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UFR CULTURE ET COMMUNICATION
M2 Industries créatives : médias, web et arts – Culture et Médias
Le planning stratégique
et les mutations du capitalisme
Proposition d’analyse socio-économique des mutations
de l’industrie publicitaire par le modèle de l’intermédiation
Héloïse Mérard
N° étudiant : 13405012
Sous la direction de M. Christophe MAGIS, Maître de conférences
Année universitaire 2014/2015. Session 2 : 15 septembre 2015
2
Remerciements
Je tiens à remercier vivement mon directeur de mémoire, Christophe Magis,
qui s’est montré très disponible tout au long de ce projet de mémoire pour me conseiller.
Nos riches discussions et ses nombreux retours de correction ont été une aide précieuse dans
la réalisation de ce mémoire.
Je remercie aussi chaleureusement chaque planneur stratégique que j’ai rencontré lors de mes
entretiens, pour leur intérêt, leur disponibilité, leur gentillesse et leurs encouragements.
Merci à Jean-Marie Gourlot, Sébastien Arrivault, Antoine Daudier, Jérémy Daumard,
Marine Catalan, Jean Allary, Gaëlle Brouard, Eric Coulon, Shadi Razavi, Jérémie Abric,
Benoit Bochu, Chloé Beaumont, Aude Legré, Morgane Mallejac, Julie Blaszczyk,
Sarah Patier, Pauline Candellé-Faure et Nicolas Orsoni-Durand.
Merci à Philippe Doyle qui a cru le premier en mes capacités en m’offrant l’opportunité de
découvrir en pratique ce métier alors que je n’étais qu’en deuxième année et à tous mes
anciens tuteurs et tutrices de stage qui m’ont beaucoup apporté aussi bien professionnellement
que personnellement et qui ont chacun aidé à la réalisation de ce mémoire aux travers de
projets et de discussions : Charlotte Le Gavrian, Nathanaël Este-Klein, Marion Dessemme
et Nicolas Skouras. Merci aussi à mon ancienne co-équipière de stage et amie, Nora Murena,
qui m’a encouragé dans la réalisation de ce mémoire tout au long de nos six mois de stage.
Merci à de nombreux amis, en particulier à Maria, Nathalie, Dorian, de m’avoir écouté,
conseillé et appuyé durant toute la durée de ce mémoire. Nos discussions et votre confiance
m’ont souvent apporté éclaircissements et motivation.
A mon époux, Alexandre, pour ta patience, ton écoute, ton soutient, ta relecture finale et tant
d’autres choses.
3
Table des matières
Remerciements ...............................................................................2
Introduction ...................................................................................5
Partie 1
Le planning stratégique, résultat, acteur et révélateur
des mutations actuelles du capitalisme .........................................10
Chapitre 1 | Le planning stratégique par sa littérature professionnelle : définitions
mythologiques ?...............................................................................................................14
1.1. Histoire des origines : entre historique, storytelling et mythologie .............................14
1.2 Définitions idéaltypiques du métier par sa littérature professionnelle : entre unité et
pluralité ............................................................................................................................ 21
1.2.1. Au prisme de la littérature professionnelle française ........................................... 22
1.2.2 Au prisme de la littérature professionnelle britannique ........................................ 25
Chapitre 2 | Le planning stratégique au prisme de la littérature scientifique : définitions
idéologiques ? .................................................................................................................38
2.1 Le planning stratégique, individu contemporain de la modernité tardive ....................38
2.1.1 En continuité avec la construction du publicitaire dans la modernité ................... 39
2.1.2. Rationalisation et subjectivation, le passage à la modernité tardive ..................... 40
2.1.3. Plus autonome, plus responsable, plus contraint ................................................ 44
2.1.4 Des idéaux au paradoxe et à l’inquiétude ............................................................ 45
2.2 Le planning stratégique, acteur du troisième esprit du capitalisme ...........................47
2.2.1 Esprits du capitalisme : figure héroïque, perspectives excitantes, dimensions
sécuritaires et justification au bien commun .................................................................... 48
2.2.2 Le planning stratégique dans le troisième esprit du capitalisme ............................ 49
4
2.2.3 Le planning stratégique, grand dans la « cité par projet » .................................... 50
2.2.4 Sacrifices de sécurité, de stabilité et de désintérêt ................................................ 54
2.2.5. A la recherche de nouvelles sources de valorisation : authenticité, nature, culture 57
2.3 Le planning stratégique au prisme des mutations des industries de la culture et de la
communication .................................................................................................................58
2.3.1 L’artiste, modèle en expansion de l’industrie publicitaire ? .................................... 58
2.3.2 Figure de l’intermédiation et injonction à la création : mutation des stratégies du
capitalisme ..................................................................................................................... 62
PARTIE 2
Du planning stratégique aux planneurs stratégiques, entretiens
ethnographiques ............................................................................73
Chapitre 3 | Méthodologie de l’enquête de terrain ........................................................74
3.1 Terrain d’enquête : les planneurs stratégiques des agences de communication ...........75
3.2. Méthode d’enquête : les entretiens ethnographiques semi-directifs .............................77
Chapitre 4 | Propositions d’analyse socio-économique du planning stratégique à travers
les discours de ses acteurs ...............................................................................................84
4.1. Représentations convergentes et imaginaire commun ...............................................85
4.2 Organisation effective : décalage avec les représentations des acteurs et des idéologies
sous-jacentes ...................................................................................................................95
4.3. Mutations du capitalisme : indices socio-économique révélateurs d’un rapprochement
entre industrie publicitaire et industries culturelles ......................................................109
Conclusion .................................................................................. 117
Annexes ........................................................................................ 124
Bibliographie ............................................................................... 129
Schéma de synthèse ..................................................................... 131
5
Introduction
LANNING stratégique. Si vous n’êtes pas familier des industries de la communication et
plus précisément de l’industrie publicitaire, ce terme aura peut de chance de signifier
quelque chose pour vous. Et si vous êtes familier de ces secteurs, vous avez sûrement croisé
ce terme mais il peut encore vous paraître confus. Ce terme est un métier de l’industrie
publicitaire assez récent en France, expliquant la méconnaissance de ce dernier. Il fut crée en
Angleterre tout d’abord par deux agences de publicité londoniennes dans la fin des années 60.
Il s’est par la suite vite répandu dans d’autres agences de publicité londoniennes, anglo-
saxonnes, puis américaines, jusqu’en France depuis une vingtaine d’années et dans bien
d’autres pays européens, ainsi que dans des pays émergents comme la Chine. Il s’est aussi
répandu dans d’autres secteurs des industries de la communication gravitant autour des
problématiques de marques comme les agences de design, les agences média, les instituts
d’études, etc. La progression de ce métier, bien qu’elle soit lente, est donc exponentielle.
Nous avons découvert ce métier à la fin de notre DUT Information-Communication option
publicité où il nous avait été présenté comme le « graal » des métiers de la publicité : un
métier niche avec très peu de postes, mais très convoité avec de nombreuses candidatures.
Lors d’un premier stage nous avons découvert ses pratiques professionnelles et nous avons
alors continué dans cette voie en réalisant quatre stages de planning stratégique dans diverses
agences des industries de la communication. Ce présent mémoire prend alors ce métier
comme objet d’étude. Par conséquent, ce mémoire professionnel est particulièrement lié à
notre projet professionnel personnel.
Notre constat de départ était qu’il ne semble pas exister de définition institutionnelle ou
canonique du planning stratégique en France. Le discours dominant des professionnels
souvent entendus lors d’entretiens et de stages, est qu’il existerait « autant de définitions du
planning stratégique que de planneurs stratégiques ». Cette affirmation nous a alors interrogé
dans une perspective académique. Dans la pluralité ou les ruptures affichées, il est en effet
intéressant d’analyser l’unité et les continuités sous-jacentes. Nous nous étions posés deux
questions de départ : existe-t-il un caractère commun au planning stratégique qui le rendrait
singulier et qui permettrait d’en déterminer une communauté de métier ? De plus quelles sont
P
6
les raisons qui expliquent que ce métier est particulièrement attrayant, à la fois valorisé dans
le secteur publicitaire et valorisant les personnes qui le pratiquent ?
Approches théoriques. Nous avons dû commencer par définir notre objet d’étude pour
pouvoir l’analyser. Nous avons alors récolté les définitions du planning stratégique par sa
littérature professionnelle pour les mettre en regard de la littérature scientifique. En effet, il
fut prouvé dans notre précédent mémoire de M1, à propos de la notion « Brand Culture », que
l’industrie publicitaire produit de nombreuses nouvelles notions en réponse à des contextes
socio-économiques et politiques particuliers afin de revaloriser, justifier et promouvoir son
industrie. Ces notions ont alors une valeur idéologique. De la même manière nous souhaitons
interroger la valeur idéologique du planning stratégique en croisant les discours de sa
littérature professionnelle avec nos références académiques. Pour cela, nous allons analyser
ces définitions à travers les auteurs du courant de l’économie politique critique de la
communication. Notre démarche de recherche est donc critique car elle vient analyser les
dominations sous-jacentes des industries de la communication dont l’industrie publicitaire fait
partie, dans le but de pouvoir s’en extraire. Ce courant tente de démontrer l’articulation des
industries de la communication avec l’économie capitaliste en ayant pour perspective de
« relier les différents mouvements qui traversent les champs de la culture, de l’information et
de la communication à la marche et aux transformations du capitalisme »(Christophe Magis,
2012, p.18). Nous cherchons alors dans ce mémoire à établir dans quelle mesure le planning
stratégique est lieu révélateur de la marche et des transformations du capitalisme. En effet, le
capitalisme a besoin pour continuer à exister de former des idéologies qui viennent justifier
l’engagement de ses acteurs. La force du capitalisme réside justement dans sa capacité à être
en perpétuel mouvement, afin de récupérer en son sein les potentielles critiques qui lui sont
faites et les opportunités sociales qui peuvent se présenter. Nos auteurs de référence qui ont
étudié ces transformations sont Luc Boltanski et Eve Chiapello dans leur ouvrage Le nouvel
esprit du capitalisme (1999), où il décrivent les trois états successifs des esprits du capitalisme
chronologiquement, et où ils expliquent comment un nouvel esprit, alors troisième esprit, est
en train de se constituer depuis les années 1990, visibles dans les textes de management qu’ils
analysent. Cette idéologie a donc une portée avant tout économique qui influe sur le social.
Nous avons voulu recontextualiser cette idéologie du capitalisme dans une idéologie sociale
plus vaste qui est la modernité dite « tardive » dans laquelle nous serions actuellement à la
suite d’un tournant idéologique dans les années 1960. Nos auteurs de référence sont alors des
7
sociologues qui étudient l’individu contemporain et les injonctions sociales qui lui sont faites,
comme H. Rosa et A. Ehrenberg. Cette idéologie sociale est donc périphérique à l’idéologie
économique précédente qui reste au coeur de notre analyse en économie politique critique de
la communication. Cela en raison du fait que le capitalisme semble avoir construit son nouvel
esprit dans les années 1990 en s’appuyant sur l’idéologie de la modernité tardive déjà diffuse
dès les années 1970.
Notre question de recherche est alors : dans quelle mesure, le planning stratégique en
s’inscrivant dans les idéologies de la modernité tardive et du troisième esprit du capitalisme
est-il révélateur d’actuelles mutations socio-économiques de l’industrie publicitaire ?
Notre première hypothèse de recherche est que le planning stratégique répond aux nouvelles
idéologies socio-économiques de la modernité tardive et du troisième esprit du capitalisme,
expliquant pourquoi il est tant valorisé par l’industrie publicitaire et valorisant pour ses
acteurs.
Notre analyse en économie politique critique des définitions du planning stratégique sert plus
précisément une analyse socio-économique de ce métier et à travers lui de l’industrie
publicitaire, dans le but de voir si des mutations du capitalisme sont perceptibles. Nous nous
inscrivons alors dans le champs des problématiques des théories des industries culturelles, où
les auteurs viennent étudier les mutations du capitalisme à travers les industries culturelles.
Nos auteurs de références sont Philippe Bouquillion, Bernard Miège et Pierre Moeglin.
En effet, l’industrie publicitaire a comme particularité d’être à la jonction entre les industries
culturelles et le reste de l’économie. On peut donc penser que les mouvements entre culture et
économie sont particulièrement perceptibles dans cette industrie. Ainsi à travers les mutations
des industries de la culture et de la communication (Bouquillion, Combès, 2007) nous
pourrons y voir les récentes mutations du capitalisme. En effet, il existe de nombreux débats
scientifiques sur la place des industries de la communication vis-à-vis des industries de la
culture. Les relations entretenues entre ces deux types d’industries peuvent se fonder, selon
les auteurs cités, sur trois types de paradigmes industriels différents, dits de « convergence »,
de « collaboration » et de « création » (Bouquillion, Miège, Moeglin, 2013).
Notre seconde hypothèse de recherche est que la mutation socio-économique en cours dans
l’industrie publicitaire est l’avénement du modèle socio-économique de l’intermédiation, dans
8
lequel le planning stratégique s’inscrit de part sa position et sa fonction d’intermédiateur.
Nous allons alors analyser socio-économiquement le planning stratégique à travers le
paradigme industriel de la création, et plus précisément à travers le modèle socio-économique
de l’intermédiation de Pierre Moeglin.
Méthodologie. Pour répondre à cette problématique et vérifier ou réfuter nos hypothèses,
nous avons élaboré une méthodologie qui couple littérature professionnelle, littérature
scientifique et enquête de terrain. Nous avons donc un corpus littéraire pluridisciplinaire car
nous avons à la fois cherché à faire dialoguer discours professionnels et discours scientifiques
et au sein de ces discours scientifiques, articuler sociologie, économie politique critique de la
communication et théories des industries créatives. Notre dispositif d’enquête quant à lui fut
réalisé aux travers de seize entretiens semi-directifs avec des planneurs stratégiques.
Nous avons tenté de diversifier les profils des enquêtés afin d’avoir une analyse assez
représentative du métier et du secteur de la communication en publicité. Nous avons alors
choisis d’interroger des personnes ayant des niveaux d’expériences différents et venant de
secteurs variés de l’industrie publicitaire. Nous incluons alors dans cette industrie, toutes les
entreprises de communication travaillant pour le compte d’une marque afin d’en faire la
promotion, la publicité. Nous avons alors eu des entretiens avec des planneurs stratégiques
dits « juniors » (moins de cinq ans d’expérience), « séniors » (plus de cinq ans d’expérience),
des directeurs du planning stratégique qui ont une équipe à manager, dans des agences de
publicité ou dites « créatives », des agences de design, des agences médias, des instituts
d’études et chez l’annonceur.
Organisation du mémoire. La première partie de ce mémoire cherche à répondre
principalement à notre première hypothèse et partiellement à la seconde, dans une perspective
uniquement théorique puisque nous faisons dialoguer les définitions du planning stratégique
par sa littérature professionnelle avec les auteurs de notre corpus scientifique cités
précédemment. Nous cherchons dans cette partie à analyser les définitions du planning
stratégique par sa littérature professionnelle dans une perspective avant tout de l’économie
politique critique de la communication, c’est-à-dire en dévoilant les relations entre les
définitions de ce métier et les idéologies dont elles sont porteuses. L’analyse finale de ces
définitions en regard du modèle socio-économique de l’intermédiation sera alors une
introduction à l’analyse socio-économique réalisée dans la seconde partie.
9
Dans notre seconde partie, nous allons tenter d’articuler les conclusions de notre première
partie sur les définitions du planning stratégique avec le discours de ses acteurs et donc passer
du planning stratégique aux planneurs stratégiques. Nous débuterons par un rapide détour
méthodologique afin d’expliquer la construction de notre dispositif d’enquête qui nous a
permis de récolter de précieux matériaux empiriques, enregistrés en totalité, réécoutés dans
leur intégralité, mais retranscrits partiellement par manque de temps. Nous viendrons alors
répondre à la fois à notre première et notre seconde hypothèse en analysant les discours des
planneurs stratégiques dans une perspective socio-économique, c’est-à-dire en articulant les
représentations des planneurs stratégiques et l’organisation effective de leur métier et de
l’industrie publicitaire. L’objectif est de détecter les potentielles mutations de l’industrie
publicitaire suite aux mutations des idéologies analysées précédents. Nous pensons que
l’introduction réussie du planning stratégique dans l’industrie publicitaire est en elle-même
une première mutation du secteur car elle intègre selon notre hypothèse un nouvel
intermédiateur, et vient donc intégrer petit à petit le modèle socio-économique de
l’intermédiation.
10
PARTIE 1
Le planning stratégique,
résultat, acteur et révélateur des
mutations actuelles du capitalisme
11
Chapitre 1 | Le planning stratégique par sa
littérature professionnelle : définitions
mythologiques ?
Durant mon expérience professionnelle en tant que stagiaire en planning stratégique,
j’ai constaté la récurrence d’une interrogation dans la profession : qu’est-ce que le planning
stratégique ? Cette question, accompagnée d’un « selon vous », m’a été posée de nombreuses
fois lors d’entretiens d’embauche. Souvent, le planneur stratégique précise qu’il n’y a pas de
bonne ou de mauvaise réponse car « la définition de ce qu’est un « planneur » est encore
aujourd’hui en débat1
». (APG, 2001). Pourtant, il est demandé à l’étudiant qui postule au
poste de savoir y répondre. Il semble normal à première vue lors d’un entretien d’évaluer la
motivation de l’étudiant en testant ses connaissances du milieu dans lequel il va évoluer, et
par conséquent du métier qu’il va apprendre. Les acteurs (comprenons les planneurs
stratégiques en activité) que nous avons rencontrés nous ont souvent expliqué que les
étudiants ne savaient pas très bien ce qu’était le planning stratégique en postulant. Or, ce qui
étonne dans les pratiques professionnelles que nous avons pu observer au cours de quatre
stages en planning stratégique, c’est qu’eux-mêmes ne savent pas précisément et
objectivement ce qu’est le planning stratégique. La question de la définition du planning
stratégique devient alors problématique comme le souligne Henry Habberstad : « Essayer de
venir avec une définition du planning semble être une tâche cauchemardesque pour n’importe
quel planneur2
». (Habberstad, 2000, p.4)
Le constat de départ de ce mémoire est que face à l’indéfinition du planning stratégique en
France, le discours dominant est qu’il y aurait « autant de plannings stratégiques que de
planneurs stratégiques ». Ce discours véhicule une vision très particularisante du métier :
1
Notre traduction : «The definition of what a « planner » is today, is still up for debate»
2
«To try to come up with a definition of planning seems to be a nightmare task for any planner»
12
chaque planneur stratégique, c’est-à-dire chaque Sujet dans son unicité et sa singularité,
réaliserait un planning stratégique différent d’un autre. Pourtant, malgré ce discours très
relativiste, les acteurs testent les connaissances du métier du postulant. On constate donc une
tension entre deux souhaits : celui de considérer le planning stratégique à travers les pratiques
personnelles de ses acteurs, et celui de considérer le planning stratégique comme un métier
qui s’apprend, avec des règles, des missions, des attentes et des objectifs communs.
Effectivement, un étudiant répondant à un planneur stratégique en entretien « Selon moi, le
planning stratégique correspond à la personne se chargeant des plannings des créatifs », verra
le planneur lui répondre que ce sont les personnes chargées du trafic qui réalisent cette tâche
et non les planneurs stratégiques. De même si un étudiant explique que ce qu’il aime dans la
publicité c’est d’écrire les slogans, il sera redirigé vers un autre métier publicitaire plus
spécifique à cette tâche : le concepteur-rédacteur. Pourtant, les dimensions organisationnelles
et rédactionnelles ne sont pas étrangères au métier de planneur stratégique. Le planning
stratégique semble donc être un métier protéiforme aussi bien aux yeux des étudiants qui
souhaitent le pratiquer qu’aux yeux des acteurs qui le pratiquent. Cela semble venir du fait
que le métier soit délimité par des frontières très floues, qui peuvent être déplacées selon de
nombreuses variables : la personnalité et la sensibilité du planneur stratégique, le
positionnement et l’histoire de l’agence, le profil et les demandes du client, etc.
