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Genre Ordre Politique Ordre Social
1.
actualité CATHERINE ACHIN
Les « liaisons paradoxales » : genre, ordre politique et ordre social en France et en Allemagne L A COMPARAISONentre la France et lâAllemagne depuis 1945 du point de vue du genre nous con- fronte Ă une puissante Ă©nigme. Du cĂŽtĂ© de lâordre politique, force est de constater la plus forte sous-reprĂ©sentation des femmes Ă lâAssemblĂ©e nationale 1 (12,5 % aujourdâhui en dĂ©pit de la loi sur la paritĂ©, le seuil des 10 % ayant Ă©tĂ© dĂ©passĂ© seulement depuis 1997), un constat dâautant plus navrant si on le compare au Bun- destag (dont la part est en progression constante en RFA depuis la fin des annĂ©es 1980, et atteint aujourdâhui 33 % dans lâAllemagne uni- fiĂ©e). Du cĂŽtĂ© de lâordre social, la comparaison des positions des femmes au sein de diverses sphĂšres (famille, travail, sexualitĂ©) rĂ©vĂšle Ă lâinverse un processus dâĂ©mancipation 2 fĂ©minine plus avancĂ© en 1. ApprĂ©hender la reprĂ©sentation politique des femmes Ă travers celle qui caractĂ©rise la Chambre basse du Parlement est un choix classique qui sâinscrit dans la tradition des Ă©tudes consacrĂ©es au personnel politique dirigeant. Il est admis que cette institution occupe une place centrale pour les cursus politiques dans les dĂ©mocraties occidentales, et que ce sont les dĂ©putĂ©s qui dĂ©tiennent le pouvoir de rĂ©former les conditions de ces carriĂšres et du processus de professionnalisation politique. Ces remarques valent pour les deux pays Ă©tudiĂ©s, mĂȘme sâil convient de tenir compte des diffĂ©rences entre les pouvoirs politiques mais aussi symboliques, dâune assemblĂ©e de dĂ©putĂ©s dans un Ătat fĂ©dĂ©ral comme lâAlle- magne, et centralisĂ© comme la France. Cf. Jens Borchert (Ă©d.), Politik als Beruf. Die poli- tische Klasse in westlichen Demokratien, Opladen, Leske + Budrich, 1999, p. 11-12. 2. Nous nous rĂ©fĂ©rons ici Ă lâidĂ©e dâ« Ă©mancipation » telle quâelle est dĂ©ïŹnie par Jacques Commaille dans la classiïŹcation des rĂ©fĂ©rentiels des politiques publiques Ă lâĂ©gard des femmes. Il distingue le rĂ©fĂ©rentiel dâĂ©mancipation, basĂ© sur lâindividualisation et lâauto- nomisation des femmes au sein de la sphĂšre privĂ©e, du rĂ©fĂ©rentiel dâinstitution, qui considĂšre les femmes comme dĂ©pendantes et partie intĂ©grante de lâinstitution familiale, Raisons politiques, n° 15, aoĂ»t 2004, p. 85-96. © 2004 Presses de la Fondation nationale des sciences politiques.
2.
86 â Catherine
Achin France. Si lâon considĂšre le niveau le plus gĂ©nĂ©ral, celui de lâĂtat-pro- vidence 3, il apparaĂźt quâaprĂšs la Seconde Guerre mondiale, la RFA comme la France, conformĂ©ment aux caractĂ©ristiques des pays quali- fiĂ©s de « conservateurs-catholiques 4 », se sont engagĂ©s dans une poli- tique donnant Ă lâĂtat un rĂŽle dâarbitrage et de compensation des rĂ©gimes dâassurance sociale conduisant notamment Ă maintenir les dif- fĂ©rences de statut entre les hommes, considĂ©rĂ©s comme les soutiens de famille, et les femmes â Ă©pouses et mĂšres. Or, ce modĂšle est restĂ© dominant en Allemagne oĂč les femmes continuent Ă bĂ©nĂ©ficier des droits sociaux essentiellement en tant quâĂ©pouses. La lĂ©gislation sur lâĂ©galitĂ© des chances permet dâassurer une certaine Ă©galitĂ© de traite- ment si elles entrent sur le marchĂ© du travail, mais lâĂtat ne leur offre pas dâaide systĂ©matique pour faciliter leur intĂ©gration professionnelle et encourage trĂšs peu le travail des femmes mariĂ©es, quâil sâagisse de protection sociale ou de garde des enfants 5. LâAllemagne demeure ainsi un « Ătat Ă soutien de famille masculin » 6. De son cĂŽtĂ©, lâĂtat français sâest bien davantage distanciĂ© du modĂšle initial en adoptant des politiques explicitement destinĂ©es Ă permettre aux femmes de choisir dâexercer ou non une activitĂ© professionnelle 7. Certes, lâĂtat français a une solide tradition nataliste qui a lĂ©gitimĂ© sa politique fami- liale, mais les politiques publiques depuis les annĂ©es 1970 ont aussi encouragĂ© lâactivitĂ© des femmes et lâĂ©galitĂ© professionnelle 8. Au-delĂ , et de celui de protection, qui dĂ©ïŹnit les femmes comme faibles et à « protĂ©ger ». Cf. Jacques Commaille, « Les injonctions contradictoires des politiques publiques Ă lâĂ©gard des femmes », in Jacqueline Laufer, Catherine Marry, Margaret Maruani (Ă©ds.), Mas- culin-FĂ©minin : Questions pour les sciences de lâhomme, Paris, PUF, 2001, p. 129-148. 