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LAGUERRE
DUCOCHON
CACOPHONY: LA SUBVERSION ORIGINALE CAHIER CENTRALleMag
Bienmoinschèrepourcausededumpingsocial,
l’Allemagneattirelesindustrielsdel’agroalimentaire
françaisetmetenpérillafilièreporcinebretonne.
PAGES 2­5
•1,60 EURO. PREMIÈRE ÉDITION NO9986 SAMEDI 22 ET DIMANCHE 23 JUIN 2013 WWW.LIBERATION.FR
IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 2,30 €, Andorre 1,60 €, Autriche 2,80 €, Belgique 1,70 €, Canada 4,50 $, Danemark 27 Kr, DOM 2,40 €, Espagne 2,30 €, Etats­Unis 5 $, Finlande 2,70 €, Grande­Bretagne 1,80 £, Grèce 2,70 €,
Irlande 2,40 €, Israël 20 ILS, Italie 2,30 €, Luxembourg 1,70 €, Maroc 17 Dh, Norvège 27 Kr, Pays­Bas 2,30 €, Portugal (cont.) 2,40 €, Slovénie 2,70 €, Suède 24 Kr, Suisse 3,20 FS, TOM 420 CFP, Tunisie 2,40 DT, Zone CFA 2 000CFA.
ParÉRICDECOUTY
Sordide
Il y a d’abord les mots.
Ignobles et dérisoires.
Ces cris germanophobes
que la colère ne peut
justifier. Et puis il y a la
réalité, ce recours
croissant à une main-
d’œuvre étrangère et
sous-payée, ces salariés
low-cost qui font le miel
d’entreprises du BTP ou de
l’agroalimentaire. Cette
concurrence déloyale,
qui prospère sur le
désarroi des salariés les
plus pauvres et qui est en
train de détruire la filière
porcine bretonne, n’est en
aucun cas l’apanage de
l’Allemagne. L’industrie
française exploiterait
ainsi 300000 travailleurs
à bas prix dans une Union
européenne qui en
compterait 1,5 million.
La démarche originelle
qui devait permettre de
répondre à des besoins
industriels spécifiques
n’est plus qu’un sordide
outil pour réduire le coût
du travail dans tous les
grands pays européens.
Insupportable
socialement, cette réalité a
de sérieuses conséquences
politiques. Car dans une
économie en crise où tous
les populismes se
nourrissent de discours
antieuropéens, le dumping
social est un danger tenace
pour nos démocraties.
La sonnette d’alarme tirée
jeudi par François
Hollande –qui s’est
engagé à mettre le sujet
sur la table du prochain
Conseil européen–
ne suffira pas. Les Etats
de l’Union doivent sans
délai organiser une
harmonisation sociale
et imposer un salaire
minimum. Ils doivent tout
aussi vite organiser un
contrôle rigoureux et
désigner les entreprises
qui s’affranchissent sans
vergogne de toutes règles
sociales. Sans négliger
l’indispensable répression
des fraudeurs.
ÉDITORIAL Destabilisée par l’exploitation, en Allemagne, de travailleurs
de l’Est sous-payés, la filière porcine française craint pour
son avenir. Hollande et des députés PS s’emparent du sujet.
Dumpingsocial:
vayavoirduporc!
E
lle avait hanté le référendum
de 2005 sur la Constitution
européenne. La voilà qui risque
d’animer, en pleine récession,
la campagne des élections européennes
de mai 2014. La directive Bolkestein sur
les services, et sa grande sœur de 1996,
sur les «travailleurs détachés», sont de
retour, accusées de favoriser le dum-
ping social entre pays de l’UE. En parti-
culier dans l’agroalimentaire. Les abat-
toirs français, en très grande difficulté,
attribuent leurs malheurs au dumping
social de leurs concurrents allemands,
qui abusent de la directive pour sous-
payer des ouvriers venus de l’Est.
Jeudi, François Hollande s’en est ému.
Dans son discours d’ouverture de la
conférence sociale, le chef de l’Etat a
expliqué qu’il ne pouvait «pas accepter
qu’il puisse y avoir, au nom de cette direc-
tive, des concurrences faussées qui détrui-
sent de l’emploi en France». Ni qu’on
puisse «utiliser […] le malheur d’un cer-
tain nombre de pays pour faire venir des
travailleurs européens en les payant à des
niveaux qui ne sont pas raisonnables». Il
a promis de porter les questions de sa-
laire minimum et «l’organisation d’une
harmonisation fiscale en Europe», jeudi
et vendredi, en Conseil européen. Un
premier pas. Depuis plusieurs mois, des
parlementaires s’alarment. Après le
«mythe du plombier polonais», écrit le
sénateur (PCF) Eric Bocquet dans un
rapport parlementaire, c’est «le spectre
du maçon portugais ou de l’ouvrier agri-
cole roumain» qui plane. «Cette directive
était un progrès: avant 1996, c’était la
jungle absolue, explique l’élu. Mais de-
puis la crise et la course à la réduction des
coûts, elle est contournée sans arrêt.»
GERMANOPHOBIE. Dans leurs circons-
criptions, certains élus entendent des
expressions qu’on croyait disparues:
«schleus», «boches», ou «doryphores»,
toutes sur la gamme de la germanopho-
bie. «Je donne pas six à neuf mois pour
qu’on ait un drapeau allemand brûlé en
Bretagne lors d’une manifestation. Toute
une région très europhile est en train de se
retourner, s’inquiète Gwénégan Bui, dé-
puté (PS) du Finistère, département
touché par la fermeture des abattoirs
(lire ci-contre). On pourra toujours faire de
beaux discours sur l’amitié franco-alle-
mande, si on ne règle pas ces questions on
va détruire l’Europe.»
Pourquoi l’Allemagne? Parce qu’en
l’absence de salaire minimum là-bas,
de très gros abattoirs payent des
ouvriers d’Europe de l’Est à moins
de 10 euros de l’heure (lire page 5). Un
abus de la loi européenne, car le contrat
de travail d’un ouvrier détaché doit
obligatoirement être conforme avec le
droit du pays d’accueil. Seules les coti-
sations sociales sont payées dans le pays
d’origine. Problème: «L’absence de dis-
positif de contrôle réellement efficace [a
créé] un outil redoutable de concurrence
déloyale, notamment dans les secteurs du
BTP et de l’agroalimentaire», insistent
les députés (PS) Gilles Savary et Chantal
Guittet ainsi que Michel Piron (UDI),
dans un rapport publié fin mai.
Mais il n’y a pas qu’outre-Rhin qu’on
fait appel aux travailleurs détachés. En
France, on estime à 300000 le nombre
de ces salariés low-cost (1,5 million au
sein de l’UE, selon la Commission). Ce
qui fait de l’Hexagone le deuxième pays
d’accueil derrière l’Allemagne. Parfois
pour de bonnes raisons (pénurie de
main-d’œuvre), parfois pour de mau-
vaises (réduction des coûts). Rien que
dans le BTP, leur nombre a triplé en trois
ans, pour atteindre 64000 en 2011.
Quand ils sont déclarés… Ces salariés
transitent parfois par des sociétés «boî-
tes aux lettres», sans existence physi-
que dans le pays d’origine, permettant
à l’entreprise de s’exonérer de cotisa-
tions sociales. «J’ai vu une fiche de paie
d’un salarié portugais sur un chantier de
Clermont-Ferrand : 2,89 euros de
l’heure», illustre Bocquet.
«POISON». Avec un chômage au plus
haut, «on voit le Front national se saisir
de cette question pour en faire un brûlot
anti-européen», alerte Guillaume Garot,
le ministre délégué à l’Agroalimentaire.
Le député Gilles Savary abonde: «Cette
situation installe un poison violent, insi-
dieux, dans l’opinion publique.» Le par-
lementaire avance des solutions :
agence du travail mobile au niveau de
l’UE, carte vitale européenne, salaire
ParLILIANALEMAGNA
PhotosISABELLERIMBERT L’ESSENTIEL
LE CONTEXTE
Des directives européennes
favorisent le dumping social.
Le président Hollande a évoqué
le sujet en ouverture de la
conférence sociale.
L’ENJEU
L’Europe doit procéder à
une harmonisation sociale et
instaurer un salaire minimum.
A gauche, les
porcs de David
Riou, éleveur
du Finistère.
A droite, l’abattoir
Gad à Lampaul­
Guimiliau, qui
cherche
désespérément
un repreneur
après de très
lourdes pertes
en 2012.
REPÈRES
«Je ne peux pas accepter
qu’il puisse y avoir,
au nom de cette directive,
des concurrences faussées
qui détruisent de l’emploi
en France.»
FrançoisHollande
jeudiàlaconférencesociale
850salariés sont menacés de licencie­
ment à l’abattoir du groupe Gad
à Lampaul­Guimiliau (Finistère).
Le site devrait fermer ses portes
le 20 août, faute de repreneur.
LES «TRAVAILLEURS DÉTACHÉS»
La directive 96/71/CE, adoptée
en 1996, encadre le «détachement»
temporaire de travailleurs européens
dans un autre pays de l’Union. Le sala­
rié est soumis au droit du travail du
pays d’accueil, sauf s’il lui est moins
favorable. Les cotisations sociales
relèvent, elles, du pays d’origine.
«Nos deux pays partagent
l’objectif de lutter contre le
détournement des règles
de détachement au sein
de l’Union européenne.»
DéclarationduConseildesministres
franco­allemanddu22janvier
LIBÉRATION SAMEDI 22ET DIMANCHE 23JUIN 20132 •
EVENEMENT
L
e ballet des bétaillères s’est étiolé.
Comme le moral, aussi bas, ce ma-
tin-là, qu’un ciel en transhumance.
Dans cet abattoir de porcs du groupe
Gad, 4000 bêtes sont avalées par jour, alors
que 6000 pourraient l’être. Ici, surtout,
850 hommes et femmes abattent,
découpent, transforment. Tous
risquent de passer à la trappe
le 20 août, «pas loin de 3000 personnes, en
comptant les emplois indirects», lâche un sala-
rié. Ici, c’est Lampaul-Guimiliau (Finistère),
son église, ses 2500 habitants d’apparence
impassible, et son maire, Jean-Marc Puchois,
qui refuse de céder à l’impuissance: «Le
groupe est là depuis soixante ans, et là, l’ac-
tionnaire laisse entendre qu’il va laisser partir
un tel outil? C’est dramatique, suicidaire…»
Propriété du groupe coopératif Cecab (connu
pour sa marque D’Aucy), Gad aurait perdu
«20 millions d’euros en 2012», confie un ac-
tionnaire. Faute de repreneur s’étant pré-
senté devant le tribunal de commerce de
Rennes pour «mettre un gros billet, de l’ordre
de 40 millions d’euros», comme le dit un pro-
che de la direction, rien ne sem-
ble pouvoir empêcher la ferme-
ture annoncée.
UnchocpourlaBretagne,berceaudel’agroa-
limentaire, qui produit 57% des 24 millions
de porcs français par an. Un trauma qui
s’ajoute aux plans sociaux chez Doux (poulet)
et Marine Harvest (saumon). Et entraîne,
dans son sillage, un sentiment de résignation,
«de défaitisme», lâche un élu local, inhabituel
pour la région. «Et ce n’est que le début du
feuilleton “Le porc de l’angoisse”», prophétise
le patron d’une coopérative… «Notre avenir
est mal barré», résume Olivier Le Bras, élu FO
(majoritaire) à Lampaul. Il a dix-huit ans de
boîte au compteur. Ouvrier de découpe: le
plus raide des postes. Qui martyrise épaules,
coudes, poignets et dos. Il raconte les an-
nées 90, quand les 1200 ouvriers récupéraient
«un salaire et demi» en participation. Pas la
lune, quand on gagne 1200 euros net par
mois.IdempoursoncollègueJean-MarcDes-
tivelle, 50 ans, dont sept ans de découpe, «un
job usant physiquement et moralement, pas va-
lorisant». Mais de quoi vivre, «acheter à côté
à crédit», élever sa famille. «A l’époque, on se
sentait intouchables: Gad était numéro 1 en Eu-
rope», ajoute Le Bras.
«En pleine gueule». Voilà la chute. «Que
vont devenir ceux sans diplôme, ceux qui vont
rester sur le carreau? Direction RSA, lâche le
syndicaliste. On n’a pas vu venir
Mises KO par le modèle allemand, nombre d’entreprises craignent de fermer.
Des ouvriers bretons
envoyés à l’abattoir
minimum de référence, liste noire des
entreprises. Au ministère de l’Agricul-
ture, on s’avoue satisfait de voir l’Alle-
magne et les pays de l’Est pris petit à
petit en étau par les critiques média-
tiques et les plaintes de pays européens.
Sans toutefois le claironner trop fort.
De quoi faire peur à Merkel? Pas vrai-
ment… Lors de sa visite, fin mai, à Paris,
la chancelière a parlé de simples «ma-
lentendus», et a assumé sans ciller la
politique de bas salaires. Et Bruxelles?
La Commission s’est engagée à renfor-
cer les moyens de lutte contre les abus.
Et, à l’aube de la campagne de 2014, le
Parlement européen pourrait aussi s’y
mettre. A sa grande surprise, le député
Gwénégan Bui a reçu une réponse posi-
tive du président du Parlement, l’Alle-
mand Martin Schulz. Dans son courrier,
le social-démocrate dénonce «l’embau-
che massive de travailleurs détachés à bas
coûts» qui «sape directement les bases de
notre modèle social». De quoi encoura-
ger des députés français démunis,
comme Jean-Luc Drapeau, élu (PS) des
Deux-Sèvres, territoire agricole con-
cerné au premier chef: «Comment vou-
lez-vous faire accepter des mesures envi-
ronnementales ou sanitaires aux éleveurs
quand ils ne voient dans l’Europe que con-
traintes et concurrence déloyale?»•
REPORTAGE
Suite page 4
LIBÉRATION SAMEDI 22ET DIMANCHE 23JUIN 2013 • 3
L’Allemagne, avec ses ouvriers roumains ou
bulgares, est devenue la bête noire des Bre-
tons. Chaque semaine, des camions quittent
la région pour emmener des porcs bretons se
faire découper outre-Rhin, mais aussi en Es-
pagne, où c’est moins cher. Même résiduel
(on évoque 6000 à 8000 porcs par semaine
sur 400000), le phénomène est symbolique.
Et nourrit un climat anti-élus, doublé d’un
sentiment anti-allemand. «Pour la première
fois, des fachos sont venus tracter devant
l’usine», enrage Patrick Le Goas, «pousseur
de viande» à Lampaul. Du jamais-vu dans un
département où le PS a fait carton plein aux
législatives. Les ministres de l’Agriculture?
«Desintermittentsduspectacle»,tacleunsala-
rié. «Leur impuissance fait peur: les conseillers
nous disent, “oui, c’est dégueulasse, mais on y
peut rien!”» ajoute un syndicaliste.
Bien être animal. La crise est générale.
L’agroalimentaire tricolore souffre d’«un pro-
blème de compétitivité», aggravé par «l’ab-
sence d’harmonisation fiscale et sociale» en
Europe, explique Guillaume Roué, à la tête de
l’interprofessionnelle porcine. S’il n’y avait
cette concurrence déloyale, il ne cacherait
pas une certaine admiration pour le modèle
allemand. «Là-bas, le pouvoir a cédé aux éco-
los sur le nucléaire mais a mis le paquet sur la
métanisation et le photovoltaïque qui ont permis
aux paysans de se diversifier.» Tandis que la
France aurait cédé aux environnementalistes
et entravé la filière. Cédant aussi, au nom du
pouvoir d’achat, à la grande distribution qui
matraque les éleveurs avec une politique de
prix bas. Résultat? «On s’achemine vers une
concentration des ateliers agroalimentaires»,
note Guillaume Roué. La France compte en-
viron 180 abattoirs, dont dix seulement «font
plus d’un million de porcs par an», rappelle-
t-il. Cela ne va pas durer. L’Allemagne, le Da-
nemark et l’Espagne (les plus grands produc-
teurs) ont déjà taillé des croupières à la
France grâce à leurs abattoirs géants.
Le monde du porc pointe aussi l’entrée en vi-
gueur, en 2013, d’une directive européenne
sur le bien-être animal qui impose (notam-
ment) davantage d’espace pour les truies.
«Entre les 26% des 12000 éleveurs qui n’ont
pas les moyens de s’y conformer et l’arrêt des
exploitations, la chute de la production s’élève
à 4% depuis le début de l’année», s’alarme
Guillaume Roué. La flambée du prix des ma-
tières premières, alimentée par le boom de
l’agroalimentaire en Asie, a aussi dopé les
coûts de production. Le prix des aliments
pour porcs a doublé entre 2005 et 2010. Et,
malgré une légère décrue, la tonne coûte
302 euros, 22% de plus que l’an passé.
«Juste prix». David Riou le sait bien.
A 32 ans, cet éleveur de Kerdrein raconte la
difficile équation du métier. Après un BTS de
«gestion de système d’exploitation», l’homme
a repris la ferme de son oncle. Il vient d’in-
vestir 350000 euros pour agrandir son ex-
ploitation, et tente de s’accorder chaque an-
née un revenu de 40 000 euros et deux
semaines de vacances. David Riou se dit op-
timiste. Mais rêve de voir ses cochons payés
«au juste prix». «On me l’achète à 1,55 euro
le kilo avec les primes. Il faudrait que le prix
grimpe à 1,75 pour être serein.» Il dit aussi:
«Depuis des années, les éleveurs tirent la son-
nette d’alarme. Ils disparaissent sans bruit, et
ça ne dérangeait pas grand monde. Maintenant
que les abattoirs sont dans la tourmente, les po-
litiques se réveillent. Doucement.»
Dans un marché ultralibéralisé, symbole de
la mondialisation, la concurrence est terrible.
Et, dans la filière, c’est chacun pour soi.
«Entre producteurs, industriels et grands distri-
buteurs, chacun se fait la guerre et se rejette la
responsabilité de la crise», note Olivier Le Bras.
«Entre les éleveurs et les transformateurs, il y
a une cassure», admet Jean-Pierre Astruc,
conseiller municipal de Josselin (Morbihan).
Mais aussi entre les communes. A Josselin,
Gad a un deuxième abattoir, de 650 salariés,
qui pourrait également finir en rillettes. Le
maire de Lampaul a appelé celui de Josselin
pour qu’ils se mobilisent. «J’attends toujours
la réponse», dit le premier. Franck Guillot, élu
CFDT de Gad à Josselin, le déplore: «La
guerre économique fait rage en Europe, et voilà
qu’on doit aussi la vivre entre nous, dans une
même région. C’est terrible…» A ses côtés, An-
nick Le Guevel, secrétaire du comité d’entre-
prise de Josselin, cherche en vain l’issue: «On
est pris en tenaille entre la grande distribution
et les éleveurs.»
Et si la France, Bretagne en tête, avait tardé
à faire muter son modèle productiviste?
«Peut-être, avoue Olivier Le Bras. Mais, sauf
à être suicidaire, on ne peut le changer du jour
au lendemain.» Le porc bio ou label rouge pèse
moins de 0,5%. «La faute aux normes qui im-
posent de ne pas dépasser 40 truies, dit un ex-
pert. Cela tient du militantisme, pas du modèle
alternatif.» Et si rien ne change? «La filière
porcine passera à l’abattoir», souffle un indus-
triel. «C’est déjà écrit, enrage Patrick Le Goas,
de FO, la révolte des ouvriers de la viande, en
train de tout vouloir péter faute d’avoir été en-
tendus. Après la sidérurgie, le textile, l’agro-
alimentaire plonge; on perd notre autonomie, et
tout le monde s’en fout.»
Envoyé spécial en Bretagne CHRISTIAN LOSSON
l’Allemagne, son dumping
social et ses salaires trois fois moins chers. On
n’a pas modernisé nos outils de production. On
a pris en pleine gueule la concurrence des abat-
toirs de la grande distribution.»
Des abattoirs, comme ceux de Kermené (Le-
clerc), dans les Côtes-d’Armor, ou Gâtine
(Intermarché), en Ille-et-Vilaine, qui ont
augmenté leur production l’an dernier alors
que l’activité recule de 2% par an depuis
2007. Ceux-là font rêver les forçats de Lam-
paul. «Mais eux ont investi jusqu’à 8 millions
par an pour automatiser leur outil», rappelle
un élu local. Et Guillaume Roué, éleveur dans
le Finistère et patron de l’interprofessionnelle
porcine française, d’ajouter: «Surtout, ils
n’ont pas besoin de service commercial. L’ar-
gent économisé leur permet de moderniser et de
robotiser, avec moins d’emplois. D’être compé-
titif quand les Allemands taillent des parts de
marché en exploitant la main-d’œuvre.»
Annick Le Guevel, du comité d’entreprise de l’abattoir Gad à Josselin.
Suite de la page 3
FINISTÈRE
CÔTES-
D’ARMOR
MORBIHAN
ILLE-ET-
VILAINE
Océan
Atlantique
50 km
BRETAGNE
Rennes
Brest
Josselin
Lampaul-Guimiliau
Olivier Le Bras, élu FO à l’abattoir de Lampaul. David Riou, 32 ans, éleveur à Kerdrein.
Jean­Marc Destivelle, 50 ans, dont sept ans à la découpe chez Gad.
LIBÉRATION SAMEDI 22ET DIMANCHE 23JUIN 20134 • EVENEMENT
Le syndicaliste allemand Matthias Brümmer appelle l’UE à faire cesser ce dumping:
«Bientôt, ce seront des Français
que nous verrons ici»
M
atthias Brümmer est président du
syndicat allemand de l’industrie ali-
mentaire NGG pour la région d’Ol-
denburg (Nord-Ouest). Pour lui, les condi-
tions des travailleurs étrangers dans les
abattoirs d’outre-Rhin «s’apparentent à une
forme d’esclavage moderne».
Comment les difficultés des abattoirs français
sont-elles perçues en Allemagne?
Le problème existe en France, mais aussi en
Belgique, au Danemark ou en Autriche. La
politique des bas salaires en Allemagne et
l’inexistence d’un salaire minimum provo-
quent des dégâts sociaux dans les pays voisins
et mettent sous pression les salariés allemands
et européens dans nos abattoirs.
Qui est responsable?
D’abord les dirigeants des abattoirs, qui se
permettent de pratiquer des salaires aussi bas
avec des conditions de travail inhumaines.
Ensuite, notre gouvernement: en refusant
d’instaurer un salaire minimum et en ne met-
tant pas les moyens suffisants pour contrôler
les contrats de travail et la réalité de ses abat-
toirs, il cautionne un système. Il doit mettre
fin aux abus pratiqués dans ces usines. Enfin,
l’Union européenne doit faire cesser ce
dumping social. Car l’Allemagne connaît au-
jourd’hui une forme de tourisme liée à ce
dumping. Après les travailleurs d’Europe de
l’Est, ce sont des chômeurs grecs et espagnols
que l’ont fait venir. Certains disent que, bien-
tôt, ce sont des Français que nous verrons ici…
L’Europe ne peut fonctionner ainsi.
Dans quelles conditions vivent ces ouvriers?
Nous n’avons pas de chiffres précis, mais ce
que nous avons pu observer s’apparente à une
forme d’esclavage moderne. On a recensé des
salaires allant de 1 à 10 euros de
l’heure. Ils vivent dans des préfa-
briqués ou s’entassent à 40 dans
des logements prévus pour 6. Cer-
tains paient parfois 200 euros par
mois pour un lit et sont six ou sept
par chambre… Pendant que la moi-
tié est de service de jour, les autres
dorment. Lorsque la nuit tombe, ils
filent au boulot. On considère aujourd’hui
que 75% des salariés dans les abattoirs alle-
mands travaillent dans ces conditions.
Et les 25% restants?
Ils sont protégés par des accords de branche,
payés 13 à 18 euros de l’heure pour des semai-
nes de travail allant de 37 à 40 heures. Ils
bénéficient aussi de 30 jours de congés
payés par an et de règles strictes de temps
de travail. Ce sont les plus anciens qui en
bénéficient.
Comment expliquer une telle évolution?
Depuis des années, l’Allemagne veut devenir
le numéro 1 du secteur de la viande. Elle s’est
mise à attaquer des parts de marché en bais-
sant de manière drastique le coût du travail.
En dix ans, le marché de la viande a explosé
de plus de 30%, avec une demande forte dans
les pays de l’Est. Les entreprises du secteur se
sont lancées dans une politique de concentra-
tion, mettant à genoux leurs con-
currents des pays voisins et ont
profité de l’ouverture du marché
du travail et de règles européennes
ambiguës pour faire travailler à
moindres coûts, via des agences
d’intérim.
Etlessyndicatsallemandsnedisent
rien?
Bien sûr qu’ils protestent! Nous réclamons
tout d’abord une convention collective cou-
vrant l’ensemble de la branche et un salaire
minimum d’au moins 8,5 euros de l’heure.
Nous demandons aussi que ces ouvriers soient
assurés et rattachés à une caisse d’assurance-
maladie. Le gouvernement doit se saisir de ces
questions. Mais les premières réactions politi-
ques à Berlin et au Parlement régional de Bas-
se-Saxe à Hanovre sont encourageantes.
Recueilli par LILIAN ALEMAGNA
DR
Ce que la France n’ose pas vis­à­vis de
l’Allemagne –vie de couple oblige–,
la Belgique l’a fait: porter plainte
contre Berlin. Par l’intermédiaire de
ses ministres, de l’Economie et de
l’Emploi, le pays a saisi en mars
la Commission européenne contre
les autorités allemandes. Le
gouvernement belge compte, par ce
biais, tenter de sauver un secteur de la
viande en grande difficulté. Dans leur
plainte, ils soulignent que la loi
allemande «n’est manifestement pas
mise en œuvre de manière effective […]
au profit des travailleurs détachés dans
les entreprises établies en Allemagne
et actives dans le secteur de l’abattage
et de la transformation de la viande».