« Ce serait juste de dire que les façons de travailler en planning varient d’une agence à l’autre
et même au sein de l’agence d’un planneur à l’autre.3
» (APG, 1986, p.1)
Nous avons donc besoin dans un premier temps de définir quelles sont les frontières
théoriques du planning stratégique afin de délimiter notre objet d’étude. A l’image des
frontières territoriales, ces limites peuvent sembler arbitraires, et nous pensons qu’une des
difficultés réside dans le fait que le planning stratégique est justement un métier visant à
dépasser les frontières établies, à « sortir du cadre, être out of the box » comme nous avons pu
souvent l’entendre et le penser. Bien que ces frontières semblent arbitraires, nous tenterons
dans ce premier chapitre de déterminer une définition de notre objet d’étude au carrefour de la
littérature professionnelle et de la recherche scientifique, comme c’est le cas dans la plupart
des objets d’étude du champs publicitaire. Dans notre mémoire de M1, la notion « Brand
Culture » fut définie en croisant la littérature professionnelle –qui fait récemment de plus en
3
« It would be fair to say that the way planning works varies from agency and even within an agency from
planner to planner »
13
plus sa promotion- avec la littérature scientifique en théories des industries culturelles, afin
d’en révéler sa dimension politique et idéologique, en tant que mouvement de
« culturalisation de l’industrie » (Bouquillion, Miège, Moeglin, 2013). Ce processus
d’objectivation du planning stratégique est nécessaire car au-delà des besoins
méthodologiques, il semble évident que pour analyser un objet d’étude, il faut avant tout le
définir et le cadrer. Nous ne partons pas d’un objet d’étude qui semblerait simple ou évident et
qui faudrait éclater pour découvrir sa dimension composite et ainsi dévoiler une réalité sous-
jacente cachée. Au contraire, nous chercherons ici à synthétiser les multiples acceptations du
planning stratégique selon sa littérature professionnelle afin, non pas d’en extraire une essence
car notre démarche n’est pas essentialiste, mais constructiviste. Il est important de mentionner
tout de suite que cette définition ne sera en rien un postulat mais doit être considérée comme
une construction sociale provenant de différentes subjectivités professionnelles, dans un
secteur économique particulier qu’est l’industrie publicitaire et dans une culture précise,
anglo-saxonne ou française. Nous considérons donc la définition du planning stratégique qui
va suivre comme provenant de constructions sociales et culturelles. C’est pourquoi, ces
acceptations sont vouées à évoluer selon l’époque et le pays. La dimension relative de cette
définition ne doit par conséquent ne pas être totalement écartée. Nous tenterons alors de
toujours situer les acceptations du planning stratégique dans leurs contextes historiques,
géographiques, c’est-à-dire culturels. Dans chacune des prochaines citations de cette partie,
nous avons fait le choix d’introduire des italiques par-dessus les mots de chaque auteur, afin
de mettre en avant les mots clés et les sémantiques importantes autour de la
définition/qualification du métier.
14
1.1 Histoire des origines :
entre historique, storytelling et mythologie
Commençons par déterminer l’origine du métier, et plus précisemment l’histoire du
métier, contée par ses fondateurs et diffusée par la littérature professionnelle du secteur. Nous
allons donc analyser les discours existant autour de la construction du planning stratégique à
partir de sa genèse historique qui est présentée dans sa littérature professionnelle comme un
storytelling, Le planning stratégique aurait été créé vers 1968 à peu près en même temps mais
de manière parallèle par deux publicitaires londoniens : Stephen King de l’agence publicitaire
toujours en activité JWT et Stanley Pollitt de l’agence BMP aujourd’hui disparue. Le terme
anglo-saxon fut account planning et non strategic planning comme le suggère la traduction
française. S. King est considéré comme le père fondateur du planning stratégique, peut-être du
fait que ce soit lui qui a théorisé le métier dans son Anatomy of Account Planning. Il débute
son essai en soulignant que le planning stratégique n’a rien de nouveau : des publicitaires le
précédent comme David Ogilvy ou Bill Bernarch « were all superb planners » (King, p.3) et
la publicité « a toujours été planifiée et les campagnes ont toujours été post-rationnalisées4
»
(idem). Ce qui est nouveau pour King, c’est le fait qu’il y ait une cellule séparée et dédiée
dans son agence JWT. « Ce qui est relativement nouveau, c’est l’existence .dans une agence
d’un département séparé.5
»(idem). A ce propos, deux remarques : la première est que si le
planning stratégique possède des limites floues, il s’est construit historiquement comme un
« département séparé », c’est-à-dire limité et distinct des autres métiers publicitaires. Cela fait
écho au fait que l’identité se crée à partir de l’altérité. Il existe donc toujours une frontière
entre « eux » et « nous ». La seconde est que la notion « account planning » semble se définir
- à l’image d’autres notions publicitaires (Brand Culture, Brand Content, Brand Image)
étudiées dans mon mémoire de M1, (Mérard, 2014) – à la fois comme continuité et rupture, en
tant que mouvement plus ancien mais conceptualisé, théorisé et formalisé récemment. La
nouveauté tiendrait du fait que ces pratiques déjà anciennes, informelles et disparates, soient
dorénavant formalisées : lexicalement, organisationnellement et idéologiquement. C’est
4
« has always been planned and campaigns have always been post–rationalized »
5
« What is relatively new is the existence in an agency of a separate department. »
15
pourquoi King souligne : «Donc dans un sens, quand JWT dissout le département marketing
et installa son département de planning stratégique le 1er
novembre 1968, c’était plus une
réorganisation et un renommage qu’un changement radical.6
»(idem) Le choix du nom de ce
nouveau département fut alors crucial : cela aurait pu être « target planner » c’est-à-dire
planificateur de cible, « campaign planner », planificateur de campagne ou « brand planner »,
planificateur de marque, mais le nom retenu proposé par Tony Stead fut « account planner »,
planificateur de comptes :
« Finalement, le 15 juillet nous établissions le nom : nous avions essayé planificateur de cible
(trop étroit et obscure), planificateur de campagne (trop concurrentiel avec ce que les créatifs
faisaient) et planificateur de marque (trop restrictif dans l’esprit des gens). Tony Stead suggéra
planificateur de compte et ça accrochait. 7
» (idem, p.2)
On remarque dès lors que le dénominateur commun à ces noms est « planning ». Ce serait
donc la dimension fondamentale de ce nouveau département, rappelons-le en 1968. « Account
planning » fut issu de la contraction entre account managing et media-planning. « Il fusionna
simplement les deux titres ensemble, du fait que le nouveau département de Stephen King
allait contenir une sélection hybride de personnes venant des deux disciplines : les équipes
commerciales venant du département marketing et les média-planneurs8
. » (APG, 2001, p.2)
L’identité du planning stratégique fut donc dès sa création une composition et une hybridation
entre deux pôles de l’agence de publicité : les commerciaux et les experts médias. Pourtant
aujourd’hui encore l’Account Planning Group, association britannique de planning
stratégique, considère ce nom comme « un des titres professionnelles les plus confus qu’il n’a
jamais existé.9
» (idem)
Stanley Pollitt créa au sein de BMP le planning stratégique en tant que « head of planning »,
chef du planning, en juin 1968. Contrairement à JWT, l’agence comptait un ratio de planneurs
6
« In a sense therefore, when JWT disbanded the marketing department and set up its account planning
department on November 1st 1968, it was more a reorganization and renaming than a radical change. »
7
« At one of these (on July 15) we finally settled the name: we'd tried target planner (too narrow and obscure),
campaign planner (too competitive with what creative people did) and brand planner (too much restricted in
people's minds to packaged groceries). Tony Stead suggested account planner and it stuck. »
8
« He simply merged the two titles together as Stephen’s new department was to comprise a hybrid selected folk
from both disciplines : account teams from marketing department and media planners. »
9
« one of the most obfuscatory job titles ever since »
16
plus important : un planneur pour deux commerciaux, contre un planneur pour quatre
commerciaux chez JWT. Remarquons que ce ratio est beaucoup plus élevé qu’au sein des
agences de publicité françaises actuelles, où la moyenne semble être d’un planneur pour une
dizaine de commerciaux... (Ce chiffre n’est pas vérifié, il est le fruit de nos observations en
stage au sein de diverses agences de tailles différentes.) Les planneurs chez BMP étaient aussi
plus directement impliqués dans les recherches qualitatives que ceux de chez JWT.
Malgré les différences, King considère que ces deux agences avaient une vision du planning
stratégique commune : l’innovation publicitaire devait venir des compétences du planning
stratégique à intégrer dans la production publicitaire. Ce fut alors « un changement
fondamental en interne dans le jeu de pouvoir et d’influence10
» (King, p.3), c’est-à-dire une
réorganisation interne certes des départements et des manières de travailler mais aussi et
surtout des relations de pouvoir. Le planning stratégique se serait donc formé comme un
contre-pouvoir au sein de l’agence. Face à qui ? King ne précise pas, mais nous pouvons
imaginer que l’introduction du planning stratégique visait à redistribuer les cartes du pouvoir
entre les experts marketing (commerciaux) et les experts médiatiques (média-planneurs) chez
JWT, ainsi que les spécialistes en études qualitatives chez BMP. De plus, les deux pionniers
furent d’accord sur la position tierce du planning stratégique : le planning stratégique comme
« un système selon lequel un projet s’effectue par un groupe composé de trois compétences
(commercial, créatif et planning stratégique) » (idem) chez JWT et « le planneur n’apporte pas
simplement des études, mais utilise aussi les données, à tous les niveaux du développement
publicitaire, en tant que troisième partenaire pour le gestionnaire commercial et l’équipe
créative.11
»(idem) chez BMP. En effet, une des raisons visant à établir le planning stratégique
fut pour King et Pollitt « la réaction à un problème très spécifique, qui était, comme le
décrivait Pollitt “l’augmentation considérable de la qualité et de la quantité de données
essentielles pour concevoir plus professionnellement des statistiques sur les entreprises
publicitaires, des données disponibles sur le consommateur ou sur le commerce, etc. Et
l’analyse de ces données étaient plus facile, plus sophistiquée et plus accessible à bon marché.
10
« a fundamental change in the internal balance of power and influence »
11
« system whereby a project group of three skills (account management, creative and account planning) [...] The
planner brings not simply research, but also the use of data, into every stage of advertising development as a
third partner for the account handler and creative team. »
17
12
». (John Steel, 1998, p.39) Le troisième point commun entre les deux agences serait donc
qu’elles furent dans les années 60 face au même problème : l’augmentation et l’accessibilité
des données. Ce fut alors au planneur stratégique de venir les traiter. Enfin, dernier point
commun, l’objectif du planning stratégique dans ces deux agences furent de rendre les
campagnes plus pertinentes et efficaces en ajoutant au brief, (instructions) du client une
dimension consommateur (en traitant des études qualitatives et quantitatives sur ce dernier)
ainsi qu’une dimension intuitive et créative :« “Getting it right” est la question, et aussi bien
BMP et JWT, en établissant et en développant leurs départements de planning, chargeaient
leurs planneur d’ajouter la réponse du consommateur aux opinions et à l’expérience des
clients, ainsi que l’intuition des créatifs, afin de faire des publicités plus efficaces13
. » (Steel,
1998, p.41). On retrouve alors la position tierce du planneur stratégique, non plus entre le
commercial, le média-planneur et le spécialiste des études, mais entre le client, l’équipe
créative et surtout le consommateur.
Malgré leurs points communs, ces deux personnalités et leurs agences pionnières ont formé
deux façons de concevoir le planning stratégique, deux « écoles ». Chez JWT, le planning
stratégique fut avant tout un système et un processus (avec le T-Plan : « basé non pas sur ce
qu’il faut faire en publicité, mais sur ce que doit être la réponse du consommateur à la marque
comme résultat.14
»(idem, p.6), tandis que chez BMP, le planning stratégique fut considéré
comme une personne et un partenaire, privilégiant alors la créativité sur la stratégie. Une
dimension macro versus une dimension micro. La tension définitionnelle du planning
stratégique pourrait trouver son origine dans ces deux conceptions : l’une plus
organisationnelle avec ses méthodes et son cadre (le département de planning stratégique),
l’autre plus personnelle et relationnelle avec l’équipe (le planneur stratégique). Comme
constaté dans le discours commun actuel « il y a autant de plannings stratégiques que de
12
« a reaction to a very specific problem, which was, as Pollitt described it « a considerable increase in the
quality and quantity of data that was relevant to more professionaly planned advertising-company statistics,
available consumer and retailer data, etc. And facilities for analyzing data were more sophisticated and more
cheaply accessible»
13
« «Getting it right » is the issue, and both BMP and JWT, in establishing and growing their planning
departments, charged their planners with adding the dimension of consumer response to the opinions and
experience of clients and the intuition of creative people, in an effort to make their advertising more effective »
14
« based not on what ought to go into the advertising, but on what ought to be the consumer's responses to the
brand as a result. »
18
planneurs stratégiques », la conception particularisante de Pollitt a pris le pas sur la
conception systématique de King. Or, pour King les agences ont copié ce modèle en réduisant
le relationnel du planneur stratégique avec son équipe (commerciale et créative) et en
omettant sa fonction stratégique en amont :
« La récente et rapide croissance a été un malheureux résultat d’après moi. De nombreux
managements ont copié l’élément le plus visible du planning stratégique chez BMP sans
vraiment comprendre la profondeur de la compétence, l’étendu de l’intérêt impliqué, le très
fort ratio de planneur stratégique vis à vis des commerciaux et l’engagement à former. Tout ce
qu’ils ont vu, en fait, c’est des planneurs stratégiques qui font fonctionner des groupes de
discussions [...] et aujourd’hui, il y a plutôt de nombreuses agences où les compétences des
planneurs sont plus proches d’un bidouilleur de publicités de basse échelle.15
.»(King, p.4)
Pollitt aussi dans un article au sein du magazine publicitaire britannique Campaign nommé
(humblement) « How I started Account Planning » explique ses déceptions peu avant son
décès en 1979 : « ‘Planning stratégique’ ou ‘planneur stratégique’ font partie du jargon des
agences depuis quelques récentes années [...] Malheureusement il y a une confusion
considérable autour de la signification des termes, faisant des débats frustrants sur le sujet16
. »
(Steel, 1998, p.39) Les deux fondateurs et pionniers du planning stratégique semblèrent tirer
un bilan plutôt décevant dix ans après la création du planning stratégique, que ce soit au
niveau de la confusion des définitions que dans la position et les missions du planneur
stratégique en agence.
Le planning stratégique ne s’est pas uniquement répandu en Angleterre mais dès les années
1980 aux Etats-Unis. C’est alors Jane Newman qui fait figure de référence, avec l’agence
Chiat/Day. Jay Chiat, fondateur de l’agence, en visite à Londres, découvrit le planning
stratégique des agences britanniques et il souhaita l’exporter dans son agence, en compagnie
de Jane Newman, alors account planner chez BMP. La phase d’explication voire
15
« The speed of recent growth has had one unfortunate result, in my view. Many managements have copied the
most overt element of BMP's account planning without fully understanding the depth of skill and breadth of
interest involved, the very high ratio of planners to account managers and the great commitment to training. All
they have seen, in fact, is account planners running group discussions [...] And that nowadays there are rather too
many agencies whose planners' skills and experience are much too near the advert–tweaking end of the scale. »
16
« ‘Account planning’ and ‘account planners’ have become part of agency jargon over recent years [...]
Unfortunately there is considerable confusion over what the terms mean, making discussion of the subject
frustrating. »
19
d’acculturation sembla difficile selon les propos de Newman : « Nous passions plusieurs
semaines effroyables, essayant d’expliquer ce que le planning était [...] Cela a pris deux ans et
le double que nous avions prévu pour le faire fonctionner dans les trois bureaux.17
» (J.
Newman, n.d, p.1) C’est en 1984 qu’Ogilvy and Mather, Young and Rubicam et Saatchi and
Saatchi renommèrent leurs départements d’études, en se différenciant entre elles par le nom
choisi : ce fut « planning research », planificateur de recherches, pour Ogilvy, « consumer
insights », connaissance du consommateur, pour Y&R et « research and strategic planning »,
planificateur de recherches stratégiques pour Saatchi. La bataille des noms comme moyen de
différentiation et de promotion d’agence fit donc à nouveau rage, mais l’acceptation
américaine globale fut « strategic planning », planneur stratégique, au lieu du nom originel
« account planning ». Quant à l’histoire du planning stratégique en France, la littérature
professionnelle ne nous l’explique pas. On peut néanmoins comprendre que le terme
« planning stratégique » ne fut pas tirée de la traduction littérale de la notion britannique
« account planning » mais de la notion américaine. Les raisons pour lesquelles la France fit
exporter le planning stratégique des agences anglaises et américaines ne sont
malheureusement pas précisées dans la littérature professionnelle. Mais nous remarquons que
l’indéfinition ou du moins la confusion sémantique du planning stratégique existait déjà dans
les agences britanniques au cours des années 80 (voire continue encore aujourd’hui, venant
justifier la mission de l’association APG). Cette situation se répliqua dans les agences
américaines dans les années 90 aux dires de John Steel :
« Cette situation pourrait étrangement sonner familière à n’importe quelle personne proche du
planning stratégique aux Etats-Unis aujourd’hui, et je pense que si Stanley était toujours en
vie, il n’aurait pas été moins frustré [...] car la plupart des agences américaines qui ont établi
un planning ces récentes années l’ont fait pour des raisons bien différentes que celles
originelles.18
»(Steel, 1998, p.39)
17
« We spend several dreadful weeks trying to explain what planning was [...] It took us two years and twice as
long as we have expected to get up and running in all three offices. »
18
« This situation will sound eerily familiar to anyone connected to account planning in the United States today,
and I suspect that if Stanley were still alive today, he would not have been less frustated [...] because many of the
U.S. agencies that have established planning in recent years have done so for rather different reasons from those
for which was originally conceived. »
20
*
Le planning stratégique est aujourd’hui conté par ses fondateurs, qui font offices de pionniers
et d’emblèmes du planning stratégique. Le capitalisme vient couramment mythifier ses
managers afin de justifier leurs implications capitalistes (Steve Jobs étant l’un des exemples le
plus frappant, comme nous avons pu le remarquer lors de sa mort avec les multiples
biographies qui ont suivi et les interrogations sur le futur économique d’Apple sans sa figure
de proue). C’est aussi le cas pour Stephen King, Stanley Pollitt et peut-être Jane Newman qui
viennent à la fois incarner le planning stratégique à ses origines et conter leurs aventures dans
la presse professionnelle. L’histoire du planning stratégique doit se comprendre autant comme
un historique avec des dates clés qu’un storytelling avec des personnages clés. Comme le
souligne Philippe Bouquillion dans son ouvrage Les industries de la culture et de la
communication (2008), le capitalisme tend à « construire la figure des dirigeants », car « la
direction [...] doit accréditer l’idée qu’ « il y a quelqu’un à la barre », un « chef » et si
possible, quelqu’un possédant des qualités qui, pourtant, ont peu de chance d’être réunies en
une seule personne, à savoir des capacités de visionnaire et de rigueur
budgétaire. »(Bouquillion, 2008, p.28) Dans le cas de ces trois fondateurs, nous sommes
davantage dans une construction de la figure du visionnaire, qui par sa vision vient renouveler
l’industrie publicitaire. La dimension financière est absente des discours de King, Pollitt et
Newman, reléguée à la direction de l’agence dans laquelle le planning stratégique a été créée
(et encore). Le storytelling issu de la littérature professionnelle concernant le planning
stratégique s’apparente à un récit mythologique venant expliquer les origines : on retrouve des
fondateurs mythifiés, sources de la « création » du planning stratégique, non pas « ex-nihilo »
mais par hybridation de différents métiers existants (commercial, média-planneur, spécialiste
d’études) et en conséquence du « chaos » de l’information et des données disponibles. Le
fondateur est présenté comme un « dirigeant idéal et prométhéen » (Bouquillion, 2008, p.27).
Bien que nous ne rentrerons pas dans une analyse sémiotique des discours professionnels
présentés plus haut, nous souhaitons souligner ici la construction narrative (mythologique et
ainsi donc peut-être fictive) de la figure des fondateurs du planning stratégique, construction
élaborée par eux-mêmes et par leurs successeurs qui ont su déployer leurs paroles à plus
grande échelle (comme John Steel). La dimension narrative est à la fois empreinte de
références mythologiques mais aussi religieuses. Nous n’irons pas jusqu’à dire que ces
21
fondateurs font figures d’apôtres, mais les successeurs comme John Steel (et bien d’autres)
semblent « évangéliser » par leurs ouvrages les agences n’ayant pas de planning stratégique.
D’ailleurs, John Steel (avec toute l’auto-ironie dont il fait preuve) nomme un de ses sous-
chapitres « The High Priest » (p.34). Il y raconte sa rencontre avec le planneur stratégique de
BMP (lui-même successeur de S. Pollitt), qui lui expliqua ce que recouvre le planning
stratégique et finalement Steel devint quelques temps plus tard, lui-même planneur stratégique
chez BMP. Il serait donc question dans la définition du planning stratégique d’une
transmission orale et écrite.
1.2 Définitions idéaltypiques du métier par sa
littérature professionnelle : entre unité et pluralité
Afin d’objectiver le planning stratégique nous allons maintenant déterminer dans la
littérature professionnelle les missions et positions singulières au planning stratégique par
rapport aux autres métiers publicitaires (voire en général), ainsi que repérer les caractères et
qualités du planneur stratégique valorisés par ses professionnels. Ce métier est-il réellement
indéterminé ? Nous pensons que certaines missions et caractéristiques sont récurrentes et
commencent à façonner une définition stable du métier, voire une identité professionnelle.
Nous nous rapprocherons donc de la conception de Maria Mercanti-Guerrin qui définit le
planning stratégique en France comme une « communauté-métier » (Mercanti-Guerrin, 2008).
Ceci afin d’analyser plus largement le planning stratégique comme révélateur d’une manière
de penser son travail dans le capitalisme. Ce paragraphe cherche donc à établir une définition
idéaltypique du planning stratégique d’après sa littérature professionnelle francophone et
anglo-saxonne.
22
Au prisme de la littérature professionnelle française
Si nous partons des définitions émisses dans la littérature professionnelle française, la
définition est encore très succincte. La référence canonique, Le Publicitor (8ème
édition -
2014) réduit cette définition à :
« Le planning stratégique (de l’anglais « strategic plan », « plan stratégique ») est dans une
agence le service dédié à la réflexion stratégique. Selon les profils des personnes qui le
composent, on parlera de consulting stratégique (planning stratégique à forte dimension de
conseil marketing) ou de planning stratégique (davantage tourné vers la recherche d’angles de
brief pour la création). Si ce service est fort, il peut même proposer ses prestations à des
clients qui n’ont pas confiés leurs campagnes de publicité à l’agence et qui ne lui achèteront
que de la prestation de conseil. » (A. De Baynast, 2014, p.85).