3. Cf. Frantz Schultheis, « Lâopposition privĂ©/public comme principe clĂ© dâune vision et dâune division sexuĂ©es du monde social », in Ephesia, La place des femmes. Les enjeux de lâidentitĂ© et de lâĂ©galitĂ© au regard des sciences sociales, Paris, La DĂ©couverte, 1995, p. 192. 4. Selon la classiïŹcation de Gosta Esping-Andersen, Les trois mondes de lâĂtat-providence. Essai sur le capitalisme moderne, Paris, PUF, 1999. 5. LâuniïŹcation allemande nâa pas remis en question ce modĂšle gĂ©nĂ©ral, alors que la place des femmes dans les deux Allemagne Ă©tait trĂšs diffĂ©rente. En RDA, lâĂ©galitĂ© des sexes ïŹgurait parmi les objectifs du rĂ©gime socialiste dĂšs sa fondation, « Ă©mancipation par le haut » exĂ©cutĂ©e toutefois de maniĂšre « paternaliste-autoritaire ». Cf. Rainer Geissler, Die Sozialstruktur Deutschlands. Zur gesellschaftlichen Entwicklung mit einer Zwischenbilanz zur Vereinigung, Opladen, Westdeutscher Verlag, 1996, p. 275. 6. Cf. Jane Lewis, Women and Social Policies in Europe, Aldershot, Edward Elgar, 1993. 7. Jacqueline Heinen, « Genre et politiques familiales », in Christine Bard, Christian Bau- delot, Janine Mossuz-Lavau (Ă©ds.), Quand les femmes sâen mĂȘlent, Paris, La MartiniĂšre, 2004, p. 283-299. 8. Seules la ïŹscalitĂ© et la sĂ©curitĂ© sociale continuent dans les familles Ă faible revenu de pĂ©naliser le travail salariĂ© des femmes mariĂ©es. J. Lewis, « EgalitĂ©, diffĂ©rence et rapports sociaux de sexe dans les Ătats-providence du 20e siĂšcle », Ephesia, La place des femmesâŠ, op. cit., p. 407-422, p. 415.
3.
Les « liaisons
paradoxales » â 87 quels que soient les indicateurs retenus, les Françaises apparaissent systĂ©matiquement plus Ă©mancipĂ©es que leurs voisines dâoutre-Rhin : en matiĂšre dâĂ©ducation (en termes de niveau comme de diversifica- tion des domaines dâĂ©tudes, les avancĂ©es des filles sont plus mar- quĂ©es), dâactivitĂ© (le taux dâactivitĂ© des femmes avec enfants est en moyenne de 15 points supĂ©rieur en France) 9, ou de sexualitĂ© (le droit Ă lâavortement est garanti et remboursĂ©, tandis quâil reste soumis Ă de fortes contraintes en Allemagne), etc. Ces liaisons paradoxales semblent inïŹrmer a priori les croyances spontanĂ©es qui font de lâordre politique le moteur de lâĂ©volution sociale et envisagent la participation des femmes Ă la politique comme une des conditions de leur Ă©mancipation dans la sociĂ©tĂ©. Il nous faut alors approfondir la question de la relative autonomie du champ politique et tenter de vĂ©riïŹer que, si le champ politique nâest pas le « moteur » de lâĂ©volution sociale comme lâa rappelĂ© Delphine Dulong 10, il nâest pas forcĂ©ment non plus le simple « rĂ©cepteur-enregistreur » des modiïŹcations de la sociĂ©tĂ©. Il convient ici de souligner aprĂšs Bernard Lacroix que lâordre poli- tique a une existence propre et quâil ne se confond nullement avec les formes socialement constituĂ©es de la domination sociale dont il participe. Il les met certes Ă contribution, les « hommes » poli- tiques appartenant dans lâensemble plutĂŽt aux dominants, de mĂȘme que lâexercice de lâactivitĂ© politique devient lâune des res- sources de la domination sociale, mais il ne sây rĂ©duit pas. Dâun cĂŽtĂ© cet ordre propre obĂ©it en effet Ă des contraintes spĂ©ciïŹques et de lâautre, il dĂ©pend des « rythmes sociaux, comme les mobilisa- tions et les dĂ©bandades, dans lesquels, quelle que soit sa soliditĂ© propre, il est impliquĂ© 11 ». Il faut donc tenir compte des effets sym- boliques de la division sexuelle du travail dans lâordre social, sur les prĂ©tendants et les prĂ©tendantes Ă lâentrĂ©e en politique. Lâunivers 9. Voir par exemple Catherine Marry et al., « France-Allemagne. InĂ©gales avancĂ©es des femmes. Ăvolutions comparĂ©es de lâĂ©ducation et de lâactivitĂ© des femmes de 1971 Ă 1991 », Revue française de sociologie, vol. 39, n° 2, avril-juin 1998, p. 353-390. 10. Delphine Dulong, « Des actes dâinstitution dâun genre particulier. Les conditions de lĂ©gitimation des femmes sur la scĂšne Ă©lectorale (1945 et 2001) », in Jacques Lagroye (Ă©d.), La politisation, Paris, Belin, 2003, p. 425-443. Voir aussi J. Lagroye, « La lĂ©gitimation », in Madeleine Grawitz et Jean Leca (Ă©ds.), TraitĂ© de science politique, vol. 1, p. 395-468. 11. Bernard Lacroix, « Ordre politique et ordre social. Objectivisme, objectivation et ana- lyse politique », in M. Grawitz et J. Leca (Ă©ds.), TraitĂ© de science politique, op. cit., p. 469-565.
