Dr Isabelle Montet, secrétaire générale du SPH
On a beau être informé à grands renforts de commentaires que la normalité s’est installée par le suffrage universel à la tête du pays, le monde psychiatrique n’en a pas pour autant gagné en sérénité. Parce qu’un tant soit peu vigilant, tout psychiatre connaît les risques de variations d’états du sujet dit « normal », et sait par ses classiques, que la norme peut flirter avec l’arbitraire, ou servir la vacuité sous le masque du conformisme. La normativité de Canguilhem pourrait bien servir de référence aux éditorialistes politiques qui, pensant diagnostiquer les premiers signes de mollesse à l’Elysée, s’interrogent sur la nature de cette normalité présidentielle qui devrait adapter la simplicité des exigences démocratiques revendiquée comme ligne de conduite gouvernementale, au caractère exceptionnel de la fonction qui exige l’autorité managériale attendue par la Nation, prise dans la tourmente des crises mondiales.
Car la crise s’est installée dans le quotidien de l’abondance d’informations qui ferait croire au quidam qu’il maîtrise, à défaut des effets de cette dette publique devenue intime, les ficelles de l’économie mondiale où les tenants de la rigueur tendue vers l’objectif des 3% de déficits s’opposent aux partisans de la relance contre l’austérité. Dans un tel contexte, la nouvelle alerte mise sur le déficit de la sécurité sociale par la Cour des Comptes alors que doit être présenté le projet de loi de financement de la sécurité sociale 2013 fait déjà vaciller le faible espoir que la psychiatrie de service public voulait mettre dans les mots de la ministre de la santé sur le soutien du nouveau gouvernement au service public hospitalier.
reseauprosante.fr
Assemblée générale rapport moral - lyon, 1er octobre 2012.
1. ASSEMBLEE GENERALE
RAPPORT MORAL
Lyon, 1er octobre 2012
Dr Isabelle Montet, secrétaire générale du SPH
On a beau être informé à grands renforts de commentaires que la normalité s’est installée par le suffrage universel à
la tête du pays, le monde psychiatrique n’en a pas pour autant gagné en sérénité. Parce qu’un tant soit peu vigilant,
tout psychiatre connaît les risques de variations d’états du sujet dit « normal », et sait par ses classiques, que la norme
peut flirter avec l’arbitraire, ou servir la vacuité sous le masque du conformisme. La normativité de Canguilhem
pourrait bien servir de référence aux éditorialistes politiques qui, pensant diagnostiquer les premiers signes de
mollesse à l’Elysée, s’interrogent sur la nature de cette normalité présidentielle qui devrait adapter la simplicité des
exigences démocratiques revendiquée comme ligne de conduite gouvernementale, au caractère exceptionnel de
la fonction qui exige l’autorité managériale attendue par la Nation, prise dans la tourmente des crises mondiales.
Car la crise s’est installée dans le quotidien de l’abondance d’informations qui ferait croire au quidam qu’il maîtrise,
à défaut des effets de cette dette publique devenue intime, les ficelles de l’économie mondiale où les tenants de la
rigueur tendue vers l’objectif des 3% de déficits s’opposent aux partisans de la relance contre l’austérité. Dans un
tel contexte, la nouvelle alerte mise sur le déficit de la sécurité sociale par la Cour des Comptes alors que doit être
présenté le projet de loi de financement de la sécurité sociale 2013 fait déjà vaciller le faible espoir que la psychiatrie
de service public voulait mettre dans les mots de la ministre de la santé sur le soutien du nouveau gouvernement au
service public hospitalier.
