1. LA TRANSITION JAPONAISE AU 19ème SIECLE
L’émergence du Japon sur la scène internationale à la fin du 19ème siècle est le résultat d’un processus
long et complexe, dans lequel interviennent des facteurs endogènes et exogènes, leur combinaison
provoquant à terme une apparente puis une réelle transformation des Institutions et de la Société
nippone à l’ère Meiji. Pour comprendre cette transition rapide, il convient cependant de s’intéresser
aux caractéristiques de la féodalité japonaise, et plus particulièrement à l’ère Edo dominée par la
puissance shogunale.
La société féodale japonaise repose sur le gouvernement des guerriers, et le Shôgun est le plus
important d’entre eux, lui seul détient le pouvoir mais il importe que l’Empereur légitime ce pouvoir.
En effet, l’Empereur occupe une place particulière dans la société japonaise puisqu’il incarne l’esprit du
KOKUTAI1 Il est le descendant de la Déesse AMATERASU, fruit d’IZANAGI et IZANAMI qui sont les
créateurs mythiques du Japon conformément à la tradition consignée dans le KOJIKI2 et le
NIHONSHOKI3. Son rôle politique deviendra résiduel du fait de la féodalité décentralisée qui va se
développer à partir du 11ème siècle mais son influence spirituelle restera incontournable.
En 1603 débute l’ère EDO, le clan TOKUGAWA accède au pouvoir après sa victoire lors de la bataille
de Sekigahara (1600), et Ieyasu TOKUGAWA est nommé Shôgun.
La politique du BAKUFU4 sera alors dictée par la nécessité de rétablir la paix civile, ce qu’il parviendra
à faire pendant près de deux siècles grâce aux méthodes suivantes :
• soumission des fiefs (han) Tozama5 au contrôle des fiefs Fudai6. Cette mesure était assortie
d’une coûteuse obligation de séjour à la Cour pour l’ensemble des daimyo (système du
SANKIN KOTAI),
• fermeture de l’archipel japonais aux influences étrangères (décrets de fermeture du Japon en
1632,1633, et 1635 : il est interdit d’entrer et sortir du Japon, les seuls étrangers tolérés sont
les Hollandais et les Chinois mais sur une zone géographique délimitée : le port de Nagasaki.
Quant à la religion chrétienne, elle est considéré comme une menace colonisatrice et
attentatoire au culte de l’Empereur, elle sera frappée d’interdiction et les chrétiens seront
massivement exterminés),
• encouragement de la morale confucéenne du devoir (GIRI), qui permet une justification de
l’ordre social établit,
• organisation d’un système de « renseignements généraux » (Bugyô-netsuke) confié à des
fonctionnaires dociles contrôlés par le Rôjû7, on trouve ici l’origine probable de la tradition
policière particulièrement ancrée au Japon.
L’ère Edo semble être caractérisée par la rigidité de son système poussant à une centralisation
politique au service du Shôgun tout en ménageant le particularisme des fiefs (au nombre de 300
1
Kokutai : structure nationale du Japon dont la particularité est de n’avoir eut qu’une seule dynastie depuis
JINMU TENNÔ – 1er Empereur du Japon –
2
Kojiki : « Des faits de l’Antiquité » ouvrage rédigé en 712 à la demande de la dynastie à des fins de
propagande intérieure et de légitimation de son pouvoir
3
Nihonshoki : « Chronique du Japon » ouvrage rédigé en 720, il présente la particularité d’être rédigé en
chinois et ce afin de démontrer que l’Empire Japonais est tout aussi prestigieux que celui de la Chine.
Le Kojiki et le Nihonshoki seront à la base du nationalisme japonais.
4
Bakufu : gouvernement des Shogun Tokugawa
5
Fiefs Tozama : sont se ralliés au clan TOKUGAWA postérieurement à la bataille de Sekigahara.
6
Fiefs Fudaï :fiefs alliés du clan TOKUGAWA lors de la bataille de Sekigahara
7
Rôjû : Conseil des Anciens qui décide de la politique générale, le rôjû illustre la pratique de la décision
collégiale, mode de fonctionnement propre à la civilisation Japonaise. Il y a donc une différence fondamentale
entre l’absolutisme personnel exercé par les souverains occidentaux et l ‘absolutisme impérial japonais puisque le
rôle du chef se limite à la légitimation des décisions prises par un consensus élaboré en dessous de lui.
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2. environ), puisque chaque Daimyo est considéré comme souverain sur ses terres, et le refus de la
modernité.
