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L E S Y N D I C A T D E S P S Y C H I A T R E S D E S H Ô P I T A U X 7
Les soins en prison : chronique d’un malentendu
Michel DAVID
Bureau national SPH, secrétariat à la psychiatrie en milieu pénitentiaire
Quand en 1985, le secteur de psychiatrie en milieu pénitentiaire a été créé avec son unité pivot, le service médico-
psychologique régional (SMPR), l’idée semblait s’imposer à tout le monde. Il fallait prodiguer des soins au plus
près du « lieu de vie » des personnes détenues qui avaient droit à des prestations sanitaires comme tout le monde,
bien que l’idée d’un secteur de psychiatrie dans un lieu « pseudo-asilaire » s’éloignât quelque peu de l’idée
déségrégative de la psychiatrie de secteur.
Malheureusement, en trente ans, une psychiatrie entièrement à part s’est mise en place créant
d’atypiques « hôpitaux de jour » en SMPR qui bien souvent cautionnent la place des malades mentaux en prison.
Ils instaurent un espace de mise à l’écart de la détention ordinaire, souvent pour de très longues périodes, des
personnes détenues malades. Leur fonction essentielle permet de soulager l’administration pénitentiaire des sujets
agités et perturbateurs, pour reprendre une terminologie archaïque que l’on retrouve encore pour dénommer les
unités pour malades agités et perturbateurs (les UMAP). Les UHSA ont suivi ensuite pour parfaire la belle et idéale
construction sanitaire carcérale à trois niveaux à l’ambition égalitaire par rapport à l’organisation sanitaire en
milieu libre. Elle épargne à la mauvaise conscience collective de se poser des questions sur l’adéquation de cette
idéale construction théorique avec la réalité carcérale.
Préférant cacher ces personnes malades mentales qu’elle ne saurait voir, la communauté psychiatrique a négligé
de demander des suspensions de peine pour raisons psychiatriques. Les conclusions récentes d’un groupe de
travail santé/justice mandaté par les ministres de la Santé et de la Justice a conclu, qu’en l’état, la règlementation
permettait pourtant de les demander.
L’exercice de la psychiatrie en milieu pénitentiaire est confronté à des chausse-trappes incessantes. Etre vigilant pour
respecter les obligations du secret professionnel ou trouver l’attitude à adopter quand une personne détenue est
placée en quartier disciplinaire (QD), sorte d’Ushuaïa de la pratique psychiatrique en prison qui vient d’ailleurs être
sanctionnée dans un jugement d’un tribunal administratif, sont quelques exemples qui interrogent gravement notre
pratique. Intervenir en prison devrait se limiter à de la consultation (niveau 1). Il faut arrêter de mettre en place de
plus en plus de soins, si possible idéaux, alors que la prison est foncièrement à réformer. Jusqu’où va aller l’extension
des soins « répressifs » quand on constate à la lecture du récent rapport du Contrôleur général des lieux de privation
de liberté que des psychiatres de SMPR proposent de soigner en prison des personnes relevant de la rétention de
sûreté ? Si la société doit réfléchir au sens de la peine, les psychiatres (et pas seulement ceux exerçant en prison)
ne doivent-ils pas commencer à se demander quel est le sens de leur action dans ce contexte carcéral indigne ?
Au 1er
mars 2014, 68 420 personnes sont détenues (proche du record de juillet 2013 : 68 569) dont 13 827 en
surnombre soit une augmentation de 13 % en quinze mois et 1104 matelas sont posés au sol (augmentation dans
la même période de 48 %)1
.
Les contours d’un malentendu
Un malentendu peut souvent aboutir à une situation intenable. Mais pourquoi un malentendu ? La psychiatrie
en prison s’est implantée après la seconde guerre mondiale dans une optique initiale de dépistage des troubles
mentaux pour aboutir à une organisation sanitaire actuelle à trois niveaux avec deux étapes clés :
La création des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire en 1985.
Le rattachement en 1994 des soins somatiques au service public hospitalier et l’affiliation de toutes les personnes
détenues au régime général de la Sécurité sociale.
1 Tournier PV, Opale, mars 2014.
L E S Y N D I C A T D E S P S Y C H I A T R E S D E S H Ô P I T A U X8
Les trois niveaux sont les suivants :
Niveau 1 : consultation et activités thérapeutiques de groupe ;
Niveau 2 : « hospitalisation de jour » dans les SMPR ;
Niveau 3 : hospitalisation complète, soit en UHSA, en service libre ou en soins psychiatriques sur demande
du représentant de l’État (SDRE), (ex HO D398), soit en attendant le développement complet du programme
UHSA en établissement psychiatrique ordinaire sous le régime exclusif du SDRE (ex HO D398).
Hors les situations d’hospitalisation sans consentement, les soins en prison ne peuvent être imposés et doivent être
librement consentis. Aucune contrainte ne doit intervenir dans les soins puisque la prison est elle-même déjà une
contrainte. Les soins restent et doivent rester un des rares espaces de liberté pour la personne détenue.
A ce jour, on compte 26 SMPR tandis que les soins psychiatriques dans tous les établissements pénitentiaires
dépourvus de SMPR (soit environ plus de 150) sont assurés par le secteur de psychiatrie générale.
La philosophie globale du dispositif selon les Pouvoirs publics est d’assurer une offre de soins aux personnes
détenues égalitaire par rapport à celle proposée à la population générale, d’où le malentendu car il est
actuellement impossible de considérer les prisons comme un lieu où l’on peut pratiquer la médecine comme en
milieu libre.
Les marqueurs d’un malentendu
Depuis environ dix ans, la volonté « politique » tente de faire évoluer les soins en prison d’une finalité sanitaire
à une finalité sécuritaire sous l’affichage apparent de la belle organisation égalitaire de l’offre de soins à trois
niveaux.
En 2012, Catherine Paulet, chef de service du SMPR de Marseille, Gérard Laurencin, chef de service du SMPR
de Toulouse et moi-même écrivions un article dans l’Information psychiatrique, intitulé : « Psychiatrie en milieu
pénitentiaire : la loi de 1994 pourrait-elle être remise en cause par l’essor de la préoccupation sécuritaire et de
l’évaluation de la dangerosité ? ». Nous y développions les constatations que l’indépendance professionnelle
et le secret médical sont battus en brèche pour privilégier une mission « criminologique » d’évaluation de la
dangerosité. Le droit à la confidentialité concernant la santé est une difficulté très pratique en prison du fait de
l’absence d’intimité et du panoptisme carcéral structurel et malgré le rappel de ces principes essentiels à l’article
45 de la loi pénitentiaire de 2009 (Tableau 1).
L’administration pénitentiaire respecte le droit au secret médical des personnes détenues ainsi que le secret de la
consultation, dans le respect des troisième et quatrième alinéas de l’article L. 5-6141 du code de la santé publique.
Tableau 1. Article 45 de la loi pénitentiaire de 2009
Qu’attend-on finalement des soignants ?
Etre des conseillers siégeant dans les commissions pluridisciplinaires uniques et participant ainsi à l’exécution
des peines ;
Trier les arrivants en fonction de leur personnalité ;
Repérer sans coup férir tous les dangereux ;
Rendre compte des évolutions favorables ou défavorables des troubles de la personnalité ou des pathologies
psychiatriques ;
Faire état du détail des traitements entrepris, de leur évaluation, de l’observance compliante et sans faille des
intéressés, de la fréquence des entretiens voire de leur durée ;
Assumer la fonction de recruteurs de codétenus de soutien ;
Cautionner le placement en quartier disciplinaire ;
Prescrire les kits anti suicides et les réveils nocturnes répétitifs qui ne font qu’aggraver des états psychiques
précaires ;
Etc.
L E S Y N D I C A T D E S P S Y C H I A T R E S D E S H Ô P I T A U X 9
On voit dans ces exemples que les missions des soignants tendraient à s’éloigner du soin pour devenir des
experts officieux. Il n’a donc pas été étonnant que le combat a dû être acharné pour obtenir l’article 48 de la
loi pénitentiaire de 2009 (Tableau 2). Entre le guide méthodologique de 2005, qui s’appuyait avec force sur la
loi sanitaire du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé et maintenant, la
régression est considérable. La déresponsabilisation de la personne détenue devient la règle. Quel bonheur si les
certificats de suivi pouvaient ne pas passer par elle ! Il a failli en être ainsi avec la loi de programmation relative à
l’exécution des peines de mars 2012. Il a encore fallu l’obstination des professionnels de santé pour faire gommer
la disposition faisant transiter directement les certificats de suivi du médecin au juge sans passer par le patient.
Ne peuvent être demandés aux médecins et aux personnels soignants intervenant en milieu carcéral ni un acte
dénué de lien avec les soins ou avec la préservation de la santé des personnes détenues, ni une expertise médicale.
Tableau 2. Article 48 de la loi pénitentiaire de 2009
Le quartier disciplinaire
L’exemple du quartier disciplinaire (QD) est une bonne illustration d’une des situations les plus extrêmes de
l’exercice de la médecine et de la psychiatrie en prison. Le tribunal administratif de Lille a rendu un jugement en
février 2014. Il y était reproché au médecin « de ne pas avoir considéré l’état de santé comme étant incompatible
avec cet encellulement (le QD) » tout en signalant également qu’il aurait fallu tenir compte des antécédents
psychiatriques de l’intéressé qui avait été hospitalisé 8 jours en hospitalisation d’office, deux ans et demi avant son
suicide… Des recommandations sur l’attitude du médecin par rapport au quartier disciplinaire sont consignées
dans les deux guides méthodologiques de 2005 et 2012 mais ne peuvent répondre aux situations complexes du
milieu pénitentiaire et notamment de l’injonction contradictoire dans laquelle se trouve le médecin :
Soit donner un avis d’incompatibilité systématique pour le QD qui gêne l’administration pénitentiaire pour
maintenir l’ordre carcéral quand elle doit punir les contrevenants ;
Soit ne pas donner d’avis d’incompatibilité (mais sans donner pour autant un avis de compatibilité), mais
ouvrant au risque suicidaire.
Sans pouvoir détailler ici d’autres points de ce jugement, il faut toutefois remarquer en conformité avec le thème
de cet article, que le jugement assimile la prison à un établissement hospitalier : « Considérant que dans le cas où
la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d’un patient dans un établissement public hospitalier
a compromis ses chances d’obtenir une amélioration de son état de santé ou d’échapper à son aggravation… ».
La messe est dite : avec les trois niveaux de soins en prison, une prison est consacrée comme un dispositif de santé
dans l’organisation des soins hospitaliers. A quand la mutualisation des équipes infirmières et de surveillants ?
Les injonctions de soins encourues : une obligation de soin qui avance cachée
Un autre malentendu peut aussi contribuer à une situation intenable, qui se noue surtout entre soignants
et magistrats, et plus particulièrement les juges d’application des peines et qui consiste au développement des
« injonctions de soins encourues ».
L’injonction de soin créée par la loi de 1998, dans le cadre du suivi socio-judiciaire, semblait un progrès
par rapport à l’obligation de soins car elle prévoyait une indication médicale proposée par l’expert psychiatre.
Malheureusement, par probable défaut d’expertise initiale, s’est développé un automatisme « infractions relevant
d’une IS et IS ». Sans indication médicalement posée, les personnes détenues relevant d’une injonction de soins
encourue sont orientées vers le psychiatre et en l’absence de soin, les remises de peine ne seront pas accordées.
Les services sanitaires se trouvent encombrés par des demandes de soins factices pour permettre l’octroi des
remises de peine. Si les médecins ne posent pas l’indication de soins ou si les délais avant consultation sont trop
longs ou les consultations trop espacées, les aménagements de peine ou les réductions de peine peuvent être
ajournés ou rejetés sans que cela soit dû à la négligence ou à la mauvaise volonté de la personne condamnée.
A noter qu’il s’agit encore d’une assimilation insidieuse psychiatre traitant/psychiatre expert puisque le code de
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procédure pénale évoque le médecin qui « estime » un traitement sans préciser qu’il doit s’agir d’un expert : « Sans
préjudice des dispositions de l’article 763-7, le juge de l’application des peines peut proposer à tout condamné
relevant des dispositions de l’alinéa précédent de suivre un traitement pendant la durée de sa détention, si un
médecin estime que cette personne est susceptible de faire l’objet d’un tel traitement » (art. 717-1 du CPP).
L’écrin de la psychiatrie en milieu pénitentiaire : les UHSA
Le malentendu a pu aussi se nouer entre les psychiatres eux-mêmes, en constituant insidieusement un clivage
entre les psychiatres exerçant en prison (notamment ceux travaillant dans les SMPR) et ceux exerçant en secteur
de psychiatrie générale. Cet éloignement a abouti aux UHSA du fait que les personnes détenues sont devenues
des personae non gratae dans les hôpitaux. La question se pose donc de la création d’une filière ségrégative d’où
le thème des 23èmes
rencontres annuelles des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire du 21 et 22 novembre
2013 à Lille : « Du traitement de droit commun au traitement d’exception : nouvelles filiarisations ». Si les soins
en prison étaient vraiment devenus un traitement d’exception, comment peut-on concevoir leur nécessaire
articulation avec les soins en milieu ouvert quand la libération sera venue ou en alternative à l’incarcération si la
contrainte pénale est instaurée.
Sur les UHSA, il serait vraiment indispensable d’en faire une évaluation. Pour suivre dans ma région l’ouverture de
l’UHSA de Rennes (en septembre dernier), je suis assez abasourdi de la difficulté d’organisation que nécessite une
admission en UHSA (sans parler des horrifiques discussions pour construire le projet).
Dans le projet initial des UHSA, il était prévu, toujours dans l’optique de la philosophie égalitariste entre soins
carcéraux et extra carcéraux, que l’hospitalisation en UHSA suivrait les mêmes modalités que celle du milieu
ouvert : soins libre ; soins sur demande d’un tiers ; soins sur demande du représentant de l’Etat. Les soins sur
demande d’un tiers, qui comportent la notion de solidarité, ont disparu et confirme ainsi la désaffiliation du sujet
d’avec le reste de la société et son isolement social.
L’usine à gaz que représentent les UHSA s’illustre avec les avatars de la loi du 5 juillet 2011 et sa réforme du
27 septembre 2013 car il a fallu y préciser que l’hospitalisation pouvait s’y faire en service libre. Il semble que
la possibilité n’en n’était pas évidente juridiquement (c’est étonnant, la rédaction de la loi du 5 juillet 2011 est
pourtant d’une simplicité qui n’a échappé à personne) bien que d’application concrète dès l’ouverture de la
première UHSA à Lyon en 2010 avec plus de 50 % des hospitalisations en UHSA qui se font en soins libres.
L’éloignement de la famille qu’imposent le plus souvent les UHSA est aussi un problème important alors qu’une
hospitalisation de proximité devrait en théorie l’éviter. En théorie seulement, car la crainte des services hospitaliers
de recevoir des détenus est telle que l’hospitalisation en est devenue indigne d’où la création des UHSA…
Si la réforme de la loi de 2011 a dû clarifier les hospitalisations libres en UHSA, elle a engendré un nouveau
malentendu avec l’introduction de lieux d’hospitalisation imprécis pour les personnes détenues dénommées
« unité adaptée » ou « structure adaptée » et avec la disparition de la référence aux unités pour malades difficiles
(articles 12 et 13 de la loi du 27 septembre 2013). La lecture de la nouvelle mouture a même pu faire comprendre
que l’hospitalisation en hôpital psychiatrique pouvait se faire sur le mode des soins libres, ce qui serait une
révolution.
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Rétention de sûreté : le scandale continue et s’amplifie
Cette confusion des institutions et des missions s’illustre tristement et scandaleusement autour de la question de
la rétention de sûreté. Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) a consacré un rapport sur
le centre socio-médico-judiciaire de sûreté (CSMJS) daté du 16 décembre 2103 qui dans le présent texte sera
dénommé plus abruptement « centre de rétention de sûreté » (CRS) et qui a été suivi d’un avis publié au Journal
officiel le 6 février 2013 relatif à la mise en œuvre de la rétention de sûreté et paru « par hasard » au JO le 25
février 20142
, soit six ans exactement après la loi du 25 février 2008. Il est important de noter que le CGLPL
signale que son avis « a été élaboré sur le fondement du rapport et des réponses qui y ont été apportées. Il a été
porté à la connaissance de la garde des sceaux, ministre de la Justice, et de la ministre des Affaires Sociales et de
la Santé, par lettres du 6 février 2014 ; aucun des deux ministres n’a fait connaître d’observations3
» (JO1-2). Il
est tout aussi important de relever que le CGLPL rappelle que son activité s’intéresse à la prévention des atteintes
aux droits fondamentaux des personnes retenues (JO1-1) et ses attributions seront justement interrogées eu égard à
certaines propositions étonnantes notées dans son rapport.
Si la présente analyse se concentrera sur les remarques du rapport relatives aux soins, il convient de préciser
que se fait trop attendre l’abolition de la loi de rétention de sûreté (RS), pourtant annoncée par la Ministre de
la Justice aux Journées nationales du Génépi à Palaiseau en décembre 2012, sans oublier tout le « bien » qu’en
disaient les parlementaires de gauche quand elle fût adoptée en 2008 et qui les avaient conduit à saisir le Conseil
constitutionnel avec notamment les arguments suivants4
:
La RS constitue un complément de peine revêtant le caractère d’une sanction punitive.
La RS porte atteinte au principe de légalité des délits et des peines car elle ne sanctionne aucune infraction et n’est
pas limitée dans le temps.
La RS violerait le principe de nécessité des peines car il existerait des alternatives à la RS (dont le suivi socio-judiciaire).
La RS prive de liberté, viole la présomption d’innocence, l’autorité de la chose jugée et néglige le fait que l’on ne
peut juger quelqu’un deux fois pour la même chose (principe non bis in idem).
La RS créé un enfermement « sans aucun terme prévisible » disproportionné.
La RS repose sur l’évaluation de la dangerosité qui présente trop d’incertitude pour justifier une privation de liberté.
La RS constitue une détention arbitraire et une atteinte à la dignité de la personne humaine.
La RS ne peut s’appliquer à des faits commis antérieurement à la promulgation de la loi.
Que se passe-t-il quand on penche du côté du pouvoir ? Ces judicieux arguments ont-ils perdu de leur valeur et de
leur force ? Une amnésie collective a-t-elle frappé les gouvernants ? Le réalisme électoral et la peur de passer pour
des laxistes obligent-ils à renoncer à ces principes essentiels (les parlementaires n’évoquaient quand même rien de
moins qu’une atteinte à la dignité humaine) ? D’autant plus que le CGLPL rappelle que le Conseil constitutionnel a
jugé que la rétention de sûreté n’était pas une peine au sens du code pénal mais que la Cour européenne des droits
de l’homme a émis un avis contraire pour une mesure équivalente du code pénal allemand (JO2-7). L’opinion
d’une des quatre personnes placées au centre de rétention de sûreté confirme la pénibilité du placement en centre
de rétention : « Il (monsieur C) a fait valoir que son placement en CRS avait été très pénible « pire que la prison »
car il y était seul avec de temps en temps une infirmière ou un surveillant et pour seul activité un ordinateur dont il
ne savait pas se servir » (RE11).
Pourtant, le rapport du CGLPL ne devrait que confirmer l’urgence de la suppression de la rétention de sûreté qui
ne conduit qu’à des ambiguïtés, rendant « aspects punitifs et préventifs indissolublement liés » (JO2-8), et des
erreurs d’appréciation. Dans les dernières lignes d’un paragraphe très juridique de l’avis du JO (JO2-9), le CGLPL
s’interroge sur la légitimité du motif ayant conduit au placement en rétention de sûreté ainsi que l’application de
la RS dans le temps au regard de la doctrine de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et
des libertés fondamentales. Elle pose des questions de fond sur certains soins et horresco referens propose que les
« retenus » soient « soignés » en prison que ce soit au sein d’un SMPR ou dans une UHSA, confondant détention
et rétention, bien que l’avis au JO ne soit pas aussi tranché. Il est légitime de se demander si le CGLPL n’attendait
pas une réaction politique qui n’est pas venue, hélas !