La France a une autre stratégie:
la négociation de la nouvelle directive
qui doit encadrer à l’avenir les
travailleurs détachés. Face aux pays
de l’Est qui aimeraient qu’on ne touche
rien, la France retrouve là l’Allemagne
pour tirer vers le haut la législation
européenne. Le ministre du Travail,
Michel Sapin, tente de faire accepter
qu’en termes de contrôle,
l’administration puisse demander tout
document à une entreprise pour
s’assurer qu’elle est en règle. Elle
compte également inscrire dans le
droit européen qu’«un donneur
d’ordre soit responsable de son
premier sous­traitant» qui pourrait
frauder. L.A.
LA BELGIQUE
À L’OFFENSIVE
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biennale-2014-liberation.indd 1 18/06/2013 10:13:41
LIBÉRATION SAMEDI 22ET DIMANCHE 23JUIN 2013 EVENEMENT • 5
Elyakim,villagelibanais
créésurmesureparTsahal
En Israël,
des militaires
s’entraînent
à une possible
confrontation
avec le Hezbollah.
D
ans un fracassant bruit de ferraille,
le char s’avance dans la rue princi-
pale du petit village. Des fantassins
sont déjà sur place, échine cour-
bée, ils progressent lentement, se glissant
hors des venelles pour atteindre l’artère cen-
trale. Sur les toits environnants, d’autres sol-
dats protègent leur progression en mettant
ParAUDEMARCOVITCH
EnvoyéespécialeàElyakim
en 2006. «Durant le conflit, les chars entraient
en premier pour protéger l’infanterie. Mais cer-
tains ont sauté sur des explosifs placés par le
Hezbollah sur leur chemin. On perdait alors à
la fois le char et les soldats qu’il était censé pro-
téger. Du coup, on a changé notre
tactique», commente Archi Leo-
nard, instructeur de troupes à
Elyakim. Des buissons avoisinants, viennent
d’émerger une poignée de soldats, quelques-
uns entrent dans une des maisons où ils dé-
Des soldats israéliens lors d’un exercice sur la base militaire d’Elyakim. PHOTO UPI. VISUAL PRESS AGENCY
en joue les ennemis. De la poussière, des
combattants qui courent, des tirs.
Fin de l’exercice. Sur la base militaire israé-
lienne d’Elyakim, dans le nord du pays, une
localité libanaise a été reconstituée. Elle sert
de terrain d’entraînement aux
forces de Tsahal qui cherchent à
améliorer leurs techniques de
combat en cas de nouvelle confrontation avec
le Hezbollah, tout en évitant de répéter les
erreurs de la guerre de trente-quatre jours
REPORTAGE
LIBÉRATION SAMEDI 22ET DIMANCHE 23JUIN 20136 •
MONDE
couvrent un tunnel menant à l’extérieur du
village, façonné à l’image de ceux que les mi-
litaires pourraient trouver côté libanais.
A 36 ans, Dan, sergent d’une unité comptant
une trentaine de soldats, suit des sessions de
dix jours à trois semaines par an. «Les entraî-
nements sont devenus de plus en plus compli-
qués, ils augmentent en intensité et les technolo-
gies qu’on emploie changent tout le temps»,
explique-t-il.
CONVOIS D’ARMES. Pour les responsables
militaires israéliens, le Hezbollah libanais
reste l’ennemi principal de la frontière nord
et son réarmement une des préoccupations
de l’état-major de Tsahal. Trois attaques aé-
riennes menées par l’aviation israélienne sur
le sol syrien, en janvier et mai, visaient –se-
lon les informations confirmées de manière
officieuse en Israël– des convois d’armes du
Hezbollah qu’il cherchait à mettre à l’abri des
combats en les rapatriant au Liban. Dans le
même temps, l’implication de la formation
chiite dans la guerre syrienne a pour consé-
quence un affaiblissement du mouvement
chiite, jugent les hauts gradés de Tsahal. «La
situation stratégique du Hezbollah est en déclin,
à la fois parce qu’il a perdu une partie de son
soutien au Liban et que la Syrie n’a plus la force
de le soutenir, juge un responsable israélien.
Ils ont aussi perdu de nombreux combattants.
Mais on peut imaginer que leurs capacités à
combattre se renforcent grâce à ces nouvelles
expériences sur le terrain.»
Ce militaire prévient que l’acheminement
d’armes sophistiquées au Liban, telles que
des missiles antiaériens, des missiles sol-mer
ou des armes chimiques, pourraient avoir
des conséquences désastreuses sur la popu-
lation libanaise: «Si le Hezbollah fait usage
d’armes sophistiquées contre Israël et lance des
missiles sur nos villes, nous réagirons très fort
et ce sont les civils libanais qui en pâtiront. Le
Craignant l’escalade, le président libanais appelle
les combattants chiites à quitter la Syrie.
Le Hezbollah,
péril en sa demeure
A
u Liban, l’intervention
militaire du Hezbollah
aux côtés du régime sy-
rien de Bachar al-Assad conti-
nue de provoquer des remous.
Jeudi, c’est le président liba-
nais, Michel Sleimane, qui est
monté au créneau, appelant les
combattants du Hezbollah «à
rentrer au Liban», dans une in-
terview parue dans le quoti-
dien libanais As Safir. «S’ils
participent à la bataille d’Alep,
cela attisera davantage les ten-
sions. J’ai dit que protéger la ré-
sistance [le Hezbollah, ndlr] est
quelque chose qui m’est cher,
mais je veux aussi la protéger
contre elle-même», a-t-il af-
firmé.
«Poignardés». Le Président,
partisan de la «neutralité» li-
banaise dans le conflit syrien,
envoie ainsi un signal fort à la
communauté internationale,
même si son influence reste li-
mitée sur le plan intérieur.
Depuis les accords de Taëf qui
ont mis fin à la guerre civile
en 1989, le Président joue sur-
tout un rôle d’arbitre au sein
des institutions libanaises. Sa
prise de position intervient
peu après la remise d’un mé-
morandum signé par 57 dépu-
tés du «14 mars», la coalition
antisyrienne conduite par
Saad Hariri, exhortant le chef
de l’Etat à demander au Hez-
bollah de «se retirer immédia-
tement et totalement des com-
bats en Syrie». Début juin, le
«Parti de Dieu» a joué un rôle
crucial dans la reconquête de
la ville d’Al-Qoussayr, bastion
des rebelles syriens proche de
la frontière libanaise, et est
également présent en force
dans la ville de Sayeda Zeinab,
dans la banlieue sud de Da-
mas. Selon l’opposition sy-
rienne, il serait aussi impliqué
dans les combats dans le nord
du pays.
L’engagement total du Hezbol-
lah en Syrie fait même grincer
les dents de certains de ses
soutiens les plus fidèles. De
manière inattendue, Gebran
Bassil, ministre démission-
naire et gendre du général
Michel Aoun, principal allié
chrétien du Hezbollah de-
puis 2006, a taclé le parti chiite
ces derniers jours. «Les occu-
pations régionales du Hezbollah
l’ont poussé à commettre des
erreurs internes», a soutenu le
ministre. «Il nous a poignardés,
il a poignardé la démocratie», a-
t-il affirmé dans le quotidien
panarabe Asharq al-Awsat,
accusant le «Parti de Dieu»
d’avoir manœuvré avec
d’autres formations pour re-
porter les élections législatives
jusqu’en novembre 2014. Le
scrutin, qui aurait dû se tenir
ce mois-ci, aurait pu mettre en
difficulté le Hezbollah et
l’amener à reconsidérer son
implication en Syrie.
«Ces déclarations ne remettent
pas en cause l’alliance straté-
gique du général Aoun avec le
Hezbollah, mais elles reflètent le
sentiment de l’opinion publique
chrétienne, qui majoritairement
n’est pas favorable à son action
en Syrie», estime Ghassan el-
Ezzi, professeur de sciences
politiques à l’université liba-
naise de Beyrouth.
Roquettes. L’implication du
«Parti de Dieu» a des réper-
cussions sécuritaires de plus en
plus importantes au Liban,
particulièrement dans la plaine
de la Bekaa, dans l’est du pays.
En «représailles» à la reprise
d’Al-Qoussayr par le Hezbol-
lah, une trentaine de roquettes
tirées depuis le territoire sy-
rien ont touché depuis le début
du mois de juin la ville de
Baalbek, fief du parti chiite, et
plusieurs villages environ-
nants. Les relations entre
sunnites et chiites se sont en-
core dégradées cette semaine
dans la Bekaa, avec l’assassinat
de trois Libanais chiites, dont
deux membres du puissant
clan tribal des Jaafar. Ils ont
été attaqués par des hommes
armés à proximité de la localité
d’Ersal, bastion sunnite et base
arrière des rebelles syriens au
Liban. Les foyers de tension se
multiplient également dans
d’autres régions, comme à Tri-
poli, la grande ville portuaire
du Nord, ou à Saïda. Dans cette
ville côtière au sud du pays,
des affrontements au lance-
roquettes entre partisans du
cheikh salafiste Ahmad al-As-
sir et du Hezbollah ont fait
mardi un mort et plusieurs
blessés.
De notre correspondant à Beyrouth
THOMAS ABGRALL
Golan
Mer
Méditerranée
Plaine de
la Bekaa
ISRAËL
LIBAN
30 km
CISJ
JORD
SYRIE
Tripoli
Haïfa
Saïda
Tel-Aviv
Beyrouth
Damas
Elyakim
Camp de Zarit
Quneitra
Créé en réponse à l’invasion
israélienne au Sud­Liban en 1982,
le Hezbollah est un mouvement
chiite fondamentaliste armé. Le
«parti de Dieu» bénéficie du sou­
tien de Téhéran et de Damas, qui
l’arment et le financent. Il s’est
engagé dans le conflit syrien, aux
côtés des forces d’Al­Assad.
REPÈRES
Hezbollah se dissimule dans la population et
chercher à l’atteindre revient inévitablement à
toucher des civils.»
De la base militaire de Zarit, isolée dans les
bosquets touffus face à la frontière libanaise,
des soldats ont les yeux rivés sur les appareils
d’observation qui ne perdent pas une miette
de ce qui se passe de l’autre côté de la clô-
ture. A intervalles réguliers, des représen-
tants de Tsahal, de l’armée libanaise et de la
Force intérimaire des Nations unies au Liban
(Finul) se retrouvent pour faire le
point sur le résultat de leurs ob-
servations à la frontière. Les offi-
ciels israéliens aiment relever que
les rapports avec l’armée libanaise
sont plutôt sereins, mais laissent
ouverte la question de savoir si
cette non-belligérance serait
maintenue en cas de nouveau
conflit entre l’Etat israélien et le parti chiite
libanais.
Mais c’est à l’est, sur la frontière israélo-sy-
rienne, que la situation s’est soudainement
dégradée. Après les Japonais, puis les Cro-
ates, les Autrichiens ont à leur tour retiré
«Le Hezbollah a perdu de nombreux
combattants. Mais on peut imaginer
que leurs capacités à combattre
se renforcent grâce à ces nouvelles
expériences sur le terrain.»
Unresponsablemilitaireisraélien
leurs observateurs de la Force des Nations
unies sur le Golan, après que deux d’entre
eux ont été blessés dans des échauffourées
entre armée syrienne et rebelles. Pour la pre-
mière fois, début juin, les combats ont atteint
le point de passage de Quneitra, les insurgés
tenant pour quelques heures la position des
garde-frontières syriens. Côté israélien, les
militaires disent ne pas craindre de confron-
tation avec l’armée syrienne, jugeant que les
forces de Bachar al-Assad ont d’autres chats
à fouetter.
JIHADISTES. C’est davantage une situation
similaire à celle qui perdure avec la bande
de Gaza, avec des tirs de roquettes spora-
diques, que craint Tsahal. L’enrôlement
d’hommes du Hezbollah sur le terrain sy-
rien pourrait leur donner un accès à la fron-
tière entre Israël et la Syrie. Dans le scénario
inverse où les forces loyales à Bachar al-As-
sad perdraient du terrain, Israël craint alors
que des groupes de jihadistes profitent de
l’occasion pour faire de la frontière sur le
Golan une nouvelle zone de confrontation
israélo-syrienne.•
970Casques bleus sont en perma­
nence déployés sur le plateau
du Golan depuis 1974 pour faire
respecter le cessez­le­feu entre
Israël et la Syrie.
«Le projet du Hezbollah
au Liban […] détruit la
formule de coexistence
commune, le système
démocratique et l’unité
des confessions
musulmanes.»
SaadHaririchefdel’opposition
libanaise,le13juin
LIBÉRATION SAMEDI 22ET DIMANCHE 23JUIN 2013 MONDE • 7
AuBrésil,ladroitedure
chercheàraflerlamise
Avec plus d’un
million de
manifestants jeudi
soir, la révolte a
atteint une
ampleur qui laisse
la présidente,
Dilma Rousseff,
sans voix.
P
as un mot. La présidente du
Brésil, Dilma Rousseff, du
Parti des travailleurs (PT,
gauche), est restée murée
dans son silence après la réunion de
crise tenue vendredi avec ses con-
seillers pour étudier la marche à
suivre face à la révolte
populaire qui embrase
le Brésil. Rien n’a fil-
tré, sinon qu’elle restait «perplexe»
face à l’ampleur de la convulsion
sociale. Mais aucune déclaration of-
ficielle n’est venue répondre à la
colère de la rue qui a atteint jeudi
une ampleur inédite. Plus d’un mil-
lion de manifestants avaient
protesté dans une centaine de
villes, du jamais-vu depuis trente
ans. Ils étaient au moins 300000 à
Rio, 110 000 à São Paulo,
100000 à Vitória, 52000 à Recife,
30000 à Manaus… La révolte, dé-
clenchée il y a deux semaines par la
hausse du tarif des transports ur-
bains, a en effet redoublé de vi-
gueur, et cela malgré la révocation
de la mesure par près d’une cin-
quantaine de villes. Une fois de
plus, c’est la classe politique tout
entière, et même les institutions,
qui ont été dans le collimateur. Les
manifestants dénonçaient la cor-
ruption et l’impunité, ainsi que la
précarité des services publics, alors
que le pays va débourser au moins
10 milliards d’euros pour organiser
le Mondial de foot l’an prochain.
DÉSAVEU. Les débordements, mar-
qués par des scènes de pillage et
de vandalisme, ont entraîné
deux morts accidentelles et au
moins 77 blessés. La Fifa, organisa-
trice de la Coupe des confédérations
de foot, qui se déroule actuellement
sur place, a pour sa part démenti
avoir menacé de mettre fin à la
compétition après que deux auto-
bus liés à l’organisation ont été vi-
sés à Salvador de Bahia. C’est à
Brasília, la capitale, que la tension
était la plus forte. Des contestataires
ont attaqué le siège du ministère des
Affaires étrangères et tenté d’enva-
hir le Congrès. Et, pour la première
fois depuis le début de la révolte, il
y a deux semaines, le palais prési-
dentiel du Planalto a été pris pour
cible. Un millier de manifestants
ont marché sur l’édifice aux lignes
épurées –autour duquel s’était dé-
ployée l’armée–, avant d’être re-
poussés à coups de lacrymos. Dilma
Rousseff est restée retranchée toute
la journée sur place. La crise a bel et
bien frappé à la porte du Planalto.
La Présidente a annulé tous ses dé-
placements, et notamment une vi-
site officielle qu’elle devait effectuer
au Japon la semaine prochaine.
Mais son silence –elle s’est conten-
tée jusqu’ici de rendre hommage à
la vitalité démocratique du pays,
dont le mouvement serait la
preuve– s’était fait de plus en plus
assourdissant. Son entourage serait
divisé quant à l’opportunité de se
prononcer ou non sur les événe-
ments. Ne serait-ce pas une façon
dereconnaîtrequelegouvernement
est lui aussi visé par le désaveu po-
pulaire?
Brasília n’en cherche pas moins la
parade. Un train de mesures so-
ciales pour les jeunes, principaux
acteurs de la contestation, serait à
l’étude. Selon la presse, certains au
PT prêchent un virage à gauche
pour doper les investissements
dans la santé et l’éducation. Le
parti, qui s’est joint aux manifes-
tants, a été désavoué par la
Présidente. Cette décision de re-
joindre les manifs a été perçue
comme une tentative, sinon de ré-
cupérer le mouvement, du moins
de montrer que le PT –qui croyait
détenir le monopole de la rue et se
voit débordé par elle– n’est pas in-
sensible aux revendications. Mais,
pour Dilma Rousseff, l’irruption de
sa formation sur l’avenue Paulista,
jeudi soir à São Paulo, risquait
d’exposer explicitement son gou-
vernement à la colère populaire,
alors qu’il n’est pas –du moins
pour l’instant- la cible principale
des manifestants. Les
militants du PT ont ef-
fectivement été fraî-
chement reçus et ont
dû être carrément
évacués pour échap-
per aux foudres d’une
foule rétive à la pré-
sence de toute forma-
tion politique. «Hey, PT, va te faire
f…» hurlaient des protestataires, en
mettant rageusement le feu à la
bannière rouge du parti de Lula.
«Partez à Cuba, partez au Ve-
nezuela», criaient d’autres. «Fas-
cistes!» s’époumonaient en retour
les gens du Movimento Passe Livre
(Mouvement du libre passage,
MPL). A l’origine de la fronde qui
embrase le pays, le MPL, groupe-
ment «anticapitaliste» qui milite
pour la gratuité des transports en
commun, a même abandonné la
manifestation.
AVORTEMENT. Alors que des cor-
tèges étaient programmés hier dans
une soixantaine de villes, le MPL a
annoncé qu’il ne convoquerait plus
d’autres mobilisations. Ses repré-
sentants dénoncent une récupé-
ration de la révolte par la droite.
«Nous avons vu surgir des bannières
terribles comme la baisse de la majo-
rité pénale ou le rejet de l’avorte-
ment», a expliqué l’un d’eux. «Au
départ, le mouvement réclamait la
baisse du tarif des transports en com-
mun et voilà que se joint à nous main-
tenant une classe moyenne réaction-
naire qui vomit les pauvres et ne se
remet toujours pas d’être gouvernée
par la gauche», déplorait lundi Leo-
nardo, un étudiant en histoire
croisé sur la Paulista. La politologue
Maria Izabel Noll fait écho à ces
craintes: «Mai 68 avait renforcé le
gaullisme, rappelle-t-elle. Au Brésil,
on peut craindre que l’avancée de
la mobilisation serve à justifier le re-
tour d’un gouvernement conserva-
teur, qui délogerait le PT du pou-
voir.»•
ParCHANTALRAYES
CorrespondanteàSãoPaulo
«Voilà que se joint à nous une
classe moyenne réactionnaire
qui vomit les pauvres et
ne se remet pas d’être gouvernée
par la gauche.»
Leonardoétudiantenhistoire
RÉCIT
Des manifestants après le tir de gaz lacrymogènes par la police, à Rio, jeudi soir. PHOTO NICOLAS TANNER. AP
20centimes de real (7 centimes
d’euros). C’est le montant
de l’augmentation du ticket
de bus qui a mis le feu aux
poudres, il y a dix jours.
Le plus vaste mouvement social
au Brésil depuis vingt et un ans a
culminé jeudi avec plus d’un mil­
lion de personnes dans 80 villes.
A l’opposition au prix des trans­
ports s’est ajoutée la contestation
de la précarité, de la corruption,
et des 11 milliards d’euros dépen­
sés pour le Mondial de foot.
REPÈRES
RÉSEAUX SOCIAUX
«Nous sortons de Facebook»,
proclament certains slogans.
Le réseau joue un rôle clé
dans les manifestations, orga­
nisant les rassemblements. La
fronde brésilienne se veut
révolution 2.0.
LIBÉRATION SAMEDI 22ET DIMANCHE 23JUIN 20138 • MONDE
D
es dizaines de milliers
d’Egyptiens se sont
rassemblés hier à
Medinat Nasr, en périphérie
du Caire, pour apporter
leur soutien au président
Mohamed Morsi. Sous un
soleil étouffant, la foule,
majoritairement composée
de provinciaux, a brandi des
drapeaux égyptiens et des
portraits du chef de l’Etat;
de nombreux slogans fai-
saient rimer Morsi et démo-
cratie, d’autres appelaient à
l’instauration de la charia.
Initiée par les Frères musul-
mans, dont est issu le raïs,
cette manifestation a réuni
dix-sept partis islamistes
derrière un triple mot
d’ordre: défendre le bilan
du gouvernement, rétablir
la légitimité de Morsi et dé-
noncer la violence politique.
Il y avait aussi une volonté
d’intimidation : montrer
l’unité et la puissance du
camp islamiste alors que le
Président est critiqué de tou-
tes parts et que l’opposition
a prévu une grande mani-
festation le 30 juin. Forts
des 15 millions de signatures
de la pétition anti-Morsi
qu’ils ont lancée, les mili-
tants libéraux et de gauche
attendent beaucoup de cette
échéance et rêvent d’une se-
conde révolution.
Hier, le pari des islamistes
n’a été qu’à moitié réussi:
si les soutiens étaient au
rendez-vous, Al-Nour, le
plus important parti sala-
fiste, n’a pas pris part au
défilé par crainte d’aggraver
la polarisation. Mais aussi
pour se démarquer du pou-
voir et soigner son image en
vue des législatives prévues
cet automne.
Un an après l’investiture
de Morsi, le pays est totale-
ment divisé, pas loin de la
rupture. Le bilan n’est pas à
la hauteur des espérances:
l’économie est au plus mal,
le processus de transition
démocratique traîne des
pieds et le régime fait preuve
d’une brutalité qui n’a rien
à envier à la dictature de
Hosni Moubarak. Si le
Président a hérité d’une si-
tuation compliquée et ne
saurait être tenu pour unique
responsable de la crise, ses
maladresses à répétition et
le mépris dont il fait preuve
à l’égard de l’opposition
attisent les mécontente-
ments. Dernier exemple: la
semaine passée, le chef de
l’Etat a nommé Adel al-
Khayat, membre de la
Gamaa al-Islamiya, au poste
de gouverneur de Louxor. Or
c’est dans cette province
que des militants de ce
mouvement islamiste ont
tué 58 touristes sur le site
archéologique de Deir-el-
Bahari, en 1997. Morsi, qui se
présentait comme «le prési-
dent de tous les Egyptiens»,
apparaît de plus en plus
comme le président des seuls
islamistes. Et l’opposition
espère secrètement qu’après
le 30 juin, il ne sera plus le
président de personne.•
De notre correspondant au Caire
MARWAN CHAHINE
AuCaire,lessoutiens
deMorsisemanifestent
ÉGYPTE Les partisans du raïs ont paradé hier. Ses
opposants préparent l’épreuve de force.
PAKISTAN Un attentat-sui-
cide a fait au moins 15 morts
vendredi dans une mosquée
chiite près de Peshawar,
dans le nord-ouest du pays.
ESPAGNE Huit personnes
appartenant à un réseau lié
à Al-Qaeda ont été arrêtées
vendredi dans l’enclave es-
pagnole de Ceuta (Maroc).
TUNISIE Le procès en appel
des trois Femen européennes
condamnéesàquatremoisde
prison se tiendra mercredi.
RDC L’Afrique du Sud a dé-
ployé ses troupes en républi-
que démocratique du Congo
vendredi en coopération
avec l’ONU, afin d’y com-
battre les groupes armés.
SYRIE L’armée a bombardé le
quartier de Qaboun, à Da-
mas, vendredi, dans le but
d’en déloger les rebelles.
RUSSIE La Douma a voté,
vendredi, l’interdiction,
pour des homosexuels,
d’adopter des enfants russes.
Retrouvez notre carte animée et commentée
Quatre minutes pour comprendre le conflit en Syrie
et notre dossier Le conflit en Syrie
•SUR LIBÉRATION.FR
«Il y a eu avec
l’opération Serval
un affaiblissement
considérable des
groupes [islamistes].
Mais ils ont
des capacités
de reconstruction
très rapides.»
MichelReveyrand
deMenthonreprésentant
spécialdel’UEpourlarégion
sahélienne,vendredi
Les alliances contre­nature
ne durent jamais: il y a
un an, Fotis Kouvelis avait
accepté de participer à la
coalition gouvernementale
dominée par le parti con­
servateur Nouvelle Démo­
cratie pour éviter à la
Grèce une nouvelle crise
politique. Pour cet ex­com­
muniste de 65 ans, c’était
un pari risqué: son petit
parti, Dimar, créé en 2010
et issu d’une scission de la
gauche radicale, pouvait y
perdre son âme et son
électorat. Mais après avoir
avalé bien des couleuvres
(comme le rejet d’une loi
antiraciste par Nouvelle
Démocratie), Kouvelis a
perdu sa sérénité légen­
daire lors de la suppression
brutale de la télévision
publique, le 11 juin. Opposé
à cette mesure, Kouvelis
s’est aussi offusqué de voir
le Premier ministre, Anto­
nis Samaras, s’obstiner mal­
gré l’avis défavorable du
Conseil d’Etat prononcé
lundi. Du coup, vendredi,
Kouvelis a demandé aux
quatre ministres de son
parti de quitter un gouver­
nement qu’il ne soutient
plus. Ce qui laisse face à
face socialistes et conser­
vateurs, autre alliance con­
tre­nature. PHOTO REUTERS
LE VIEUX LION
GREC KOUVELIS
LÂCHE SAMARAS
LES GENS
127ans de prison. C’est la
condamnation dont a
écopé, en Espagne, Joan
Vila Dilmé, pour le meur­
tre de 11 personnes âgées
dans la maison de retraite
où il travaillait comme
vigile, entre 2009 et 2010.
