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Introduction à l’électrophysiologie cellulaire cardiaque
- 1. PHYSIOPATHOLOGIE CARDIOVASCULAIRE
Introduction
à l’électrophysiologie cellulaire cardiaque
F. Charpentier1, J.-J. Mercadier2
1
Institut du thorax, Inserm UMR 1087, CNRS UMR 6291, Nantes
2 Services d’explorations fonctionnelles et de cardiologie et Inserm UMR 698, Groupe hospitalier Bichat – Claude Bernard, Paris
flavien.charpentier@univ-nantes.fr
D
e façon assez logique, les cardiolo- le sarcolemme, qui constitue une barrière
gues ne s’intéressent à l’électrophy- de diffusion des électrolytes. Des protéines
siologie cellulaire cardiaque qu’à transmembranaires, les canaux ioniques et
la marge, soit pour mieux comprendre le les transporteurs ioniques, permettent cepen-
mode d’action d’une nouvelle molécule dant le passage des substrats ionisés néces-
(ivabradine, dronédarone…), ou bien encore saires à la vie, en particulier les ions Na+, Ca2+,
les bases moléculaires d’une nouvelle cana- Cl- et K+, à l’origine de l’activité électrique
lopathie familiale. Quelques notions d’élec- des cellules cardiaques. Une membrane per-
trophysiologie cellulaire leurs sont ainsi méable à un ion laisse celui-ci diffuser dans
fournies, souvent de façon succincte, à la fin la cellule selon son gradient de concentra-
d’articles avant tout cliniques. A un moment tion. Cette diffusion d’un ion chargé électri-
où de nouvelles déceptions thérapeutiques quement génère un courant ionique qui va
frappent le monde de la rythmologie, le polariser la membrane créant une différence
Comité éditorial des AMCV Pratique a fait de potentiel entre ses deux faces. Ce courant
le pari de l’utilité, pour le cardiologue clini- va s’accroître jusqu’à ce qu’il puisse s’opposer
cien, de voir exposées pour une fois les exactement au gradient de concentration,
choses dans l’autre sens, c’est-à-dire selon l’ion s’arrêtant ainsi de diffuser. La valeur de
la formule consacrée : « de la paillasse au potentiel membranaire pour laquelle un ion
lit du malade ». Outre une actualisation de s’arrête de diffuser est le potentiel d’équi-
ses connaissances, ceci devrait lui permettre libre de cet ion. Cette valeur peut être déter-
d’envisager les mécanismes des troubles minée par l’équation de Nernst :
du rythme de façon plus contextualisée,
globale, et ainsi de mieux appréhender les EX = (RT/ZF).ln([X]e/[X]i)
spécificités de chacun. Cette courte revue
introductive est ainsi la première d’une série dans laquelle EX représente le potentiel
étalée sur deux ans qui, nous l’espérons, d’équilibre d’un ion X (en Volt, V), R est la
devrait fournir aux cardiologues l’essentiel constante des gaz parfaits (9.314 Joules.mol-1.
des connaissances actuelles sur le fonctionne- degré-1), T est la température absolue (en
ment des canaux ioniques et leur régulation Kelvin, K : 273 + température en °C), F est le
pour mieux appréhender les extraordinaires nombre de Faraday (96 500 Coulombs/mol),
mécanismes moléculaires, cellulaires et tissu- z est la valence de l’ion et [X]e et [X]i repré-
laires des troubles du rythme cardiaque et sentent respectivement les concentrations
les bases de leur traitement. extracellulaire et intracellulaire de l’ion (en
molaire, M).
Connaissant les concentrations ioniques de
Bases biophysiques part et d’autre de la membrane plasmique,
de l’électrogenèse on peut donc calculer le potentiel d’équilibre
de chaque ion :
Les cardiomyocytes sont séparées de leur • pour [K+]e = 4 mM et [K+]i = 140 mM, EK §
environnement par une bicouche lipidique, -95 mV
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- 2. F. Charpentier, J.-J. Mercadier PHYSIOPATHOLOGIE CARDIOVASCULAIRE
• pour [Na+]e = 140 mM et [Na+]i = 10 mM, (-95 mV dans les conditions physiologiques)
ENa § +70 mV car la membrane est alors essentiellement
• pour [Ca2+]e = 2 mM et [Ca2+]i = 1 μM, ECa perméable au K+ à travers les canaux potas-
§ +100 mV siques à rectification entrante (Kir2.1 et
• pour [Cl-]e = 140 mM et [Cl-]i = 20 mM, :ECl Kir2.2) qui génèrent IK1. Il existe également
§ -50 mV un très faible courant de fond sodique
Le potentiel membranaire de repos peut être dépolarisant, Ib,Na (b pour background). A ces
décrit par l’équation d’Hodgkin-Goldman- courants ioniques s’ajoutent deux courants,
Katz qui tient compte des gradients trans- l’un sortant, Ip, généré par la pompe Na+/
membranaires des concentrations ioniques K+ (Na+/K+-ATPase), l’autre entrant, généré
et des perméabilités ioniques : par l’échangeur Na+/Ca2+ (INa/Ca). La Na+/
K+-ATPase est un système de transport actif
Em = RT/F.ln[(PK[K+]e + PNa[Na+]e + qui, pour chaque molécule d’ATP consom-
PCl[Cl-]i)/ (PK[K+]i + PNa[Na+]e + PCl[Cl-]i)]. mée, permet le recaptage dans la cellule de
2 K+ et l’extrusion de 3 Na+. Le bilan est donc
Lorsque le potentiel de membrane Em est d’une charge positive qui sort de la cellule,
égal au potentiel d’équilibre EX d’un ion X, créant ainsi un courant net sortant repolari-
le flux transmembranaire net de cet ion est sant (quel que soit le potentiel membranaire).