2. Dans le présent texte le rapport d’enquête sera référencé RE suivi du numéro de la page (ex RE1) et l’avis au JO sera référencé JO suivi du
numéro de page et du paragraphe (ex JO4-16).
3. Souligné par moi
4. Décision n°2008-562 DC du 21 février 2008, considérant 6.
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Qu’est-ce que la rétention de sûreté ?
Si on sacrifiait à la mode des micros-trottoirs en demandant ce qu’est la rétention de sûreté, il est certain qu’on
obtiendrait des réponses évasives. Pour avoir testé la question dans mon milieu professionnel, les réponses sont
régulièrement imprécises. La rétention de sûreté adoptée en 2008 concerne des personnes qui ont été condamnées
à une peine d’au moins quinze ans pour certains crimes. A leur libération, si elles présentent « une particulière
dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive parce qu’elles souffrent d’un trouble grave de
la personnalité », elles peuvent, suite à une procédure complexe, être placées dans un CRS tant que le risque de
récidive persiste et potentiellement jusqu’à ce que mort s’ensuive. En effet, pour que le risque de récidive soit nul,
il faut que la « particulière dangerosité » (sa définition n’existe que dans les fantasmes de chacun) ait disparu ou
que le trouble grave de la personnalité soit « guéri » ce qu’on ne sait pas faire ; personne ne peut raisonnablement
avancer actuellement que l’on sait soigner (?), guérir (?), rééduquer (?), détordre (?), remodeler (?), etc. un trouble
grave de la personnalité, tout du moins selon des méthodes démocratiques, mais on peut toujours s’appuyer sur
les méthodes coercitives expérimentées dans les régimes totalitaires et leurs différents camps de rééducation
(cf. infra, une remarque de Robert Badinter). Il ne s’agit bien évidemment pas de cela en France mais on verra que
le concept hexagonal est pour le moins incertain et que le respect du droit ne semble pas la règle.
Qui est concerné par la rétention de sûreté ?
Les « retenus » sont donc des anciens condamnés à une peine d’au moins quinze ans de prison pour des crimes
particulièrement graves d’atteinte à la personne. Lors de l’adoption de la loi, le président de la République et le
gouvernement en souhaitait une application immédiate mais comme une loi pénale ne peut être rétroactive, elle
ne pourra s’appliquer qu’en 2023, soit 15 ans après son adoption. Toutefois, pour satisfaire le désir du Prince, le
Conseil constitutionnel, avec une habileté toute jésuitique, a coupé la poire en deux et a considéré que la rétention
de sûreté pouvait être ordonnée si les personnes concernées ne respectaient pas les obligations de la surveillance
de sûreté, notamment celles de suivre une injonction de soins (art. 706-53-19 du code de procédure pénale).
Le CGLP cite les cas des quatre personnes qui ont été pour l’instant placées en CRS sur une période s’étendant de
2011 à 2013. Trois d’entre elles n’ont pas suivi l’injonction de soin à laquelle elles étaient condamnées. En France,
une personne délinquante peut être condamnée à un soin et une personne non délinquante peut se voir imposer
un soin psychiatrique sans son consentement (Lois du 5 juillet 2011 et du 27 septembre 2013). Enfin, on peut
toujours essayer ! Et c’est bien ce que montrent ces trois situations. Si les personnes concernées, malgré le risque
encouru, dont elles sont censées être conscientes, de se voir retenues après avoir été détenues, ne suivent pas les
soins obligatoires, il convient de se poser la question de l’opportunité de ces soins. Leur indication a-t-elle été bien
posée (en théorie par un expert psychiatre) ? Existe-t-il des thérapeutes disponibles, accessibles et compétents pour
traiter de la particulière dangerosité et du trouble grave de personnalité ?
La durée moyenne de séjour pour ces quatre personnes a été de 56 jours. Les mesures ont été rapidement levées
par les juridictions. Deux personnes ont été placées sous surveillance électronique. Une troisième a vu ses
obligations de surveillance de sûreté renforcées. La quatrième a été illégalement placée en rétention de sûreté
puisqu’elle n’avait été condamnée qu’à une peine de dix ans, qu’une mesure de surveillance de sûreté ne pouvait
lui être appliquée et donc que son non-respect ne pouvait être sanctionné par la rétention de sûreté. On voit dans
ce dernier cas que l’application d’une loi « tordue » aboutit à une mesure « illégalement » prise. Pas étonnant que
les citoyens de notre micro-trottoir ne pourraient rien répondre de précis à la rétention de sûreté si les magistrats
eux-mêmes ne s’y retrouvent pas. Le CGLPL citant cette situation évoque sans ambiguïté une « privation de liberté
irrégulière » (JO2-6).
Analysant ces situations, le CGLPL s’interroge de manière très pertinente sur la « particulière » dangerosité de ces
personnes du seul fait du non-respect des obligations qui leur étaient imposées (RE12). Il ne s’agit effectivement
pas d’imposer la rétention de sûreté uniquement sur l’absence de respect des mesures de surveillance de sûreté mais
il faut pouvoir établir l’existence de la fameuse « particulière dangerosité ». Le législateur a laissé au magistrat (?),
au psychiatre (?), au conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation (?), à qui d’autre (?) le soin de la définir.
Mais comment peut-on imposer une mesure à une personne pour un « état » qui ne connaît pas de définition
consensuelle et précise ? Le CGLPL insiste en considérant que « l’absence d’estime de soi et les ressources
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intellectuelles limitées ne sauraient établir en elles-mêmes une manifestation et encore moins une aggravation de
l’état de dangerosité » (JO2-10). Il semble d’ailleurs que dans deux cas sur quatre, la commission pluridisciplinaire
des mesures de sûreté s’était prononcée défavorablement pour le placement en CRS (JO2-10). Aussi pourquoi
placer des personnes en CRS si elles ne sont pas dangereuses alors que l’objectif du CRS est de faire en sorte que
les personnes placées puissent en sortir en n’étant plus considérées comme dangereuses, (JO3-12) ?
Quels soins sont proposés aux personnes retenues ?
On apprend que le chef de service du SMPR de Fresnes n’a pas perdu de temps pour rédiger un projet médical
pour les personnes retenues en CRS puisqu’il date de novembre 2008 alors qu’a priori, la RS n’aurait dû s’appliquer
pleinement qu’en 2023 (RE39)… Ce n’est guère totalement étonnant car dans son histoire, la psychiatrie
oscille entre deux pôles opposés : la répression, l’ordre public et l’enfermement (dont asilaire, cf. notamment
M. Foucault, R. Castel) d’un côté et de l’autre des soins pour une vie le plus autonome possible dans la cité.
Les lecteurs se réfèreront au rapport du CGLPL pour voir le détail des « protocoles » proposés (les protocoles sont
les outils « modernes » pseudo scientifiques qui contribuent à perpétuer le fonctionnement ordonné et sécuritaire
des hôpitaux psychiatriques contemporains). Malgré les bonnes intentions couchées sur le papier, le CGLP
remarque une « absence de suivi régulier et effectif » (RE38;44), des entretiens plus brefs que prévus, d’environ 15
minutes (RE45). Lors de la visite des chargées d’enquête, le projet médical n’était pas opérationnel (RE42). Il n’y a
pas lieu de s’étonner de ce constat puisque le projet médical repose essentiellement sur des thérapies de groupe
et qu’au vu du petit effectif et des durées limitées de rétention (56 jours pour l’instant), il est illusoire de pouvoir
mener un projet de soins sérieux (indépendamment du bien-fondé des indications).
Une première idée géniale : mélanger les personnes retenues et détenues
Mais voilà qu’une solution géniale a été trouvée par l’équipe psychiatrique du SMPR : Intégrer les personnes
retenues au groupe thérapeutique de la prison voisine, comme « solution de dépannage ». Etonnant le zèle de
certains soignants à faire appliquer la RS !
Mais le dépannage n’a pas eu lieu et grâce à qui ? Grâce à l’Administration pénitentiaire qui « serait opposée à leur
intégration dans un groupe formé de personnes détenues » et qui opposerait aussi des réserves organisationnelles.
Comment et qui doit escorter la personne retenue du CRS au centre pénitentiaire de Fresnes ? Ce ne sont
évidemment pas les quelques dizaines de mètres qui les séparent qui posent problème mais bien le fond de la
question : la différence de statut entre personnes détenues et retenues. Toujours l’ambiguïté de la RS : une mesure
de sûreté ou une peine ?
Il semble que le CGLPL regrette ces blocages car ils font perdre aux personnes retenues « le bénéfice d’une prise
en charge psychiatrique effective et adaptée au public visé du fait de contraintes matérielles, surmontables par
ailleurs. A défaut de mise en œuvre du projet médical initial, et au regard de l’effectivité du droit d’accès aux soins,
le CGLPL recommande que les personnes retenues puissent profiter des soins offerts aux personnes détenues dans
le cadre des thérapies groupales proposées à l’UPH du SMPR de Fresnes » (p. 43-44).
Sur ce point, le désaccord est profond avec le CGLPL. Cette confusion des genres peut entrer en résonnance avec
le fonctionnement psychique assez souvent désorganisé des personnes concernées. Elle est contraire au droit et
à l’impérieuse nécessité de maintenir une frontière infranchissable entre rétention et détention. Ne peuvent
actuellement rentrer en prison que ceux soupçonnés d’avoir commis une infraction ou ceux condamnés pour les
avoir faites. Où est justement la présomption d’innocence soulevée par les parlementaires lors de la contestation
de la loi ? Faire entrer en prison des personnes retenues pour des soins est l’équivalent d’une présomption de
culpabilité pour une infraction non commise mais pouvant être potentiellement commise (le risque de récidive).
C’est d’une certaine manière, inciter la personne à être délinquant. Autant être en prison pour quelque chose…
.C’est favoriser le risque de récidive !
Du fait de l’écart pris entre les positions exprimées dans le rapport d’enquête et l’avis du JO, tout en prenant acte
de propos pour le moins surprenants de la part du CGLPL quand on sait son intérêt pour faire respecter les droits
des personnes privés de liberté, il faut espérer que les propositions qui sont couchées dans le rapport d’enquête
L E S Y N D I C A T D E S P S Y C H I A T R E S D E S H Ô P I T A U X14
n’émanent (malheureusement) que des soignants et ont été publiées que pour conduire à une réaction des Pouvoirs
publics. A défaut de réaction qu’on ne peut que gravement déplorer de la part d’un Gouvernement aussi attentif
au respect des droits des personnes, le présent texte se veut la manifestation d’un profond désaccord avec les
propositions de l’équipe soignante. D’ailleurs, l’avis du JO est rédigé sur ce point en présentant la possibilité
de soins en détention pour les personnes retenues comme étant une proposition médicale (« les médecins ont
proposé …») tout en en exposant l’impossibilité : « Aucun texte ne permet cette possibilité… » (JO4-15).
Une deuxième idée géniale : hospitaliser les personnes retenues dans les UHSA
Et la confusion des genres ne s’arrête pas là. Si l’indication d’une hospitalisation en psychiatrie s’impose pour les
personnes retenues, il suffit de proposer l’UHSA puisque « L’UHSA est destinée à accueillir les personnes retenues
dans le cadre d’une hospitalisation libre ou sous contrainte » (RE49). De nouveau positionnement de l’équipe
soignante du SMPR/UHSA qu’il faut espérer très largement minoritaire dans le milieu professionnel : « Interrogée
sur la pertinence de l’hospitalisation des personnes retenues dans une telle structure, réservée aux personnes
détenues, l’équipe psychiatrique a indiqué aux chargées d’enquête que le caractère de la mesure d’hospitalisation
sous contrainte doit primer sur le statut de la personne accueillie : qu’elle soit détenue ou retenue » (R49). Mais
comment peut-on penser que le caractère de la mesure d’hospitalisation sous contrainte doit primer sur le statut
de la personne accueillie ? De nouveau l’atteinte à la dignité de la personne. Mais qui va réagir à ces propos d’une
gravité extrême consignée dans le rapport d’une autorité aussi reconnue que l’est Jean-Marie Delarue ? Comment
les ministres de la République les plus concernés (Santé/Justice), sans même parler du président de la République,
peuvent-il rester sans réaction à la maltraitance de ces règles essentielles d’un Etat de droit et comment des
psychiatres peuvent-ils manipuler la règle de droit comme bon leur semble ?
Ceux qui ne vont pas réagir, ou plutôt qui vont apprécier, seront ceux qui dans le rapport d’information signé
des sénateurs Philippe Goujon et Charles Gautier en 2006 relatif aux mesures de sûreté concernant les personnes
dangereuses préconisaient des UHSA de long séjour qui « pourraient accueillir pendant la durée de leur peine
et, au-delà, (souligné par moi) si leur état le nécessite, les personnes dangereuses atteintes de troubles mentaux »
(p.69). Dans les débats qui eurent lieu lors de cette mission d’information (deux ans avant la loi sur la RS),
Robert Badinter soulignait « la tentation des jurés de pouvoir prononcer l’enfermement des personnes atteintes
de pathologies psychiatriques dans des établissements spécifiques, a indiqué qu’il était par ailleurs envisagé
aujourd’hui de placer les personnes ayant purgé leur peine dans des centres fermés, sur le seul fondement d’un
diagnostic de dangerosité psychiatrique. Il a estimé qu’une telle perspective constituerait un changement radical
de société et conduirait à abandonner l’idée selon laquelle la prison est faite pour condamner car la détention
revêtirait alors une dimension préventive au regard d’une infraction virtuelle. Il a rappelé que les sociétés où l’on
avait considéré certains individus comme dangereux pour des motifs de santé mentale, d’appartenance raciale ou
d’opinion politique relevaient d’un modèle radicalement différent du nôtre » (p.85).
Toujours à l’occasion de cette mission d’information, Cyrille Canetti (actuellement vice-président de l’ASPMP)
disait de manière très prémonitoire que « les centres fermés de protection sociale se définissaient par défaut par
une fonction purement sécuritaire et qu’ils risquaient de s’apparenter à des « non lieux » destinés à accueillir
des « non sujets ». Il a considéré que la recherche du « risque zéro » en matière de sécurité s’accompagnait
généralement d’un risque majoré d’erreur judiciaire » (p. 92).
Nous y voilà : des « non sujets », sans dignité, aux statuts sans intérêt par rapport à celui d’une mesure d’hospita-
lisation sous contrainte… Comment peut-on comparer le statut d’une personne à une mesure d’hospitalisation ?
C’est effrayant !
Sur ce point, le CGLPL adopte une position ambigüe. Il semble admettre que l’hospitalisation, que ce soit en
UHSA, UHSI ou à l’EPSNF, reste possible du moment que les droits spécifiques des personnes retenues, différents
de ceux des personnes détenues, sont respectés et « qu’à défaut, l’admission dans un hôpital public devrait être
favorisé compte tenu de son statut » (RE50). Mais uniquement à défaut, bien que dans l’avis du JO, les propos
soient plus nuancés : « Une hospitalisation dans cet établissement (EPSNF) est discutée dès lors qu’il est réservé à
des personnes écrouées, ce que ne sont pas les retenus » (JO3-15) ou bien encore « les lieux ouverts aux premières
(les personnes détenues) sont inaccessibles en principe aux secondes (les personnes retenues) » (JO4-17).
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Non ! Il faut éviter toute confusion entre le statut des personnes retenues et celui des personnes détenues. Les soins
ne peuvent être prodigués dans une prison pour des personnes qui ne sont pas écrouées.
Evidemment, cet exemple montre une fois de plus la nécessité d’une évaluation rigoureuse et urgente des
UHSA. Il est probable que les soignants des UHSA qui considèrent que les soins prodigués dans leurs unités
sont de meilleure qualité qu’à l’hôpital psychiatrique (et c’est certainement vrai) risquent d’être choqués par
cette orientation qu’on semble vouloir donner aux UHSA. Ceux qui voient le risque de dérive des UHSA ne
trouveront dans la situation de Fresnes qu’une confirmation de leur crainte d’une dérive sécuritaire et ségrégante.
Malheureusement, la question de la RS est trop complexe pour être portée en débat public ou s’il l’est, c’est en des
termes passionnés et irrationnels centrés autour du débilitant clivage laxiste-irréaliste vs sécuritaire-réaliste.
De quelques autres aspects
Il convient d’insister sur le type de soins, leur effectivité que l’on peut proposer aux personnes concernées. Qu’ont
dit les experts psychiatres tout au long du parcours de la personne ? Et comment ne pas oublier le considérant
21 de la décision du Conseil constitutionnel de 2008 et qui peut faire penser qu’en l’absence de soins adaptés
pendant la détention, la personne pourrait ne pas être placée en CRS : « Considérant que le respect de ces
dispositions garantit que la rétention de sûreté n’a pu être évitée par des soins et une prise en charge pendant
l’exécution de la peine ; qu’il appartiendra, dès lors, à la juridiction régionale de la rétention de sûreté de vérifier
que la personne condamnée a effectivement été mise en mesure de bénéficier, pendant l’exécution de sa peine,
de la prise en charge et des soins adaptés au trouble de la personnalité dont elle souffre ; que, sous cette réserve,
la rétention de sûreté applicable aux personnes condamnées postérieurement à la publication de la loi déférée est
nécessaire au but poursuivi ». Répétons-le : quels sont ces soins adaptés aux troubles de la personnalité ? Sans
oublier le dilemme des soignants en prison qui ont l’obligation d’informer leurs patients de leurs droits (loi du 4
mars 2002) comme le rappelait le Conseil national de l’Ordre des médecins en février 2008 (Piernick Cressard)
dans un rapport intitulé : Les soins et les injonctions de soins en milieu pénitentiaire et leurs conséquences sur
la situation pénale de l’intéressé : « Dans le respect des droits des patients, du code de déontologie, le médecin
doit s’efforcer de convaincre de la nécessité, pour lui, d’accepter les soins, en lui rappelant la confidentialité des
entretiens, en lui rappelant la réalité du secret médical mais en lui reconnaissant la capacité d’exprimer sa volonté
en refusant les soins avec l’acceptation des conséquences de ce refus ». Et parmi l’information à prodiguer, il faut
expliquer les soins menés, leurs résultats attendus, leurs effets indésirables. Parmi ceux-ci, et dans le cas particulier
d’une RS encourue, il faudra donc dire au patient que s’il suit des soins mais que ceux-ci n’auront pas été efficaces
(c’est-à-dire qu’il a toujours son trouble de la personnalité qui le rend toujours aussi particulièrement dangereux),
il bénéficiera certes des remises de peine (car il a suivi les soins proposés) mais il ira en CRS (et d’ailleurs plus
rapidement car il aura bénéficié des remises de peines), et que s’il ne les suit pas, il pourrait ne pas aller en CRS
(du fait de la perte de chance d’être guéri), mais qu’il ne bénéficiera pas des diverses remises de peine…
Une vision mécaniste et simpliste de l’être humain fait préférer essentiellement les traitements médicamenteux
aux traitements psychothérapeutiques pour traiter notamment les délinquants sexuels. La loi de rétention de sûreté
l’avait clairement signifié en prévoyant que le médecin traitant était habilité à utiliser des médicaments diminuant
la libido (art. 6 de la loi et L 3711-3 du code de la santé publique). Pourtant, les soins requièrent le plus souvent
une composante importante psychothérapeutique. Même si le rapport du CGLPL ne donne pas de détails sur les
profils des personnes retenues, on remarque que leur niveau culturel est plutôt faible (ils ne savent pas se servir
d’un ordinateur par exemple (p.16), que l’un d’entre eux ayant des difficultés à lire ou écrire « n’a pas signé ou
n’a pas compris » le règlement intérieur (p. 34) et qu’ils n’ont pas suivi les soins proposés, d’où le placement en
RS où une des priorités concernent justement les soins. On peut en déduire qu’ils n’ont pas conscience d’avoir
besoin de soins, ne se sentant vraisemblablement pas « malades » et ne comprenant pas le sens et l’utilité de
ces soins. Un d’entre eux est d’ailleurs sous neuroleptique retard (p.47). On peut considérer qu’il doit souffrir
d’une forme de schizophrénie (selon les règles, telle est l’indication des neuroleptiques retard) mais aussi d’une
comorbidité consistant en un trouble de la personnalité puisqu’on relève de la RS non pour une schizophrénie
mais pour un trouble de la personnalité. Si on pousse la logique jusqu’au bout (mais telles sont bien les ambiguïtés
de la « philosophie » de l’injonction de soin), les neuroleptiques retard n’entrent pas dans ce soin spécifique (celui
du trouble de la personnalité) mais dans celui de la pathologie schizophrénique. Qui fait le tri sur quoi ? Une
personne justement se segmente-t-elle ?