4.
88 â Catherine
Achin socialement et Ă©conomiquement diffĂ©renciĂ© se compose en effet dâindices et de signes qui dĂ©signent les choses Ă faire ou Ă ne pas faire, les dĂ©placements possibles, probables, ou impossibles, mais qui se spĂ©ciïŹent et sâactualisent en fonction des positions et des dis- positions de chacun 12. Or, sâil est connu que les dispositions Ă la « vocation politique » sont lâapanage de certaines catĂ©gories sociales, la domination masculine est un autre vecteur de violence symbolique, qui conduit le plus souvent les hommes Ă dĂ©velopper des dispositions Ă la professionnalisation politique, ou tout au moins Ă la politisation, et les femmes Ă des logiques dâauto- exclusion. Lâanalyse comparĂ©e des caractĂ©ristiques personnelles, sociales et politiques des dĂ©putĂ©es allemandes et françaises Ă©lues depuis la ïŹn de la Seconde Guerre mondiale, permet dans un premier temps de repĂ©rer les facteurs qui clivent leurs trajectoires : il sâagit avant tout des variables dâappartenance nationale et dâappartenance parti- sane 13, deux facteurs au principe du fonctionnement dâun champ politique national orchestrĂ© par la concurrence interpartisane. Comprendre les processus dâentrĂ©e des femmes au Parlement suppose donc dâanalyser le fonctionnement de chaque champ politique national du point de vue du recrutement de son per- sonnel, et en premier lieu de sâinterroger sur son homogĂ©nĂ©itĂ©, puisquâil sâagit dâun implicite contenu dans la notion mĂȘme de champ. Dans le systĂšme politique allemand, la progression de la reprĂ©sentation fĂ©minine Ă tous les Ă©chelons (de la commune, du Land et du Bund), est remarquablement concomitante. De la nais- sance de la RFA jusquâau dĂ©but des annĂ©es 1980, la part des femmes est relativement stable et sensiblement identique (autour de 7 %), parmi les conseillers municipaux, les dĂ©putĂ©s des LĂ€nder et les dĂ©putĂ©s du Bundestag. Par la suite, lâaugmentation nette et rĂ©guliĂšre de la reprĂ©sentation politique des femmes des annĂ©es 1980 Ă la ïŹn du siĂšcle sâopĂšre quasiment en mĂȘme temps Ă ces trois Ă©chelons. Seule la part des femmes allemandes au Parlement euro- pĂ©en se situe dans un premier temps nettement au-dessus de leur 12. Pierre Bourdieu, La domination masculine, Paris, Seuil, 1998, p. 63. 13. Ces rĂ©sultats ont Ă©tĂ© obtenus Ă partir dâune analyse prosopographique et dâune analyse factorielle des trajectoires des dĂ©putĂ©es Ă©lues dans les deux pays entre 1945 et 2000. Nous nous permettons de renvoyer ici Ă notre thĂšse : Le mystĂšre de la Chambre basse. Comparaison des processus dâentrĂ©e des femmes au Parlement. France-Allemagne, 1945- 2000, UniversitĂ© Pierre MendĂšs France, IEP de Grenoble, 2003.
5.