nul. Lorsque Em est supérieur à EX, le flux net C’est pourquoi la pompe Na+/K+ est dite élec-
de X est sortant pour les cations et entrant trogénique. L’échangeur Na+/Ca2+ est éga-
pour les anions et génère un courant ionique lement électrogénique car il échange 3 Na+
net repolarisant. Inversement, lorsque Em est pour 1 Ca2+. Contrairement à la pompe Na+/
inférieur à EX, le flux net de X est entrant K+, l’échangeur Na+/Ca2+ est un système pas-
pour les cations et sortant pour les anions sif dont l’énergie résulte des équilibres entre
et génère un courant ionique net dépolari- les forces électriques et de diffusion dues aux
sant. Plus Em s’éloigne de EX, plus l’intensité ions Na+ et Ca2+. En fonction du potentiel
du courant augmente (en valeur absolue). La membranaire et des variations de concentra-
force électromotrice (potentiel d’entraîne- tions intracellulaires, les concentrations extra-
ment) du courant ionique net d’un ion X est : cellulaires étant quasi constantes, le sens des
échanges peut s’inverser. Si Em est inférieur à
V = Em - EX. ENa/Ca l’échangeur permet l’entrée de 3 Na+
contre la sortie d’un Ca2+ et génère donc un
L’intensité d’un courant est définie par la loi courant entrant dépolarisant. C’est ce qui se
d’Ohm : produit notamment pendant le plateau du
potentiel d’action et au potentiel de repos.
IX = (Em - EX) . Gx,
dans laquelle IX est l’intensité du courant Le potentiel d’action cardiaque
porté par l’ion X (en Ampère, A) et GX, la
conductance (inverse de la résistance) pour Le potentiel d’action (PA) des myocytes car-
cet ion (en Siemens, S). diaques comporte cinq phases (figure 1).
Phase 0
Le potentiel de repos
Cette phase correspond à la dépolarisation
La valeur du potentiel membranaire dépend à des myocytes. Pour les cellules contractiles et
chaque instant du rapport de force entre les celles du système de conduction ventriculaire
courants dépolarisants et les courants repola- de His-Purkinje, la phase 0 est très courte (de
risants. Dans les cardiomyocytes contractiles l’ordre de la milliseconde) en raison d’une
et ceux du système His-Purkinje, le poten- vitesse maximale de dépolarisation de l’ordre
tiel de repos est très négatif, entre -80 et de 200 à 300 V/s pour les cellules contrac-
-90 mV, proche du potentiel d’équilibre du K+ tiles et de 400 à 800 V/s pour les cellules
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- 3. PHYSIOPATHOLOGIE CARDIOVASCULAIRE Introduction à l’électrophysiologie cellulaire cardiaque
l’absence de ce phénomène de rectification
entrante, la dépolarisation des cellules ne
serait pas possible car la dépolarisation liée
à l’entrée des ions Na+ dans le myocyte serait
annulée par la sortie des ions K+. L’ouverture
des canaux Na+ est cependant transitoire.