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Le CGLPL regrette également qu’un bilan psychologique ne soit pas proposé à chaque personne retenue faute de
personnels affectés au centre (p. 44). Quel type de bilan ? Avec quel objectif, notamment thérapeutique ? Dans le
contexte actuel, vu les courtes durées de rétention, quel pourrait être le but de cet examen ? Pour la forme ? Non.
Un bilan psychologique doit servir à une prise en charge adaptée et doit s’entourer de sérieuses considérations
professionnelles pour que les résultats en soient restitués à la personne, non pour satisfaire des bilans d’évaluation
(dont on peut toujours d’ailleurs craindre des usages détournés), mais pour aider l’intéressé à mieux se connaître,
identifier sa problématique et lui permettre d’évoluer. Le systématisme dans la situation présente me semble n’avoir
aucune utilité, si ce n’est se donner l’illusion d’avoir fait quelque chose.
Toute la question autour de ce type de soins et de ces éventuelles prises en charge se pose à nouveau quand il
s’agit de la continuité des soins après la RS. Certes, le CGLPL peut noter « avec satisfaction que des démarches
sont engagées par l’équipe psychiatrique afin d’assurer la poursuite des soins aux personnes retenues lors
de leur sortie du CRS. Il regrette cependant que les quatre personnes retenues n’aient pas pu bénéficier à leur
sortie, d’un suivi spécialisé pour les auteurs d’infractions à caractère sexuel » (p.47). On retrouve ici la question
du « découpage » de la personne en fonction de son infraction. La personne sous neuroleptique retard pourrait
bénéficier d’un suivi psychiatrique sans spécificité. Il s’agit peut-être de soigner sa psychose. Son infraction
sexuelle peut résulter de ce trouble psychiatrique. En le soignant de manière non spécialisée, la problématique
sexuelle peut se résoudre. La question des indications de l’injonction de soins transparaît en filigrane de ce rapport
sur la rétention de sûreté et de l’excès que l’on peut faire de l’illusion de suivis spécialisés, qu’il ne sera, de toute
façon, pas possible de mettre en place sur tout le territoire.
Pour terminer un point de détail peut-être mais qui n’est pas négligeable au vu de questions d’actualité sur
l’intimité, le respect de la vie privée, etc. (et sans parler de la question des téléphones évoquées par le CGLPL…).
Au sujet de la gestion de l’argent des personnes retenues, il est fait état pour l’une d’entre elles de la réception d’un
chèque à son nom qu’elle n’a pu encaisser. Il a fallu contacter l’émetteur du chèque afin qu’il soit libellé à l’ordre
de l’agent comptable (RE14). Qu’a-t-on dit à l’émetteur du chèque pour changer le libellé du chèque ? Que son
bénéficiaire était placé en rétention de sûreté ? Bien pour la réinsertion. Cette question peut paraître un détail mais
elle permet d’exprimer ici toute l’importance que les psychiatres et les soignants exerçant en milieu pénitentiaire
accordent à l’intimité de la vie de la personne, au respect de sa vie privée, à sa dignité et donc au secret médical
qui est un outil à disposition des médecins, obligés de s’y conforter et qui permet de faire respecter ces principes.
Toute situation, même la plus anodine en l’apparence, est l’occasion de rappeler l’importance du secret médical
qui nécessite, pour être respecté, une vigilance de tous les instants5
.
Ce rapport devrait conduire à des propositions et des actions claires :
L’abolition de la rétention de sûreté. Les données de ce rapport montrent que ce dispositif conduit à des actions
incohérentes (sans oublier le coût d’aménagement du CRS largement inoccupé). Où en est par exemple la
proposition de loi tendant à la suppression de la rétention et de la surveillance de sûreté déposée par des sénateurs
le 31 juillet 2012 (N° 734) et dont l’exposé des motifs se concluait ainsi : « La rétention et la surveillance de sûreté
contreviennent de façon inacceptable aux principes fondamentaux de l’État de droit. Il est aujourd’hui impératif et
urgent de les abroger » ?
Evaluer impérativement les UHSA. Cette évaluation est d’autant plus nécessaire avant le lancement de la deuxième
tranche que l’on perçoit dès maintenant les dérives dans leurs utilisations qui peuvent survenir avec l’exemple de la
rétention de sûreté.
La saisie par la profession psychiatrique de l’indication des injonctions de soins dont l’argumentation en indication
ou contre-indication est souvent lacunaire dans les expertises. Les indications ne doivent pas s’appuyer d’ailleurs
que sur des critères clinques mais aussi sur des critères de faisabilité.
Quid de toutes ces importantes questions dans deux projets de loi à venir : la loi de santé avec son volet
psychiatrique et la loi de prévention de la récidive et de l’individualisation de la peine. Or au vu de l’avancée
5. Lire à ce propos sur ce sujet le récent article d’Anne HENRY, chef du pôle de psychiatrie au centre pénitentiaire de Rennes-Vézin, membre
du bureau de l’ASPMP, paru dans Médiapart le 18 mars 2014, intitulé « Le secret professionnel en prison et les bonnes intentions » :
http://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/180314/le-secret-professionnel-en-prison-et-les-bonnes-intentions
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de ces projets de loi, l’ambition pour aborder ces questions ne semble pas au rendez-vous. La réforme pénale
n’évoque plus l’abrogation de la RS probablement pour faire passer la contrainte pénale et éviter à la Gauche
d’être considérée comme laxiste. Le rapport Robiliard sur la santé mentale et l’avenir de la psychiatrie, pourtant
élaboré après une consciencieuse mission d’information, ne montre pas le souffle nécessaire pour des réformes
courageuses et d’envergure.
L’abrogation de la rétention de sûreté serait pourtant pour le Gouvernement actuel l’équivalent de ce que fut
l’abolition de la peine de mort en 1981. Un acte honorable qui ferait date. Malheureusement, le changement
ne semble pas pour maintenant alors qu’il semble impossible que les Pouvoirs publics restent sourds au rapport
du CGLPL et ce qu’il révèle, surtout de la part de soignants, d’autant plus quand, en son temps, la critique de
la loi de rétention de sûreté a été aussi virulente et pertinente. Un autre changement important devrait être
attendu mais sera-t-il possible quand on voit la frilosité de la société et des psychiatres pour des solutions autres
que l’incarcération pour les personnes délinquantes mais souffrant de troubles mentaux ? Qu’en sera-t-il de ce
changement qui devrait être la suspension de peine pour raison psychiatrique. ?
La suspension de peine pour raison psychiatrique
La question de la suspension de peine appliquée aux personnes incarcérées souffrant de maladies mentales
est probablement un des points nodaux illustrant les conceptions de notre société relatives aux personnes
détenues. Les historiens des prisons dans les temps futurs se délecteront à loisir de nos conceptions rétrogrades
(scandaleuses ?) du début du XXIème
siècle. L’acception collective d’une exclusion supplémentaire des malades
mentaux, déjà souvent bien en marge de la société, est pratiquement unanime, alimentée par les psychiatres
eux-mêmes. L’exclusion de la maladie mentale de la suspension de peine pour raison médicale s’inscrit en toute
logique dans la création du secteur de psychiatrie en milieu pénitentiaire et annonce les UHSA. La collusion
des dates est d’ailleurs impressionnante. Mars 2002 : loi Kouchner et instauration de la suspension de peine ;
septembre 2002 : loi Perben et création des UHSA.
Au cours d’un colloque Santé/Justice qui s’est tenu au ministère de la Santé le 26 novembre 2012, la question
de la suspension de peine pour pathologie psychiatrique (SPRP) a été soulevée avec insistance. La suspension de
peine pour raison médicale (SPRM) a été introduite par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à
la qualité du système de santé, dite loi Kouchner (Tableau 3). Le principe consiste à considérer que des personnes
dont l’état de santé est très détérioré ne peuvent rester en prison si leur pronostic vital est engagé ou si leur état de
santé est durablement incompatible avec la détention. L’exécution de la peine peut être suspendue mais non pas
annulée. Si la santé s’améliore un retour en prison est possible.
Une interprétation unanime restrictive (ou plutôt une autocensure) de la loi a conduit à considérer que les
personnes souffrant de troubles mentaux ne pouvaient bénéficier actuellement de suspension de peine pour raisons
psychiatriques contrairement aux personnes condamnées souffrant de maladies somatiques en s’appuyant sur la
dernière phrase du premier alinéa : « hors les cas d’hospitalisation des personnes détenues en établissement de
santé pour troubles mentaux ».
Sauf s’il existe un risque grave de renouvellement de l’infraction, la suspension peut également être ordonnée,
quelle que soit la nature de la peine ou la durée de la peine restant à subir, et pour une durée qui n’a pas à être
déterminée, pour les condamnés dont il est établi qu’ils sont atteints d’une pathologie engageant le pronostic vital
ou que leur état de santé est durablement incompatible avec le maintien en détention, hors les cas d’hospitalisation
des personnes détenues en établissement de santé pour troubles mentaux.
Tableau 3. La suspension de peine pour raison médicale. Art. 720-1-1 du code de procédure pénale.
En décembre 2012, lors d’une visite à la prison de Fresnes, les ministres de la Santé et de la Justice annoncent
la constitution de deux groupes de travail relatifs aux problèmes de santé des détenus dont un sur la suspension
de peine pour raisons médicales. Ce groupe a travaillé de février à juin 2013 avec comme mission de proposer
des améliorations du dispositif global et de se pencher sur les motifs de l’exclusion des malades mentaux à la
suspension de peine. Le rapport du groupe de travail a été remis aux ministres en novembre 2013 mais n’a pas
encore été rendu public en avril 2014.
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L’enquête épidémiologique de Rouillon et Falissard réalisée en 2003/2004 estime que 8 hommes sur 10 et 7
femmes sur 10 présentent un trouble mental et que parmi ces personnes 35 % d’entre elles sont manifestement
malades ou gravement malades sur le plan mental. Le CGLPL déclarait en février 2013 devant la mission
d’information de l’Assemblée nationale sur « La santé mentale et l’avenir de la psychiatrie » que 17 000 personnes
détenues relevaient de la psychiatrie et au minimum 10 000 d’entre elles devraient être hospitalisées sur près de
70 000 détenus. Des remontées du « terrain » plus difficilement quantifiables font état, notamment en maisons
centrales et centres de détention, de situations dramatiques de personnes souffrant de psychoses graves et dont
l’état devrait être considéré comme incompatible avec la détention.
Très précisément, l’arrêt G. contre France du 23 février 2012 de la Cour européenne des droits de l’homme6
a
nettement précisé les limites du soin psychiatrique en prison et mis en évidence un « parcours de soin » (si on peut
l’appeler ainsi) totalement inadapté. Il en est résulté une condamnation de la France pour traitement inhumain et
dégradant. La lecture de cet arrêt vaut toutes les communications savantes ou discours pompeux sur le sort réservé
à un certain nombre de malades mentaux incarcérés.
Il s’agit de s’interroger sur la compatibilité d’une personne souffrant de troubles mentaux avec la détention
qu’elle soit prévenue ou condamnée et d’envisager soit une suspension de peine, soit une peine alternative à
l’incarcération et compatible avec son état mental et qui ait un sens pour elle. Il faut d’ailleurs remarquer que
l’exclusion à la suspension de peines concerne aussi bien les malades mentaux que les prévenus7
.
Quelques hypothèses sur les motifs de déni ou de scotomisation de l’usage de la
suspension de peine pour raison psychiatrique
Un consensus semble avoir existé depuis 2002 sur la non accessibilité à la suspension de peine pour raisons
psychiatriques. La phrase qui considère que la SPRM ne s’applique pas aux personnes détenues hospitalisées en
établissement de santé pour troubles mentaux a été interprétée comme s’avérant inutile d’accorder une SP pour
troubles mentaux puisqu’il suffirait de les hospitaliser dans un hôpital psychiatrique.
Pourtant la phrase peut aussi être lue autrement : « la suspension de peine est impossible uniquement QUAND
la personne est hospitalisée mais rien n’empêche de demander une suspension de peine quand elle n’est pas
hospitalisée ». Il faut espérer que le groupe de travail aura travaillé dans ce sens.
Il est particulièrement intéressant de s’interroger sur les motifs collectifs qui ont conduit à s’autocensurer pendant
plus de 10 ans sur la SPRP, même quand il était possible de s’approcher d’une solution. Ainsi, il m’est arrivé une
fois dans mon exercice professionnel de suivre le 4ème
alinéa de l’article D382 du CPP (Tableau 4) qui fait état de
l’incompatibilité du maintien en prison d’une personne du fait de son état de santé sans précision sur la pathologie
concernée mais sans résultat probant.
En tout état de cause, si ces médecins estiment que l’état de santé d’un détenu n’est pas compatible avec un
maintien en détention ou avec le régime pénitentiaire qui lui est appliqué, ils en avisent par écrit le chef de
l’établissement pénitentiaire. Ce dernier en informe aussitôt, s’il y a lieu, l’autorité judiciaire compétente.
Tableau 4. Article D382 du code de procédure pénale.
Plusieurs raisons peuvent être avancées pour expliquer ce déni collectif :
La « spécificité » de la psychiatrie, seule discipline médicale où l’on peut « soigner » sans leur consentement des
personnes qui souffrent de troubles mentaux. Considérant qu’en cas de troubles mentaux, il est possible depuis
près de deux cents ans d’hospitaliser des personnes détenues dans des hôpitaux psychiatriques, cette option
semblait satisfaisante pour traiter ces situations particulières.
6. http://www.cncdh.fr/fr/publications/arret-g-c-france
7. CHALOT Chloé, La suspension médicale de peine à l’épreuve des droits fondamentaux ayant présidé à son adoption, Mémoire de Master II
Droit de l’exécution des peines et Droits de l’Homme, promotion 2012-2013, Université Montesquieu Bordeaux IV, septembre 2013.
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Le pronostic vital en psychiatrie. Il peut paraître moins évident que le pronostic vital puisse être engagé pour
une personne souffrant de troubles mentaux. Toutefois, le suicide est souvent l’aboutissement d’un processus
mélancolique ou schizophrénique. Mais les représentations sociales n’appréhendent pas l’aboutissement d’un
processus morbide de la même manière selon qu’il s’agit de pathologies somatiques ou psychiatriques.
Motif socio-économique. Une autre raison, peu glorieuse, socio-économique, consiste à considérer que le
« coût » d’une personne incarcérée est bien inférieure à celui d’une personne hospitalisée ou relevant de moyens
importants mis autour d’une alternative à l’incarcération.
Motif sécuritaire. La neutralisation de la dangerosité potentielle des personnes paraît plus efficace en prison qu’à
l’hôpital ou a fortiori en milieu ouvert non hospitalier. Ce motif est probablement celui qui prime actuellement. On
se demande bien d’ailleurs pourquoi le législateur aurait pris soin de préciser que la SPRP n’était impossible qu’au
temps de l’hospitalisation, une période finalement tellement courte dans l’ensemble du parcours d’exécution de
peine des personnes détenues.
La difficulté à monter un projet de soin durable du fait de la réversibilité de la suspension de peine. Le risque
d’un retour en prison en cas d’amélioration de l’état psychique est une réelle entrave à un projet de soin à moins
de trouver un aménagement légal.
Motif institutionnel psychiatrique. L’évolution (involution pour certains facteurs) progressive et inéluctable (?) de la
psychiatrie qui se manifeste au-travers de multiples facteurs :
- La diminution drastique des lits d’hospitalisation complète.
- L’ouverture sur l’ambulatoire insuffisamment développée pour compenser la fermeture des lits.
- La féminisation des équipes.
- La perte du sens thérapeutique individualisé au profit de protocoles et de procédures.
- La fonte des moyens humains dédiés au relationnel et réorientés sur les tâches gestionnaire, bureaucratique et
informatique (combien de patients ne disent-ils pas qu’infirmiers et médecins passent le plus clair de leur temps
devant leurs ordinateurs et non à s’occuper directement d’eux).
- La recherche de responsabilisation excessive dans un contexte ultra sécuritaire.
- La transformation d’un lieu de soin en hôpital commercial devant être managée comme une entreprise de
service.
- Les repères bouleversés par la loi HPST.
- L’absence de perspective donnée au concept du Secteur8
(sans qu’il soit proposé une meilleure alternative).
- Les modifications des formations spécifiques des psychiatres et des infirmiers ont conduit à oublier la
philosophie intégrative du Secteur.
- Etc.
Les personnes détenues deviennent exclues de ce dispositif global pour intégrer un secteur sur mesure intra-muros
- le secteur de psychiatrie en milieu pénitentiaire - lieu où l’on soigne mais pas lieu de soin9
, et il serait bien naïf de
croire que ce montage spécifique, permette de travailler facilement à des articulations dedans-dehors.
Quels pourraient être les motifs de suspension de peine ou d’aménagements de
peine pour raison psychiatrique ?
Dans de rares cas, le pronostic vital pourrait être engagé comme il l’a été déjà signalé supra, dans les conduites
suicidaires s’inscrivant dans une pathologie psychiatrique grave (schizophrénie, mélancolie) et non évidemment
dans toutes les situations de tentatives de suicide, qui très souvent ne relèvent pas de la psychiatrie10
.
8. Même si le récent rapport Couty insiste sur l’importance du concept de Secteur mais qui devrait être relancé selon le rapporteur sous la forme
d’un « Secteur rénové ».
9. Lécu Anne : « La prison un lieu de soin ? », Editions Les Belles lettres. Décembre 2012.
10. Les « situations suicidaires » en milieu pénitentiaire conduisent trop souvent à des hospitalisations d’office D398 alors que les mêmes
situations en « droit commun » sont traitées par des hospitalisations en service libre ou en soins psychiatriques à la demande d’un tiers
(SPDT, ex HDT/hospitalisation sur demande d’un tiers), créant ainsi dans l’histoire de la personne des antécédents lourds d’hospitalisation
d’office (maintenant soins psychiatriques sur demande du représentant de l’Etat/SPDRE). Les UHSA, sur ce point, représentent une avancée
en permettant des hospitalisations en service libre (mais pas en SPDT) mais rien n’empêche qu’il aurait pu être imaginé une possibilité
identique en milieu psychiatrique ordinaire…
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L’incompatibilité durable avec la détention serait le motif le plus souvent retenu et peut s’envisager sous deux
angles :
Les caractéristiques d’une pathologie grave seraient un motif important de suspension de peine pour raisons
psychiatriques car rendant insupportables les conditions de détention pour la personne malade mais aussi pouvant
fortement perturber le fonctionnement de la vie pénitentiaire que ce soit pour les codétenus ou pour le personnel
pénitentiaire, sans parler des soignants qui doivent prodiguer des soins dans des conditions peu adaptées à ces
pathologies.
Le sens de la peine peut être devenu complètement hermétique pour la personne, voire a pu être incompréhensible
dès l’incarcération. Il est d’ailleurs paradoxal, alors que les expertises psychiatriques posent justement la question
de l’accessibilité à une sanction pénale que l’ajustement de l’état psychique de la personne à la sanction ne
permette pas la suspension de peine pour raison psychiatrique.
Quelle procédure pour la suspension ou les aménagements de peine pour raisons
psychiatriques ?
