1. INTERVIEW
JEAN-PAUL BOMBAERTS
C’
est sous le règne de
Léopold III que la Bel-
gique a connu ses
heures les plus graves.
Le fossé grandissant entre la mo-
narchie et la classe politique va dé-
boucher sur la «question royale»
qui, lors de la consultation popu-
laire de 1950, a placé la Belgique au
bord de la guerre civile. Des histo-
riens du nord et du sud du pays
ont produit une biographie du 4e
roi des Belges, rééditée chez André
Versaille et disponible en librairie à
partir de ce jeudi. «Le but de cet ou-
vrage n’est pas d’enflammer une nou-
velle fois les esprits», précise l’édi-
teur. Cet ouvrage collectif a été di-
rigé par les historiens Vincent
Dujardin (UCL), Michel Dumoulin
(UCL) et Mark Van den Wijngaert
(KU Brussel). Vincent Dujardin
analyse, pour «L’Echo», ce règne
court (1934-1944) et controversé.
Tout avait, semble-t-il, bien com-
mencé pour Léopold III.
En tant que prince héritier, Léo-
pold était, en effet, très populaire.
Davantage même que n’importe
quel prince héritier. Il avait même
le soutien de la gauche suite à son
discours de 1933 où il a dénoncé le
capitalisme au Congo. Et pourtant,
son règne sera le plus court et le
plus controversé.
Léopold est-il vraiment prêt
lorsqu’il monte sur le trône?
Non, il dira lui-même, au soir de sa
vie, qu’il l’était sur le plan militaire,
mais pas sur le plan politique. Son
père lui avait très peu parlé de poli-
tique. Léopold III, qui connaîtra 12
gouvernements en six ans durant
son règne, s’est senti désarmé en la
matière.
Pendant les années de guerre,
quels sont les mobiles de ses
choix politiques?
Il se demande ce qu’aurait fait son
père en des circonstances sembla-
bles. Mais il n’a pas perçu qu’on se
trouvait dans une tout autre confi-
guration qu’en 1914. Je songe évi-
demment d’abord à la réalité na-
zie, dont il n’a pas rapidement pris
la mesure. Il va dès lors pratiquer
une politique de neutralité même
durant la guerre et n’hésitera pas à
mener un voyage de noces en Au-
triche, durant un mois, en 1941.
Pourquoi la communication est-
elle si difficile avec le gouverne-
ment belge de Londres?
Il y a deux politiques différentes
qui sont menées, le roi qui entend
rester près de son peuple au pays,
mais aussi neutre, alors que le gou-
vernement place la Belgique dans
le camp des alliés et va faire entrer
la Belgique dans l’ère des alliances.
Ce sera le Benelux, puis l’Europe au
lendemain de la guerre, projets à
l’égard desquels Léopold III restera
sceptique. Et puis le roi n’a pas par-
donné aux ministres les propos
désagréables tenus en 1940 au mo-
ment de la capitulation, ce qui ren-
voie au fameux testament poli-
tique.
En quoi ce testament politique
constitue-t-il une rupture?
Ce sera un des motifs majeurs de la
rupture entre le roi et son gouver-
nement. Par ce texte rédigé en
1944, il se met à dos à la fois les al-
liés, le gouvernement, et un grand
nombre de dirigeants politiques
belges. De par son exigence d’une
réparation pour les propos tenus
en 1940, mais aussi parce qu’il dé-
nonce les accords internationaux
pris par le gouvernement de Lon-
dres. À mon avis, il s’agit de la
cause principale de sa chute en
1950.
Quels sont les groupes et les or-
ganisations qui prennent sa dé-
fense?
Du côté du PSC-CVP, il comptera
des ardents défenseurs, mais
même au sein de ce parti, des gens
comme Gaston Eyskens, August De
Schyver ou Frans Van Cauwelaert
se prononçaient en faveur de l’effa-
cement. On parle quand même du
Premier ministre, du président du
parti ou du président de la Cham-
bre de 1949… Il y aura aussi toute
une série de mouvements léopol-
distes qui soutiendront sa cause,
en se montrant parfois plus roya-
listes que le roi.
Quelles sont les véritables causes
de l’abdication? Y a-t-il eu des
pressions de la part des alliés?