Phase 1
Cette phase, dite de repolarisation précoce,
est liée à l’inactivation des canaux sodiques
(un second changement de conformation
entraîne leur fermeture) et à un courant sor-
tant transitoire Ito (pour transient outward)
qui en module l’amplitude. Ce courant com-
porte deux composantes : Ito1 (parfois aussi
appelé Ilo) et Ito2 (ou Ibo). Ito1, généralement
dénommé Ito par abus de langage, est un
courant potassique qui s’active rapidement
(2-3 ms) lors de la dépolarisation cellulaire
et s’inactive en quelques dizaines de millise-
condes. Ce courant est inhibé par la 4-amino-
pyridine. Il a lui-même été subdivisé en deux
composantes : Ito,f (pour fast), généré par les
canaux KV4.2 et KV4.3, et Ito,s (pour slow),
généré par les canaux KV1.4. L’amplitude de
Ito1 détermine l’amplitude de la repolarisation
précoce, très marquée dans le myocarde sous-
épicardique, et très faible dans le myocarde
sous-endocardique. Ito2 est un courant sortant
insensible à la 4-aminopyridine et activé par
le calcium intracellulaire, qui serait généré
par un canal chlorure (entrée de Cl-) dont la
nature moléculaire reste à déterminer. Ce
Figure 1. Schéma présentant les différentes phases d’un courant participerait à la régulation de la
potentiel d’action et les courants à l’origine de ce potentiel durée du PA lors d’une surcharge calcique.
d’action.
Les courants entrants dépolarisants sont en rouge, Phase 2
les courants sortants repolarisants en bleu.
Le plateau du PA est une phase d’équilibre
relatif entre les courants entrants dépolari-
de His-Purkinje. Cette dépolarisation rapide sants et les courants sortants repolarisants, ces
est liée au courant sodique (INa) généré par derniers devenant progressivement prédomi-
les canaux NaV1.5 dépendants du potentiel nants. Le principal courant entrant au cours
qui s’activent (un changement de confor- de cette phase est le courant calcique de type
mation entraîne leur ouverture) très rapide- L (pour long lasting), ICa,L, courant généré par
ment (1-2 ms) pour des valeurs de potentiel les canaux CaV1.2, récepteurs des dihydro-
supérieures à -70 mV. La dépolarisation est pyridines. Ce courant joue un rôle essentiel
favorisée par le phénomène de rectification de déclencheur de la contraction cardiaque
entrante du courant IK1 qui devient nul pour en provoquant la libération du calcium du
les potentiels supérieurs à -50 mV, faisant réticulum sarcoplasmique (phénomène de
de GNa la seule conductance disponible. En calcium-induced calcium release). Le second
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courant entrant au cours de cette phase est les canaux KV7.1, ou KvLQT1) augmente. Ce
de nature sodique. En effet, bien que la plus déséquilibre en faveur des courants potas-
grande partie des canaux NaV1.5 porteurs siques sortants permet aux cellules de se repo-
d’INa se soit inactivée au cours de la phase 1, lariser. Pour les potentiels inférieurs à -50 mV,
une petite fraction d’entre eux (moins de le courant potassique à rectification entrante
1 %) se maintient en activité et participe ainsi IK1 devient prédominant et favorise le retour
au développement du plateau. L’inactivation au potentiel de repos, tandis que les canaux
progressive des canaux responsables d’Ito est KV7.1 et KV11.1 se ferment (désactivation qui
compensée par la mise en jeu progressive est un changement de conformation inverse
d’autres canaux K+ responsables du courant de l’activation, entraînant leur fermeture).
KV retardé. Un équilibre s’installe alors entre
des courants entrants dépolarisants et des Phase 4
courants sortants repolarisants et l’intensité
relative de chaque courant va moduler la Cette phase correspond au potentiel de repos
durée du plateau du PA. Chez l’homme, dans pour les cellules contractiles ou à la phase de
les cardiomyocytes auriculaires, un autre cou- dépolarisation diastolique lente pour les cel-
rant sortant K+, IKur (pour ultra rapid), s’active lules automatiques. Les mécanismes de cette
très rapidement après la dépolarisation mais dernière seront décrits dans l’article consacré
s’inactive plus lentement qu’Ito. Ce courant, à l’automatisme.
généré par le canal KV1.5, est responsable du Cette description des différentes phases du
faible niveau de potentiel du plateau des PA PA ne s’applique qu’aux cellules cardiaques
des cellules auriculaires (inférieur à 0 mV) ; fortement polarisées, les cellules contrac-
une diminution d’IKur conduit à une élévation tiles et les cellules du système de conduction
du plateau du PA. Ce courant est également ventriculaire (faisceau de His et fibres de
sensible à la 4-aminopyridine. Purkinje). Dans les cellules du nœud sino-
atrial et nœud auriculo-ventriculaire, faible-
Phase 3 ment polarisées, la dépolarisation du PA,
beaucoup plus lente, est due à l’activation
Au cours de cette phase, dite de repolarisa- des canaux calciques de type L car le courant
tion tardive, ICa,L diminue en raison de son sodique rapide INa ne peut être activé à partir
inactivation alors que l’amplitude des cou- de ces potentiels faibles.
rants potassiques retardés, IKr (généré par les
canaux KV11.1, ou HERG) et IKs (généré par Conflits d’intérêt : les auteurs déclarent ne pas avoir
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