Un film de
Antonin PERETJATKO
«Resplendissant. Une joie communicative et une
audace dans la blague qui connaît peu de limites…
bienvenue chez les fous!»
LES INROCKS
«Hyper jouissif!»TÉLÉ CINÉ OBS
«Une ode à la légéreté
et à l'aventure.»
SO FILM
«Singulière et craquante, une
comédie qui fait du bien à la vie.»
20 MINUTES
«Drôle. Très drôle. Une pépite
d'humour décalé.»
L'EXPRESS
«Une folie plus
que bienvenue dans
le cinéma.»
EVENE.FR
«Givré!»LIBÉRATION
«Hilarious Vincent Macaigne!»
HOLLYWOOD REPORTER
«Un road movie complètement
barré. Réjouissant!»
FRANCE INTER
ACTUELLEMENT
Emmanuel Chaumet présente
Vimala PONS Vincent MACAIGNE
Grégoire TACHNAKIAN Marie-Lorna VACONSIN
ET AUSSI SERGE TRINQUECOSTE, THOMAS SCHMITT, ESTEBAN, PHILIPPE GOUIN, LUCIE BORLETEAU,
PIERRE MEREJKOWSKI, CLAUDE SANCHEZ, YOANN REY ET LA PARTICIPATION AMICALE DE ALBERT DELPY ET BRUNO PODALYDÈS
«Si j'étais encore vivant
j'irais voir ce film.»
GROUCHO MARX
«Craquante Vimala Pons,
hilarant Vincent Macaigne,
on jubile, on savoure.»
LE MONDE
«Se foutre carrément de tout !»
STENDHAL
« La comédie en or ! » ELLE
«Jolie façon de rentrer dans
l'été. Une petite pépite.»
STUDIO CINÉLIVE
«Jubilatoire!»TGV MAGAZINE
LIBÉRATION SAMEDI 22ET DIMANCHE 23JUIN 2013 MONDEXPRESSO • 9
Villeneuve-sur-Lot:uneaubaine
pourladroitedécomplexée?
Une victoire du FN, dimanche, serait un coup dur pour le front républicain.
D
ans les états-majors pari-
siens, rares sont ceux qui
se risquent à exclure une
victoire du Front national
à Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Ga-
ronne), dans l’ancienne circons-
cription de Jérôme Cahuzac, di-
manche, au deuxième tour de la
législative partielle. A droite, l’hy-
pothèse est envisagée plutôt serei-
nement, avec un brin de résigna-
tion. Plus personne ne croit, en tout
cas, que le candidat de l’UMP Jean-
Louis Costes pourra compter sur un
sursaut comparable à celui qui a
porté Jacques Chirac à l’Elysée
en 2002, avec 82% des suffrages
face à Jean-Marie Le Pen. Après
l’élection partielle dans l’Oise
du 24 mars, qui avait vu l’UMP
Jean-François Mancel l’emporter
de quelques centaines de voix sur sa
concurrente frontiste, le scrutin de
dimanche pourrait signer, une fois
pour toutes, l’arrêt de
mort du «front républi-
cain». «Si le FN obtient
45% ou plus pour la deuxième fois
cette année, c’est énorme», souligne
Jérôme Fourquet de l’Ifop.
Dans le parti de Jacques Chirac,
certains se réjouissent de l’enterre-
ment de ce vieux «front républi-
cain». Jean-François Copé et ses
amis, partisans d’une «droite dé-
complexée», y verront la justifica-
tion définitive de leur ligne «ni-ni»
(ni FN ni front républicain) contes-
tée par les modérés, notamment
Nathalie Kosciusko-Morizet et
François Baroin. Pour Guillaume
Peltier, animateur de la Droite
forte, courant le plus droitier de
l’UMP, la partielle de Villeneuve-
sur-Lot confirme que «les digues
des reports de voix ont définitivement
sauté». Les électeurs de gauche ne
sont pas plus sensibles
que ceux de droite aux
«consignes de Paris» et il
n’est pas de plus grand service à
rendre au FN que de «laisser enten-
dre qu’il n’y aurait pas de différences
entre droite et gauche».
GOURMANDISE. De fait, le timide
appel de la direction du PS au front
républicain fournit au FN ses slo-
gans favoris: vendredi sur RFI, le
bras droit de Marine Le Pen, Florian
Philippot, dénonçait avec gour-
mandise «un front des copains pour
rester en place». Reprenant une rhé-
torique chère à l’ancien patron de
Minute Patrick Buisson, conseiller
ultra-droitier de Nicolas Sarkozy,
Peltier affirme que la droite parle-
mentaire doit «s’adresser aux petits
et aux invisibles», leur montrer qu’il
existe «une vraie droite». Inutile,
selon lui, de remonter à Charles
Maurras: «Sarkozy a montré la voie
dès 2004. En prônant la rupture avec
le chiraquisme, il tournait la page
d’une droite qui avait honte de ne pas
être de gauche.» Copé, président
d’une UMP en crise, ne dit pas autre
chose. En meeting dans l’Aisne
mercredi, il a ressorti son hymne à
«la droite décomplexée» qui ne
craint pas de «dire les choses». De-
vant les militants picards, il s’est
taillé un franc succès, jurant de ne
plus leur servir «d’eau tiède» et en
osant un hommage appuyé aux vic-
times du désormais célèbre «ra-
cisme antiblanc».
Pour l’aile droite de l’UMP, l’entrée
à l’Assemblée nationale d’un qua-
trième député d’extrême droite
n’aurait rien d’une catastrophe.
Bien au contraire: ce pourrait être
l’électrochoc salutaire qui encoura-
gera la droite à se débarrasser de ses
«complexes».
Soucieux de ne pas décourager les
électeurs de gauche susceptibles de
respecter le front républicain,
l’UMP Jean-Louis Costes s’est bien
gardé de solliciter le soutien des
champions de la droite décom-
plexée. Il s’est contenté de la visite
de l’ancien ministre de l’Agricul-
ture Bruno Le Maire, possible atout
dans cette circonscription très ru-
rale, en meeting à Casseneuil mardi
soir. Attendu jeudi, le centriste
Jean-Pierre Raffarin a dû renoncer
à cause d’un «problème d’avion».
CRISE. Gilbert Collard et Florian
Philippot n’ont eu, en revanche,
aucun souci de transport pour venir
soutenir le jeune frontiste Etienne
Bousquet-Cassagne, jeudi. Pour son
directeur de campagne Michel Gui-
niot, vieux cadre du FN, la victoire
à Villeneuve-sur-Lot est plus pro-
bable encore qu’à Beauvais où il
n’avait manqué que quelques cen-
taines de voix à Florence Italiani.
Dans le Lot-et-Garonne et dans
l’Oise, les candidats du Front natio-
nal ont fait à peu près le même
score au premier tour: près de 26%.
Mais avec 40%, l’UMP Jean-Fran-
çois Mancel avait fait beaucoup
mieux que le modeste 28% de Cos-
tes. Sans mobilisation significative
des abstentionnistes, une victoire
du FN peut donc raisonnablement
être envisagée.
En toute hypothèse, l’élection par-
tielle de Villeneuve renvoie la droite
à sa crise existentielle. Dans l’UMP
balkanisée, nombreux sont ceux
qui ne se rallieront jamais à la stra-
tégie de droitisation. Nathalie Kos-
ciusko-Morizet rappelle qu’à Paris,
comme à Lyon, les élections pri-
maires ouvertes à tous les sympa-
thisants ont abouti à la désignation
de candidats «qui refusent de mettre
sur le même plan un parti extrémiste
[le FN] et un parti qui s’inscrit dans
le champ républicain [le PS]».
Plusieurs responsables de l’UMP
se revendiquant de la sensibilité
gaulliste militent pour la renais-
sance d’un rassemblement «au-
dessus des partis». L’ancien prési-
dent de l’Assemblée nationale Ber-
nard Accoyer est de ceux-là.
Comme de nombreux proches de
François Fillon, il estime qu’en
cherchant à s’affirmer comme une
«vraie droite» capable de doubler
le FN sur son terrain, l’UMP «se ré-
signe au populisme». L’alternative?
«Ce serait de faire du vrai gaul-
lisme», affirme Accoyer. Vaste pro-
gramme… comme disait, juste-
ment, le Général.•
ParALAINAUFFRAY
etGILBERTLAVAL
ANALYSE
26%des Français pourraient voter
FN à une élection nationale,
et 29% à une élection locale,
selon un sondage BVA pour
l’émission CQFD d’i­Télé.
LOT
TARN-ET-
GARONNE
TARN-ET-
GARONNE
GERS
LANDES
GIRONDE LOT-ET-
GARONNE
DORDOGNE
Agen
25 km25 km
Villeneuve-sur-Lot «Les Français ont bien
décrypté que ça n’était
pas un front républicain.
C’est un front des copains
pour rester en place.»
FlorianPhilippot
vice­présidentduFN,vendredi
REPÈRES «Le FN [n’est pas]
une alternative crédible.
Voter FN, ce serait aider
Hollande en affaiblissant
la droite et le centre.»
Jean­FrançoisCopé
présidentdel’UMP,dimanche
Le candidat UMP
Jean­Louis Costes
en meeting mardi
à Casseneuil ( Lot­et­
Garonne). PHOTO
CHRISTIAN BELLAVIA
LIBÉRATION SAMEDI 22ET DIMANCHE 23JUIN 201310 •
FRANCE
JUSTICE La plainte pour
«provocation à la haine ra-
ciale» déposée par la Fonda-
tion du mémorial contre la
traite des Noirs contre le dé-
puté UMP Jean-Christophe
Vialatte pour un tweet, posté
le 13 mai lors des violences
du Paris-SG au Trocadéro,
assimilant les «casseurs» à
des «descendants d’escla-
ves», va être retirée après
un accord entre les intéres-
sés.
PARIS La vice-présidente
du Modem, Marielle de
Sarnez, candidate à la mairie
de Paris, a dit vendredi vou-
loir «arriver à un rassemble-
ment du centre» dans la capi-
tale.
«J’ai le sentiment
surtout d’être
extraordinairement
influente dans
l’équilibre
croissance-
austérité.»
KarineBerger
députéePSdesHautes­
Alpes,danslaProvencede
vendredi,etquiprovoque
l’hilaritésurTwitter
2Femen ont tenté de se
jeter sur François Hol­
lande au Bourget en criant
le nom de deux Françaises
condamnées en Tunisie
pour avoir manifesté seins
nus. Elles ont été menot­
tées et éloignées par les
services de sécurité.
M
arquer la bonne dis-
tance. Ni trop près
ni trop loin. Voilà le
principal enjeu ce week-end
de la visite de François Hol-
lande au Qatar. Un confetti,
grand comme la Corse,
bourré de réserves en gaz
et pétrole, et donc riche
comme Crésus. En 2010, ce
pays est même devenu le
plus riche du monde en ter-
mes de PIB par habitant.
Voilà qui force évidemment
le respect.
Pour François Hollande, il
s’agit à la fois de s’inscrire
dans cette longue histoire
franco-qatarie, commencée
avec François Miterrand et
accélérée avec Jacques Chi-
rac, et de se détacher (un peu
mais pas trop non plus) de la
quasi-fusion qu’avait entre-
tenue Nicolas Sarkozy avec
l’émir Hamed ben Khalifa
al-Thani. Une histoire qui
continue, d’ailleurs, puis-
que, selon le Canard en-
chaîné, des diplomates fran-
çais venus préparer le voyage
de François Hollande ont eu
la surprise de tomber nez à
nez à Doha avec l’ancien
Président venu, lui, rendre
visite incognito à son très
riche ami.
Opacité. Très vite après
l’élection de Hollande, le
Qatar a fait assaut d’amabi-
lité auprès de l’Elysée. Pen-
dant l’été 2012, le Royaume
aura été reçu à trois reprises.
L’Emir une fois, avec tous
les égards. Et le Premier
ministre à deux reprises.
Mais en toute discrétion.
Au total, ce sera plus que
l’Allemagne d’Angela Mer-
kel. «Ils n’avaient qu’une
seule crainte, c’est que la col-
laboration entre nos deux pays
s’arrête», confie un diplo-
mate. Le Qatar avait surtout
envie que la convention fis-
cale qui l’exonère de tout
impôt de plus-value immo-
bilière dans ses investisse-
ments dans l’Hexagone soit
confirmée. Elle le sera.
Mais, entre-temps, Hollande
a cherché à clarifier les non-
dits de la diplomatie qatarie.
Et notamment ce fonds, ini-
tialement destiné aux ban-
lieues françaises, et finale-
ment fusionné avec la Caisse
des dépôts et consignations
pour aider au financement
des PME. Et puis il y a le jeu
trouble du Qatar au Mali,
suspecté d’aider des groupes
liés à Al-Qaeda au Maghreb
islamique. Et enfin cette
lutte d’influence sur l’oppo-
sition syrienne à laquelle se
livrent le Qatar et l’Arabie
Saoudite. Paris assure que
tout est devenu transparent.
«Je ne vois pas d’opacité dans
les relations entre nos deux
pays», assure même un
fonctionnaire. Ce n’est pro-
bablement pas vrai. Mais,
dans l’entourage du chef de
l’Etat, on souhaite que cette
visite se place au-dessus
«des interrogations et des po-
lémiques».
En matière de diplomatie
tout est affaire de dosage et
de symbole. Hollande pas-
sera une nuit et presque
vingt-quatre heures à Doha.
Soit quasiment le temps
passé en Russie. Ce qui est
beaucoup pour un Président
qui ne quitte jamais l’Hexa-
gone plus de quarante-
huit heures. Mais, en même
temps, cette visite intervient
après son pas-
sage en Arabie
Saoudite et aux
Emirats arabes
unis, les deux
concurrents du
petit royaume.
Une façon, pour
Hollande, de prendre un peu
de distance.
Entrisme. Le chef de l’Etat
va évidemment parler affai-
res. Redire que le Qatar est
le bienvenu en France.
D’ailleurs, Paris veut relati-
viser l’entrisme du petit
émirat au sien du capitalisme
français. A l’Elysée, on aime
répéter que ses investisse-
ments en France (autour de
15 milliards d’euros) ne re-
présentent que 10% de la to-
talité de son fonds. «Et puis,
la France n’est que le qua-
trième partenaire commercial
du Qatar, loin derrière l’Alle-
magne et le Royaume-Uni»,
assure un conseiller du chef
de l’Etat. Ce qui signifie qu’il
y a donc une marge de pro-
gression.
GRÉGOIRE BISEAU
FaceauQatar,Hollande
gardel’équilibre
DIPLOMATIE Le Président ajoute ce week-end une
visite à sa longue série de rencontres avec l’émirat.
Dominique Strauss­Kahn sera auditionné durant une
heure, mercredi, par la commission d’enquête du Sénat,
sur le rôle des banques et des acteurs financiers dans
l’évasion des capitaux. C’est en tant qu’ancien ministre et
ancien directeur général du Fonds monétaire internatio­
nal que Dominique Strauss­Kahn sera écouté. Presque un
début de réhabilitation pour celui qui, depuis deux ans,
est davantage entendu sur les affaires du Sofitel ou du
Carlton que sur ses expertises économiques. Hasard
malencontreux du calendrier, le même jour, l’ex­ministre
du budget Jérôme Cahuzac doit être entendu par une
autre commission d’enquête, cette fois à l’Assemblée
nationale, sur le rôle du gouvernement dans son affaire
de fraude fiscale. PHOTO AP
DSK AUDITIONNÉ
LE MÊME JOUR
QUE CAHUZAC
LES GENS
L’émir qatari Hamed ben Khalifa al­Thani, à l’Elysée le 22 août 2012. PHOTO K. TRIBOUILLARD. AFP
Il s’agit pour le chef de l’Etat
de s’inscrire dans l’histoire
franco-qatarie et se détacher
de la fusion qu’entretenait
Sarkozy avec l’émir.
La droite crie au scan­
dale après l’incarcéra­
tion d’un manifestant
anti­mariage pour tous.
•SUR LIBÉ.FR
ParCATHERINECOROLLER
HommageàJeanMoulin:
Ayraultappelleà«laplus
grandevigilance»
L’
ex-chef de l’Etat Nico-
las Sarkozy se plaçait
sans vergogne dans
les pas des résistants à l’oc-
cupation nazie, comme Jean
Moulin ou Guy Môquet. En
déplacement dans le Rhône
avec son épouse, vendredi,
à l’occasion des 70 ans de
l’arrestation de Jean Moulin,
Jean-Marc Ayrault a fait part,
lui, de ses craintes et de ses
doutes. Première étape: la
maison du docteur Dugou-
jon, à Caluire, dans la ban-
lieue de Lyon, où Jean Mou-
lin fut arrêté le 21 juin 1943.
«Nous avons la chance de
vivre dans une démocratie,
dans une république, mais en
même temps on doit se dire que
tout cela est fragile, tout cela
n’est jamais définitif», a dé-
claré le Premier ministre.
Faut-il y voir une allusion au
contexte politique avec la
montée de l’extrême droite,
qu’il s’agisse de la législative
partielle du Lot-et-Garonne
qui voit s’opposer des candi-
dats UMP et FN pour le siège
de l’ancien ministre Jérôme
Cahuzac ou de la mort de
Clément Méric, ce militant
antifasciste tué par un natio-
naliste? «On voit partout re-
monter, dans les périodes de
désarroi, d’incertitude, dans
les pays européens, des mou-
vements populistes, des thèses
d’extrême droite», a poursuivi
Jean-Marc Ayrault. Qui pré-
vient: «Il faut toujours rester
dans la plus grande vigilance,
ne jamais renoncer, ne jamais
céder, ne jamais faire preuve
de faiblesse.»
Deuxième étape: la prison de
Montluc, à Lyon, où Jean
Moulin et de nombreux ré-
sistants furent torturés, no-
tamment par Klaus Barbie.
Saluant «l’immense courage
du préfet résistant» qui a tenté
de se suicider en «se tran-
chant la gorge avec un débris
de verre» plutôt que de céder
aux «forces de la tyrannie»
qui lui demandaient de si-
gner un document accusant
les troupes noires de l’armée
française de massacres de
femmes et d’enfants, Ayrault
s’est interrogé: «Je me suis
demandé si, moi aussi, j’aurais
trouvé la force nécessaire pour
résister.» Et d’inviter les
écoliers présents à faire de
même: «Qu’aurais-je fait à sa
place?» •
VU DE CALUIRE
L’ex­trader de la Société
générale Jérôme Kerviel
reçoit du soutien… poli­
tique. Jean­Luc Mélenchon
jeudi, l’écologiste Julien
Bayou hier, sur Libé.fr…
Depuis deux jours, du beau
monde à gauche sort publi­
quement pour défendre le
garçon, peu avant son pas­
sage aux Prud’hommes, ins­
tance devant laquelle
il réclame 4,9 milliards
d’euros de dommages et
intérêts à la banque qui l’a
licencié en 2008. «Mon
engagement s’inscrit dans
la lignée des actions du col­
lectif Sauvons les riches, qui
milite pour la régulation
bancaire, explique Julien
Bayou. Au­delà de l’affaire
Kerviel, il y a peut­être une
affaire Société générale
[…]. Quand une fraude est
commise dans une entre­
prise, elle doit prouver que
la hiérarchie n’était pas au
courant –ce que j’ai du mal
à croire.» «Kerviel est inno­
cent», pour Mélenchon, qui
n’hésite pas à dresser, dans
sa lutte contre la finance,
un parallèle avec l’affaire
Dreyfus. Dans cette «rude
bataille en perspective», il
compte prendre sa «place
comme soldat du rang»,
explique­t­il sur son blog.
LA GAUCHE
AU SECOURS
DE KERVIEL
L’HISTOIRE
LIBÉRATION SAMEDI 22ET DIMANCHE 23JUIN 2013 FRANCEXPRESSO • 11
LIBÉRATION SAMEDI 22ET DIMANCHE 23JUIN 201312 • FRANCE
L
e premier tour des élections
musulmanes, le 8 juin, est pres-
que passé inaperçu. Le second
a lieu ce dimanche. Le Conseil
français du culte musulman (CFCM) va
se doter d’un nouveau bureau et d’un
nouveau président, sans doute le recteur
de la Grande Mosquée de Paris (GMP),
Dalil Boubakeur. Alliés dans beaucoup
d’endroits, le RMF (Rassemblement des
musulmans de France, sous influence
marocaine) et la GMP (sous contrôle al-
gérien) ont raflé la mise au premier tour.
L’Union des organisations islamiques de
France (UOIF, liée aux Frères musul-
mans), elle, a décidé au dernier
moment de boycotter le scrutin.
Le principal défi des institutions
musulmanes est leur manque de crédi-
bilité auprès des deuxième et troisième
générations. Elles ne se reconnaissent
pas dans ces batailles alimentées par les
réseaux consulaires ni dans la culture
des «blédards» qui gèrent le plus sou-
vent les mosquées. L’imam de Bordeaux
Tareq Oubrou tente de dépasser ces cli-
vages. Nous l’avons suivi durant vingt-
quatre heures.
Vendredi,13h05
Plutôt habitué du complet veston, Tareq
Oubrou, recteur de la plus grande mos-
quée de Bordeaux, a revêtu un long
manteau sombre et un imam sarik, le
couvre-chef blanc et rouge traditionnel.
Devant une foule compacte, il s’avance
vers le micro pour prononcer la khotba,
le prêche traditionnel du vendredi.
Quelques minutes auparavant, le muez-
zin avait appelé les fidèles, un appel
seulement diffusé à l’intérieur de la
mosquée pour ne pas perturber le voisi-
nage. Rue Jules-Guesde, dans le
quartier populaire de la gare, la
salle du rez-de-chaussée, aux al-
lures orientales avec ses carreaux de
faïence et ses piliers, est comble. La
consigne est stricte: personne ne s’ins-
talle dans la rue. Pour faire face à l’af-
fluence, les salles de classe à l’étage ont
été mises à la disposition des fidèles. Au
sol, on a déroulé les tapis. Des
Vendrediou
laviesagedela
mosquéeAl-Huda
«Libération» a passé vingt-quatre heures
avec l’imam bordelais Tareq Oubrou, loin
des divisions qui animent les institutions
musulmanes de France.
ParBERNADETTESAUVAGET
PhotosFRANCKPERROGON
RÉCIT
Ici, les femmes ont le droit de prier dans la même salle que les hommes.Tareq Oubrou, recteur de la mosquée Al­Huda, la plus grande de Bordeaux.
Une des salles de classe de la mosquée. On y apprend l’arabe, les sciences islamiques et la récitation du Coran. Charaffedine Mouslim, secrétaire général des musulmans de la Gironde.
LIBÉRATION SAMEDI 22ET DIMANCHE 23JUIN 2013 FRANCE • 13
haut-parleurs retransmettent la
khotba. Tareq Oubrou s’exprime en
arabe, puis en français: «Je dois être
compris par tous», explique le recteur
qui a entamé un cycle de réflexion sur
«la parole de Dieu». «Elle a plusieurs
fonctions, se lance-t-il. Elle est d’abord
créatrice.» Son prêche a une tonalité in-
tellectuelle, contrairement à beaucoup
d’autres prononcés dans les mosquées,
à forte connotation morale. L’assistance
est hétéroclite, d’origine africaine ou
maghrébine. Figure respectée et charis-
matique, Tareq Oubrou fédère et attire.
Parfois, on vient de loin pour l’écouter.
Pragmatique, il a avancé d’une demi-
heure la grande prière du vendredi.
«Cela permet aux gens qui travaillent de
venir pendant la pause déjeuner.» Y as-
sister est une obligation pour les hom-
mes. C’est facultatif pour les femmes.
13h22
Le prêche est terminé. Dans la salle de
prière, il y a au moins 400 personnes.
Tareq Oubrou, froissant les fondamen-
talistes, a innové: il a autorisé les fem-
mes à prier dans la même salle que les
hommes. Jeunes ou âgées, elles sont
une quarantaine, groupées derrière les
hommes. D’autres sont à l’étage. D’un
strict point de vue religieux, celles qui
ont leurs règles ne peuvent pas
participer à la prière.
16h30
Un grand silence règne dans la mos-
quée. Un homme passe la serpillière.
Deux femmes voilées, bénévoles, assu-
rent la permanence à la bibliothèque. Il
y a peu d’ouvrages. Ils sont essentielle-
ment consacrés à l’islam. Tareq Oubrou
est parti se reposer avant la réunion du
cercle soufi. Il rentre de Bruxelles, où il
a donné une conférence. Auteur de
quelques ouvrages, il promeut une
adaptation de la religion musulmane au
contexte européen, et défend, comme
il dit, une «invisibilisation» de l’islam,
soutenant que le voile n’est pas une
obligation religieuse. Le recteur de la
mosquée de Bordeaux est très souvent
sur les routes, pour donner des confé-
rences. Face à la montée du fondamen-
talisme, l’«école Oubrou» tente de faire
contrepoids.
Très pris, l’homme est épaulé par une
équipe: des adjoints, un directeur ad-
ministratif et beaucoup de bénévoles.
Auparavant, à la fin de la grande prière,
il recevait les fidèles pour des consulta-
tions privées. «Il faut savoir s’arrêter. Je
n’étais plus capable de tout assumer.»
Dans les mosquées, l’imam interprète
le droit musulman, prodigue des
conseils, et joue même parfois le rôle du
conseiller conjugal.
