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La prodigieuse actualité scientifique de la théorie mimétique 

En 2004 Scott Garrels, un chercheur américain en psychologie clinique, a – en premier – fait remarquer 
la  ressemblance  « extraordinaire »  (Garrels  2004)  entre  les  découvertes  toutes  récentes  (et  souvent 
fortuites) dans son domaine et les écrits d’un certain anthropologue français nommé René Girard. Les 
recherches  en  neurosciences  et  en  psychologie  expérimentale au sujet  de  l’imitation  sont  en  train  de 
découvrir la thèse que Girard a soutenue depuis déjà plus de quatre décennies. Nous sommes témoins 
d’un  fait  assez  rare  dans  l’histoire  des  sciences:  une  grande  avancée  scientifique  (comparable  à  la 
découverte  de  l’ADN  selon  les  spécialistes)  a  déjà  été  entièrement  devancé  par  un  historien  qui  a 
travaillé sur des textes littéraires et anthropologiques.  
 
Selon le mot de Robert Sylvester les découvertes récentes sont si monumentales que « nul ne sait qu’en 
faire ». Le temps est venu de rassembler les chercheurs en sciences dites « dures » et les chercheurs en 
sciences humaines pour éclairer leurs lanternes réciproques. Le divorce actuel de ces deux pans de la 
pensée  humaine,  divorce  si  souvent  et  vivement  déploré  par  Michel  Serres,  n’est  pas  aussi  définitif 
qu’il  semble.  Le  temps  est  venu  de  se  rendre  à  l’évidence :  une  vraie  recherche  commune  n’est  non 
seulement louable, mais indispensable. Ce sera là sans doute une des tâches capitales de l’Association 
pour les Recherches Mimétiques. 
 
Mais  quelles  sont  ces  découvertes  récentes ?  Il  y  a  d’abord  la  découverte  des  « neurones  miroirs » 
auxquelles  Michel  Serres  a  fait  référence  dans  sa  réponse  au  discours  de  réception  de  Girard  à 
l’Académie française. Il y a aussi les derniers travaux d’Andrew Meltzoff et autres qui prouvent que 
les êtres humains n’imitent pas tant les comportements extérieurs comme on a toujours pensé, mais les 
intentions des autres, ce que Girard n’a pas hésité à appeler le désir d’autrui.  
 
Pour un aperçu de la révolution dans notre vision de l’imitation – avec référence à Girard – voici cet 
article de Simon De Keukelaere paru dans Automates Intelligents : 
 
Des découvertes révolutionnaires en sciences cognitives 
Les paradoxes et dangers de lʹimitation 
 
La découverte des neurones miroirs est absolument renversante.  
Cʹest aussi la découverte la plus importante et elle est pratiquement négligée  
parce quʹelle est si monumentale que nul ne sait quʹen faire. 

                                                                                                            __ROBERT SYLVESTER  

Les neurones miroirs 
 
Lʹune des plus grandes révolutions scientifiques de notre temps ‐ selon moi, la découverte des 
ʺneurones miroirsʺ ‐ nʹa pas encore reçu beaucoup de publicité. Il y a fort à parier toutefois que cette 
découverte va avoir dʹénormes conséquences pour notre compréhension de lʹhomme. Comme lʹa écrit 
le directeur du Center for Brain and Cognition de lʹuniversité de Californie : 

          The discovery of mirror neurons is the single most important ʺunreportedʺ story of the decade. I predict that mirror neurons 
          will do for psychology what DNA did for biology: they will provide a unifying framework and help explain a host of mental 
          abilities that have hitherto remained mysterious and inaccessible to experiments. (V.S. Ramachandran, 2000). 
(La découverte des neurones miroirs est la plus importante nouvelle non‐transmise de la décennie. Je prédis que les neurones 
         miroirs  feront  pour  la  psychologie  ce  que  la  DNA  a  fait  pour  la  biologie.  Elles  vont  fournir  un  cadre  unifiant  et  aider  à 
         expliquer une quantité de dispositions mentales qui jusquʹà maintenant restaient mystérieuses et inaccessibles à lʹempirisme). 


Les neurones miroirs sont des neurones qui sʹactivent, non seulement lorsquʹun individu exécute lui‐
même une action, mais aussi lorsquʹil regarde un congénère exécuter la même action. On peut dire en 
quelque sorte que les neurones dans le cerveau de celui/celle qui observe imitent les neurones de la 
personne       observée;       de        là     le       qualitatif    ʹmiroirʹ    (mirror     neurons). 
Cʹest un groupe de neurologues italiens, sous la direction de Giacomo Rizzolati (1996), qui a fait cette 
découverte sur des macaques. Les chercheurs ont remarqué ‐ par hasard ‐ que des neurones (dans la 
zone F5 du cortex pré moteur) qui étaient activés quand un singe effectuait un mouvement avec but 
précis (par exemple: saisir un objet) étaient aussi activés quand le même singe observait simplement ce 
mouvement chez un autre singe ou chez le chercheur, qui donnait lʹexemple.  

 




                                                           
Zone F5 du cortex pré moteur 

Il existe donc dans le cerveau des primates un lien direct entre action et observation. Cette découverte 
sʹest  faite  dʹabord  chez  des  singes,  mais  lʹexistence  et  lʹimportance  des  neurones  miroirs  pour  les 
humains  a  été  confirmée(1).  Dans  une  recherche  toute  récente  supervisée  par  Hugo  Théoret 
(Université  de  Montréal),  Shirley  Fecteau  a  montré  que  le  mécanisme  des  neurones  miroirs  est  actif 
dans le cerveau immature des petits enfants et que les réseaux de neurones miroirs continuent de se 
développer dans les stades ultérieurs de lʹenfance. Il faut ajouter ici que les savants sʹaccordent pour 
dire que ces réseaux sont non seulement plus développés chez les adultes (comparé aux enfants), mais 
quʹils  sont  considérablement  plus  évolués  chez  les  hommes  en  général  comparé  aux  autres 
primates(2). 
 
Lʹhomme  est  un  animal  social  qui  diffère  des  autres  animaux  en  ce  quʹil  est  plus  apte  à  lʹimitation, 
Aristote le disait déjà (Poétique 4). Aujourdʹhui on peut tracer les sources cérébrales de cette spécificité 
humaine.  La  découverte  des  neurones  miroirs  permet  de  mettre  le  doigt  sur  ce  qui  connecte  les 
cerveaux  des  hommes.  En  outre  cette  découverte  a  encore  confirmé  lʹimportance  neurologique  de 
lʹimitation chez lʹêtre humain. Comme le dit très bien Scott Garrels (2004) : 

         Convergent  evidence  across  the  modern  disciplines  of  developmental  psychology  and  cognitive  neuroscience  demonstrate 
         that  imitation  based  on  mirrored  neural  activity  and  reciprocal  interpersonal  behaviour  are  what  scaffold  human 
         development (p. 3). 


