Avant et après la sauvegarde coeur défense (h kensicher magazine décideurs - avril 2010)
1. En partenariat avec
N°115 - avril 2010
RESTRUCTURATION - CŒUR DÉFENSE
Par Hervé Kensicher, avocat associé.
Orrick Rambaud Martel
Le point sur...
Avant et après la sauvegarde Cœur Défense
Extrait du magazine / Décideurs N°115 / avril 2010
2. INVESTISSEURS & CAPITAUX • PAROLES D'EXPERTS
RESTRUCTURATION - CŒUR DÉFENSE
Avant et après la sauvegarde Cœur Défense
2008 et 2009 auront marqué les acteurs du financement immobilier comme une période de vaches
maigres, dédiée au réaménagement de dette dans la crainte d’une sauvegarde à la Cœur Défense. Mais
cette sauvegarde n’est plus, ainsi en a décidé la Cour d’Appel de Paris. La donne a-t-elle changé ?
pas privés d’en brandir le spectre.
Il faut dire que la sauvegarde Cœur
SUR L'AUTEUR Défense ouverte en novembre 2008
Hervé Kensicher, spécialiste de longue a laissé chez les créanciers une amer-
date du financement immobilier conseillant tume d’autant plus vive que les juri-
prêteurs et emprunteurs et ayant fait ses dictions ont aussi initialement mis en
premières armes dans ce secteur en échec la cession Dailly des loyers, puis
réalisant la première cession française de
permis l’adoption d’un plan de sauve-
créances immobilières non performantes
en 1995, nous livre ses réflexions sur la
garde faisant application sélective des
restructuration de dette immobilière avant stipulations du prêt, sans en respecter
et après Cœur Défense. les conditions, tout en laissant le prin-
Hervé Kensicher, avocat associé cipal à remBourser en dehors du plan
L
d’apurement.
e financement de l’investis- La crainte que la mise en recouvre- Le sentiment du prêteur à cet égard
sement immobilier a fondu ment mène à une perte est bien sûr la est que la sauvegarde se conçoit mal
comme peau de chagrin motivation première du prêteur dans dans le cas d’une société dédiée, sans
depuis 2007, sous l’effet combiné la recherche d’une solution consen- employés et ne produisant rien d’autre
de la sévère contraction de l’offre suelle. La plupart des prêts en difficulté que les loyers d’un immeuble financé
de dette bancaire due à la crise le sont en effet parce que la décrue des aux trois quarts par lui, seul créancier ;
financière et de la raréfaction des valeurs déjà observée provoque méca- dans un tel schéma, la sauvegarde ser-
mutations immobilières due à l’in- niquement un manquement au res- virait surtout à préserver les intérêts de
certaine évolution des valeurs de la pect du ratio LTV convenu : du fait l’actionnaire au détriment du prêteur,
pierre. des niveaux de levier consentis en 2007 alors même qu’il est naturel que l’ac-
(jusqu’à 85 % et au-delà) et de la pré- tionnaire, qui contrairement au prê-
MARCHÉ ATONE EN 2008-2009 valence des prêts à remBoursement in teur peut voir son profit croître avec la
Il n’y a certes pas pénurie de fonds fine, il n’est pas rare qu’un ratio encours valeur du bien financé, subisse avant
propres à investir, mais l’effet de sur valeur atteigne désormais 100 %, le prêteur toute perte due à la décrois-
levier bancaire s’est amoindri. voire plus. Si les défauts relatifs au ratio sance de cette valeur. Les seules issues
Le flux des CMBS ayant tari, les de couverture des intérêts (ICR) sont que le prêteur conçoit donc sont le réa-
banques tributaires de la titrisation moins fréquents, ils existent néan- ménagement consensuel, la reprise de
ont cessé de prêter ; d’autres, en moins et le congé d’un seul locataire l’actif par lui, ou la liquidation.
proie à de cruels problèmes bilan- peut suffire à pousser l’ICR en deçà du Du point de vue de l’emprunteur,
ciels, se sont retirées du secteur, et plancher prescrit. Quand approche la surtout celui ne souffrant que de la
celles qui prêtent encore le font avec maturité du prêt, il ne s’agit plus là de dégradation supposée temporaire de
parcimonie. De surcroît, acheteurs défaillances techniques à traiter par un la valeur de marché de l’immeuble, un
et vendeurs potentiels se rencontrent simple « waiver », mais bien du reflet plan de sauvegarde l’autorise à attendre
difficilement sur les prix ; et malgré d’une réalité pressante : l’emprunteur que, par le double effet du retour à de
le nombre de crédits défaillants, il n’y ne peut céder l’actif sans perdre ses meilleures valeurs de marché et de
pas encore assez de reprises d’actifs fonds propres ; ou pire, il ne peut le l’emploi des excédents trimestriels de
par les créanciers ou de ventes de céder ni le refinancer à un niveau de trésorerie à la réduction graduelle de
créances décotées pour susciter un prix ou d’effet de levier permettant le l’encours, le ratio LTV soit bientôt
redémarrage significatif du marché. remBoursement à l’échéance. ramené sans casse inutile à un niveau
La mode des deux années écoulées permettant d’envisager sereinement
a donc plutôt été au réaménage- L’EFFET CŒUR DÉFENSE une vente ou un refinancement ; ceci,
ment des prêts de la folle période La hantise d’une procédure de sauve- tout en payant les intérêts, mais peut-
2005-2007, venant à échéance de garde a elle aussi influencé les banques, être sans devoir accepter une marge
2010 à 2014. les investisseurs en difficulté ne s’étant bancaire accrue venant annuler en par-
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3. Par Hervé Kensicher, avocat associé. Orrick Rambaud Martel
LES POINTS CLÉS
La sauvegarde Cœur Défense a incité les prêteurs à la prudence dans l’exigence du respect des
ratios LTV mis à mal par la crise.