Le bras droit d’Oubrou, Charafeddine
Mouslim, rentre à son bureau, rue Jules-
Guesde, après avoir rencontré le direc-
teur de cabinet du préfet. «J’ai régulière-
ment des rendez-vous avec les autorités»,
dit-il. Lui dirige la Fédération musul-
manedelaGironde(FMG),quiregroupe
deux mosquées, celle de la rue Jules-
Guesde et celle de Cenon, aux portes de
Bordeaux, et une dizaine d’associations.
Une mosaïque de structures qui montre
la capacité des Frères musulmans
–mouvance dans laquelle gravite la
FMG, affiliée à l’UOIF– à occuper le ter-
rain. Dans ses cartons, le projet d’une
grande mosquée à 22 millions d’euros,
qui devrait voir le jour d’ici 2020 sur le
site d’Euratlantique, un vaste projet
d’aménagement de Bordeaux.
18heures
Tareq Oubrou prend la route vers la
mosquée de Cenon. Ce soir, il y a un in-
vité de marque, Eric Geoffroy, islamo-
logue de renom, Français converti à
l’islam, adepte du soufisme, la branche
spirituelle de la religion musulmane. Au
fil des ans, Tareq Oubrou s’est créé de
plus en plus d’affinités avec cette mou-
vance. Pourtant, il ne renie rien de ses
attaches avec l’UOIF. Au début des an-
nées 80, il faisait partie du «clan des
Bordelais», les pères fondateurs de l’or-
ganisation. Désormais, il trace sa propre
voie, parfois controversée au sein même
de l’UOIF. A la mosquée de Cenon,
inaugurée en 2005, en attendant la con-
férence, certains lisent le Coran,
d’autres prient. Tareq Oubrou et Eric
Geoffroy sont sur la même longueur
d’onde: pour échapper au fondamenta-
lisme, plaident-ils, l’islam doit se re-
centrer sur sa dimension spirituelle.
Samedi,10heures
Il y a foule à la mosquée, rue Jules-
Guesde. Beaucoup d’enfants et de
jeunes. Toutes les salles de classe sont
occupées. «Ce n’est pas une école cora-
nique au sens strict. On vient ici aussi
pour apprendre l’arabe, pour la culture»,
précise Nabil, le directeur bénévole.
Mais il est quand même beaucoup ques-
tion de religion. Le coût est modique:
15 euros par mois. Tous les professeurs
sont bénévoles. Entre 300 et 400 élèves
fréquentent les cours. Dans la grande
salle de prière, autour de petites tables,
de jeunes enfants s’initient à l’arabe. La
moitié des petites filles sont voilées.
Française non musulmane, Danielle suit
des cours d’arabe à la mosquée. «J’ai
beaucoup voyagé dans les pays arabes.
Je voulais apprendre la langue», raconte-
t-elle. «Il y a trois ou quatre ans, j’ai eu
une période un peu difficile ici, poursuit-
elle. Des femmes très voilées considéraient
que je n’étais pas à ma place.» Rue Jules-
Guesde, il y a un silence pudique sur la
crise traversée entre 2008 et 2010, avec
la tentative d’infiltration de musulmans
très fondamentalistes. Depuis, les
choses se sont arrangées.•
REPÈRES
Créé en mai 2003, le Conseil fran­
çais du culte musulman (CFCM)
est une instance représentative de
l’islam de France, notamment auprès
des pouvoirs publics. Mais, déchiré
par des batailles internes, il ne joue
pas pleinement son rôle dans des
dossiers comme la construction de
mosquées ou la formation des imams.
1,5million, tel serait le nombre de
musulmans pratiquants en France.
Les personnes issues de familles d’ori­
gine musulmane seraient 6 millions.
MATIGNON Le Premier mi-
nistre, Jean-Marc Ayrault,
réunira plusieurs ministres
lundi matin à Matignon pour
faire le point sur «les ques-
tions des réparations et de la
prévention» après les inonda-
tions qui ont touché le Sud-
Ouest cette semaine.
INONDATIONS De nombreu-
ses routes restaient coupées
et des villages isolés, ven-
dredi, dans le Sud-Ouest. A
Lourdes (Hautes-Pyrénées),
37 hôtels resteront fermés
pendant des mois.
MÈRE Une Jordanienne de
36 ans a été placée sous écrou
extraditionnel vendredi à
Marseille. Suite à un conflit
familial, elle aurait enlevé ses
deux fillettes en Suisse.
130C’est le nombre de
prêtres qui vont être
ordonnés cette année,
un chiffre loin de compen­
ser les départs des
anciens. Depuis plusieurs
années, les ordinations
oscillent autour d’une
centaine, soit huit fois
moins que les départs dus
aux retraites ou aux décès.
Avec 10 nouveaux curés,
Fréjus­Toulon est le
diocèse qui attire le plus
de postulants. Suivent
Versailles (8) et Paris (6).
L
es preuves manquent
toujours, mais les té-
moignages sont acca-
blants. Le conseiller di-
plomatique et interprète
personnel du colonel Kadhafi
a répété, dans une interview
à Complément d’enquête dif-
fusé sur France 2 jeudi soir,
les accusations de finance-
ment de la campagne prési-
dentielle de Nicolas Sarkozy
en 2007 par l’ancien régime
libyen. Alors qu’une infor-
mation judiciaire a été
ouverte en France à ce sujet,
ce diplomate du nom de
Moftah Missouri affirme:
«Même Kadhafi m’a dit, à
moi, verbalement, que la Libye
avait versé une vingtaine de
millions de dollars.»
Menace. Le 30 avril 2012,
entre les deux tours de la
présidentielle française,
Moftah Missouri avait livré
une autre version au Figaro.
Interrogé par le quotidien, il
avait confirmé avoir «eu vent
des rumeurs concernant une
contribution financière du co-
lonel Kadhafi à la campagne
du président Sarkozy». Il avait
cependant ajouté: «J’ai été
pendant quinze ans, en ma
qualité d’ambassadeur, l’in-
terprète officiel [de] Kadhafi.
Je n’ai jamais eu connaissance
d’un accord financier.»
Avant la chute de Tripoli à
l’été 2010, le fils de Kadhafi,
Saïf al-Islam, avait aussi ac-
crédité la thèse d’un finan-
cement, déclarant en guise
de menace à l’égard de
Sarkozy : «C’est nous qui
avons financé sa campagne et
nous en avons la preuve. Nous
sommes prêts à tout révéler.
Nous avons les détails.»
Enfin, l’avocat tunisien de
l’ex-Premier ministre libyen
Mahmoudi Baghdadi, ren-
contré par Libération il y a
un an, avait également con-
firmé ces soupçons. Lors de
l’interview à Complément
d’enquête, Moftah Missouri a
de plus affirmé l’authenticité
d’un document dévoilé par
Mediapart en avril 2012, qui
indique que Tripoli avait ac-
cepté de financer pour
«50 millions d’euros» la cam-
pagne de Nicolas Sarkozy.
«Ça, c’est le document de pro-
jet, d’appui ou de soutien fi-
nancier à la campagne prési-
dentielle du président Sarkozy,
s’est-il souvenu. C’est un vrai
document.»
Authenticité.Une authen-
ticité pourtant fortement
mise en cause. Une enquête
est ouverte concernant sa
crédibilité après une plainte
de Nicolas Sarkozy contre
Mediapart pour «publication
de fausses nouvelles». Toutes
les personnes mentionnées
dans ce document avaient
démenti son authenticité,
tout comme, en 2012, le pré-
sident du Conseil national de
transition, au pouvoir en Li-
bye, Mustapha Abdeljalil.
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tra d’y voir plus clair.
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quisitionné le domicile de
Ziad Takieddine, intermé-
diaire en armement, qui a
affirmé que la Libye avait
bien versé de l’argent à la
France. Ainsi que celui de
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S.Soc.
Argentlibyen:unevoix
depluscontreSarkozy
FONDS Un diplomate affirme que l’ex-président a
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Voyageur solitaire sur les
routes de France, un
homme de 48 ans a com­
mis 93 cambriolages en
l’espace de cinq mois en
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33 départements. Connu
de longue date par les ser­
vices de police, il aurait
empoché 40000 euros en
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forts d’établissements sco­
laires, de clubs de sport, en
«visitant» des presbytères.
Il aurait été arrêté en fla­
grant délit en novembre
par une brigade de nuit du
commissariat d’Aubenas
(Ardèche). Il s’était intro­
duit dans les locaux d’un
club de tennis, a révélé,
vendredi, le commissariat
du chef­lieu du départe­
ment. Il est depuis en
détention provisoire.
En fouillant son véhicule,
des policiers ont trouvé le
matériel nécessaire pour
percer les coffres, notam­
ment une disqueuse munie
de disques en diamants.
Sur son ordinateur, les poli­
ciers auraient découvert
des films pédo­pornogra­
phiques. L’homme serait
fiché comme délinquant
sexuel.
40000EUROS
DÉROBÉS EN
93CAMBRIOLAGES
L’HISTOIRE
Un meeting de campagne de Nicolas Sarkozy, en avril 2007. PHOTO LAURENT TROUDE. AFP
Un rassemblement silencieux aura
lieu samedi en début d’après-midi
devant la sous-préfecture d’Argen-
teuil (Val-d’Oise) en réaction aux
agressions récentes de deux femmes
voilées et à un contrôle de police
d’une autre en niqab qui dégénéré le
13 juin dans cette commune. De
nombreuses associations de lutte
contre le racisme et l’islamophobie
ainsi qu’un collectif d’habitants se-
ront présents. Tous demandent une
condamnation sans faille de la part
des autorités des actes islamophobes.
Cette semaine, le ministre de l’Inté-
rieur, Manuel Valls, a envoyé un
courrier aux deux femmes agressées.
L’une d’elles et l’avocat de l’autre ont
par ailleurs été reçus par son direc-
teur de cabinet adjoint, jeudi soir.
Tout au long de la semaine, de
nombreuses voix, dont celle du prési-
dent d’ACleFeu, Mohamed Mechma-
che, avaient alerté le gouvernement
sur la tension montante autour de
ces affaires, notamment au sein de
la communauté musulmane, étonnée
de l’absence de prises de positions
de la classe politique après ces agres-
sions. Alice Géraud
G
À CHAUD RASSEMBLEMENT SUITE AUX AGRESSIONS DE FEMMES VOILÉES
L’Etatappeléàcondamnerl’islamophobie
ParONDINEMILLOT
L’héritierducaviar,
cocaïnomane,condamné
àhuitanspourviols
S
ur sa page Facebook, la
vidéo d’un bébé qui fait
des câlins à un gros
chien sur fond de musique
douce. Dans le huis clos de la
cour d’assises de Paris, où il
vient d’être jugé pendant
deux semaines, le récit des
relations sexuelles violentes
et des tortures (coups, brûlu-
res au briquet-chalumeau,
perforation anale) qu’il aurait
imposées à deux jeunes
femmes. Cyril de Lalagade,
43ans,héritierduprestigieux
restaurant la Maison du ca-
viar et de la société d’import
Caviar Volga, a été condamné
vendredi à huit ans de prison
pour «viols» et «violences vo-
lontaires».
Cyril a rencontré Julie (1),
alors âgée de 19 ans, en 2003,
quand elle était en cure de
désintoxication. Séduite, la
jeune femme accepte un
verre, puis un rail, puis l’ac-
compagne dans ses soirées
d’orgie, qui durent parfois
trois ou quatre jours, à nou-
veau totalement accro à la
free base (cocaïne fumée).
Aux enquêteurs, elle a décrit
des partouzes où les «filles»
étaient incitées à consommer
cocaïne et kétamine, un
puissant anesthésiant fourni
par un infirmier de l’hôpital
Tenon. Coups de ceinture,
introduction d’une pipe à
crack dans le rectum, «souf-
flettes» de fumée brûlante
dans le sexe, il «s’acharnait»
sur son corps rachitique des
journées entières, a-t-elle
expliqué. Déchaîné par les
effets du free base.
La deuxième partie civile,
Astrid (1), elle aussi dépen-
dante à la drogue fournie par
l’accusé, a détaillé les mê-
mes sévices. Mais, au début
du procès, elle lui a murmuré
un «je t’aime», et tient un
discours ambivalent, où se
mêlent les violences subies et
son attachement toujours
fort à «Cyril». Sur Facebook,
elle a liké tous ses posts.
Qui est vraiment Cyril
de Lalagade? Derrière la ca-
ricature de l’odieux enfant
gâté, élevé dans le caviar,
ayant si peu à faire de son
argent qu’il le consacre à as-
sujettir et faire souffrir, se
dresse une autre image, celle
d’Odette de Lalagade, sa
grand-mère. La «reine du
caviar», femme du monde et
femme à poigne, est à la tête
de l’entreprise familiale de-
puis la mort de son mari dans
les années 80. Elle a élevé
son fils, le père de Cyril qui,
devenu alcoolique au dernier
degré, a été écarté des affai-
res et placé sous tutelle. Elle
a ensuite élevé Cyril, dont le
destin est assez comparable
–lui non plus n’a jamais tra-
vaillé. On dit qu’Odette,
qu’il appelait «maman» (sa
mère est absente depuis sa
naissance) était «très stricte»
mais «ne lui refusait rien de
matériel», lui versant un
«salaire» de 9000 euros par
mois. Ultradépendant à la
cocaïne, Cyril de Lalagade
n’a pas pu se présenter à son
procès, lundi, car il n’était
«pas en état». «Avant de faire
du mal aux autres, c’est quel-
qu’un qui s’est d’abord détruit
lui-même», dit son avocat,
Jean-Yves Le Borgne.•
(1) Les prénoms ont été modifiés.
À LA BARRE
Après un printemps d’intempéries, quelles perspec­
tives pour la saison touristique à venir? Décryptage.
A l’issue d’une semaine d’épreuves, retrouvez nos quiz,
reportages et décryptages dans le dossier Bac 2013.
•SUR LIBÉRATION.FR
LIBÉRATION SAMEDI 22ET DIMANCHE 23JUIN 201314 • FRANCEXPRESSO
Japon L’île d’Iwaïshima, noyau dur de la résistance antinucléaire Page VIII
Piano Behzod Abduraimov, une touche ouzbèke à Montpellier Page XII
leMag SAMEDI 22 ET DIMANCHE 23
JUIN 2013
www.liberation.fr
Feu la cacophonie
Dès 1986, ils semaient
le chaos à coups de
farces et d’événements
périlleux. Histoire de la
bande légendaire qui
créa le Burning Man,
une ville éphémère
surgie dans le désert du
Nevada chaque fin d’été.
SEBASTIANHYDEETKEVINEVANS
LIBÉRATION SAMEDI 22ET DIMANCHE 23JUIN 2013II • LE MAG SOMMAIRE
ENTRETIEN
John Law
L’épopée de la
Cacophony Society
Trublion de la première
heure, l’un des fondateurs
de ce réseau anarchique
qui a sévi sur trois
décennies, raconte.
SEBASTIAN HYDE
REPORTAGE
Yamato Takashi
Un Japonais
sans atome crochu
Natif de l’île d’Iwaïshima,
cet entrepreneur a repris le
flambeau d’une lutte vieille
de trente ans contre la
construction d’une centrale.
RAFAËLE BRILLAUD
PORTRAIT
Behzod
Abduraimov
Pianiste prodige
Avec Daniil Trifonov,
le jeune Ouzbek compte
parmi les meilleurs
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dix dernières années.
ÉRIC DAHAN
LA SEMAINE DE L’ÉCRIVAIN
Didier Decoin
Embrasser un avion
sur le museau
Croire au GPS, dénombrer
une armada, voir les Airbus
au Bourget et caser
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JF PAGA. GRASSET
BOURRE­PAF
Antoine de Caunes
Revenu de
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L’animateur fera sa rentrée
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PATRICK KOVARIK
JE ME SOUVIENS
Mahmoud
Ahmadinejad
Le pouvoir absolu
Le 26 juin 2005, la victoire
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présidence de l’Iran suscite
l’inquiétude dans le pays
et à l’étranger.
CARLOS G. RAWLINS. REUTERS
LE CASTING DU 22 JUIN 2013
PAGE VIIIPAGE IV PAGE XII PAGE XV PAGE XXPAGE XVIII
«VU DES ÉTATS­UNIS» SÉLECTIONNÉ PAR PETER KUPER
«La lutte elle-même vers les
sommets suffit à remplir un
cœur d’homme. Il faut
imaginer Sisyphe heureux.»
Il y a quelque chose de
camusien dans le combat
trentenaire mené par une
petite brigade d’insulaires
japonais, farouchement
opposés au projet
d’installation d’une
centrale nucléaire, en
dépit de la catastrophe de
Fukushima. Quelque chose
qui force le respect et laisse
aussi un arrière-goût
d’«à-quoi-bonisme», selon
l’expression chère à Serge
Gainsbourg. Le respect
tient à la ténacité d’une
minuscule population qui
veut sauver sa peau et
refuse mordicus la
chronique d’un suicide
annoncé. Le malaise
réside, lui, dans le
sentiment que le combat
sera perdu. C’est tout le
dilemme camusien: on a
raison de se révolter, car
c’est le seul moyen de
conduire sa vie dans un
monde absurde, et cela
quel que soit le but que
l’on veut atteindre. A leur
modeste échelle, ces
habitants de l’île
d’Iwaïshima sont un
modèle de résistance pour
la planète entière et c’est
bien la force de leur choix
et de leur engagement.
Si leur lutte renvoie encore
à celle de David contre
Goliath, elle a aussi la
modernité d’une réplique
au sens employé en
sismographie: les
répliques successives d’un
tremblement de terre. En
s’entêtant à ne pas se
résigner, ces hommes du
bout du monde incarnent
encore une belle idée de
l’humanité qui n’a jamais
pourtant cessé de s’en
prendre plein la figure.
L’idée d’un bonheur
paradoxal: pour vivre
heureux, il faut se battre.
L’humanité d’une île
ÉDITO
ParBÉATRICEVALLAEYS
Artiste: Edel
Rodriguez, inédit.
«Turquie: la
réponse du
Premier ministre
Erdogan à la
vague de
contestation».
LIBÉRATION SAMEDI 22ET DIMANCHE 23JUIN 2013 CHRONIQUES LE MAG • III
VOX POPULI
ParMATHIEULINDON
Sic transit
morale mundi
U
n spectre hante la justice française:
Nicolas Sarkozy. Pour peu que toutes
les juridictions s’y mettent en même
temps, on imagine l’ancien président
décrivant son agenda. «Lundi, j’ai
Bettencourt. Mardi, j’ai Karachi. Mercredi,
j’ai Kadhafi. Jeudi, j’ai Tapie, et vendredi, c’est
la journée comptes de campagne.» Peut-être
est-ce pour ça qu’il a bourré les prisons, pour
être sûr qu’il n’y ait pas de place pour lui. Les
petits pois se rebiffent (enfin), ainsi qu’il avait
surnommé les magistrats, on ne sait pas qui va
passer à la casserole. Ça se paie d’avoir été au
pouvoir, on ne peut pas avoir le beurre et
l’innocence du beurre. D’autant qu’il y a
toujours le risque que, quand le chat n’est plus
là, les souris se mettent à table. A commencer
par Christine Lagarde qui parle malgré elle
avec sa lettre de soumission. Elle, au moins,
il peut encore la remercier pour tout ce qu’elle
ne sait pas. Et Claude Guéant, qui avait un tel
goût du secret qu’il faisait des choses louches
sans même tenir son patron au courant, en
voilà un autre sur qui compter. Lui, il n’hésite
pas à mettre les mains dans la peinture. Il y a
un peu plus d’un an, Claude Guéant était
ministre de l’Intérieur et faisait les leçons de
morale, et maintenant il les reçoit en pleine
gueule. Sic transit morale mundi. Mais si
Claude Guéant avait droit à 10000 euros par
mois, combien pouvait se faire son boss, celui
qui allait augmenter dès 2007 le pouvoir
d’achat du Président pour que, en toute logique
hiérarchique, il soit supérieur à celui du
Premier ministre?
Nicolas Sarkozy va-t-il réapparaître en tenue
de trappiste, robe de bure, sandales et Swatch
pour cause de bling-bling badaboum?
Le problème est que, s’il dit «j’ai changé»,
comme il le dit à chaque fois, ça voudra dire
qu’il n’a pas changé. Et s’il dit qu’il n’a pas
changé, ce qui serait un changement, il est à
craindre que ce ne soit pas fameux en termes
de retombées électorales.
L’ancien président ne peut pas écrire ses
«Mémoires»; ses mémoires, il les confie aux
greffiers. Peut-être que, désœuvré, il joue
maintenant dans sa chambre avec des petits
ministres de plomb sur une grande carte de
France pour mener l’offensive contre le
chômage. «A toi, Brice, enfonce-le sur la
droite.» On le voit devant sa télé, à chaque G8
ou G20, comme un érudit devant un jeu
télévisé: «Mais non, ce n’est pas du tout ça la
bonne réponse.» Il doit être dégoûté que ses
anciens copains (Obama, Poutine) continuent
de s’amuser sans lui –c’est comme si on avait
envoyé Atlas jouer sur la plage, un pur gâchis.
Et chaque fois qu’apparaît François Hollande
en représentation: «C’est ça, mon gars, régale-
toi, prends ton bon temps. Aie l’air content,
au moins. Gâche pas ta joie.» Ça doit lui faire
bizarre de penser qu’il n’est plus aux
commandes et que ça ne change pas: il va
encore falloir travailler plus pour gagner
moins. Même ses adversaires ne peuvent
toutefois pas nier que, sous son quinquennat,
certains scandales auraient épargné la France.
«Si j’avais été là, il n’y aurait pas eu d’affaire
Cahuzac ou autre. On tenait la justice, nous,
on ne faisait pas le jeu du Front national.»•
REGARDER VOIR
ParGÉRARDLEFORT
Classe de mer
Q
uelle allure, quel
chic, quelle classe.
Le parfait portrait
à deux d’un cer-
tain style de vê-
ture qui est aussi un style de
vie. A gauche, le composi-
teur Benjamin Britten, et de
profil, le regardant, Eric Cro-
zier, écrivain, metteur en
scène et surtout principal li-
brettiste des œuvres de Brit-
ten. On ne peut pas faire abs-
traction du fait ethnologique
que ces deux-là sont britan-
niques. Et que leur allure en
découle en partie, parangon
du fameux dandysme anglais
qui, à l’instar de l’inégalable
Brummell, permet de rester
élégant même après s’être
roulé dans la boue ou avoir
chuté dans la misère.
Détaillons l’ensemble: cos-
tume (en tweed probable-
ment, la netteté de la photo
ne permettant pas de tran-
cher), chemise blanche, pull
à torsades pour Crozier, cer-
tainement sans manches, et,
accessoired’importance,une
cravate. Ces deux hommes
sontjeunesàladate(1949)de
la photo (Britten a 36 ans et
Crozier35),mêmesi,àl’épo-
que, on était plus vieux plus
tôt, a fortiori quand on a der-
rière soi des œuvres majeures
et un opéra, Peter Grimes, qui
fait déjà date dans l’histoire
de la musique du XXe siècle.
Ils sont jeunes, Benjamin et
Eric, et ils portent cravate.
Aujourd’hui, on dirait qu’ils
font fanés, désuets ou réac-
tionnaires ainsi radicalement
cravatés. Or pas du tout. Leur
classicisme est tel, si inac-
tuel, si parfait en son genre
(jusqu’aux chaussures im-
peccablement cirées de Brit-
ten, à cinq œillets) qu’il con-
fine à l’excentricité. Ainsi, de
nouveau, cette satanée cra-
vate dont Soupault expliqua
un jour à Breton, qui s’éner-
vait qu’il la porte aux AG sur-
réalistes, qu’elle est aussi un
nœud pour se pendre.
La disposition physique des
deux hommes est comme la
métaphysique de leurs cos-
tumes. Le temps devait être
gris et incertain ce jour-là
sur la plage de galets d’Alde-
burgh. On sent la mer du
Nord prête à bondir, le vent
hargneux. Ce qui est phéno-
ménal, c’est que le climat a
priori maussade soit pris
avec autant de grâce et de
bonheur par les deux com-
pagnons: Crozier qui sourit
d’être aussi superbement
coiffé-décoiffé par la risée,
Britten qui, grimpé sur une
bitte d’amarrage et en plein
devenir lierre, improvise de
tout son corps un entortille-
ment de liane propre à défier
les arrachements d’une lame
de fond traîtresse. Voyons ses
mains, fines et longues, qui
ne sont pas tant des mains de
pianiste que des pattes ani-
males, griffes ou serres, prê-
tes à agripper. Voyons sur-
tout qu’embellis par les
éléments, Britten et Crozier
sont comme deux machinis-
tes de l’univers, à la fois pré-
posés et inspirés.
Car, enfin, que voit-on dans
l’arrière-monde de cette
image? Un canot en cale sè-
che, peut-être une barque de
sauvetage, une promesse
d’aventure en mer, aussi ex-
citante que périlleuse.
Autant dire le futur, car
l’avenir de ces deux gars de
la plage sera océanique lors-
que, deux ans plus tard, Brit-
ten et Crozier, avec le renfort
de E. M. Forster, vont inven-
ter, d’après Melville, l’opéra
Billy Budd, marin. Ce serait
plausible, donc idéal, que
Britten et Crozier en aient eu
le pressentiment ce jour-là,
entre deux grains, une bonne
blague (on soupçonne que
Crozier sourit autant aux
propos de Britten qu’aux ca-
prices du vent) et l’épreuve
photographique qui, à cet
instant d’immortalité, fixe
des artistes, des hommes,
des amis, déjetés et libres,
heureux d’être vivants, che-
veux au vent.•
LIBÉRATION SAMEDI 15ET DIMANCHE 16JUIN 2013 LIBÉRATION SAMEDI 15ET DIMANCHE 16JUIN 2013VIII • LE MAG CÉLÉBRATION CÉLÉBRATION LE MAG • IX
TexteetphotosÉRICDAHAN
EnvoyéspécialdansleSuffolk
De Lowestoft où il est né
il y a cent ans, à Aldeburgh
où il s’est éteint le 4 décembre
1976, des membres de sa
famille, des amis et des
interprètes de sa musique
évoquent le compositeur
anglais majeur du XXe siècle
dont l’œuvre est hantée
par la guerre, l’injustice
et la souillure morale.