         — Des preuves convergentes de la psychologie du développement et de la neuroscience cognitive démontrent que lʹimitation 
         basée sur lʹactivité neurale miroir et le comportement réciproque interpersonnel est ce sur quoi est construit le développement 
         humain —. 


Lʹimitation est importante pour lʹapprentissage, le langage, la transmission culturelle, mais aussi pour 
lʹempathie, par exemple. Quʹon peut mieux saisir lʹempathie à lʹaide des neurones miroirs est facile à 
comprendre:  très  vite  lʹenfant  fait  lʹexpérience  de  lʹautre  comme  ʹquelque  choseʹ  qui  peut  ʹfaire  la 
même choseʹ que lui. En imitant et en étant imité les enfants apprennent que de tous les objets qui les 
entourent seuls les êtres humains peuvent vivre les mêmes expériences quʹeux.  

Un dialogue prometteur 
 
Quand on met le doigt sur le spécifiquement humain il faut sʹattendre à un échange entre sciences 
expérimentales et sciences humaines. En effet, grâce à ces découvertes récentes en neurosciences un 
dialogue fascinant entre sciences humaines et sciences expérimentales est en train de sʹétablir. Il faut 
se référer ici ‐ entre autres ‐ aux volumes de Hurley et Chater Perspectives on Imitation: From 
Neuroscience to Social Science (MIT Press 2005).  
 
Avec cet article nous voulons participer un peu à ce dialogue. Dʹabord en donnant un très bref aperçu 
historique de lʹancienne vision sur lʹimitation qui avait cours dans les sciences humaines, vision 
désormais révolue. En suite en montrant quʹon peut faire un lien fort étonnant entre lʹanthropologie 
du chercheur franco‐américain René Girard et les conclusions récentes de chercheurs en neurobiologie 
(en se référant dʹabord aux travaux de Meltzoff sur le rapport entre imitation et intention). Et 
finalement en parlant de ce qui me paraît encore une lacune dans la recherche actuelle: le lien quʹon 
peut faire (et quʹon devrait explorer) entre imitation inconsciente et la naissance de la rivalité, de la 
violence entre deux (ou plusieurs individus).  

DE PLATON À GIACOMO RIZZOLATI ET AL. 
Le processus dynamique et intersubjectif nommé ʹimitationʹ est vital pour le développement humain 
et pour la transmission de la culture durant toute notre vie « in ways that we are just beginning to 
understand » (Hurley & Chater, 2002). Selon les chercheurs nous ne commençons quʹà saisir 
lʹimportance de lʹimitation et de lʹinterdépendance des êtres humains (même au niveau cérébral). Jadis 
cette conscience aiguë nʹexistait pas. Platon est un des premiers penseurs qui a analysé le phénomène 
de lʹimitation (quʹil nomme mimesis). Toutefois chez lui lʹimitation nʹest quʹune faculté humaine (qui 
produit des extensions de la vérité idéale dans le monde phénoménal). La mimesis décrite par Platon 
(par .exemple le peintre imite un objet du monde extérieur) est fort éloignée de cette interdépendance 
vitale entre congénères que nous montrent les chercheurs dʹaujourdʹhui.  
Les philosophes après Platon ont le plus souvent repris sa vision limitée, tronqué de lʹimitation ‐ 
même sʹils nʹétaient pas dʹaccord avec lui au sujet de lʹart. Cette situation a beaucoup contribué au 
concept moderne du ʹmoi autonomeʹ (Garrels, 2004). Cette influence de Platon, mais aussi des 
Lumières, a sans doute contribué au fait que ni Freud(3), ni même Piaget nʹont soupçonné la 
possibilité de lʹimitation intersubjective chez les nouveau‐nés.  
En 1977 deux chercheurs américains, Andrew Meltzoff et Keith Moore, voulaient tester les stades de 
développement de lʹapprentissage préverbal chez Piaget. Par hasard ils ont découvert que même les 
nouveau‐nés étaient parfaitement capables dʹapprendre par imitation. Ils ont donc dû critiquer 
certaines présuppositions de la théorie de Piaget, car dʹaprès le célèbre psychologue suisse une forme 
élémentaire de représentation symbolique est nécessaire pour pouvoir imiter. Cʹest pourquoi lʹenfant, 
chez Piaget, ne commence quʹà imiter autrui vers lʹâge dʹun an. Meltzoff et Moore ont vérifié ce quʹils 
avaient trouvé en 1977 dans les années 1980 (Meltzoff & Moore 1983, 1989) chez des enfants dont la 
moyenne dʹâge était de 32 heures (le plus jeune nʹétait âgé que de 42 minutes). Lʹexistence et surtout 
lʹimportance de lʹimitation immédiate chez les nouveau‐nés avaient totalement échappé aux 
chercheurs.  

        The existence of immediate imitation in development was hardly suspected and its role was ignored. (Nadel & Butterworth, 
        1999).  


Quatre présuppositions importantes sur lʹimitation se sont donc avérées fausses (Garrels 2004) : 
•    Les hommes apprennent progressivement à imiter durant les premières années de lʹenfance.  
    •    Une forme élémentaire de représentation symbolique est nécessaire pour pouvoir imiter.  
    •    Les  nouveau‐nés  sont  incapables  de  faire  un  lien  entre  ce  quʹils  voient  chez  les  autres  et  ce 
         quʹils sentent chez eux‐mêmes.  
    •    Dès que lʹenfant est capable dʹimiter cela reste une faculté mineure et enfantine.  

Ces  présuppositions qui  ‐  on  le  voit  aujourdʹhui  ‐  ont  souvent  formé  le  soubassement  dʹun  discours 
fondamental (philosophique et scientifique) sur lʹhumain depuis Platon sʹavèrent donc erronées. On a 
longtemps cru aussi que lʹimitation est synonyme de comportement grégaire, moutonnier. Lʹimitation 
appartient  au  Moi  Inférieur  de  Valéry  ou  à  ce  que  Heidegger  appelait  dédaigneusement  le  ʹonʹ  Das 
Man.  Actuellement  une  telle  vision  semble  inexacte.  Il  nʹy  a  pas  encore  trois  ans  un  colloque  sur 
lʹimitation a été introduit par les mots suivants :  

         Imitation … is often thought of as a low‐level, relatively childish or even mindless phenomenon. This may be a serious 
         mistake. It is beginning to look, in light of recent work in the cognitive sciences, as if imitation is a rare, perhaps even 
         uniquely human ability, which may be fundamental to what is distinctive about human learning, intelligence, rationality, and 
         culture. (Hurley & Chater, 2002 ‐ cité par Garrels).  
          