Malheureusement cette définition ne propose aucune spécificité au planning stratégique, mais
au contraire donne à voir la divergence d’acceptations « selon les profils des personnes qui le
composent », entre un planning stratégique à dimension commerciale vs à dimension créative.
De plus, le conditionnel « Si ce service est fort » renseigne en creux sur la position relative du
planneur stratégique dans l’agence : certains auraient donc plus de force (c’est-à-dire de
pouvoir) pour vendre directement des prestations de conseils. Cette définition qui se voudrait
canonique est pourtant toujours très relative aux profils des planneurs stratégiques et aux
agences dans lesquelles ils se trouvent. Elle dévoile aussi la tension sémantique entre
différents noms donnés au planning stratégique. Enfin, la définition est dans une certaine
mesure tautologique : l’ouvrage définit le planning stratégique par deux types de planning
stratégique dont l’un s’appelle exactement ainsi et l’autre différemment, d’où une potentielle
confusion.
L’observatoire des métiers de la publicité définit le planneur stratégique par ses missions : il
« effectue une veille économique et marketing des marchés et des analyses stratégiques fines
afin d'enrichir la réflexion en amont (commercial) et en aval (création) des différents
responsables [...] étudie l'ensemble des éléments de la marque, du produit, et de la
concurrence [...] analyse la culture de la marque et ses liens avec les consommateurs [...]
analyse les tendances socio-économiques et socio-culturelles ».(Observatoire des métiers, n.d)
Puis par sa position en tant qu’«interface entre les commerciaux et les créatifs. » et enfin par
ses qualités « requises : Sait anticiper la tendance. Sensibilité créative. Bon sens. Rigueur.
23
Curiosité. Culture générale. »(idem). La définition du métier s’effectue de manière classique
par les missions attitrées et les qualités requises, dans la mesure où ces fiches sont
principalement destinées aux étudiants. Cette définition a donc un rôle d’orientation. Le fait
de venir définir un métier par ses missions et ses qualités est transversal à tous les métiers.
Cette manière définitionnelle n’est donc en rien spécifique aux métiers de la publicité ni au
planning stratégique, malgré le fait que ne nous sommes pas sur un site générique type
ONISEP mais sur un site spécialisé. Par contre, le fait de venir souligner la position du
planneur stratégique (entre une réflexion en amont – commerciaux et en aval – créatifs, et en
tant qu’interface) est déjà plus spécifique aux métiers publicitaires, car ces métiers sont
positionnés sur la chaîne graphique qui est classiquement représentée linéairement (ce que
suggère la notion de « chaîne »). Mais les représentations des positions évoluent vers des
conceptions plus systémiques. Remarquons par exemple que ce site spécialisé propose une
représentation interstructurelle (Annexe 1) des métiers de la publicité, en distinguant trois
sphères imbriquées : les agences conseils en communication, les agences médias et les régies-
médias. Le planning stratégique se positionnerait à l’intersection entre les agences conseil et
les agences média. Nous retrouvons ici la conception originelle du planning stratégique par
King : l’account planner en tant qu’hybride entre un consultant commercial et un média-
planneur. Or, nous avons pu observer au cours de notre stage de M2 que le planneur
stratégique en agence média est également en relation avec les régies médiatiques.
On remarque également que ce graphique (Annexe 1) met à l’intersection de ces trois sphères
le « chef de groupe ». Cette définition par le positionnement interstructurel, si elle a le mérite
d’être visuelle, peut s’avérer quelque peu réductrice.
Le planning stratégique est aussi défini par la presse professionnelle hors secteur publicitaire
comme le magazine économique et financier Capital. Dans un article en ligne « Zoom sur le
métier de planneur stratégique » (2011), Vincent Garrel, « patron du planning stratégique chez
TBWA depuis 2003 », définit son « job » : « [cela] consiste à scruter les tendances afin de
guider le travail des créatifs, tout en prêtant l’oreille aux recommandations des commerciaux
pour suivre au plus près la demande du client [...] Le planneur stratégique joue donc un rôle
d’interface entre deux équipes » (Capital.fr, 2011) On retrouve donc une définition très
proche de la fiche métier, bien que ce discours soit porté par un acteur du planning
stratégique, qui plus est un cadre séniorisé « patron [...] depuis 2003 ».
24
La littérature universitaire française s’est très peu penchée sur le planning stratégique. « La
littérature consacrée au planning stratégique est assez limitée, car elle porte sur un métier
relativement récent, né il y a seulement 50 ans de la nécessité d’établir un pont entre création
publicitaire, consommateurs et annonceurs. » (Maria Mercanti-Guérin, 2008). Notons donc un
article de Maria Mercanti-Guérin, maître de conférences en marketing digital, nommé «
Emergence des prospectivistes 2.0, le cas des planneurs stratégiques » dans la revue
Management et Avenir en 2008, où - comme le titre le suggère - l’auteur rapproche le
planning stratégique du métier de prospectiviste, c’est-à-dire « un observateur doublé d’un
enquêteur et d’un analyste » (Boyer et Scouarnec, 2006 cité par Mercanti-Guérin, 2008). Sa
définition du planneur stratégique s’écarte de la fiche métier et détermine davantage une
spécificité : « Le planneur stratégique se définit comme un connecteur pratiquant la
pluridisciplinarité, la transversalité et l’utilisation de l’intelligence collective rendus possible
par le développement du Web 2.0 » (idem). Selon l’auteur, la difficulté à définir le métier
réside dans « ses contours flous encore en devenir » (id.), bien qu’elle constitue néanmoins
une « communauté de pratiques » (id.) et une « communauté métier »(id.). La seconde
difficulté résiderait dans le fait qu’en France « les leaders reconnus de cette communauté sont
pratiquement tous anglo-saxons » et qu’il n’existerait « peu de liens [au sein de] la
communauté des planneurs stratégiques français. ».
Cette définition datant de 2008, nous pouvons imaginer qu’en sept ans certaines choses aient
évolué. Or les initiatives dans cette direction semblent encore peu répandues. Jeremy Dumont,
actuellement directeur du planning stratégique du groupe Révolution 9, avec son blog Le Vide
Poches tente depuis quelques années d’établir une communauté professionnelle française en
répertoriant les planneurs stratégiques français en activité (un fichier Excel nommé
« l’annuaire des planneurs stratégiques ») et en organisant des événements fédérateurs comme
« Les Apéros du Jeudi ». Ces initiatives ont été critiquées par d’autres planneurs stratégiques,
car au lieu d’être portées par une institution (comme l’association APG en Angleterre), elles
sont portées par un individu en son nom propre. On ne retiendra à titre d’exemple qu’une
citation d’un planneur stratégique nommé Cyril Rimbaud sur son blog personnel Cyroul.fr :
« Mais où est donc passé l’APG France (French Account Planning Association) ? Elle était
encore là en 2009 et puis elle a cessé toute activité quand Jeremy Dumont a décidé
unilatéralement de parler pour tous les planneurs français. [...] Résultat : il n’y a plus aucun
représentation française de ce corps de métier, en dehors de celles auto-déclarées et qui ne
25
sont pas forcément les plus légitimes » (Rimbaud, 2011). Ecrit à la suite d’un article de
Libération sur le planning stratégique qui aurait « fait du mal » (idem) au métier, venant
donner « une vision faussée d’un métier si extraordinaire » (id.), cet article a finalement créé
un débat dans les trente-trois commentaires qui ont suivi. Nous ne rentrerons pas dans le
détail de cet article, ni de ces commentaires, mais il exemplifie les discussions et les
polémiques existantes au sujet du planning stratégique en France. Pourtant, la création en
2001 de l’antenne française de l’association britannique APG, animée par Luc Basier, à
l’époque chez Leagas Delaney Paris Centre, aujourd’hui fondateur d’une agence de planning
stratégique DOTHERIGHTTHING, aurait pu donner une vision commune au métier. Or
effectivement l’APG à la française ne donne plus de signes d’activité (du moins sur Internet)
depuis 2009, et il n’existe toujours pas de vision commune sur le planning stratégique de
manière institutionnalisée.
Au prisme de la littérature professionnelle britannique
Aux vues des définitions françaises encore peu établies, en débat ou trop restrictives, nous
devons nous tourner vers la littérature professionnelle anglo-saxonne afin de construire une
définition plus précise et détaillée du planning stratégique. D’une part, cela a pour avantage
d’être au plus près de la définition originelle que nous avons rapidement précédemment.
D’autre part, l’inconvénient corolaire est que ces définitions existent et évoluent dans une
culture anglo-saxonne. Or, notre analyse théorique ainsi que l’enquête de terrain qui va suivre
se réalisent en France et par conséquent sous un prisme français. L’objet de ce présent
mémoire n’étant pas d’analyser de manière comparative deux cultures du planning stratégique
(issues de deux cultures de la publicité, de la communication et plus largement encore de
l’économie), nous partons du postulat que les définitions anglo-saxonnes qui vont suivre
caractérisent le planning stratégique dans sa globalité et donc s’appliquent au planning
stratégique en France, en raison de l’influence historique, économique et idéologique de
l’account planning et des agences publicitaires anglo-saxonnes sur le planning stratégique et
les agences françaises.
La référence afin de connaître la définition de l’account planning est en premier lieu la
définition donnée par l’association britannique APG. Cette association en se formant en 1978
26
est venue institutionnaliser le métier d’account planner, en menant trois actions : en externe,
militer pour le planning stratégique comme moyen d’atteindre de bonnes stratégies
publicitaires ; en interne, créer un espace communautaire pour les planneurs stratégiques et les
futurs planneurs -encore étudiants- en organisant des événements, des formations ou des prix ;
et enfin à la fois de manière externe et interne, en élaborant une définition de l’account
planning. A cet effet, il eut deux documents venant répondre à la fameuse question « What is
account planning ? », le premier datant de 1986 et le second de 2001. Dans un souci de clarté
nous allons retenir les missions singulières qui y sont évoquées, la position au sein de
l’agence et enfin les caractéristiques voire les qualités attribuées au planneur stratégique.
En 1986, les missions de l’account planner étaient principalement de représenter le
consommateur : « C’est la définition traditionnelle du planneur en tant que “voix du
consommateur” [...] Les planneurs gardent le contact avec les consommateurs19
» (APG, 1986,
p.1) en analysant et interprétant les études en direction d’une recommandation stratégique
pour le client. « Les planneurs utilisent les données du marché et des études et apportent une
subtile et sensible interprétation de ces recherches, inspirant pour le développement20
. »
(idem). Ses missions étaient donc encore très proches de la conception de King et de Pollitt :
le planneur stratégique devait avant tout analyser les études et les données du client, du
consommateur et des médias afin de conseiller une orientation publicitaire à forte dimension
commerciale. La position du planneur était alors d’être une relation au sein de l’agence, avec
l’équipe commerciale « Les planneurs apportent une meilleur compréhension des relations
avec le consommateur, plus profonde dans l’analyse jusqu’aux procédures.21
». (APG, 1986,
p.4) et l’équipe créative « les processus créatifs qui peuvent stimuler ou discipliner la pensée
créative, c’est-à-dire des compétences de recherche et d’interprétation de la réponse du
consommateur avec sensibilité et prévoyance22
» (idem). Les qualités du métier ressemblent à
19
«This is the traditionnal definition of planner as the ‘voice of the consummer’. [...] Planners are there to keep
in touch with consumers »
20
« Planners uses market and research data, and brings skillful and sensitive interpretation of research and
opening for development»
21
« Planners brings greater understanding of consumer relationship and more analytical depth to the
proceedings »
22
« Sympathy with creative process can stimulate and discipline creative thinking : their researchs skill carn
interpret consumer response with sensibility and foresight »
27
une longue liste de prérequis : « Passionné et sensible, curiosité intuitive à propos du
consommateur et une compréhension des relations humaines, imagination à traduire les
résultats des études en actions publicitaires, autorité et crédibilité, stratégique et esprit
visionnaire pour créer des ouvertures, en maintenant l’équilibre entre théorie et
pragmatisme23
» (id.) Rappelons la citation de Bouquillion sur les dirigeants. Le planneur
stratégique semble lui aussi devoir couvrir une multitude de qualités en une seule personne,
qualités qui à l’instar du dirigeant visionnaire et bon gestionnaire financier, le planneur
stratégique doit à la fois être visionnaire et autoritaire. Finalement ce qu’on retient de cette
liste est le fait que le planneur stratégique doit « maintenir l’équilibre », c’est-à-dire trouver le
bon degré ou la juste équation entre ces différentes caractéristiques. Le planneur stratégique
se doit-il donc d’être mesuré ?
La définition de 2001, actualisée en 2007, est beaucoup plus fournie que sa version
précédente. Une continuité existe entre les deux versions, mais la plus récente élargie la
définition de l’account planning, en raison de l’expansion que connait le métier en dehors des
agences de publicité dont il est originaire : « Le planning stratégique s’est développé d’une
fonction professionnelle qui existait uniquement en agences de publicité, à aujourd’hui dans
les départements marketing des clients, les agences de marketing direct, les consultants en
design, les firmes de relations publiques, les médias indépendants, etc.24
» (APG, 2001, p1) Le
planning stratégique dès les années 2000 s’est étendu aux agences de marketing direct, de
design, de relations publiques, les régies médias ainsi que directement chez le client dans leur
département marketing. Cette situation équivaut à l’évolution du planning stratégique en
France depuis les années 2010. On constate donc une similitude entre la situation de l’account
planning en Angleterre et celle du planning stratégique en France (justifiant à nouveau
l’utilisation de la définition britannique pour notre étude). Si le planning stratégique s’est
répandu dans diverses agences de communication, il s’est aussi répandu géographiquement :
« L’Angleterre, lieu de sa naissance, a été étendu aux Etats-Unis et au Canada, Hong Kong,
23
« Passion and sensibilité, intruitive curiosity about consumer and an understanding of human relationships,
numerate and imaginative to translate research results into ad action, authorithy and credibility, strategic and
visionary ming to creat openings, maintening a balance between theory and pragmatism. »
24
« Since then account planning has developed into a job function that exists not only in the ad agencies, but in
client marketing department, direct marketing agencies, design consultancies, PR firms, media independents et
al. »
28
Australie, Scandinavie, Chili, Brasil, Europe, et même la Chine. 25
» (idem). Nous pouvons en
conclure que que le planning stratégique est aujourd’hui un métier mondialisé. Bien qu’il
possède des particularités selon les pays (augmentant la variabilité définitionnelle déjà accrue
du métier), il existe une dénomination mondialement commune. Par exemple, l’agence SAME
SAME but different, basée à Paris et à Shanghai possède des planneurs stratégiques français et
chinois.
L’élargissement des types d’entreprises et des pays dans lesquels le planning stratégique
évolue aujourd’hui a eu pour conséquence d’élargir de façon considérable ses missions. Elles
sont certes bien plus nombreuses que dans la version de 1986, mais surtout beaucoup plus
hétéroclites : le planneur stratégique peut recouvrir selon l’APG jusqu’à quinze facettes que
l’APG nomme des « sous-genres », « compétences » et « gènes » qui permettront au planning
stratégique de continuer à vivre et s’étendre au cours du XXIème
siècle : « identifier les
différentes sous-espaces qui existe et prédire les compétences clés et les gênes qui permettront
d’assurer notre survivance commercial et notre succès après les années 200026
.»(APG, 2001,
p.1)
Nous avons pris le soin pour notre argumentation de trier ces différentes compétences, la
hiérarchie étant différente dans la source. Nous retrouvons tout d’abord les missions
originelles pensées par King et Pollitt : le « oldie but goldie [...] représentant de l’audience
ciblé/voix du consommateur27
» (APG, 2001, p.4), c’est-à-dire la mission d’être en empathie
avec son consommateur ou sa cible. Le planneur stratégique est toujours un « data analyst »,
analyste de données, venant trier les données accessibles qui se sont encore plus multipliées
depuis l’époque de King et Pollitt avec Internet. « Savoir comment interroger les données et y
trouver une histoire, plutôt que d’en être intimidé, est le challenge28
» (APG, 2001, p.4) Cette
mission initiale du planning, fondant sa raison-d’être est donc toujours présente, mais peut-
25
« England birthplace, extending to the US and Canada, Hong Kong, Australia, Scandinavia, Chili, Brazil,
Europe, even China. »
26
« identified the various sub-species that exist, and predicted the key craft skills and genes that will ensure our
successful commercial survival beyond the year 2000. »
27
« oldie but goldie [...] target audience representative/voice of consumer »
28
« Knowing how to interrogate data and find a story throught rather than be intimidated by it is the challenge »
29
être à des degrés différents selon l’agence dans laquelle il est effectué. Nos différents stages
nous ont permis de constater que cette mission est plus importante en agence média qu’en
agence de publicité et en agence de design. Il faut alors préciser l’expertise de chacune de ces
agences : si l’agence publicitaire s’occupe de la réalisation de la campagne publicitaire,
l’agence média s’occupe en aval de l’achat d’espace médiatique pour cette publicité et
l’agence de design en amont de l’identité iconographique de la marque. Néanmoins, chacune
de ces spécialités sont en train de s’hybrider. Le planneur stratégique doit en général
comprendre les différents canaux de communication, en agence média certes mais aussi dans
les autres types d’agences : « Il est de plus en plus important pour le planneur de comprendre
le rôle stratégique et l’efficacité de chaque média, par cible et par catégorie, et de savoir
quand et comment c’est pertinent de les utiliser pour atteindre les objectifs de la
marque29
»(idem). Cette mission relève aussi du métier originel hybride entre une fonction
commerciale, médiatique et d’études. La dimension commerciale se retrouve dans une facette
« marketing research » où le planneur stratégique peut monter parfois très en amont sur le
conseil marketing du client en analysant son mix marketing, c’est-à-dire son produit, sa
politique de prix, sa communication et sa distribution et en proposant parfois de la recherche
et développement d’offres et de produits, prenant la casquette d’un « R&D consultant » :
« Etre à la naissance d’un produit à travers son positionnement, son nom, ses tests, [...] peut
être une des choses les plus intéressant et une expérience formatrice. »(idem) Pour l’APG,
cette dimension marketing astreint le planneur stratégique à « être capable d’ignorer, de
remettre en question et d’exploiter certaines choses dans une perspective construite sur la base
d’une compréhension ou du moins quelque chose de plus solide qu’une affirmation ou un
préjugé30
» (idem)
Ensuite, le planning stratégique revêt le rôle - ce que King regrettait rappelons-le : « Tout ce
qu’elles ont vu, en fait, ce sont des planneurs stratégiques qui organisent des discussions de
groupe» (déjà cité) - d’un « brainstorming facilitor », facilitateur de brainstorming, technique
29
« It’s increasingly more important for the planner to understand the strategic role and effectiveness of different
media, by target and by category, and know when and how it’s relevant t of use them to achieve the brand
objectives. »
30
« Being in at the birth or a product throught to its positionning, naming, testing [...] can be one of the most
interesting and formative experience (…) be able to ignore, challenge, or exploit such things from a perspective
built on understanding or out least something mere solid than assertion and prejudice. »
30
de recherche d’idées originales (Larousse, 2015) ou encore d’un « qualitative focus group
moderator », modérateur d’études qualitatives en groupe, c’est-à-dire « à la fois un
psychologue et un interprète ». Cette position d’« interface » en tant que « facilitor » ou de
« moderator » en fait un « information center », centre d'information, dans sa version
impartiale ainsi qu’un « bad cop or good cop », méchant ou gentil policier, dans sa version
partiale, mais toujours dans une dynamique relationnelle. En interne avec l’équipe
commerciale et créative, tout comme en externe avec le client : « Délivrer parfois de
mauvaises nouvelles, remises en question, différentes et inattendues, sans briser la
relation31
. »(id.) Le document qui incarne ce lien et cette transmission d’une équipe à une
autre est le « brief créatif » qui est une des missions centrale du planneur stratégique : « Le
brief est largement considéré comme le produit ou “le livrable tangible clé” du planneur. »(id)
où le planneur stratégique doit faire preuve de « clarté, brièveté et fertilité sont les nécessités
d’un bon brief créatif.32
»(id.) Ce « brief créatif » n’est pas explicité dans le document de
l’APG, ce qui prouve qu’il s’adresse à un public déjà un minimum initié (les étudiants en
publicité ou les professionnels du secteur). Ce mémoire ne s’adressant pas exclusivement aux
initiés, voici la définition du « brief créatif » selon le lexique du Publicitor (2014, p.220) :
« cahier des charges à l’intention des créatifs. ». Par ailleurs voici la définition de la « copy
strategy » par le Publicitor, synonyme de « brief créatif » mais bien plus précise : « cahier des
charges établi à l’intention des créatifs d’une agence dont les rubriques principales sont la
promesse (ou bénéfice-consommateur), les supports de la promesse (appelés également
preuves, justifications ou reason-why), et, parfois, le ton du message » (id, p.449). Notons
alors que si le planning stratégique revêt de multiples facettes, cela semble être aussi le cas de
son « livrable » le « brief créatif » ou « copy stratégique », composé de différentes notions et
orientations (preuves, « reason-why », promesse, « reason-to-belive », etc.) Effectivement, au
cours de nos stages, nous nous sommes rendu compte que les « briefs créatifs » étaient très
différents d’une agence à l’autre. Chaque agence cherche à intégrer sa culture d’agence et
donc sa différence (symbolique et commerciale) dans la manière dont est nommée ou agencée
ce document. S’il est le fruit du planneur stratégique ou des planneurs stratégiques, il existe
toujours une certaine tension entre le document disons « normé » d’origine, le cadre défini par
31
« Deliver some bad/challenging/alternative/unexpected news without ruining the relationship »
32
« The brief is widely considered to be the planner’s main product or « key tangible deliverable » [...] Clarity,
brievity and fertility being the hygiene factors of a good creative brief. »
31
l’agence, et ce qu’en fait le planneur stratégique selon son idée, sa sensibilité. Des exemples
se trouvent en Annexe 2 de différents types de « brief créatif » ou « copy stratégique» de
différentes agences de publicité. De plus, il faut souligner que ce livrable n’existe qu’en
agence de publicité. Or, le planning stratégique existe aussi en agences de design, agences
média, instituts d’études où ce document n'est pas forcément utilisé (du fait qu'il n'y ait pas
d'équipe créative publicitaire dans ces types d'agences). Il ne peut donc pas définir ce qu’est le
planning stratégique ou alors uniquement le planning stratégique en agence de publicité. Dans
ce « brief créatif », le planneur stratégique revêt le rôle de « strategic thinker/developper » car
il « identifie les questions clées et détermine les rôles pour la communication à atteindre
auprès d'une cible spécifique33
»(id.). Pour réussir un « brief créatif » fort et pertinent, le
planneur stratégique doit être une « mine d'insights ». Cette capacité à trouver des « insights »
est « une des compétences les plus importante qu'un planneur peut posséder. » C’est pourquoi
il y a souvent au sein des « briefs créatifs » une ligne « insight ». L’ « insight » est - tout
comme le planning stratégique - difficile à expliquer car il dépend de la manière dont le
planneur stratégique appréhende son travail : certains disent que c’est une réalité cachée du
consommateur, d’autres une tension dans la marque que vit le consommateur. Cela peut-être
un verbatim du consommateur, une contre-évidence du marché, une citation d’un philosophe,
écrivain, sociologue, artiste... A titre d’exemples, des « insights » proposés par le site « Le
Planneur de l’agence » se trouvent en Annexe 3. Pour trouver cet « insight », le planneur
stratégique s’approche d’une dimension de chercheur, et plus précisément selon l’APG de
« social anthropologist » où son but est d'« orienter les tendances culturelles et sociales est
une tache spécifique où il faut trouver comment nourrir une jeune marque et le
développement créatif [...] Beaucoup de personnes peuvent dire ce qui est à la mode et ce qui
ne l’est pas, mais les planneurs doivent être capables de dire pourquoi34
» Au sein de
l’ « insight » et du « brief créatif », le planneur stratégique émet une question ou un problème,
celui du consommateur, du client ou du créatif : pourquoi acheter ce produit, pourquoi nous
plutôt qu’une autre agence, et pourquoi cette direction créative plutôt qu’une autre ? Le
planneur stratégique doit anticiper ces questions en y répondant en avance. C’est pourquoi, le
planneur stratégique serait aussi un « futurologist », c’est-à-dire une personne qui extrapole
33
« identifies the key issue and determines the role for communication against a specific target »
34
« monitoring cultural and social trends is a specialist task and the findings need to be fed in early brand and
creative development [...] Many people can tell you what’s in and what’s out, but planners should be able to tell
you why. »
32
les données et tendances en conditions futures possibles : « un authentique intérêt et la
capacité à générer du savoir à partir des tendances et d’anticiper les mouvements sociaux que
leurs collègues peuvent utiliser pour faire grandir leurs marques.35
». (APG, 2001, p.6) On
retrouve alors la définition de Mercanti-Guérrin, qui rapprochait le planneur stratégique du
métier de prospectiviste. Mais à la différence du chercheur, sa recherche est appliquée et non
fondamentale, c’est-à-dire qu’elle doit servir une création/ un dispositif/une campagne. Il est
alors un « knowledge applicator ». S’il doit acquérir un certain savoir, il doit aussi pouvoir le
transmettre à son équipe (à travers le brief créatif mais aussi pendant les réunions,
conférences, brainstorming etc.) et surtout faire en sorte que ses connaissances soient par la
suite appliquées. Par conséquent, ce savoir doit être applicable, donc digéré et synthétisé par
le planneur stratégique. « Appliquer le savoir plutôt que de l’acquérir et de le régurgiter »
(APG, 2001, p.7) Pour l’APG, c’est à partir de cette double dimension (knowledge +
applicator) que le planneur tire sa position unique : « Les planneurs sont dans une position
unique au sein de leur boulot car ils ont à comprendre leur audience à travers des études ET
de comprendre comment ces informations peuvent être utilisées dans leurs propres
marchés36
»(APG, 2011, p.3) En 1986, la position du planneur était d’être la relation entre le
commercial et le créatif. Sa position s’élargie ou s’intensifie dans la version de 2001 en tant
que « a crucial bridge » entre le client et le consommateur. Sa principale mission serait de
créer du lien « Il a besoin de comprendre le consommateur et la marque, couper avec le
cynisme et connecter avec son audience. 37
»(id.)
