Le rapport écrit de la commission Habitat et Urbanisme du club Perpignan 2020 propose une explication plus théorique et plus complète de ce qui a fait l'objet de la présentation publique du mois de mai 2013. Vous trouverez ici plusieurs mots clés, chiffres statistiques et références à des auteurs qui ont nourrit la réflexion de la commission.
Commission habitat et urbanisme perpignan 2020 julien carbonnell
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Rapport de commission «Habitat et urbanisme, se loger et vivre à Perpignan»
Club de réflexion Perpignan 2020
par Julien Carbonnell
Ce rapport pour la commission habitat et urbanisme du club de réflexion Perpignan 2020
présente une démarche de prospective participative sur la ville de Perpignan, menée par
quelques étudiants et jeunes professionnels Perpignanais, issus des différentes disciplines
qui font la ville: sociologue, urbaniste, géographe, architecte, économiste du territoire et
informaticien. Nous nous sommes réunis un peu moins d’une dizaine de fois en l’espace
de deux mois, pour imaginer la ville de Perpignan dans laquelle nous souhaiterions vivre à
l’horizon 2050, qui correspondra à peu de chose près à la fin de notre vie professionnelle.
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Je remercie tout d’abord le club de réflexion Perpignan 2020, et particulièrement
Romain Grau, élu de Perpignan et fondateur du club, pour nous avoir permis de présenter
quelques idées en réunion publique, face à plusieurs élus et habitants impliqués sur la
question du logement et de l’urbanisme à Perpignan.
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Dans une première partie nous exposerons l’intérêt d’une démarche prospective et
poserons les bases de notre réflexion. Puis nous décrierons plusieurs scénarios probables
des villes du futur. Nous expliquerons pourquoi aucun de ces scénarios ne se réalisera
plutôt qu’un autre mais comment ils seront tous en oeuvre dans la ville de demain. Dans
une seconde partie nous entrerons dans le «vif» du sujet perpignanais en proposant
quelques options d’intervention urbaine sur la ville de Perpignan, appuyés par quelques
exemples similaires menées par d’autres villes occidentales. Enfin nous insisterons sur le
principe de démocratie, fil conducteur de notre démarche au sein de cette commission, et
principe directeur du club Perpignan 2020: Nous devons faire la ville avec ses habitants!
« C'est la personne qui porte la chaussure qui sait le mieux si elle fait mal et où elle
fait mal, même si le cordonnier est l'expert qui est le meilleur juge pour savoir
comment y remédier. » John Dewey, Le public et ses problèmes (1927)
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1. Quelle cité voulons nous bâtir pour le futur?
L’intervention en aménagement du territoire est d’une longue inertie et doit tenir compte de
nombreux paramètres: géographiques, sociologiques, économiques, politiques, culturels...
L’activité de prospective permet à la fois de se préparer à un changement prévisible, mais
aussi d’influencer en amont une évolution souhaitable.
L’avenir ne s’improvise pas: il se construit! Et chacun d’entre nous a un rôle à y jouer. Pour
conserver cette liberté d’action sur le futur nous devons faire preuve de vigilance et
d’anticipation: la tentation de gérer dans l’urgence par des solutions de court-terme nous
enfermera demain dans une position inconfortable.
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Personne ne prétend prévoir l’avenir, l’histoire a souvent prouvé la puissance des
imprévus. Pour autant l’avenir émerge du présent, le présent du passé. L’analyse des
tendances de fond à l’oeuvre dans nos sociétés contemporaines nous assure une
cohérence dans les diagnostiques. De plus, la prospective à 2050 tient une certaine
stabilité du fait que tous les individus âgés de plus de 35 ans sont déjà nés aujourd’hui, ils
représentent 60% de la population française qui vivra en 2050.
2. L’exercice de planification demande donc de s’appuyer sur des sources neutres d’analyse
démographique, écologique ou encore économique, pour intégrer les évolutions connues
des paramètres d’influence dans la construction d’un nouveau mode de ville.
Par exemple la croissance démographique mondiale: nous étions 3 milliards en 1960,
nous sommes près de 7 milliards actuellement et nous serons 2 milliards de plus d’ici à
2050. L'âge médian de la population devrait passer de 26 ans en 2008 à près de 50 ans
en 2050, et la proportion des personnes âgées de plus de 60 ans passera de 10 à 38%.
En l’espace de 90 ans nous avons connu une multiplication par 3 de la population
mondiale et un fort taux de vieillissement.