La procédure devrait être identique à celle pour raisons somatiques. Le signalement du psychiatre traitant (ou
d’autres personnes qui ont un intérêt pour la personne) au JAP (Cf. également le 4ème
alinéa de l’article D382 CPP
– Tableau 4) pourrait prendre la forme d’un certificat médical circonstancié. Il conviendrait toutefois d’apprécier la
recevabilité de cette démarche par les professionnels de terrain.
Une expertise doit suivre en posant les questions très précises sur la capacité de la personne à vivre en prison et sur
les soins dont elle doit bénéficier. Ces questions devant être également posées lors des expertises présententielles
en faisant en sorte que la question de la compréhension du principe de la sanction pénale puis de celle qui est la
plus adaptée en cas d’altération du discernement ou bien qui est contre-indiquée (ces considérations impliquent
que les experts soient bien informés du contexte carcéral des diverses modalités d’exécution des peines).
Les UHSA, dont ce n’est pas la mission, ne doivent pas être vues trop facilement comme une solution, ce qui
est malheureusement toujours à craindre. A l’instar des UHSI, elles ne doivent pas être considérées comme des
lieux de soin de longue durée, même si la tentation est grande de les transformer en UHSA de long séjour comme
l’envisageait un travail parlementaire en 2006 : « Ensuite, la commission n’a pas jugé souhaitable de s’engager
dans la voie des centres de protection sociale proposée par la commission Santé-Justice et a suggéré la mise en
place d’unités spécifiques pour les délinquants dangereux atteints de troubles mentaux. Ces derniers pourraient
être accueillis pendant la durée de leur peine et au-delà, si leur état le nécessite, dans des structures hospitalières
qui pourraient constituer des unités hospitalières spécialement aménagées de long séjour »11
. Les soins en UHSA
restent des soins en détention et il convient d’examiner ici une incompatibilité durable du maintien en détention
pour raison de santé. Il faudrait se méfier que les UHSA, permettant l’hospitalisation, ne soit pas un argument pour
éviter la suspension de peine du fait de l’hospitalisation.
Quelles sont les pathologies concernées ?
Il ne s’agit que d’indications car pour chaque maladie, la gravité peut être variable. Il ne faudra de toute façon
considérer que les atteintes sérieuses, durables et probablement irréversibles pour que la question d’une
suspension de peine soit posée. Les principales pathologies concernées sont les schizophrénies ; psychoses ;
troubles graves de l’humeur ; mélancolies ; déficiences mentales, etc.
Il conviendrait de faire un recensement établissement pénitentiaire par établissement pénitentiaire pour évaluer
le nombre de situations concernées (pour vérifier les chiffres avancés par le CGLPL) avec une analyse détaillée
prenant en considération de nombreux indicateurs, par exemple sans exhaustivité : les différentes expertises, le
11. Goujon P. et C Gauthier C., Rapport d'information du Sénat sur les mesures de sûreté concernant les personnes dangereuses, 22 juin 2006.
L E S Y N D I C A T D E S P S Y C H I A T R E S D E S H Ô P I T A U X 21
nombre d’altérations du discernement, les HO (SDRE) D398, les admissions en SMPR, en UHSA, les consultations
ambulatoires, les liens familiaux et sociaux existants ou perdus, les incidents en détention, la vie en prison, etc.
Ces situations pathologiques ont pu ne pas être repérées au moment de l’entrée en détention par défaut
d’expertise. Pour de nombreuses raisons, elles ont pu aussi ne pas être identifiées au cours de l’expertise. Des
décompensations ou des apparitions de pathologies peuvent également survenir en cours de détention, a fortiori si
l’emprisonnement s’étend sur de nombreuses années.
Que font les ministres ?
Le fait que la suspension de peine pour raisons psychiatriques est légalement possible peut avoir des conséquences
importantes qu’il faudra anticiper, d’autant plus que les aménagements de peine pour les mêmes motifs pourraient
être plus fréquemment demandés.
Si la contrainte pénale proposée dans le cadre du projet de loi dit Taubira relatif à la prévention de la récidive
et à l’individualisation des peines est retenue, elle s’accompagnera probablement d’une montée en charge du
suivi socio-judiciaire avec injonction de soin que la psychiatrie devra prendre en charge, après espérons-le une
sérieuse évaluation expertale. Ces mesures impliquent que le milieu ouvert devra accueillir des personnes qui
pourront parfois présenter une dangerosité certaine, ce qui représente un enjeu important, des difficultés certaines
et multiples et un coût probablement important. Des études seraient à mener pour apprécier l’impact de la
suspension de peine et des aménagements de peine pour raisons psychiatriques qui doivent s’appliquer pour des
raisons d’équité, de dignité et de sécurité (Tableau 5).
Dès maintenant, ce « scotome » étant levé, il sera intéressant de voir comment vont se saisir les psychiatres
exerçant en milieu pénitentiaire (et les avocats) de la possibilité de la suspension de peine pour raison
psychiatrique, ou vont-ils continuer à se satisfaire de l’absurde circuit pénitentiaire « sisyphien » de leurs patients
qui alternent désespérément entre détention ordinaire inadaptée, hospitalisation de jour en SMPR, SDRE D398 en
hôpital psychiatrique en chambre d’isolement ou en UHSA ?
PROPOSITIONS
1. Recenser les personnes condamnées pouvant relever de ces mesures (Etude épidémiologique, éventuellement
sous la forme d’un programme hospitalier de recherche clinique (PHRC) ou d’une recherche-action.
2. Insérer la réflexion sur la SPRP et les APRP dans la très attendue loi d’orientation pour la psychiatrie et la loi
relative à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines.
3. Lancer une concertation avec les professionnels impliqués à des niveaux différents pour étudier les
conséquences de la SPRP et des APRP : experts, institutions, ARS, organisations professionnelles, etc. Il s’agit
en effet d’organiser et de coordonner des parcours de soins complexes au niveau des territoires de santé.
4. Engager une réflexion sur les détails de la procédure pour les professionnels de santé :
- Contenu des missions d’expertise et leurs conditions de réalisation.
- Certificat médical circonstancié.
- Modalités pratiques de préparation et d’accompagnement des demandes, etc.
5. Information large de la population sur le sujet.
Tableau 5. Propositions
Il serait souhaitable pour l’instant de privilégier les aménagements de peine aux suspensions de peine car plus
sécurisantes et pérennes que les suspensions de peines, sauf à considérer que le temps de suspension de peine soit
pris en considération pour atteindre le moment où la peine sera aménageable en espérant que le groupe de travail
ait envisagé cette possibilité.
L E S Y N D I C A T D E S P S Y C H I A T R E S D E S H Ô P I T A U X22
En avril 2014, les décisions ministérielles se font attendre mais la pusillanimité politique risque encore de
se manifester. Après évocation de ces sujets en mars 2014 dans la presse, la ministre de la Santé parle de la
suspension de peine pour raison psychiatrique comme étant seulement une piste de travail (Tableau 6. Dépêche APM).
Mardi 18 février 2014 - 14:48
Suspension de peine pour troubles psychiatriques : seulement une piste de travail parmi d’autres (cabinet de
Marisol Touraine)
PARIS, 18 février 2014 (APM) - Le cabinet de la ministre des Affaires Sociales et de la Santé, Marisol Touraine,
a indiqué à l’APM que l’idée de suspendre les peines des détenus atteints de troubles psychiatriques n’était
qu’une piste de travail parmi d’autres et émanait de documents de travail non finalisés.
Lundi, le quotidien La Croix a fait état des conclusions d’un rapport du groupe de travail « santé-justice », mis
en place par la ministre de la Justice, Christiane Taubira et Marisol Touraine, qui préconiserait de suspendre les
peines de prison des détenus atteints de troubles psychiatriques (cf. APM MHRBH001).
Contacté par APM, le cabinet de Marisol Touraine a confirmé mardi que deux groupes de travail « santé-justice »
avait été lancés en décembre 2012. L’un se penche sur les aménagements et suspensions de peines pour raison
médicale et l’autre sur la réduction des risques infectieux en milieu carcéral. Les deux groupes ont été installés
le 20 février 2013, a précisé le cabinet.
Il s’agit de groupes de travail « internes » et les travaux évoqués dans la presse sont des documents de travail ou
pré-rapports non finalisés et n’engagent « en aucun cas la ministre », a fait remarquer le cabinet.
Il a ajouté qu’il n’y avait pas de calendrier défini pour ces groupes de travail et que la proposition citée dans la
presse était une piste de travail parmi d’autres.
Tableau 6. La SPRP « une piste de travail » (Dépêche APM)
Quel constat sur les soins en prison ?
Indéniablement, la création du secteur de psychiatrie en milieu pénitentiaire en 1985 et le rattachement des
soins somatiques au service public hospitalier en 1994 ont facilité l’accès aux soins en milieu pénitentiaire au
point de favoriser l’incarcération de malades au motif que des soins sont possibles en prison. Les témoignages
sont nombreux de psychiatres s’offusquant de voir arriver dans les établissements pénitentiaires des personnes pour
lesquelles sur la notice de prévenu majeur est indiquée : « Admission au SMPR et examen psychiatrique urgent ».
Rappelons que l’admission ne peut être décidée par le juge mais par le médecin puis administrativement entérinée
par le directeur de l’établissement hospitalier. Certes, le juge peut avoir raison : l’examen psychiatrique est urgent vu
l’état délirant de la personne mais celle-ci aurait dû être orientée sur un hôpital psychiatrique plutôt qu’en prison.
Il existe donc un sérieux problème sanitaire dans les prisons. Le tri en amont est insuffisant le plus souvent par
défaut d’expertise psychiatrique, notamment lors des comparutions immédiates, et le phénomène ne peut que
s’aggraver du fait de la négligence par les Pouvoirs publics de la problématique de l’expertise. En quelques années,
le nombre d’experts inscrits sur les listes de cours d’appel serait tombé de 800 à 500. Le phénomène va s’amplifier
avec la diminution démographique attendue des psychiatres dans les prochaines années sans compter que de
nouvelles tracasseries administrativo-fiscales dont la TVA obligatoire s’annoncent à partir du 1er
janvier 2014.
Et qu’en est-il de la réalité du fonctionnement des dispositifs thérapeutiques ?
Il est impossible de se faire une idée précise du fonctionnement des soins en prison que ce soit pour les 26 SMPR
ou pour tous les autres dispositifs de soin psychiatrique relevant du secteur de psychiatrie générale. Impossible
également de connaître dans le détail les prestations offertes par chaque unité sanitaire et le positionnement
des ARS par rapport aux soins aux personnes détenues est très variable en fonction des personnes et des intérêts
locaux. En revanche, les témoignages me remontent souvent des difficultés qui surgissent ici et là et de l’isolement que
rencontrent tout particulièrement les petites équipes mais aussi les SMPR. Trois exemples pour illustrer mon propos.
Ainsi récemment, la chef de service d’un SMPR du nord de la France, récemment retraitée m’écrivait : « Notre
hôpital est dans un état de pénurie médicale effrayant et il n’y a plus de responsable au SMPR, des collègues de
L E S Y N D I C A T D E S P S Y C H I A T R E S D E S H Ô P I T A U X 23
psy adulte vont à tour de rôle effectuer une demi-journée de consultation au SMPR. Nous en sommes au même
point, pour le SMPR, qu’au départ du précédent chef de service, c’est-à-dire 3 postes de PH TP vacants, dont 2 à
recrutement prioritaire. Pour le reste de l’hôpital, il y a beaucoup de postes vacants ».
La « sanctuarisation » des soins en prison peut aussi être mise à mal. Ainsi dans l’ouest de la France, un SMPR voit
une partie de ses lits d’hospitalisation colonisée par l’Administration pénitentiaire pour y héberger des personnes
détenues ne relevant pas de soins mais qu’il faut bien loger quelque part du fait de la surpopulation carcérale.
Dans ce même établissement pénitentiaire, une note récente de la direction précise que les personnes détenues au QI ou
au QD ne seront pas prioritaires pour les mouvements vers le SMPR bien qu’elles représentent une population à risque.
En totale opposition avec ce manque de moyens assez fréquents, l’Administration pénitentiaire s’adresse à un
SMPR en lui demandant de répondre aux questions suivantes : « 1) les modalités précises de prise en charge mises
en place concernant le public spécifique des AICS (groupe de parole, entretien individuel, activité particulière,
diffusion de vidéo, rencontre victime...) ; 2) le nombre et la qualité des intervenants ; 3) les délais éventuels
d’attente pour la mise en place d’un suivi ; 4) l’intervalle entre les entretiens... ».
Et il ne s’agit que d’exemples « grossiers » mais le diable étant dans les détails, il faudrait des heures pour citer
tous les dysfonctionnements que l’on peut rencontrer ici et là et pas seulement des problèmes de locaux ou
d’effectifs mais aussi de pratiques éthiques hautement discutables. Ce n’est pas étonnant, tellement le système
carcéral est déstabilisant. Vouloir une organisation sanitaire « parfaite » est un déni de la réalité carcérale : un soin
psychothérapeutique en prison est l’équivalent pour un psychiatre de la désinfection d’une plaie par le somaticien
avant de renvoyer le malade dans un milieu septique.
Quelques propositions
La place des soignants en prison doit être exclusivement thérapeutique et non expertale et leur indépendance
professionnelle par rapport à l’Administration pénitentiaire et la Justice doit être garantie. Le secret professionnel
ne devrait souffrir d’aucune exception.
Les soins en prison devraient avoir des objectifs modestes adaptés au milieu pénitentiaire. Ils se rapprochent
davantage, en exagérant le trait, de la psychiatrie de guerre plutôt que la psychiatrie en milieu libre. Il conviendrait
donc qu’ils ne se cantonnent qu’au niveau 1, c’est-à-dire à la consultation et d’une sensibilisation à l’approche
psychiatrique pour une population qui n’en n’a comme idée que les plus rudimentaires préjugés : « La psychiatrie,
c’est avant tout pour les fous ou au moins pour se prodiguer les tranquillisants pour faire son temps ou se livrer
à un troc de survie ». Il est inutile de développer des moyens qui ne pourront être utilisés. Ainsi dans certains
endroits, des équipes ont été renforcées pour le traitement des AVS mais les professionnels n’ont pas toujours les
bureaux pour consulter ou constituer des groupes (le problème des locaux et de l’espace en prison est criant et
souvent insoluble). Le niveau 2 « pseudo hospitalisation de jour » est essentiellement un dispositif permettant de
maintenir des personnes souffrant de graves troubles mentaux en prison, sous prétexte qu’ils consentent aux soins.
La réaction essentielle au film de Régis Sauder « Etre là » tourné au SMPR de Marseille aux Baumettes devrait être
une interrogation réprobatrice : « mais que font ces gens-là en prison ? ».
Dans une optique d’appréciation de l’opportunité de soins en prison et des moyens à y apporter, une évaluation
sérieuse de la première tranche des UHSA devrait être faite avant de lancer la deuxième tranche et pourtant
annoncée par les pouvoirs publics (Circulaire interministérielle DGOS/R4/PMJ2/2011/105 du 18 mars 2011
relative à l’ouverture et au fonctionnement des unités hospitalières spécialement aménagées). Ce projet très
coûteux peut contribuer à la création d’une filière ségrégative. Il sera vite encombré, sans oublier la nécessité
d’assurer un égal accès aux soins sur tout le territoire français sans oublier les pays d’Outre-Mer. Pour des raisons
multiples, une forme de pensée unique semble circuler dans les milieux autorisés (comme dirait Coluche) pour
considérer que les UHSA sont une merveilleuse idée. A vérifier au moins. Cette évaluation ne devrait pas faire peur
aux zélateurs des UHSA, bien au contraire.
Un pilotage par le ministère de la santé des soins en prison doit être sérieusement mené. La chef de projet
responsable des soins aux personnes détenues en poste à la DGOS depuis plusieurs années a été nommée sur un
autre poste durant l’été 2013. Ce poste a été pourvu début 2014 mais au niveau de la DGS et non plus au niveau
de la DGOS. Ce pilotage sera important à la fois dans le cadre de l’élaboration de la future loi de santé, avec un
volet psychiatrique qui est annoncée pour 2015 et à la fois pour suivre les répercussions sur les dispositifs de soin
L E S Y N D I C A T D E S P S Y C H I A T R E S D E S H Ô P I T A U X24
de la création de la contrainte pénale qui pourra s’assortir de soins pénalement ordonnés dans le cadre de la loi sur
la prévention de la récidive et l’individualisation de la peine.
Il convient de s’interroger sur l’utilité de la multiplication de groupes de travail comme par exemple celui relatif à
une lourde enquête sur le financement des unités sanitaires menées au printemps dans le plus grand désordre, avec
des consignes contradictoires et dont les conséquences sont redoutées quant à l’attribution des moyens.
La psychiatrie doit sérieusement étudier les dispositifs à mettre en place pour assurer les obligations et injonctions
de soins dont le volume pourrait augmenter (contrainte pénale et suspension de peine). Une évaluation rigoureuse,
établissement pénitentiaire par établissement pénitentiaire, des personnes susceptibles de bénéficier d’une
suspension de peine pour raison psychiatrique s’avère incontournable.
Pour sa part, le SPH lors de son Assemblée générale d’octobre 2013, suite à un atelier intitulé : « Pour une OPA
amicale de la psychiatrie générale sur la psychiatrie en milieu pénitentiaire », a voté une motion où le SPH s’engage
sur plusieurs points (Tableau 6).
L’AG du SPH avait rappelé à Lyon en 2012 que l’organisation de la prise en charge psychiatrique des personnes
sous main de justice (PPSMJ) constituait un problème majeur de santé publique :
- L’organisation de la psychiatrie en milieu pénitentiaire conduit généralement à une filière ségrégative.
Pour trouver une issue à cette situation, l’ensemble des dispositifs de soins psychiatriques doit
s’articuler étroitement avec les dispositifs sectoriels de psychiatrie.
- Une évaluation globale préalable du fonctionnement de la première tranche des unités hospitalières
spécialement aménagées (UHSA) est indispensable avant toute création nouvelle. L’hospitalisation
des personnes détenues dans le secteur de psychiatrie générale devrait être maintenue en dotant les
services hospitaliers des moyens nécessaires à des soins de qualité.
- Le nombre et la nature des soins ambulatoires sous contraintes judicaires (injonctions et obligations de
soin) doivent bénéficier d’un relevé et d’une évaluation tant nationale que régionale afin d’apprécier
les charges, modalités et incidences qui en découlent.
A l’AG de Nantes en 2013, le SPH poursuit sa réflexion pour permettre une prise en charge des personnes
sous main de justice dans la continuité de la motion retenue à Lyon et dans le cadre de la réflexion à venir
sur l’organisation globale de la psychiatrie, notamment les personnes détenues, dans un parcours de soin
coordonné en recherchant la complémentarité des pratiques professionnelles et institutionnelles.
- Il entend mener des actions pour aider les professionnels de la psychiatrie à répondre au mieux à la
prise en charge des soins pénalement ordonnés, dans le respect de l’indépendance du praticien, les
obligations et injonctions de soin.
- Le SPH suivra attentivement les résultats du groupe de travail sur la suspension de peine pour raison
médicale en exigeant que l’équité soit rétablie afin que les personnes souffrant de troubles mentaux,
prévenues comme condamnées, puissent bénéficier d’une suspension de peine selon les mêmes
modalités que pour les personnes souffrant d’affections somatiques.
- Il sera attentif à ce que les conséquences de ce droit conduisent à octroyer les moyens nécessaires à
ces prises en charge ainsi que celles découlant de la future réforme pénale.
- Il poursuit sa demande d’une évaluation de la première tranche des UHSA qui devra comporter
notamment l’accès des personnes détenues à l’ensemble du dispositif de soins notamment hospitalier.
Tableau 6. Motion du SPH – Nantes 2013
Pour conclure
Il faut changer de modèle et rechercher des prisons non surpeuplées, aux conditions de vie « dignes », permettant
de mener une vie responsable pour reprendre l’expression de l’article 1 de la loi pénitentiaire, réservées aux
personnes ayant commis les faits les plus graves (et pas forcément éternellement « dangereuses »).