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3. Cependant, il convient de souligner qu’il existait des quartiers de plaisir dans lesquels régnaient la
prostitution et l’enfer du jeu, en quelque sorte une anti-société jouant un rôle exutoire indispensable à
l’équilibre de l’organisation shogunale, et si le rejet de l’étranger était politiquement une nécessité, le
BAKUFU n’était pas hostile aux apports de l’Occident dès lors que ceux-ci servaient ses intérêts,
l’influence de l’Occident sera matérialisée par le courant RANGAKU, toutefois la pénétration de
l’occident est définie et encadrée par le Bakufu, et elle ne saurait être subie par le Japon.
Dans ces conditions, les Shoghun Tokugawa semblaient pouvoir affirmer leur domination sans
contestation possible. Cependant, le 19ème siècle consacrera la fin du Shogunat qui s’enlisera dans
l’échec de ses tentatives de réformes (I) et annoncera l’avènement de SATCHO8 force directrice de
l’ère MEIJI (II).
I – Les difficultés du BAKUFU et la fin du Shôgunat
A – Les facteurs endogènes
Ces facteurs sont de trois ordres : économique, idéologique et politique.
• Le facteur économique : les effets pervers de la circulation monétaire
Le Bakufu en imposant aux daimyo les séjours alternés à Edo a favorisé l’émergence des
marchands auprès desquels les guerriers s’endettaient pour maintenir leur niveau de vie dicté par
le système du Sankin kotai, ainsi malgré une économie essentiellement basée sur le troc, les
échanges monétaires se sont accrus et le Bakufu n’a pu maîtriser les effets de l’économie
monétaire. L’endettement des guerriers, y compris celui du Bakufu dont les réserves d’or se sont
considérablement amenuisées, conjugué aux conséquences des famines (Famines Temmù
1781/1789 et Tempô 1830/1834) ont provoqué une hausse des impôts supportée par les paysans
(la pression fiscale représentait entre 20 et 30 % du Produit national Brut).
Dans ces conditions difficiles, les vassaux ne recevant plus de rentes de la part de leurs seigneurs
s’en sont peu à peu détachés. La morale confucéenne a eu ici un impact important : les vassaux
ont utilisé la théorie du gekokujô9 pour justifier leur refus d’allégeance. Quant aux paysans, ils
organisèrent de nombreuses révoltes, et un parallèle peut être ici fait avec les jacqueries qu’ont
connu les campagnes françaises sous l’Ancien Régime. Le Bakufu était en échec puisque incapable
de maintenir les conditions d’équilibre nécessaires au maintien de la paix civile.
• Le facteur idéologique : le mouvement Sonnô Jôi
Si au 16ème l’Empereur n’a plus d’autorité politique, et qu’il doit la restauration de sa fortune au
clan Tokugawa, son autorité morale et religieuse reste un des fondements de la pensée
nationaliste japonaise. L’école de Mito, fondée par un groupe d’intellectuels, s’était chargée de la
rédaction d’une Histoire du Japon dès le 18ème siècle tendant à démontrer la fidélité du peuple
japonais tant au Shogun qu’à l’Empereur. Les doctrinaires de l’Ecole de Mito laissent transparaître
l’hostilité portée aux étrangers (péril blanc « hakka ») en regard de leur tentative de pénétration
sur le territoire japonais (notamment incursions russes et britanniques au début du 19 ème siècle) et
l’on constate le renforcement du courant Jôi (« expulsons les barbares) qui ultérieurement
s’appuiera sur le Shinron10 d’Aizawa Seishisai (1825). Mais le Shinron ne se limite pas à une
exaltation du nationalisme , il fait directement appel à l’Empereur qui est l’élément central du
kokutai, pour que soit affirmée son autorité en tant que Chef naturel de la communauté japonaise
(mouvement Sonnô : « révérons l’Empereur »).
8
SATCHO : contraction de SATSUMA et CHÔSHÛ, fiefs tozama, qui conduiront le mouvement de restauration
impériale et dont seront issus les principaux acteurs des réformes de l’ère Meiji.
9
GEKOKUJÔ : « oppression du Supérieur par l’Inférieur », le giri impose des devoirs mutuels et il est en principe
favorable au dominant mais lorsque celui-ci ne respecte pas ses obligations, le dominé peut légitimement ne plus
remplir ses devoirs.
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Shinron : « La nouvelle doctrine ». Le sens de cet ouvrage relativement à la politique de fermeture du Japon a
été dénaturé par les patriotes japonais. En effet, cette fermeture ne devait pas être perçue comme un fin en soi,
mais comme une étape nécessaire afin que le Japon puisse se doter d’un appareil militaire lui permettant
d’affronter les puissances étrangères à armes égales.
