Redressement judiciaire les créanciers mieux protégés
1. Redressement judiciaire les créanciers mieux protégés
Un projet de loi amendant le Livre V du Code de commerce a été élaboré par le
ministère de la justice.
Information des créanciers, délais, conditions d'éligibilité au redressement, le
manque de précision du texte actuel a été comblé.
Le projet a été remis à la CGEM et aux partenaires institutionnels pour avis.
Il doit être présenté au Parlement avant fin 2010.
Sept ans ! C'est le temps qu'a duré le travail de réflexion mené par les pouvoirs
publics sur les réformes à apporter au Livre V du Code de commerce consacré
au traitement des difficultés d'entreprises. Le processus, enclenché en 2003
déjà, à l'initiative du ministère de la justice avec un accompagnement de
l'agence américaine Usaid était restée inachevée jusqu'en 2009. Au moment de
constituer la Commission nationale de l'environnement des affaires, en
décembre dernier, la question fut de nouveau remise sur la table par le secteur
privé. Elle fut alors inscrite sur le plan d'action à court terme devant être
réalisé en 2010. Finalement, début juin 2010, la CGEM a eu, pour la première
fois, un projet de loi portant des amendements au Livre V du Code de
commerce.
Ces amendements sont en fait le fruit et de la première partie de la réflexion,
menée entre 2003 et 2005, mais aussi des discussions tenues dans le cadre du
groupe de travail chargé en décembre 2009 de travailler sur les pistes
d'amélioration des mécanismes de résolution des litiges commerciaux. Lequel
groupe de travail est composé des départements de la justice, chef de file et
initiateur du projet de loi, de l'industrie et du commerce et celui des affaires
économiques et générales en plus de la CGEM, du GPBM, de la Fédération des
Chambres de commerce, de l'ordre des experts-comptables et de l'Agence
marocaine de l'investissement, entre autres.
Au total, 28 amendements sont aujourd'hui proposés dans la mouture du projet
préparé par le ministère de la justice et remise début juin aux membres du
groupe de travail dont la CGEM.
Un désaccord entre associés ou un problème social peut justifier une
procédure de redressement
Constat important : les amendements proposés portent sur des détails
procéduraux et par moment extrêmement techniques. Des détails, certes, mais
qui finalement touchent des aspects qui posaient le plus problème. Car comme
s'accordent à le dire et les représentants du secteur privé, à travers la CGEM,
et les représentants des différents ministères ainsi que certains magistrats
eux-mêmes, le plus gros problème que pose le Livre V dans sa configuration
actuelle est son manque de clarté. Un manque de clarté qui a pour
conséquence de retarder la procédures à cause de la confrontation des
2. interprétations des uns et des autres ou encore du fait que les juges souvent
ne savaient pas quoi faire ni quoi décider dans certaines situations.
Ainsi, quand on parcourt les 28 amendements proposés, la majorité d'entre
eux apportent des clarifications plus fines sur des détails qui faisaient défaut
comme des documents à fournir, des délais à respecter, des procédures à
suivre, les personnes habilitées à déposer les demandes ou à consulter les
dossiers…
Pour l'article 550, par exemple, qui régit la procédure de règlement à l'amiable,
le projet propose d'imposer que la demande déposée auprès du tribunal soit
écrite et signée par le chef d'entreprise en question ou, là aussi une nouveauté,
par son avocat.
Pour l'article 562 qui énumérait, mais de manière sommaire, les documents
nécessaires pour que le tribunal déclare une entreprise en cessation de
paiement, l'amendement proposé, lui, donne un détail plus fin en introduisant
de nouveaux documents de nature à mieux renseigner le tribunal sur la
situation financière de l'entreprise. Il s'agit notamment de listes détaillées des
créanciers y compris les salariés, avec pour chacun le montant de la créance
et les garanties données, de la situation de la trésorerie ou d'un état détaillé du
chiffre d'affaires. Dans l'actuel texte, l'article se contente des états de
synthèse, d'un état des valeurs mobilières et immobilières ainsi que d'un
descriptif des charges d'exploitation de l'entreprise.
Dans l'article 569 relatif à la publicité légale, le délai donné au syndic pour
informer les créanciers d'une entreprise déclarée en redressement judiciaire
n'était pas spécifié. L'amendement propose une information sans délai, le jour
même de la décision du juge et que le jugement soit accroché également le
jour même au tableau prévu à cet effet dans l'enceinte du tribunal. Ce faisant, il
protège les créanciers qui n'ont pas nécessairement le temps de consulter les
annonces légales publiées dans différents journaux et qui se voient encourir le
risque de perdre une créance pour cause de délai dépassé.
Le projet apporte aussi quelques nouveautés quant au fond de la
problématique. Pour ce qui est de la procédure amiable, par exemple, qui est le
premier niveau du traitement des difficultés, dit de prévention, avant de passer
au judiciaire, le fait le plus important est que le projet de loi s'aligne sur une
demande du secteur privé en matière de définition et des causes des difficultés
d'entreprises. Ainsi, en complément des raisons judiciaires, économiques et
financières prévues à l'article 550 du code, le projet propose de rajouter
également «des difficultés d'ordre social ou à la suite de désaccord entre
associés au sujet de l'administration de l'entreprise». Pour la CGEM, c'est là
déjà une grande avancée. De même, et comme l'explique Karim Mouttaki, vice-
président de la Commission droit à la confédération, «les dispositions
actuelles par leur manque de clarté posaient un problème d'interprétation
poussant souvent les parties et les juges à aller presque systématiquement
vers le redressement judiciaire voire la liquidation». En d'autres termes, la
procédure amiable n'était que très rarement suivie par souci de commodité.