Les « liaisons
paradoxales » â 89 pourcentage dans les autres instances, les Ă©carts ne se rĂ©duisant quâĂ la ïŹn des annĂ©es 1990. Ă lâinverse, dans le systĂšme politique français, lâĂ©volution de la part des femmes dans les diverses assem- blĂ©es sâorganise selon des variations et une temporalitĂ© fort diffĂ©- rentes. Si, jusquâaux annĂ©es 1970, le pourcentage de femmes est trĂšs faible Ă tous les Ă©chelons (en moyenne infĂ©rieur Ă 5 %), le « dĂ©collage » de la reprĂ©sentation fĂ©minine sâopĂšre dans les annĂ©es 1970 et 1980 dâabord aux Ă©chelons communal et rĂ©gional, tandis quâil faut attendre la ïŹn des annĂ©es 1990 pour voir le pourcentage des dĂ©putĂ©es, des conseillĂšres gĂ©nĂ©rales et des sĂ©natrices augmenter trĂšs lĂ©gĂšrement. Seule la reprĂ©sentation fĂ©minine au Parlement europĂ©en est, comme en Allemagne, nettement supĂ©rieure Ă celle des assemblĂ©es nationales. Ainsi, alors que les carriĂšres politiques menĂ©es aux diffĂ©rents pĂŽles du champ politique allemand sont plus indĂ©pendantes quâen France 14, la progression de la reprĂ©sentation fĂ©minine y a Ă©tĂ© beau- coup plus homogĂšne. Ce paradoxe apparent sâexplique par les logiques partisanes de sĂ©lection des candidats qui jouent Ă tous les niveaux. En Allemagne, les contraintes 15 qui pĂšsent sur lâentrĂ©e des femmes dans les assemblĂ©es Ă©lues ont Ă©tĂ© attĂ©nuĂ©es par un volonta- risme politique partisan, de maniĂšre relativement concomitante et quel que soit lâenjeu de lâĂ©lection. Cette ouverture simultanĂ©e de toutes les assemblĂ©es allemandes aux femmes, montre Ă©galement lâĂ©tonnante solidaritĂ© de fonctionnement des institutions du systĂšme politique fĂ©dĂ©ral 16. Aussi, lâordre politique apparaĂźt-il comme relati- vement compact ou homogĂšne et, en mĂȘme temps, comme relative- ment permĂ©able aux transformations de lâordre social. Tout se passe comme si certaines modiïŹcations Ă lâĂ©chelle de la sociĂ©tĂ© allemande 14. Si le mandat de dĂ©putĂ© du Land Ă©tait encore, dans les annĂ©es 1950 et 1960, un « emploi Ă temps partiel » souvent occupĂ© par des non-professionnels de la politique, il est devenu une activitĂ© professionnelle Ă temps plein, dont lâattractivitĂ© et les rĂ©tribu- tions ïŹnanciĂšres sont comparables Ă celles de dĂ©putĂ© du Bund. Cf. Lutz Golsch, Die politische Klasse im Parlament. Politische Professionalisierung von HinterblĂ€nklern im Deutschen Bundestag, Baden-Baden, Nomos Verl., 1998, p. 119. 15. Ces contraintes ne sont pas comprises comme des obstacles uniquement nĂ©gatifs. De nombreux travaux de recherche se sont attachĂ©s Ă dĂ©montrer que les acteurs jouaient des rĂšgles et des comportements prescrits, et quâil Ă©tait par lĂ mĂȘme Ă©vident que les mĂȘmes Ă©lĂ©ments, dĂ©crits comme contraintes, pouvaient Ă©galement servir de « prises », de points dâappui dont on se joue pour les contourner. Cf. par exemple Norbert Elias, La sociĂ©tĂ© des individus, Paris, Fayard, 1991. 16. Cette remarque est valable si lâon considĂšre les moyennes nationales de la reprĂ©senta- tion fĂ©minine aux divers Ă©chelons. Il existe des divergences rĂ©gionales de ce point de vue, mais ces diffĂ©rences sont essentiellement liĂ©es Ă la couleur politique des LĂ€nder.
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90 â Catherine
Achin dans les annĂ©es 1970 et 1980 avaient eu des effets passablement uni- formes sur le recrutement du personnel politique des diffĂ©rentes assemblĂ©es, les partis politiques constituant clairement lâagent moteur de cette mise en relation. En France en revanche, le champ politique fonctionne, du point de vue de la reprĂ©sentation fĂ©minine, comme un systĂšme « Ă deux vitesses », espace clivĂ© entre des institu- tions « dominantes » et des institutions « dominĂ©es ». Du cĂŽtĂ© domi- nant, les mandats de conseillers gĂ©nĂ©raux, de maires et de dĂ©putĂ©s du Parlement national, classiquement les plus valorisĂ©s, semblent rĂ©servĂ©s Ă une Ă©lite politique fermĂ©e et trĂšs largement masculine, qui favorise son « autoreproduction » par des pratiques traditionnelles de cumul des mandats et de sĂ©lection parmi les notables locaux ou les dirigeants nationaux des partis. Du cĂŽtĂ© dominĂ©, les mandats de conseillers municipaux, de conseillers rĂ©gionaux et de dĂ©putĂ©s euro- pĂ©ens, moins valorisĂ©s ou plus rĂ©cents, semblent davantage acces- sibles Ă un nouveau personnel politique 17. Le champ politique français se rĂ©vĂšle ainsi plus hĂ©tĂ©rogĂšne, plus autonome, et donc moins permĂ©able aux modiïŹcations de lâordre social que le champ politique allemand. LâĂ©volution de la part des femmes au gouvernement national conïŹrme ce clivage : les Françaises