La Cour d’Appel de Paris vient pourtant de fermer le refuge de la sauvegarde aux sociétés
d’investissement immobilier dédiées, par un raisonnement à contrepied du mouvement législatif.
La cession Dailly, confirmée dans son efficacité, met de toute façon les cartes dans la main du prêteur.
tie l’économie provenant de la réduc- ploi est en jeu. Pourtant, on pourrait l’exigibilité de cette créance, qui se
tion des taux de swap… tout aussi bien soutenir que le change- trouvera retardée par le plan de sauve-
ment de propriétaire d’une entreprise garde ou continuation, il peut toutefois
COUP DE FREIN industrielle n’est pas en soi de nature à conserver ces sommes, jouissant ainsi
DE LA COUR D’APPEL DE PARIS
entraver la pérennité de son activité ou d’une influence considérable sur le sort
Dans ce débat où aucun des argu- de ses emplois, et qu’ainsi la sauvegarde de la procédure.
ments qui s’opposent n’est pleinement ne devrait pas plus lui être accordée
convaincant ni totalement inopérant, si elle ne vise qu’à forcer la main du APRÈS CŒUR DÉFENSE
la Cour d’Appel de Paris vient de tran- prêteur. Enfin, il n’est pas évident que Il est prématuré d’en déduire que nous
cher, par des décisions qui retiendront l’argument central de la Cour, fondé venons de rejoindre résolument le
l’attention, rendues le 25 février en des sur l’absence de difficulté à poursuivre club des pays dits « creditor-friendly »,
termes similaires non seulement dans l’exploitation de l’actif lui-même, reste tant les décisions judiciaires évoquées
l’affaire Cœur Défense, mais aussi dans pertinent si les difficultés de l’emprun- ici semblent aller à contrepied de la
une autre affaire n’ayant pas défrayé la teur, non résolues, le mènent à la cessa- récente réforme de la sauvegarde, dont
chronique, indiquant ainsi que la posi- tion des paiements et au redressement le législateur a nettement voulu étendre
tion de la Cour n’est pas spécifique à judiciaire. Sauf à ce qu’elle ait en vue l’utilisation. Certes, les prêteurs mène-
la saga Cœur Défense, mais bien une de revenir à la situation antérieure à la ront dès aujourd’hui plus sereinement
position de principe. On en comprend loi de sauvegarde, où, en pratique, une leurs négociations en cours pour le
que la Cour parisienne entend empê- société immobilière en cessation de réaménagement de la masse des prêts
cher, du moins s’agissant de sociétés paiement et sans employés allait tout immobiliers venant bientôt à échéance.
dédiées, qu’on fasse de la sauvegarde droit la liquidation sans passer par la Mais gageons aussi que le microcosme
(et du juge) une simple arme de dis- case redressement… du financement de l’investissement
suasion aidant l’emprunteur à imposer immobilier aura tiré les leçons de
unilatéralement un réaménagement LA CESSION DAILLY Cœur Défense, et que les crédits nou-
RENAÎT DE SES CENDRES
qu’il ne pouvait obtenir par la négo- vellement octroyés, que l’on voit plus
ciation contractuelle ; elle le fait au Par ailleurs, ayant annulé l’ouver- nombreux en ce début 2010, seront
moyen du surprenant argument selon ture de la sauvegarde, la Cour n’a pas conçus de sorte à mieux prémunir le
lequel le risque de réalisation des sûre- eu à trancher le fond du litige sur la prêteur de l’éventualité d’une sauve-
tés à l’échéance n’est pas une difficulté compatibilité des cessions Dailly avec garde, notamment celle visant à pro-
insurmontable remettant en cause la cette procédure. On en reste donc au téger la holding de l’emprunteur du
pérennité de l’exploitation, car celle-ci jugement du tribunal de commerce recours sur les titres sociaux de celui-ci
peut alors continuer… dans la main d’octobre 2009 confirmant leur oppo- donnés en nantissement.
d’un autre propriétaire (de l’immeuble sabilité, mais qui semble avoir été en
ou de la société). grande partie motivé par l’engagement
du créancier de restituer à l’emprun-
Mais, outre que la réalisation des teur la part des loyers requise pour le
hypothèques met bien fin à l’activité fonctionnement de l’immeuble. De
de la société dédiée, qui est la personne fait, si l’on donne plein effet à la cession
morale dont la demande de sauvegarde Dailly, la sauvegarde est impossible,
vise à permettre la survie, on note que ainsi que le redressement judiciaire,
la procédure offre à l’emprunteur sauf à se reposer sur le bon sens du
industriel la même arme qu’à la société créancier qui ne voudra pas dégrader la
dédiée sans employés : il s’agit de retar- valeur de l’actif en le privant des fonds
der, en attendant meilleure fortune, nécessaires à son exploitation ; mais
l’exécution d’obligations valablement c’est bien lui et non plus l’emprunteur
souscrites. Peut-être la motivation qui aura les cartes en main.
décisive, mais non exprimée, est-elle En effet, s’il ne peut imputer sur sa
ici que l’imposition de délais aux créance les sommes reçues des débi-
créanciers n’est acceptable que si l’em- teurs cédés qu’au fur et à mesure de
D.R.
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