Lemondecruelet
lyriquedeBritten
que le plus important compositeur an-
glais depuis Henry Purcell a vécu et créé
son festival dans un village portuaire
voisin, Aldeburgh. Pour le centenaire de
sa naissance, Lowestoft s’est toutefois
fendu d’une nouvelle plaque commé-
morative au 21 Kirkley Cliff Road,
adresse de la Britten House en brique
rouge où il a grandi, désormais trans-
formée en hôtel.
Tennis et croquet
Le maire a également bataillé pour que
la fontaine municipale s’anime à inter-
valles réguliers, au son des Sea Interlu-
des de l’opéra Peter Grimes et autre Sim-
ple Symphony, une pièce ludique et
virtuose écrite par Britten entre ses 9 et
13 ans. Son père, chirurgien-dentiste,
recevait ses clients au rez-de-
chaussée et, depuis sa fenêtre,
Britten pouvait voir la mer du
M
algré les noms
familiers des
grandes surfa-
ces aperçues
sur la route, vi-
siter le comté
de Suffolk, sur
la côte Est de
l’Angleterre, c’est aussi voyager dans le
temps. Il y a d’abord le premier train,
aux allures de micheline, qui part de la
gare de Liverpool Street à Londres. Puis
le second, deux wagons à peine, qu’on
attrape à Ipswich. Enfin, les passagers
comme le contrôleur parlent un anglais
affable, lui aussi d’un autre âge.
Si Lowestoft n’a jamais développé le
tourisme en rapport avec Britten qui y
est né le 22 novembre 1913, c’est parce
Benjamin Britten et Eric
Crozier, sur la plage
d’Aldeburgh, en 1949.
PHOTO KURT HUTTON. PICTURE
POST. GETTY IMAGES
Le moulin
où Britten,
ci­dessous en
1946, écrira Peter
Grimes, son plus
célèbre opéra.
PHOTOS É. DAHAN.
GEORGE RODGER.
TIME LIFE PICTURES.
GETTY IMAGES
The Red House,
la dernière
demeure du
compositeur,
(ci­dessus)
au volant,
en juin 1964.
PHOTOS ÉRIC DAHAN.
LEBRECHT, RUE DES
ARCHIVES
KURTHUTTON.PICTUREPOST.GETTYIMAGES
Libération des 15 et 16 juin.
Liberation
Liberation
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  • 1. ALAINCASTE.PLAINPICTURE LAGUERRE DUCOCHON CACOPHONY: LA SUBVERSION ORIGINALE CAHIER CENTRALleMag Bienmoinschèrepourcausededumpingsocial, l’Allemagneattirelesindustrielsdel’agroalimentaire françaisetmetenpérillafilièreporcinebretonne. PAGES 2­5 •1,60 EURO. PREMIÈRE ÉDITION NO9986 SAMEDI 22 ET DIMANCHE 23 JUIN 2013 WWW.LIBERATION.FR IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 2,30 €, Andorre 1,60 €, Autriche 2,80 €, Belgique 1,70 €, Canada 4,50 $, Danemark 27 Kr, DOM 2,40 €, Espagne 2,30 €, Etats­Unis 5 $, Finlande 2,70 €, Grande­Bretagne 1,80 £, Grèce 2,70 €, Irlande 2,40 €, Israël 20 ILS, Italie 2,30 €, Luxembourg 1,70 €, Maroc 17 Dh, Norvège 27 Kr, Pays­Bas 2,30 €, Portugal (cont.) 2,40 €, Slovénie 2,70 €, Suède 24 Kr, Suisse 3,20 FS, TOM 420 CFP, Tunisie 2,40 DT, Zone CFA 2 000CFA.
  • 2. ParÉRICDECOUTY Sordide Il y a d’abord les mots. Ignobles et dérisoires. Ces cris germanophobes que la colère ne peut justifier. Et puis il y a la réalité, ce recours croissant à une main- d’œuvre étrangère et sous-payée, ces salariés low-cost qui font le miel d’entreprises du BTP ou de l’agroalimentaire. Cette concurrence déloyale, qui prospère sur le désarroi des salariés les plus pauvres et qui est en train de détruire la filière porcine bretonne, n’est en aucun cas l’apanage de l’Allemagne. L’industrie française exploiterait ainsi 300000 travailleurs à bas prix dans une Union européenne qui en compterait 1,5 million. La démarche originelle qui devait permettre de répondre à des besoins industriels spécifiques n’est plus qu’un sordide outil pour réduire le coût du travail dans tous les grands pays européens. Insupportable socialement, cette réalité a de sérieuses conséquences politiques. Car dans une économie en crise où tous les populismes se nourrissent de discours antieuropéens, le dumping social est un danger tenace pour nos démocraties. La sonnette d’alarme tirée jeudi par François Hollande –qui s’est engagé à mettre le sujet sur la table du prochain Conseil européen– ne suffira pas. Les Etats de l’Union doivent sans délai organiser une harmonisation sociale et imposer un salaire minimum. Ils doivent tout aussi vite organiser un contrôle rigoureux et désigner les entreprises qui s’affranchissent sans vergogne de toutes règles sociales. Sans négliger l’indispensable répression des fraudeurs. ÉDITORIAL Destabilisée par l’exploitation, en Allemagne, de travailleurs de l’Est sous-payés, la filière porcine française craint pour son avenir. Hollande et des députés PS s’emparent du sujet. Dumpingsocial: vayavoirduporc! E lle avait hanté le référendum de 2005 sur la Constitution européenne. La voilà qui risque d’animer, en pleine récession, la campagne des élections européennes de mai 2014. La directive Bolkestein sur les services, et sa grande sœur de 1996, sur les «travailleurs détachés», sont de retour, accusées de favoriser le dum- ping social entre pays de l’UE. En parti- culier dans l’agroalimentaire. Les abat- toirs français, en très grande difficulté, attribuent leurs malheurs au dumping social de leurs concurrents allemands, qui abusent de la directive pour sous- payer des ouvriers venus de l’Est. Jeudi, François Hollande s’en est ému. Dans son discours d’ouverture de la conférence sociale, le chef de l’Etat a expliqué qu’il ne pouvait «pas accepter qu’il puisse y avoir, au nom de cette direc- tive, des concurrences faussées qui détrui- sent de l’emploi en France». Ni qu’on puisse «utiliser […] le malheur d’un cer- tain nombre de pays pour faire venir des travailleurs européens en les payant à des niveaux qui ne sont pas raisonnables». Il a promis de porter les questions de sa- laire minimum et «l’organisation d’une harmonisation fiscale en Europe», jeudi et vendredi, en Conseil européen. Un premier pas. Depuis plusieurs mois, des parlementaires s’alarment. Après le «mythe du plombier polonais», écrit le sénateur (PCF) Eric Bocquet dans un rapport parlementaire, c’est «le spectre du maçon portugais ou de l’ouvrier agri- cole roumain» qui plane. «Cette directive était un progrès: avant 1996, c’était la jungle absolue, explique l’élu. Mais de- puis la crise et la course à la réduction des coûts, elle est contournée sans arrêt.» GERMANOPHOBIE. Dans leurs circons- criptions, certains élus entendent des expressions qu’on croyait disparues: «schleus», «boches», ou «doryphores», toutes sur la gamme de la germanopho- bie. «Je donne pas six à neuf mois pour qu’on ait un drapeau allemand brûlé en Bretagne lors d’une manifestation. Toute une région très europhile est en train de se retourner, s’inquiète Gwénégan Bui, dé- puté (PS) du Finistère, département touché par la fermeture des abattoirs (lire ci-contre). On pourra toujours faire de beaux discours sur l’amitié franco-alle- mande, si on ne règle pas ces questions on va détruire l’Europe.» Pourquoi l’Allemagne? Parce qu’en l’absence de salaire minimum là-bas, de très gros abattoirs payent des ouvriers d’Europe de l’Est à moins de 10 euros de l’heure (lire page 5). Un abus de la loi européenne, car le contrat de travail d’un ouvrier détaché doit obligatoirement être conforme avec le droit du pays d’accueil. Seules les coti- sations sociales sont payées dans le pays d’origine. Problème: «L’absence de dis- positif de contrôle réellement efficace [a créé] un outil redoutable de concurrence déloyale, notamment dans les secteurs du BTP et de l’agroalimentaire», insistent les députés (PS) Gilles Savary et Chantal Guittet ainsi que Michel Piron (UDI), dans un rapport publié fin mai. Mais il n’y a pas qu’outre-Rhin qu’on fait appel aux travailleurs détachés. En France, on estime à 300000 le nombre de ces salariés low-cost (1,5 million au sein de l’UE, selon la Commission). Ce qui fait de l’Hexagone le deuxième pays d’accueil derrière l’Allemagne. Parfois pour de bonnes raisons (pénurie de main-d’œuvre), parfois pour de mau- vaises (réduction des coûts). Rien que dans le BTP, leur nombre a triplé en trois ans, pour atteindre 64000 en 2011. Quand ils sont déclarés… Ces salariés transitent parfois par des sociétés «boî- tes aux lettres», sans existence physi- que dans le pays d’origine, permettant à l’entreprise de s’exonérer de cotisa- tions sociales. «J’ai vu une fiche de paie d’un salarié portugais sur un chantier de Clermont-Ferrand : 2,89 euros de l’heure», illustre Bocquet. «POISON». Avec un chômage au plus haut, «on voit le Front national se saisir de cette question pour en faire un brûlot anti-européen», alerte Guillaume Garot, le ministre délégué à l’Agroalimentaire. Le député Gilles Savary abonde: «Cette situation installe un poison violent, insi- dieux, dans l’opinion publique.» Le par- lementaire avance des solutions : agence du travail mobile au niveau de l’UE, carte vitale européenne, salaire ParLILIANALEMAGNA PhotosISABELLERIMBERT L’ESSENTIEL LE CONTEXTE Des directives européennes favorisent le dumping social. Le président Hollande a évoqué le sujet en ouverture de la conférence sociale. L’ENJEU L’Europe doit procéder à une harmonisation sociale et instaurer un salaire minimum. A gauche, les porcs de David Riou, éleveur du Finistère. A droite, l’abattoir Gad à Lampaul­ Guimiliau, qui cherche désespérément un repreneur après de très lourdes pertes en 2012. REPÈRES «Je ne peux pas accepter qu’il puisse y avoir, au nom de cette directive, des concurrences faussées qui détruisent de l’emploi en France.» FrançoisHollande jeudiàlaconférencesociale 850salariés sont menacés de licencie­ ment à l’abattoir du groupe Gad à Lampaul­Guimiliau (Finistère). Le site devrait fermer ses portes le 20 août, faute de repreneur. LES «TRAVAILLEURS DÉTACHÉS» La directive 96/71/CE, adoptée en 1996, encadre le «détachement» temporaire de travailleurs européens dans un autre pays de l’Union. Le sala­ rié est soumis au droit du travail du pays d’accueil, sauf s’il lui est moins favorable. Les cotisations sociales relèvent, elles, du pays d’origine. «Nos deux pays partagent l’objectif de lutter contre le détournement des règles de détachement au sein de l’Union européenne.» DéclarationduConseildesministres franco­allemanddu22janvier LIBÉRATION SAMEDI 22ET DIMANCHE 23JUIN 20132 • EVENEMENT
  • 3. L e ballet des bétaillères s’est étiolé. Comme le moral, aussi bas, ce ma- tin-là, qu’un ciel en transhumance. Dans cet abattoir de porcs du groupe Gad, 4000 bêtes sont avalées par jour, alors que 6000 pourraient l’être. Ici, surtout, 850 hommes et femmes abattent, découpent, transforment. Tous risquent de passer à la trappe le 20 août, «pas loin de 3000 personnes, en comptant les emplois indirects», lâche un sala- rié. Ici, c’est Lampaul-Guimiliau (Finistère), son église, ses 2500 habitants d’apparence impassible, et son maire, Jean-Marc Puchois, qui refuse de céder à l’impuissance: «Le groupe est là depuis soixante ans, et là, l’ac- tionnaire laisse entendre qu’il va laisser partir un tel outil? C’est dramatique, suicidaire…» Propriété du groupe coopératif Cecab (connu pour sa marque D’Aucy), Gad aurait perdu «20 millions d’euros en 2012», confie un ac- tionnaire. Faute de repreneur s’étant pré- senté devant le tribunal de commerce de Rennes pour «mettre un gros billet, de l’ordre de 40 millions d’euros», comme le dit un pro- che de la direction, rien ne sem- ble pouvoir empêcher la ferme- ture annoncée. UnchocpourlaBretagne,berceaudel’agroa- limentaire, qui produit 57% des 24 millions de porcs français par an. Un trauma qui s’ajoute aux plans sociaux chez Doux (poulet) et Marine Harvest (saumon). Et entraîne, dans son sillage, un sentiment de résignation, «de défaitisme», lâche un élu local, inhabituel pour la région. «Et ce n’est que le début du feuilleton “Le porc de l’angoisse”», prophétise le patron d’une coopérative… «Notre avenir est mal barré», résume Olivier Le Bras, élu FO (majoritaire) à Lampaul. Il a dix-huit ans de boîte au compteur. Ouvrier de découpe: le plus raide des postes. Qui martyrise épaules, coudes, poignets et dos. Il raconte les an- nées 90, quand les 1200 ouvriers récupéraient «un salaire et demi» en participation. Pas la lune, quand on gagne 1200 euros net par mois.IdempoursoncollègueJean-MarcDes- tivelle, 50 ans, dont sept ans de découpe, «un job usant physiquement et moralement, pas va- lorisant». Mais de quoi vivre, «acheter à côté à crédit», élever sa famille. «A l’époque, on se sentait intouchables: Gad était numéro 1 en Eu- rope», ajoute Le Bras. «En pleine gueule». Voilà la chute. «Que vont devenir ceux sans diplôme, ceux qui vont rester sur le carreau? Direction RSA, lâche le syndicaliste. On n’a pas vu venir Mises KO par le modèle allemand, nombre d’entreprises craignent de fermer. Des ouvriers bretons envoyés à l’abattoir minimum de référence, liste noire des entreprises. Au ministère de l’Agricul- ture, on s’avoue satisfait de voir l’Alle- magne et les pays de l’Est pris petit à petit en étau par les critiques média- tiques et les plaintes de pays européens. Sans toutefois le claironner trop fort. De quoi faire peur à Merkel? Pas vrai- ment… Lors de sa visite, fin mai, à Paris, la chancelière a parlé de simples «ma- lentendus», et a assumé sans ciller la politique de bas salaires. Et Bruxelles? La Commission s’est engagée à renfor- cer les moyens de lutte contre les abus. Et, à l’aube de la campagne de 2014, le Parlement européen pourrait aussi s’y mettre. A sa grande surprise, le député Gwénégan Bui a reçu une réponse posi- tive du président du Parlement, l’Alle- mand Martin Schulz. Dans son courrier, le social-démocrate dénonce «l’embau- che massive de travailleurs détachés à bas coûts» qui «sape directement les bases de notre modèle social». De quoi encoura- ger des députés français démunis, comme Jean-Luc Drapeau, élu (PS) des Deux-Sèvres, territoire agricole con- cerné au premier chef: «Comment vou- lez-vous faire accepter des mesures envi- ronnementales ou sanitaires aux éleveurs quand ils ne voient dans l’Europe que con- traintes et concurrence déloyale?»• REPORTAGE Suite page 4 LIBÉRATION SAMEDI 22ET DIMANCHE 23JUIN 2013 • 3
  • 4. L’Allemagne, avec ses ouvriers roumains ou bulgares, est devenue la bête noire des Bre- tons. Chaque semaine, des camions quittent la région pour emmener des porcs bretons se faire découper outre-Rhin, mais aussi en Es- pagne, où c’est moins cher. Même résiduel (on évoque 6000 à 8000 porcs par semaine sur 400000), le phénomène est symbolique. Et nourrit un climat anti-élus, doublé d’un sentiment anti-allemand. «Pour la première fois, des fachos sont venus tracter devant l’usine», enrage Patrick Le Goas, «pousseur de viande» à Lampaul. Du jamais-vu dans un département où le PS a fait carton plein aux législatives. Les ministres de l’Agriculture? «Desintermittentsduspectacle»,tacleunsala- rié. «Leur impuissance fait peur: les conseillers nous disent, “oui, c’est dégueulasse, mais on y peut rien!”» ajoute un syndicaliste. Bien être animal. La crise est générale. L’agroalimentaire tricolore souffre d’«un pro- blème de compétitivité», aggravé par «l’ab- sence d’harmonisation fiscale et sociale» en Europe, explique Guillaume Roué, à la tête de l’interprofessionnelle porcine. S’il n’y avait cette concurrence déloyale, il ne cacherait pas une certaine admiration pour le modèle allemand. «Là-bas, le pouvoir a cédé aux éco- los sur le nucléaire mais a mis le paquet sur la métanisation et le photovoltaïque qui ont permis aux paysans de se diversifier.» Tandis que la France aurait cédé aux environnementalistes et entravé la filière. Cédant aussi, au nom du pouvoir d’achat, à la grande distribution qui matraque les éleveurs avec une politique de prix bas. Résultat? «On s’achemine vers une concentration des ateliers agroalimentaires», note Guillaume Roué. La France compte en- viron 180 abattoirs, dont dix seulement «font plus d’un million de porcs par an», rappelle- t-il. Cela ne va pas durer. L’Allemagne, le Da- nemark et l’Espagne (les plus grands produc- teurs) ont déjà taillé des croupières à la France grâce à leurs abattoirs géants. Le monde du porc pointe aussi l’entrée en vi- gueur, en 2013, d’une directive européenne sur le bien-être animal qui impose (notam- ment) davantage d’espace pour les truies. «Entre les 26% des 12000 éleveurs qui n’ont pas les moyens de s’y conformer et l’arrêt des exploitations, la chute de la production s’élève à 4% depuis le début de l’année», s’alarme Guillaume Roué. La flambée du prix des ma- tières premières, alimentée par le boom de l’agroalimentaire en Asie, a aussi dopé les coûts de production. Le prix des aliments pour porcs a doublé entre 2005 et 2010. Et, malgré une légère décrue, la tonne coûte 302 euros, 22% de plus que l’an passé. «Juste prix». David Riou le sait bien. A 32 ans, cet éleveur de Kerdrein raconte la difficile équation du métier. Après un BTS de «gestion de système d’exploitation», l’homme a repris la ferme de son oncle. Il vient d’in- vestir 350000 euros pour agrandir son ex- ploitation, et tente de s’accorder chaque an- née un revenu de 40 000 euros et deux semaines de vacances. David Riou se dit op- timiste. Mais rêve de voir ses cochons payés «au juste prix». «On me l’achète à 1,55 euro le kilo avec les primes. Il faudrait que le prix grimpe à 1,75 pour être serein.» Il dit aussi: «Depuis des années, les éleveurs tirent la son- nette d’alarme. Ils disparaissent sans bruit, et ça ne dérangeait pas grand monde. Maintenant que les abattoirs sont dans la tourmente, les po- litiques se réveillent. Doucement.» Dans un marché ultralibéralisé, symbole de la mondialisation, la concurrence est terrible. Et, dans la filière, c’est chacun pour soi. «Entre producteurs, industriels et grands distri- buteurs, chacun se fait la guerre et se rejette la responsabilité de la crise», note Olivier Le Bras. «Entre les éleveurs et les transformateurs, il y a une cassure», admet Jean-Pierre Astruc, conseiller municipal de Josselin (Morbihan). Mais aussi entre les communes. A Josselin, Gad a un deuxième abattoir, de 650 salariés, qui pourrait également finir en rillettes. Le maire de Lampaul a appelé celui de Josselin pour qu’ils se mobilisent. «J’attends toujours la réponse», dit le premier. Franck Guillot, élu CFDT de Gad à Josselin, le déplore: «La guerre économique fait rage en Europe, et voilà qu’on doit aussi la vivre entre nous, dans une même région. C’est terrible…» A ses côtés, An- nick Le Guevel, secrétaire du comité d’entre- prise de Josselin, cherche en vain l’issue: «On est pris en tenaille entre la grande distribution et les éleveurs.» Et si la France, Bretagne en tête, avait tardé à faire muter son modèle productiviste? «Peut-être, avoue Olivier Le Bras. Mais, sauf à être suicidaire, on ne peut le changer du jour au lendemain.» Le porc bio ou label rouge pèse moins de 0,5%. «La faute aux normes qui im- posent de ne pas dépasser 40 truies, dit un ex- pert. Cela tient du militantisme, pas du modèle alternatif.» Et si rien ne change? «La filière porcine passera à l’abattoir», souffle un indus- triel. «C’est déjà écrit, enrage Patrick Le Goas, de FO, la révolte des ouvriers de la viande, en train de tout vouloir péter faute d’avoir été en- tendus. Après la sidérurgie, le textile, l’agro- alimentaire plonge; on perd notre autonomie, et tout le monde s’en fout.» Envoyé spécial en Bretagne CHRISTIAN LOSSON l’Allemagne, son dumping social et ses salaires trois fois moins chers. On n’a pas modernisé nos outils de production. On a pris en pleine gueule la concurrence des abat- toirs de la grande distribution.» Des abattoirs, comme ceux de Kermené (Le- clerc), dans les Côtes-d’Armor, ou Gâtine (Intermarché), en Ille-et-Vilaine, qui ont augmenté leur production l’an dernier alors que l’activité recule de 2% par an depuis 2007. Ceux-là font rêver les forçats de Lam- paul. «Mais eux ont investi jusqu’à 8 millions par an pour automatiser leur outil», rappelle un élu local. Et Guillaume Roué, éleveur dans le Finistère et patron de l’interprofessionnelle porcine française, d’ajouter: «Surtout, ils n’ont pas besoin de service commercial. L’ar- gent économisé leur permet de moderniser et de robotiser, avec moins d’emplois. D’être compé- titif quand les Allemands taillent des parts de marché en exploitant la main-d’œuvre.» Annick Le Guevel, du comité d’entreprise de l’abattoir Gad à Josselin. Suite de la page 3 FINISTÈRE CÔTES- D’ARMOR MORBIHAN ILLE-ET- VILAINE Océan Atlantique 50 km BRETAGNE Rennes Brest Josselin Lampaul-Guimiliau Olivier Le Bras, élu FO à l’abattoir de Lampaul. David Riou, 32 ans, éleveur à Kerdrein. Jean­Marc Destivelle, 50 ans, dont sept ans à la découpe chez Gad. LIBÉRATION SAMEDI 22ET DIMANCHE 23JUIN 20134 • EVENEMENT
  • 5. Le syndicaliste allemand Matthias Brümmer appelle l’UE à faire cesser ce dumping: «Bientôt, ce seront des Français que nous verrons ici» M atthias Brümmer est président du syndicat allemand de l’industrie ali- mentaire NGG pour la région d’Ol- denburg (Nord-Ouest). Pour lui, les condi- tions des travailleurs étrangers dans les abattoirs d’outre-Rhin «s’apparentent à une forme d’esclavage moderne». Comment les difficultés des abattoirs français sont-elles perçues en Allemagne? Le problème existe en France, mais aussi en Belgique, au Danemark ou en Autriche. La politique des bas salaires en Allemagne et l’inexistence d’un salaire minimum provo- quent des dégâts sociaux dans les pays voisins et mettent sous pression les salariés allemands et européens dans nos abattoirs. Qui est responsable? D’abord les dirigeants des abattoirs, qui se permettent de pratiquer des salaires aussi bas avec des conditions de travail inhumaines. Ensuite, notre gouvernement: en refusant d’instaurer un salaire minimum et en ne met- tant pas les moyens suffisants pour contrôler les contrats de travail et la réalité de ses abat- toirs, il cautionne un système. Il doit mettre fin aux abus pratiqués dans ces usines. Enfin, l’Union européenne doit faire cesser ce dumping social. Car l’Allemagne connaît au- jourd’hui une forme de tourisme liée à ce dumping. Après les travailleurs d’Europe de l’Est, ce sont des chômeurs grecs et espagnols que l’ont fait venir. Certains disent que, bien- tôt, ce sont des Français que nous verrons ici… L’Europe ne peut fonctionner ainsi. Dans quelles conditions vivent ces ouvriers? Nous n’avons pas de chiffres précis, mais ce que nous avons pu observer s’apparente à une forme d’esclavage moderne. On a recensé des salaires allant de 1 à 10 euros de l’heure. Ils vivent dans des préfa- briqués ou s’entassent à 40 dans des logements prévus pour 6. Cer- tains paient parfois 200 euros par mois pour un lit et sont six ou sept par chambre… Pendant que la moi- tié est de service de jour, les autres dorment. Lorsque la nuit tombe, ils filent au boulot. On considère aujourd’hui que 75% des salariés dans les abattoirs alle- mands travaillent dans ces conditions. Et les 25% restants? Ils sont protégés par des accords de branche, payés 13 à 18 euros de l’heure pour des semai- nes de travail allant de 37 à 40 heures. Ils bénéficient aussi de 30 jours de congés payés par an et de règles strictes de temps de travail. Ce sont les plus anciens qui en bénéficient. Comment expliquer une telle évolution? Depuis des années, l’Allemagne veut devenir le numéro 1 du secteur de la viande. Elle s’est mise à attaquer des parts de marché en bais- sant de manière drastique le coût du travail. En dix ans, le marché de la viande a explosé de plus de 30%, avec une demande forte dans les pays de l’Est. Les entreprises du secteur se sont lancées dans une politique de concentra- tion, mettant à genoux leurs con- currents des pays voisins et ont profité de l’ouverture du marché du travail et de règles européennes ambiguës pour faire travailler à moindres coûts, via des agences d’intérim. Etlessyndicatsallemandsnedisent rien? Bien sûr qu’ils protestent! Nous réclamons tout d’abord une convention collective cou- vrant l’ensemble de la branche et un salaire minimum d’au moins 8,5 euros de l’heure. Nous demandons aussi que ces ouvriers soient assurés et rattachés à une caisse d’assurance- maladie. Le gouvernement doit se saisir de ces questions. Mais les premières réactions politi- ques à Berlin et au Parlement régional de Bas- se-Saxe à Hanovre sont encourageantes. Recueilli par LILIAN ALEMAGNA DR Ce que la France n’ose pas vis­à­vis de l’Allemagne –vie de couple oblige–, la Belgique l’a fait: porter plainte contre Berlin. Par l’intermédiaire de ses ministres, de l’Economie et de l’Emploi, le pays a saisi en mars la Commission européenne contre les autorités allemandes. Le gouvernement belge compte, par ce biais, tenter de sauver un secteur de la viande en grande difficulté. Dans leur plainte, ils soulignent que la loi allemande «n’est manifestement pas mise en œuvre de manière effective […] au profit des travailleurs détachés dans les entreprises établies en Allemagne et actives dans le secteur de l’abattage et de la transformation de la viande». La France a une autre stratégie: la négociation de la nouvelle directive qui doit encadrer à l’avenir les travailleurs détachés. Face aux pays de l’Est qui aimeraient qu’on ne touche rien, la France retrouve là l’Allemagne pour tirer vers le haut la législation européenne. Le ministre du Travail, Michel Sapin, tente de faire accepter qu’en termes de contrôle, l’administration puisse demander tout document à une entreprise pour s’assurer qu’elle est en règle. Elle compte également inscrire dans le droit européen qu’«un donneur d’ordre soit responsable de son premier sous­traitant» qui pourrait frauder. L.A. LA BELGIQUE À L’OFFENSIVE BIENNALE DE CRÉATION DE MOBILIER URBAIN DE LA DÉFENSE PLUG-IN CRÉATEURS, ARCHITECTES, DESIGNERS, PAYSAGISTES, PROFESSIONNELS ET ÉTUDIANTS, RÉPONDEZ AUX 4 USAGES : PLUG-IN POUR UN TAPIS D’ÉVEIL1 PLUG-IN POUR UN SEUIL PARTAGÉ3 PLUG-IN POUR UN PARCOURS MUSCLÉ2 PLUG-IN POUR UNE PRÉPARATION À L’ACTION4 DATE LIMITE DE REMISE DES PROJETS : 11 OCTOBRE 2013 Téléchargez l’appel à projet sur WWW.LADEFENSE.FR Événement organisé par Defacto Direction artistique : Jean-Christophe Choblet Production déléguée : le Troisième Pôle biennale-2014-liberation.indd 1 18/06/2013 10:13:41 LIBÉRATION SAMEDI 22ET DIMANCHE 23JUIN 2013 EVENEMENT • 5