y sont mieux reprĂ©sentĂ©es quâĂ lâAssemblĂ©e nationale alors que les Allemandes y sont prĂ©sentes dans des proportions similaires. En Allemagne, le recrutement ministĂ©riel consiste en effet pour lâessentiel en la sĂ©lection de parlementaires et obĂ©it lui aussi aux critĂšres partisans qui prĂ©sident Ă lâentrĂ©e au Bun- destag. En France en revanche, la diversitĂ© des ïŹliĂšres dâentrĂ©e au gouvernement depuis les dĂ©buts de la Ve RĂ©publique brouille les cor- rĂ©lations entre reprĂ©sentation et gouvernement. Si les femmes sont nettement plus nombreuses au sein du pouvoir exĂ©cutif quâau sein du pouvoir lĂ©gislatif, câest que leur sĂ©lection ne dĂ©pend pas des mĂȘmes critĂšres. Ont en effet Ă©tĂ© promues au gouvernement, Ă cĂŽtĂ© des quelques professionnelles de la politique issues du Parlement, des femmes sĂ©lectionnĂ©es par les chefs de gouvernement au nom de leur 17. Un clivage similaire distingue les assemblĂ©es Ă©lues au scrutin majoritaire et celles Ă©lues Ă la reprĂ©sentation proportionnelle ou mixte ; une diffĂ©rence accentuĂ©e par lâapplica- tion depuis 2001 de la loi sur la paritĂ©, qui ne garantit une augmentation nette de la reprĂ©sentation fĂ©minine que dans le cas dâĂ©lections au scrutin de liste. Toutefois, comme lâillustrent de nombreux contre-exemples, les modes dâĂ©lection ne sufïŹsent pas entiĂšrement Ă expliquer la reprĂ©sentation des femmes, et ce clivage rĂ©vĂšle surtout les logiques dâinstrumentalisation de la rĂšgle institutionnelle par les partis politiques.
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Les « liaisons
paradoxales » â 91 expertise professionnelle, garantie par leurs diplĂŽmes, leur expĂ©- rience, ou leur notoriĂ©tĂ© 18. Pour comprendre la diffĂ©rence des reprĂ©sentations parlemen- taires des femmes en France et en Allemagne, il est donc nĂ©cessaire dâĂ©tudier les logiques de sĂ©lection des candidats par les partis poli- tiques. Sâagissant des facteurs structurels internes, lâanalyse du mili- tantisme fĂ©minin partisan, au niveau des adhĂ©rentes comme des diri- geantes, conduit Ă souligner lâabsence de liens logiques entre la part des femmes au sein des partis et celle qui leur est rĂ©servĂ©e dans les candidatures aux Ă©lections. En France en effet, contrairement Ă ce que pouvaient laisser croire certaines opinions spontanĂ©es ou savantes qui faisaient du faible engagement des femmes dans les partis politiques une des principales raisons de leur sous-reprĂ©senta- tion en politique 19, la progression sensible qui a marquĂ© les trois derniĂšres dĂ©cennies, caractĂ©risĂ©e par une montĂ©e du pourcentage de femmes Ă tous les niveaux du parti et par un relatif nivellement entre les diffĂ©rentes organisations partisanes, nâa pas eu dâeffet direct sur lâĂ©volution de la reprĂ©sentation parlementaire fĂ©minine. Au sein des partis allemands, la corrĂ©lation semble a priori plus nette : sur la mĂȘme pĂ©riode, lâaugmentation de la part relative des femmes parmi les militants de tous les partis sâaccompagne dâune augmentation quasi proportionnelle, quoique temporellement lĂ©gĂšrement dĂ©calĂ©e, de la part des femmes au Bundestag. Lâaugmentation des effectifs fĂ©minins partisans sâest effectuĂ©e pour lâessentiel durant les annĂ©es 1970, en chiffres absolus comme en pourcentage, alors quâen France, les Ă©volutions marquantes de ce point de vue se sont dĂ©roulĂ©es dans les annĂ©es 1980 et surtout 1990. Par ailleurs, les donnĂ©es sur la place des femmes allemandes dans les positions de pouvoir intra-partisanes tendent Ă montrer, Ă la diffĂ©rence de la France, une forte corrĂ©lation 18. On peut donc faire ici lâhypothĂšse que la nette progression de la part des femmes dans certains domaines professionnels (magistrature, mĂ©decine) depuis les annĂ©es 1970, a inïŹuĂ© sur la composition sexuĂ©e du gouvernement. Une seconde hypothĂšse liĂ©e Ă la prĂ©cĂ©dente, tiendrait compte de la popularitĂ© de certaines ïŹgures de femmes ministres (Simone Veil, Françoise GiroudâŠ), qui jouerait en faveur de la promotion de femmes dans une logique de « coup » politique et par « la volontĂ© du Prince » qui sâappliquerait plus aisĂ©ment pour la sĂ©lection du personnel gouvernemental que pour celle des candi- dats aux lĂ©gislatives, davantage « tenue » par les notables du parti. 19. Ce faible engagement lui-mĂȘme a longtemps Ă©tĂ© attribuĂ©, notamment dans des travaux français, au « retard » des femmes en matiĂšre dâapprentissage de la citoyennetĂ© politique. Cf. par exemple Mattei Dogan et Jacques Narbonne, Les Françaises face Ă la politique. Comportement politique et condition sociale, Paris, Armand Colin, 1955, p. 144-145.