Si l’Etat n’a plus les moyens d’être « providence », sa marge de manoeuvre est limitée, d’autant que la crise de la
dette souveraine est aussi devenue crise de la souveraineté des états. Avec l’entrée en dépression de la zone euro,
les états cigales doivent les uns après les autres appliquer des remèdes douloureux pour leurs citoyens, remèdes
censés leur permettre de rembourser les intérêts abyssaux de leurs emprunts et rassurer le monde de la finance
pour un geste de solidarité des autres pays européens. La Banque Centrale Européenne place ainsi son intervention
contre la spirale des risques de récession sous conditions de plans d’austérité draconiens pour les pays endettés
demandeurs : ces plans ayant peu à voir avec les diagnostics des économistes sur la crise financière, qui conduisaient
il y a encore peu une majorité à demander d’avantage de régulation des marchés, les esprits chagrins se risquent
à dire que les réformes structurelles néolibérales s’en trouvent accélérées de manière opportune. Contraints pour
certains de mettre aux manettes des économistes influents (Papadémos en 1er ministre grec, Monti en président du
conseil des ministres italien), les pays coupables de légèreté accélèrent les privatisations, réforment les retraites,
dérèglementent les secteurs, font des coupes sombres dans les budgets publics. Les syndicats peuvent bien protester
contre la suppression de l’eau minérale pour les patients dans les hôpitaux italiens, il n’y aura, comme le déplore
l’écrivain Luis Sepulvida depuis l’Espagne, que la finance que la crise financière aura laissée indemne.
La puissance des agences de notation pour influencer les politiques publiques se mesure aussi lorsqu’elle s’invite dans le
discours des ministres : c’est, comme une ironie du sort, en installant son « Pacte de confiance » le 7 septembre dernier
que Marisol Touraine se voit contrainte de restaurer la confiance, non pas seulement entre les Français et leur système
de soins, entre les acteurs de l’hôpital public et le monde politique, mais entre le marché français de la santé et les
investisseurs, en faisant référence à la dégradation de note que vient d’attribuer Moody’s aux hôpitaux publics. « Je le dis
ici, concernant les investissements d’avenir, je regrette que l’agence de notation Moody’s n’ait pas été attentive à l’action
engagée par les pouvoirs publics. Un ONDAM fixé à 2,7 %, 4,5 milliards d’euros de plus pour la santé : nous avons
pris nos responsabilités parce que nous croyons à l’avenir de l’hôpital public. Que leur faut-il de plus ? ». Ce qu’il leur
faut de plus, une information en janvier de Standard and Poor’s le glissait comme une menace aux états : plusieurs
pays du G20 pourraient être dégradés s’ils ne maîtrisent pas mieux leurs dépenses de santé et l’accroissement
des coûts sociaux dus au vieillissement. D’ailleurs en abaissant la note des hôpitaux français, Moody’s donne
comme argument que le contrôle du gouvernement s’y montre moins efficace que ce qui avait été anticipé.
Plus que par les urnes, les politiques publiques seraient donc arbitrées par la solidité de leurs états à pouvoir
emprunter.
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2. Avant d’être le nouveau Directeur Général de l’Organisation des Soins,
Jean Debeaupuis expliquait pour la conférence des directeurs généraux de
CHR-CHU, que les hôpitaux avaient fait le choix de se regrouper pour se mettre
sous le pouvoir des agences de notation en 2007 et pouvoir diversifier leurs
financements en recourant aux marchés obligataires : depuis la dislocation
de Dexia et l’insuffisance de la Caisse des Dépôts, les investisseurs sont ainsi
entrés dans le service public hospitalier et les directeurs doivent ajouter à
leurs compétences l’analyse des produits financiers pour se tenir à distance
des emprunts toxiques. Bien que certains la vantent encore comme outil de
l’efficience, la T2A déjà peu appréciée par les directeurs selon l’enquête menée en
août par la DREES, présente maintenant le défaut d’être trop variable dans ses résultats
d’exploitation comparée au budget global, et constitue un facteur de risque financier pour
les banques susceptibles d’accorder des prêts.
Que l’on demande aux hospitaliers de retrouver la confiance dans le dialogue social alors que le baromètre des
agences de notation est investi comme partenaire immatériel et influent sur l’évolution des missions de service public,
laisse perplexe. En comparaison, les fraîches annonces de Bercy pour que des actions qualifiées de « volontaristes »
s’appliquent à l’hôpital pour le plan de maîtrise de l’ONDAM (- « décloisonner les parcours de soins entre la ville,
l’hôpital et le secteur médico-social » - « mettre en place des équipes de soins de proximité afin de permettre un
recentrage de l’hôpital sur les cas les plus aigus et complexes » - « rechercher des gains de productivité en particulier
dans les établissements de santé et parmi les professionnels de santé »), ont au moins la normalité du déjà connu.
