine : le Top 14. Un monstre à vingt-six journées qui recèle les meilleurs
joueurs de la planète. Tous, loin s’en faut, ne sont pas français. C’est la parade
trouvée par les clubs pour atteindre les sommets, faire fi des doublons et remplir leurs
stades. L’affaire fut rondement menée. En dix ans, notre championnat a ainsi « tué »
la concurrence : l’Angleterre n’y a pas résisté, pas plus que les Bleus.
220 ÉTRANGERS EN TOP 14
220 joueurs étrangers, sélectionnables ou pas en équipe de France, étaient présents
en Top 14 la saison dernière (hors jokers médicaux). Sans compter le ProD2 et la
Fédérale 1, qui ne sont pas épargnés. Du coup, les places se font rares, sur le
terrain, pour les joueurs made in France. Les hommes et leurs origines ne sont
évidemment pas en cause : l’affaire est ici rugbystique avec de moins en moins de
joueurs sélectionnables pour le XV de France.
Alors qu’en Angleterre 70 % des joueurs alignés en championnat sont
sélectionnables, ils ne seraient que 46 % en Top 14. À Toulon, Michalak a été « privé
» de phases finales par Wilkinson. Mermoz ne joue pas plus que Palisson, qui a
disparu des radars toulonnais. À Clermont, Byrne prive Buttin d’exposition et Fritz Lee
réduit le temps de jeu de Chouly. À Toulouse, Gear s’est imposé au détriment d’un
2. Médard, Huget ou Clerc qui ont tourné entre eux. Et McAlister a eu le scalp de
Beauxis quand au Racing, Sexton a fait oublier Wisniewski. Et Le Roux a grillé la
politesse à Lauret, en club comme en sélection ; la double peine… D’autres victimes
? Forestier, Planté, Fall, Doussain, Tolofua… À certains postes, tels les piliers droits,
la France se trouve démunie, sans choix, derrière Mas et Slimani. Contrainte de
transformer un gaucher -Vincent Debaty- en droitier.
L’excuse des étrangers est largement brandie par Philippe Saint-André pour justifier
ses échecs successifs à la tête du XV de France. Pour autant, il n’a pas trouvé
d’autre solution que de lui-même faire appel à des joueurs étrangers devenus
sélectionnables : Le Roux, Nakaitaci (pris en tournée sans être sélectionné), Kotze,
Claassen. C’est là toute l’incongruité d’un système devenu fou et qui oblige la vitrine
du rugby français à jouer contre ses propres intérêts. Et pourquoi donc Saint-André
se priverait d’un Rory Kockott pour la tournée de novembre ? Si la FFR accepte…
MAX GUAZZINI : « DEMAIN NOUS N’AURONS PLUS D’ÉQUIPE NATIONALE »
Face à l’absurde, des voix s’élèvent désormais pour tirer la sonnette d’alarme. Parce
que les modifications apportées pour renforcer le nombre de joueurs issus de la
formation française l’an prochain (12 JIFF présents sur les feuilles de match en
moyenne sur la saison) ne feront pas de miracles. En dehors de Toulon (8,96) et
Castres (11,83), les autres clubs du Top 6 comptaient déjà cette année leur douzaine
de Jiff… La prise de conscience s’est accélérée avec les trois fessées tricolores en
Australie. Christophe Deylaud est monté au front (lire en page 4 et 5). Si la FFR reste
pour le silencieuse, les lignes bougent autour des clubs professionnels. Selon nos
informations, mardi dernier, le comité directeur de la LNR a été long et
particulièrement agité autour de la question des joueurs étrangers. La prochaine
assemblée générale, samedi à Lyon, s’annonce tout aussi musclée. Ce week-end,
invité sur le plateau de beINsport, Max Guazzini est sorti de sa réserve. « En football,
l’élimination de l’équipe d’Angleterre pose question. Dans les clubs anglais, il n’y a
plus de joueur anglais. Moralité, l’équipe nationale est faible. Et personne n’est
surpris. En France, au rugby, les clubs ne prennent que des étrangers. Demain,
nous n’aurons plus d’équipe nationale. Il y a un vrai danger pour le rugby. La
tournée en Australie en est un exemple. » Et de prévenir : « On va vraiment rentrer
dans le lard des présidents (de clubs, N.D.L.R.) parce que ça suffit. C’est la
solution de facilité. Regardez au Stade français, on a donné la chance à des jeunes
3. joueurs français qui sont aujourd’hui en équipe de France. Si on veut une équipe
nationale forte, arrêtons de regarder le résultat immédiat. Je suis d’origine italienne,
je n’ai rien contre les étrangers, mais les accords Cotonou et l’arrêt Bosman, c’est
une catastrophe… Les présidents qui raisonnent à court terme sont en train de
foutre en l’air le rugby. C’est un des combats qu’on va mener à la Ligue. » Il faut
sauver le soldat bleu.