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92 â Catherine
Achin entre la position des femmes dans la hiĂ©rarchie dâune organisation politique et leur proportion parmi les dĂ©putĂ©s Ă©lus. Cette corrĂ©lation fonctionne particuliĂšrement bien pour les partis de gauche (Verts, PDS et SPD), et Ă©videmment dâautant mieux quâelle est en rĂ©alitĂ© le rĂ©sultat dâune dĂ©cision politique, lâadoption de quotas de candidatures fĂ©minines, jouant aussi bien sur les postes de pouvoir au sein du parti que pour les investitures. Ainsi, au-delĂ de la « masse » militante fĂ©minine absolue, de la proportion de femmes parmi les adhĂ©rents dâun parti politique ou encore au sommet de la hiĂ©rarchie intra-organisationnelle, inïŹuent avant tout les mesures volontaristes dâaction positive mises en place par certaines entreprises politiques. Ă bien des Ă©gards, le militantisme partisan fĂ©minin paraĂźt fonctionner comme une « variable Ă©cran » qui masque plus quâelle ne rĂ©vĂšle les conditions rĂ©elles de sĂ©lection du personnel politique parlementaire fĂ©minin dans les deux pays. En amont de lâadoption de ces mesures, on peut sâinterroger sur les facteurs qui expliquent lâadoption de quotas intrapartisans favo- risant et garantissant les candidatures et les Ă©lections de femmes ? La genĂšse des quotas fĂ©minins au sein de certains partis politiques alle- mands Ă partir des annĂ©es 1980 dĂ©voile le caractĂšre dĂ©terminant dâun autre facteur structurel interne, lâexistence dâune organisation autonome de femmes au sein des organisations partisanes. En Alle- magne, Ă lâexception des Verts, les partis « de masse » qui ont adoptĂ© des quotas fĂ©minins disposent en effet dâorganisations fĂ©minines indĂ©pendantes et puissantes, qui ont Ă©tĂ© partie prenante du processus dâadoption de ces mesures dâaction positive. Lâadoption de quotas intrapartisans, produit des luttes internes au champ politique, est dans le mĂȘme temps Ă©minemment dĂ©pendante des liens tissĂ©s entre lâorganisation des femmes et certains mouvements sociaux, en parti- culier les mouvements des femmes des annĂ©es 1970 et 1980 20. MĂȘme si la ïŹliĂšre partisane a un poids plus modĂ©rĂ© en France 21, lâabsence dâorganisations fĂ©minines autonomes et la faiblesse des 20. Ces revendications sont prioritairement prises en charge par le parti des Verts, qui en retire dâindĂ©niables proïŹts Ă©lectoraux, qui justiïŹe lâinterventionnisme concurrentiel des autres partis. Cf. Peter Lösche et Franz Walter, Die SPD. Klassenpartei, Volkspartei, Quotenpartei : zur Entwicklung der Sozialdemokratie von Weimar bis zur deutschen Verei- nigung, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1992, p. 254. 21. Les ïŹliĂšres dâaccĂšs au Parlement empruntĂ©es par les femmes en France et en Allemagne diffĂšrent signiïŹcativement, mais sont sensiblement les mĂȘmes que celles de leurs homologues masculins. Dans le cas allemand, le militantisme partisan est un critĂšre quasi indispensable. En France, si cette ïŹliĂšre est Ă©galement dominante, elle est le plus souvent complĂ©tĂ©e par dâautres activitĂ©s telles que lâobtention de mandats locaux.
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Les « liaisons
paradoxales » â 93 « commissions fĂ©minines » dans les partis peut alors permettre de rendre compte de lâĂ©chec relatif de lâadoption de ces mesures. De plus si, comme en Allemagne, la concurrence interpartisane sur la question de lâĂ©galitĂ© des sexes, notamment avec les Verts, a pu jouer dans les annĂ©es 1990, câest dâabord lâusage Ă©lectoraliste de cet argu- ment par les dirigeants du parti qui prĂ©vaut 22. Le faible poids des femmes du parti au regard des facteurs Ă©lectoralistes, tient Ă lâabsence dâune organisation autonome, mais aussi Ă la trĂšs faible permĂ©abilitĂ© des partis politiques français aux revendications issues de lâordre social. Le lien de causalitĂ© entre les modiïŹcations des positions des femmes au sein de la structure sociale et leur reprĂ©sentation politique ne pouvant ĂȘtre vĂ©riïŹĂ©, il reste Ă analyser les effets des « crises politiques » et des mobilisations des femmes dans lâordre social sur le recrutement parlementaire. Sans prĂ©supposer que les crises poli- tiques ont des effets systĂ©matiques de « rupture » sur ce processus, il sâagit, Ă la suite de Michel Dobry 23, de rendre compte des effets potentiels sur le fonctionnement du champ politique des stratĂ©gies individuelles et collectives des femmes, de leur « activitĂ© tactique » en tant que protagonistes des crises et de leurs « mobilisations », que la conjoncture soit critique ou routiniĂšre. Le poids des crises politiques apparaĂźt tout dâabord comme Ă©minemment contingent dans les deux pays. Les changements de rĂ©gime et lâĂ©ventuel renouvellement du personnel politique quâils entraĂźnent nâont dâeffets sur la reprĂ©sentation parlementaire fĂ©mi- nine que si les entreprises politiques qui lâemportent ïŹnalement favorisent les candidatures des femmes. Ce poids des partis se vĂ©riïŹe Ă©galement lors des alternances : aussi bien en France quâen Alle- magne, la victoire de la gauche, aprĂšs une longue pĂ©riode de domi- nation des partis de droite, respectivement en 1969 et 1981, nâa pro- voquĂ© aucune rupture notable de la courbe de reprĂ©sentation parlementaire fĂ©minine. En rĂ©alitĂ© le PS et le SPD des annĂ©es 1970 et 1980 ne se distinguent que trĂšs peu sur ce point des organisations de droite. Il faut, Ă lâexception du PCF, attendre la ïŹn des annĂ©es 1980 en Allemagne et 1990 en France, pour que les organisations 22. Voir Eric Fassin, « La paritĂ© sans thĂ©orie : retour sur un dĂ©bat », Politix, vol. 15, n° 60, 2002, p. 19-32. 23. Michel Dobry, Sociologie des crises politiques, Paris, Presses de Sciences Po, 1992 (1e Ă©d. 1986).