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En France, nous suivrons les mêmes tendances: l’Insee prévoit une augmentation
de la population française de près de 10 millions d’habitants d’ici 2050, soit une
augmentation de 13% (environ 100.000 habitants par an), et la proportion des plus de 60
ans approchera le tiers de la population. Soit autant d’habitants à nourrir, loger, soigner et
fournir en énergie, alors que nos perspectives de croissance sont plutôt faibles et que
nous avançons vers d’épuisement des ressources fossiles, centre de gravité du
développement de la plupart de nos villes depuis plus de 40 ans (réf. en 1970 Pompidou
appelle à «Faire la ville pour l’automobile»)
A propos de transition énergétique, la France s’est engagée en 2003 devant la
communauté internationale réunie au G8, à diviser d’ici 2050 par un facteur de 4 les
émissions nationales de gaz à effet de serre à partir du niveau d’émission de 1990. Un
vaste chantier énergétique nous attend.
Quant à la problématique alimentaire, le directeur du Programme des Nations Unies pour
l’Environnement (ONU) prévoyait en 2008 un effondrement global des réserves d’espèces
pêchées d’ici quelques décennies, du fait de l’action combinée des changements
climatiques, du rythme de pêche et de la pollution croissante, alors que quelque 2,6
milliards d'êtres humains dans le monde dépendent du poisson comme source de
protéines.
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Nous devons absolument tenir compte de ces tendances de fond: il est inutile de
monopoliser de gros moyens financiers, humains et perdre plusieurs années de temps
précieux pour construire une ville qui sera déjà dépassée une fois le chantier achevé.
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Quelques scénarios probables...
Dans les exemples qui suivent, nous allons volontairement grossir le trait des tendances à
l’oeuvre dans la planification des villes contemporaines, afin de pousser jusqu’à l'extrême
les solutions respectivement proposées pour faire face aux enjeux à venir.
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Pour cela nous examinerons trois visions différentes de la ville du futur. Chacune
des villes présentées tient compte d’une influence émergente croissante, déjà à l’oeuvre
dans les bouleversements sociétaux actuels, qui pourraient peser lourd demain dans la
qualité de vie offerte par la ville à ses habitants. Nous traiterons respectivement de la
mutation technologique, la transition énergétique et la problématique alimentaire.
La ville numérique privilégie une influence croissante de la technologie, de la
prépondérance des technologies de la communication et de traitement de l’information.
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Aux infrastructures développées par l’industrie du XIXe et XXe siècle s’est
superposée une nouvelle couche structurelle par la maîtrise des technologies numériques.
3. Elle a non seulement bouleversé l’organisation et les performances de l’économie et de la
vie sociale, mais aussi la structuration psychique et cognitive de l’être humain, son rapport
à l’espace, au temps et aux connaissances.
La société numérique est une société de la connaissance et de la coopération. Elle a
profondément transformé les rapports que l’homme entretient avec l’information, la
communication et le savoir. L’espace public, lieu où s’exerce la citoyenneté et où les
membres d’une société s’éclairent mutuellement dans un long et lent processus
d’interaction est lui aussi numérisé. La mise en réseau de l’espace public n’aura pas
changé ce principe fondateur. La ville numérique sera sous l’influence de médias
permettant avant tout un maximum d’interaction entre ses habitants, à la différence de la
ville du siècle dernier dont les médias laissaient les habitants dans une «impossibilité
d’interagir» et les maintenait donc dans une certaine forme de «mutisme».
Le modèle des Smart City par exemple intègre la domotique dans l’espace public et
domestique privé. L’automatisation d’une certaine quantité de tâches quotidiennes
récurrentes et l’assistance de l’homme par les robots intelligents l’aideront à faire face plus
efficacement aux défis qui se présenteront à lui.
A titre d’anecdote, la France est depuis cet été le premier législateur des «drones civils»
développés par une quinzaine d’entreprises sur le territoire national.
La ville frugale fait référence à une conception globale de la ville, des modes de vie de
ses habitants et l’usage des ressources locales. La plus probable évolution en cas de
raréfaction de l’énergie fossile.
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La logique énergétique à l’oeuvre va plutôt vers une consommation plus intelligente
des ressources localisées. Il s’agit d’offrir plus de satisfaction aux habitants en
consommant moins : nous pourrions parler de sobriété heureuse quant à la consommation
énergétique ou encore de résilience. La ville résiliante met en avant l’idée d’autonomie
énergétique.