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4. La réunion des deux concepts (Sonnô et Jôi), dont les origines sont cependant chinoises, va
donner naissance à l’idéologie impériale, et l’Empereur sera considéré comme le seul rempart
possible face à la faiblesse du Bakufu dans sa politique d’ouverture forcée à l’étranger à partir de
1854.
• Le facteur politique : la résistance de Satsuma et Chôshû
Ces deux fiefs, situés au Sud-Ouest du Japon, sont se ralliés au Bakufu postérieurement à la
bataille de Sekigahara, et leur puissance économique est incontestée (Satsuma arrive au second
rang des fiefs quant à la quantité de riz produite, et Chôshû au 4ème rang). Ils n’acceptent pas la
prééminence des Tokugawa qu’ils considèrent issus d’une noblesse inférieure. Si la féodalité a été
affectée par les conséquences de la crise monétaire, SATSUMA et CHÔSHÛ ont été épargnés par
ce phénomène, car leurs vassaux étaient des goshi (guerriers et paysans) vivant des ressources
qu’ils tiraient de la terre qui leur avait été confiée par leur seigneur, ce dernier n’avait donc pas le
devoir de leur verser une solde. Le pourcentage de guerriers sur ces fiefs est élevé puisqu’il
dépasse 40 % de la population à Satsuma alors que ce groupe ne représentait que 5 % de la
population pour la totalité du Japon.
Leur éloignement géographique de la capitale (Edo), leur permettaient de s’affranchir quelque peu
de la rigidité du système imposé par le Bakufu. Ils avaient pu ainsi moderniser leurs équipements
militaires, soit en pratiquant la contrebande soit par l’étude d’ouvrages européens puisque
Satsuma était un fief adepte du Rangaku ce qui a favorisé le développement des technologies
occidentales sur ce territoire.
Face à ces difficultés, et sous la menace perceptible des ambitions occidentales, le Bakufu va décider
d’une politique de réformes d’ordre fiscal notamment Celles-ci seront vouées à l’échec, alors que celles
entreprises par Satsuma (recours à la banqueroute pour assainir une situation financière détestable)
et plus particulièrement CHÔSHÛ (accroissement de la production, abolition des monopoles
seigneuriaux, libéralisation du négoce et de la production de certaines denrées) porteront leurs fruits :
ces fiefs verront leur puissance consolidée alors que le Bakufu est ébranlé, d’autant que des luttes
intestines viennent fragiliser la cohérence interne du Bakufu (intrigues successorales, le seigneur de
Mito souhaitant voir son fils nommé Shogun).
B – Le facteur exogène : La pénétration étrangère
En 1853, le Commodore Perry force le passage dans la baie d’Edo et fait remettre une missive du
Président Filmore au Shogun visant à la conclusion d’arrangements commerciaux entre les Etats Unis
et le Japon. Un an plus tard, Perry revient et obtient la conclusion du traité de Kanagawa (ouverture
des ports de Shimoda et de Hakodate aux navires américains) ainsi que la nomination d’un consul
américain sur le territoire japonais.
En 1858, sous la responsabilité du consul Harris, le Japon signe le traité Harris qui sera suivi d’accords
analogues avec les Pays-Bas, la Russie, la Grande Bretagne et la France. Ces traités dits des « Cinq
nations » seront mal perçus par les défenseurs du Sonnô Jôi, qui utiliseront cet argument à forte
connotation émotionnelle pour déstabiliser plus encore le Bakufu. Ces traités injustes, ainsi qualifiés
par les tenants du mouvement Jôi, favoriseront le soulèvement de Chôshû et Satsuma. Si le
mouvement de résistance aux étrangers est initié par le fief de Mito, celui-ci compte tenu de sa
parenté avec le Shogun ne peut mener une lutte ouverte contre le Bakufu, et c’est alors que Chôshû
prend la relève et s’appuie sur l’école de YOSHIDA SHÔIN pour devenir le point de ralliement des
opposants xénophobes, le rôle joué par cette école sera à terme déteminant puisqu’on retrouvera
parmi les principaux oligarques du Meiji des élèves de Yoshida Shôin (Itô Hirobumi, Yamagata
Aritomo). Une lutte ouverte s’engage entre Chôshû et Satsuma, l’avantage tournant au profit de ce
dernier, d’autant que la stratégie des oppositions est perturbée par le jeu des occidentaux (Anglais et
Français). A ce propos, il convient de remarquer que les français s’étaient engagés auprès du Bakufu,
et que Léon Roches, ambassadeur français d’origine grenobloise, soutiendra ardemment les tentatives
de réformes du Bakufu en instaurant une coopération franco-japonaise relativement à trois projets
d’envergure : la création d’une usine sidérurgique à Yokokusa, la formation de trois corps au sein de
l’armée de terre (infanterie, cavalerie, artillerie) et enfin l’établissement d’une école française à
Yokohama.