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94 â Catherine
Achin politiques de gauche se diffĂ©rencient en mettant notamment en place des quotas de reprĂ©sentation fĂ©minine. Finalement, ce sont les effets de la crise de 1968 qui sâavĂšrent dĂ©terminants en Allemagne. LâintĂ©gration prĂ©coce dans le champ politique dâune branche du mouvement fĂ©ministe, la forte visibilitĂ© sociale des actions menĂ©es par la branche autonome, et enïŹn lâunion des deux tendances rĂ©alisĂ©e dans les annĂ©es 1980, ont fortement contribuĂ© Ă renforcer les positions des femmes au sein des entreprises politiques traditionnelles et Ă faire entendre leur revendication dâune meilleure reprĂ©sentation. LâefïŹcacitĂ© de cette stratĂ©gie dâintĂ©gration a Ă©tĂ© par ailleurs favorisĂ©e par lâassouplissement de la conïŹguration politique dans les annĂ©es 1980 au contact de nouveaux mouvements sociaux (Ă©cologisme, paciïŹsme, fĂ©minisme). De ces derniers est nĂ© le GrĂŒnen, parti alternatif et paritaire, dont lâoffre politique est adaptĂ©e aux demandes des fĂ©ministes autonomes. DĂšs lors, sur le modĂšle des Verts et par effet de concurrence, les militantes des partis tradition- nels ont obtenu en cascade des quotas de reprĂ©sentation. LâuniïŹca- tion allemande nâa pas altĂ©rĂ© ce processus : alors mĂȘme que la crise politique de 1989 et 1990 en RDA Ă©tait marquĂ©e, entre autres, par un profond bouleversement des schĂšmes de perception de la poli- tique et des rĂŽles de sexe, ses effets sur les processus dâentrĂ©e des femmes au Parlement ont Ă©tĂ© trĂšs rapidement limitĂ©s. La normalisa- tion des institutions politiques sur le modĂšle ouest-allemand a gĂ©nĂ©- ralisĂ© les principes du recrutement politique propres Ă la RFA. Ren- forcĂ©e par les Ă©lues du PDS, la progression de la part des femmes au Bundestag est restĂ©e trĂšs rĂ©guliĂšre, garantissant aujourdâhui la prĂ©- sence dâun tiers de femmes parmi les dĂ©putĂ©s. En France Ă lâinverse, les fĂ©ministes du MLF ont trĂšs majoritai- rement refusĂ© les stratĂ©gies dâintĂ©gration. Les dissensions internes dĂšs la ïŹn des annĂ©es 1970, tout comme la reprise des revendications fĂ©ministes par les partis au pouvoir ou en passe de lâĂȘtre, ont bĂąti un mur entre le mouvement de libĂ©ration des femmes et les institutions politiques traditionnelles. Lâordre politique français dans la dĂ©cennie 1980 est restĂ© impermĂ©able aux mouvements sociaux, et malgrĂ© lâintĂ©gration de certains leaders, est apparu trĂšs peu attractif pour les militants de ceux-ci et en particulier pour les femmes. Lâadoption de la loi sur la paritĂ© en 2000 et ses usages stratĂ©giques par les partis politiques lors des Ă©lections lĂ©gislatives de 2002 nâont guĂšre favorisĂ© lâentrĂ©e des femmes Ă lâAssemblĂ©e nationale (12 %), et ont conïŹrmĂ© la forte autonomie du champ politique français et lâutilisation, trĂšs
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Les « liaisons
paradoxales » â 95 conjoncturelle et opportuniste, de la question de la reprĂ©sentation politique des femmes. Une question importante reste cependant en suspens : si lâauto- nomie du champ politique est plus marquĂ©e en France quâen Alle- magne en matiĂšre de recrutement des professionnels de la politique, est-ce Ă©galement vrai pour la production de politiques publiques ? Autrement dit, la moindre intĂ©gration des femmes dans le champ politique français sous la pression des mouvements fĂ©ministes des annĂ©es 1970 a-t-elle eu une incidence sur les lois votĂ©es et les poli- tiques mises en Ćuvre depuis, notamment en faveur de lâĂ©mancipa- tion des femmes dans la sociĂ©tĂ© ? RĂ©pondre Ă cette question est difïŹcile et nous renvoie au para- doxe de notre comparaison. Tout porte en effet Ă croire que les mou- vements fĂ©ministes en France ont fortement pesĂ© sur la production de certaines lois et politiques Ă©mancipatrices, alors mĂȘme que les Allemandes, plus nombreuses parmi les professionnels de la poli- tique, ne peuvent se prĂ©valoir de rĂ©sultats aussi nets. Nous