Les alliés étaient contre le retour
du roi, les Américains disant même
qu’il fallait l’éliminer, sur le plan
politique bien entendu. Mais, à
mon sens, les véritables causes sont
belgo-belges, à savoir le fossé qui
s’est créé entre le roi et le monde
politique, qui a conduit à l’abdica-
tion en deux temps après que le
sang eut coulé.
Faut-il accréditer la thèse de
l’hebdomadaire «Marianne» qui
affirme que Léopold III était anti-
sémite?
Le roi a, de fait, encore au début de
la guerre, pu tenir des propos cho-
quants, en utilisant le mot «juive-
rie» auprès de son secrétaire. Par
contre, durant la guerre, il écrit
dans son carnet de guerre ainsi
que dans des let-
tres adressées à
Hitler son souci
personnel concer-
nant le sort des
Juifs de Belgique.
Léopold III, éd.
André Versaille,
400 pg, 20 eur.
L’ECHO JEUDI 3 OCTOBRE 2013 13
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Dans l’entreprise, une communica-
tion de qualité contribue à la crois-
sance de l’organisation.
La communication ouverte à
tous les niveaux permet d’avancer
dans la même direction, de trans-
mettre les contraintes et attentes
réciproques, de donner de l’espace
à la volonté de ceux qui le souhai-
tent de pouvoir participer à la vie
de leur organisation, tant au ni-
veau des projets que des résultats,
de réduire les cloisonnements, de
conforter les liens de collaboration
entre dirigeants et collaborateurs,
de favoriser le dialogue entre par-
tenaires sociaux, etc.
Si la législation belge fixe un so-
cle d’informations concrètes qui
doivent être transmises aux repré-
sentants du personnel au travers
d’instances formelles, celui-ci ne
constitue cependant qu’une indi-
cation du contenu et de la struc-
ture minimum qui, selon nous, ne
permet pas d’atteindre les objectifs
évoqués ci-avant. Pour être effi-
cace, cette base légale doit être
améliorée, si pas quantitativement,
à tout le moins dans le qualitatif.
Les canaux de circulation de
l’information sont généralement:
La direction générale, directe-
ment ou indirectement, par le biais
de moyens internes mais aussi via
les médias traditionnels externes;
La hiérarchie, de façon formelle
dans le cadre de réunions ou infor-
melle dans le cadre d’autres
contacts;
Les supports écrits de tous types
qui circulent à l’intérieur des orga-
nisations (notes de service, publi-
cations internes, intranet, tracts
syndicaux, etc.);
Les représentants du personnel;
Enfin, en l’absence de renseigne-
ments rapides et fiables, les
rumeurs prendront le relais.
La qualité de la communication
d’une direction ou de l’encadre-
ment est conditionnée par leurs
aptitudes en la matière, leur dispo-
nibilité effective, leur connaissance
de l’interlocuteur, mais également
par le contenu, qui peut porter sur
les matières techniques mais aussi
— et peut-être surtout — sur les
informations générales en matière
de perspectives ou d’objectifs
poursuivis par l’organisation, ces
dernières étant indispensables à
l’engagement individuel des tra-
vailleurs.
Enfin, la communication est
permanente, omniprésente et,
sous peine d’en laisser l’initiative à
d’autres, dont les représentants du
personnel, elle est mise en œuvre
par l’entreprise. Elle doit par ail-
leurs être congruente et, concrète-
ment, il est impératif de dire ce qui
se fait et pourquoi mais aussi de
faire ce qui est dit. Elle contribuera
à la rentabilité si elle génère et
maintient un dialogue franc et
ouvert entre tous les interlocu-
teurs, dialogue qui ne saurait vivre
sans écoute.
Et les médias sociaux?
Les médias sociaux — Facebook,
Twitter, blogs et plateformes mul-
timédias — constituent de nou-
veaux canaux de communication,
que les entreprises commencent à
utiliser dans le cadre de l’«em-
ployer branding», mais pas pour
des messages destinés à leurs colla-
borateurs ou encore, lors d’un
conflit social. Par contre les organi-
sations syndicales utilisent de plus
en plus les médias sociaux comme
outils de communication vers
leurs membres et les représentants
du personnel s’en servent aussi au
sein de l’entreprise afin d’augmen-
ter leur visibilité, leur influence.