Nous finirons sur une dernière facette du planneur stratégique : toutes ses missions et ses
casquettes que possèdent le planneur stratégique « peuvent être accompagnés d’une passion
ou d’une fascination pour un sujet particulier.38
»(id.) Les qualités requises dans cette version
35
« Genuine interest in and capacity to generate knowledge about trends and anticipate social movments that
their colleagues can actually us to grow their brands »
36
« Applying of (rather than acquiring and regurgiting) knowledge. [...] « Planners are in a unique position in
their job because they have an understanding of the audience through research expertise AND understanding of
how it will be apllied within their own business. »
37
« He needs to understand the consumer and the brand, to cut cynicism and connect with it audience. »
38
« may be accoumpanied by a passion or a fascination for a certain theme »
33
de 2001 sont tout comme le reste plus détaillées, mais on retrouve en trio de tête la curiosité,
l’intuition et la passion. Mais aussi :
« Logique, analytique, conceptuel, pense stratégiquement, capacité à vendre et à avoir un
jugement raisonnable, capable d’argumenter un point de vue de manière cohérente, pense
rapidement, sait quand il faut pousser ou quand il faut se détendre, expérience idéale et
compétences pratiques, esprit critique, des différentes perspectives jusqu’à la big picture, sait
apprécier et utiliser les propositions des autres, sait gérer la pression et les circonstances
imprévisibles. »39
(idem)
Bref le planneur stratégique possèderait jusqu’à quinze facettes mais aussi devrait être doté
d’une d’une vingtaine de qualités ou de traits de caractères. On comprendra pourquoi un trio
de tête de dessine dans cette multitude. Intuitif, le planneur stratégique en tant que « voix du
consommateur » doit à la fois être en empathie avec ce dernier et prospectiviste sur le marché
pour lequel il évolue. Passionné, nous imaginons qu’une personne passionnée d’art aura
tendance à proposer des inspirations artistiques aux créatifs, tandis qu’une personne
passionnée par les nouvelles technologies orientera sa réflexion stratégique à partir de ces
outils. Mais c’est surtout le fait d’être « curieux » qui retient notre attention, car il faut
effectivement qu’un planneur stratégique puisse avoir envie de travailler pour des produits
ordinaires, pour des marchés très divers et des marques parfois banales. On comprend que
certains n’y trouveraient aucun intérêt ou du moins qu’un intérêt limité. L’objectif du client
(et par conséquent de l’agence) est de créer du changement, de la discontinuité, pour générer
du profit et augmenter leur capital : briser la routine du quotidien, moderniser le logo de la
marque, créer un nouveau produit, etc. Le planneur stratégique étudie le renouveau permanent
du monde social mais surtout incite ce désir de changement. Nous cherchons alors dans notre
démarche scientifique d’établir une définition pour notre objet d’étude en venant stabiliser
quelques points de ce dernier afin qu’ils deviennent des points cardinaux. Ils nous permettront
par la suite de nous baser sur un modèle et surtout de nous orienter.
39
« Logical, analytical, conceptualize, think strategically, capacity of taking a commercial and making a
reasonable judgement, able to argue a point a view coherently, quick thinker, who know when to push and when
to relax, great personnality, see the funny side, be a participant not an observer, pragmatic, ideal experencience
and craft skills, criticism, differents perspectives to big picture, can appreciate and use inputs from others, deal
with pressure and unpredicable circumstances. »
34
*
Comme nous l’avons déjà expliqué plus haut, nous cherchons à définir le planning stratégique
en France, notre objet d’étude, à partir des définitions britanniques de l’APG, car la littérature
professionnelle française ne nous permet pas d’en élaborer une définition complète et surtout
assez riche pour par la suite en réaliser une analyse en économie politique critique de la
communication. On a remarqué que la définition britannique du planning stratégique s’est
énormément complexifiée en quinze ans. Le planneur stratégique est passé d’un métier
hybride entre un commercial, un média-planneur et un chargé d’étude, censé représenter le
consommateur au sein de l’agence afin de réaliser des campagnes à la fois efficaces pour le
client, créatives pour l’agence et surtout pertinentes pour le consommateur ; à un métier
disons-le franchement compliqué. Il garde certes sa triple fonction, mais une dizaine de rôles
supplémentaires existent. Nous avons expliqué précédemment que l’élargissement de ses
missions provient de l’élargissement du métier à d’autres entreprises de l’industrie publicitaire
(c’est-à-dire ayant un lien direct ou indirect à la production, création, diffusion, valorisation
de la publicité).
Commencons par l’essentiel : le planneur stratégique est un publicitaire. Mais un publicitaire
qui s’est créé en se distinguant des publicitaires : il est la voix du consommateur, qu’il écoute
grâce aux études quantitatives et qualitatives. Un publicitaire quand même puisque ses
missions relèvent du marketing, que ce soit dans une perspective commerciale ou médiatique.
Mais pas totalement publicitaire, puisqu’il se présente comme se rapprochant d’un modèle du
chercheur, d’un sociologue ou anthropologue qui observe, analyse et cherche à comprendre le
social. Mais publicitaire quand même car ses observations et ses découvertes doivent servir un
objectif commercial. Mais sous couvert d’un modèle artiste, ces « insights » servent à réaliser
des publicités plus justes et plus créatives. Mais toujours, le planneur stratégique est et restera
un publicitaire. Le planneur stratégique semblerait être un publicitaire-chercheur-créatif.
Venons-en aux faits, ou du moins pour l’instant à notre hypothèse de définition : le planneur
stratégique occupe une position tierce. Hybride entre des mondes différents, il cherche à créer
une relation, du lien, une connexion entre eux : initialement entre le commercial, le média-
planneur et le chargé d’étude, puis plus largement entre la marque, le commercial et le créatif,
encore plus vastement entre le client, l’agence et le consommateur. Le planneur stratégique
35
est à la croisée de ces métiers, il se superpose à la fois à ces derniers mais crée un espace et
une position qui lui est propre. Pourtant ses limites sont variables, et il peut donc piocher dans
d’autres univers et métiers : chercheurs, artistes, prospectivistes, consultants, etc. Il est à la
jonction entre la recherche et le développement, c’est-à-dire entre la théorie et la pratique. Il
semble être un intermédiaire entre tous ces métiers et ces univers, pourtant cette fonction
d’intermédiation qui est une question socio-économique est souvent oubliée dans les
définitions que nous venons de voir.
Voici donc notre hypothèse de définition qui souhaite ainsi l’introduire : le planneur
stratégique est un publicitaire qui possède une position d’intermédiation. Son rôle est de
mettre en relation les différents acteurs de son milieu professionnel et de faire en sorte qu’ils
trouvent chacun leurs intérêts dans le but d’aboutir à un objectif commun. Pour ce faire, selon
les acteurs, leurs positions dans ce système et les situations qui en découlent, le planneur
stratégique est capable de disposer d’une multitude de compétences diverses, internes ou
externes à son milieu, dans le but que la relation s’effectue et surtout qu’elle soit fertile. Le
planning stratégique est un métier de distinction : s’il relie les différents acteurs, il les sépare
pour les distinguer davantage, s’il cherche la connexion innovante, c’est pour mieux rompre
avec les autres, et enfin s’il existe en tant que tel c’est qu’il se différencie des autres métiers
de l’industrie publicitaire.
Retenons de cette définition trois points cardinaux : l’intermédiation, la distinction et l’action
qui nous semble être trois mots clés du planning stratégique. Nous nous pencherons plus
particulièrement sur la position d’intermédiation du planning stratégique car elle nous semble
être riche à exploiter.
Maintenant que nous avons une vision plus définie du planning stratégique, vision rappelons-
le construite par ses acteurs-professionnels de l’industrie publicitaire, nous pouvons
rapprocher cet objet d’étude du mémoire réalisé l’an dernier à propos de la notion « Brand
Culture ». En effet, il a été démontré dans ce dernier que le label « Brand Culture » défini
comme une nouvelle vision et une nouvelle méthode de travail sur les marques était destiné à
promouvoir, justifier et valoriser l’industrie publicitaire. Et ce de l’intérieur comme de
l’extérieur, c’est-à-dire aussi bien aux yeux de ses acteurs (professionnels) que de ses clients
directs (annonceurs, industriels, actionnaires etc.) et indirects (les consommateurs). Ce constat
est semblable dans le cas du planning stratégique qui avant même de se constituer comme
36
métier (entendons ici métier comme communauté de pratiques), s’est construit comme
étiquette ou label d’une nouvelle vision et méthode de travail au sein de l’agence publicitaire
dans le but de promouvoir, justifier et valoriser son activité aux yeux de ses clients et surtout
de ses prospects, dans une logique de fidélisation et de conquête afin d’accroître le capital de
l’entreprise. Nous admettons donc comme postulat que le planning stratégique fait aussi partie
du renouvellement incessant des notions, labels, métiers, méthodes de l’industrie publicitaire.
Aussi, le planning stratégique est un métier certes économique mais il a des répercutions
politiques et idéologiques, dans la mesure où il est un système d’idées, de valeurs et de
croyances partagées sur la manière d’effectuer son travail dans l’industrie publicitaire et
aujourd’hui plus largement dans les industries de la communication. Certes, si notre postulat
est que le planning stratégique revêt un caractère idéologique, il nous faut dès lors analyser ce
qui est idéologique dans ce métier. Nous allons donc dans ce chapitre, mettre l’idéaltype du
planning stratégique selon sa littérature professionnelle, fruit de notre premier chapitre, au
regard des théories des industries de la culture et plus précisément de son courant, l’économie
politique critique de la communication. Expliquons brièvement en quoi il consiste, notre
lectorat n’étant pas forcement initié à ce dernier, caractéristique -nous semble-t-il- du master
« Industries Créatives » de l’Université de Paris 8 avec le courant des Cultural Studies. Nous
n’entrerons pas dans les débats épistémologiques mais nous souhaitons tenter d’en donner une
définition accessible. L’économie politique critique trouve son origine selon Tristan Mattelart
dans la figure d’Herbert Schiller qui dès les années 1970 propose d’analyser la convergence
d’intérêts entre la sphère politique, économique et médiatique (aux Etats-Unis). La dimension
critique provient de l’héritage des théories critiques de l’industrie culturelle des années 1940,
portée par les figures d’Adorno et de Horkheimer. Ce courant tente de démontrer
l’articulation des industries de la communication avec l’économie capitaliste en ayant pour
perspective de « relier les différents mouvements qui traversent les champs de la culture, de
l’information et de la communication à la marche et aux transformations du capitalisme »
(Magis, 2012, p.18) Son apport critique consiste à analyser les rapports de domination du
système idéologique capitaliste et la « reproduction des inégalités sociales » (idem) afin de
connaître les moyens d’y échapper. L’étude ne se fait plus uniquement à partir des médias
mais s’est élargie aux industries culturelles et aux industries créatives dont l’industrie
publicitaire fait partie selon la définition de l’UNESCO :
37
« Le terme industries créatives comprend un plus grand ensemble d’activités qui englobent les
industries culturelles [...] sont celles dont les produits ou les services contiennent une
proportion substantielle d’entreprise artistique ou créative et comprennent des activités comme
l’architecture et la publicité, (UNESCO, p.2).
C'est pourquoi, en ayant ces objets d’étude, l’économie politique critique de la
communication se refuse :
« à analyser l’ensemble des industries de la culture et de la communication selon les seuls
outils de l’économie industrielle traditionnelle, notamment à cause de l’importance de ces
industries et de leurs productions dans la compréhension que les société se donnent d’elles-
mêmes, à cause de leur état particulier de producteur des objets symboliques avec lesquels les
individus se réfléchissent et conçoivent leur être au monde. » (Magis, 2012, p.19)
Si nous pensons que le planning stratégique est le fruit de l’idéologie publicitaire, cette
dernière en tant qu’industrie de la communication s’articule aussi à l’idéologie capitaliste. Ce
rapprochement semble plus évident dans le cas de l’industrie publicitaire (plutôt que
l’industrie musicale par exemple) car la publicité a la particularité d’être entre la sphère
culturelle et la sphère économique. C’est pourquoi nous avons comme hypothèse générale que
le planning stratégique préfigure les mutations des industries de la culture et de la
communication, liée aux mutations du capitalisme contemporain avancé, et ce dans
l’imbrication entre sphère culturelle et sphère économique. Nous allons donc commencer
notre analyse en démontrant combien le planning stratégique est porteur de la mutation
idéologique du capitalisme avancé, nommé « nouvel esprit du capitalisme » par Boltanski et
Chiapello (1990), pour ensuite analyser sa réalité socio-économique de l’intermédiation qui
est le cœur de notre hypothèse. En effet, les industries de la culture et de la communication
mutent en un ensemble nommé « industries de biens symboliques » (P. Bouquillion, B.
Miège, P. Moeglin, 2013), portées par les paradigmes de la convergence, de la collaboration
et de la création et influencées par la position d’intermédiation - entre la conception-
production des produits et leur consommateur - des géants mondiaux de la communication
(Bouquillion, Miège, Moeglin, 2013).
38
Chapitre 2 | Le planning stratégique au
prisme de la littérature scientifique :
définitions idéologiques ?
2.1 Le planning stratégique,
individu contemporain de la « modernité tardive »
Nous pourrions tout à fait à partir de là commencer directement à analyser l’idéologie
du capitalisme avancé dans le planning stratégique. Néanmoins, nous pensons qu’il est
intéressant de repositionner cette idéologie capitaliste dans une idéologie plus large : celle de
la modernité tardive. Nous ne rentrerons pas dans le détail de cette idéologie qui fera l’objet
d’un sous-chapitre moins détaillé que les suivants, car notre objectif est de recontextualiser les
analyses socio-économiques qui vont suivre dans la mutation sociologique plus globale de
l’individu contemporain. En effet, cette modernité tardive est le contexte actuel qui a donné
naissance au « nouvel esprit du capitalisme ». C’est un système de croyances qui oriente
l’action des individus d’une manière particulière et qui est utilisé par le capitalisme. On peut
dire que la modernité tardive est le résultat d’une idéologie sociale de l’individu qui a muté
dans les années 70 et que le nouvel esprit capitalisme, mutation économique des années 90, a
pris appui sur elle et a récupéré ses valeurs et ses injonctions. Effectivement, la modernité
tardive comme idéologie sociale et le nouvel esprit du capitalisme comme idéologie
économique se complètent car notre analyse est rappelons-le socio-économique. Or, nous
pensons que si le planning stratégique est une idéologie de la publicité, cette idéologie et ce
métier s’incarnent par ses acteurs, individus contemporains pris autant dans l’idéologie
économique que sociale. Mais nous pourrions prendre le risque de tendre vers une analyse
psychologique des planneurs stratégiques donc de nous éloigner de notre cadre théorique, qui
est rappelons-le la sociologie et plus précisément l’économie politique critique de la
39
communication. Nous ferons donc seulement un bref passage sur la modernité tardive, bien
que notre intérêt reste très vif à ce sujet.