         — Lʹimitation … est souvent considérée comme un phénomène mineur, enfantin ou même inepte. Cela est sans doute une 
         grande erreur. Il semble aujourdʹhui, à travers les travaux récents en sciences cognitives, que lʹimitation est un phénomène 
         exceptionnel, peut‐être spécifiquement humain, qui est sans doute fondamental pour tout ce qui est original dans 
         lʹapprentissage humain, lʹintelligence, la rationalité et la culture —. 


Ce  nʹétait  pas  avant  les  années  1970  que  le  terme  ʹimitationʹ  est  devenu  une  référence  clef  dans  les 
bases de données psychologiques. Nadel et Butterworth (1999) ont retrouvé dix études dʹavant 1970 
qui sʹoccupaient de lʹimitation au‐delà des différents stades dʹapprentissage. En 1978 ce nombre était 
déjà  élevé  à  septante‐six.  Aujourdʹhui  lʹimitation  est  au  centre  dʹune  recherche  riche  et 
interdisciplinaire dans la psychologie du développement, les neurosciences, les sciences cognitives, la 
linguistique, lʹéthologie, lʹévolution culturelle, la biologie évolutionnaire et lʹintelligence artificielle.  

IMITATION ET INTENTION 
Pour Platon et Aristote lʹimitation avait trait à certains types de comportements, des manières, des 
habitudes individuelles ou collectives, des paroles, des idées, des façons de parler, toujours des 
représentations(4). Grâce aux recherches actuelles en neuroscience et en psychologie expérimentale 
nous savons que lʹimitation est un phénomène beaucoup plus complexe et ʹintimeʹ à lʹhomme: nous 
nʹimitons pas tant des représentations ‐ ce quʹon voit faire un autre par exemple ‐ mais des intentions, 
des désirs. Récemment Andrew Meltzoff (aujourdʹhui responsable de l’ Institute for Learning and Brain 
Sciences à Washington) a façonné une série dʹexpériences où lʹimitation était employée pour 
comprendre comment un enfant peut déchiffrer les intentions des adultes à travers leur comportement 
(Garrels 2004). 
 
Dans une première expérience un chercheur montrait à des petits dʹenviron 18 mois comment il 
essayait dʹenlever le bout dʹun ʹmini‐haltèreʹ pour enfants. Au lieu dʹachever lʹaction il faisait semblant 
quʹil nʹarrivait pas à enlever le bout du jouet. Les enfants ne voyaient donc jamais la représentation 
exacte du but de lʹaction. En usant de différents groupes de contrôle les chercheurs ont remarqué que 
les petits avaient saisi la visée de la démarche (ôter le bout du haltère) et quʹils imitaient cette intention 
du chercheur et non ce quʹils avaient réellement vu. Les enfants imitent donc non pas une 
représentation, mais un but, un dessein. Comme le résume Meltzoff : “Evidently, young toddlers can 
understand our goals even if we fail to fulfill them. They choose to imitate what we meant to do, 
rather than what we mistakenly do” (Meltzoff & Decety, 2003, p. 496). Les enfants comprennent donc 
les intentions des adultes, même si ces adultes nʹarrivent pas à les accomplir. Ils imitent ce que les 
chercheurs voulaient faire plus que ce quʹils faisaient concrètement.  
 
La seconde expérience était conçue pour voir si les enfants attribuent des motifs à des objets. Pour ce 
test les chercheurs avaient fabriqué une petite machine (avec bras et grappins) qui exécutait 
exactement la même action avortée de la première expérience. Très vite il sʹest avéré que les bambins 
qui avaient profité de cette démonstration nʹétaient pas mieux disposés pour attribuer une intention à 
lʹappareil que dʹautres qui étaient confronté au petit haltère sans démonstration. Il semble donc que 
les enfants nʹattribuent pas dʹintentions à des objets inanimés.  
 
Une troisième expérience allait rendre plus visible encore combien lʹenfant prête attention aux motifs 
de ses congénères et combien ces motifs, ces intentions sont importants pour lui. Dans ce test les bouts 
du petit haltère étaient collés solidement à la barre. Ils ne pouvaient donc pas être enlevés. Le 
chercheur répétait ici la même démonstration que dans les expériences précédentes: il essayait dʹôter 
la part extérieure du jouet mais sa main glissait du bout sans le saisir. Chez les enfants la même chose 
exactement se produisait nécessairement (les bouts étant collés), mais les bambins nʹétaient pas du 
tout satisfaits par la pure reproduction de ce quʹils avaient vu faire lʹadulte. Ils répétaient leurs 
tentatives dʹenlever le bout, mordaient dedans et lançaient des regards suppliants à maman et au 
chercheur. Meltzoff écrit: 

        This work reinforces the idea that the toddlers are beginning to focus on the adultʹs goals, not simply their surface actions. It 
        provides developmental roots for the importance of goals in organizing imitation in older children and adults (Meltzoff, 2002, 
        p. 32 ‐ cité par Garrels). 


Le travail de Meltzoff renforce donc lʹidée selon laquelle les bambins commencent à concentrer leur 
attention sur les buts des adultes et pas simplement sur leurs actions. Plusieurs savants vont encore 
plus loin et suggèrent que lʹimitation chez lʹhomme est toujours ‐ à un niveau fondamental ‐ lʹimitation 
dʹintentions et de buts plutôt que dʹactions et de représentations. Cette hypothèse (en réalité une 
déduction de nombreuses données empiriques qui vont toutes dans ce sens) a été baptisée la ʹgoal‐
directed theory of imitationʹ(5). 
(Trevarthen, Kokkinaki, & Fiamenghi, 1999; Wohlschlager & Bekkering, 2002) 

NEUROBIOLOGIE ET ANTHROPOLOGIE  
Un dialogue approfondi entre sciences humaines et sciences ʹduresʹ est à souhaiter, la chose est claire. 
Les sciences humaines ne peuvent pas rester sourdes à ce qui est démontré ailleurs. Et lʹinverse est 
peut‐être vrai aussi, dans certains cas. Dans ce cadre il faut noter que plusieurs décennies avant le 
surcroît spectaculaire de lʹintérêt scientifique pour lʹimitation un critique littéraire (!) et anthropologue 
franco‐américain avait déjà articulé une théorie autour de lʹimportance exceptionnelle de lʹimitation 
dans lʹhomme. Son hypothèse était ‐ curieusement ‐ que lʹimitation nʹa pas tant trait aux phénomènes 
extérieurs mais aux intentions, au désir. Ce théoricien de ce quʹil appelle lui‐même le désir mimétique 
cʹest René Girard. La concordance entre ses études et les conclusions scientifiques récentes des 
chercheurs empiriques sont surprenantes, ʹextraordinairesʹ comme le dit Scott Garrels (un chercheur 
en psychologie clinique) : 

        The parallels between Girardʹs insights and the only recent conclusions made by empirical researchers concerning imitation 
        (in both development and the evolution of species) are extraordinary. (Garrels, 2004, p. 29). 