Ce « Pacte » de confiance que Marisol Touraine veut pour l’hôpital, c’est Edouard Couty qui doit le préparer.
En termes de confiance, les psychiatres de service public ont déjà expérimenté ses capacités d’écoute sous un
précédent gouvernement avant de critiquer les conclusions de son rapport. Et s’ils ont pris connaissance des
10 propositions que la FHF a adressées au nouveau ministre de la santé sur sa conception personnelle de la
confiance à l’hôpital, ils devront éviter d’avoir trop à l’esprit que le chargé de confiance est également président
d’une FHF régionale. Selon la Fédération Hospitalière de France, l’amélioration du dialogue social pourra être
obtenue par la fin des « règles générales de la fonction publique » au profit
des accords-cadres locaux entre employeurs et professionnels, et par une
modification du CNG qu’il conviendrait de confier à la seule gestion des
représentants des employeurs, c’est-à-dire la FHF. Manière décomplexée
d’envisager le dialogue social par la disparition du statut de PH et la
perte de ce qui reste d’indépendance professionnelle aux médecins
hospitaliers que la FHF mettrait volontiers sous son contrôle direct.
Comme s’il y avait encore trop d’Etat dans l’hôpital public.
Dans cette normalité là, quelle place va être accordée à la psychiatrie publique
qui vient de se plaindre d’être oubliée dans HPST, maltraitée dans la loi du
5 juillet 2011, négligée dans le dernier plan santé mentale, bref, qui continue de vérifier
l’indétermination de l’Etat en matière de politique de santé mentale ?
Le contexte de crise serait pourtant un terreau favorable pour qu’on lui retrouve de l’intérêt. Comme si le cynisme
devait le disputer à la dénégation, l’Organisation de Coopération et de Développement
Economique se met depuis peu à produire des rapports sur l’intérêt du progrès
social dans la croissance. En célébrant fin 2011 son cinquantenaire, cette
bureaucratie d’ampleur internationale a choisi le thème de la richesse du bien-être,
recommandant pour la mesure de la croissance des indicateurs non
économiques, comme le développement de l’éducation, de la santé, de la
qualité de l’environnement. Nicolas Sarkozy avait 2 ans plus tôt installé une
« Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès
social » : aussi inspirée que l’OCDE, la commission concluait que le PIB ne
pouvait être le seul indicateur de développement et redécouvrait, avec des
évidences, ce que le prix Nobel d’économie indien Amyarta Sen exposait dès
1990 sur son concept d’ « indice de développement humain ».
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3. Dans cette même veine stérile, le Parlement européen a en juin organisé un atelier sur
le coût humain du surendettement et de la crise : il y a été déterminé que le taux de
suicide croissait avec celui du chômage, et notamment que la Grèce avait subi
une hausse de 40 % du nombre de suicides dans le 1er trimestre 2011. Mais face
à l’ampleur des risques, les eurodéputés n’ont pas eu mieux à proposer que
la nécessité de prendre en compte la prévention dans le prochain programme
de santé européen 2014-2020. L’OMS invitée à l’atelier a montré l’ampleur de
son inspiration en prônant « des stratégies axées sur l’emploi et l’aide contre
le surendettement, l’amélioration des services de santé et le renforcement de la
solidarité familiale ». Avec un tel caractère offensif, la psychiatrie européenne a
du souci à se faire.
Il peut être troublant de se dire que c’est pourtant une fois admis dans l’union européenne, après la chute de
leurs dictatures, que les pays actuellement les plus soumis à la dette avaient pu développer les réformes de leur
système de soins psychiatriques. Comme un retour du refoulé, la récession avec ses coupes sombres faites dans
le système de santé et la fragilisation des solidarités sociales sur lesquelles devait s’appuyer la poursuite de la
désinstitutionalisation, fait déjà annoncer à certains en Grèce, le retour du scandale de l’île de Léros. Quant
aux espoirs qu’aurait pu nourrir un Basaglia sur la diffusion dans la société de son
mouvement de « psychiatrie démocratique », il faudra en faire le deuil.