Les contraintes économiques et énergétiques vécues un temps comme une menace par
les villes européennes ont finalement ouvert l’opportunité d’inventer un nouvel art de vivre,
plus raisonné, plus convivial, plus en phase avec les identités locales. Les tendances
actuelles au Slow-Life, à la Slow-Food et les Slow-Médias respectent les principes de
frugalité: plaisirs naturels, économie de moyens et réduction de dépendance. Il ne s’agit
pas de se résigner à accepter un mode de vie précaire, mais plutôt d’abandonner la
dépendance aux plaisirs induits par la société de consommation du siècle dernier.
La ville végétale repense l’homme en tant que mammifère, partie prenante d’un
écosystème biologique évoluant sur une planète elle-même vivante. Elle répond au besoin
de contact avec la nature pour l’éveil des sens, la capacité de l’homme à se nourrir par
soi-même et la maîtrise de son éco-système local.
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Offrir la satisfaction esthétique d’un paysage harmonieux, jusqu’à l’architecture biomimétique qui s’inspire des modèles organiques façonnés par l’évolution naturelle pour
optimiser l’interaction avec l’environnement, exploiter l’opportunité fonctionnelle
d’élimination du CO2, purification de l’air et régulation thermique.
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Le modèle des villes fertiles proposent de réintroduire la production agricole au
coeur de la cité: la ville auto-nourricière en situation de suffisance alimentaire récupère la
souveraineté sur son territoire pour assurer le besoin vital de sa population. Le bureau
d’architecture français SOA travaille sur ce sujet depuis plusieurs années et a déjà
proposé plusieurs modèles de fermes verticales permettant d’augmenter, à proximité des
habitants, la surface de production agricole à partir d’un espace au sol limité. Ce type de
production hors sol se justifie par le fait qu’en agriculture traditionnelle il nous manquera
4. l’équivalent de la surface au sol du Brézil pour nourrir la population mondiale en 2050. La
production locale d’une nourriture saine permet à la fois d’améliorer le niveau de santé
publique mais aussi de réduire l’empreinte écologique de la filière agro-alimentaire.
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En partant de ces scénarios de ville, nous disposons d’une lecture commune des
défis de demain. Soit autant d’éléments de discussion qui serviront de base d’échange
avec l’ensemble des parties prenantes qui participent à la fabrique de l’espace urbain.
Il est fort peu probable qu’une ville soit exactement l’un des modèles présentés ci-dessus.
La ville de demain sera un mélange de ces différentes influences qui s’ajoutent
progressivement à celles déjà à l’oeuvre dans l’«ancienne» ville: économie, culture,
histoire, contexte géographique...
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2. Quelles interventions pertinentes à l’échelle de Perpignan?
La ville idéale n’existe pas: elle dépend de nombreux paramètres qui forment un contexte
en évolution permanente. Nous ne pouvons plus croire que nous sauverons l’état de
sinistre ou inverserons l’attractivité décroissante d’une ville en produisant ponctuellement
quelque «écoquartier» ou bâtiment coloré, aussi spectaculaires soient-ils. Aussi nous ne
dévoilons ici aucun plan de rue ni aucun équipement public particulier: nous restons sur
des principes fondateurs qu’il faudra respecter dans nos interventions réparatrices du tissu
urbain existant.
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Renverser la ville vers son centre. La place des espaces publics et de la végétation
dans notre paysage urbain, mais aussi la résolution du problème de défaut de centralité
forte pourraient être résolus par la réconciliation des Perpignanais avec la Têt.
Bordeaux, Paris, Hambourg, New York, Bilbao, Portland... de nombreuses villes ont connu
un regain d’activité probant en exploitant les berges de leur fleuve, en remplaçant les
anciennes voies rapides et friches industrielles par des espaces publics.
Quelle place laissons nous à l’eau et à la végétation à Perpignan? Quel usage pertinent
pourrions nous faire de la Têt, la Basse, le Ganganeil et autres canaux d’irrigation?
Nous devons oser remettre en cause la portée constitutionnelle du principe de précaution,
qui nous contraint à un abandon des zones inondables et bloque à la fois notre capacité
d’adaptation et d’innovation.
Il parait fondamental de nous ré-approprier ce vaste espace naturel qui aujourd’hui scinde
la ville en deux et qui demain pourrait être au contraire le point central d’une dynamique
urbaine retrouvée.