Le contexte dans lequel Girard a développé ses théories est aussi remarquable : 

        What  makes  Girardʹs  insights  so  remarkable  is  that  he  not  only  discovered  and  developed  the  primordial  role  of 
        psychological  mimesis  during  a  time  when  imitation  was  quite  out  of  fashion,  but  he  did  so  through  investigation  in 
        literature, cultural anthropology, history,… (Garrels, 2004, p. 29). 


        (Ce qui rend les idées de Girard si remarquables cʹest non seulement le fait quʹil ait découvert le rôle primordial de la mimesis 
        psychologique  à  une  époque  où  lʹimitation  nʹétait  pas  à  la  mode,  mais  quʹil  a  fait  cela  à  travers  une  recherche  dans  la 
        littérature, lʹanthropologie culturelle, lʹhistoire…). 
LES DANGERS DE LʹIMITATION 
René Girard a non seulement fait le lien entre imitation et intention, mais aussi entre imitation et 
violence. La recherche scientifique qui fait le lien entre imitation et violence est assez populaire 
aujourdʹhui, mais les résultats vraiment intéressants ne sont pas encore là. On sʹest souvent posé la 
question si lʹexposition de lʹenfant à la violence médiatisé influence son comportement. Est‐ce que le 
(jeune) téléspectateur va imiter les représentations de violence à la télévision? Il nʹexiste pas de 
réponses tout à fait claires à cette question (Bushman and Huesman, 2001). On a pu constater ‐ par 
exemple ‐ que des jeux dʹordinateurs violents nʹincitent pas nécessairement à la violence. Ces jeux 
peuvent même avoir des effets ʹcathartiquesʹ : au lieu de frapper la petite sœur ou le petit frère cʹest 
sur des ennemis virtuels que le joueur se défoule.  
René Girard, pour sa part, a vu dans lʹimitation non pas (seulement) ce qui communique la violence, 
mais ce qui la génère: la cause de la violence. Avant dʹexpliquer comment cela est possible il faut 
préciser pourquoi la question du lien entre violence et mimesis sʹimpose aujourdʹhui. 

Mimesis et violence 
Pourquoi cela devient pressant actuellement de questionner le lien entre mimesis et violence ? De 
nombreuses recherches indépendantes il faut conclure que lʹimitation dynamique constitue la 
condition première du développement humain et une des caractéristiques humaines les plus 
importantes. Les chercheurs sont dʹaccord aujourdʹhui de définir le cerveau humain comme ʹune 
énorme machine à imiterʹ qui fonctionne à un niveau bien plus élevé que chez les autres primates. De 
tous les animaux lʹhomme est le plus ʹmimétiqueʹ. Une autre chose au sujet de lʹhumain sʹimpose aussi 
avec évidence: de tous les animaux le plus violent cʹest sans aucun doute… lʹhomme.  
Il faut se demander si, par hasard, ces deux observations élémentaires ne sont pas à mettre en rapport. 
Il nʹy a pas cent ans cette idée quʹil pourrait exister une corrélation encore mal connue entre la mimesis 
et lʹorigine, la genèse de la violence humaine aurait sans doute semblé incongrue. Le grand théoricien 
de lʹimitation de lʹépoque, Gabriel Tarde, auteur du fameux livre Les Lois de Lʹimitation (publié en 1890) 
voyait en lʹimitation la cause première de lʹharmonie sociale. Sans être totalement fausse on voit 
aujourdʹhui que cette idée est du moins incomplète : 

    •    Lʹimitation  est  dʹune  importance  cruciale  pour  tout  ce  qui  est  typiquement  humain  dans  un 
         sens que nous commençons quʹà découvrir. (Hurley & Chater, 2002)  
    •    Selon Tarde lʹimitation humaine est la cause de lʹharmonie sociale.  

Des  deux  propositions  précédentes  il  sʹensuivrait  que  lʹharmonie,  la  paix  seraient  typiquement, 
caractéristiquement  humaines.  Lʹhomme  serait  lʹanimal  le  moins  violent.  Qui  oserait  cependant 
défendre une telle conclusion? Ou bien lʹimitation nʹest pas si importante, ce qui va à lʹencontre dʹune 
masse  de  données  empiriques  récentes,  ou  bien  la  vision  de  Gabriel  Tarde  est  fausse  ou  du  moins 
incomplète. La seconde conclusion semble la meilleure. Mais quʹavons‐nous pu ne pas voir au sujet de 
lʹimitation ?  

Rivalité mimétique 
Si deux hommes désirent la même chose alors quʹil nʹest pas possible quʹils en jouissent tous les deux, ils 
deviennent ennemis.‐HOBBES (Léviathan)  

Dans  une  interview  récente  Rizzolati  (le  directeur  du  groupe  de  chercheurs  qui  a  découvert  les 
neurones  miroirs)  a  dit  :  « Le  processus  dʹimitation  est  limité  chez  les  singes,  et  cʹest  souvent 
dangereux  pour  eux  dʹimiter »  (5  février  2005  dans  Le  Figaro).  Dʹoù  vient  ce  danger  de  lʹimitation? 
Rappelons que les neurones dans le cortex pré moteur des singes étudiés par Rizzolati étaient activés 
quand lʹanimal effectuait un mouvement avec but précis, le plus souvent ʹsaisir un objetʹ. Imaginons 
maintenant  un  singe  qui  tente  de  sʹemparer  dʹun  objet  et  un  autre  qui  lʹimite  aveuglément, 
ʹinconsciemmentʹ.  Ces  deux  mains  également  avides  qui  convergent  vers  un  seul  objet  ne  peuvent 
manquer de provoquer un … conflit. Voilà que la mimésis peut être la source de conflits, de violence, 
si  lʹon  voit  que  les  comportements  dʹacquisition  et  dʹappropriation  (le  fait  de  prendre  un  objet  pour 
soi) sont aussi susceptibles dʹêtre imités. Là chose est claire et pourtant ‐ chose étrange et remarquable 
‐ ce type de comportement fort important pour les primates et pour les humains nʹa pas été incorporé 
dans la recherche sur lʹimitation : 