Facebook est souvent utilisé
pour organiser des actions syndi-
cales dans l’entreprise soit en utili-
sant un profil personnel (ACV Ford
Genk), soit un groupe fermé ou
secret (BBTK Volvo Gand) ou
encore, une page de fans Facebook
(FGTB Bruxelles);
Twitter est principalement uti-
lisé pour soutenir des actions, des
grèves ou des campagnes (@ FGTB
Wallonne – #FGTB et ABVV avec
#30J);
Les blogs donnent aux représen-
tants syndicaux une plateforme
pour exprimer leurs opinions et
mettre leurs idées en avant (ACV
De Lijn Oost-Vlaanderen);
L’utilisation des plateformes
multimédias en est encore à ses
débuts mais, grâce à des applica-
tions comme Instagram et
YouTube, elle est également en
hausse.
Grand impact,
mais pas sans risque!
Bien que ces médias sociaux puis-
sent avoir un grand impact grâce à
leur caractère public, ils ne sont
pas sans danger:
L’utilisation de Facebook par les
représentants du personnel a été
importante au cours des dernières
élections sociales avec l’utilisation
de groupes «fermés» pour faire
campagne, groupes qui se sont
cependant révélés accessibles à
tout le monde;
Twitter est un outil puissant.
L’ABVV a lancé le hashtag «#30j»
qui avait pour but de recueillir des
informations sur la grève générale
du 30/01/2012 et les adversaires de
la grève l’ont utilisé pour essayer
de convaincre les gens de ne pas y
participer; L’ABVV a perdu le
contrôle de la conversation et la
discussion s’est retournée contre
elle.
Les défis?
Les entreprises et les organisations
syndicales ont deux grands défis:
encadrer l’usage des médias so-
ciaux et former à leur utilisation.
Enfin, aujourd’hui, l’entreprise
qui ne s’adresse pas à ses collabora-
teurs via ces nouveaux canaux
loupe une opportunité de commu-
nication directe, rapide, et prend le
risque de laisser la place à d’autres,
certainement lors de conflits so-
ciaux.
Une question? Posez-la à
namotte-patrick@skynet.be
Relations
sociales et
médias sociaux
L’entreprise
qui nes’adressepas
à sescollaborateurs
vialesmédias
sociauxloupe
une opportunité
decommunication
directe.
PATRICK NAMOTTE
& MIC ADAM
Consultants indépendants
«En tant que
prince héritier,
Léopold était très
populaire.»
Vincent Dujardin,
professeur à l’UCL
Lemonde est peut-être en passe de
bénéficier desénormes retombées
delaprochaine révolution indus-
trielle: l’internet industriel. Cette
mutationindustrielle passionnante
seraalimentée parlatechnologie.
Les étudiants d’aujourd’hui peu-
vent en être lesgrandsbénéficiaires,
àlaconditionqueleurs pouvoirs
publics lessoutiennent.
Pourl’Europe,l’enjeu est considéra-
ble. Un rapportpubliérécemment
parGE,intitulé «The Industrial Inter-
net —Pushingthe Boundaries of
Minds and Machines:A European
Perspective», révèlequel’internetin-
dustriel— unréseau mondial ou-
vertpermettant une interactionen-
tre lespersonnes, lesdonnées etles
machines — est susceptible degon-
fler de2,2trillions d’eurosle PNB
européen àl’horizon2030.Ce mon-
tant représentele quart del’enver-
gureactuelledel’économie dela
zone euro.L’ensemble delasphère
économiquepourrait, en outre,
épargnerdes milliards d’eurospour
toutgaindeproductivitéde1% par
anaucours des 15prochainesan-
nées.Précisons quecesdeuxesti-
mations sont relativement pru-
dentes.
L’internetindustriel pourrait
égalementdevenirle catalyseurde
la«révolutiondelaproductivité» en
Europe.Une révolution quinous
permettrait d’éviter des centaines
demilliards d’eurosdegaspillage
deressourcesdanstouslesgrands
secteurs industrielseuropéens,etce
en combinantdes machines
connectées àinternet, le diagnostic
des produits, le génie logiciel etune
analyseapprofondie, en vuede
conféreràl’activité économiqueun
surcroît d’efficacité,deproactivité,
deprédictibilité etd’automatisa-
tionstratégique.