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Permettre la densité de qualité. Plusieurs années d’étalement urbain ont participé à
l’émiettement de la ville au profit de sa périphérie. Densifier la ville c’est économiser
l’espace au sol et favoriser l’intensité urbaine. La compacité ne se mesure pas en
typologie de logement mais surtout en terme de pluri-fonctionnalité des quartiers,
d’échanges interpersonnels et d’interactions sociales.
Le centre élargi de Perpignan reste à taille humaine et peut se parcourir à pied. Plusieurs
quartiers composés de petits immeubles et de maisons de ville représentent une bonne
opportunité à exploiter pour intensifier l’utilisation actuelle du tissu urbain: les quartiers de
première couronne (Bas-Vernet, Lunette, Kennedy, St Martin et Las Cobas) fortement
marqués par l’utilisation des déplacements individuels motorisés, en situation de rupture
d’urbanisation vis à vis du centre, donnent un sentiment d’éloignement malgré leur forte
proximité avec l’hyper centre. Cette contrainte au déplacement motorisé incite plutôt les
habitants à se déplacer jusqu’aux centres commerciaux périphériques où il est plus facile
de se garer.
5. L’état de délabrement de plusieurs quartiers d’hyper-centre (la ville parle de 20 à 30% de
logements vacants dans les quartiers St Jacques, St Matthieu et La Réal) constitue un
frein au ruissellement naturel des flux de population et se répercute sur le potentiel
d’irrigation de l’hyper-centre. Pour réussir la densité nous devons à la fois libérer les
usages du sol et du parc immobilier existant, mixer les classes sociales et rendre la ville
agréable aux différentes générations.
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Rendre la ville désirable: Utiliser la culture comme levier de transformation urbaine.
accueillir une nouvelle classe de population créative en proximité immédiate d’hyper
centre: étudiants, artistes, jeunes professionnels, permettrait à la fois l’élévation de la
qualité de vie du centre ville et la rénovation de notre patrimoine architectural culturel par
la ré-appropriation des quartiers délabrés.
Dans un contexte de développement arrivé à «maturité», la créativité et l’innovation sont
intimement liés avec la capacité à produire et donc à dégager des richesses. Attirer de
nouveaux talents en capacité d’inventer un nouvel usage des ressources vers une
diversité culturelle urbaine favorise le «vivre ensemble». L’art au sens large, parce qu’il
développe la sensibilité du sujet est souvent considéré comme le quatrième pilier du
développement durable en capacité de participer au changement de société.
Le regard porté par l’artiste sur une ville est souvent riche de conseils à l’égard des
techniciens de l’urbanisme et du bâtiment. Loin de la tendance à l'internationalisation
culturelle, les artistes urbains vivent, travaillent et façonnent la ville en relation avec les
autres professionnels intervenant dans le processus de fabrication de l’urbain.
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3. Vers une démocratie contributive à l’ère du numérique et du nouveau
localisme...
Bordeaux 2030, Strasbourg 2028, les conversations citoyennes de l'agglomération
montpelliéraine «Mon Agglo 2020», nombre de nos contemporains lancent de vastes
opérations de prospective territoriale participative. Associer un maximum d’habitants à la
prise de décision collective est le meilleur moyen pour assurer une stabilité politique à la
ligne de conduite fixée par les habitants, monopoliser la matière grise disponible
localement et analyser le potentiel de mutation de son territoire. Le numérique est
systématiquement utilisé pour rapprocher les citoyens de la prise de décision. Cette
approche ascendante (bottom-up) concrétise la notion d’utilisation des ressources locales
et d’expression libre de la créativité.
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La ville de Portland par exemple a élaboré dés 1990 un schéma directeur de
l’aménagement pour 2040. En fixant sur plusieurs décennies sa ligne de conduite elle
protège le statut de ses agriculteurs qui savent que leur exploitation ne craint aucun risque
d’expropriation sur plusieurs décennies... Une aubaine pour le développement de la filière.
Faire la ville avec ses habitants c’est se donner la possibilité d’une analyse en profondeur
du tissu urbain existant dans toutes ses dimensions: social, économique, entrepreneurial,
démographique, éducationnel... Nous savons par les échecs du passé qu’aucun modèle
de ville pré-construit ex-nihilo ne pourra s’appliquer avec succès sur un tissu urbain
existant. Le futur de la ville de Perpignan dépend de son contexte actuel et de ce que
nous en ferons.