         Ce  nʹest  pas  un  hasard,  sans  doute,  si  le  type  de  comportement  systématiquement  exclu  par  toutes  les  problématiques  de 
         lʹimitation, de Platon jusquʹà nos jours, est celui auquel on ne peut pas songer sans découvrir aussitôt lʹinexactitude flagrante 
         de la conception quʹon se fait toujours de cette ʹfacultéʹ, le caractère proprement mythique des effets uniformément grégaires 
         et lénifiants quʹon ne cesse de lui attribuer. Si le mimétique chez lʹhomme joue bien le rôle fondamental que tout désigne pour 
         lui,  il  doit  forcément  exister  une  imitation  acquisitive  ou,  si  lʹon  préfère,  une  mimésis  dʹappropriation  dont  il  importe 
         dʹétudier les effets et de peser les conséquences. (Girard 1978) 


Cette remarque pourtant évidente a dʹénormes conséquences pour notre compréhension de lʹhomme. 
La  mimesis  devient  ‐  du  coup  ‐  fort  paradoxale:  elle  peut  être  source  dʹempathie,  de  conformisme, 
mais aussi de rivalité. Donnons encore un exemple simple, même banal, dʹune rivalité qui naît de la 
mimésis. Imaginons deux bambins dans une pièce pleine de jouets identiques. Le premier prend un 
jouet, mais il ne semble pas fort intéressé par lʹobjet. Le second lʹobserve et essaie dʹarracher le jouet à 
son petit camarade. Celui‐là nʹétait pas fort captivé par la babiole, mais ‐ soudain ‐ parce que lʹautre est 
intéressé  cela  change  et  il  ne  veut  plus  le  lâcher.  Des  larmes,  des  frustrations  et  de  la  violence 
sʹensuivent. Dans un laps de temps très court un objet pour lequel aucun des deux nʹavait un intérêt 
particulier est devenu lʹenjeu dʹune rivalité obstinée. Il faut noter que tout dans ce désir trop partagé 
pour un objet impartageable est imitation, même lʹintensité du désir dépendra de celui dʹautrui. Cʹest 
ce  que  Girard  appelle  la  rivalité  mimétique,  étrange  processus  de  ʹfeedback  positifʹ  qui  sécrète  en 
grandes quantités la jalousie, lʹenvie et la haine. 

Conclusion 
 
Si  lʹimitation  est  souvent  dangereuse  pour  les  singes  il  ne  doit  pas  y  en  aller  autrement  pour  les 
humains.  Souvent  les  singes  ne  risquent  pas  de  se  bagarrer  à  mort  pour  de  la  nourriture,  des 
partenaires,  un  territoire,  etc.  parce  quʹil  existe  chez  eux  des  freins  instinctifs  à  la  violence,  des 
rapports  de  domination  (des  ʹdominance  patternsʹ).  Chez  les  hommes,  nous  le  savons,  ces  freins 
instinctuels nʹexistent plus. La violence intraspécifique, la ʹguerre de tous contre tousʹ pour reprendre 
le  mot  de  Hobbes,  a  du  jouer  un  rôle  important  dans  lʹhominisation.  Comme  le  disait  déjà  Jacques 
Monod :  

         « Dominant  désormais  son  environnement,  lʹHomme  nʹavait  devant  soi  dʹadversaire  sérieux  que  lui‐même.  La  lutte 
         intraspécifique  directe,  la  lutte  à  mort,  devenait  des  lors  lʹun  des  principaux  facteurs  de  sélection  dans  lʹespèce  humaine. 
         Phénomène  extrêmement  rare  dans  lʹévolution  des  animaux.  […]  Dans  quel  sens  cette  pression  de  sélection  devait‐elle 
         pousser lʹévolution humaine ? » (Monod, 1970). 


Comment cet obstacle formidable quʹoppose la violence intraspécifique à la création de toute société 
humaine  a  été  soulevé?  Voilà  une  question  importante.  Voilà  la  question  qu’a  dû  affronter  René 
Girard  après  avoir  découvert  l’ambiguïté  de  la  mimésis.  Il  faut  espérer  que  les  recherches 
interdisciplinaires sur lʹhomme vont scruter le problème. Et on ne peut pas ne pas le rencontrer sur sa 
route  si  lʹon  contemple  vraiment  la  nature  extrêmement  paradoxale  de  lʹimitation  humaine:  source 
dʹintelligence, dʹempathie, mais aussi de rivalité, de destruction.  

 
Notes 
(1) Aujourdʹhui cela nʹest plus une question. On se demande désormais comment les neurones miroirs opèrent 
chez lʹhomme et en quoi cela est différent des autres animaux. Voir entre autres : Buccino, G., Lui, F., Canessa, 
N., Patteri, I., Lagravinese, G., Benuzzi, F., Porro, C.A., and Rizzolatti, G. (2004) Neural circuits involved in 
the recognition of actions performed by nonconspecifics: An fMRI study. J Cogn. Neurosci. 16: 114‐126.   
(2) ʺThe human mind demonstrates a greater development of imitative phenomena throughout the lifespan, both 
quantitatively and qualitatively.ʺ (Garrels, 2004) 
Shirley Fecteau: ʺCeci montre que le mécanisme des neurones miroirs est actif dans le cerveau immature. 
Lʹactivation est toutefois plus réduite que celle observée chez les adultes, ce qui indique que ces réseaux, 
probablement en place dès la naissance, continuent de se développer dans des stades ultérieurs de lʹenfance.ʺ  
Interview sur le forum ʹonlineʹ de lʹUniversité de Montréal : 
http://www.iforum.umontreal.ca/Forum/ArchivesForum/2004‐2005/041213/article4195.htm   
(3) ʺIt is clear that there is no place in Freudʹs theory of early infancy for imitative self‐other reciprocity.ʺ 
(Trevarthen, Kokinaki, & Fiamenghi, 1999, p. 155).   
(4) Voir René Girard (1978, p. 17).   
(5) Voici ce que disent Wohlschlager et Bekkering : 
The goal‐directed theory of imitation allows imitators to learn from models even if the differences in motor skills 
or in body proportions are so huge that the imitator is physically unable to make the same movement as the 
model. Whatever movement the imitator uses, the purpose of learning by imitation can be regarded as being 
fulfilled as soon as he reaches the same goal as the model. (Wohlschlager & Bekkering, 2002, p. 104). 