Les soins doivent prendre en compte le contexte carcéral et ses limites. Des alternatives à l’incarcération sont à
rechercher avec des soins si nécessaire aux indications bien posées et pratiquement réalisables en prenant en
compte les dispositifs de soins réellement disponibles.
L’organisation sanitaire qui a collé à l’évolution du système carcéral devra se déconstruire si par le plus grand des
hasards la prison prenait une orientation « réductionniste ».

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Les soins en prison chronique d’un malentendu

  • 1. L E S Y N D I C A T D E S P S Y C H I A T R E S D E S H Ô P I T A U X 7 Les soins en prison : chronique d’un malentendu Michel DAVID Bureau national SPH, secrétariat à la psychiatrie en milieu pénitentiaire Quand en 1985, le secteur de psychiatrie en milieu pénitentiaire a été créé avec son unité pivot, le service médico- psychologique régional (SMPR), l’idée semblait s’imposer à tout le monde. Il fallait prodiguer des soins au plus près du « lieu de vie » des personnes détenues qui avaient droit à des prestations sanitaires comme tout le monde, bien que l’idée d’un secteur de psychiatrie dans un lieu « pseudo-asilaire » s’éloignât quelque peu de l’idée déségrégative de la psychiatrie de secteur. Malheureusement, en trente ans, une psychiatrie entièrement à part s’est mise en place créant d’atypiques « hôpitaux de jour » en SMPR qui bien souvent cautionnent la place des malades mentaux en prison. Ils instaurent un espace de mise à l’écart de la détention ordinaire, souvent pour de très longues périodes, des personnes détenues malades. Leur fonction essentielle permet de soulager l’administration pénitentiaire des sujets agités et perturbateurs, pour reprendre une terminologie archaïque que l’on retrouve encore pour dénommer les unités pour malades agités et perturbateurs (les UMAP). Les UHSA ont suivi ensuite pour parfaire la belle et idéale construction sanitaire carcérale à trois niveaux à l’ambition égalitaire par rapport à l’organisation sanitaire en milieu libre. Elle épargne à la mauvaise conscience collective de se poser des questions sur l’adéquation de cette idéale construction théorique avec la réalité carcérale. Préférant cacher ces personnes malades mentales qu’elle ne saurait voir, la communauté psychiatrique a négligé de demander des suspensions de peine pour raisons psychiatriques. Les conclusions récentes d’un groupe de travail santé/justice mandaté par les ministres de la Santé et de la Justice a conclu, qu’en l’état, la règlementation permettait pourtant de les demander. L’exercice de la psychiatrie en milieu pénitentiaire est confronté à des chausse-trappes incessantes. Etre vigilant pour respecter les obligations du secret professionnel ou trouver l’attitude à adopter quand une personne détenue est placée en quartier disciplinaire (QD), sorte d’Ushuaïa de la pratique psychiatrique en prison qui vient d’ailleurs être sanctionnée dans un jugement d’un tribunal administratif, sont quelques exemples qui interrogent gravement notre pratique. Intervenir en prison devrait se limiter à de la consultation (niveau 1). Il faut arrêter de mettre en place de plus en plus de soins, si possible idéaux, alors que la prison est foncièrement à réformer. Jusqu’où va aller l’extension des soins « répressifs » quand on constate à la lecture du récent rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté que des psychiatres de SMPR proposent de soigner en prison des personnes relevant de la rétention de sûreté ? Si la société doit réfléchir au sens de la peine, les psychiatres (et pas seulement ceux exerçant en prison) ne doivent-ils pas commencer à se demander quel est le sens de leur action dans ce contexte carcéral indigne ? Au 1er mars 2014, 68 420 personnes sont détenues (proche du record de juillet 2013 : 68 569) dont 13 827 en surnombre soit une augmentation de 13 % en quinze mois et 1104 matelas sont posés au sol (augmentation dans la même période de 48 %)1 . Les contours d’un malentendu Un malentendu peut souvent aboutir à une situation intenable. Mais pourquoi un malentendu ? La psychiatrie en prison s’est implantée après la seconde guerre mondiale dans une optique initiale de dépistage des troubles mentaux pour aboutir à une organisation sanitaire actuelle à trois niveaux avec deux étapes clés : La création des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire en 1985. Le rattachement en 1994 des soins somatiques au service public hospitalier et l’affiliation de toutes les personnes détenues au régime général de la Sécurité sociale. 1 Tournier PV, Opale, mars 2014.
  • 2. L E S Y N D I C A T D E S P S Y C H I A T R E S D E S H Ô P I T A U X8 Les trois niveaux sont les suivants : Niveau 1 : consultation et activités thérapeutiques de groupe ; Niveau 2 : « hospitalisation de jour » dans les SMPR ; Niveau 3 : hospitalisation complète, soit en UHSA, en service libre ou en soins psychiatriques sur demande du représentant de l’État (SDRE), (ex HO D398), soit en attendant le développement complet du programme UHSA en établissement psychiatrique ordinaire sous le régime exclusif du SDRE (ex HO D398). Hors les situations d’hospitalisation sans consentement, les soins en prison ne peuvent être imposés et doivent être librement consentis. Aucune contrainte ne doit intervenir dans les soins puisque la prison est elle-même déjà une contrainte. Les soins restent et doivent rester un des rares espaces de liberté pour la personne détenue. A ce jour, on compte 26 SMPR tandis que les soins psychiatriques dans tous les établissements pénitentiaires dépourvus de SMPR (soit environ plus de 150) sont assurés par le secteur de psychiatrie générale. La philosophie globale du dispositif selon les Pouvoirs publics est d’assurer une offre de soins aux personnes détenues égalitaire par rapport à celle proposée à la population générale, d’où le malentendu car il est actuellement impossible de considérer les prisons comme un lieu où l’on peut pratiquer la médecine comme en milieu libre. Les marqueurs d’un malentendu Depuis environ dix ans, la volonté « politique » tente de faire évoluer les soins en prison d’une finalité sanitaire à une finalité sécuritaire sous l’affichage apparent de la belle organisation égalitaire de l’offre de soins à trois niveaux. En 2012, Catherine Paulet, chef de service du SMPR de Marseille, Gérard Laurencin, chef de service du SMPR de Toulouse et moi-même écrivions un article dans l’Information psychiatrique, intitulé : « Psychiatrie en milieu pénitentiaire : la loi de 1994 pourrait-elle être remise en cause par l’essor de la préoccupation sécuritaire et de l’évaluation de la dangerosité ? ». Nous y développions les constatations que l’indépendance professionnelle et le secret médical sont battus en brèche pour privilégier une mission « criminologique » d’évaluation de la dangerosité. Le droit à la confidentialité concernant la santé est une difficulté très pratique en prison du fait de l’absence d’intimité et du panoptisme carcéral structurel et malgré le rappel de ces principes essentiels à l’article 45 de la loi pénitentiaire de 2009 (Tableau 1). L’administration pénitentiaire respecte le droit au secret médical des personnes détenues ainsi que le secret de la consultation, dans le respect des troisième et quatrième alinéas de l’article L. 5-6141 du code de la santé publique. Tableau 1. Article 45 de la loi pénitentiaire de 2009 Qu’attend-on finalement des soignants ? Etre des conseillers siégeant dans les commissions pluridisciplinaires uniques et participant ainsi à l’exécution des peines ; Trier les arrivants en fonction de leur personnalité ; Repérer sans coup férir tous les dangereux ; Rendre compte des évolutions favorables ou défavorables des troubles de la personnalité ou des pathologies psychiatriques ; Faire état du détail des traitements entrepris, de leur évaluation, de l’observance compliante et sans faille des intéressés, de la fréquence des entretiens voire de leur durée ; Assumer la fonction de recruteurs de codétenus de soutien ; Cautionner le placement en quartier disciplinaire ; Prescrire les kits anti suicides et les réveils nocturnes répétitifs qui ne font qu’aggraver des états psychiques précaires ; Etc.
  • 3. L E S Y N D I C A T D E S P S Y C H I A T R E S D E S H Ô P I T A U X 9 On voit dans ces exemples que les missions des soignants tendraient à s’éloigner du soin pour devenir des experts officieux. Il n’a donc pas été étonnant que le combat a dû être acharné pour obtenir l’article 48 de la loi pénitentiaire de 2009 (Tableau 2). Entre le guide méthodologique de 2005, qui s’appuyait avec force sur la loi sanitaire du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé et maintenant, la régression est considérable. La déresponsabilisation de la personne détenue devient la règle. Quel bonheur si les certificats de suivi pouvaient ne pas passer par elle ! Il a failli en être ainsi avec la loi de programmation relative à l’exécution des peines de mars 2012. Il a encore fallu l’obstination des professionnels de santé pour faire gommer la disposition faisant transiter directement les certificats de suivi du médecin au juge sans passer par le patient. Ne peuvent être demandés aux médecins et aux personnels soignants intervenant en milieu carcéral ni un acte dénué de lien avec les soins ou avec la préservation de la santé des personnes détenues, ni une expertise médicale. Tableau 2. Article 48 de la loi pénitentiaire de 2009 Le quartier disciplinaire L’exemple du quartier disciplinaire (QD) est une bonne illustration d’une des situations les plus extrêmes de l’exercice de la médecine et de la psychiatrie en prison. Le tribunal administratif de Lille a rendu un jugement en février 2014. Il y était reproché au médecin « de ne pas avoir considéré l’état de santé comme étant incompatible avec cet encellulement (le QD) » tout en signalant également qu’il aurait fallu tenir compte des antécédents psychiatriques de l’intéressé qui avait été hospitalisé 8 jours en hospitalisation d’office, deux ans et demi avant son suicide… Des recommandations sur l’attitude du médecin par rapport au quartier disciplinaire sont consignées dans les deux guides méthodologiques de 2005 et 2012 mais ne peuvent répondre aux situations complexes du milieu pénitentiaire et notamment de l’injonction contradictoire dans laquelle se trouve le médecin : Soit donner un avis d’incompatibilité systématique pour le QD qui gêne l’administration pénitentiaire pour maintenir l’ordre carcéral quand elle doit punir les contrevenants ; Soit ne pas donner d’avis d’incompatibilité (mais sans donner pour autant un avis de compatibilité), mais ouvrant au risque suicidaire. Sans pouvoir détailler ici d’autres points de ce jugement, il faut toutefois remarquer en conformité avec le thème de cet article, que le jugement assimile la prison à un établissement hospitalier : « Considérant que dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d’un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d’obtenir une amélioration de son état de santé ou d’échapper à son aggravation… ». La messe est dite : avec les trois niveaux de soins en prison, une prison est consacrée comme un dispositif de santé dans l’organisation des soins hospitaliers. A quand la mutualisation des équipes infirmières et de surveillants ? Les injonctions de soins encourues : une obligation de soin qui avance cachée Un autre malentendu peut aussi contribuer à une situation intenable, qui se noue surtout entre soignants et magistrats, et plus particulièrement les juges d’application des peines et qui consiste au développement des « injonctions de soins encourues ». L’injonction de soin créée par la loi de 1998, dans le cadre du suivi socio-judiciaire, semblait un progrès par rapport à l’obligation de soins car elle prévoyait une indication médicale proposée par l’expert psychiatre. Malheureusement, par probable défaut d’expertise initiale, s’est développé un automatisme « infractions relevant d’une IS et IS ». Sans indication médicalement posée, les personnes détenues relevant d’une injonction de soins encourue sont orientées vers le psychiatre et en l’absence de soin, les remises de peine ne seront pas accordées. Les services sanitaires se trouvent encombrés par des demandes de soins factices pour permettre l’octroi des remises de peine. Si les médecins ne posent pas l’indication de soins ou si les délais avant consultation sont trop longs ou les consultations trop espacées, les aménagements de peine ou les réductions de peine peuvent être ajournés ou rejetés sans que cela soit dû à la négligence ou à la mauvaise volonté de la personne condamnée. A noter qu’il s’agit encore d’une assimilation insidieuse psychiatre traitant/psychiatre expert puisque le code de
  • 4. L E S Y N D I C A T D E S P S Y C H I A T R E S D E S H Ô P I T A U X10 procédure pénale évoque le médecin qui « estime » un traitement sans préciser qu’il doit s’agir d’un expert : « Sans préjudice des dispositions de l’article 763-7, le juge de l’application des peines peut proposer à tout condamné relevant des dispositions de l’alinéa précédent de suivre un traitement pendant la durée de sa détention, si un médecin estime que cette personne est susceptible de faire l’objet d’un tel traitement » (art. 717-1 du CPP). L’écrin de la psychiatrie en milieu pénitentiaire : les UHSA Le malentendu a pu aussi se nouer entre les psychiatres eux-mêmes, en constituant insidieusement un clivage entre les psychiatres exerçant en prison (notamment ceux travaillant dans les SMPR) et ceux exerçant en secteur de psychiatrie générale. Cet éloignement a abouti aux UHSA du fait que les personnes détenues sont devenues des personae non gratae dans les hôpitaux. La question se pose donc de la création d’une filière ségrégative d’où le thème des 23èmes rencontres annuelles des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire du 21 et 22 novembre 2013 à Lille : « Du traitement de droit commun au traitement d’exception : nouvelles filiarisations ». Si les soins en prison étaient vraiment devenus un traitement d’exception, comment peut-on concevoir leur nécessaire articulation avec les soins en milieu ouvert quand la libération sera venue ou en alternative à l’incarcération si la contrainte pénale est instaurée. Sur les UHSA, il serait vraiment indispensable d’en faire une évaluation. Pour suivre dans ma région l’ouverture de l’UHSA de Rennes (en septembre dernier), je suis assez abasourdi de la difficulté d’organisation que nécessite une admission en UHSA (sans parler des horrifiques discussions pour construire le projet). Dans le projet initial des UHSA, il était prévu, toujours dans l’optique de la philosophie égalitariste entre soins carcéraux et extra carcéraux, que l’hospitalisation en UHSA suivrait les mêmes modalités que celle du milieu ouvert : soins libre ; soins sur demande d’un tiers ; soins sur demande du représentant de l’Etat. Les soins sur demande d’un tiers, qui comportent la notion de solidarité, ont disparu et confirme ainsi la désaffiliation du sujet d’avec le reste de la société et son isolement social. L’usine à gaz que représentent les UHSA s’illustre avec les avatars de la loi du 5 juillet 2011 et sa réforme du 27 septembre 2013 car il a fallu y préciser que l’hospitalisation pouvait s’y faire en service libre. Il semble que la possibilité n’en n’était pas évidente juridiquement (c’est étonnant, la rédaction de la loi du 5 juillet 2011 est pourtant d’une simplicité qui n’a échappé à personne) bien que d’application concrète dès l’ouverture de la première UHSA à Lyon en 2010 avec plus de 50 % des hospitalisations en UHSA qui se font en soins libres. L’éloignement de la famille qu’imposent le plus souvent les UHSA est aussi un problème important alors qu’une hospitalisation de proximité devrait en théorie l’éviter. En théorie seulement, car la crainte des services hospitaliers de recevoir des détenus est telle que l’hospitalisation en est devenue indigne d’où la création des UHSA… Si la réforme de la loi de 2011 a dû clarifier les hospitalisations libres en UHSA, elle a engendré un nouveau malentendu avec l’introduction de lieux d’hospitalisation imprécis pour les personnes détenues dénommées « unité adaptée » ou « structure adaptée » et avec la disparition de la référence aux unités pour malades difficiles (articles 12 et 13 de la loi du 27 septembre 2013). La lecture de la nouvelle mouture a même pu faire comprendre que l’hospitalisation en hôpital psychiatrique pouvait se faire sur le mode des soins libres, ce qui serait une révolution.
  • 5. L E S Y N D I C A T D E S P S Y C H I A T R E S D E S H Ô P I T A U X 11 Rétention de sûreté : le scandale continue et s’amplifie Cette confusion des institutions et des missions s’illustre tristement et scandaleusement autour de la question de la rétention de sûreté. Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) a consacré un rapport sur le centre socio-médico-judiciaire de sûreté (CSMJS) daté du 16 décembre 2103 qui dans le présent texte sera dénommé plus abruptement « centre de rétention de sûreté » (CRS) et qui a été suivi d’un avis publié au Journal officiel le 6 février 2013 relatif à la mise en œuvre de la rétention de sûreté et paru « par hasard » au JO le 25 février 20142 , soit six ans exactement après la loi du 25 février 2008. Il est important de noter que le CGLPL signale que son avis « a été élaboré sur le fondement du rapport et des réponses qui y ont été apportées. Il a été porté à la connaissance de la garde des sceaux, ministre de la Justice, et de la ministre des Affaires Sociales et de la Santé, par lettres du 6 février 2014 ; aucun des deux ministres n’a fait connaître d’observations3 » (JO1-2). Il est tout aussi important de relever que le CGLPL rappelle que son activité s’intéresse à la prévention des atteintes aux droits fondamentaux des personnes retenues (JO1-1) et ses attributions seront justement interrogées eu égard à certaines propositions étonnantes notées dans son rapport. Si la présente analyse se concentrera sur les remarques du rapport relatives aux soins, il convient de préciser que se fait trop attendre l’abolition de la loi de rétention de sûreté (RS), pourtant annoncée par la Ministre de la Justice aux Journées nationales du Génépi à Palaiseau en décembre 2012, sans oublier tout le « bien » qu’en disaient les parlementaires de gauche quand elle fût adoptée en 2008 et qui les avaient conduit à saisir le Conseil constitutionnel avec notamment les arguments suivants4 : La RS constitue un complément de peine revêtant le caractère d’une sanction punitive. La RS porte atteinte au principe de légalité des délits et des peines car elle ne sanctionne aucune infraction et n’est pas limitée dans le temps. La RS violerait le principe de nécessité des peines car il existerait des alternatives à la RS (dont le suivi socio-judiciaire). La RS prive de liberté, viole la présomption d’innocence, l’autorité de la chose jugée et néglige le fait que l’on ne peut juger quelqu’un deux fois pour la même chose (principe non bis in idem). La RS créé un enfermement « sans aucun terme prévisible » disproportionné. La RS repose sur l’évaluation de la dangerosité qui présente trop d’incertitude pour justifier une privation de liberté. La RS constitue une détention arbitraire et une atteinte à la dignité de la personne humaine. La RS ne peut s’appliquer à des faits commis antérieurement à la promulgation de la loi. Que se passe-t-il quand on penche du côté du pouvoir ? Ces judicieux arguments ont-ils perdu de leur valeur et de leur force ? Une amnésie collective a-t-elle frappé les gouvernants ? Le réalisme électoral et la peur de passer pour des laxistes obligent-ils à renoncer à ces principes essentiels (les parlementaires n’évoquaient quand même rien de moins qu’une atteinte à la dignité humaine) ? D’autant plus que le CGLPL rappelle que le Conseil constitutionnel a jugé que la rétention de sûreté n’était pas une peine au sens du code pénal mais que la Cour européenne des droits de l’homme a émis un avis contraire pour une mesure équivalente du code pénal allemand (JO2-7). L’opinion d’une des quatre personnes placées au centre de rétention de sûreté confirme la pénibilité du placement en centre de rétention : « Il (monsieur C) a fait valoir que son placement en CRS avait été très pénible « pire que la prison » car il y était seul avec de temps en temps une infirmière ou un surveillant et pour seul activité un ordinateur dont il ne savait pas se servir » (RE11). Pourtant, le rapport du CGLPL ne devrait que confirmer l’urgence de la suppression de la rétention de sûreté qui ne conduit qu’à des ambiguïtés, rendant « aspects punitifs et préventifs indissolublement liés » (JO2-8), et des erreurs d’appréciation. Dans les dernières lignes d’un paragraphe très juridique de l’avis du JO (JO2-9), le CGLPL s’interroge sur la légitimité du motif ayant conduit au placement en rétention de sûreté ainsi que l’application de la RS dans le temps au regard de la doctrine de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle pose des questions de fond sur certains soins et horresco referens propose que les « retenus » soient « soignés » en prison que ce soit au sein d’un SMPR ou dans une UHSA, confondant détention et rétention, bien que l’avis au JO ne soit pas aussi tranché. Il est légitime de se demander si le CGLPL n’attendait pas une réaction politique qui n’est pas venue, hélas ! 2. Dans le présent texte le rapport d’enquête sera référencé RE suivi du numéro de la page (ex RE1) et l’avis au JO sera référencé JO suivi du numéro de page et du paragraphe (ex JO4-16). 3. Souligné par moi 4. Décision n°2008-562 DC du 21 février 2008, considérant 6.