  • 6. Elyakim,villagelibanais créésurmesureparTsahal En Israël, des militaires s’entraînent à une possible confrontation avec le Hezbollah. D ans un fracassant bruit de ferraille, le char s’avance dans la rue princi- pale du petit village. Des fantassins sont déjà sur place, échine cour- bée, ils progressent lentement, se glissant hors des venelles pour atteindre l’artère cen- trale. Sur les toits environnants, d’autres sol- dats protègent leur progression en mettant ParAUDEMARCOVITCH EnvoyéespécialeàElyakim en 2006. «Durant le conflit, les chars entraient en premier pour protéger l’infanterie. Mais cer- tains ont sauté sur des explosifs placés par le Hezbollah sur leur chemin. On perdait alors à la fois le char et les soldats qu’il était censé pro- téger. Du coup, on a changé notre tactique», commente Archi Leo- nard, instructeur de troupes à Elyakim. Des buissons avoisinants, viennent d’émerger une poignée de soldats, quelques- uns entrent dans une des maisons où ils dé- Des soldats israéliens lors d’un exercice sur la base militaire d’Elyakim. PHOTO UPI. VISUAL PRESS AGENCY en joue les ennemis. De la poussière, des combattants qui courent, des tirs. Fin de l’exercice. Sur la base militaire israé- lienne d’Elyakim, dans le nord du pays, une localité libanaise a été reconstituée. Elle sert de terrain d’entraînement aux forces de Tsahal qui cherchent à améliorer leurs techniques de combat en cas de nouvelle confrontation avec le Hezbollah, tout en évitant de répéter les erreurs de la guerre de trente-quatre jours REPORTAGE LIBÉRATION SAMEDI 22ET DIMANCHE 23JUIN 20136 • MONDE
  • 7. couvrent un tunnel menant à l’extérieur du village, façonné à l’image de ceux que les mi- litaires pourraient trouver côté libanais. A 36 ans, Dan, sergent d’une unité comptant une trentaine de soldats, suit des sessions de dix jours à trois semaines par an. «Les entraî- nements sont devenus de plus en plus compli- qués, ils augmentent en intensité et les technolo- gies qu’on emploie changent tout le temps», explique-t-il. CONVOIS D’ARMES. Pour les responsables militaires israéliens, le Hezbollah libanais reste l’ennemi principal de la frontière nord et son réarmement une des préoccupations de l’état-major de Tsahal. Trois attaques aé- riennes menées par l’aviation israélienne sur le sol syrien, en janvier et mai, visaient –se- lon les informations confirmées de manière officieuse en Israël– des convois d’armes du Hezbollah qu’il cherchait à mettre à l’abri des combats en les rapatriant au Liban. Dans le même temps, l’implication de la formation chiite dans la guerre syrienne a pour consé- quence un affaiblissement du mouvement chiite, jugent les hauts gradés de Tsahal. «La situation stratégique du Hezbollah est en déclin, à la fois parce qu’il a perdu une partie de son soutien au Liban et que la Syrie n’a plus la force de le soutenir, juge un responsable israélien. Ils ont aussi perdu de nombreux combattants. Mais on peut imaginer que leurs capacités à combattre se renforcent grâce à ces nouvelles expériences sur le terrain.» Ce militaire prévient que l’acheminement d’armes sophistiquées au Liban, telles que des missiles antiaériens, des missiles sol-mer ou des armes chimiques, pourraient avoir des conséquences désastreuses sur la popu- lation libanaise: «Si le Hezbollah fait usage d’armes sophistiquées contre Israël et lance des missiles sur nos villes, nous réagirons très fort et ce sont les civils libanais qui en pâtiront. Le Craignant l’escalade, le président libanais appelle les combattants chiites à quitter la Syrie. Le Hezbollah, péril en sa demeure A u Liban, l’intervention militaire du Hezbollah aux côtés du régime sy- rien de Bachar al-Assad conti- nue de provoquer des remous. Jeudi, c’est le président liba- nais, Michel Sleimane, qui est monté au créneau, appelant les combattants du Hezbollah «à rentrer au Liban», dans une in- terview parue dans le quoti- dien libanais As Safir. «S’ils participent à la bataille d’Alep, cela attisera davantage les ten- sions. J’ai dit que protéger la ré- sistance [le Hezbollah, ndlr] est quelque chose qui m’est cher, mais je veux aussi la protéger contre elle-même», a-t-il af- firmé. «Poignardés». Le Président, partisan de la «neutralité» li- banaise dans le conflit syrien, envoie ainsi un signal fort à la communauté internationale, même si son influence reste li- mitée sur le plan intérieur. Depuis les accords de Taëf qui ont mis fin à la guerre civile en 1989, le Président joue sur- tout un rôle d’arbitre au sein des institutions libanaises. Sa prise de position intervient peu après la remise d’un mé- morandum signé par 57 dépu- tés du «14 mars», la coalition antisyrienne conduite par Saad Hariri, exhortant le chef de l’Etat à demander au Hez- bollah de «se retirer immédia- tement et totalement des com- bats en Syrie». Début juin, le «Parti de Dieu» a joué un rôle crucial dans la reconquête de la ville d’Al-Qoussayr, bastion des rebelles syriens proche de la frontière libanaise, et est également présent en force dans la ville de Sayeda Zeinab, dans la banlieue sud de Da- mas. Selon l’opposition sy- rienne, il serait aussi impliqué dans les combats dans le nord du pays. L’engagement total du Hezbol- lah en Syrie fait même grincer les dents de certains de ses soutiens les plus fidèles. De manière inattendue, Gebran Bassil, ministre démission- naire et gendre du général Michel Aoun, principal allié chrétien du Hezbollah de- puis 2006, a taclé le parti chiite ces derniers jours. «Les occu- pations régionales du Hezbollah l’ont poussé à commettre des erreurs internes», a soutenu le ministre. «Il nous a poignardés, il a poignardé la démocratie», a- t-il affirmé dans le quotidien panarabe Asharq al-Awsat, accusant le «Parti de Dieu» d’avoir manœuvré avec d’autres formations pour re- porter les élections législatives jusqu’en novembre 2014. Le scrutin, qui aurait dû se tenir ce mois-ci, aurait pu mettre en difficulté le Hezbollah et l’amener à reconsidérer son implication en Syrie. «Ces déclarations ne remettent pas en cause l’alliance straté- gique du général Aoun avec le Hezbollah, mais elles reflètent le sentiment de l’opinion publique chrétienne, qui majoritairement n’est pas favorable à son action en Syrie», estime Ghassan el- Ezzi, professeur de sciences politiques à l’université liba- naise de Beyrouth. Roquettes. L’implication du «Parti de Dieu» a des réper- cussions sécuritaires de plus en plus importantes au Liban, particulièrement dans la plaine de la Bekaa, dans l’est du pays. En «représailles» à la reprise d’Al-Qoussayr par le Hezbol- lah, une trentaine de roquettes tirées depuis le territoire sy- rien ont touché depuis le début du mois de juin la ville de Baalbek, fief du parti chiite, et plusieurs villages environ- nants. Les relations entre sunnites et chiites se sont en- core dégradées cette semaine dans la Bekaa, avec l’assassinat de trois Libanais chiites, dont deux membres du puissant clan tribal des Jaafar. Ils ont été attaqués par des hommes armés à proximité de la localité d’Ersal, bastion sunnite et base arrière des rebelles syriens au Liban. Les foyers de tension se multiplient également dans d’autres régions, comme à Tri- poli, la grande ville portuaire du Nord, ou à Saïda. Dans cette ville côtière au sud du pays, des affrontements au lance- roquettes entre partisans du cheikh salafiste Ahmad al-As- sir et du Hezbollah ont fait mardi un mort et plusieurs blessés. De notre correspondant à Beyrouth THOMAS ABGRALL Golan Mer Méditerranée Plaine de la Bekaa ISRAËL LIBAN 30 km CISJ JORD SYRIE Tripoli Haïfa Saïda Tel-Aviv Beyrouth Damas Elyakim Camp de Zarit Quneitra Créé en réponse à l’invasion israélienne au Sud­Liban en 1982, le Hezbollah est un mouvement chiite fondamentaliste armé. Le «parti de Dieu» bénéficie du sou­ tien de Téhéran et de Damas, qui l’arment et le financent. Il s’est engagé dans le conflit syrien, aux côtés des forces d’Al­Assad. REPÈRES Hezbollah se dissimule dans la population et chercher à l’atteindre revient inévitablement à toucher des civils.» De la base militaire de Zarit, isolée dans les bosquets touffus face à la frontière libanaise, des soldats ont les yeux rivés sur les appareils d’observation qui ne perdent pas une miette de ce qui se passe de l’autre côté de la clô- ture. A intervalles réguliers, des représen- tants de Tsahal, de l’armée libanaise et de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul) se retrouvent pour faire le point sur le résultat de leurs ob- servations à la frontière. Les offi- ciels israéliens aiment relever que les rapports avec l’armée libanaise sont plutôt sereins, mais laissent ouverte la question de savoir si cette non-belligérance serait maintenue en cas de nouveau conflit entre l’Etat israélien et le parti chiite libanais. Mais c’est à l’est, sur la frontière israélo-sy- rienne, que la situation s’est soudainement dégradée. Après les Japonais, puis les Cro- ates, les Autrichiens ont à leur tour retiré «Le Hezbollah a perdu de nombreux combattants. Mais on peut imaginer que leurs capacités à combattre se renforcent grâce à ces nouvelles expériences sur le terrain.» Unresponsablemilitaireisraélien leurs observateurs de la Force des Nations unies sur le Golan, après que deux d’entre eux ont été blessés dans des échauffourées entre armée syrienne et rebelles. Pour la pre- mière fois, début juin, les combats ont atteint le point de passage de Quneitra, les insurgés tenant pour quelques heures la position des garde-frontières syriens. Côté israélien, les militaires disent ne pas craindre de confron- tation avec l’armée syrienne, jugeant que les forces de Bachar al-Assad ont d’autres chats à fouetter. JIHADISTES. C’est davantage une situation similaire à celle qui perdure avec la bande de Gaza, avec des tirs de roquettes spora- diques, que craint Tsahal. L’enrôlement d’hommes du Hezbollah sur le terrain sy- rien pourrait leur donner un accès à la fron- tière entre Israël et la Syrie. Dans le scénario inverse où les forces loyales à Bachar al-As- sad perdraient du terrain, Israël craint alors que des groupes de jihadistes profitent de l’occasion pour faire de la frontière sur le Golan une nouvelle zone de confrontation israélo-syrienne.• 970Casques bleus sont en perma­ nence déployés sur le plateau du Golan depuis 1974 pour faire respecter le cessez­le­feu entre Israël et la Syrie. «Le projet du Hezbollah au Liban […] détruit la formule de coexistence commune, le système démocratique et l’unité des confessions musulmanes.» SaadHaririchefdel’opposition libanaise,le13juin LIBÉRATION SAMEDI 22ET DIMANCHE 23JUIN 2013 MONDE • 7
  • 8. AuBrésil,ladroitedure chercheàraflerlamise Avec plus d’un million de manifestants jeudi soir, la révolte a atteint une ampleur qui laisse la présidente, Dilma Rousseff, sans voix. P as un mot. La présidente du Brésil, Dilma Rousseff, du Parti des travailleurs (PT, gauche), est restée murée dans son silence après la réunion de crise tenue vendredi avec ses con- seillers pour étudier la marche à suivre face à la révolte populaire qui embrase le Brésil. Rien n’a fil- tré, sinon qu’elle restait «perplexe» face à l’ampleur de la convulsion sociale. Mais aucune déclaration of- ficielle n’est venue répondre à la colère de la rue qui a atteint jeudi une ampleur inédite. Plus d’un mil- lion de manifestants avaient protesté dans une centaine de villes, du jamais-vu depuis trente ans. Ils étaient au moins 300000 à Rio, 110 000 à São Paulo, 100000 à Vitória, 52000 à Recife, 30000 à Manaus… La révolte, dé- clenchée il y a deux semaines par la hausse du tarif des transports ur- bains, a en effet redoublé de vi- gueur, et cela malgré la révocation de la mesure par près d’une cin- quantaine de villes. Une fois de plus, c’est la classe politique tout entière, et même les institutions, qui ont été dans le collimateur. Les manifestants dénonçaient la cor- ruption et l’impunité, ainsi que la précarité des services publics, alors que le pays va débourser au moins 10 milliards d’euros pour organiser le Mondial de foot l’an prochain. DÉSAVEU. Les débordements, mar- qués par des scènes de pillage et de vandalisme, ont entraîné deux morts accidentelles et au moins 77 blessés. La Fifa, organisa- trice de la Coupe des confédérations de foot, qui se déroule actuellement sur place, a pour sa part démenti avoir menacé de mettre fin à la compétition après que deux auto- bus liés à l’organisation ont été vi- sés à Salvador de Bahia. C’est à Brasília, la capitale, que la tension était la plus forte. Des contestataires ont attaqué le siège du ministère des Affaires étrangères et tenté d’enva- hir le Congrès. Et, pour la première fois depuis le début de la révolte, il y a deux semaines, le palais prési- dentiel du Planalto a été pris pour cible. Un millier de manifestants ont marché sur l’édifice aux lignes épurées –autour duquel s’était dé- ployée l’armée–, avant d’être re- poussés à coups de lacrymos. Dilma Rousseff est restée retranchée toute la journée sur place. La crise a bel et bien frappé à la porte du Planalto. La Présidente a annulé tous ses dé- placements, et notamment une vi- site officielle qu’elle devait effectuer au Japon la semaine prochaine. Mais son silence –elle s’est conten- tée jusqu’ici de rendre hommage à la vitalité démocratique du pays, dont le mouvement serait la preuve– s’était fait de plus en plus assourdissant. Son entourage serait divisé quant à l’opportunité de se prononcer ou non sur les événe- ments. Ne serait-ce pas une façon dereconnaîtrequelegouvernement est lui aussi visé par le désaveu po- pulaire? Brasília n’en cherche pas moins la parade. Un train de mesures so- ciales pour les jeunes, principaux acteurs de la contestation, serait à l’étude. Selon la presse, certains au PT prêchent un virage à gauche pour doper les investissements dans la santé et l’éducation. Le parti, qui s’est joint aux manifes- tants, a été désavoué par la Présidente. Cette décision de re- joindre les manifs a été perçue comme une tentative, sinon de ré- cupérer le mouvement, du moins de montrer que le PT –qui croyait détenir le monopole de la rue et se voit débordé par elle– n’est pas in- sensible aux revendications. Mais, pour Dilma Rousseff, l’irruption de sa formation sur l’avenue Paulista, jeudi soir à São Paulo, risquait d’exposer explicitement son gou- vernement à la colère populaire, alors qu’il n’est pas –du moins pour l’instant- la cible principale des manifestants. Les militants du PT ont ef- fectivement été fraî- chement reçus et ont dû être carrément évacués pour échap- per aux foudres d’une foule rétive à la pré- sence de toute forma- tion politique. «Hey, PT, va te faire f…» hurlaient des protestataires, en mettant rageusement le feu à la bannière rouge du parti de Lula. «Partez à Cuba, partez au Ve- nezuela», criaient d’autres. «Fas- cistes!» s’époumonaient en retour les gens du Movimento Passe Livre (Mouvement du libre passage, MPL). A l’origine de la fronde qui embrase le pays, le MPL, groupe- ment «anticapitaliste» qui milite pour la gratuité des transports en commun, a même abandonné la manifestation. AVORTEMENT. Alors que des cor- tèges étaient programmés hier dans une soixantaine de villes, le MPL a annoncé qu’il ne convoquerait plus d’autres mobilisations. Ses repré- sentants dénoncent une récupé- ration de la révolte par la droite. «Nous avons vu surgir des bannières terribles comme la baisse de la majo- rité pénale ou le rejet de l’avorte- ment», a expliqué l’un d’eux. «Au départ, le mouvement réclamait la baisse du tarif des transports en com- mun et voilà que se joint à nous main- tenant une classe moyenne réaction- naire qui vomit les pauvres et ne se remet toujours pas d’être gouvernée par la gauche», déplorait lundi Leo- nardo, un étudiant en histoire croisé sur la Paulista. La politologue Maria Izabel Noll fait écho à ces craintes: «Mai 68 avait renforcé le gaullisme, rappelle-t-elle. Au Brésil, on peut craindre que l’avancée de la mobilisation serve à justifier le re- tour d’un gouvernement conserva- teur, qui délogerait le PT du pou- voir.»• ParCHANTALRAYES CorrespondanteàSãoPaulo «Voilà que se joint à nous une classe moyenne réactionnaire qui vomit les pauvres et ne se remet pas d’être gouvernée par la gauche.» Leonardoétudiantenhistoire RÉCIT Des manifestants après le tir de gaz lacrymogènes par la police, à Rio, jeudi soir. PHOTO NICOLAS TANNER. AP 20centimes de real (7 centimes d’euros). C’est le montant de l’augmentation du ticket de bus qui a mis le feu aux poudres, il y a dix jours. Le plus vaste mouvement social au Brésil depuis vingt et un ans a culminé jeudi avec plus d’un mil­ lion de personnes dans 80 villes. A l’opposition au prix des trans­ ports s’est ajoutée la contestation de la précarité, de la corruption, et des 11 milliards d’euros dépen­ sés pour le Mondial de foot. REPÈRES RÉSEAUX SOCIAUX «Nous sortons de Facebook», proclament certains slogans. Le réseau joue un rôle clé dans les manifestations, orga­ nisant les rassemblements. La fronde brésilienne se veut révolution 2.0. LIBÉRATION SAMEDI 22ET DIMANCHE 23JUIN 20138 • MONDE
  • 9. D es dizaines de milliers d’Egyptiens se sont rassemblés hier à Medinat Nasr, en périphérie du Caire, pour apporter leur soutien au président Mohamed Morsi. Sous un soleil étouffant, la foule, majoritairement composée de provinciaux, a brandi des drapeaux égyptiens et des portraits du chef de l’Etat; de nombreux slogans fai- saient rimer Morsi et démo- cratie, d’autres appelaient à l’instauration de la charia. Initiée par les Frères musul- mans, dont est issu le raïs, cette manifestation a réuni dix-sept partis islamistes derrière un triple mot d’ordre: défendre le bilan du gouvernement, rétablir la légitimité de Morsi et dé- noncer la violence politique. Il y avait aussi une volonté d’intimidation : montrer l’unité et la puissance du camp islamiste alors que le Président est critiqué de tou- tes parts et que l’opposition a prévu une grande mani- festation le 30 juin. Forts des 15 millions de signatures de la pétition anti-Morsi qu’ils ont lancée, les mili- tants libéraux et de gauche attendent beaucoup de cette échéance et rêvent d’une se- conde révolution. Hier, le pari des islamistes n’a été qu’à moitié réussi: si les soutiens étaient au rendez-vous, Al-Nour, le plus important parti sala- fiste, n’a pas pris part au défilé par crainte d’aggraver la polarisation. Mais aussi pour se démarquer du pou- voir et soigner son image en vue des législatives prévues cet automne. Un an après l’investiture de Morsi, le pays est totale- ment divisé, pas loin de la rupture. Le bilan n’est pas à la hauteur des espérances: l’économie est au plus mal, le processus de transition démocratique traîne des pieds et le régime fait preuve d’une brutalité qui n’a rien à envier à la dictature de Hosni Moubarak. Si le Président a hérité d’une si- tuation compliquée et ne saurait être tenu pour unique responsable de la crise, ses maladresses à répétition et le mépris dont il fait preuve à l’égard de l’opposition attisent les mécontente- ments. Dernier exemple: la semaine passée, le chef de l’Etat a nommé Adel al- Khayat, membre de la Gamaa al-Islamiya, au poste de gouverneur de Louxor. Or c’est dans cette province que des militants de ce mouvement islamiste ont tué 58 touristes sur le site archéologique de Deir-el- Bahari, en 1997. Morsi, qui se présentait comme «le prési- dent de tous les Egyptiens», apparaît de plus en plus comme le président des seuls islamistes. Et l’opposition espère secrètement qu’après le 30 juin, il ne sera plus le président de personne.• De notre correspondant au Caire MARWAN CHAHINE AuCaire,lessoutiens deMorsisemanifestent ÉGYPTE Les partisans du raïs ont paradé hier. Ses opposants préparent l’épreuve de force. PAKISTAN Un attentat-sui- cide a fait au moins 15 morts vendredi dans une mosquée chiite près de Peshawar, dans le nord-ouest du pays. ESPAGNE Huit personnes appartenant à un réseau lié à Al-Qaeda ont été arrêtées vendredi dans l’enclave es- pagnole de Ceuta (Maroc). TUNISIE Le procès en appel des trois Femen européennes condamnéesàquatremoisde prison se tiendra mercredi. RDC L’Afrique du Sud a dé- ployé ses troupes en républi- que démocratique du Congo vendredi en coopération avec l’ONU, afin d’y com- battre les groupes armés. SYRIE L’armée a bombardé le quartier de Qaboun, à Da- mas, vendredi, dans le but d’en déloger les rebelles. RUSSIE La Douma a voté, vendredi, l’interdiction, pour des homosexuels, d’adopter des enfants russes. Retrouvez notre carte animée et commentée Quatre minutes pour comprendre le conflit en Syrie et notre dossier Le conflit en Syrie •SUR LIBÉRATION.FR «Il y a eu avec l’opération Serval un affaiblissement considérable des groupes [islamistes]. Mais ils ont des capacités de reconstruction très rapides.» MichelReveyrand deMenthonreprésentant spécialdel’UEpourlarégion sahélienne,vendredi Les alliances contre­nature ne durent jamais: il y a un an, Fotis Kouvelis avait accepté de participer à la coalition gouvernementale dominée par le parti con­ servateur Nouvelle Démo­ cratie pour éviter à la Grèce une nouvelle crise politique. Pour cet ex­com­ muniste de 65 ans, c’était un pari risqué: son petit parti, Dimar, créé en 2010 et issu d’une scission de la gauche radicale, pouvait y perdre son âme et son électorat. Mais après avoir avalé bien des couleuvres (comme le rejet d’une loi antiraciste par Nouvelle Démocratie), Kouvelis a perdu sa sérénité légen­ daire lors de la suppression brutale de la télévision publique, le 11 juin. Opposé à cette mesure, Kouvelis s’est aussi offusqué de voir le Premier ministre, Anto­ nis Samaras, s’obstiner mal­ gré l’avis défavorable du Conseil d’Etat prononcé lundi. Du coup, vendredi, Kouvelis a demandé aux quatre ministres de son parti de quitter un gouver­ nement qu’il ne soutient plus. Ce qui laisse face à face socialistes et conser­ vateurs, autre alliance con­ tre­nature. PHOTO REUTERS LE VIEUX LION GREC KOUVELIS LÂCHE SAMARAS LES GENS 127ans de prison. C’est la condamnation dont a écopé, en Espagne, Joan Vila Dilmé, pour le meur­ tre de 11 personnes âgées dans la maison de retraite où il travaillait comme vigile, entre 2009 et 2010. Un film de Antonin PERETJATKO «Resplendissant. Une joie communicative et une audace dans la blague qui connaît peu de limites… bienvenue chez les fous!» LES INROCKS «Hyper jouissif!»TÉLÉ CINÉ OBS «Une ode à la légéreté et à l'aventure.» SO FILM «Singulière et craquante, une comédie qui fait du bien à la vie.» 20 MINUTES «Drôle. Très drôle. Une pépite d'humour décalé.» L'EXPRESS «Une folie plus que bienvenue dans le cinéma.» EVENE.FR «Givré!»LIBÉRATION «Hilarious Vincent Macaigne!» HOLLYWOOD REPORTER «Un road movie complètement barré. Réjouissant!» FRANCE INTER ACTUELLEMENT Emmanuel Chaumet présente Vimala PONS Vincent MACAIGNE Grégoire TACHNAKIAN Marie-Lorna VACONSIN ET AUSSI SERGE TRINQUECOSTE, THOMAS SCHMITT, ESTEBAN, PHILIPPE GOUIN, LUCIE BORLETEAU, PIERRE MEREJKOWSKI, CLAUDE SANCHEZ, YOANN REY ET LA PARTICIPATION AMICALE DE ALBERT DELPY ET BRUNO PODALYDÈS «Si j'étais encore vivant j'irais voir ce film.» GROUCHO MARX «Craquante Vimala Pons, hilarant Vincent Macaigne, on jubile, on savoure.» LE MONDE «Se foutre carrément de tout !» STENDHAL « La comédie en or ! » ELLE «Jolie façon de rentrer dans l'été. Une petite pépite.» STUDIO CINÉLIVE «Jubilatoire!»TGV MAGAZINE LIBÉRATION SAMEDI 22ET DIMANCHE 23JUIN 2013 MONDEXPRESSO • 9