Manque decerveaux
Ce rapportsouligne laquestion de
ladisponibilité d’un réservoir deta-
lents suffisant, quireprésente un
défimajeurpour l’Europeetpour la
Belgique. Selonlesprojections ef-
fectuées sur labase des chiffresac-
tuels, on observera undéficit de
700.000 ingénieurs ettechniciens
qualifiés dans lahaute technologie
européenne en2015.
L’internetindustriel reposerasur
lesnouvelles technologies, maisson
succès dépendra étroitementdela
disponibilité des compétences et
des talents requis.Pourexploiter
pleinement le potentieldel’inter-
net industrielen Belgique,il faudra
cultiverdenouveauxsavoir-faire,
nonseulementen formant davan-
tage dejeunesauxsciences, àl’ingé-
nierie etàl’informatique, mais
aussi en développant denouvelles
synergies decompétences combi-
nantlamaîtrise logicielle àdiverses
expertisesen ingénierie.Il faudra
aussi mettre en place undispositif
transfrontalier quifavorise ces
avancées, ainsiqu’uneplus grande
mobilitédes travailleursqualifiés.
Dans leconcerteuropéen
Euégardàl’ampleur des retombées
potentiellesdel’internetindustriel,
laBelgiqueatoutavantage àsepo-
sitionnerle plus favorablement
possible,en s’associant àd’autres
Étatsmembreseuropéens,pour
ajuster sa politique d’investisse-
mentdansle butd’intégrer rapide-
mentlesnouvellestechnologies
danssontissuéconomique,de
créer etdedévelopperle réservoir
detalents requis, ainsiqued’instau-
reruncadrefavorisant latransmis-
sionsûre etaiséedes données par-
delàlesfrontières.AucunÉtatne
réussiracetexerciceisolément.
Une actionconcertée etsyner-
giquedansl’optiquedumarché
uniqueengendreratrois avantages
majeurs. D’abord, ellefavorisera
l’harmonisation des systèmes juri-
diques etinstitutionnels concernés.
Ensuite,cette harmonisation maxi-
malisera leséconomiesd’échelle
quisont delongue date l’essence
même del’intégration économique
etfinancièreeuropéenne. Enfin,elle
contribuera àréduirelesdéséquili-
bresdecroissance etmacroécono-
miquesentrelespays européens–
des déséquilibres quiontjouéun
rôlemajeurdanslarécente crise
économique.
Àl’heure deprofiler lastratégie
européenne en matièred’internet
industriel, lesdécideurs politiques
devront surmonter leurs réflexeset
clivages nationaux etconfession-
nels. Ilsdevront,àl’inverse, mettre
l’accent sur l’interaction entre les
nationsetlessecteurs industriels.
Aujourd’hui, comment créer des
conditions aussi propices quepossi-
ble àcette prochaine révolution,
afin d’en cueillir lesfruits aumaxi-
mum?
Primo, lesÉtatseuropéens doi-
vent mettre en place uncadrepoli-
tique solidefavorisant la libre cir-
culation des données dans unenvi-
ronnement sécurisé,excluant toute
différenciation des normes etdes
règles selonlespays oulestypes de
données.Fauted’une bonne ap-
proche, lesnouvelles règles instau-
rées dansce domaine pourraientse
muer en obstacles majeurs àl’éco-
nomienumérique.
Secundo, demultiples initiatives
doivent être prises dans le but d’en-
courager ledéploiement del’in-
ternetindustriel en Europe. Parmi
cesinitiatives, épinglons une poli-
tiqued’achats intelligents, notam-
mentdes pouvoirspublics,pro-
mouvant lesinvestissements dans
lestechnologies etlestalents géné-
rant le plus deretombées àlong
terme, laréorientation des méca-
nismesdefinancementactuels,
l’instaurationd’uncadreeuropéen
pour le capitalàrisquepour lesin-
vestissements transfrontaliers, ainsi
quelacréation d’incitants régle-
mentairesetfinanciers àl’investis-
sement privé.
L’Europeest àl’aubed’une nou-
velle èredecroissance, quine se
concrétisera toutefois pas envase
clos.Lemoment est venu detout
mettreen œuvrepour ne pas rater
une telleopportunité.
Comment accueillir
au mieux la
prochaine révolution
industrielle?
L’internetindustriel, lanouvellerévolution
HENDRIK BOURGEOIS
Vice-président European Affairs
General Electric (GE), président
AmCham EU