  • 6. L E S Y N D I C A T D E S P S Y C H I A T R E S D E S H Ô P I T A U X12 Qu’est-ce que la rétention de sûreté ? Si on sacrifiait à la mode des micros-trottoirs en demandant ce qu’est la rétention de sûreté, il est certain qu’on obtiendrait des réponses évasives. Pour avoir testé la question dans mon milieu professionnel, les réponses sont régulièrement imprécises. La rétention de sûreté adoptée en 2008 concerne des personnes qui ont été condamnées à une peine d’au moins quinze ans pour certains crimes. A leur libération, si elles présentent « une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive parce qu’elles souffrent d’un trouble grave de la personnalité », elles peuvent, suite à une procédure complexe, être placées dans un CRS tant que le risque de récidive persiste et potentiellement jusqu’à ce que mort s’ensuive. En effet, pour que le risque de récidive soit nul, il faut que la « particulière dangerosité » (sa définition n’existe que dans les fantasmes de chacun) ait disparu ou que le trouble grave de la personnalité soit « guéri » ce qu’on ne sait pas faire ; personne ne peut raisonnablement avancer actuellement que l’on sait soigner (?), guérir (?), rééduquer (?), détordre (?), remodeler (?), etc. un trouble grave de la personnalité, tout du moins selon des méthodes démocratiques, mais on peut toujours s’appuyer sur les méthodes coercitives expérimentées dans les régimes totalitaires et leurs différents camps de rééducation (cf. infra, une remarque de Robert Badinter). Il ne s’agit bien évidemment pas de cela en France mais on verra que le concept hexagonal est pour le moins incertain et que le respect du droit ne semble pas la règle. Qui est concerné par la rétention de sûreté ? Les « retenus » sont donc des anciens condamnés à une peine d’au moins quinze ans de prison pour des crimes particulièrement graves d’atteinte à la personne. Lors de l’adoption de la loi, le président de la République et le gouvernement en souhaitait une application immédiate mais comme une loi pénale ne peut être rétroactive, elle ne pourra s’appliquer qu’en 2023, soit 15 ans après son adoption. Toutefois, pour satisfaire le désir du Prince, le Conseil constitutionnel, avec une habileté toute jésuitique, a coupé la poire en deux et a considéré que la rétention de sûreté pouvait être ordonnée si les personnes concernées ne respectaient pas les obligations de la surveillance de sûreté, notamment celles de suivre une injonction de soins (art. 706-53-19 du code de procédure pénale). Le CGLP cite les cas des quatre personnes qui ont été pour l’instant placées en CRS sur une période s’étendant de 2011 à 2013. Trois d’entre elles n’ont pas suivi l’injonction de soin à laquelle elles étaient condamnées. En France, une personne délinquante peut être condamnée à un soin et une personne non délinquante peut se voir imposer un soin psychiatrique sans son consentement (Lois du 5 juillet 2011 et du 27 septembre 2013). Enfin, on peut toujours essayer ! Et c’est bien ce que montrent ces trois situations. Si les personnes concernées, malgré le risque encouru, dont elles sont censées être conscientes, de se voir retenues après avoir été détenues, ne suivent pas les soins obligatoires, il convient de se poser la question de l’opportunité de ces soins. Leur indication a-t-elle été bien posée (en théorie par un expert psychiatre) ? Existe-t-il des thérapeutes disponibles, accessibles et compétents pour traiter de la particulière dangerosité et du trouble grave de personnalité ? La durée moyenne de séjour pour ces quatre personnes a été de 56 jours. Les mesures ont été rapidement levées par les juridictions. Deux personnes ont été placées sous surveillance électronique. Une troisième a vu ses obligations de surveillance de sûreté renforcées. La quatrième a été illégalement placée en rétention de sûreté puisqu’elle n’avait été condamnée qu’à une peine de dix ans, qu’une mesure de surveillance de sûreté ne pouvait lui être appliquée et donc que son non-respect ne pouvait être sanctionné par la rétention de sûreté. On voit dans ce dernier cas que l’application d’une loi « tordue » aboutit à une mesure « illégalement » prise. Pas étonnant que les citoyens de notre micro-trottoir ne pourraient rien répondre de précis à la rétention de sûreté si les magistrats eux-mêmes ne s’y retrouvent pas. Le CGLPL citant cette situation évoque sans ambiguïté une « privation de liberté irrégulière » (JO2-6). Analysant ces situations, le CGLPL s’interroge de manière très pertinente sur la « particulière » dangerosité de ces personnes du seul fait du non-respect des obligations qui leur étaient imposées (RE12). Il ne s’agit effectivement pas d’imposer la rétention de sûreté uniquement sur l’absence de respect des mesures de surveillance de sûreté mais il faut pouvoir établir l’existence de la fameuse « particulière dangerosité ». Le législateur a laissé au magistrat (?), au psychiatre (?), au conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation (?), à qui d’autre (?) le soin de la définir. Mais comment peut-on imposer une mesure à une personne pour un « état » qui ne connaît pas de définition consensuelle et précise ? Le CGLPL insiste en considérant que « l’absence d’estime de soi et les ressources
  • 7. L E S Y N D I C A T D E S P S Y C H I A T R E S D E S H Ô P I T A U X 13 intellectuelles limitées ne sauraient établir en elles-mêmes une manifestation et encore moins une aggravation de l’état de dangerosité » (JO2-10). Il semble d’ailleurs que dans deux cas sur quatre, la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté s’était prononcée défavorablement pour le placement en CRS (JO2-10). Aussi pourquoi placer des personnes en CRS si elles ne sont pas dangereuses alors que l’objectif du CRS est de faire en sorte que les personnes placées puissent en sortir en n’étant plus considérées comme dangereuses, (JO3-12) ? Quels soins sont proposés aux personnes retenues ? On apprend que le chef de service du SMPR de Fresnes n’a pas perdu de temps pour rédiger un projet médical pour les personnes retenues en CRS puisqu’il date de novembre 2008 alors qu’a priori, la RS n’aurait dû s’appliquer pleinement qu’en 2023 (RE39)… Ce n’est guère totalement étonnant car dans son histoire, la psychiatrie oscille entre deux pôles opposés : la répression, l’ordre public et l’enfermement (dont asilaire, cf. notamment M. Foucault, R. Castel) d’un côté et de l’autre des soins pour une vie le plus autonome possible dans la cité. Les lecteurs se réfèreront au rapport du CGLPL pour voir le détail des « protocoles » proposés (les protocoles sont les outils « modernes » pseudo scientifiques qui contribuent à perpétuer le fonctionnement ordonné et sécuritaire des hôpitaux psychiatriques contemporains). Malgré les bonnes intentions couchées sur le papier, le CGLP remarque une « absence de suivi régulier et effectif » (RE38;44), des entretiens plus brefs que prévus, d’environ 15 minutes (RE45). Lors de la visite des chargées d’enquête, le projet médical n’était pas opérationnel (RE42). Il n’y a pas lieu de s’étonner de ce constat puisque le projet médical repose essentiellement sur des thérapies de groupe et qu’au vu du petit effectif et des durées limitées de rétention (56 jours pour l’instant), il est illusoire de pouvoir mener un projet de soins sérieux (indépendamment du bien-fondé des indications). Une première idée géniale : mélanger les personnes retenues et détenues Mais voilà qu’une solution géniale a été trouvée par l’équipe psychiatrique du SMPR : Intégrer les personnes retenues au groupe thérapeutique de la prison voisine, comme « solution de dépannage ». Etonnant le zèle de certains soignants à faire appliquer la RS ! Mais le dépannage n’a pas eu lieu et grâce à qui ? Grâce à l’Administration pénitentiaire qui « serait opposée à leur intégration dans un groupe formé de personnes détenues » et qui opposerait aussi des réserves organisationnelles. Comment et qui doit escorter la personne retenue du CRS au centre pénitentiaire de Fresnes ? Ce ne sont évidemment pas les quelques dizaines de mètres qui les séparent qui posent problème mais bien le fond de la question : la différence de statut entre personnes détenues et retenues. Toujours l’ambiguïté de la RS : une mesure de sûreté ou une peine ? Il semble que le CGLPL regrette ces blocages car ils font perdre aux personnes retenues « le bénéfice d’une prise en charge psychiatrique effective et adaptée au public visé du fait de contraintes matérielles, surmontables par ailleurs. A défaut de mise en œuvre du projet médical initial, et au regard de l’effectivité du droit d’accès aux soins, le CGLPL recommande que les personnes retenues puissent profiter des soins offerts aux personnes détenues dans le cadre des thérapies groupales proposées à l’UPH du SMPR de Fresnes » (p. 43-44). Sur ce point, le désaccord est profond avec le CGLPL. Cette confusion des genres peut entrer en résonnance avec le fonctionnement psychique assez souvent désorganisé des personnes concernées. Elle est contraire au droit et à l’impérieuse nécessité de maintenir une frontière infranchissable entre rétention et détention. Ne peuvent actuellement rentrer en prison que ceux soupçonnés d’avoir commis une infraction ou ceux condamnés pour les avoir faites. Où est justement la présomption d’innocence soulevée par les parlementaires lors de la contestation de la loi ? Faire entrer en prison des personnes retenues pour des soins est l’équivalent d’une présomption de culpabilité pour une infraction non commise mais pouvant être potentiellement commise (le risque de récidive). C’est d’une certaine manière, inciter la personne à être délinquant. Autant être en prison pour quelque chose… .C’est favoriser le risque de récidive ! Du fait de l’écart pris entre les positions exprimées dans le rapport d’enquête et l’avis du JO, tout en prenant acte de propos pour le moins surprenants de la part du CGLPL quand on sait son intérêt pour faire respecter les droits des personnes privés de liberté, il faut espérer que les propositions qui sont couchées dans le rapport d’enquête
  • 8. L E S Y N D I C A T D E S P S Y C H I A T R E S D E S H Ô P I T A U X14 n’émanent (malheureusement) que des soignants et ont été publiées que pour conduire à une réaction des Pouvoirs publics. A défaut de réaction qu’on ne peut que gravement déplorer de la part d’un Gouvernement aussi attentif au respect des droits des personnes, le présent texte se veut la manifestation d’un profond désaccord avec les propositions de l’équipe soignante. D’ailleurs, l’avis du JO est rédigé sur ce point en présentant la possibilité de soins en détention pour les personnes retenues comme étant une proposition médicale (« les médecins ont proposé …») tout en en exposant l’impossibilité : « Aucun texte ne permet cette possibilité… » (JO4-15). Une deuxième idée géniale : hospitaliser les personnes retenues dans les UHSA Et la confusion des genres ne s’arrête pas là. Si l’indication d’une hospitalisation en psychiatrie s’impose pour les personnes retenues, il suffit de proposer l’UHSA puisque « L’UHSA est destinée à accueillir les personnes retenues dans le cadre d’une hospitalisation libre ou sous contrainte » (RE49). De nouveau positionnement de l’équipe soignante du SMPR/UHSA qu’il faut espérer très largement minoritaire dans le milieu professionnel : « Interrogée sur la pertinence de l’hospitalisation des personnes retenues dans une telle structure, réservée aux personnes détenues, l’équipe psychiatrique a indiqué aux chargées d’enquête que le caractère de la mesure d’hospitalisation sous contrainte doit primer sur le statut de la personne accueillie : qu’elle soit détenue ou retenue » (R49). Mais comment peut-on penser que le caractère de la mesure d’hospitalisation sous contrainte doit primer sur le statut de la personne accueillie ? De nouveau l’atteinte à la dignité de la personne. Mais qui va réagir à ces propos d’une gravité extrême consignée dans le rapport d’une autorité aussi reconnue que l’est Jean-Marie Delarue ? Comment les ministres de la République les plus concernés (Santé/Justice), sans même parler du président de la République, peuvent-il rester sans réaction à la maltraitance de ces règles essentielles d’un Etat de droit et comment des psychiatres peuvent-ils manipuler la règle de droit comme bon leur semble ? Ceux qui ne vont pas réagir, ou plutôt qui vont apprécier, seront ceux qui dans le rapport d’information signé des sénateurs Philippe Goujon et Charles Gautier en 2006 relatif aux mesures de sûreté concernant les personnes dangereuses préconisaient des UHSA de long séjour qui « pourraient accueillir pendant la durée de leur peine et, au-delà, (souligné par moi) si leur état le nécessite, les personnes dangereuses atteintes de troubles mentaux » (p.69). Dans les débats qui eurent lieu lors de cette mission d’information (deux ans avant la loi sur la RS), Robert Badinter soulignait « la tentation des jurés de pouvoir prononcer l’enfermement des personnes atteintes de pathologies psychiatriques dans des établissements spécifiques, a indiqué qu’il était par ailleurs envisagé aujourd’hui de placer les personnes ayant purgé leur peine dans des centres fermés, sur le seul fondement d’un diagnostic de dangerosité psychiatrique. Il a estimé qu’une telle perspective constituerait un changement radical de société et conduirait à abandonner l’idée selon laquelle la prison est faite pour condamner car la détention revêtirait alors une dimension préventive au regard d’une infraction virtuelle. Il a rappelé que les sociétés où l’on avait considéré certains individus comme dangereux pour des motifs de santé mentale, d’appartenance raciale ou d’opinion politique relevaient d’un modèle radicalement différent du nôtre » (p.85). Toujours à l’occasion de cette mission d’information, Cyrille Canetti (actuellement vice-président de l’ASPMP) disait de manière très prémonitoire que « les centres fermés de protection sociale se définissaient par défaut par une fonction purement sécuritaire et qu’ils risquaient de s’apparenter à des « non lieux » destinés à accueillir des « non sujets ». Il a considéré que la recherche du « risque zéro » en matière de sécurité s’accompagnait généralement d’un risque majoré d’erreur judiciaire » (p. 92). Nous y voilà : des « non sujets », sans dignité, aux statuts sans intérêt par rapport à celui d’une mesure d’hospita- lisation sous contrainte… Comment peut-on comparer le statut d’une personne à une mesure d’hospitalisation ? C’est effrayant ! Sur ce point, le CGLPL adopte une position ambigüe. Il semble admettre que l’hospitalisation, que ce soit en UHSA, UHSI ou à l’EPSNF, reste possible du moment que les droits spécifiques des personnes retenues, différents de ceux des personnes détenues, sont respectés et « qu’à défaut, l’admission dans un hôpital public devrait être favorisé compte tenu de son statut » (RE50). Mais uniquement à défaut, bien que dans l’avis du JO, les propos soient plus nuancés : « Une hospitalisation dans cet établissement (EPSNF) est discutée dès lors qu’il est réservé à des personnes écrouées, ce que ne sont pas les retenus » (JO3-15) ou bien encore « les lieux ouverts aux premières (les personnes détenues) sont inaccessibles en principe aux secondes (les personnes retenues) » (JO4-17).
  • 9. L E S Y N D I C A T D E S P S Y C H I A T R E S D E S H Ô P I T A U X 15 Non ! Il faut éviter toute confusion entre le statut des personnes retenues et celui des personnes détenues. Les soins ne peuvent être prodigués dans une prison pour des personnes qui ne sont pas écrouées. Evidemment, cet exemple montre une fois de plus la nécessité d’une évaluation rigoureuse et urgente des UHSA. Il est probable que les soignants des UHSA qui considèrent que les soins prodigués dans leurs unités sont de meilleure qualité qu’à l’hôpital psychiatrique (et c’est certainement vrai) risquent d’être choqués par cette orientation qu’on semble vouloir donner aux UHSA. Ceux qui voient le risque de dérive des UHSA ne trouveront dans la situation de Fresnes qu’une confirmation de leur crainte d’une dérive sécuritaire et ségrégante. Malheureusement, la question de la RS est trop complexe pour être portée en débat public ou s’il l’est, c’est en des termes passionnés et irrationnels centrés autour du débilitant clivage laxiste-irréaliste vs sécuritaire-réaliste. De quelques autres aspects Il convient d’insister sur le type de soins, leur effectivité que l’on peut proposer aux personnes concernées. Qu’ont dit les experts psychiatres tout au long du parcours de la personne ? Et comment ne pas oublier le considérant 21 de la décision du Conseil constitutionnel de 2008 et qui peut faire penser qu’en l’absence de soins adaptés pendant la détention, la personne pourrait ne pas être placée en CRS : « Considérant que le respect de ces dispositions garantit que la rétention de sûreté n’a pu être évitée par des soins et une prise en charge pendant l’exécution de la peine ; qu’il appartiendra, dès lors, à la juridiction régionale de la rétention de sûreté de vérifier que la personne condamnée a effectivement été mise en mesure de bénéficier, pendant l’exécution de sa peine, de la prise en charge et des soins adaptés au trouble de la personnalité dont elle souffre ; que, sous cette réserve, la rétention de sûreté applicable aux personnes condamnées postérieurement à la publication de la loi déférée est nécessaire au but poursuivi ». Répétons-le : quels sont ces soins adaptés aux troubles de la personnalité ? Sans oublier le dilemme des soignants en prison qui ont l’obligation d’informer leurs patients de leurs droits (loi du 4 mars 2002) comme le rappelait le Conseil national de l’Ordre des médecins en février 2008 (Piernick Cressard) dans un rapport intitulé : Les soins et les injonctions de soins en milieu pénitentiaire et leurs conséquences sur la situation pénale de l’intéressé : « Dans le respect des droits des patients, du code de déontologie, le médecin doit s’efforcer de convaincre de la nécessité, pour lui, d’accepter les soins, en lui rappelant la confidentialité des entretiens, en lui rappelant la réalité du secret médical mais en lui reconnaissant la capacité d’exprimer sa volonté en refusant les soins avec l’acceptation des conséquences de ce refus ». Et parmi l’information à prodiguer, il faut expliquer les soins menés, leurs résultats attendus, leurs effets indésirables. Parmi ceux-ci, et dans le cas particulier d’une RS encourue, il faudra donc dire au patient que s’il suit des soins mais que ceux-ci n’auront pas été efficaces (c’est-à-dire qu’il a toujours son trouble de la personnalité qui le rend toujours aussi particulièrement dangereux), il bénéficiera certes des remises de peine (car il a suivi les soins proposés) mais il ira en CRS (et d’ailleurs plus rapidement car il aura bénéficié des remises de peines), et que s’il ne les suit pas, il pourrait ne pas aller en CRS (du fait de la perte de chance d’être guéri), mais qu’il ne bénéficiera pas des diverses remises de peine… Une vision mécaniste et simpliste de l’être humain fait préférer essentiellement les traitements médicamenteux aux traitements psychothérapeutiques pour traiter notamment les délinquants sexuels. La loi de rétention de sûreté l’avait clairement signifié en prévoyant que le médecin traitant était habilité à utiliser des médicaments diminuant la libido (art. 6 de la loi et L 3711-3 du code de la santé publique). Pourtant, les soins requièrent le plus souvent une composante importante psychothérapeutique. Même si le rapport du CGLPL ne donne pas de détails sur les profils des personnes retenues, on remarque que leur niveau culturel est plutôt faible (ils ne savent pas se servir d’un ordinateur par exemple (p.16), que l’un d’entre eux ayant des difficultés à lire ou écrire « n’a pas signé ou n’a pas compris » le règlement intérieur (p. 34) et qu’ils n’ont pas suivi les soins proposés, d’où le placement en RS où une des priorités concernent justement les soins. On peut en déduire qu’ils n’ont pas conscience d’avoir besoin de soins, ne se sentant vraisemblablement pas « malades » et ne comprenant pas le sens et l’utilité de ces soins. Un d’entre eux est d’ailleurs sous neuroleptique retard (p.47). On peut considérer qu’il doit souffrir d’une forme de schizophrénie (selon les règles, telle est l’indication des neuroleptiques retard) mais aussi d’une comorbidité consistant en un trouble de la personnalité puisqu’on relève de la RS non pour une schizophrénie mais pour un trouble de la personnalité. Si on pousse la logique jusqu’au bout (mais telles sont bien les ambiguïtés de la « philosophie » de l’injonction de soin), les neuroleptiques retard n’entrent pas dans ce soin spécifique (celui du trouble de la personnalité) mais dans celui de la pathologie schizophrénique. Qui fait le tri sur quoi ? Une personne justement se segmente-t-elle ?