  • 10. Villeneuve-sur-Lot:uneaubaine pourladroitedécomplexée? Une victoire du FN, dimanche, serait un coup dur pour le front républicain. D ans les états-majors pari- siens, rares sont ceux qui se risquent à exclure une victoire du Front national à Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Ga- ronne), dans l’ancienne circons- cription de Jérôme Cahuzac, di- manche, au deuxième tour de la législative partielle. A droite, l’hy- pothèse est envisagée plutôt serei- nement, avec un brin de résigna- tion. Plus personne ne croit, en tout cas, que le candidat de l’UMP Jean- Louis Costes pourra compter sur un sursaut comparable à celui qui a porté Jacques Chirac à l’Elysée en 2002, avec 82% des suffrages face à Jean-Marie Le Pen. Après l’élection partielle dans l’Oise du 24 mars, qui avait vu l’UMP Jean-François Mancel l’emporter de quelques centaines de voix sur sa concurrente frontiste, le scrutin de dimanche pourrait signer, une fois pour toutes, l’arrêt de mort du «front républi- cain». «Si le FN obtient 45% ou plus pour la deuxième fois cette année, c’est énorme», souligne Jérôme Fourquet de l’Ifop. Dans le parti de Jacques Chirac, certains se réjouissent de l’enterre- ment de ce vieux «front républi- cain». Jean-François Copé et ses amis, partisans d’une «droite dé- complexée», y verront la justifica- tion définitive de leur ligne «ni-ni» (ni FN ni front républicain) contes- tée par les modérés, notamment Nathalie Kosciusko-Morizet et François Baroin. Pour Guillaume Peltier, animateur de la Droite forte, courant le plus droitier de l’UMP, la partielle de Villeneuve- sur-Lot confirme que «les digues des reports de voix ont définitivement sauté». Les électeurs de gauche ne sont pas plus sensibles que ceux de droite aux «consignes de Paris» et il n’est pas de plus grand service à rendre au FN que de «laisser enten- dre qu’il n’y aurait pas de différences entre droite et gauche». GOURMANDISE. De fait, le timide appel de la direction du PS au front républicain fournit au FN ses slo- gans favoris: vendredi sur RFI, le bras droit de Marine Le Pen, Florian Philippot, dénonçait avec gour- mandise «un front des copains pour rester en place». Reprenant une rhé- torique chère à l’ancien patron de Minute Patrick Buisson, conseiller ultra-droitier de Nicolas Sarkozy, Peltier affirme que la droite parle- mentaire doit «s’adresser aux petits et aux invisibles», leur montrer qu’il existe «une vraie droite». Inutile, selon lui, de remonter à Charles Maurras: «Sarkozy a montré la voie dès 2004. En prônant la rupture avec le chiraquisme, il tournait la page d’une droite qui avait honte de ne pas être de gauche.» Copé, président d’une UMP en crise, ne dit pas autre chose. En meeting dans l’Aisne mercredi, il a ressorti son hymne à «la droite décomplexée» qui ne craint pas de «dire les choses». De- vant les militants picards, il s’est taillé un franc succès, jurant de ne plus leur servir «d’eau tiède» et en osant un hommage appuyé aux vic- times du désormais célèbre «ra- cisme antiblanc». Pour l’aile droite de l’UMP, l’entrée à l’Assemblée nationale d’un qua- trième député d’extrême droite n’aurait rien d’une catastrophe. Bien au contraire: ce pourrait être l’électrochoc salutaire qui encoura- gera la droite à se débarrasser de ses «complexes». Soucieux de ne pas décourager les électeurs de gauche susceptibles de respecter le front républicain, l’UMP Jean-Louis Costes s’est bien gardé de solliciter le soutien des champions de la droite décom- plexée. Il s’est contenté de la visite de l’ancien ministre de l’Agricul- ture Bruno Le Maire, possible atout dans cette circonscription très ru- rale, en meeting à Casseneuil mardi soir. Attendu jeudi, le centriste Jean-Pierre Raffarin a dû renoncer à cause d’un «problème d’avion». CRISE. Gilbert Collard et Florian Philippot n’ont eu, en revanche, aucun souci de transport pour venir soutenir le jeune frontiste Etienne Bousquet-Cassagne, jeudi. Pour son directeur de campagne Michel Gui- niot, vieux cadre du FN, la victoire à Villeneuve-sur-Lot est plus pro- bable encore qu’à Beauvais où il n’avait manqué que quelques cen- taines de voix à Florence Italiani. Dans le Lot-et-Garonne et dans l’Oise, les candidats du Front natio- nal ont fait à peu près le même score au premier tour: près de 26%. Mais avec 40%, l’UMP Jean-Fran- çois Mancel avait fait beaucoup mieux que le modeste 28% de Cos- tes. Sans mobilisation significative des abstentionnistes, une victoire du FN peut donc raisonnablement être envisagée. En toute hypothèse, l’élection par- tielle de Villeneuve renvoie la droite à sa crise existentielle. Dans l’UMP balkanisée, nombreux sont ceux qui ne se rallieront jamais à la stra- tégie de droitisation. Nathalie Kos- ciusko-Morizet rappelle qu’à Paris, comme à Lyon, les élections pri- maires ouvertes à tous les sympa- thisants ont abouti à la désignation de candidats «qui refusent de mettre sur le même plan un parti extrémiste [le FN] et un parti qui s’inscrit dans le champ républicain [le PS]». Plusieurs responsables de l’UMP se revendiquant de la sensibilité gaulliste militent pour la renais- sance d’un rassemblement «au- dessus des partis». L’ancien prési- dent de l’Assemblée nationale Ber- nard Accoyer est de ceux-là. Comme de nombreux proches de François Fillon, il estime qu’en cherchant à s’affirmer comme une «vraie droite» capable de doubler le FN sur son terrain, l’UMP «se ré- signe au populisme». L’alternative? «Ce serait de faire du vrai gaul- lisme», affirme Accoyer. Vaste pro- gramme… comme disait, juste- ment, le Général.• ParALAINAUFFRAY etGILBERTLAVAL ANALYSE 26%des Français pourraient voter FN à une élection nationale, et 29% à une élection locale, selon un sondage BVA pour l’émission CQFD d’i­Télé. LOT TARN-ET- GARONNE TARN-ET- GARONNE GERS LANDES GIRONDE LOT-ET- GARONNE DORDOGNE Agen 25 km25 km Villeneuve-sur-Lot «Les Français ont bien décrypté que ça n’était pas un front républicain. C’est un front des copains pour rester en place.» FlorianPhilippot vice­présidentduFN,vendredi REPÈRES «Le FN [n’est pas] une alternative crédible. Voter FN, ce serait aider Hollande en affaiblissant la droite et le centre.» Jean­FrançoisCopé présidentdel’UMP,dimanche Le candidat UMP Jean­Louis Costes en meeting mardi à Casseneuil ( Lot­et­ Garonne). PHOTO CHRISTIAN BELLAVIA LIBÉRATION SAMEDI 22ET DIMANCHE 23JUIN 201310 • FRANCE
  • 11. JUSTICE La plainte pour «provocation à la haine ra- ciale» déposée par la Fonda- tion du mémorial contre la traite des Noirs contre le dé- puté UMP Jean-Christophe Vialatte pour un tweet, posté le 13 mai lors des violences du Paris-SG au Trocadéro, assimilant les «casseurs» à des «descendants d’escla- ves», va être retirée après un accord entre les intéres- sés. PARIS La vice-présidente du Modem, Marielle de Sarnez, candidate à la mairie de Paris, a dit vendredi vou- loir «arriver à un rassemble- ment du centre» dans la capi- tale. «J’ai le sentiment surtout d’être extraordinairement influente dans l’équilibre croissance- austérité.» KarineBerger députéePSdesHautes­ Alpes,danslaProvencede vendredi,etquiprovoque l’hilaritésurTwitter 2Femen ont tenté de se jeter sur François Hol­ lande au Bourget en criant le nom de deux Françaises condamnées en Tunisie pour avoir manifesté seins nus. Elles ont été menot­ tées et éloignées par les services de sécurité. M arquer la bonne dis- tance. Ni trop près ni trop loin. Voilà le principal enjeu ce week-end de la visite de François Hol- lande au Qatar. Un confetti, grand comme la Corse, bourré de réserves en gaz et pétrole, et donc riche comme Crésus. En 2010, ce pays est même devenu le plus riche du monde en ter- mes de PIB par habitant. Voilà qui force évidemment le respect. Pour François Hollande, il s’agit à la fois de s’inscrire dans cette longue histoire franco-qatarie, commencée avec François Miterrand et accélérée avec Jacques Chi- rac, et de se détacher (un peu mais pas trop non plus) de la quasi-fusion qu’avait entre- tenue Nicolas Sarkozy avec l’émir Hamed ben Khalifa al-Thani. Une histoire qui continue, d’ailleurs, puis- que, selon le Canard en- chaîné, des diplomates fran- çais venus préparer le voyage de François Hollande ont eu la surprise de tomber nez à nez à Doha avec l’ancien Président venu, lui, rendre visite incognito à son très riche ami. Opacité. Très vite après l’élection de Hollande, le Qatar a fait assaut d’amabi- lité auprès de l’Elysée. Pen- dant l’été 2012, le Royaume aura été reçu à trois reprises. L’Emir une fois, avec tous les égards. Et le Premier ministre à deux reprises. Mais en toute discrétion. Au total, ce sera plus que l’Allemagne d’Angela Mer- kel. «Ils n’avaient qu’une seule crainte, c’est que la col- laboration entre nos deux pays s’arrête», confie un diplo- mate. Le Qatar avait surtout envie que la convention fis- cale qui l’exonère de tout impôt de plus-value immo- bilière dans ses investisse- ments dans l’Hexagone soit confirmée. Elle le sera. Mais, entre-temps, Hollande a cherché à clarifier les non- dits de la diplomatie qatarie. Et notamment ce fonds, ini- tialement destiné aux ban- lieues françaises, et finale- ment fusionné avec la Caisse des dépôts et consignations pour aider au financement des PME. Et puis il y a le jeu trouble du Qatar au Mali, suspecté d’aider des groupes liés à Al-Qaeda au Maghreb islamique. Et enfin cette lutte d’influence sur l’oppo- sition syrienne à laquelle se livrent le Qatar et l’Arabie Saoudite. Paris assure que tout est devenu transparent. «Je ne vois pas d’opacité dans les relations entre nos deux pays», assure même un fonctionnaire. Ce n’est pro- bablement pas vrai. Mais, dans l’entourage du chef de l’Etat, on souhaite que cette visite se place au-dessus «des interrogations et des po- lémiques». En matière de diplomatie tout est affaire de dosage et de symbole. Hollande pas- sera une nuit et presque vingt-quatre heures à Doha. Soit quasiment le temps passé en Russie. Ce qui est beaucoup pour un Président qui ne quitte jamais l’Hexa- gone plus de quarante- huit heures. Mais, en même temps, cette visite intervient après son pas- sage en Arabie Saoudite et aux Emirats arabes unis, les deux concurrents du petit royaume. Une façon, pour Hollande, de prendre un peu de distance. Entrisme. Le chef de l’Etat va évidemment parler affai- res. Redire que le Qatar est le bienvenu en France. D’ailleurs, Paris veut relati- viser l’entrisme du petit émirat au sien du capitalisme français. A l’Elysée, on aime répéter que ses investisse- ments en France (autour de 15 milliards d’euros) ne re- présentent que 10% de la to- talité de son fonds. «Et puis, la France n’est que le qua- trième partenaire commercial du Qatar, loin derrière l’Alle- magne et le Royaume-Uni», assure un conseiller du chef de l’Etat. Ce qui signifie qu’il y a donc une marge de pro- gression. GRÉGOIRE BISEAU FaceauQatar,Hollande gardel’équilibre DIPLOMATIE Le Président ajoute ce week-end une visite à sa longue série de rencontres avec l’émirat. Dominique Strauss­Kahn sera auditionné durant une heure, mercredi, par la commission d’enquête du Sénat, sur le rôle des banques et des acteurs financiers dans l’évasion des capitaux. C’est en tant qu’ancien ministre et ancien directeur général du Fonds monétaire internatio­ nal que Dominique Strauss­Kahn sera écouté. Presque un début de réhabilitation pour celui qui, depuis deux ans, est davantage entendu sur les affaires du Sofitel ou du Carlton que sur ses expertises économiques. Hasard malencontreux du calendrier, le même jour, l’ex­ministre du budget Jérôme Cahuzac doit être entendu par une autre commission d’enquête, cette fois à l’Assemblée nationale, sur le rôle du gouvernement dans son affaire de fraude fiscale. PHOTO AP DSK AUDITIONNÉ LE MÊME JOUR QUE CAHUZAC LES GENS L’émir qatari Hamed ben Khalifa al­Thani, à l’Elysée le 22 août 2012. PHOTO K. TRIBOUILLARD. AFP Il s’agit pour le chef de l’Etat de s’inscrire dans l’histoire franco-qatarie et se détacher de la fusion qu’entretenait Sarkozy avec l’émir. La droite crie au scan­ dale après l’incarcéra­ tion d’un manifestant anti­mariage pour tous. •SUR LIBÉ.FR ParCATHERINECOROLLER HommageàJeanMoulin: Ayraultappelleà«laplus grandevigilance» L’ ex-chef de l’Etat Nico- las Sarkozy se plaçait sans vergogne dans les pas des résistants à l’oc- cupation nazie, comme Jean Moulin ou Guy Môquet. En déplacement dans le Rhône avec son épouse, vendredi, à l’occasion des 70 ans de l’arrestation de Jean Moulin, Jean-Marc Ayrault a fait part, lui, de ses craintes et de ses doutes. Première étape: la maison du docteur Dugou- jon, à Caluire, dans la ban- lieue de Lyon, où Jean Mou- lin fut arrêté le 21 juin 1943. «Nous avons la chance de vivre dans une démocratie, dans une république, mais en même temps on doit se dire que tout cela est fragile, tout cela n’est jamais définitif», a dé- claré le Premier ministre. Faut-il y voir une allusion au contexte politique avec la montée de l’extrême droite, qu’il s’agisse de la législative partielle du Lot-et-Garonne qui voit s’opposer des candi- dats UMP et FN pour le siège de l’ancien ministre Jérôme Cahuzac ou de la mort de Clément Méric, ce militant antifasciste tué par un natio- naliste? «On voit partout re- monter, dans les périodes de désarroi, d’incertitude, dans les pays européens, des mou- vements populistes, des thèses d’extrême droite», a poursuivi Jean-Marc Ayrault. Qui pré- vient: «Il faut toujours rester dans la plus grande vigilance, ne jamais renoncer, ne jamais céder, ne jamais faire preuve de faiblesse.» Deuxième étape: la prison de Montluc, à Lyon, où Jean Moulin et de nombreux ré- sistants furent torturés, no- tamment par Klaus Barbie. Saluant «l’immense courage du préfet résistant» qui a tenté de se suicider en «se tran- chant la gorge avec un débris de verre» plutôt que de céder aux «forces de la tyrannie» qui lui demandaient de si- gner un document accusant les troupes noires de l’armée française de massacres de femmes et d’enfants, Ayrault s’est interrogé: «Je me suis demandé si, moi aussi, j’aurais trouvé la force nécessaire pour résister.» Et d’inviter les écoliers présents à faire de même: «Qu’aurais-je fait à sa place?» • VU DE CALUIRE L’ex­trader de la Société générale Jérôme Kerviel reçoit du soutien… poli­ tique. Jean­Luc Mélenchon jeudi, l’écologiste Julien Bayou hier, sur Libé.fr… Depuis deux jours, du beau monde à gauche sort publi­ quement pour défendre le garçon, peu avant son pas­ sage aux Prud’hommes, ins­ tance devant laquelle il réclame 4,9 milliards d’euros de dommages et intérêts à la banque qui l’a licencié en 2008. «Mon engagement s’inscrit dans la lignée des actions du col­ lectif Sauvons les riches, qui milite pour la régulation bancaire, explique Julien Bayou. Au­delà de l’affaire Kerviel, il y a peut­être une affaire Société générale […]. Quand une fraude est commise dans une entre­ prise, elle doit prouver que la hiérarchie n’était pas au courant –ce que j’ai du mal à croire.» «Kerviel est inno­ cent», pour Mélenchon, qui n’hésite pas à dresser, dans sa lutte contre la finance, un parallèle avec l’affaire Dreyfus. Dans cette «rude bataille en perspective», il compte prendre sa «place comme soldat du rang», explique­t­il sur son blog. LA GAUCHE AU SECOURS DE KERVIEL L’HISTOIRE LIBÉRATION SAMEDI 22ET DIMANCHE 23JUIN 2013 FRANCEXPRESSO • 11
  • 12. LIBÉRATION SAMEDI 22ET DIMANCHE 23JUIN 201312 • FRANCE L e premier tour des élections musulmanes, le 8 juin, est pres- que passé inaperçu. Le second a lieu ce dimanche. Le Conseil français du culte musulman (CFCM) va se doter d’un nouveau bureau et d’un nouveau président, sans doute le recteur de la Grande Mosquée de Paris (GMP), Dalil Boubakeur. Alliés dans beaucoup d’endroits, le RMF (Rassemblement des musulmans de France, sous influence marocaine) et la GMP (sous contrôle al- gérien) ont raflé la mise au premier tour. L’Union des organisations islamiques de France (UOIF, liée aux Frères musul- mans), elle, a décidé au dernier moment de boycotter le scrutin. Le principal défi des institutions musulmanes est leur manque de crédi- bilité auprès des deuxième et troisième générations. Elles ne se reconnaissent pas dans ces batailles alimentées par les réseaux consulaires ni dans la culture des «blédards» qui gèrent le plus sou- vent les mosquées. L’imam de Bordeaux Tareq Oubrou tente de dépasser ces cli- vages. Nous l’avons suivi durant vingt- quatre heures. Vendredi,13h05 Plutôt habitué du complet veston, Tareq Oubrou, recteur de la plus grande mos- quée de Bordeaux, a revêtu un long manteau sombre et un imam sarik, le couvre-chef blanc et rouge traditionnel. Devant une foule compacte, il s’avance vers le micro pour prononcer la khotba, le prêche traditionnel du vendredi. Quelques minutes auparavant, le muez- zin avait appelé les fidèles, un appel seulement diffusé à l’intérieur de la mosquée pour ne pas perturber le voisi- nage. Rue Jules-Guesde, dans le quartier populaire de la gare, la salle du rez-de-chaussée, aux al- lures orientales avec ses carreaux de faïence et ses piliers, est comble. La consigne est stricte: personne ne s’ins- talle dans la rue. Pour faire face à l’af- fluence, les salles de classe à l’étage ont été mises à la disposition des fidèles. Au sol, on a déroulé les tapis. Des Vendrediou laviesagedela mosquéeAl-Huda «Libération» a passé vingt-quatre heures avec l’imam bordelais Tareq Oubrou, loin des divisions qui animent les institutions musulmanes de France. ParBERNADETTESAUVAGET PhotosFRANCKPERROGON RÉCIT Ici, les femmes ont le droit de prier dans la même salle que les hommes.Tareq Oubrou, recteur de la mosquée Al­Huda, la plus grande de Bordeaux. Une des salles de classe de la mosquée. On y apprend l’arabe, les sciences islamiques et la récitation du Coran. Charaffedine Mouslim, secrétaire général des musulmans de la Gironde.
  • 13. LIBÉRATION SAMEDI 22ET DIMANCHE 23JUIN 2013 FRANCE • 13 haut-parleurs retransmettent la khotba. Tareq Oubrou s’exprime en arabe, puis en français: «Je dois être compris par tous», explique le recteur qui a entamé un cycle de réflexion sur «la parole de Dieu». «Elle a plusieurs fonctions, se lance-t-il. Elle est d’abord créatrice.» Son prêche a une tonalité in- tellectuelle, contrairement à beaucoup d’autres prononcés dans les mosquées, à forte connotation morale. L’assistance est hétéroclite, d’origine africaine ou maghrébine. Figure respectée et charis- matique, Tareq Oubrou fédère et attire. Parfois, on vient de loin pour l’écouter. Pragmatique, il a avancé d’une demi- heure la grande prière du vendredi. «Cela permet aux gens qui travaillent de venir pendant la pause déjeuner.» Y as- sister est une obligation pour les hom- mes. C’est facultatif pour les femmes. 13h22 Le prêche est terminé. Dans la salle de prière, il y a au moins 400 personnes. Tareq Oubrou, froissant les fondamen- talistes, a innové: il a autorisé les fem- mes à prier dans la même salle que les hommes. Jeunes ou âgées, elles sont une quarantaine, groupées derrière les hommes. D’autres sont à l’étage. D’un strict point de vue religieux, celles qui ont leurs règles ne peuvent pas participer à la prière. 16h30 Un grand silence règne dans la mos- quée. Un homme passe la serpillière. Deux femmes voilées, bénévoles, assu- rent la permanence à la bibliothèque. Il y a peu d’ouvrages. Ils sont essentielle- ment consacrés à l’islam. Tareq Oubrou est parti se reposer avant la réunion du cercle soufi. Il rentre de Bruxelles, où il a donné une conférence. Auteur de quelques ouvrages, il promeut une adaptation de la religion musulmane au contexte européen, et défend, comme il dit, une «invisibilisation» de l’islam, soutenant que le voile n’est pas une obligation religieuse. Le recteur de la mosquée de Bordeaux est très souvent sur les routes, pour donner des confé- rences. Face à la montée du fondamen- talisme, l’«école Oubrou» tente de faire contrepoids. Très pris, l’homme est épaulé par une équipe: des adjoints, un directeur ad- ministratif et beaucoup de bénévoles. Auparavant, à la fin de la grande prière, il recevait les fidèles pour des consulta- tions privées. «Il faut savoir s’arrêter. Je n’étais plus capable de tout assumer.» Dans les mosquées, l’imam interprète le droit musulman, prodigue des conseils, et joue même parfois le rôle du conseiller conjugal. Le bras droit d’Oubrou, Charafeddine Mouslim, rentre à son bureau, rue Jules- Guesde, après avoir rencontré le direc- teur de cabinet du préfet. «J’ai régulière- ment des rendez-vous avec les autorités», dit-il. Lui dirige la Fédération musul- manedelaGironde(FMG),quiregroupe deux mosquées, celle de la rue Jules- Guesde et celle de Cenon, aux portes de Bordeaux, et une dizaine d’associations. Une mosaïque de structures qui montre la capacité des Frères musulmans –mouvance dans laquelle gravite la FMG, affiliée à l’UOIF– à occuper le ter- rain. Dans ses cartons, le projet d’une grande mosquée à 22 millions d’euros, qui devrait voir le jour d’ici 2020 sur le site d’Euratlantique, un vaste projet d’aménagement de Bordeaux. 18heures Tareq Oubrou prend la route vers la mosquée de Cenon. Ce soir, il y a un in- vité de marque, Eric Geoffroy, islamo- logue de renom, Français converti à l’islam, adepte du soufisme, la branche spirituelle de la religion musulmane. Au fil des ans, Tareq Oubrou s’est créé de plus en plus d’affinités avec cette mou- vance. Pourtant, il ne renie rien de ses attaches avec l’UOIF. Au début des an- nées 80, il faisait partie du «clan des Bordelais», les pères fondateurs de l’or- ganisation. Désormais, il trace sa propre voie, parfois controversée au sein même de l’UOIF. A la mosquée de Cenon, inaugurée en 2005, en attendant la con- férence, certains lisent le Coran, d’autres prient. Tareq Oubrou et Eric Geoffroy sont sur la même longueur d’onde: pour échapper au fondamenta- lisme, plaident-ils, l’islam doit se re- centrer sur sa dimension spirituelle. Samedi,10heures Il y a foule à la mosquée, rue Jules- Guesde. Beaucoup d’enfants et de jeunes. Toutes les salles de classe sont occupées. «Ce n’est pas une école cora- nique au sens strict. On vient ici aussi pour apprendre l’arabe, pour la culture», précise Nabil, le directeur bénévole. Mais il est quand même beaucoup ques- tion de religion. Le coût est modique: 15 euros par mois. Tous les professeurs sont bénévoles. Entre 300 et 400 élèves fréquentent les cours. Dans la grande salle de prière, autour de petites tables, de jeunes enfants s’initient à l’arabe. La moitié des petites filles sont voilées. Française non musulmane, Danielle suit des cours d’arabe à la mosquée. «J’ai beaucoup voyagé dans les pays arabes. Je voulais apprendre la langue», raconte- t-elle. «Il y a trois ou quatre ans, j’ai eu une période un peu difficile ici, poursuit- elle. Des femmes très voilées considéraient que je n’étais pas à ma place.» Rue Jules- Guesde, il y a un silence pudique sur la crise traversée entre 2008 et 2010, avec la tentative d’infiltration de musulmans très fondamentalistes. Depuis, les choses se sont arrangées.• REPÈRES Créé en mai 2003, le Conseil fran­ çais du culte musulman (CFCM) est une instance représentative de l’islam de France, notamment auprès des pouvoirs publics. Mais, déchiré par des batailles internes, il ne joue pas pleinement son rôle dans des dossiers comme la construction de mosquées ou la formation des imams. 1,5million, tel serait le nombre de musulmans pratiquants en France. Les personnes issues de familles d’ori­ gine musulmane seraient 6 millions.