C'est ce qui explique d'ailleurs que quatre amendements sont consacrés à la
clarification de la procédure amiable. Cela dit, les propositions du ministère de
la justice ne lèvent pas, étrangement, un des freins majeurs de la procédure du
règlement à l'amiable. Cette dernière, il faut le savoir, n'est déclenchée qu'à la
demande du chef d'entreprise et lui seul. Ce qui se fait rarement.
3. Les effets du redressement judiciaire étendus à l'ensemble des associés de
manière solidaire
Sur les principes de fonds également, le projet de loi veille à préserver cette
fois-ci les droits des créanciers d'une entreprise en redressement judiciaire.
Alors que le texte actuel ne fait aucune référence à l'ordre dans lequel les
créanciers doivent être remboursés, l'amendement à l'article 575 spécifie qu'en
cas d'existence de plusieurs créanciers, ces derniers seront payés en fonction
de leur rang tel qu'il est édicté dans l'article 365 du dahir des obligations et
contrats (DOC), c'est-à-dire en fonction de leur nature (Etat, impôts, salariés)
ou du niveau de leurs garanties (hypothèques, nantissements ou
chirographaires…) A la CGEM, tout en reconnaissant qu'il y a là aussi une
avancée, on est d'avis à ce que le texte explicite la liste des créanciers par
ordre de priorité au lieu de faire référence au DOC.
Toujours pour protéger les créanciers, un autre amendement, relatif à l'article
565, prévoit quant à lui d'étendre les effets de l'ouverture d'une procédure de
redressement judiciaire à l'ensemble des associés de manière solidaire. Idem
pour la répartition du produit de la vente d'actifs en cas de liquidation (article
622). Un amendement à cet article stipule que c'est désormais le juge
commissaire, et non pas le syndic, qui supervise l'opération en dressant
notamment la liste des créanciers par ordre de priorité. Le même amendement
donne, en plus, le droit aux créanciers de protester légalement contre la
répartition dans un délai de 15 jours.
On peut voir dans ces amendements un souci du législateur de faire en sorte
que la procédure de redressement judiciaire ne soit plus perçue comme une
sorte d'échappatoire pour certains chefs d'entreprises. Pour le vice-président
de la Commission droit à la CGEM, «le plus important n'est pas de traquer
quelques chefs d'entreprises malintentionnés mais de concevoir un texte à
même de préserver l'entreprise et de lui permettre de continuer à vivre». Une
doléance qui semble avoir été prise en considération par le ministère de la
justice à la lecture de certains amendements. C'est le cas par exemple de
l'article 602 qui donne au juge commissaire la possibilité d'arrêter le plan de
continuation et de prononcer la liquidation au cas où l'entreprise concernée ne
respecte pas le contenu dudit plan. Dans l'amendement proposé, le ministère
de la justice a tout de même rajouté une petite mention mais qui a toute son
importance en spécifiant que cette décision doit être prise quand «l'entreprise
ne respecte pas ses engagements sans raisons valables».
A la CGEM, bien qu'on semble globalement satisfait des 28 amendements de la
justice, il y aura certainement des petites retouches à faire. Selon Karim
Mouttaki, «la préoccupation du secteur privé aujourd'hui n'est pas de faire une
réforme globale ni en profondeur du texte qui prendrait plusieurs mois ou
années mais de parer au plus urgent quitte à apporter d'autres réajustements
plus tard». De même, auprès du ministère des affaires économiques et
générales (MAEG) qui assure l'accompagnement de la commission en charge
de cette réforme, cette dernière n'est finalement qu'une composante parmi
d'autres. «Au-delà de la refonte des textes pour leur donner plus de lisibilité, il
y a aussi un gros effort à faire sur leur application notamment à travers la
formation des juges et des auxiliaires et la modernisation des moyens et
méthodes de travail des tribunaux de commerce», confie-t-on. Reste
4. maintenant à attendre les contre-propositions du patronat qui ne tomberont
certainement pas avant septembre prochain sachant que la Commission
nationale de l'environnement des affaires s'est fixé une date butoir qui est fin
2010.
FOCUS :10 actions prioritaires pour améliorer le climat des affaires
Instaurée en décembre 2009, la Commission nationale de l'environnement des
affaires a pour mission d'impulser, coordonner et superviser la mise en œuvre
et l'évaluation des actions susceptibles d'améliorer le climat des affaires et de
faire aboutir des projets de réformes concrets ayant un impact visible sur la vie
des entreprises. Pour l'année 2010, la commission travaille sur quatre objectifs
principaux :
- la simplification des procédures administratives;
- la modernisation du droit des affaires;
- l'amélioration de la résolution des litiges commerciaux;
- la concertation et la communication sur les réformes.
Pour chaque axe, des actions prioritaires ont été fixées (10 en tout pour 2010)
et leur mise en œuvre confiée à quatre groupes de travail qui rendent compte à
une commission de haut niveau formée de membres du gouvernement et des
représentants du secteur privé (CGEM, GPBM et Fédération des Chambres de
commerce