Il est aussi intéressant de noter ‐ entre parenthèses ‐ que cette hypothèse récente semble aller un peu à lʹencontre 
de  la  théorie  ʹmémétiqueʹ  de  Richard  Dawkins  (1976  The  Selfish  Gene).  Dawkins  a  forgé  une  théorie  assez 
fascinante de la culture en tenant compte de lʹimportance de lʹimitation et en extrapolant le schème Darwinien 
vers le domaine des idées. La tentation est grande, en effet, pour un biologiste de comparer la sélection des idées à 
lʹévolution  Darwinienne.  Six  ans  avant  le  fameux  livre  de  Dawkins  le  prix  Nobel  français  Jacques  Monod 
écrivait déjà à la fin de son livre Le Hasard et la Nécessité sous le titre ʹla sélection des idéesʹ:  

Il  est  tentant,  pour  un  biologiste,  de  comparer  lʹévolution  des  idées  à  celle  de  la  biosphère.  Car  si  le  Royaume  abstrait 
transcende  la  biosphère  plus  encore  que  celle‐ci  lʹunivers  non  vivant,  les  idées  ont  conservé  certaines  des  propriétés  des 
organismes.  Comme  eux  elles  tendent  à  perpétuer  leur  structure  et  à  la  multiplier,  comme  eux  elles  peuvent  fusionner, 
recombiner, ségréger leur contenu, comme eux enfin elles évoluent et dans cette évolution la sélection, sans aucun doute, joue 
un grand rôle. (p. 181). 


Mais ajoute Monod : « Je ne me hasarderai pas à proposer une théorie de la sélection des idées. ʺ Chez Dawkins 
lʹimitation, la reproduction porte sur les ʹidéesʹ sur des unités dʹinformation (ʹmèmesʹ), des représentations en 
somme. Les recherches toutes récentes nous montrent ‐ au contraire ‐ que lʹimitation humaine porte dʹabord sur 
des  intentions.  Dans  un  cadre  philosophique  on  peut  dire  que  Meltzoff  et  autres  dégagent  définitivement  la 
mimesis  de  son  ancien  contexte  dʹidéalisme  platonicien  (et  ce  platonisme  ‐  dʹaucuns  ont  pu  le  remarquer  ‐ 
semble  toujours  là  chez  un  Dawkins  qui  parle  dʹidéosphère,  un  peu  comme  Monod  qui  parlait  du  ʹRoyaume 
abstrait  des  idéesʹ,  ce  qui  implique  toujours  la  vieille  conception  platonicienne  ‐  un  peu  mythique,  il  faut 
lʹavouer ‐ selon laquelle les idées ont une existence indépendante des hommes).   

Sources 
 Bushman, B. and Huesmann, L. (2001) ʺEffects of televised violence on aggressionʺ, in D.G. Singer & J.L. 
Singer (ed.) Handbook of children and the media, Thousand Oaks: Sage, pp. 223‐254 
 Dawkins, Richard, (1976) The Selfish Gene, Oxford University Press. 
 Garrells, Scott R., (2004) ʹImitation, Mirror Neurons, & Mimetic desireʹ 
http://www.covr2004.org/garrelspaper.pdf  
 Girard, René, (1961) Mensonge Romantique et Vérité Romanesque (Paris : Grasset), 1972) La violence et le 
sacré (Paris: Grasset), 
(1978) Des Choses cachées depuis la fondation du monde avec Jean‐Michel Oughourlian et Guy Lefort 
(Paris: Grasset).  
 Hurley, S. & Chater, N. (2002). Perspectives on imitation: from cognitive neuroscience to social science. 
Royaumont Abbey, France, 24‐26 May.  
 Nadel, J. & Butterworth, G. (1999). Imitation in Infancy. Cambridge University Press. ‐ Meltzoff, A. & 
Decety, J. (2003). What imitation tells us about social cognition: a rapprochement between developmental 
psychology and cognitive neuroscience. Philos. Trans. R. Soc. Lond. B Biol. Sci. 358, 491‐500. 
 Meltzoff, A. & Moore, K. (1977). Imitatoin of facial and manual gestures by human neonates. Science, 198, 
75‐78  
‐ Meltzoff, A. & Moore, K. (1983). Newborn infants imitate adult facial gestures. Child Development, 54, 
702‐709 
 Meltzoff. A. & Moore, K. (1989). Imitation in newborn infants: exploring the range of gestures imitated and 
the underlying mechanisms. Developmental Psychology, 25, 945‐962. 
 Monod, Jacques, (1970) Le hasard et la nécessité, Seuil. 
 Ramachandran, V. (2000). Mirror neurons and imitation learning as the driving force behind ʺthe great leap 
forwardʺ in human evolution. http://www.edge.org/documents/archive/edge69.html 
 Rizzolati, G., Fadiga, L., Fogassi, L., & Gallese, V. (1996a). Premotor cortex and the Recognition of motor 
actions. Cognitive Brain Research, 3, 131‐141 
 Tarde, Gabriel, Les lois de lʹimitation, Paris 3ème éd. revue et augmentée 1900. 
 Trevarthen, C. Kokkinaki, T., & Fiamenghi Jr., G. (1999). What infantsʹ imitations communicate: with 
mothers, with fathers, with peers. In Imitation in Infancy (ed. Nadel, J. & ‐ Butterworth, G.) pp. 9‐35. 
Cambridge University Press 

 