Dans de telles conditions, où les règles démocratiques sont malmenées sous
la pression des instances européennes, de réseaux financiers mondialisés, et
au niveau national par la fuite en avant sur recettes de nouveau management
public, tous les instruments de contrepouvoirs ont une mission démocratique
à tenir. Les organisations syndicales doivent en être.
Certains économistes affirment même que si l’Allemagne a pu jusqu’à
présent mieux résister à la crise, ce n’est pas dû seulement aux effets de la
rigueur anticipatrice appliquée par Schroeder mais aussi parce que le système de
cogestion (Mitbestimmung) associant les représentants des personnels a permis de
maintenir la stabilité du marché du travail et donc de la demande intérieure, protectrice contre la crise.
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Et pourtant…
Lorsque les identités se mettent à remplacer les intérêts de classe, les sociologues décrivent une psychologisation de
la contestation qui quitte le domaine de la mobilisation politique pour le terrain culturel. C’est peut-être le boulet
que traîne l’arlésienne de la réunification syndicale. Le SPH toujours attaché au principe de constituer un syndicat
uni et fort face à l’ampleur des fronts, s’est vu opposer par nos collègues l’attachement à la diversité des identités
syndicales.
Comme s’il ne suffisait pas que la psychiatrie se trouve prise dans ce que décrit Lise Demailly sur la manière dont
la politique de santé mentale subit les modes d’élaboration des politiques publiques en France. Selon un modèle
néo bureaucratique où l’Etat exerce son contrôle de manière décentralisée par la prolifération des agences (1244
viennent d’être recensées par l’Inspection générale des finances), la politique de santé mentale se bâtit (ou ne se
bâtit pas) depuis des années sur une base fragmentée où la confrontation entre les intérêts multiples a pris le pas
sur les connaissances validées au détriment de ce qu’exigerait une politique de santé
publique.
La psychiatrie, prise dans la politique de santé mentale, se retrouve ainsi selon
elle à osciller entre 3 paradigmes : la santé mentale communautaire, la santé
mentale autoritaire, et l’anarchie organisée du statu quo.
Porteuse de multiples enjeux qui la dépassent comme simple discipline,
la psychiatrie mériterait pourtant bien la loi cadre de santé mentale qui est
demandée depuis plus d’un an, alors que l’intérêt de l’Etat ne se concentrait que
sur son implication dans la contrainte. Faute de volonté politique d’engager ce
4. débat d’importance sociétale, ce n’est que modestement par notre AG 2012 que le SPH invitera aux échanges sur
la diversité des thèmes et avec des interlocuteurs des différents champs concernés.
Pour défendre cette psychiatrie malmenée, il se confirme bien cette année encore que le SPH doit maintenir son
engagement dans les chantiers ouverts :
- au niveau européen avec la Fédération Européenne des Médecins Salariés ;
- dans la formation et la recherche avec la FFP, la SIP, sa revue L’information psychiatrique ;
- dans la défense de la place du médecin à l’hôpital public avec la CPH ;
- dans la poursuite des relations intersyndicales en psychiatrie au sein du CASP ;
- dans les relations psychiatrie justice en démarches concertées avec l’USM, l’ASPMP, l’ANPEJ.
Je terminerai en rendant hommage à 2 compagnons du SPH disparus cette année, Jean-Paul Liauzu, qui a exercé
ses talents dans la dynamique et la culture syndicale, et le Professeur Roger Misès, dont l’engagement en fait même
encore la cible d’attaques enragées à travers celles lancées contre la 5e édition de la Classification française des
troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent.
Si les mots de conviction, cohérence, courage peuvent s’appliquer à ses 2 hommes, c’est sous leurs auspices que le
SPH devra se placer dans ses futurs combats pour au minimum leur faire honneur.
Rapport moral adopté à l’unanimité
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