  • 10. L E S Y N D I C A T D E S P S Y C H I A T R E S D E S H Ô P I T A U X16 Le CGLPL regrette également qu’un bilan psychologique ne soit pas proposé à chaque personne retenue faute de personnels affectés au centre (p. 44). Quel type de bilan ? Avec quel objectif, notamment thérapeutique ? Dans le contexte actuel, vu les courtes durées de rétention, quel pourrait être le but de cet examen ? Pour la forme ? Non. Un bilan psychologique doit servir à une prise en charge adaptée et doit s’entourer de sérieuses considérations professionnelles pour que les résultats en soient restitués à la personne, non pour satisfaire des bilans d’évaluation (dont on peut toujours d’ailleurs craindre des usages détournés), mais pour aider l’intéressé à mieux se connaître, identifier sa problématique et lui permettre d’évoluer. Le systématisme dans la situation présente me semble n’avoir aucune utilité, si ce n’est se donner l’illusion d’avoir fait quelque chose. Toute la question autour de ce type de soins et de ces éventuelles prises en charge se pose à nouveau quand il s’agit de la continuité des soins après la RS. Certes, le CGLPL peut noter « avec satisfaction que des démarches sont engagées par l’équipe psychiatrique afin d’assurer la poursuite des soins aux personnes retenues lors de leur sortie du CRS. Il regrette cependant que les quatre personnes retenues n’aient pas pu bénéficier à leur sortie, d’un suivi spécialisé pour les auteurs d’infractions à caractère sexuel » (p.47). On retrouve ici la question du « découpage » de la personne en fonction de son infraction. La personne sous neuroleptique retard pourrait bénéficier d’un suivi psychiatrique sans spécificité. Il s’agit peut-être de soigner sa psychose. Son infraction sexuelle peut résulter de ce trouble psychiatrique. En le soignant de manière non spécialisée, la problématique sexuelle peut se résoudre. La question des indications de l’injonction de soins transparaît en filigrane de ce rapport sur la rétention de sûreté et de l’excès que l’on peut faire de l’illusion de suivis spécialisés, qu’il ne sera, de toute façon, pas possible de mettre en place sur tout le territoire. Pour terminer un point de détail peut-être mais qui n’est pas négligeable au vu de questions d’actualité sur l’intimité, le respect de la vie privée, etc. (et sans parler de la question des téléphones évoquées par le CGLPL…). Au sujet de la gestion de l’argent des personnes retenues, il est fait état pour l’une d’entre elles de la réception d’un chèque à son nom qu’elle n’a pu encaisser. Il a fallu contacter l’émetteur du chèque afin qu’il soit libellé à l’ordre de l’agent comptable (RE14). Qu’a-t-on dit à l’émetteur du chèque pour changer le libellé du chèque ? Que son bénéficiaire était placé en rétention de sûreté ? Bien pour la réinsertion. Cette question peut paraître un détail mais elle permet d’exprimer ici toute l’importance que les psychiatres et les soignants exerçant en milieu pénitentiaire accordent à l’intimité de la vie de la personne, au respect de sa vie privée, à sa dignité et donc au secret médical qui est un outil à disposition des médecins, obligés de s’y conforter et qui permet de faire respecter ces principes. Toute situation, même la plus anodine en l’apparence, est l’occasion de rappeler l’importance du secret médical qui nécessite, pour être respecté, une vigilance de tous les instants5 . Ce rapport devrait conduire à des propositions et des actions claires : L’abolition de la rétention de sûreté. Les données de ce rapport montrent que ce dispositif conduit à des actions incohérentes (sans oublier le coût d’aménagement du CRS largement inoccupé). Où en est par exemple la proposition de loi tendant à la suppression de la rétention et de la surveillance de sûreté déposée par des sénateurs le 31 juillet 2012 (N° 734) et dont l’exposé des motifs se concluait ainsi : « La rétention et la surveillance de sûreté contreviennent de façon inacceptable aux principes fondamentaux de l’État de droit. Il est aujourd’hui impératif et urgent de les abroger » ? Evaluer impérativement les UHSA. Cette évaluation est d’autant plus nécessaire avant le lancement de la deuxième tranche que l’on perçoit dès maintenant les dérives dans leurs utilisations qui peuvent survenir avec l’exemple de la rétention de sûreté. La saisie par la profession psychiatrique de l’indication des injonctions de soins dont l’argumentation en indication ou contre-indication est souvent lacunaire dans les expertises. Les indications ne doivent pas s’appuyer d’ailleurs que sur des critères clinques mais aussi sur des critères de faisabilité. Quid de toutes ces importantes questions dans deux projets de loi à venir : la loi de santé avec son volet psychiatrique et la loi de prévention de la récidive et de l’individualisation de la peine. Or au vu de l’avancée 5. Lire à ce propos sur ce sujet le récent article d’Anne HENRY, chef du pôle de psychiatrie au centre pénitentiaire de Rennes-Vézin, membre du bureau de l’ASPMP, paru dans Médiapart le 18 mars 2014, intitulé « Le secret professionnel en prison et les bonnes intentions » : http://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/180314/le-secret-professionnel-en-prison-et-les-bonnes-intentions
  • 11. L E S Y N D I C A T D E S P S Y C H I A T R E S D E S H Ô P I T A U X 17 de ces projets de loi, l’ambition pour aborder ces questions ne semble pas au rendez-vous. La réforme pénale n’évoque plus l’abrogation de la RS probablement pour faire passer la contrainte pénale et éviter à la Gauche d’être considérée comme laxiste. Le rapport Robiliard sur la santé mentale et l’avenir de la psychiatrie, pourtant élaboré après une consciencieuse mission d’information, ne montre pas le souffle nécessaire pour des réformes courageuses et d’envergure. L’abrogation de la rétention de sûreté serait pourtant pour le Gouvernement actuel l’équivalent de ce que fut l’abolition de la peine de mort en 1981. Un acte honorable qui ferait date. Malheureusement, le changement ne semble pas pour maintenant alors qu’il semble impossible que les Pouvoirs publics restent sourds au rapport du CGLPL et ce qu’il révèle, surtout de la part de soignants, d’autant plus quand, en son temps, la critique de la loi de rétention de sûreté a été aussi virulente et pertinente. Un autre changement important devrait être attendu mais sera-t-il possible quand on voit la frilosité de la société et des psychiatres pour des solutions autres que l’incarcération pour les personnes délinquantes mais souffrant de troubles mentaux ? Qu’en sera-t-il de ce changement qui devrait être la suspension de peine pour raison psychiatrique. ? La suspension de peine pour raison psychiatrique La question de la suspension de peine appliquée aux personnes incarcérées souffrant de maladies mentales est probablement un des points nodaux illustrant les conceptions de notre société relatives aux personnes détenues. Les historiens des prisons dans les temps futurs se délecteront à loisir de nos conceptions rétrogrades (scandaleuses ?) du début du XXIème siècle. L’acception collective d’une exclusion supplémentaire des malades mentaux, déjà souvent bien en marge de la société, est pratiquement unanime, alimentée par les psychiatres eux-mêmes. L’exclusion de la maladie mentale de la suspension de peine pour raison médicale s’inscrit en toute logique dans la création du secteur de psychiatrie en milieu pénitentiaire et annonce les UHSA. La collusion des dates est d’ailleurs impressionnante. Mars 2002 : loi Kouchner et instauration de la suspension de peine ; septembre 2002 : loi Perben et création des UHSA. Au cours d’un colloque Santé/Justice qui s’est tenu au ministère de la Santé le 26 novembre 2012, la question de la suspension de peine pour pathologie psychiatrique (SPRP) a été soulevée avec insistance. La suspension de peine pour raison médicale (SPRM) a été introduite par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, dite loi Kouchner (Tableau 3). Le principe consiste à considérer que des personnes dont l’état de santé est très détérioré ne peuvent rester en prison si leur pronostic vital est engagé ou si leur état de santé est durablement incompatible avec la détention. L’exécution de la peine peut être suspendue mais non pas annulée. Si la santé s’améliore un retour en prison est possible. Une interprétation unanime restrictive (ou plutôt une autocensure) de la loi a conduit à considérer que les personnes souffrant de troubles mentaux ne pouvaient bénéficier actuellement de suspension de peine pour raisons psychiatriques contrairement aux personnes condamnées souffrant de maladies somatiques en s’appuyant sur la dernière phrase du premier alinéa : « hors les cas d’hospitalisation des personnes détenues en établissement de santé pour troubles mentaux ». Sauf s’il existe un risque grave de renouvellement de l’infraction, la suspension peut également être ordonnée, quelle que soit la nature de la peine ou la durée de la peine restant à subir, et pour une durée qui n’a pas à être déterminée, pour les condamnés dont il est établi qu’ils sont atteints d’une pathologie engageant le pronostic vital ou que leur état de santé est durablement incompatible avec le maintien en détention, hors les cas d’hospitalisation des personnes détenues en établissement de santé pour troubles mentaux. Tableau 3. La suspension de peine pour raison médicale. Art. 720-1-1 du code de procédure pénale. En décembre 2012, lors d’une visite à la prison de Fresnes, les ministres de la Santé et de la Justice annoncent la constitution de deux groupes de travail relatifs aux problèmes de santé des détenus dont un sur la suspension de peine pour raisons médicales. Ce groupe a travaillé de février à juin 2013 avec comme mission de proposer des améliorations du dispositif global et de se pencher sur les motifs de l’exclusion des malades mentaux à la suspension de peine. Le rapport du groupe de travail a été remis aux ministres en novembre 2013 mais n’a pas encore été rendu public en avril 2014.
  • 12. L E S Y N D I C A T D E S P S Y C H I A T R E S D E S H Ô P I T A U X18 L’enquête épidémiologique de Rouillon et Falissard réalisée en 2003/2004 estime que 8 hommes sur 10 et 7 femmes sur 10 présentent un trouble mental et que parmi ces personnes 35 % d’entre elles sont manifestement malades ou gravement malades sur le plan mental. Le CGLPL déclarait en février 2013 devant la mission d’information de l’Assemblée nationale sur « La santé mentale et l’avenir de la psychiatrie » que 17 000 personnes détenues relevaient de la psychiatrie et au minimum 10 000 d’entre elles devraient être hospitalisées sur près de 70 000 détenus. Des remontées du « terrain » plus difficilement quantifiables font état, notamment en maisons centrales et centres de détention, de situations dramatiques de personnes souffrant de psychoses graves et dont l’état devrait être considéré comme incompatible avec la détention. Très précisément, l’arrêt G. contre France du 23 février 2012 de la Cour européenne des droits de l’homme6 a nettement précisé les limites du soin psychiatrique en prison et mis en évidence un « parcours de soin » (si on peut l’appeler ainsi) totalement inadapté. Il en est résulté une condamnation de la France pour traitement inhumain et dégradant. La lecture de cet arrêt vaut toutes les communications savantes ou discours pompeux sur le sort réservé à un certain nombre de malades mentaux incarcérés. Il s’agit de s’interroger sur la compatibilité d’une personne souffrant de troubles mentaux avec la détention qu’elle soit prévenue ou condamnée et d’envisager soit une suspension de peine, soit une peine alternative à l’incarcération et compatible avec son état mental et qui ait un sens pour elle. Il faut d’ailleurs remarquer que l’exclusion à la suspension de peines concerne aussi bien les malades mentaux que les prévenus7 . Quelques hypothèses sur les motifs de déni ou de scotomisation de l’usage de la suspension de peine pour raison psychiatrique Un consensus semble avoir existé depuis 2002 sur la non accessibilité à la suspension de peine pour raisons psychiatriques. La phrase qui considère que la SPRM ne s’applique pas aux personnes détenues hospitalisées en établissement de santé pour troubles mentaux a été interprétée comme s’avérant inutile d’accorder une SP pour troubles mentaux puisqu’il suffirait de les hospitaliser dans un hôpital psychiatrique. Pourtant la phrase peut aussi être lue autrement : « la suspension de peine est impossible uniquement QUAND la personne est hospitalisée mais rien n’empêche de demander une suspension de peine quand elle n’est pas hospitalisée ». Il faut espérer que le groupe de travail aura travaillé dans ce sens. Il est particulièrement intéressant de s’interroger sur les motifs collectifs qui ont conduit à s’autocensurer pendant plus de 10 ans sur la SPRP, même quand il était possible de s’approcher d’une solution. Ainsi, il m’est arrivé une fois dans mon exercice professionnel de suivre le 4ème alinéa de l’article D382 du CPP (Tableau 4) qui fait état de l’incompatibilité du maintien en prison d’une personne du fait de son état de santé sans précision sur la pathologie concernée mais sans résultat probant. En tout état de cause, si ces médecins estiment que l’état de santé d’un détenu n’est pas compatible avec un maintien en détention ou avec le régime pénitentiaire qui lui est appliqué, ils en avisent par écrit le chef de l’établissement pénitentiaire. Ce dernier en informe aussitôt, s’il y a lieu, l’autorité judiciaire compétente. Tableau 4. Article D382 du code de procédure pénale. Plusieurs raisons peuvent être avancées pour expliquer ce déni collectif : La « spécificité » de la psychiatrie, seule discipline médicale où l’on peut « soigner » sans leur consentement des personnes qui souffrent de troubles mentaux. Considérant qu’en cas de troubles mentaux, il est possible depuis près de deux cents ans d’hospitaliser des personnes détenues dans des hôpitaux psychiatriques, cette option semblait satisfaisante pour traiter ces situations particulières. 6. http://www.cncdh.fr/fr/publications/arret-g-c-france 7. CHALOT Chloé, La suspension médicale de peine à l’épreuve des droits fondamentaux ayant présidé à son adoption, Mémoire de Master II Droit de l’exécution des peines et Droits de l’Homme, promotion 2012-2013, Université Montesquieu Bordeaux IV, septembre 2013.
  • 13. L E S Y N D I C A T D E S P S Y C H I A T R E S D E S H Ô P I T A U X 19 Le pronostic vital en psychiatrie. Il peut paraître moins évident que le pronostic vital puisse être engagé pour une personne souffrant de troubles mentaux. Toutefois, le suicide est souvent l’aboutissement d’un processus mélancolique ou schizophrénique. Mais les représentations sociales n’appréhendent pas l’aboutissement d’un processus morbide de la même manière selon qu’il s’agit de pathologies somatiques ou psychiatriques. Motif socio-économique. Une autre raison, peu glorieuse, socio-économique, consiste à considérer que le « coût » d’une personne incarcérée est bien inférieure à celui d’une personne hospitalisée ou relevant de moyens importants mis autour d’une alternative à l’incarcération. Motif sécuritaire. La neutralisation de la dangerosité potentielle des personnes paraît plus efficace en prison qu’à l’hôpital ou a fortiori en milieu ouvert non hospitalier. Ce motif est probablement celui qui prime actuellement. On se demande bien d’ailleurs pourquoi le législateur aurait pris soin de préciser que la SPRP n’était impossible qu’au temps de l’hospitalisation, une période finalement tellement courte dans l’ensemble du parcours d’exécution de peine des personnes détenues. La difficulté à monter un projet de soin durable du fait de la réversibilité de la suspension de peine. Le risque d’un retour en prison en cas d’amélioration de l’état psychique est une réelle entrave à un projet de soin à moins de trouver un aménagement légal. Motif institutionnel psychiatrique. L’évolution (involution pour certains facteurs) progressive et inéluctable (?) de la psychiatrie qui se manifeste au-travers de multiples facteurs : - La diminution drastique des lits d’hospitalisation complète. - L’ouverture sur l’ambulatoire insuffisamment développée pour compenser la fermeture des lits. - La féminisation des équipes. - La perte du sens thérapeutique individualisé au profit de protocoles et de procédures. - La fonte des moyens humains dédiés au relationnel et réorientés sur les tâches gestionnaire, bureaucratique et informatique (combien de patients ne disent-ils pas qu’infirmiers et médecins passent le plus clair de leur temps devant leurs ordinateurs et non à s’occuper directement d’eux). - La recherche de responsabilisation excessive dans un contexte ultra sécuritaire. - La transformation d’un lieu de soin en hôpital commercial devant être managée comme une entreprise de service. - Les repères bouleversés par la loi HPST. - L’absence de perspective donnée au concept du Secteur8 (sans qu’il soit proposé une meilleure alternative). - Les modifications des formations spécifiques des psychiatres et des infirmiers ont conduit à oublier la philosophie intégrative du Secteur. - Etc. Les personnes détenues deviennent exclues de ce dispositif global pour intégrer un secteur sur mesure intra-muros - le secteur de psychiatrie en milieu pénitentiaire - lieu où l’on soigne mais pas lieu de soin9 , et il serait bien naïf de croire que ce montage spécifique, permette de travailler facilement à des articulations dedans-dehors. Quels pourraient être les motifs de suspension de peine ou d’aménagements de peine pour raison psychiatrique ? Dans de rares cas, le pronostic vital pourrait être engagé comme il l’a été déjà signalé supra, dans les conduites suicidaires s’inscrivant dans une pathologie psychiatrique grave (schizophrénie, mélancolie) et non évidemment dans toutes les situations de tentatives de suicide, qui très souvent ne relèvent pas de la psychiatrie10 . 8. Même si le récent rapport Couty insiste sur l’importance du concept de Secteur mais qui devrait être relancé selon le rapporteur sous la forme d’un « Secteur rénové ». 9. Lécu Anne : « La prison un lieu de soin ? », Editions Les Belles lettres. Décembre 2012. 10. Les « situations suicidaires » en milieu pénitentiaire conduisent trop souvent à des hospitalisations d’office D398 alors que les mêmes situations en « droit commun » sont traitées par des hospitalisations en service libre ou en soins psychiatriques à la demande d’un tiers (SPDT, ex HDT/hospitalisation sur demande d’un tiers), créant ainsi dans l’histoire de la personne des antécédents lourds d’hospitalisation d’office (maintenant soins psychiatriques sur demande du représentant de l’Etat/SPDRE). Les UHSA, sur ce point, représentent une avancée en permettant des hospitalisations en service libre (mais pas en SPDT) mais rien n’empêche qu’il aurait pu être imaginé une possibilité identique en milieu psychiatrique ordinaire…
  • 14. L E S Y N D I C A T D E S P S Y C H I A T R E S D E S H Ô P I T A U X20 L’incompatibilité durable avec la détention serait le motif le plus souvent retenu et peut s’envisager sous deux angles : Les caractéristiques d’une pathologie grave seraient un motif important de suspension de peine pour raisons psychiatriques car rendant insupportables les conditions de détention pour la personne malade mais aussi pouvant fortement perturber le fonctionnement de la vie pénitentiaire que ce soit pour les codétenus ou pour le personnel pénitentiaire, sans parler des soignants qui doivent prodiguer des soins dans des conditions peu adaptées à ces pathologies. Le sens de la peine peut être devenu complètement hermétique pour la personne, voire a pu être incompréhensible dès l’incarcération. Il est d’ailleurs paradoxal, alors que les expertises psychiatriques posent justement la question de l’accessibilité à une sanction pénale que l’ajustement de l’état psychique de la personne à la sanction ne permette pas la suspension de peine pour raison psychiatrique. Quelle procédure pour la suspension ou les aménagements de peine pour raisons psychiatriques ? La procédure devrait être identique à celle pour raisons somatiques. Le signalement du psychiatre traitant (ou d’autres personnes qui ont un intérêt pour la personne) au JAP (Cf. également le 4ème alinéa de l’article D382 CPP – Tableau 4) pourrait prendre la forme d’un certificat médical circonstancié. Il conviendrait toutefois d’apprécier la recevabilité de cette démarche par les professionnels de terrain. Une expertise doit suivre en posant les questions très précises sur la capacité de la personne à vivre en prison et sur les soins dont elle doit bénéficier. Ces questions devant être également posées lors des expertises présententielles en faisant en sorte que la question de la compréhension du principe de la sanction pénale puis de celle qui est la plus adaptée en cas d’altération du discernement ou bien qui est contre-indiquée (ces considérations impliquent que les experts soient bien informés du contexte carcéral des diverses modalités d’exécution des peines). Les UHSA, dont ce n’est pas la mission, ne doivent pas être vues trop facilement comme une solution, ce qui est malheureusement toujours à craindre. A l’instar des UHSI, elles ne doivent pas être considérées comme des lieux de soin de longue durée, même si la tentation est grande de les transformer en UHSA de long séjour comme l’envisageait un travail parlementaire en 2006 : « Ensuite, la commission n’a pas jugé souhaitable de s’engager dans la voie des centres de protection sociale proposée par la commission Santé-Justice et a suggéré la mise en place d’unités spécifiques pour les délinquants dangereux atteints de troubles mentaux. Ces derniers pourraient être accueillis pendant la durée de leur peine et au-delà, si leur état le nécessite, dans des structures hospitalières qui pourraient constituer des unités hospitalières spécialement aménagées de long séjour »11 . Les soins en UHSA restent des soins en détention et il convient d’examiner ici une incompatibilité durable du maintien en détention pour raison de santé. Il faudrait se méfier que les UHSA, permettant l’hospitalisation, ne soit pas un argument pour éviter la suspension de peine du fait de l’hospitalisation. Quelles sont les pathologies concernées ? Il ne s’agit que d’indications car pour chaque maladie, la gravité peut être variable. Il ne faudra de toute façon considérer que les atteintes sérieuses, durables et probablement irréversibles pour que la question d’une suspension de peine soit posée. Les principales pathologies concernées sont les schizophrénies ; psychoses ; troubles graves de l’humeur ; mélancolies ; déficiences mentales, etc. Il conviendrait de faire un recensement établissement pénitentiaire par établissement pénitentiaire pour évaluer le nombre de situations concernées (pour vérifier les chiffres avancés par le CGLPL) avec une analyse détaillée prenant en considération de nombreux indicateurs, par exemple sans exhaustivité : les différentes expertises, le 11. Goujon P. et C Gauthier C., Rapport d'information du Sénat sur les mesures de sûreté concernant les personnes dangereuses, 22 juin 2006.