pouvons dĂšs lors formuler une double hypothĂšse. Dâune part, lâautonomie de fonctionnement du champ politique serait en rĂ©alitĂ© telle que rien ne garantirait que la prĂ©sence dâun tiers de femmes parmi les parlemen- taires favorise la production de lois Ă©mancipatrices pour celles-ci. Et câest bien cette hypothĂšse que semble conforter lâexemple allemand : les femmes Ă©lues dĂ©putĂ©es depuis les annĂ©es 1980 sous la pression des mouvements sociaux, nâauraient-elles pas en rĂ©alitĂ© Ă©tĂ© rattrapĂ©es par les logiques professionnelles spĂ©ciïŹques au mĂ©tier parlementaire, nâinïŹĂ©chissant donc pas les modes de fonctionnement de la politique et ne pesant guĂšre sur lâagenda des politiques publiques ? Ou bien encore, les Allemandes, une fois Ă©lues, nâauraient-elles pas Ă©tĂ© confrontĂ©es aux mĂȘmes limites et contraintes qui pĂšsent sur elles dans la sociĂ©tĂ© ? Dâautre part, et cette seconde hypothĂšse dĂ©coule de la pre- miĂšre, le processus de recrutement du personnel politique et la pro- duction de politiques publiques renverraient Ă deux modalitĂ©s dis- tinctes du fonctionnement du champ politique. Si la maĂźtrise par les entreprises politiques de la « coupure » entre professionnels et pro- fanes autonomise profondĂ©ment les principes du recrutement du personnel politique, la logique de la compĂ©tition politique et notam- ment la concurrence entre partis (pour ĂȘtre Ă©lus ou rĂ©Ă©lus) obligent, semble-t-il, les professionnels de la politique Ă prendre bien davan- tage en considĂ©ration les « nĂ©cessitĂ©s externes », câest-Ă -dire les reven-
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Achin dications portĂ©es par les mobilisations sociales. Autrement dit, lâordre social pĂšserait plus nettement sur le processus de production des politiques publiques que sur les modes de sĂ©lection du personnel politique⊠Docteure en science politique, chercheuse associĂ©e au CERAT- PACTE (IEP de Grenoble), Catherine Achin a publiĂ© en 2002, avec Marion Paoletti, « Le âsaltoâ du stigmate. Genre et construction des listes aux municipales de 2001 », Politix, « La paritĂ© en pratiques », vol. 15, n° 60. Ses recherches actuelles portent sur la dĂ©mocratisation du personnel politique et sur les effets de la composition sexuĂ©e du personnel politique sur lâaction publique, dans une perspective comparative. RĂSUMĂ Lâarticle cherche Ă rĂ©soudre un paradoxe propre aux rapports entre ordre politique et ordre social du point de vue du genre, en mettant au jour les facteurs de la plus forte reprĂ©sentation des femmes au Parlement en Allemagne quâen France, alors mĂȘme que les femmes sont moins « Ă©mancipĂ©es » au sein de la structure sociale en Allemagne. La comparaison rĂ©vĂšle que le recrutement du personnel politique fĂ©minin est avant tout dĂ©pendant des logiques propres de fonctionnement du champ politique, elles-mĂȘmes fortement soumises Ă la concurrence interpartisane. De ce point de vue, le champ politique français est particuliĂšrement fermĂ©, alors quâen Allemagne, dans le sillage de la crise de 1968, les mobilisations des mouve- ments sociaux ont pesĂ© sur le recrutement des professionnels de la politique et permis lâentrĂ©e massive des femmes au Parlement. The above article attempts to solve a gender paradox that obtains in the rela- tionship between the political and social order : to wit, why are there more women in the Bundestag than in the AssemblĂ©e nationale although women are less âeman- cipatedâ in German society than in France. A comparison of the two systems reveals that female political staff are recruited chiefly according to a logic that is peculiar to the political sphere and largely determined by the competition between the political parties. To all intents and purposes French politics is a hermetically sealed domain, whereas in Germany, in the wake of the 1968 upheavals, wides- pread social movements have heavily impacted the recruitment of professional politicians, enabling women to enter Parliament in considerable numbers.