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5. Finalement, Satsuma et Chôshû viendront à conclure une alliance en 1868, qui emportera l’adhésion
d’autres fiefs jusqu’alors attentistes, et leur marche sur Edo poussera Yoshinobu, dernier Shogûn
apparenté aux Tokugawa à abdiquer le 27 avril 1868, après que l’Empereur ait donné lecture le 6 avril
de la même année du Serment des Cinq Articles, charte du nouveau régime impérial dont le dernier
article précise : « On cherchera le Savoir dans le monde entier, de façon à exalter le Régime
Impérial ».
Si Satsuma et Chôshû ont utilisé le ressort affectif pour accéder au pouvoir (II), ils étaient cependant
conscients de la nécessité de maintenir des liens avec les pays occidentaux du fait de leur puissance
de feu, aussi tout en cherchant à obtenir la révision des traités injustes perçus comme une atteinte à
la souveraineté nationale, les hommes du nouveau régime entreprendront de profondes réformes (A),
parfois inspirées par les pratiques occidentales, tout en cherchant à préserver l’esprit du kokutai (B)
II – SATCHO, force directrice de l’ère Meiji
A – Les réformes de Satcho
• Les réformes institutionnelles :
Le nouveau fondement du régime va reposer sur le Fukoku Kyôhei (un pays riche, une armée
forte), les transformations économiques vont donc être assignées à un but militaire offrant à
terme les moyens d’un face à face équitable avec l’Occident.
Les transferts de pouvoir (politique et militaire dont la symbolique est l’abandon de la capitale
impériale de Kyôto, l’Empereur s’installant dans ce qui fut le palais shogunal à Edo et cette
dernière est rebaptisée Tôkyô) qui se sont opérés au profit de l’Empereur vont nécessiter une
centralisation des décisions autour de ce dernier, même si la réalité du pouvoir appartient aux
hommes de Satcho. L’administration va être spécialisée, et il sera fait application de la théorie de
la séparation des pouvoirs tout du moins en la forme (Dakôjan – conseil politique suprême – et
création de trois chambre : celle de gauche détenant exerçant le pouvoir législatif, celle de droite
coordonnant les différents ministère, et le Seiin agissant au titre de l’exécutif).
Les fiefs sont abolis et remplacés par les KEN (départements) qui sont administrés dans un
premier temps par les daimyo puis ils seront rapidement remplacés par des « préfets » soutenant
la mouvance Satcho. Enfin, on tend vers une égalité juridique entre les différentes catégories de
la population, l’une des mesures précisant cette volonté étant l’interdiction faite aux samourai de
porter le sabre. En contrepartie de l’abolition des droits féodaux, les seigneurs vont percevoir des
bons d’état, et la plupart des daimyo se verront proposer des postes dans l’administation.
La garde impériale sera fondée sur les vestiges des armées féodales par Yamagata Aritomo et le
Japon sera un précurseur en matière de conscription puisque le 10.01.1873 un service militaire
obligatoire sera instauré suscitant un double mouvement contestataire de la part des samourai et
des paysans. En outre une diversification des armes sera mise en œuvre, la Marine devenant la
chasse gardée de Satsuma, alors que l’Armée de Terre sera sous la coupe de Chôshû.
• Les réformes économiques :
Les premières mesures en matière économique furent la stabilisation de la monnaie, puis la
réformation de l’imposition foncière afin trouver les subsides nécessaires à l’industrialisation.
Celle-ci s’est faite autour de trois pôles : développement des arsenaux, du transport maritime et
enfin par la mise en valeur d’ Hokkaido afin de contrer une éventuelle percée russe. Les
entreprises privées furent encouragées par les commandes et les subventions en nature
accordées par l’Etat notamment les firmes MUTSUI et MITSUBISHI. Les occidentaux ont apporté
leur concours à ce développement, mais la coopération étrangère fut limitée dans le temps : une
fois les techniques maîtrisées par les Japonais, les experts occidentaux devaient quitter l’archipel.
• Les autres réformes :
En matière juridique, le Français Boissonade a participé à l’élaboration du Code pénal et du Code
d’Instruction Criminelle, le choix d’un français a été dicté par la renommée des Codes
Napoléoniens. Remarquons que l’influence de Napoléon 1er se retrouve relativement à
l’organisation du système éducatif qui reposera sur des structures identiques à celles existant en
France à cette époque (Académie, lycées et écoles primaires). L’instruction deviendra obligatoire
pour les filles et les garçons âgés de 6 à 10 ans.