  • 15. L E S Y N D I C A T D E S P S Y C H I A T R E S D E S H Ô P I T A U X 21 nombre d’altérations du discernement, les HO (SDRE) D398, les admissions en SMPR, en UHSA, les consultations ambulatoires, les liens familiaux et sociaux existants ou perdus, les incidents en détention, la vie en prison, etc. Ces situations pathologiques ont pu ne pas être repérées au moment de l’entrée en détention par défaut d’expertise. Pour de nombreuses raisons, elles ont pu aussi ne pas être identifiées au cours de l’expertise. Des décompensations ou des apparitions de pathologies peuvent également survenir en cours de détention, a fortiori si l’emprisonnement s’étend sur de nombreuses années. Que font les ministres ? Le fait que la suspension de peine pour raisons psychiatriques est légalement possible peut avoir des conséquences importantes qu’il faudra anticiper, d’autant plus que les aménagements de peine pour les mêmes motifs pourraient être plus fréquemment demandés. Si la contrainte pénale proposée dans le cadre du projet de loi dit Taubira relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines est retenue, elle s’accompagnera probablement d’une montée en charge du suivi socio-judiciaire avec injonction de soin que la psychiatrie devra prendre en charge, après espérons-le une sérieuse évaluation expertale. Ces mesures impliquent que le milieu ouvert devra accueillir des personnes qui pourront parfois présenter une dangerosité certaine, ce qui représente un enjeu important, des difficultés certaines et multiples et un coût probablement important. Des études seraient à mener pour apprécier l’impact de la suspension de peine et des aménagements de peine pour raisons psychiatriques qui doivent s’appliquer pour des raisons d’équité, de dignité et de sécurité (Tableau 5). Dès maintenant, ce « scotome » étant levé, il sera intéressant de voir comment vont se saisir les psychiatres exerçant en milieu pénitentiaire (et les avocats) de la possibilité de la suspension de peine pour raison psychiatrique, ou vont-ils continuer à se satisfaire de l’absurde circuit pénitentiaire « sisyphien » de leurs patients qui alternent désespérément entre détention ordinaire inadaptée, hospitalisation de jour en SMPR, SDRE D398 en hôpital psychiatrique en chambre d’isolement ou en UHSA ? PROPOSITIONS 1. Recenser les personnes condamnées pouvant relever de ces mesures (Etude épidémiologique, éventuellement sous la forme d’un programme hospitalier de recherche clinique (PHRC) ou d’une recherche-action. 2. Insérer la réflexion sur la SPRP et les APRP dans la très attendue loi d’orientation pour la psychiatrie et la loi relative à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines. 3. Lancer une concertation avec les professionnels impliqués à des niveaux différents pour étudier les conséquences de la SPRP et des APRP : experts, institutions, ARS, organisations professionnelles, etc. Il s’agit en effet d’organiser et de coordonner des parcours de soins complexes au niveau des territoires de santé. 4. Engager une réflexion sur les détails de la procédure pour les professionnels de santé : - Contenu des missions d’expertise et leurs conditions de réalisation. - Certificat médical circonstancié. - Modalités pratiques de préparation et d’accompagnement des demandes, etc. 5. Information large de la population sur le sujet. Tableau 5. Propositions Il serait souhaitable pour l’instant de privilégier les aménagements de peine aux suspensions de peine car plus sécurisantes et pérennes que les suspensions de peines, sauf à considérer que le temps de suspension de peine soit pris en considération pour atteindre le moment où la peine sera aménageable en espérant que le groupe de travail ait envisagé cette possibilité.
  • 16. L E S Y N D I C A T D E S P S Y C H I A T R E S D E S H Ô P I T A U X22 En avril 2014, les décisions ministérielles se font attendre mais la pusillanimité politique risque encore de se manifester. Après évocation de ces sujets en mars 2014 dans la presse, la ministre de la Santé parle de la suspension de peine pour raison psychiatrique comme étant seulement une piste de travail (Tableau 6. Dépêche APM). Mardi 18 février 2014 - 14:48 Suspension de peine pour troubles psychiatriques : seulement une piste de travail parmi d’autres (cabinet de Marisol Touraine) PARIS, 18 février 2014 (APM) - Le cabinet de la ministre des Affaires Sociales et de la Santé, Marisol Touraine, a indiqué à l’APM que l’idée de suspendre les peines des détenus atteints de troubles psychiatriques n’était qu’une piste de travail parmi d’autres et émanait de documents de travail non finalisés. Lundi, le quotidien La Croix a fait état des conclusions d’un rapport du groupe de travail « santé-justice », mis en place par la ministre de la Justice, Christiane Taubira et Marisol Touraine, qui préconiserait de suspendre les peines de prison des détenus atteints de troubles psychiatriques (cf. APM MHRBH001). Contacté par APM, le cabinet de Marisol Touraine a confirmé mardi que deux groupes de travail « santé-justice » avait été lancés en décembre 2012. L’un se penche sur les aménagements et suspensions de peines pour raison médicale et l’autre sur la réduction des risques infectieux en milieu carcéral. Les deux groupes ont été installés le 20 février 2013, a précisé le cabinet. Il s’agit de groupes de travail « internes » et les travaux évoqués dans la presse sont des documents de travail ou pré-rapports non finalisés et n’engagent « en aucun cas la ministre », a fait remarquer le cabinet. Il a ajouté qu’il n’y avait pas de calendrier défini pour ces groupes de travail et que la proposition citée dans la presse était une piste de travail parmi d’autres. Tableau 6. La SPRP « une piste de travail » (Dépêche APM) Quel constat sur les soins en prison ? Indéniablement, la création du secteur de psychiatrie en milieu pénitentiaire en 1985 et le rattachement des soins somatiques au service public hospitalier en 1994 ont facilité l’accès aux soins en milieu pénitentiaire au point de favoriser l’incarcération de malades au motif que des soins sont possibles en prison. Les témoignages sont nombreux de psychiatres s’offusquant de voir arriver dans les établissements pénitentiaires des personnes pour lesquelles sur la notice de prévenu majeur est indiquée : « Admission au SMPR et examen psychiatrique urgent ». Rappelons que l’admission ne peut être décidée par le juge mais par le médecin puis administrativement entérinée par le directeur de l’établissement hospitalier. Certes, le juge peut avoir raison : l’examen psychiatrique est urgent vu l’état délirant de la personne mais celle-ci aurait dû être orientée sur un hôpital psychiatrique plutôt qu’en prison. Il existe donc un sérieux problème sanitaire dans les prisons. Le tri en amont est insuffisant le plus souvent par défaut d’expertise psychiatrique, notamment lors des comparutions immédiates, et le phénomène ne peut que s’aggraver du fait de la négligence par les Pouvoirs publics de la problématique de l’expertise. En quelques années, le nombre d’experts inscrits sur les listes de cours d’appel serait tombé de 800 à 500. Le phénomène va s’amplifier avec la diminution démographique attendue des psychiatres dans les prochaines années sans compter que de nouvelles tracasseries administrativo-fiscales dont la TVA obligatoire s’annoncent à partir du 1er janvier 2014. Et qu’en est-il de la réalité du fonctionnement des dispositifs thérapeutiques ? Il est impossible de se faire une idée précise du fonctionnement des soins en prison que ce soit pour les 26 SMPR ou pour tous les autres dispositifs de soin psychiatrique relevant du secteur de psychiatrie générale. Impossible également de connaître dans le détail les prestations offertes par chaque unité sanitaire et le positionnement des ARS par rapport aux soins aux personnes détenues est très variable en fonction des personnes et des intérêts locaux. En revanche, les témoignages me remontent souvent des difficultés qui surgissent ici et là et de l’isolement que rencontrent tout particulièrement les petites équipes mais aussi les SMPR. Trois exemples pour illustrer mon propos. Ainsi récemment, la chef de service d’un SMPR du nord de la France, récemment retraitée m’écrivait : « Notre hôpital est dans un état de pénurie médicale effrayant et il n’y a plus de responsable au SMPR, des collègues de
  • 17. L E S Y N D I C A T D E S P S Y C H I A T R E S D E S H Ô P I T A U X 23 psy adulte vont à tour de rôle effectuer une demi-journée de consultation au SMPR. Nous en sommes au même point, pour le SMPR, qu’au départ du précédent chef de service, c’est-à-dire 3 postes de PH TP vacants, dont 2 à recrutement prioritaire. Pour le reste de l’hôpital, il y a beaucoup de postes vacants ». La « sanctuarisation » des soins en prison peut aussi être mise à mal. Ainsi dans l’ouest de la France, un SMPR voit une partie de ses lits d’hospitalisation colonisée par l’Administration pénitentiaire pour y héberger des personnes détenues ne relevant pas de soins mais qu’il faut bien loger quelque part du fait de la surpopulation carcérale. Dans ce même établissement pénitentiaire, une note récente de la direction précise que les personnes détenues au QI ou au QD ne seront pas prioritaires pour les mouvements vers le SMPR bien qu’elles représentent une population à risque. En totale opposition avec ce manque de moyens assez fréquents, l’Administration pénitentiaire s’adresse à un SMPR en lui demandant de répondre aux questions suivantes : « 1) les modalités précises de prise en charge mises en place concernant le public spécifique des AICS (groupe de parole, entretien individuel, activité particulière, diffusion de vidéo, rencontre victime...) ; 2) le nombre et la qualité des intervenants ; 3) les délais éventuels d’attente pour la mise en place d’un suivi ; 4) l’intervalle entre les entretiens... ». Et il ne s’agit que d’exemples « grossiers » mais le diable étant dans les détails, il faudrait des heures pour citer tous les dysfonctionnements que l’on peut rencontrer ici et là et pas seulement des problèmes de locaux ou d’effectifs mais aussi de pratiques éthiques hautement discutables. Ce n’est pas étonnant, tellement le système carcéral est déstabilisant. Vouloir une organisation sanitaire « parfaite » est un déni de la réalité carcérale : un soin psychothérapeutique en prison est l’équivalent pour un psychiatre de la désinfection d’une plaie par le somaticien avant de renvoyer le malade dans un milieu septique. Quelques propositions La place des soignants en prison doit être exclusivement thérapeutique et non expertale et leur indépendance professionnelle par rapport à l’Administration pénitentiaire et la Justice doit être garantie. Le secret professionnel ne devrait souffrir d’aucune exception. Les soins en prison devraient avoir des objectifs modestes adaptés au milieu pénitentiaire. Ils se rapprochent davantage, en exagérant le trait, de la psychiatrie de guerre plutôt que la psychiatrie en milieu libre. Il conviendrait donc qu’ils ne se cantonnent qu’au niveau 1, c’est-à-dire à la consultation et d’une sensibilisation à l’approche psychiatrique pour une population qui n’en n’a comme idée que les plus rudimentaires préjugés : « La psychiatrie, c’est avant tout pour les fous ou au moins pour se prodiguer les tranquillisants pour faire son temps ou se livrer à un troc de survie ». Il est inutile de développer des moyens qui ne pourront être utilisés. Ainsi dans certains endroits, des équipes ont été renforcées pour le traitement des AVS mais les professionnels n’ont pas toujours les bureaux pour consulter ou constituer des groupes (le problème des locaux et de l’espace en prison est criant et souvent insoluble). Le niveau 2 « pseudo hospitalisation de jour » est essentiellement un dispositif permettant de maintenir des personnes souffrant de graves troubles mentaux en prison, sous prétexte qu’ils consentent aux soins. La réaction essentielle au film de Régis Sauder « Etre là » tourné au SMPR de Marseille aux Baumettes devrait être une interrogation réprobatrice : « mais que font ces gens-là en prison ? ». Dans une optique d’appréciation de l’opportunité de soins en prison et des moyens à y apporter, une évaluation sérieuse de la première tranche des UHSA devrait être faite avant de lancer la deuxième tranche et pourtant annoncée par les pouvoirs publics (Circulaire interministérielle DGOS/R4/PMJ2/2011/105 du 18 mars 2011 relative à l’ouverture et au fonctionnement des unités hospitalières spécialement aménagées). Ce projet très coûteux peut contribuer à la création d’une filière ségrégative. Il sera vite encombré, sans oublier la nécessité d’assurer un égal accès aux soins sur tout le territoire français sans oublier les pays d’Outre-Mer. Pour des raisons multiples, une forme de pensée unique semble circuler dans les milieux autorisés (comme dirait Coluche) pour considérer que les UHSA sont une merveilleuse idée. A vérifier au moins. Cette évaluation ne devrait pas faire peur aux zélateurs des UHSA, bien au contraire. Un pilotage par le ministère de la santé des soins en prison doit être sérieusement mené. La chef de projet responsable des soins aux personnes détenues en poste à la DGOS depuis plusieurs années a été nommée sur un autre poste durant l’été 2013. Ce poste a été pourvu début 2014 mais au niveau de la DGS et non plus au niveau de la DGOS. Ce pilotage sera important à la fois dans le cadre de l’élaboration de la future loi de santé, avec un volet psychiatrique qui est annoncée pour 2015 et à la fois pour suivre les répercussions sur les dispositifs de soin
  • 18. L E S Y N D I C A T D E S P S Y C H I A T R E S D E S H Ô P I T A U X24 de la création de la contrainte pénale qui pourra s’assortir de soins pénalement ordonnés dans le cadre de la loi sur la prévention de la récidive et l’individualisation de la peine. Il convient de s’interroger sur l’utilité de la multiplication de groupes de travail comme par exemple celui relatif à une lourde enquête sur le financement des unités sanitaires menées au printemps dans le plus grand désordre, avec des consignes contradictoires et dont les conséquences sont redoutées quant à l’attribution des moyens. La psychiatrie doit sérieusement étudier les dispositifs à mettre en place pour assurer les obligations et injonctions de soins dont le volume pourrait augmenter (contrainte pénale et suspension de peine). Une évaluation rigoureuse, établissement pénitentiaire par établissement pénitentiaire, des personnes susceptibles de bénéficier d’une suspension de peine pour raison psychiatrique s’avère incontournable. Pour sa part, le SPH lors de son Assemblée générale d’octobre 2013, suite à un atelier intitulé : « Pour une OPA amicale de la psychiatrie générale sur la psychiatrie en milieu pénitentiaire », a voté une motion où le SPH s’engage sur plusieurs points (Tableau 6). L’AG du SPH avait rappelé à Lyon en 2012 que l’organisation de la prise en charge psychiatrique des personnes sous main de justice (PPSMJ) constituait un problème majeur de santé publique : - L’organisation de la psychiatrie en milieu pénitentiaire conduit généralement à une filière ségrégative. Pour trouver une issue à cette situation, l’ensemble des dispositifs de soins psychiatriques doit s’articuler étroitement avec les dispositifs sectoriels de psychiatrie. - Une évaluation globale préalable du fonctionnement de la première tranche des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) est indispensable avant toute création nouvelle. L’hospitalisation des personnes détenues dans le secteur de psychiatrie générale devrait être maintenue en dotant les services hospitaliers des moyens nécessaires à des soins de qualité. - Le nombre et la nature des soins ambulatoires sous contraintes judicaires (injonctions et obligations de soin) doivent bénéficier d’un relevé et d’une évaluation tant nationale que régionale afin d’apprécier les charges, modalités et incidences qui en découlent. A l’AG de Nantes en 2013, le SPH poursuit sa réflexion pour permettre une prise en charge des personnes sous main de justice dans la continuité de la motion retenue à Lyon et dans le cadre de la réflexion à venir sur l’organisation globale de la psychiatrie, notamment les personnes détenues, dans un parcours de soin coordonné en recherchant la complémentarité des pratiques professionnelles et institutionnelles. - Il entend mener des actions pour aider les professionnels de la psychiatrie à répondre au mieux à la prise en charge des soins pénalement ordonnés, dans le respect de l’indépendance du praticien, les obligations et injonctions de soin. - Le SPH suivra attentivement les résultats du groupe de travail sur la suspension de peine pour raison médicale en exigeant que l’équité soit rétablie afin que les personnes souffrant de troubles mentaux, prévenues comme condamnées, puissent bénéficier d’une suspension de peine selon les mêmes modalités que pour les personnes souffrant d’affections somatiques. - Il sera attentif à ce que les conséquences de ce droit conduisent à octroyer les moyens nécessaires à ces prises en charge ainsi que celles découlant de la future réforme pénale. - Il poursuit sa demande d’une évaluation de la première tranche des UHSA qui devra comporter notamment l’accès des personnes détenues à l’ensemble du dispositif de soins notamment hospitalier. Tableau 6. Motion du SPH – Nantes 2013 Pour conclure Il faut changer de modèle et rechercher des prisons non surpeuplées, aux conditions de vie « dignes », permettant de mener une vie responsable pour reprendre l’expression de l’article 1 de la loi pénitentiaire, réservées aux personnes ayant commis les faits les plus graves (et pas forcément éternellement « dangereuses »). Les soins doivent prendre en compte le contexte carcéral et ses limites. Des alternatives à l’incarcération sont à rechercher avec des soins si nécessaire aux indications bien posées et pratiquement réalisables en prenant en compte les dispositifs de soins réellement disponibles. L’organisation sanitaire qui a collé à l’évolution du système carcéral devra se déconstruire si par le plus grand des hasards la prison prenait une orientation « réductionniste ».