En continuité avec la construction du « publicitaire » dans la modernité
On peut concevoir les textes de la littérature professionnelle commentés
précédemment, comme des manifestes du planning stratégique. Il faut alors rappeler que le
métier de publicitaire a dû justifier sa légitimité au début de la première moitié du XXème
siècle en France, ce qu’analyse Marie-Emmanuelle Chessel dans son ouvrage La publicité,
naissance d’une profession 1900-1940 (1998) : « Comme le démontre très bien Marie-
Emmanuelle Chessel dans son ouvrage, dès la première moitié du XXème siècle, les
défenseurs de la publicité française s’efforcent de définir leur identité, de revendiquer des
compétences spécifiques, et surtout de se différencier par rapport aux pratiques précédentes,
en somme de construire leur professionnalisme. » (M. Moati, 2011, p.6). Le métier de
publicitaire « se veut représenter la modernité d’une société en pleine mutation » (idem, p.7),
à savoir le passage de la société industrielle à la société de consommation (le débat sur les
dates du commencement de l’une et de la fin de l’autre ne nous intéresse pas ici.) Au-delà de
la continuité entre la construction du métier de publicitaire et celui du planneur stratégique
(mise en place d’enseignements de la publicité/du planning stratégique en écoles par exemple)
nous nous intéressons ici particulièrement à la continuité ou à la différence de l’idéologie
portée par l’une et l’autre, à savoir que le métier de publicitaire s’est construit à partir de
l’idéologie de la modernité dite « classique » et que le planning stratégique dans le
prolongement de ce dernier mais de manière différente s’est construit à partir de l’idéologie
de la modernité dite « tardive »(H. Rosa, 2014). Le métier de publicitaire réussit à se
développer en se basant sur un besoin de rationalisation des entreprises : « S’imposant comme
les “rationalisateurs” du marché, et s’inspirant très fortement des techniques enseignées par le
Taylorisme et le Fordisme, les publicitaires tentent d’imposer leur légitimité par le caractère
scientifique. » (idem, p.9). Cette rationalisation est l’une des caractéristiques de l’idéologie de
la modernité : « La modernité n'est pas davantage changement pur, succession d’événements ;
elle est diffusion des produits de l'activité rationnelle, scientifique, technologique,
administrative » (Touraine, 1992, p.21). On peut donc penser que le métier de publicitaire est
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Le planning stratégique et les mutations du capitalisme

  • 1. 1 UFR CULTURE ET COMMUNICATION M2 Industries créatives : médias, web et arts – Culture et Médias Le planning stratégique et les mutations du capitalisme Proposition d’analyse socio-économique des mutations de l’industrie publicitaire par le modèle de l’intermédiation Héloïse Mérard N° étudiant : 13405012 Sous la direction de M. Christophe MAGIS, Maître de conférences Année universitaire 2014/2015. Session 2 : 15 septembre 2015
  • 2. 2 Remerciements Je tiens à remercier vivement mon directeur de mémoire, Christophe Magis, qui s’est montré très disponible tout au long de ce projet de mémoire pour me conseiller. Nos riches discussions et ses nombreux retours de correction ont été une aide précieuse dans la réalisation de ce mémoire. Je remercie aussi chaleureusement chaque planneur stratégique que j’ai rencontré lors de mes entretiens, pour leur intérêt, leur disponibilité, leur gentillesse et leurs encouragements. Merci à Jean-Marie Gourlot, Sébastien Arrivault, Antoine Daudier, Jérémy Daumard, Marine Catalan, Jean Allary, Gaëlle Brouard, Eric Coulon, Shadi Razavi, Jérémie Abric, Benoit Bochu, Chloé Beaumont, Aude Legré, Morgane Mallejac, Julie Blaszczyk, Sarah Patier, Pauline Candellé-Faure et Nicolas Orsoni-Durand. Merci à Philippe Doyle qui a cru le premier en mes capacités en m’offrant l’opportunité de découvrir en pratique ce métier alors que je n’étais qu’en deuxième année et à tous mes anciens tuteurs et tutrices de stage qui m’ont beaucoup apporté aussi bien professionnellement que personnellement et qui ont chacun aidé à la réalisation de ce mémoire aux travers de projets et de discussions : Charlotte Le Gavrian, Nathanaël Este-Klein, Marion Dessemme et Nicolas Skouras. Merci aussi à mon ancienne co-équipière de stage et amie, Nora Murena, qui m’a encouragé dans la réalisation de ce mémoire tout au long de nos six mois de stage. Merci à de nombreux amis, en particulier à Maria, Nathalie, Dorian, de m’avoir écouté, conseillé et appuyé durant toute la durée de ce mémoire. Nos discussions et votre confiance m’ont souvent apporté éclaircissements et motivation. A mon époux, Alexandre, pour ta patience, ton écoute, ton soutient, ta relecture finale et tant d’autres choses.
  • 3. 3 Table des matières Remerciements ...............................................................................2 Introduction ...................................................................................5 Partie 1 Le planning stratégique, résultat, acteur et révélateur des mutations actuelles du capitalisme .........................................10 Chapitre 1 | Le planning stratégique par sa littérature professionnelle : définitions mythologiques ?...............................................................................................................14 1.1. Histoire des origines : entre historique, storytelling et mythologie .............................14 1.2 Définitions idéaltypiques du métier par sa littérature professionnelle : entre unité et pluralité ............................................................................................................................ 21 1.2.1. Au prisme de la littérature professionnelle française ........................................... 22 1.2.2 Au prisme de la littérature professionnelle britannique ........................................ 25 Chapitre 2 | Le planning stratégique au prisme de la littérature scientifique : définitions idéologiques ? .................................................................................................................38 2.1 Le planning stratégique, individu contemporain de la modernité tardive ....................38 2.1.1 En continuité avec la construction du publicitaire dans la modernité ................... 39 2.1.2. Rationalisation et subjectivation, le passage à la modernité tardive ..................... 40 2.1.3. Plus autonome, plus responsable, plus contraint ................................................ 44 2.1.4 Des idéaux au paradoxe et à l’inquiétude ............................................................ 45 2.2 Le planning stratégique, acteur du troisième esprit du capitalisme ...........................47 2.2.1 Esprits du capitalisme : figure héroïque, perspectives excitantes, dimensions sécuritaires et justification au bien commun .................................................................... 48 2.2.2 Le planning stratégique dans le troisième esprit du capitalisme ............................ 49
  • 4. 4 2.2.3 Le planning stratégique, grand dans la « cité par projet » .................................... 50 2.2.4 Sacrifices de sécurité, de stabilité et de désintérêt ................................................ 54 2.2.5. A la recherche de nouvelles sources de valorisation : authenticité, nature, culture 57 2.3 Le planning stratégique au prisme des mutations des industries de la culture et de la communication .................................................................................................................58 2.3.1 L’artiste, modèle en expansion de l’industrie publicitaire ? .................................... 58 2.3.2 Figure de l’intermédiation et injonction à la création : mutation des stratégies du capitalisme ..................................................................................................................... 62 PARTIE 2 Du planning stratégique aux planneurs stratégiques, entretiens ethnographiques ............................................................................73 Chapitre 3 | Méthodologie de l’enquête de terrain ........................................................74 3.1 Terrain d’enquête : les planneurs stratégiques des agences de communication ...........75 3.2. Méthode d’enquête : les entretiens ethnographiques semi-directifs .............................77 Chapitre 4 | Propositions d’analyse socio-économique du planning stratégique à travers les discours de ses acteurs ...............................................................................................84 4.1. Représentations convergentes et imaginaire commun ...............................................85 4.2 Organisation effective : décalage avec les représentations des acteurs et des idéologies sous-jacentes ...................................................................................................................95 4.3. Mutations du capitalisme : indices socio-économique révélateurs d’un rapprochement entre industrie publicitaire et industries culturelles ......................................................109 Conclusion .................................................................................. 117 Annexes ........................................................................................ 124 Bibliographie ............................................................................... 129 Schéma de synthèse ..................................................................... 131
  • 5. 5 Introduction LANNING stratégique. Si vous n’êtes pas familier des industries de la communication et plus précisément de l’industrie publicitaire, ce terme aura peut de chance de signifier quelque chose pour vous. Et si vous êtes familier de ces secteurs, vous avez sûrement croisé ce terme mais il peut encore vous paraître confus. Ce terme est un métier de l’industrie publicitaire assez récent en France, expliquant la méconnaissance de ce dernier. Il fut crée en Angleterre tout d’abord par deux agences de publicité londoniennes dans la fin des années 60. Il s’est par la suite vite répandu dans d’autres agences de publicité londoniennes, anglo- saxonnes, puis américaines, jusqu’en France depuis une vingtaine d’années et dans bien d’autres pays européens, ainsi que dans des pays émergents comme la Chine. Il s’est aussi répandu dans d’autres secteurs des industries de la communication gravitant autour des problématiques de marques comme les agences de design, les agences média, les instituts d’études, etc. La progression de ce métier, bien qu’elle soit lente, est donc exponentielle. Nous avons découvert ce métier à la fin de notre DUT Information-Communication option publicité où il nous avait été présenté comme le « graal » des métiers de la publicité : un métier niche avec très peu de postes, mais très convoité avec de nombreuses candidatures. Lors d’un premier stage nous avons découvert ses pratiques professionnelles et nous avons alors continué dans cette voie en réalisant quatre stages de planning stratégique dans diverses agences des industries de la communication. Ce présent mémoire prend alors ce métier comme objet d’étude. Par conséquent, ce mémoire professionnel est particulièrement lié à notre projet professionnel personnel. Notre constat de départ était qu’il ne semble pas exister de définition institutionnelle ou canonique du planning stratégique en France. Le discours dominant des professionnels souvent entendus lors d’entretiens et de stages, est qu’il existerait « autant de définitions du planning stratégique que de planneurs stratégiques ». Cette affirmation nous a alors interrogé dans une perspective académique. Dans la pluralité ou les ruptures affichées, il est en effet intéressant d’analyser l’unité et les continuités sous-jacentes. Nous nous étions posés deux questions de départ : existe-t-il un caractère commun au planning stratégique qui le rendrait singulier et qui permettrait d’en déterminer une communauté de métier ? De plus quelles sont P
  • 6. 6 les raisons qui expliquent que ce métier est particulièrement attrayant, à la fois valorisé dans le secteur publicitaire et valorisant les personnes qui le pratiquent ? Approches théoriques. Nous avons dû commencer par définir notre objet d’étude pour pouvoir l’analyser. Nous avons alors récolté les définitions du planning stratégique par sa littérature professionnelle pour les mettre en regard de la littérature scientifique. En effet, il fut prouvé dans notre précédent mémoire de M1, à propos de la notion « Brand Culture », que l’industrie publicitaire produit de nombreuses nouvelles notions en réponse à des contextes socio-économiques et politiques particuliers afin de revaloriser, justifier et promouvoir son industrie. Ces notions ont alors une valeur idéologique. De la même manière nous souhaitons interroger la valeur idéologique du planning stratégique en croisant les discours de sa littérature professionnelle avec nos références académiques. Pour cela, nous allons analyser ces définitions à travers les auteurs du courant de l’économie politique critique de la communication. Notre démarche de recherche est donc critique car elle vient analyser les dominations sous-jacentes des industries de la communication dont l’industrie publicitaire fait partie, dans le but de pouvoir s’en extraire. Ce courant tente de démontrer l’articulation des industries de la communication avec l’économie capitaliste en ayant pour perspective de « relier les différents mouvements qui traversent les champs de la culture, de l’information et de la communication à la marche et aux transformations du capitalisme »(Christophe Magis, 2012, p.18). Nous cherchons alors dans ce mémoire à établir dans quelle mesure le planning stratégique est lieu révélateur de la marche et des transformations du capitalisme. En effet, le capitalisme a besoin pour continuer à exister de former des idéologies qui viennent justifier l’engagement de ses acteurs. La force du capitalisme réside justement dans sa capacité à être en perpétuel mouvement, afin de récupérer en son sein les potentielles critiques qui lui sont faites et les opportunités sociales qui peuvent se présenter. Nos auteurs de référence qui ont étudié ces transformations sont Luc Boltanski et Eve Chiapello dans leur ouvrage Le nouvel esprit du capitalisme (1999), où il décrivent les trois états successifs des esprits du capitalisme chronologiquement, et où ils expliquent comment un nouvel esprit, alors troisième esprit, est en train de se constituer depuis les années 1990, visibles dans les textes de management qu’ils analysent. Cette idéologie a donc une portée avant tout économique qui influe sur le social. Nous avons voulu recontextualiser cette idéologie du capitalisme dans une idéologie sociale plus vaste qui est la modernité dite « tardive » dans laquelle nous serions actuellement à la suite d’un tournant idéologique dans les années 1960. Nos auteurs de référence sont alors des
  • 7. 7 sociologues qui étudient l’individu contemporain et les injonctions sociales qui lui sont faites, comme H. Rosa et A. Ehrenberg. Cette idéologie sociale est donc périphérique à l’idéologie économique précédente qui reste au coeur de notre analyse en économie politique critique de la communication. Cela en raison du fait que le capitalisme semble avoir construit son nouvel esprit dans les années 1990 en s’appuyant sur l’idéologie de la modernité tardive déjà diffuse dès les années 1970. Notre question de recherche est alors : dans quelle mesure, le planning stratégique en s’inscrivant dans les idéologies de la modernité tardive et du troisième esprit du capitalisme est-il révélateur d’actuelles mutations socio-économiques de l’industrie publicitaire ? Notre première hypothèse de recherche est que le planning stratégique répond aux nouvelles idéologies socio-économiques de la modernité tardive et du troisième esprit du capitalisme, expliquant pourquoi il est tant valorisé par l’industrie publicitaire et valorisant pour ses acteurs. Notre analyse en économie politique critique des définitions du planning stratégique sert plus précisément une analyse socio-économique de ce métier et à travers lui de l’industrie publicitaire, dans le but de voir si des mutations du capitalisme sont perceptibles. Nous nous inscrivons alors dans le champs des problématiques des théories des industries culturelles, où les auteurs viennent étudier les mutations du capitalisme à travers les industries culturelles. Nos auteurs de références sont Philippe Bouquillion, Bernard Miège et Pierre Moeglin. En effet, l’industrie publicitaire a comme particularité d’être à la jonction entre les industries culturelles et le reste de l’économie. On peut donc penser que les mouvements entre culture et économie sont particulièrement perceptibles dans cette industrie. Ainsi à travers les mutations des industries de la culture et de la communication (Bouquillion, Combès, 2007) nous pourrons y voir les récentes mutations du capitalisme. En effet, il existe de nombreux débats scientifiques sur la place des industries de la communication vis-à-vis des industries de la culture. Les relations entretenues entre ces deux types d’industries peuvent se fonder, selon les auteurs cités, sur trois types de paradigmes industriels différents, dits de « convergence », de « collaboration » et de « création » (Bouquillion, Miège, Moeglin, 2013). Notre seconde hypothèse de recherche est que la mutation socio-économique en cours dans l’industrie publicitaire est l’avénement du modèle socio-économique de l’intermédiation, dans
  • 8. 8 lequel le planning stratégique s’inscrit de part sa position et sa fonction d’intermédiateur. Nous allons alors analyser socio-économiquement le planning stratégique à travers le paradigme industriel de la création, et plus précisément à travers le modèle socio-économique de l’intermédiation de Pierre Moeglin. Méthodologie. Pour répondre à cette problématique et vérifier ou réfuter nos hypothèses, nous avons élaboré une méthodologie qui couple littérature professionnelle, littérature scientifique et enquête de terrain. Nous avons donc un corpus littéraire pluridisciplinaire car nous avons à la fois cherché à faire dialoguer discours professionnels et discours scientifiques et au sein de ces discours scientifiques, articuler sociologie, économie politique critique de la communication et théories des industries créatives. Notre dispositif d’enquête quant à lui fut réalisé aux travers de seize entretiens semi-directifs avec des planneurs stratégiques. Nous avons tenté de diversifier les profils des enquêtés afin d’avoir une analyse assez représentative du métier et du secteur de la communication en publicité. Nous avons alors choisis d’interroger des personnes ayant des niveaux d’expériences différents et venant de secteurs variés de l’industrie publicitaire. Nous incluons alors dans cette industrie, toutes les entreprises de communication travaillant pour le compte d’une marque afin d’en faire la promotion, la publicité. Nous avons alors eu des entretiens avec des planneurs stratégiques dits « juniors » (moins de cinq ans d’expérience), « séniors » (plus de cinq ans d’expérience), des directeurs du planning stratégique qui ont une équipe à manager, dans des agences de publicité ou dites « créatives », des agences de design, des agences médias, des instituts d’études et chez l’annonceur. Organisation du mémoire. La première partie de ce mémoire cherche à répondre principalement à notre première hypothèse et partiellement à la seconde, dans une perspective uniquement théorique puisque nous faisons dialoguer les définitions du planning stratégique par sa littérature professionnelle avec les auteurs de notre corpus scientifique cités précédemment. Nous cherchons dans cette partie à analyser les définitions du planning stratégique par sa littérature professionnelle dans une perspective avant tout de l’économie politique critique de la communication, c’est-à-dire en dévoilant les relations entre les définitions de ce métier et les idéologies dont elles sont porteuses. L’analyse finale de ces définitions en regard du modèle socio-économique de l’intermédiation sera alors une introduction à l’analyse socio-économique réalisée dans la seconde partie.
  • 9. 9 Dans notre seconde partie, nous allons tenter d’articuler les conclusions de notre première partie sur les définitions du planning stratégique avec le discours de ses acteurs et donc passer du planning stratégique aux planneurs stratégiques. Nous débuterons par un rapide détour méthodologique afin d’expliquer la construction de notre dispositif d’enquête qui nous a permis de récolter de précieux matériaux empiriques, enregistrés en totalité, réécoutés dans leur intégralité, mais retranscrits partiellement par manque de temps. Nous viendrons alors répondre à la fois à notre première et notre seconde hypothèse en analysant les discours des planneurs stratégiques dans une perspective socio-économique, c’est-à-dire en articulant les représentations des planneurs stratégiques et l’organisation effective de leur métier et de l’industrie publicitaire. L’objectif est de détecter les potentielles mutations de l’industrie publicitaire suite aux mutations des idéologies analysées précédents. Nous pensons que l’introduction réussie du planning stratégique dans l’industrie publicitaire est en elle-même une première mutation du secteur car elle intègre selon notre hypothèse un nouvel intermédiateur, et vient donc intégrer petit à petit le modèle socio-économique de l’intermédiation.
  • 10. 10 PARTIE 1 Le planning stratégique, résultat, acteur et révélateur des mutations actuelles du capitalisme
  • 11. 11 Chapitre 1 | Le planning stratégique par sa littérature professionnelle : définitions mythologiques ? Durant mon expérience professionnelle en tant que stagiaire en planning stratégique, j’ai constaté la récurrence d’une interrogation dans la profession : qu’est-ce que le planning stratégique ? Cette question, accompagnée d’un « selon vous », m’a été posée de nombreuses fois lors d’entretiens d’embauche. Souvent, le planneur stratégique précise qu’il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse car « la définition de ce qu’est un « planneur » est encore aujourd’hui en débat1 ». (APG, 2001). Pourtant, il est demandé à l’étudiant qui postule au poste de savoir y répondre. Il semble normal à première vue lors d’un entretien d’évaluer la motivation de l’étudiant en testant ses connaissances du milieu dans lequel il va évoluer, et par conséquent du métier qu’il va apprendre. Les acteurs (comprenons les planneurs stratégiques en activité) que nous avons rencontrés nous ont souvent expliqué que les étudiants ne savaient pas très bien ce qu’était le planning stratégique en postulant. Or, ce qui étonne dans les pratiques professionnelles que nous avons pu observer au cours de quatre stages en planning stratégique, c’est qu’eux-mêmes ne savent pas précisément et objectivement ce qu’est le planning stratégique. La question de la définition du planning stratégique devient alors problématique comme le souligne Henry Habberstad : « Essayer de venir avec une définition du planning semble être une tâche cauchemardesque pour n’importe quel planneur2 ». (Habberstad, 2000, p.4) Le constat de départ de ce mémoire est que face à l’indéfinition du planning stratégique en France, le discours dominant est qu’il y aurait « autant de plannings stratégiques que de planneurs stratégiques ». Ce discours véhicule une vision très particularisante du métier : 1 Notre traduction : «The definition of what a « planner » is today, is still up for debate» 2 «To try to come up with a definition of planning seems to be a nightmare task for any planner»
  • 12. 12 chaque planneur stratégique, c’est-à-dire chaque Sujet dans son unicité et sa singularité, réaliserait un planning stratégique différent d’un autre. Pourtant, malgré ce discours très relativiste, les acteurs testent les connaissances du métier du postulant. On constate donc une tension entre deux souhaits : celui de considérer le planning stratégique à travers les pratiques personnelles de ses acteurs, et celui de considérer le planning stratégique comme un métier qui s’apprend, avec des règles, des missions, des attentes et des objectifs communs. Effectivement, un étudiant répondant à un planneur stratégique en entretien « Selon moi, le planning stratégique correspond à la personne se chargeant des plannings des créatifs », verra le planneur lui répondre que ce sont les personnes chargées du trafic qui réalisent cette tâche et non les planneurs stratégiques. De même si un étudiant explique que ce qu’il aime dans la publicité c’est d’écrire les slogans, il sera redirigé vers un autre métier publicitaire plus spécifique à cette tâche : le concepteur-rédacteur. Pourtant, les dimensions organisationnelles et rédactionnelles ne sont pas étrangères au métier de planneur stratégique. Le planning stratégique semble donc être un métier protéiforme aussi bien aux yeux des étudiants qui souhaitent le pratiquer qu’aux yeux des acteurs qui le pratiquent. Cela semble venir du fait que le métier soit délimité par des frontières très floues, qui peuvent être déplacées selon de nombreuses variables : la personnalité et la sensibilité du planneur stratégique, le positionnement et l’histoire de l’agence, le profil et les demandes du client, etc. « Ce serait juste de dire que les façons de travailler en planning varient d’une agence à l’autre et même au sein de l’agence d’un planneur à l’autre.3 » (APG, 1986, p.1) Nous avons donc besoin dans un premier temps de définir quelles sont les frontières théoriques du planning stratégique afin de délimiter notre objet d’étude. A l’image des frontières territoriales, ces limites peuvent sembler arbitraires, et nous pensons qu’une des difficultés réside dans le fait que le planning stratégique est justement un métier visant à dépasser les frontières établies, à « sortir du cadre, être out of the box » comme nous avons pu souvent l’entendre et le penser. Bien que ces frontières semblent arbitraires, nous tenterons dans ce premier chapitre de déterminer une définition de notre objet d’étude au carrefour de la littérature professionnelle et de la recherche scientifique, comme c’est le cas dans la plupart des objets d’étude du champs publicitaire. Dans notre mémoire de M1, la notion « Brand Culture » fut définie en croisant la littérature professionnelle –qui fait récemment de plus en 3 « It would be fair to say that the way planning works varies from agency and even within an agency from planner to planner »
  • 13. 13 plus sa promotion- avec la littérature scientifique en théories des industries culturelles, afin d’en révéler sa dimension politique et idéologique, en tant que mouvement de « culturalisation de l’industrie » (Bouquillion, Miège, Moeglin, 2013). Ce processus d’objectivation du planning stratégique est nécessaire car au-delà des besoins méthodologiques, il semble évident que pour analyser un objet d’étude, il faut avant tout le définir et le cadrer. Nous ne partons pas d’un objet d’étude qui semblerait simple ou évident et qui faudrait éclater pour découvrir sa dimension composite et ainsi dévoiler une réalité sous- jacente cachée. Au contraire, nous chercherons ici à synthétiser les multiples acceptations du planning stratégique selon sa littérature professionnelle afin, non pas d’en extraire une essence car notre démarche n’est pas essentialiste, mais constructiviste. Il est important de mentionner tout de suite que cette définition ne sera en rien un postulat mais doit être considérée comme une construction sociale provenant de différentes subjectivités professionnelles, dans un secteur économique particulier qu’est l’industrie publicitaire et dans une culture précise, anglo-saxonne ou française. Nous considérons donc la définition du planning stratégique qui va suivre comme provenant de constructions sociales et culturelles. C’est pourquoi, ces acceptations sont vouées à évoluer selon l’époque et le pays. La dimension relative de cette définition ne doit par conséquent ne pas être totalement écartée. Nous tenterons alors de toujours situer les acceptations du planning stratégique dans leurs contextes historiques, géographiques, c’est-à-dire culturels. Dans chacune des prochaines citations de cette partie, nous avons fait le choix d’introduire des italiques par-dessus les mots de chaque auteur, afin de mettre en avant les mots clés et les sémantiques importantes autour de la définition/qualification du métier.