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6. Malgré la volonté d’apaisement affichée par les dignitaires du régime , la coalition SATCHO dut faire
face à de nouvelles difficultés. Tout d’abord, Saigo Takamori, un des hommes forts de Satsuma fut
écarté du pouvoir suite à une tentative d’expédition en Corée. Celui-ci va alors cristalliser tous les
mécontents ou déçus des réformes Satcho. Il s’en suivra une guerre civile, la Guerre du Sud-Ouest,
qui conduira Saigo au suicide, puis à l’assassinat d’Ôkubo Toshimichi. Enfin, sous l’égide d’Itagaki
Taisuké, entré dans l’opposition suite à son désaveu relativement au soutien qu’il avait apporté à
Saigo pour sa tentative coréenne, le parti libéral va peu à peu se faire jour. Sa principale revendication
sera l’octroi d’une constitution par l’Empereur, ce qui sera fait en 1889 et l’ouverture au
parlementarisme. Les hommes qui avaient fomenté la perte du Bakufu vont à leur tour disparaître, et
la révolution japonaise sera achevée par des hommes neufs mais dont les méthodes sont marquées
par la tradition.
B – les oligarques de l’ère Meiji : entre modernité et tradition
Les conséquences politiques de la guerre du Sud-Ouest se sont manifestées à un double niveau :
d’une part on va assister à l’émergence des partis d’opposition d’inspiration libérale, et d’autre part
sous l’égide d’Itô Hirobumi, le Japon va se doter d’une Constitution qui instaurera un Parlement
bicaméral.
En 1881, Itagaki fonde le JIYÔTÔ (parti de la liberté). Un an plus tard, Ôkuma créera le parti
constitutionnel de la réforme et du progrès. Toutefois l’influence de ces partis sera inhibée par une
habile politique de séduction menée par le Conseil Privé qui offrira à ces deux leaders des postes
gouvernementaux (après avoir cependant constater les limites et dangers d’une répression de
l’opposition naissante…). La Constitution, texte de compromis, laisse entrevoir la prééminence de
ll’Empereur et les pouvoirs du Parlement seront limités, quant à l’étendue de son contrôle aucune
disposition ne l’envisageait .Itô avait de longue date prévu les difficultés d’application du texte, et
renforcé le rôle d’une institution extra- constitutionnelle : Le Conseil Privé dans lequel siégeaient les
Genrô (les Anciens). Ce groupe politique de fait, formé d’hommes de Satsuma et Chôshû, aura pour
vocation l’arbitrage des conflits politiques et comme pouvoir celui de nommer le Premier Ministre
s’assurant ainsi la maîtrise des cabinets ministériels. Les genrô, forts du soutien impérial, seront les
véritables propriétaires du pouvoir. Ils ne permettront pas aux partis d’opposition, majoritaires à la
Chambre des députés, de former des ministères (à l’exception du cabinet Ôkuma/Itagaki mais dont la
chute sera précipitée au bout de 4 mois). Les deux personnalités emblématiques du Conseil Privé sont
Yamagata et Itô, luttant l’une contre l’autre pour affermir leur autorité. La politique des Genrô,
éminences grises de l’Empereur, sera mal comprise et perçue par une société en pleine mutation
cherchant à faire reconnaître les valeurs démocratiques, tendant à la reconnaissance des libertés
individuelles, mais aussi à un partage plus juste des fruits de la croissance économique. Ce sentiment
est relayé par les premiers mouvements contestataires se réclamant du socialisme, mais aussi dans le
domaine culturel : la littérature contestataire de l’ère Meiji laisse transparaître les désillusions des
intellectuels.
Conclusion :
Les partis politiques parviendront finalement à prendre à l’ascendant sur les Genrô, faute d’avoir su
s’ouvrir suffisamment tôt aux règles du parlementarisme, tout comme le Bakufu avait rejeté
l’ouverture du Japon à la modernité pendant deux siècles.
La vie politique japonaise s’orientera vers le bipartisme dont l’origine est à chercher dans l’opposition
Yamagata/Itô, mais la corruption, l’influence des milieux d’affaires, et l’inexpérience conduiront à une
dégradation du parlementarisme. Néanmoins, le culte de l’autorité impériale restera la clef de voûte
du système sociétal japonais jusqu’en 1945, ainsi l’influence des hommes de Satchô dominera
l’évolution du Japon pendant près d’un siècle.
Karine Josserand Chevet
Chargée d’enseignements – CJDH GRENOBLE -
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Option historique