  • 14. MATIGNON Le Premier mi- nistre, Jean-Marc Ayrault, réunira plusieurs ministres lundi matin à Matignon pour faire le point sur «les ques- tions des réparations et de la prévention» après les inonda- tions qui ont touché le Sud- Ouest cette semaine. INONDATIONS De nombreu- ses routes restaient coupées et des villages isolés, ven- dredi, dans le Sud-Ouest. A Lourdes (Hautes-Pyrénées), 37 hôtels resteront fermés pendant des mois. MÈRE Une Jordanienne de 36 ans a été placée sous écrou extraditionnel vendredi à Marseille. Suite à un conflit familial, elle aurait enlevé ses deux fillettes en Suisse. 130C’est le nombre de prêtres qui vont être ordonnés cette année, un chiffre loin de compen­ ser les départs des anciens. Depuis plusieurs années, les ordinations oscillent autour d’une centaine, soit huit fois moins que les départs dus aux retraites ou aux décès. Avec 10 nouveaux curés, Fréjus­Toulon est le diocèse qui attire le plus de postulants. Suivent Versailles (8) et Paris (6). L es preuves manquent toujours, mais les té- moignages sont acca- blants. Le conseiller di- plomatique et interprète personnel du colonel Kadhafi a répété, dans une interview à Complément d’enquête dif- fusé sur France 2 jeudi soir, les accusations de finance- ment de la campagne prési- dentielle de Nicolas Sarkozy en 2007 par l’ancien régime libyen. Alors qu’une infor- mation judiciaire a été ouverte en France à ce sujet, ce diplomate du nom de Moftah Missouri affirme: «Même Kadhafi m’a dit, à moi, verbalement, que la Libye avait versé une vingtaine de millions de dollars.» Menace. Le 30 avril 2012, entre les deux tours de la présidentielle française, Moftah Missouri avait livré une autre version au Figaro. Interrogé par le quotidien, il avait confirmé avoir «eu vent des rumeurs concernant une contribution financière du co- lonel Kadhafi à la campagne du président Sarkozy». Il avait cependant ajouté: «J’ai été pendant quinze ans, en ma qualité d’ambassadeur, l’in- terprète officiel [de] Kadhafi. Je n’ai jamais eu connaissance d’un accord financier.» Avant la chute de Tripoli à l’été 2010, le fils de Kadhafi, Saïf al-Islam, avait aussi ac- crédité la thèse d’un finan- cement, déclarant en guise de menace à l’égard de Sarkozy : «C’est nous qui avons financé sa campagne et nous en avons la preuve. Nous sommes prêts à tout révéler. Nous avons les détails.» Enfin, l’avocat tunisien de l’ex-Premier ministre libyen Mahmoudi Baghdadi, ren- contré par Libération il y a un an, avait également con- firmé ces soupçons. Lors de l’interview à Complément d’enquête, Moftah Missouri a de plus affirmé l’authenticité d’un document dévoilé par Mediapart en avril 2012, qui indique que Tripoli avait ac- cepté de financer pour «50 millions d’euros» la cam- pagne de Nicolas Sarkozy. «Ça, c’est le document de pro- jet, d’appui ou de soutien fi- nancier à la campagne prési- dentielle du président Sarkozy, s’est-il souvenu. C’est un vrai document.» Authenticité.Une authen- ticité pourtant fortement mise en cause. Une enquête est ouverte concernant sa crédibilité après une plainte de Nicolas Sarkozy contre Mediapart pour «publication de fausses nouvelles». Toutes les personnes mentionnées dans ce document avaient démenti son authenticité, tout comme, en 2012, le pré- sident du Conseil national de transition, au pouvoir en Li- bye, Mustapha Abdeljalil. L’enquête des juges permet- tra d’y voir plus clair. Les enquêteurs ont déjà per- quisitionné le domicile de Ziad Takieddine, intermé- diaire en armement, qui a affirmé que la Libye avait bien versé de l’argent à la France. Ainsi que celui de Claude Guéant, où ils ont re- trouvé la trace de plusieurs virements suspects. S.Soc. Argentlibyen:unevoix depluscontreSarkozy FONDS Un diplomate affirme que l’ex-président a reçu des millions de dollars avant l’élection de 2007. Voyageur solitaire sur les routes de France, un homme de 48 ans a com­ mis 93 cambriolages en l’espace de cinq mois en sillonnant les routes de 33 départements. Connu de longue date par les ser­ vices de police, il aurait empoché 40000 euros en s’attaquant aux coffres forts d’établissements sco­ laires, de clubs de sport, en «visitant» des presbytères. Il aurait été arrêté en fla­ grant délit en novembre par une brigade de nuit du commissariat d’Aubenas (Ardèche). Il s’était intro­ duit dans les locaux d’un club de tennis, a révélé, vendredi, le commissariat du chef­lieu du départe­ ment. Il est depuis en détention provisoire. En fouillant son véhicule, des policiers ont trouvé le matériel nécessaire pour percer les coffres, notam­ ment une disqueuse munie de disques en diamants. Sur son ordinateur, les poli­ ciers auraient découvert des films pédo­pornogra­ phiques. L’homme serait fiché comme délinquant sexuel. 40000EUROS DÉROBÉS EN 93CAMBRIOLAGES L’HISTOIRE Un meeting de campagne de Nicolas Sarkozy, en avril 2007. PHOTO LAURENT TROUDE. AFP Un rassemblement silencieux aura lieu samedi en début d’après-midi devant la sous-préfecture d’Argen- teuil (Val-d’Oise) en réaction aux agressions récentes de deux femmes voilées et à un contrôle de police d’une autre en niqab qui dégénéré le 13 juin dans cette commune. De nombreuses associations de lutte contre le racisme et l’islamophobie ainsi qu’un collectif d’habitants se- ront présents. Tous demandent une condamnation sans faille de la part des autorités des actes islamophobes. Cette semaine, le ministre de l’Inté- rieur, Manuel Valls, a envoyé un courrier aux deux femmes agressées. L’une d’elles et l’avocat de l’autre ont par ailleurs été reçus par son direc- teur de cabinet adjoint, jeudi soir. Tout au long de la semaine, de nombreuses voix, dont celle du prési- dent d’ACleFeu, Mohamed Mechma- che, avaient alerté le gouvernement sur la tension montante autour de ces affaires, notamment au sein de la communauté musulmane, étonnée de l’absence de prises de positions de la classe politique après ces agres- sions. Alice Géraud G À CHAUD RASSEMBLEMENT SUITE AUX AGRESSIONS DE FEMMES VOILÉES L’Etatappeléàcondamnerl’islamophobie ParONDINEMILLOT L’héritierducaviar, cocaïnomane,condamné àhuitanspourviols S ur sa page Facebook, la vidéo d’un bébé qui fait des câlins à un gros chien sur fond de musique douce. Dans le huis clos de la cour d’assises de Paris, où il vient d’être jugé pendant deux semaines, le récit des relations sexuelles violentes et des tortures (coups, brûlu- res au briquet-chalumeau, perforation anale) qu’il aurait imposées à deux jeunes femmes. Cyril de Lalagade, 43ans,héritierduprestigieux restaurant la Maison du ca- viar et de la société d’import Caviar Volga, a été condamné vendredi à huit ans de prison pour «viols» et «violences vo- lontaires». Cyril a rencontré Julie (1), alors âgée de 19 ans, en 2003, quand elle était en cure de désintoxication. Séduite, la jeune femme accepte un verre, puis un rail, puis l’ac- compagne dans ses soirées d’orgie, qui durent parfois trois ou quatre jours, à nou- veau totalement accro à la free base (cocaïne fumée). Aux enquêteurs, elle a décrit des partouzes où les «filles» étaient incitées à consommer cocaïne et kétamine, un puissant anesthésiant fourni par un infirmier de l’hôpital Tenon. Coups de ceinture, introduction d’une pipe à crack dans le rectum, «souf- flettes» de fumée brûlante dans le sexe, il «s’acharnait» sur son corps rachitique des journées entières, a-t-elle expliqué. Déchaîné par les effets du free base. La deuxième partie civile, Astrid (1), elle aussi dépen- dante à la drogue fournie par l’accusé, a détaillé les mê- mes sévices. Mais, au début du procès, elle lui a murmuré un «je t’aime», et tient un discours ambivalent, où se mêlent les violences subies et son attachement toujours fort à «Cyril». Sur Facebook, elle a liké tous ses posts. Qui est vraiment Cyril de Lalagade? Derrière la ca- ricature de l’odieux enfant gâté, élevé dans le caviar, ayant si peu à faire de son argent qu’il le consacre à as- sujettir et faire souffrir, se dresse une autre image, celle d’Odette de Lalagade, sa grand-mère. La «reine du caviar», femme du monde et femme à poigne, est à la tête de l’entreprise familiale de- puis la mort de son mari dans les années 80. Elle a élevé son fils, le père de Cyril qui, devenu alcoolique au dernier degré, a été écarté des affai- res et placé sous tutelle. Elle a ensuite élevé Cyril, dont le destin est assez comparable –lui non plus n’a jamais tra- vaillé. On dit qu’Odette, qu’il appelait «maman» (sa mère est absente depuis sa naissance) était «très stricte» mais «ne lui refusait rien de matériel», lui versant un «salaire» de 9000 euros par mois. Ultradépendant à la cocaïne, Cyril de Lalagade n’a pas pu se présenter à son procès, lundi, car il n’était «pas en état». «Avant de faire du mal aux autres, c’est quel- qu’un qui s’est d’abord détruit lui-même», dit son avocat, Jean-Yves Le Borgne.• (1) Les prénoms ont été modifiés. À LA BARRE Après un printemps d’intempéries, quelles perspec­ tives pour la saison touristique à venir? Décryptage. A l’issue d’une semaine d’épreuves, retrouvez nos quiz, reportages et décryptages dans le dossier Bac 2013. •SUR LIBÉRATION.FR LIBÉRATION SAMEDI 22ET DIMANCHE 23JUIN 201314 • FRANCEXPRESSO
  • 15. Japon L’île d’Iwaïshima, noyau dur de la résistance antinucléaire Page VIII Piano Behzod Abduraimov, une touche ouzbèke à Montpellier Page XII leMag SAMEDI 22 ET DIMANCHE 23 JUIN 2013 www.liberation.fr Feu la cacophonie Dès 1986, ils semaient le chaos à coups de farces et d’événements périlleux. Histoire de la bande légendaire qui créa le Burning Man, une ville éphémère surgie dans le désert du Nevada chaque fin d’été. SEBASTIANHYDEETKEVINEVANS
  • 16. LIBÉRATION SAMEDI 22ET DIMANCHE 23JUIN 2013II • LE MAG SOMMAIRE ENTRETIEN John Law L’épopée de la Cacophony Society Trublion de la première heure, l’un des fondateurs de ce réseau anarchique qui a sévi sur trois décennies, raconte. SEBASTIAN HYDE REPORTAGE Yamato Takashi Un Japonais sans atome crochu Natif de l’île d’Iwaïshima, cet entrepreneur a repris le flambeau d’une lutte vieille de trente ans contre la construction d’une centrale. RAFAËLE BRILLAUD PORTRAIT Behzod Abduraimov Pianiste prodige Avec Daniil Trifonov, le jeune Ouzbek compte parmi les meilleurs interprètes apparus ces dix dernières années. ÉRIC DAHAN LA SEMAINE DE L’ÉCRIVAIN Didier Decoin Embrasser un avion sur le museau Croire au GPS, dénombrer une armada, voir les Airbus au Bourget et caser les «Goncourables» dans quatre valises. JF PAGA. GRASSET BOURRE­PAF Antoine de Caunes Revenu de «Nulle part» L’animateur fera sa rentrée au Grand Journal. Du coup, petits doigts et croûtes aux genoux, le Dr Garriberts regresse en 1991. PATRICK KOVARIK JE ME SOUVIENS Mahmoud Ahmadinejad Le pouvoir absolu Le 26 juin 2005, la victoire de l’ultraconservateur à la présidence de l’Iran suscite l’inquiétude dans le pays et à l’étranger. CARLOS G. RAWLINS. REUTERS LE CASTING DU 22 JUIN 2013 PAGE VIIIPAGE IV PAGE XII PAGE XV PAGE XXPAGE XVIII «VU DES ÉTATS­UNIS» SÉLECTIONNÉ PAR PETER KUPER «La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d’homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux.» Il y a quelque chose de camusien dans le combat trentenaire mené par une petite brigade d’insulaires japonais, farouchement opposés au projet d’installation d’une centrale nucléaire, en dépit de la catastrophe de Fukushima. Quelque chose qui force le respect et laisse aussi un arrière-goût d’«à-quoi-bonisme», selon l’expression chère à Serge Gainsbourg. Le respect tient à la ténacité d’une minuscule population qui veut sauver sa peau et refuse mordicus la chronique d’un suicide annoncé. Le malaise réside, lui, dans le sentiment que le combat sera perdu. C’est tout le dilemme camusien: on a raison de se révolter, car c’est le seul moyen de conduire sa vie dans un monde absurde, et cela quel que soit le but que l’on veut atteindre. A leur modeste échelle, ces habitants de l’île d’Iwaïshima sont un modèle de résistance pour la planète entière et c’est bien la force de leur choix et de leur engagement. Si leur lutte renvoie encore à celle de David contre Goliath, elle a aussi la modernité d’une réplique au sens employé en sismographie: les répliques successives d’un tremblement de terre. En s’entêtant à ne pas se résigner, ces hommes du bout du monde incarnent encore une belle idée de l’humanité qui n’a jamais pourtant cessé de s’en prendre plein la figure. L’idée d’un bonheur paradoxal: pour vivre heureux, il faut se battre. L’humanité d’une île ÉDITO ParBÉATRICEVALLAEYS Artiste: Edel Rodriguez, inédit. «Turquie: la réponse du Premier ministre Erdogan à la vague de contestation».
  • 17. LIBÉRATION SAMEDI 22ET DIMANCHE 23JUIN 2013 CHRONIQUES LE MAG • III VOX POPULI ParMATHIEULINDON Sic transit morale mundi U n spectre hante la justice française: Nicolas Sarkozy. Pour peu que toutes les juridictions s’y mettent en même temps, on imagine l’ancien président décrivant son agenda. «Lundi, j’ai Bettencourt. Mardi, j’ai Karachi. Mercredi, j’ai Kadhafi. Jeudi, j’ai Tapie, et vendredi, c’est la journée comptes de campagne.» Peut-être est-ce pour ça qu’il a bourré les prisons, pour être sûr qu’il n’y ait pas de place pour lui. Les petits pois se rebiffent (enfin), ainsi qu’il avait surnommé les magistrats, on ne sait pas qui va passer à la casserole. Ça se paie d’avoir été au pouvoir, on ne peut pas avoir le beurre et l’innocence du beurre. D’autant qu’il y a toujours le risque que, quand le chat n’est plus là, les souris se mettent à table. A commencer par Christine Lagarde qui parle malgré elle avec sa lettre de soumission. Elle, au moins, il peut encore la remercier pour tout ce qu’elle ne sait pas. Et Claude Guéant, qui avait un tel goût du secret qu’il faisait des choses louches sans même tenir son patron au courant, en voilà un autre sur qui compter. Lui, il n’hésite pas à mettre les mains dans la peinture. Il y a un peu plus d’un an, Claude Guéant était ministre de l’Intérieur et faisait les leçons de morale, et maintenant il les reçoit en pleine gueule. Sic transit morale mundi. Mais si Claude Guéant avait droit à 10000 euros par mois, combien pouvait se faire son boss, celui qui allait augmenter dès 2007 le pouvoir d’achat du Président pour que, en toute logique hiérarchique, il soit supérieur à celui du Premier ministre? Nicolas Sarkozy va-t-il réapparaître en tenue de trappiste, robe de bure, sandales et Swatch pour cause de bling-bling badaboum? Le problème est que, s’il dit «j’ai changé», comme il le dit à chaque fois, ça voudra dire qu’il n’a pas changé. Et s’il dit qu’il n’a pas changé, ce qui serait un changement, il est à craindre que ce ne soit pas fameux en termes de retombées électorales. L’ancien président ne peut pas écrire ses «Mémoires»; ses mémoires, il les confie aux greffiers. Peut-être que, désœuvré, il joue maintenant dans sa chambre avec des petits ministres de plomb sur une grande carte de France pour mener l’offensive contre le chômage. «A toi, Brice, enfonce-le sur la droite.» On le voit devant sa télé, à chaque G8 ou G20, comme un érudit devant un jeu télévisé: «Mais non, ce n’est pas du tout ça la bonne réponse.» Il doit être dégoûté que ses anciens copains (Obama, Poutine) continuent de s’amuser sans lui –c’est comme si on avait envoyé Atlas jouer sur la plage, un pur gâchis. Et chaque fois qu’apparaît François Hollande en représentation: «C’est ça, mon gars, régale- toi, prends ton bon temps. Aie l’air content, au moins. Gâche pas ta joie.» Ça doit lui faire bizarre de penser qu’il n’est plus aux commandes et que ça ne change pas: il va encore falloir travailler plus pour gagner moins. Même ses adversaires ne peuvent toutefois pas nier que, sous son quinquennat, certains scandales auraient épargné la France. «Si j’avais été là, il n’y aurait pas eu d’affaire Cahuzac ou autre. On tenait la justice, nous, on ne faisait pas le jeu du Front national.»• REGARDER VOIR ParGÉRARDLEFORT Classe de mer Q uelle allure, quel chic, quelle classe. Le parfait portrait à deux d’un cer- tain style de vê- ture qui est aussi un style de vie. A gauche, le composi- teur Benjamin Britten, et de profil, le regardant, Eric Cro- zier, écrivain, metteur en scène et surtout principal li- brettiste des œuvres de Brit- ten. On ne peut pas faire abs- traction du fait ethnologique que ces deux-là sont britan- niques. Et que leur allure en découle en partie, parangon du fameux dandysme anglais qui, à l’instar de l’inégalable Brummell, permet de rester élégant même après s’être roulé dans la boue ou avoir chuté dans la misère. Détaillons l’ensemble: cos- tume (en tweed probable- ment, la netteté de la photo ne permettant pas de tran- cher), chemise blanche, pull à torsades pour Crozier, cer- tainement sans manches, et, accessoired’importance,une cravate. Ces deux hommes sontjeunesàladate(1949)de la photo (Britten a 36 ans et Crozier35),mêmesi,àl’épo- que, on était plus vieux plus tôt, a fortiori quand on a der- rière soi des œuvres majeures et un opéra, Peter Grimes, qui fait déjà date dans l’histoire de la musique du XXe siècle. Ils sont jeunes, Benjamin et Eric, et ils portent cravate. Aujourd’hui, on dirait qu’ils font fanés, désuets ou réac- tionnaires ainsi radicalement cravatés. Or pas du tout. Leur classicisme est tel, si inac- tuel, si parfait en son genre (jusqu’aux chaussures im- peccablement cirées de Brit- ten, à cinq œillets) qu’il con- fine à l’excentricité. Ainsi, de nouveau, cette satanée cra- vate dont Soupault expliqua un jour à Breton, qui s’éner- vait qu’il la porte aux AG sur- réalistes, qu’elle est aussi un nœud pour se pendre. La disposition physique des deux hommes est comme la métaphysique de leurs cos- tumes. Le temps devait être gris et incertain ce jour-là sur la plage de galets d’Alde- burgh. On sent la mer du Nord prête à bondir, le vent hargneux. Ce qui est phéno- ménal, c’est que le climat a priori maussade soit pris avec autant de grâce et de bonheur par les deux com- pagnons: Crozier qui sourit d’être aussi superbement coiffé-décoiffé par la risée, Britten qui, grimpé sur une bitte d’amarrage et en plein devenir lierre, improvise de tout son corps un entortille- ment de liane propre à défier les arrachements d’une lame de fond traîtresse. Voyons ses mains, fines et longues, qui ne sont pas tant des mains de pianiste que des pattes ani- males, griffes ou serres, prê- tes à agripper. Voyons sur- tout qu’embellis par les éléments, Britten et Crozier sont comme deux machinis- tes de l’univers, à la fois pré- posés et inspirés. Car, enfin, que voit-on dans l’arrière-monde de cette image? Un canot en cale sè- che, peut-être une barque de sauvetage, une promesse d’aventure en mer, aussi ex- citante que périlleuse. Autant dire le futur, car l’avenir de ces deux gars de la plage sera océanique lors- que, deux ans plus tard, Brit- ten et Crozier, avec le renfort de E. M. Forster, vont inven- ter, d’après Melville, l’opéra Billy Budd, marin. Ce serait plausible, donc idéal, que Britten et Crozier en aient eu le pressentiment ce jour-là, entre deux grains, une bonne blague (on soupçonne que Crozier sourit autant aux propos de Britten qu’aux ca- prices du vent) et l’épreuve photographique qui, à cet instant d’immortalité, fixe des artistes, des hommes, des amis, déjetés et libres, heureux d’être vivants, che- veux au vent.• LIBÉRATION SAMEDI 15ET DIMANCHE 16JUIN 2013 LIBÉRATION SAMEDI 15ET DIMANCHE 16JUIN 2013VIII • LE MAG CÉLÉBRATION CÉLÉBRATION LE MAG • IX TexteetphotosÉRICDAHAN EnvoyéspécialdansleSuffolk De Lowestoft où il est né il y a cent ans, à Aldeburgh où il s’est éteint le 4 décembre 1976, des membres de sa famille, des amis et des interprètes de sa musique évoquent le compositeur anglais majeur du XXe siècle dont l’œuvre est hantée par la guerre, l’injustice et la souillure morale. Lemondecruelet lyriquedeBritten que le plus important compositeur an- glais depuis Henry Purcell a vécu et créé son festival dans un village portuaire voisin, Aldeburgh. Pour le centenaire de sa naissance, Lowestoft s’est toutefois fendu d’une nouvelle plaque commé- morative au 21 Kirkley Cliff Road, adresse de la Britten House en brique rouge où il a grandi, désormais trans- formée en hôtel. Tennis et croquet Le maire a également bataillé pour que la fontaine municipale s’anime à inter- valles réguliers, au son des Sea Interlu- des de l’opéra Peter Grimes et autre Sim- ple Symphony, une pièce ludique et virtuose écrite par Britten entre ses 9 et 13 ans. Son père, chirurgien-dentiste, recevait ses clients au rez-de- chaussée et, depuis sa fenêtre, Britten pouvait voir la mer du M algré les noms familiers des grandes surfa- ces aperçues sur la route, vi- siter le comté de Suffolk, sur la côte Est de l’Angleterre, c’est aussi voyager dans le temps. Il y a d’abord le premier train, aux allures de micheline, qui part de la gare de Liverpool Street à Londres. Puis le second, deux wagons à peine, qu’on attrape à Ipswich. Enfin, les passagers comme le contrôleur parlent un anglais affable, lui aussi d’un autre âge. Si Lowestoft n’a jamais développé le tourisme en rapport avec Britten qui y est né le 22 novembre 1913, c’est parce Benjamin Britten et Eric Crozier, sur la plage d’Aldeburgh, en 1949. PHOTO KURT HUTTON. PICTURE POST. GETTY IMAGES Le moulin où Britten, ci­dessous en 1946, écrira Peter Grimes, son plus célèbre opéra. PHOTOS É. DAHAN. GEORGE RODGER. TIME LIFE PICTURES. GETTY IMAGES The Red House, la dernière demeure du compositeur, (ci­dessus) au volant, en juin 1964. PHOTOS ÉRIC DAHAN. LEBRECHT, RUE DES ARCHIVES KURTHUTTON.PICTUREPOST.GETTYIMAGES Libération des 15 et 16 juin.