  • 14. 14 1.1 Histoire des origines : entre historique, storytelling et mythologie Commençons par déterminer l’origine du métier, et plus précisemment l’histoire du métier, contée par ses fondateurs et diffusée par la littérature professionnelle du secteur. Nous allons donc analyser les discours existant autour de la construction du planning stratégique à partir de sa genèse historique qui est présentée dans sa littérature professionnelle comme un storytelling, Le planning stratégique aurait été créé vers 1968 à peu près en même temps mais de manière parallèle par deux publicitaires londoniens : Stephen King de l’agence publicitaire toujours en activité JWT et Stanley Pollitt de l’agence BMP aujourd’hui disparue. Le terme anglo-saxon fut account planning et non strategic planning comme le suggère la traduction française. S. King est considéré comme le père fondateur du planning stratégique, peut-être du fait que ce soit lui qui a théorisé le métier dans son Anatomy of Account Planning. Il débute son essai en soulignant que le planning stratégique n’a rien de nouveau : des publicitaires le précédent comme David Ogilvy ou Bill Bernarch « were all superb planners » (King, p.3) et la publicité « a toujours été planifiée et les campagnes ont toujours été post-rationnalisées4 » (idem). Ce qui est nouveau pour King, c’est le fait qu’il y ait une cellule séparée et dédiée dans son agence JWT. « Ce qui est relativement nouveau, c’est l’existence .dans une agence d’un département séparé.5 »(idem). A ce propos, deux remarques : la première est que si le planning stratégique possède des limites floues, il s’est construit historiquement comme un « département séparé », c’est-à-dire limité et distinct des autres métiers publicitaires. Cela fait écho au fait que l’identité se crée à partir de l’altérité. Il existe donc toujours une frontière entre « eux » et « nous ». La seconde est que la notion « account planning » semble se définir - à l’image d’autres notions publicitaires (Brand Culture, Brand Content, Brand Image) étudiées dans mon mémoire de M1, (Mérard, 2014) – à la fois comme continuité et rupture, en tant que mouvement plus ancien mais conceptualisé, théorisé et formalisé récemment. La nouveauté tiendrait du fait que ces pratiques déjà anciennes, informelles et disparates, soient dorénavant formalisées : lexicalement, organisationnellement et idéologiquement. C’est 4 « has always been planned and campaigns have always been post–rationalized » 5 « What is relatively new is the existence in an agency of a separate department. »
  • 15. 15 pourquoi King souligne : «Donc dans un sens, quand JWT dissout le département marketing et installa son département de planning stratégique le 1er novembre 1968, c’était plus une réorganisation et un renommage qu’un changement radical.6 »(idem) Le choix du nom de ce nouveau département fut alors crucial : cela aurait pu être « target planner » c’est-à-dire planificateur de cible, « campaign planner », planificateur de campagne ou « brand planner », planificateur de marque, mais le nom retenu proposé par Tony Stead fut « account planner », planificateur de comptes : « Finalement, le 15 juillet nous établissions le nom : nous avions essayé planificateur de cible (trop étroit et obscure), planificateur de campagne (trop concurrentiel avec ce que les créatifs faisaient) et planificateur de marque (trop restrictif dans l’esprit des gens). Tony Stead suggéra planificateur de compte et ça accrochait. 7 » (idem, p.2) On remarque dès lors que le dénominateur commun à ces noms est « planning ». Ce serait donc la dimension fondamentale de ce nouveau département, rappelons-le en 1968. « Account planning » fut issu de la contraction entre account managing et media-planning. « Il fusionna simplement les deux titres ensemble, du fait que le nouveau département de Stephen King allait contenir une sélection hybride de personnes venant des deux disciplines : les équipes commerciales venant du département marketing et les média-planneurs8 . » (APG, 2001, p.2) L’identité du planning stratégique fut donc dès sa création une composition et une hybridation entre deux pôles de l’agence de publicité : les commerciaux et les experts médias. Pourtant aujourd’hui encore l’Account Planning Group, association britannique de planning stratégique, considère ce nom comme « un des titres professionnelles les plus confus qu’il n’a jamais existé.9 » (idem) Stanley Pollitt créa au sein de BMP le planning stratégique en tant que « head of planning », chef du planning, en juin 1968. Contrairement à JWT, l’agence comptait un ratio de planneurs 6 « In a sense therefore, when JWT disbanded the marketing department and set up its account planning department on November 1st 1968, it was more a reorganization and renaming than a radical change. » 7 « At one of these (on July 15) we finally settled the name: we'd tried target planner (too narrow and obscure), campaign planner (too competitive with what creative people did) and brand planner (too much restricted in people's minds to packaged groceries). Tony Stead suggested account planner and it stuck. » 8 « He simply merged the two titles together as Stephen’s new department was to comprise a hybrid selected folk from both disciplines : account teams from marketing department and media planners. » 9 « one of the most obfuscatory job titles ever since »
  • 16. 16 plus important : un planneur pour deux commerciaux, contre un planneur pour quatre commerciaux chez JWT. Remarquons que ce ratio est beaucoup plus élevé qu’au sein des agences de publicité françaises actuelles, où la moyenne semble être d’un planneur pour une dizaine de commerciaux... (Ce chiffre n’est pas vérifié, il est le fruit de nos observations en stage au sein de diverses agences de tailles différentes.) Les planneurs chez BMP étaient aussi plus directement impliqués dans les recherches qualitatives que ceux de chez JWT. Malgré les différences, King considère que ces deux agences avaient une vision du planning stratégique commune : l’innovation publicitaire devait venir des compétences du planning stratégique à intégrer dans la production publicitaire. Ce fut alors « un changement fondamental en interne dans le jeu de pouvoir et d’influence10 » (King, p.3), c’est-à-dire une réorganisation interne certes des départements et des manières de travailler mais aussi et surtout des relations de pouvoir. Le planning stratégique se serait donc formé comme un contre-pouvoir au sein de l’agence. Face à qui ? King ne précise pas, mais nous pouvons imaginer que l’introduction du planning stratégique visait à redistribuer les cartes du pouvoir entre les experts marketing (commerciaux) et les experts médiatiques (média-planneurs) chez JWT, ainsi que les spécialistes en études qualitatives chez BMP. De plus, les deux pionniers furent d’accord sur la position tierce du planning stratégique : le planning stratégique comme « un système selon lequel un projet s’effectue par un groupe composé de trois compétences (commercial, créatif et planning stratégique) » (idem) chez JWT et « le planneur n’apporte pas simplement des études, mais utilise aussi les données, à tous les niveaux du développement publicitaire, en tant que troisième partenaire pour le gestionnaire commercial et l’équipe créative.11 »(idem) chez BMP. En effet, une des raisons visant à établir le planning stratégique fut pour King et Pollitt « la réaction à un problème très spécifique, qui était, comme le décrivait Pollitt “l’augmentation considérable de la qualité et de la quantité de données essentielles pour concevoir plus professionnellement des statistiques sur les entreprises publicitaires, des données disponibles sur le consommateur ou sur le commerce, etc. Et l’analyse de ces données étaient plus facile, plus sophistiquée et plus accessible à bon marché. 10 « a fundamental change in the internal balance of power and influence » 11 « system whereby a project group of three skills (account management, creative and account planning) [...] The planner brings not simply research, but also the use of data, into every stage of advertising development as a third partner for the account handler and creative team. »
  • 17. 17 12 ». (John Steel, 1998, p.39) Le troisième point commun entre les deux agences serait donc qu’elles furent dans les années 60 face au même problème : l’augmentation et l’accessibilité des données. Ce fut alors au planneur stratégique de venir les traiter. Enfin, dernier point commun, l’objectif du planning stratégique dans ces deux agences furent de rendre les campagnes plus pertinentes et efficaces en ajoutant au brief, (instructions) du client une dimension consommateur (en traitant des études qualitatives et quantitatives sur ce dernier) ainsi qu’une dimension intuitive et créative :« “Getting it right” est la question, et aussi bien BMP et JWT, en établissant et en développant leurs départements de planning, chargeaient leurs planneur d’ajouter la réponse du consommateur aux opinions et à l’expérience des clients, ainsi que l’intuition des créatifs, afin de faire des publicités plus efficaces13 . » (Steel, 1998, p.41). On retrouve alors la position tierce du planneur stratégique, non plus entre le commercial, le média-planneur et le spécialiste des études, mais entre le client, l’équipe créative et surtout le consommateur. Malgré leurs points communs, ces deux personnalités et leurs agences pionnières ont formé deux façons de concevoir le planning stratégique, deux « écoles ». Chez JWT, le planning stratégique fut avant tout un système et un processus (avec le T-Plan : « basé non pas sur ce qu’il faut faire en publicité, mais sur ce que doit être la réponse du consommateur à la marque comme résultat.14 »(idem, p.6), tandis que chez BMP, le planning stratégique fut considéré comme une personne et un partenaire, privilégiant alors la créativité sur la stratégie. Une dimension macro versus une dimension micro. La tension définitionnelle du planning stratégique pourrait trouver son origine dans ces deux conceptions : l’une plus organisationnelle avec ses méthodes et son cadre (le département de planning stratégique), l’autre plus personnelle et relationnelle avec l’équipe (le planneur stratégique). Comme constaté dans le discours commun actuel « il y a autant de plannings stratégiques que de 12 « a reaction to a very specific problem, which was, as Pollitt described it « a considerable increase in the quality and quantity of data that was relevant to more professionaly planned advertising-company statistics, available consumer and retailer data, etc. And facilities for analyzing data were more sophisticated and more cheaply accessible» 13 « «Getting it right » is the issue, and both BMP and JWT, in establishing and growing their planning departments, charged their planners with adding the dimension of consumer response to the opinions and experience of clients and the intuition of creative people, in an effort to make their advertising more effective » 14 « based not on what ought to go into the advertising, but on what ought to be the consumer's responses to the brand as a result. »
  • 18. 18 planneurs stratégiques », la conception particularisante de Pollitt a pris le pas sur la conception systématique de King. Or, pour King les agences ont copié ce modèle en réduisant le relationnel du planneur stratégique avec son équipe (commerciale et créative) et en omettant sa fonction stratégique en amont : « La récente et rapide croissance a été un malheureux résultat d’après moi. De nombreux managements ont copié l’élément le plus visible du planning stratégique chez BMP sans vraiment comprendre la profondeur de la compétence, l’étendu de l’intérêt impliqué, le très fort ratio de planneur stratégique vis à vis des commerciaux et l’engagement à former. Tout ce qu’ils ont vu, en fait, c’est des planneurs stratégiques qui font fonctionner des groupes de discussions [...] et aujourd’hui, il y a plutôt de nombreuses agences où les compétences des planneurs sont plus proches d’un bidouilleur de publicités de basse échelle.15 .»(King, p.4) Pollitt aussi dans un article au sein du magazine publicitaire britannique Campaign nommé (humblement) « How I started Account Planning » explique ses déceptions peu avant son décès en 1979 : « ‘Planning stratégique’ ou ‘planneur stratégique’ font partie du jargon des agences depuis quelques récentes années [...] Malheureusement il y a une confusion considérable autour de la signification des termes, faisant des débats frustrants sur le sujet16 . » (Steel, 1998, p.39) Les deux fondateurs et pionniers du planning stratégique semblèrent tirer un bilan plutôt décevant dix ans après la création du planning stratégique, que ce soit au niveau de la confusion des définitions que dans la position et les missions du planneur stratégique en agence. Le planning stratégique ne s’est pas uniquement répandu en Angleterre mais dès les années 1980 aux Etats-Unis. C’est alors Jane Newman qui fait figure de référence, avec l’agence Chiat/Day. Jay Chiat, fondateur de l’agence, en visite à Londres, découvrit le planning stratégique des agences britanniques et il souhaita l’exporter dans son agence, en compagnie de Jane Newman, alors account planner chez BMP. La phase d’explication voire 15 « The speed of recent growth has had one unfortunate result, in my view. Many managements have copied the most overt element of BMP's account planning without fully understanding the depth of skill and breadth of interest involved, the very high ratio of planners to account managers and the great commitment to training. All they have seen, in fact, is account planners running group discussions [...] And that nowadays there are rather too many agencies whose planners' skills and experience are much too near the advert–tweaking end of the scale. » 16 « ‘Account planning’ and ‘account planners’ have become part of agency jargon over recent years [...] Unfortunately there is considerable confusion over what the terms mean, making discussion of the subject frustrating. »
  • 19. 19 d’acculturation sembla difficile selon les propos de Newman : « Nous passions plusieurs semaines effroyables, essayant d’expliquer ce que le planning était [...] Cela a pris deux ans et le double que nous avions prévu pour le faire fonctionner dans les trois bureaux.17 » (J. Newman, n.d, p.1) C’est en 1984 qu’Ogilvy and Mather, Young and Rubicam et Saatchi and Saatchi renommèrent leurs départements d’études, en se différenciant entre elles par le nom choisi : ce fut « planning research », planificateur de recherches, pour Ogilvy, « consumer insights », connaissance du consommateur, pour Y&R et « research and strategic planning », planificateur de recherches stratégiques pour Saatchi. La bataille des noms comme moyen de différentiation et de promotion d’agence fit donc à nouveau rage, mais l’acceptation américaine globale fut « strategic planning », planneur stratégique, au lieu du nom originel « account planning ». Quant à l’histoire du planning stratégique en France, la littérature professionnelle ne nous l’explique pas. On peut néanmoins comprendre que le terme « planning stratégique » ne fut pas tirée de la traduction littérale de la notion britannique « account planning » mais de la notion américaine. Les raisons pour lesquelles la France fit exporter le planning stratégique des agences anglaises et américaines ne sont malheureusement pas précisées dans la littérature professionnelle. Mais nous remarquons que l’indéfinition ou du moins la confusion sémantique du planning stratégique existait déjà dans les agences britanniques au cours des années 80 (voire continue encore aujourd’hui, venant justifier la mission de l’association APG). Cette situation se répliqua dans les agences américaines dans les années 90 aux dires de John Steel : « Cette situation pourrait étrangement sonner familière à n’importe quelle personne proche du planning stratégique aux Etats-Unis aujourd’hui, et je pense que si Stanley était toujours en vie, il n’aurait pas été moins frustré [...] car la plupart des agences américaines qui ont établi un planning ces récentes années l’ont fait pour des raisons bien différentes que celles originelles.18 »(Steel, 1998, p.39) 17 « We spend several dreadful weeks trying to explain what planning was [...] It took us two years and twice as long as we have expected to get up and running in all three offices. » 18 « This situation will sound eerily familiar to anyone connected to account planning in the United States today, and I suspect that if Stanley were still alive today, he would not have been less frustated [...] because many of the U.S. agencies that have established planning in recent years have done so for rather different reasons from those for which was originally conceived. »
  • 20. 20 * Le planning stratégique est aujourd’hui conté par ses fondateurs, qui font offices de pionniers et d’emblèmes du planning stratégique. Le capitalisme vient couramment mythifier ses managers afin de justifier leurs implications capitalistes (Steve Jobs étant l’un des exemples le plus frappant, comme nous avons pu le remarquer lors de sa mort avec les multiples biographies qui ont suivi et les interrogations sur le futur économique d’Apple sans sa figure de proue). C’est aussi le cas pour Stephen King, Stanley Pollitt et peut-être Jane Newman qui viennent à la fois incarner le planning stratégique à ses origines et conter leurs aventures dans la presse professionnelle. L’histoire du planning stratégique doit se comprendre autant comme un historique avec des dates clés qu’un storytelling avec des personnages clés. Comme le souligne Philippe Bouquillion dans son ouvrage Les industries de la culture et de la communication (2008), le capitalisme tend à « construire la figure des dirigeants », car « la direction [...] doit accréditer l’idée qu’ « il y a quelqu’un à la barre », un « chef » et si possible, quelqu’un possédant des qualités qui, pourtant, ont peu de chance d’être réunies en une seule personne, à savoir des capacités de visionnaire et de rigueur budgétaire. »(Bouquillion, 2008, p.28) Dans le cas de ces trois fondateurs, nous sommes davantage dans une construction de la figure du visionnaire, qui par sa vision vient renouveler l’industrie publicitaire. La dimension financière est absente des discours de King, Pollitt et Newman, reléguée à la direction de l’agence dans laquelle le planning stratégique a été créée (et encore). Le storytelling issu de la littérature professionnelle concernant le planning stratégique s’apparente à un récit mythologique venant expliquer les origines : on retrouve des fondateurs mythifiés, sources de la « création » du planning stratégique, non pas « ex-nihilo » mais par hybridation de différents métiers existants (commercial, média-planneur, spécialiste d’études) et en conséquence du « chaos » de l’information et des données disponibles. Le fondateur est présenté comme un « dirigeant idéal et prométhéen » (Bouquillion, 2008, p.27). Bien que nous ne rentrerons pas dans une analyse sémiotique des discours professionnels présentés plus haut, nous souhaitons souligner ici la construction narrative (mythologique et ainsi donc peut-être fictive) de la figure des fondateurs du planning stratégique, construction élaborée par eux-mêmes et par leurs successeurs qui ont su déployer leurs paroles à plus grande échelle (comme John Steel). La dimension narrative est à la fois empreinte de références mythologiques mais aussi religieuses. Nous n’irons pas jusqu’à dire que ces
  • 21. 21 fondateurs font figures d’apôtres, mais les successeurs comme John Steel (et bien d’autres) semblent « évangéliser » par leurs ouvrages les agences n’ayant pas de planning stratégique. D’ailleurs, John Steel (avec toute l’auto-ironie dont il fait preuve) nomme un de ses sous- chapitres « The High Priest » (p.34). Il y raconte sa rencontre avec le planneur stratégique de BMP (lui-même successeur de S. Pollitt), qui lui expliqua ce que recouvre le planning stratégique et finalement Steel devint quelques temps plus tard, lui-même planneur stratégique chez BMP. Il serait donc question dans la définition du planning stratégique d’une transmission orale et écrite. 1.2 Définitions idéaltypiques du métier par sa littérature professionnelle : entre unité et pluralité Afin d’objectiver le planning stratégique nous allons maintenant déterminer dans la littérature professionnelle les missions et positions singulières au planning stratégique par rapport aux autres métiers publicitaires (voire en général), ainsi que repérer les caractères et qualités du planneur stratégique valorisés par ses professionnels. Ce métier est-il réellement indéterminé ? Nous pensons que certaines missions et caractéristiques sont récurrentes et commencent à façonner une définition stable du métier, voire une identité professionnelle. Nous nous rapprocherons donc de la conception de Maria Mercanti-Guerrin qui définit le planning stratégique en France comme une « communauté-métier » (Mercanti-Guerrin, 2008). Ceci afin d’analyser plus largement le planning stratégique comme révélateur d’une manière de penser son travail dans le capitalisme. Ce paragraphe cherche donc à établir une définition idéaltypique du planning stratégique d’après sa littérature professionnelle francophone et anglo-saxonne.