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  • 1.     La prodigieuse actualité scientifique de la théorie mimétique  En 2004 Scott Garrels, un chercheur américain en psychologie clinique, a – en premier – fait remarquer  la  ressemblance  « extraordinaire »  (Garrels  2004)  entre  les  découvertes  toutes  récentes  (et  souvent  fortuites) dans son domaine et les écrits d’un certain anthropologue français nommé René Girard. Les  recherches  en  neurosciences  et  en  psychologie  expérimentale au sujet  de  l’imitation  sont  en  train  de  découvrir la thèse que Girard a soutenue depuis déjà plus de quatre décennies. Nous sommes témoins  d’un  fait  assez  rare  dans  l’histoire  des  sciences:  une  grande  avancée  scientifique  (comparable  à  la  découverte  de  l’ADN  selon  les  spécialistes)  a  déjà  été  entièrement  devancé  par  un  historien  qui  a  travaillé sur des textes littéraires et anthropologiques.     Selon le mot de Robert Sylvester les découvertes récentes sont si monumentales que « nul ne sait qu’en  faire ». Le temps est venu de rassembler les chercheurs en sciences dites « dures » et les chercheurs en  sciences humaines pour éclairer leurs lanternes réciproques. Le divorce actuel de ces deux pans de la  pensée  humaine,  divorce  si  souvent  et  vivement  déploré  par  Michel  Serres,  n’est  pas  aussi  définitif  qu’il  semble.  Le  temps  est  venu  de  se  rendre  à  l’évidence :  une  vraie  recherche  commune  n’est  non  seulement louable, mais indispensable. Ce sera là sans doute une des tâches capitales de l’Association  pour les Recherches Mimétiques.    Mais  quelles  sont  ces  découvertes  récentes ?  Il  y  a  d’abord  la  découverte  des  « neurones  miroirs »  auxquelles  Michel  Serres  a  fait  référence  dans  sa  réponse  au  discours  de  réception  de  Girard  à  l’Académie française. Il y a aussi les derniers travaux d’Andrew Meltzoff et autres qui prouvent que  les êtres humains n’imitent pas tant les comportements extérieurs comme on a toujours pensé, mais les  intentions des autres, ce que Girard n’a pas hésité à appeler le désir d’autrui.     Pour un aperçu de la révolution dans notre vision de l’imitation – avec référence à Girard – voici cet  article de Simon De Keukelaere paru dans Automates Intelligents :    Des découvertes révolutionnaires en sciences cognitives  Les paradoxes et dangers de lʹimitation    La découverte des neurones miroirs est absolument renversante.   Cʹest aussi la découverte la plus importante et elle est pratiquement négligée   parce quʹelle est si monumentale que nul ne sait quʹen faire.                __ROBERT SYLVESTER   Les neurones miroirs    Lʹune des plus grandes révolutions scientifiques de notre temps ‐ selon moi, la découverte des  ʺneurones miroirsʺ ‐ nʹa pas encore reçu beaucoup de publicité. Il y a fort à parier toutefois que cette  découverte va avoir dʹénormes conséquences pour notre compréhension de lʹhomme. Comme lʹa écrit  le directeur du Center for Brain and Cognition de lʹuniversité de Californie :  The discovery of mirror neurons is the single most important ʺunreportedʺ story of the decade. I predict that mirror neurons  will do for psychology what DNA did for biology: they will provide a unifying framework and help explain a host of mental  abilities that have hitherto remained mysterious and inaccessible to experiments. (V.S. Ramachandran, 2000). 
  • 2. (La découverte des neurones miroirs est la plus importante nouvelle non‐transmise de la décennie. Je prédis que les neurones  miroirs  feront  pour  la  psychologie  ce  que  la  DNA  a  fait  pour  la  biologie.  Elles  vont  fournir  un  cadre  unifiant  et  aider  à  expliquer une quantité de dispositions mentales qui jusquʹà maintenant restaient mystérieuses et inaccessibles à lʹempirisme).  Les neurones miroirs sont des neurones qui sʹactivent, non seulement lorsquʹun individu exécute lui‐ même une action, mais aussi lorsquʹil regarde un congénère exécuter la même action. On peut dire en  quelque sorte que les neurones dans le cerveau de celui/celle qui observe imitent les neurones de la  personne  observée;  de  là  le  qualitatif  ʹmiroirʹ  (mirror  neurons).  Cʹest un groupe de neurologues italiens, sous la direction de Giacomo Rizzolati (1996), qui a fait cette  découverte sur des macaques. Les chercheurs ont remarqué ‐ par hasard ‐ que des neurones (dans la  zone F5 du cortex pré moteur) qui étaient activés quand un singe effectuait un mouvement avec but  précis (par exemple: saisir un objet) étaient aussi activés quand le même singe observait simplement ce  mouvement chez un autre singe ou chez le chercheur, qui donnait lʹexemple.       Zone F5 du cortex pré moteur  Il existe donc dans le cerveau des primates un lien direct entre action et observation. Cette découverte  sʹest  faite  dʹabord  chez  des  singes,  mais  lʹexistence  et  lʹimportance  des  neurones  miroirs  pour  les  humains  a  été  confirmée(1).  Dans  une  recherche  toute  récente  supervisée  par  Hugo  Théoret  (Université  de  Montréal),  Shirley  Fecteau  a  montré  que  le  mécanisme  des  neurones  miroirs  est  actif  dans le cerveau immature des petits enfants et que les réseaux de neurones miroirs continuent de se  développer dans les stades ultérieurs de lʹenfance. Il faut ajouter ici que les savants sʹaccordent pour  dire que ces réseaux sont non seulement plus développés chez les adultes (comparé aux enfants), mais  quʹils  sont  considérablement  plus  évolués  chez  les  hommes  en  général  comparé  aux  autres  primates(2).    Lʹhomme  est  un  animal  social  qui  diffère  des  autres  animaux  en  ce  quʹil  est  plus  apte  à  lʹimitation,  Aristote le disait déjà (Poétique 4). Aujourdʹhui on peut tracer les sources cérébrales de cette spécificité  humaine.  La  découverte  des  neurones  miroirs  permet  de  mettre  le  doigt  sur  ce  qui  connecte  les  cerveaux  des  hommes.  En  outre  cette  découverte  a  encore  confirmé  lʹimportance  neurologique  de  lʹimitation chez lʹêtre humain. Comme le dit très bien Scott Garrels (2004) :  Convergent  evidence  across  the  modern  disciplines  of  developmental  psychology  and  cognitive  neuroscience  demonstrate  that  imitation  based  on  mirrored  neural  activity  and  reciprocal  interpersonal  behaviour  are  what  scaffold  human  development (p. 3).  — Des preuves convergentes de la psychologie du développement et de la neuroscience cognitive démontrent que lʹimitation  basée sur lʹactivité neurale miroir et le comportement réciproque interpersonnel est ce sur quoi est construit le développement  humain —.  Lʹimitation est importante pour lʹapprentissage, le langage, la transmission culturelle, mais aussi pour  lʹempathie, par exemple. Quʹon peut mieux saisir lʹempathie à lʹaide des neurones miroirs est facile à 