  • 22. 22 Au prisme de la littérature professionnelle française Si nous partons des définitions émisses dans la littérature professionnelle française, la définition est encore très succincte. La référence canonique, Le Publicitor (8ème édition - 2014) réduit cette définition à : « Le planning stratégique (de l’anglais « strategic plan », « plan stratégique ») est dans une agence le service dédié à la réflexion stratégique. Selon les profils des personnes qui le composent, on parlera de consulting stratégique (planning stratégique à forte dimension de conseil marketing) ou de planning stratégique (davantage tourné vers la recherche d’angles de brief pour la création). Si ce service est fort, il peut même proposer ses prestations à des clients qui n’ont pas confiés leurs campagnes de publicité à l’agence et qui ne lui achèteront que de la prestation de conseil. » (A. De Baynast, 2014, p.85). Malheureusement cette définition ne propose aucune spécificité au planning stratégique, mais au contraire donne à voir la divergence d’acceptations « selon les profils des personnes qui le composent », entre un planning stratégique à dimension commerciale vs à dimension créative. De plus, le conditionnel « Si ce service est fort » renseigne en creux sur la position relative du planneur stratégique dans l’agence : certains auraient donc plus de force (c’est-à-dire de pouvoir) pour vendre directement des prestations de conseils. Cette définition qui se voudrait canonique est pourtant toujours très relative aux profils des planneurs stratégiques et aux agences dans lesquelles ils se trouvent. Elle dévoile aussi la tension sémantique entre différents noms donnés au planning stratégique. Enfin, la définition est dans une certaine mesure tautologique : l’ouvrage définit le planning stratégique par deux types de planning stratégique dont l’un s’appelle exactement ainsi et l’autre différemment, d’où une potentielle confusion. L’observatoire des métiers de la publicité définit le planneur stratégique par ses missions : il « effectue une veille économique et marketing des marchés et des analyses stratégiques fines afin d'enrichir la réflexion en amont (commercial) et en aval (création) des différents responsables [...] étudie l'ensemble des éléments de la marque, du produit, et de la concurrence [...] analyse la culture de la marque et ses liens avec les consommateurs [...] analyse les tendances socio-économiques et socio-culturelles ».(Observatoire des métiers, n.d) Puis par sa position en tant qu’«interface entre les commerciaux et les créatifs. » et enfin par ses qualités « requises : Sait anticiper la tendance. Sensibilité créative. Bon sens. Rigueur.
  • 23. 23 Curiosité. Culture générale. »(idem). La définition du métier s’effectue de manière classique par les missions attitrées et les qualités requises, dans la mesure où ces fiches sont principalement destinées aux étudiants. Cette définition a donc un rôle d’orientation. Le fait de venir définir un métier par ses missions et ses qualités est transversal à tous les métiers. Cette manière définitionnelle n’est donc en rien spécifique aux métiers de la publicité ni au planning stratégique, malgré le fait que ne nous sommes pas sur un site générique type ONISEP mais sur un site spécialisé. Par contre, le fait de venir souligner la position du planneur stratégique (entre une réflexion en amont – commerciaux et en aval – créatifs, et en tant qu’interface) est déjà plus spécifique aux métiers publicitaires, car ces métiers sont positionnés sur la chaîne graphique qui est classiquement représentée linéairement (ce que suggère la notion de « chaîne »). Mais les représentations des positions évoluent vers des conceptions plus systémiques. Remarquons par exemple que ce site spécialisé propose une représentation interstructurelle (Annexe 1) des métiers de la publicité, en distinguant trois sphères imbriquées : les agences conseils en communication, les agences médias et les régies- médias. Le planning stratégique se positionnerait à l’intersection entre les agences conseil et les agences média. Nous retrouvons ici la conception originelle du planning stratégique par King : l’account planner en tant qu’hybride entre un consultant commercial et un média- planneur. Or, nous avons pu observer au cours de notre stage de M2 que le planneur stratégique en agence média est également en relation avec les régies médiatiques. On remarque également que ce graphique (Annexe 1) met à l’intersection de ces trois sphères le « chef de groupe ». Cette définition par le positionnement interstructurel, si elle a le mérite d’être visuelle, peut s’avérer quelque peu réductrice. Le planning stratégique est aussi défini par la presse professionnelle hors secteur publicitaire comme le magazine économique et financier Capital. Dans un article en ligne « Zoom sur le métier de planneur stratégique » (2011), Vincent Garrel, « patron du planning stratégique chez TBWA depuis 2003 », définit son « job » : « [cela] consiste à scruter les tendances afin de guider le travail des créatifs, tout en prêtant l’oreille aux recommandations des commerciaux pour suivre au plus près la demande du client [...] Le planneur stratégique joue donc un rôle d’interface entre deux équipes » (Capital.fr, 2011) On retrouve donc une définition très proche de la fiche métier, bien que ce discours soit porté par un acteur du planning stratégique, qui plus est un cadre séniorisé « patron [...] depuis 2003 ».
  • 24. 24 La littérature universitaire française s’est très peu penchée sur le planning stratégique. « La littérature consacrée au planning stratégique est assez limitée, car elle porte sur un métier relativement récent, né il y a seulement 50 ans de la nécessité d’établir un pont entre création publicitaire, consommateurs et annonceurs. » (Maria Mercanti-Guérin, 2008). Notons donc un article de Maria Mercanti-Guérin, maître de conférences en marketing digital, nommé « Emergence des prospectivistes 2.0, le cas des planneurs stratégiques » dans la revue Management et Avenir en 2008, où - comme le titre le suggère - l’auteur rapproche le planning stratégique du métier de prospectiviste, c’est-à-dire « un observateur doublé d’un enquêteur et d’un analyste » (Boyer et Scouarnec, 2006 cité par Mercanti-Guérin, 2008). Sa définition du planneur stratégique s’écarte de la fiche métier et détermine davantage une spécificité : « Le planneur stratégique se définit comme un connecteur pratiquant la pluridisciplinarité, la transversalité et l’utilisation de l’intelligence collective rendus possible par le développement du Web 2.0 » (idem). Selon l’auteur, la difficulté à définir le métier réside dans « ses contours flous encore en devenir » (id.), bien qu’elle constitue néanmoins une « communauté de pratiques » (id.) et une « communauté métier »(id.). La seconde difficulté résiderait dans le fait qu’en France « les leaders reconnus de cette communauté sont pratiquement tous anglo-saxons » et qu’il n’existerait « peu de liens [au sein de] la communauté des planneurs stratégiques français. ». Cette définition datant de 2008, nous pouvons imaginer qu’en sept ans certaines choses aient évolué. Or les initiatives dans cette direction semblent encore peu répandues. Jeremy Dumont, actuellement directeur du planning stratégique du groupe Révolution 9, avec son blog Le Vide Poches tente depuis quelques années d’établir une communauté professionnelle française en répertoriant les planneurs stratégiques français en activité (un fichier Excel nommé « l’annuaire des planneurs stratégiques ») et en organisant des événements fédérateurs comme « Les Apéros du Jeudi ». Ces initiatives ont été critiquées par d’autres planneurs stratégiques, car au lieu d’être portées par une institution (comme l’association APG en Angleterre), elles sont portées par un individu en son nom propre. On ne retiendra à titre d’exemple qu’une citation d’un planneur stratégique nommé Cyril Rimbaud sur son blog personnel Cyroul.fr : « Mais où est donc passé l’APG France (French Account Planning Association) ? Elle était encore là en 2009 et puis elle a cessé toute activité quand Jeremy Dumont a décidé unilatéralement de parler pour tous les planneurs français. [...] Résultat : il n’y a plus aucun représentation française de ce corps de métier, en dehors de celles auto-déclarées et qui ne
  • 25. 25 sont pas forcément les plus légitimes » (Rimbaud, 2011). Ecrit à la suite d’un article de Libération sur le planning stratégique qui aurait « fait du mal » (idem) au métier, venant donner « une vision faussée d’un métier si extraordinaire » (id.), cet article a finalement créé un débat dans les trente-trois commentaires qui ont suivi. Nous ne rentrerons pas dans le détail de cet article, ni de ces commentaires, mais il exemplifie les discussions et les polémiques existantes au sujet du planning stratégique en France. Pourtant, la création en 2001 de l’antenne française de l’association britannique APG, animée par Luc Basier, à l’époque chez Leagas Delaney Paris Centre, aujourd’hui fondateur d’une agence de planning stratégique DOTHERIGHTTHING, aurait pu donner une vision commune au métier. Or effectivement l’APG à la française ne donne plus de signes d’activité (du moins sur Internet) depuis 2009, et il n’existe toujours pas de vision commune sur le planning stratégique de manière institutionnalisée. Au prisme de la littérature professionnelle britannique Aux vues des définitions françaises encore peu établies, en débat ou trop restrictives, nous devons nous tourner vers la littérature professionnelle anglo-saxonne afin de construire une définition plus précise et détaillée du planning stratégique. D’une part, cela a pour avantage d’être au plus près de la définition originelle que nous avons rapidement précédemment. D’autre part, l’inconvénient corolaire est que ces définitions existent et évoluent dans une culture anglo-saxonne. Or, notre analyse théorique ainsi que l’enquête de terrain qui va suivre se réalisent en France et par conséquent sous un prisme français. L’objet de ce présent mémoire n’étant pas d’analyser de manière comparative deux cultures du planning stratégique (issues de deux cultures de la publicité, de la communication et plus largement encore de l’économie), nous partons du postulat que les définitions anglo-saxonnes qui vont suivre caractérisent le planning stratégique dans sa globalité et donc s’appliquent au planning stratégique en France, en raison de l’influence historique, économique et idéologique de l’account planning et des agences publicitaires anglo-saxonnes sur le planning stratégique et les agences françaises. La référence afin de connaître la définition de l’account planning est en premier lieu la définition donnée par l’association britannique APG. Cette association en se formant en 1978
  • 26. 26 est venue institutionnaliser le métier d’account planner, en menant trois actions : en externe, militer pour le planning stratégique comme moyen d’atteindre de bonnes stratégies publicitaires ; en interne, créer un espace communautaire pour les planneurs stratégiques et les futurs planneurs -encore étudiants- en organisant des événements, des formations ou des prix ; et enfin à la fois de manière externe et interne, en élaborant une définition de l’account planning. A cet effet, il eut deux documents venant répondre à la fameuse question « What is account planning ? », le premier datant de 1986 et le second de 2001. Dans un souci de clarté nous allons retenir les missions singulières qui y sont évoquées, la position au sein de l’agence et enfin les caractéristiques voire les qualités attribuées au planneur stratégique. En 1986, les missions de l’account planner étaient principalement de représenter le consommateur : « C’est la définition traditionnelle du planneur en tant que “voix du consommateur” [...] Les planneurs gardent le contact avec les consommateurs19 » (APG, 1986, p.1) en analysant et interprétant les études en direction d’une recommandation stratégique pour le client. « Les planneurs utilisent les données du marché et des études et apportent une subtile et sensible interprétation de ces recherches, inspirant pour le développement20 . » (idem). Ses missions étaient donc encore très proches de la conception de King et de Pollitt : le planneur stratégique devait avant tout analyser les études et les données du client, du consommateur et des médias afin de conseiller une orientation publicitaire à forte dimension commerciale. La position du planneur était alors d’être une relation au sein de l’agence, avec l’équipe commerciale « Les planneurs apportent une meilleur compréhension des relations avec le consommateur, plus profonde dans l’analyse jusqu’aux procédures.21 ». (APG, 1986, p.4) et l’équipe créative « les processus créatifs qui peuvent stimuler ou discipliner la pensée créative, c’est-à-dire des compétences de recherche et d’interprétation de la réponse du consommateur avec sensibilité et prévoyance22 » (idem). Les qualités du métier ressemblent à 19 «This is the traditionnal definition of planner as the ‘voice of the consummer’. [...] Planners are there to keep in touch with consumers » 20 « Planners uses market and research data, and brings skillful and sensitive interpretation of research and opening for development» 21 « Planners brings greater understanding of consumer relationship and more analytical depth to the proceedings » 22 « Sympathy with creative process can stimulate and discipline creative thinking : their researchs skill carn interpret consumer response with sensibility and foresight »
  • 27. 27 une longue liste de prérequis : « Passionné et sensible, curiosité intuitive à propos du consommateur et une compréhension des relations humaines, imagination à traduire les résultats des études en actions publicitaires, autorité et crédibilité, stratégique et esprit visionnaire pour créer des ouvertures, en maintenant l’équilibre entre théorie et pragmatisme23 » (id.) Rappelons la citation de Bouquillion sur les dirigeants. Le planneur stratégique semble lui aussi devoir couvrir une multitude de qualités en une seule personne, qualités qui à l’instar du dirigeant visionnaire et bon gestionnaire financier, le planneur stratégique doit à la fois être visionnaire et autoritaire. Finalement ce qu’on retient de cette liste est le fait que le planneur stratégique doit « maintenir l’équilibre », c’est-à-dire trouver le bon degré ou la juste équation entre ces différentes caractéristiques. Le planneur stratégique se doit-il donc d’être mesuré ? La définition de 2001, actualisée en 2007, est beaucoup plus fournie que sa version précédente. Une continuité existe entre les deux versions, mais la plus récente élargie la définition de l’account planning, en raison de l’expansion que connait le métier en dehors des agences de publicité dont il est originaire : « Le planning stratégique s’est développé d’une fonction professionnelle qui existait uniquement en agences de publicité, à aujourd’hui dans les départements marketing des clients, les agences de marketing direct, les consultants en design, les firmes de relations publiques, les médias indépendants, etc.24 » (APG, 2001, p1) Le planning stratégique dès les années 2000 s’est étendu aux agences de marketing direct, de design, de relations publiques, les régies médias ainsi que directement chez le client dans leur département marketing. Cette situation équivaut à l’évolution du planning stratégique en France depuis les années 2010. On constate donc une similitude entre la situation de l’account planning en Angleterre et celle du planning stratégique en France (justifiant à nouveau l’utilisation de la définition britannique pour notre étude). Si le planning stratégique s’est répandu dans diverses agences de communication, il s’est aussi répandu géographiquement : « L’Angleterre, lieu de sa naissance, a été étendu aux Etats-Unis et au Canada, Hong Kong, 23 « Passion and sensibilité, intruitive curiosity about consumer and an understanding of human relationships, numerate and imaginative to translate research results into ad action, authorithy and credibility, strategic and visionary ming to creat openings, maintening a balance between theory and pragmatism. » 24 « Since then account planning has developed into a job function that exists not only in the ad agencies, but in client marketing department, direct marketing agencies, design consultancies, PR firms, media independents et al. »
  • 28. 28 Australie, Scandinavie, Chili, Brasil, Europe, et même la Chine. 25 » (idem). Nous pouvons en conclure que que le planning stratégique est aujourd’hui un métier mondialisé. Bien qu’il possède des particularités selon les pays (augmentant la variabilité définitionnelle déjà accrue du métier), il existe une dénomination mondialement commune. Par exemple, l’agence SAME SAME but different, basée à Paris et à Shanghai possède des planneurs stratégiques français et chinois. L’élargissement des types d’entreprises et des pays dans lesquels le planning stratégique évolue aujourd’hui a eu pour conséquence d’élargir de façon considérable ses missions. Elles sont certes bien plus nombreuses que dans la version de 1986, mais surtout beaucoup plus hétéroclites : le planneur stratégique peut recouvrir selon l’APG jusqu’à quinze facettes que l’APG nomme des « sous-genres », « compétences » et « gènes » qui permettront au planning stratégique de continuer à vivre et s’étendre au cours du XXIème siècle : « identifier les différentes sous-espaces qui existe et prédire les compétences clés et les gênes qui permettront d’assurer notre survivance commercial et notre succès après les années 200026 .»(APG, 2001, p.1) Nous avons pris le soin pour notre argumentation de trier ces différentes compétences, la hiérarchie étant différente dans la source. Nous retrouvons tout d’abord les missions originelles pensées par King et Pollitt : le « oldie but goldie [...] représentant de l’audience ciblé/voix du consommateur27 » (APG, 2001, p.4), c’est-à-dire la mission d’être en empathie avec son consommateur ou sa cible. Le planneur stratégique est toujours un « data analyst », analyste de données, venant trier les données accessibles qui se sont encore plus multipliées depuis l’époque de King et Pollitt avec Internet. « Savoir comment interroger les données et y trouver une histoire, plutôt que d’en être intimidé, est le challenge28 » (APG, 2001, p.4) Cette mission initiale du planning, fondant sa raison-d’être est donc toujours présente, mais peut- 25 « England birthplace, extending to the US and Canada, Hong Kong, Australia, Scandinavia, Chili, Brazil, Europe, even China. » 26 « identified the various sub-species that exist, and predicted the key craft skills and genes that will ensure our successful commercial survival beyond the year 2000. » 27 « oldie but goldie [...] target audience representative/voice of consumer » 28 « Knowing how to interrogate data and find a story throught rather than be intimidated by it is the challenge »
  • 29. 29 être à des degrés différents selon l’agence dans laquelle il est effectué. Nos différents stages nous ont permis de constater que cette mission est plus importante en agence média qu’en agence de publicité et en agence de design. Il faut alors préciser l’expertise de chacune de ces agences : si l’agence publicitaire s’occupe de la réalisation de la campagne publicitaire, l’agence média s’occupe en aval de l’achat d’espace médiatique pour cette publicité et l’agence de design en amont de l’identité iconographique de la marque. Néanmoins, chacune de ces spécialités sont en train de s’hybrider. Le planneur stratégique doit en général comprendre les différents canaux de communication, en agence média certes mais aussi dans les autres types d’agences : « Il est de plus en plus important pour le planneur de comprendre le rôle stratégique et l’efficacité de chaque média, par cible et par catégorie, et de savoir quand et comment c’est pertinent de les utiliser pour atteindre les objectifs de la marque29 »(idem). Cette mission relève aussi du métier originel hybride entre une fonction commerciale, médiatique et d’études. La dimension commerciale se retrouve dans une facette « marketing research » où le planneur stratégique peut monter parfois très en amont sur le conseil marketing du client en analysant son mix marketing, c’est-à-dire son produit, sa politique de prix, sa communication et sa distribution et en proposant parfois de la recherche et développement d’offres et de produits, prenant la casquette d’un « R&D consultant » : « Etre à la naissance d’un produit à travers son positionnement, son nom, ses tests, [...] peut être une des choses les plus intéressant et une expérience formatrice. »(idem) Pour l’APG, cette dimension marketing astreint le planneur stratégique à « être capable d’ignorer, de remettre en question et d’exploiter certaines choses dans une perspective construite sur la base d’une compréhension ou du moins quelque chose de plus solide qu’une affirmation ou un préjugé30 » (idem) Ensuite, le planning stratégique revêt le rôle - ce que King regrettait rappelons-le : « Tout ce qu’elles ont vu, en fait, ce sont des planneurs stratégiques qui organisent des discussions de groupe» (déjà cité) - d’un « brainstorming facilitor », facilitateur de brainstorming, technique 29 « It’s increasingly more important for the planner to understand the strategic role and effectiveness of different media, by target and by category, and know when and how it’s relevant t of use them to achieve the brand objectives. » 30 « Being in at the birth or a product throught to its positionning, naming, testing [...] can be one of the most interesting and formative experience (…) be able to ignore, challenge, or exploit such things from a perspective built on understanding or out least something mere solid than assertion and prejudice. »
  • 30. 30 de recherche d’idées originales (Larousse, 2015) ou encore d’un « qualitative focus group moderator », modérateur d’études qualitatives en groupe, c’est-à-dire « à la fois un psychologue et un interprète ». Cette position d’« interface » en tant que « facilitor » ou de « moderator » en fait un « information center », centre d'information, dans sa version impartiale ainsi qu’un « bad cop or good cop », méchant ou gentil policier, dans sa version partiale, mais toujours dans une dynamique relationnelle. En interne avec l’équipe commerciale et créative, tout comme en externe avec le client : « Délivrer parfois de mauvaises nouvelles, remises en question, différentes et inattendues, sans briser la relation31 . »(id.) Le document qui incarne ce lien et cette transmission d’une équipe à une autre est le « brief créatif » qui est une des missions centrale du planneur stratégique : « Le brief est largement considéré comme le produit ou “le livrable tangible clé” du planneur. »(id) où le planneur stratégique doit faire preuve de « clarté, brièveté et fertilité sont les nécessités d’un bon brief créatif.32 »(id.) Ce « brief créatif » n’est pas explicité dans le document de l’APG, ce qui prouve qu’il s’adresse à un public déjà un minimum initié (les étudiants en publicité ou les professionnels du secteur). Ce mémoire ne s’adressant pas exclusivement aux initiés, voici la définition du « brief créatif » selon le lexique du Publicitor (2014, p.220) : « cahier des charges à l’intention des créatifs. ». Par ailleurs voici la définition de la « copy strategy » par le Publicitor, synonyme de « brief créatif » mais bien plus précise : « cahier des charges établi à l’intention des créatifs d’une agence dont les rubriques principales sont la promesse (ou bénéfice-consommateur), les supports de la promesse (appelés également preuves, justifications ou reason-why), et, parfois, le ton du message » (id, p.449). Notons alors que si le planning stratégique revêt de multiples facettes, cela semble être aussi le cas de son « livrable » le « brief créatif » ou « copy stratégique », composé de différentes notions et orientations (preuves, « reason-why », promesse, « reason-to-belive », etc.) Effectivement, au cours de nos stages, nous nous sommes rendu compte que les « briefs créatifs » étaient très différents d’une agence à l’autre. Chaque agence cherche à intégrer sa culture d’agence et donc sa différence (symbolique et commerciale) dans la manière dont est nommée ou agencée ce document. S’il est le fruit du planneur stratégique ou des planneurs stratégiques, il existe toujours une certaine tension entre le document disons « normé » d’origine, le cadre défini par 31 « Deliver some bad/challenging/alternative/unexpected news without ruining the relationship » 32 « The brief is widely considered to be the planner’s main product or « key tangible deliverable » [...] Clarity, brievity and fertility being the hygiene factors of a good creative brief. »
  • 31. 31 l’agence, et ce qu’en fait le planneur stratégique selon son idée, sa sensibilité. Des exemples se trouvent en Annexe 2 de différents types de « brief créatif » ou « copy stratégique» de différentes agences de publicité. De plus, il faut souligner que ce livrable n’existe qu’en agence de publicité. Or, le planning stratégique existe aussi en agences de design, agences média, instituts d’études où ce document n'est pas forcément utilisé (du fait qu'il n'y ait pas d'équipe créative publicitaire dans ces types d'agences). Il ne peut donc pas définir ce qu’est le planning stratégique ou alors uniquement le planning stratégique en agence de publicité. Dans ce « brief créatif », le planneur stratégique revêt le rôle de « strategic thinker/developper » car il « identifie les questions clées et détermine les rôles pour la communication à atteindre auprès d'une cible spécifique33 »(id.). Pour réussir un « brief créatif » fort et pertinent, le planneur stratégique doit être une « mine d'insights ». Cette capacité à trouver des « insights » est « une des compétences les plus importante qu'un planneur peut posséder. » C’est pourquoi il y a souvent au sein des « briefs créatifs » une ligne « insight ». L’ « insight » est - tout comme le planning stratégique - difficile à expliquer car il dépend de la manière dont le planneur stratégique appréhende son travail : certains disent que c’est une réalité cachée du consommateur, d’autres une tension dans la marque que vit le consommateur. Cela peut-être un verbatim du consommateur, une contre-évidence du marché, une citation d’un philosophe, écrivain, sociologue, artiste... A titre d’exemples, des « insights » proposés par le site « Le Planneur de l’agence » se trouvent en Annexe 3. Pour trouver cet « insight », le planneur stratégique s’approche d’une dimension de chercheur, et plus précisément selon l’APG de « social anthropologist » où son but est d'« orienter les tendances culturelles et sociales est une tache spécifique où il faut trouver comment nourrir une jeune marque et le développement créatif [...] Beaucoup de personnes peuvent dire ce qui est à la mode et ce qui ne l’est pas, mais les planneurs doivent être capables de dire pourquoi34 » Au sein de l’ « insight » et du « brief créatif », le planneur stratégique émet une question ou un problème, celui du consommateur, du client ou du créatif : pourquoi acheter ce produit, pourquoi nous plutôt qu’une autre agence, et pourquoi cette direction créative plutôt qu’une autre ? Le planneur stratégique doit anticiper ces questions en y répondant en avance. C’est pourquoi, le planneur stratégique serait aussi un « futurologist », c’est-à-dire une personne qui extrapole 33 « identifies the key issue and determines the role for communication against a specific target » 34 « monitoring cultural and social trends is a specialist task and the findings need to be fed in early brand and creative development [...] Many people can tell you what’s in and what’s out, but planners should be able to tell you why. »
  • 32. 32 les données et tendances en conditions futures possibles : « un authentique intérêt et la capacité à générer du savoir à partir des tendances et d’anticiper les mouvements sociaux que leurs collègues peuvent utiliser pour faire grandir leurs marques.35 ». (APG, 2001, p.6) On retrouve alors la définition de Mercanti-Guérrin, qui rapprochait le planneur stratégique du métier de prospectiviste. Mais à la différence du chercheur, sa recherche est appliquée et non fondamentale, c’est-à-dire qu’elle doit servir une création/ un dispositif/une campagne. Il est alors un « knowledge applicator ». S’il doit acquérir un certain savoir, il doit aussi pouvoir le transmettre à son équipe (à travers le brief créatif mais aussi pendant les réunions, conférences, brainstorming etc.) et surtout faire en sorte que ses connaissances soient par la suite appliquées. Par conséquent, ce savoir doit être applicable, donc digéré et synthétisé par le planneur stratégique. « Appliquer le savoir plutôt que de l’acquérir et de le régurgiter » (APG, 2001, p.7) Pour l’APG, c’est à partir de cette double dimension (knowledge + applicator) que le planneur tire sa position unique : « Les planneurs sont dans une position unique au sein de leur boulot car ils ont à comprendre leur audience à travers des études ET de comprendre comment ces informations peuvent être utilisées dans leurs propres marchés36 »(APG, 2011, p.3) En 1986, la position du planneur était d’être la relation entre le commercial et le créatif. Sa position s’élargie ou s’intensifie dans la version de 2001 en tant que « a crucial bridge » entre le client et le consommateur. Sa principale mission serait de créer du lien « Il a besoin de comprendre le consommateur et la marque, couper avec le cynisme et connecter avec son audience. 37 »(id.) Nous finirons sur une dernière facette du planneur stratégique : toutes ses missions et ses casquettes que possèdent le planneur stratégique « peuvent être accompagnés d’une passion ou d’une fascination pour un sujet particulier.38 »(id.) Les qualités requises dans cette version 35 « Genuine interest in and capacity to generate knowledge about trends and anticipate social movments that their colleagues can actually us to grow their brands » 36 « Applying of (rather than acquiring and regurgiting) knowledge. [...] « Planners are in a unique position in their job because they have an understanding of the audience through research expertise AND understanding of how it will be apllied within their own business. » 37 « He needs to understand the consumer and the brand, to cut cynicism and connect with it audience. » 38 « may be accoumpanied by a passion or a fascination for a certain theme »
  • 33. 33 de 2001 sont tout comme le reste plus détaillées, mais on retrouve en trio de tête la curiosité, l’intuition et la passion. Mais aussi : « Logique, analytique, conceptuel, pense stratégiquement, capacité à vendre et à avoir un jugement raisonnable, capable d’argumenter un point de vue de manière cohérente, pense rapidement, sait quand il faut pousser ou quand il faut se détendre, expérience idéale et compétences pratiques, esprit critique, des différentes perspectives jusqu’à la big picture, sait apprécier et utiliser les propositions des autres, sait gérer la pression et les circonstances imprévisibles. »39 (idem) Bref le planneur stratégique possèderait jusqu’à quinze facettes mais aussi devrait être doté d’une d’une vingtaine de qualités ou de traits de caractères. On comprendra pourquoi un trio de tête de dessine dans cette multitude. Intuitif, le planneur stratégique en tant que « voix du consommateur » doit à la fois être en empathie avec ce dernier et prospectiviste sur le marché pour lequel il évolue. Passionné, nous imaginons qu’une personne passionnée d’art aura tendance à proposer des inspirations artistiques aux créatifs, tandis qu’une personne passionnée par les nouvelles technologies orientera sa réflexion stratégique à partir de ces outils. Mais c’est surtout le fait d’être « curieux » qui retient notre attention, car il faut effectivement qu’un planneur stratégique puisse avoir envie de travailler pour des produits ordinaires, pour des marchés très divers et des marques parfois banales. On comprend que certains n’y trouveraient aucun intérêt ou du moins qu’un intérêt limité. L’objectif du client (et par conséquent de l’agence) est de créer du changement, de la discontinuité, pour générer du profit et augmenter leur capital : briser la routine du quotidien, moderniser le logo de la marque, créer un nouveau produit, etc. Le planneur stratégique étudie le renouveau permanent du monde social mais surtout incite ce désir de changement. Nous cherchons alors dans notre démarche scientifique d’établir une définition pour notre objet d’étude en venant stabiliser quelques points de ce dernier afin qu’ils deviennent des points cardinaux. Ils nous permettront par la suite de nous baser sur un modèle et surtout de nous orienter. 39 « Logical, analytical, conceptualize, think strategically, capacity of taking a commercial and making a reasonable judgement, able to argue a point a view coherently, quick thinker, who know when to push and when to relax, great personnality, see the funny side, be a participant not an observer, pragmatic, ideal experencience and craft skills, criticism, differents perspectives to big picture, can appreciate and use inputs from others, deal with pressure and unpredicable circumstances. »
  • 34. 34 * Comme nous l’avons déjà expliqué plus haut, nous cherchons à définir le planning stratégique en France, notre objet d’étude, à partir des définitions britanniques de l’APG, car la littérature professionnelle française ne nous permet pas d’en élaborer une définition complète et surtout assez riche pour par la suite en réaliser une analyse en économie politique critique de la communication. On a remarqué que la définition britannique du planning stratégique s’est énormément complexifiée en quinze ans. Le planneur stratégique est passé d’un métier hybride entre un commercial, un média-planneur et un chargé d’étude, censé représenter le consommateur au sein de l’agence afin de réaliser des campagnes à la fois efficaces pour le client, créatives pour l’agence et surtout pertinentes pour le consommateur ; à un métier disons-le franchement compliqué. Il garde certes sa triple fonction, mais une dizaine de rôles supplémentaires existent. Nous avons expliqué précédemment que l’élargissement de ses missions provient de l’élargissement du métier à d’autres entreprises de l’industrie publicitaire (c’est-à-dire ayant un lien direct ou indirect à la production, création, diffusion, valorisation de la publicité). Commencons par l’essentiel : le planneur stratégique est un publicitaire. Mais un publicitaire qui s’est créé en se distinguant des publicitaires : il est la voix du consommateur, qu’il écoute grâce aux études quantitatives et qualitatives. Un publicitaire quand même puisque ses missions relèvent du marketing, que ce soit dans une perspective commerciale ou médiatique. Mais pas totalement publicitaire, puisqu’il se présente comme se rapprochant d’un modèle du chercheur, d’un sociologue ou anthropologue qui observe, analyse et cherche à comprendre le social. Mais publicitaire quand même car ses observations et ses découvertes doivent servir un objectif commercial. Mais sous couvert d’un modèle artiste, ces « insights » servent à réaliser des publicités plus justes et plus créatives. Mais toujours, le planneur stratégique est et restera un publicitaire. Le planneur stratégique semblerait être un publicitaire-chercheur-créatif. Venons-en aux faits, ou du moins pour l’instant à notre hypothèse de définition : le planneur stratégique occupe une position tierce. Hybride entre des mondes différents, il cherche à créer une relation, du lien, une connexion entre eux : initialement entre le commercial, le média- planneur et le chargé d’étude, puis plus largement entre la marque, le commercial et le créatif, encore plus vastement entre le client, l’agence et le consommateur. Le planneur stratégique
  • 35. 35 est à la croisée de ces métiers, il se superpose à la fois à ces derniers mais crée un espace et une position qui lui est propre. Pourtant ses limites sont variables, et il peut donc piocher dans d’autres univers et métiers : chercheurs, artistes, prospectivistes, consultants, etc. Il est à la jonction entre la recherche et le développement, c’est-à-dire entre la théorie et la pratique. Il semble être un intermédiaire entre tous ces métiers et ces univers, pourtant cette fonction d’intermédiation qui est une question socio-économique est souvent oubliée dans les définitions que nous venons de voir. Voici donc notre hypothèse de définition qui souhaite ainsi l’introduire : le planneur stratégique est un publicitaire qui possède une position d’intermédiation. Son rôle est de mettre en relation les différents acteurs de son milieu professionnel et de faire en sorte qu’ils trouvent chacun leurs intérêts dans le but d’aboutir à un objectif commun. Pour ce faire, selon les acteurs, leurs positions dans ce système et les situations qui en découlent, le planneur stratégique est capable de disposer d’une multitude de compétences diverses, internes ou externes à son milieu, dans le but que la relation s’effectue et surtout qu’elle soit fertile. Le planning stratégique est un métier de distinction : s’il relie les différents acteurs, il les sépare pour les distinguer davantage, s’il cherche la connexion innovante, c’est pour mieux rompre avec les autres, et enfin s’il existe en tant que tel c’est qu’il se différencie des autres métiers de l’industrie publicitaire. Retenons de cette définition trois points cardinaux : l’intermédiation, la distinction et l’action qui nous semble être trois mots clés du planning stratégique. Nous nous pencherons plus particulièrement sur la position d’intermédiation du planning stratégique car elle nous semble être riche à exploiter. Maintenant que nous avons une vision plus définie du planning stratégique, vision rappelons- le construite par ses acteurs-professionnels de l’industrie publicitaire, nous pouvons rapprocher cet objet d’étude du mémoire réalisé l’an dernier à propos de la notion « Brand Culture ». En effet, il a été démontré dans ce dernier que le label « Brand Culture » défini comme une nouvelle vision et une nouvelle méthode de travail sur les marques était destiné à promouvoir, justifier et valoriser l’industrie publicitaire. Et ce de l’intérieur comme de l’extérieur, c’est-à-dire aussi bien aux yeux de ses acteurs (professionnels) que de ses clients directs (annonceurs, industriels, actionnaires etc.) et indirects (les consommateurs). Ce constat est semblable dans le cas du planning stratégique qui avant même de se constituer comme
  • 36. 36 métier (entendons ici métier comme communauté de pratiques), s’est construit comme étiquette ou label d’une nouvelle vision et méthode de travail au sein de l’agence publicitaire dans le but de promouvoir, justifier et valoriser son activité aux yeux de ses clients et surtout de ses prospects, dans une logique de fidélisation et de conquête afin d’accroître le capital de l’entreprise. Nous admettons donc comme postulat que le planning stratégique fait aussi partie du renouvellement incessant des notions, labels, métiers, méthodes de l’industrie publicitaire. Aussi, le planning stratégique est un métier certes économique mais il a des répercutions politiques et idéologiques, dans la mesure où il est un système d’idées, de valeurs et de croyances partagées sur la manière d’effectuer son travail dans l’industrie publicitaire et aujourd’hui plus largement dans les industries de la communication. Certes, si notre postulat est que le planning stratégique revêt un caractère idéologique, il nous faut dès lors analyser ce qui est idéologique dans ce métier. Nous allons donc dans ce chapitre, mettre l’idéaltype du planning stratégique selon sa littérature professionnelle, fruit de notre premier chapitre, au regard des théories des industries de la culture et plus précisément de son courant, l’économie politique critique de la communication. Expliquons brièvement en quoi il consiste, notre lectorat n’étant pas forcement initié à ce dernier, caractéristique -nous semble-t-il- du master « Industries Créatives » de l’Université de Paris 8 avec le courant des Cultural Studies. Nous n’entrerons pas dans les débats épistémologiques mais nous souhaitons tenter d’en donner une définition accessible. L’économie politique critique trouve son origine selon Tristan Mattelart dans la figure d’Herbert Schiller qui dès les années 1970 propose d’analyser la convergence d’intérêts entre la sphère politique, économique et médiatique (aux Etats-Unis). La dimension critique provient de l’héritage des théories critiques de l’industrie culturelle des années 1940, portée par les figures d’Adorno et de Horkheimer. Ce courant tente de démontrer l’articulation des industries de la communication avec l’économie capitaliste en ayant pour perspective de « relier les différents mouvements qui traversent les champs de la culture, de l’information et de la communication à la marche et aux transformations du capitalisme » (Magis, 2012, p.18) Son apport critique consiste à analyser les rapports de domination du système idéologique capitaliste et la « reproduction des inégalités sociales » (idem) afin de connaître les moyens d’y échapper. L’étude ne se fait plus uniquement à partir des médias mais s’est élargie aux industries culturelles et aux industries créatives dont l’industrie publicitaire fait partie selon la définition de l’UNESCO :
  • 37. 37 « Le terme industries créatives comprend un plus grand ensemble d’activités qui englobent les industries culturelles [...] sont celles dont les produits ou les services contiennent une proportion substantielle d’entreprise artistique ou créative et comprennent des activités comme l’architecture et la publicité, (UNESCO, p.2). C'est pourquoi, en ayant ces objets d’étude, l’économie politique critique de la communication se refuse : « à analyser l’ensemble des industries de la culture et de la communication selon les seuls outils de l’économie industrielle traditionnelle, notamment à cause de l’importance de ces industries et de leurs productions dans la compréhension que les société se donnent d’elles- mêmes, à cause de leur état particulier de producteur des objets symboliques avec lesquels les individus se réfléchissent et conçoivent leur être au monde. » (Magis, 2012, p.19) Si nous pensons que le planning stratégique est le fruit de l’idéologie publicitaire, cette dernière en tant qu’industrie de la communication s’articule aussi à l’idéologie capitaliste. Ce rapprochement semble plus évident dans le cas de l’industrie publicitaire (plutôt que l’industrie musicale par exemple) car la publicité a la particularité d’être entre la sphère culturelle et la sphère économique. C’est pourquoi nous avons comme hypothèse générale que le planning stratégique préfigure les mutations des industries de la culture et de la communication, liée aux mutations du capitalisme contemporain avancé, et ce dans l’imbrication entre sphère culturelle et sphère économique. Nous allons donc commencer notre analyse en démontrant combien le planning stratégique est porteur de la mutation idéologique du capitalisme avancé, nommé « nouvel esprit du capitalisme » par Boltanski et Chiapello (1990), pour ensuite analyser sa réalité socio-économique de l’intermédiation qui est le cœur de notre hypothèse. En effet, les industries de la culture et de la communication mutent en un ensemble nommé « industries de biens symboliques » (P. Bouquillion, B. Miège, P. Moeglin, 2013), portées par les paradigmes de la convergence, de la collaboration et de la création et influencées par la position d’intermédiation - entre la conception- production des produits et leur consommateur - des géants mondiaux de la communication (Bouquillion, Miège, Moeglin, 2013).
  • 38. 38 Chapitre 2 | Le planning stratégique au prisme de la littérature scientifique : définitions idéologiques ? 2.1 Le planning stratégique, individu contemporain de la « modernité tardive » Nous pourrions tout à fait à partir de là commencer directement à analyser l’idéologie du capitalisme avancé dans le planning stratégique. Néanmoins, nous pensons qu’il est intéressant de repositionner cette idéologie capitaliste dans une idéologie plus large : celle de la modernité tardive. Nous ne rentrerons pas dans le détail de cette idéologie qui fera l’objet d’un sous-chapitre moins détaillé que les suivants, car notre objectif est de recontextualiser les analyses socio-économiques qui vont suivre dans la mutation sociologique plus globale de l’individu contemporain. En effet, cette modernité tardive est le contexte actuel qui a donné naissance au « nouvel esprit du capitalisme ». C’est un système de croyances qui oriente l’action des individus d’une manière particulière et qui est utilisé par le capitalisme. On peut dire que la modernité tardive est le résultat d’une idéologie sociale de l’individu qui a muté dans les années 70 et que le nouvel esprit capitalisme, mutation économique des années 90, a pris appui sur elle et a récupéré ses valeurs et ses injonctions. Effectivement, la modernité tardive comme idéologie sociale et le nouvel esprit du capitalisme comme idéologie économique se complètent car notre analyse est rappelons-le socio-économique. Or, nous pensons que si le planning stratégique est une idéologie de la publicité, cette idéologie et ce métier s’incarnent par ses acteurs, individus contemporains pris autant dans l’idéologie économique que sociale. Mais nous pourrions prendre le risque de tendre vers une analyse psychologique des planneurs stratégiques donc de nous éloigner de notre cadre théorique, qui est rappelons-le la sociologie et plus précisément l’économie politique critique de la
  • 39. 39 communication. Nous ferons donc seulement un bref passage sur la modernité tardive, bien que notre intérêt reste très vif à ce sujet. En continuité avec la construction du « publicitaire » dans la modernité On peut concevoir les textes de la littérature professionnelle commentés précédemment, comme des manifestes du planning stratégique. Il faut alors rappeler que le métier de publicitaire a dû justifier sa légitimité au début de la première moitié du XXème siècle en France, ce qu’analyse Marie-Emmanuelle Chessel dans son ouvrage La publicité, naissance d’une profession 1900-1940 (1998) : « Comme le démontre très bien Marie- Emmanuelle Chessel dans son ouvrage, dès la première moitié du XXème siècle, les défenseurs de la publicité française s’efforcent de définir leur identité, de revendiquer des compétences spécifiques, et surtout de se différencier par rapport aux pratiques précédentes, en somme de construire leur professionnalisme. » (M. Moati, 2011, p.6). Le métier de publicitaire « se veut représenter la modernité d’une société en pleine mutation » (idem, p.7), à savoir le passage de la société industrielle à la société de consommation (le débat sur les dates du commencement de l’une et de la fin de l’autre ne nous intéresse pas ici.) Au-delà de la continuité entre la construction du métier de publicitaire et celui du planneur stratégique (mise en place d’enseignements de la publicité/du planning stratégique en écoles par exemple) nous nous intéressons ici particulièrement à la continuité ou à la différence de l’idéologie portée par l’une et l’autre, à savoir que le métier de publicitaire s’est construit à partir de l’idéologie de la modernité dite « classique » et que le planning stratégique dans le prolongement de ce dernier mais de manière différente s’est construit à partir de l’idéologie de la modernité dite « tardive »(H. Rosa, 2014). Le métier de publicitaire réussit à se développer en se basant sur un besoin de rationalisation des entreprises : « S’imposant comme les “rationalisateurs” du marché, et s’inspirant très fortement des techniques enseignées par le Taylorisme et le Fordisme, les publicitaires tentent d’imposer leur légitimité par le caractère scientifique. » (idem, p.9). Cette rationalisation est l’une des caractéristiques de l’idéologie de la modernité : « La modernité n'est pas davantage changement pur, succession d’événements ; elle est diffusion des produits de l'activité rationnelle, scientifique, technologique, administrative » (Touraine, 1992, p.21). On peut donc penser que le métier de publicitaire est