  • 3. comprendre:  très  vite  lʹenfant  fait  lʹexpérience  de  lʹautre  comme  ʹquelque  choseʹ  qui  peut  ʹfaire  la  même choseʹ que lui. En imitant et en étant imité les enfants apprennent que de tous les objets qui les  entourent seuls les êtres humains peuvent vivre les mêmes expériences quʹeux.   Un dialogue prometteur    Quand on met le doigt sur le spécifiquement humain il faut sʹattendre à un échange entre sciences  expérimentales et sciences humaines. En effet, grâce à ces découvertes récentes en neurosciences un  dialogue fascinant entre sciences humaines et sciences expérimentales est en train de sʹétablir. Il faut  se référer ici ‐ entre autres ‐ aux volumes de Hurley et Chater Perspectives on Imitation: From  Neuroscience to Social Science (MIT Press 2005).     Avec cet article nous voulons participer un peu à ce dialogue. Dʹabord en donnant un très bref aperçu  historique de lʹancienne vision sur lʹimitation qui avait cours dans les sciences humaines, vision  désormais révolue. En suite en montrant quʹon peut faire un lien fort étonnant entre lʹanthropologie  du chercheur franco‐américain René Girard et les conclusions récentes de chercheurs en neurobiologie  (en se référant dʹabord aux travaux de Meltzoff sur le rapport entre imitation et intention). Et  finalement en parlant de ce qui me paraît encore une lacune dans la recherche actuelle: le lien quʹon  peut faire (et quʹon devrait explorer) entre imitation inconsciente et la naissance de la rivalité, de la  violence entre deux (ou plusieurs individus).   DE PLATON À GIACOMO RIZZOLATI ET AL.  Le processus dynamique et intersubjectif nommé ʹimitationʹ est vital pour le développement humain  et pour la transmission de la culture durant toute notre vie « in ways that we are just beginning to  understand » (Hurley & Chater, 2002). Selon les chercheurs nous ne commençons quʹà saisir  lʹimportance de lʹimitation et de lʹinterdépendance des êtres humains (même au niveau cérébral). Jadis  cette conscience aiguë nʹexistait pas. Platon est un des premiers penseurs qui a analysé le phénomène  de lʹimitation (quʹil nomme mimesis). Toutefois chez lui lʹimitation nʹest quʹune faculté humaine (qui  produit des extensions de la vérité idéale dans le monde phénoménal). La mimesis décrite par Platon  (par .exemple le peintre imite un objet du monde extérieur) est fort éloignée de cette interdépendance  vitale entre congénères que nous montrent les chercheurs dʹaujourdʹhui.   Les philosophes après Platon ont le plus souvent repris sa vision limitée, tronqué de lʹimitation ‐  même sʹils nʹétaient pas dʹaccord avec lui au sujet de lʹart. Cette situation a beaucoup contribué au  concept moderne du ʹmoi autonomeʹ (Garrels, 2004). Cette influence de Platon, mais aussi des  Lumières, a sans doute contribué au fait que ni Freud(3), ni même Piaget nʹont soupçonné la  possibilité de lʹimitation intersubjective chez les nouveau‐nés.   En 1977 deux chercheurs américains, Andrew Meltzoff et Keith Moore, voulaient tester les stades de  développement de lʹapprentissage préverbal chez Piaget. Par hasard ils ont découvert que même les  nouveau‐nés étaient parfaitement capables dʹapprendre par imitation. Ils ont donc dû critiquer  certaines présuppositions de la théorie de Piaget, car dʹaprès le célèbre psychologue suisse une forme  élémentaire de représentation symbolique est nécessaire pour pouvoir imiter. Cʹest pourquoi lʹenfant,  chez Piaget, ne commence quʹà imiter autrui vers lʹâge dʹun an. Meltzoff et Moore ont vérifié ce quʹils  avaient trouvé en 1977 dans les années 1980 (Meltzoff & Moore 1983, 1989) chez des enfants dont la  moyenne dʹâge était de 32 heures (le plus jeune nʹétait âgé que de 42 minutes). Lʹexistence et surtout  lʹimportance de lʹimitation immédiate chez les nouveau‐nés avaient totalement échappé aux  chercheurs.   The existence of immediate imitation in development was hardly suspected and its role was ignored. (Nadel & Butterworth,  1999).   Quatre présuppositions importantes sur lʹimitation se sont donc avérées fausses (Garrels 2004) : 
  • 4. Les hommes apprennent progressivement à imiter durant les premières années de lʹenfance.   • Une forme élémentaire de représentation symbolique est nécessaire pour pouvoir imiter.   • Les  nouveau‐nés  sont  incapables  de  faire  un  lien  entre  ce  quʹils  voient  chez  les  autres  et  ce  quʹils sentent chez eux‐mêmes.   • Dès que lʹenfant est capable dʹimiter cela reste une faculté mineure et enfantine.   Ces  présuppositions qui  ‐  on  le  voit  aujourdʹhui  ‐  ont  souvent  formé  le  soubassement  dʹun  discours  fondamental (philosophique et scientifique) sur lʹhumain depuis Platon sʹavèrent donc erronées. On a  longtemps cru aussi que lʹimitation est synonyme de comportement grégaire, moutonnier. Lʹimitation  appartient  au  Moi  Inférieur  de  Valéry  ou  à  ce  que  Heidegger  appelait  dédaigneusement  le  ʹonʹ  Das  Man.  Actuellement  une  telle  vision  semble  inexacte.  Il  nʹy  a  pas  encore  trois  ans  un  colloque  sur  lʹimitation a été introduit par les mots suivants :   Imitation … is often thought of as a low‐level, relatively childish or even mindless phenomenon. This may be a serious  mistake. It is beginning to look, in light of recent work in the cognitive sciences, as if imitation is a rare, perhaps even  uniquely human ability, which may be fundamental to what is distinctive about human learning, intelligence, rationality, and  culture. (Hurley & Chater, 2002 ‐ cité par Garrels).     — Lʹimitation … est souvent considérée comme un phénomène mineur, enfantin ou même inepte. Cela est sans doute une  grande erreur. Il semble aujourdʹhui, à travers les travaux récents en sciences cognitives, que lʹimitation est un phénomène  exceptionnel, peut‐être spécifiquement humain, qui est sans doute fondamental pour tout ce qui est original dans  lʹapprentissage humain, lʹintelligence, la rationalité et la culture —.  Ce  nʹétait  pas  avant  les  années  1970  que  le  terme  ʹimitationʹ  est  devenu  une  référence  clef  dans  les  bases de données psychologiques. Nadel et Butterworth (1999) ont retrouvé dix études dʹavant 1970  qui sʹoccupaient de lʹimitation au‐delà des différents stades dʹapprentissage. En 1978 ce nombre était  déjà  élevé  à  septante‐six.  Aujourdʹhui  lʹimitation  est  au  centre  dʹune  recherche  riche  et  interdisciplinaire dans la psychologie du développement, les neurosciences, les sciences cognitives, la  linguistique, lʹéthologie, lʹévolution culturelle, la biologie évolutionnaire et lʹintelligence artificielle.   IMITATION ET INTENTION  Pour Platon et Aristote lʹimitation avait trait à certains types de comportements, des manières, des  habitudes individuelles ou collectives, des paroles, des idées, des façons de parler, toujours des  représentations(4). Grâce aux recherches actuelles en neuroscience et en psychologie expérimentale  nous savons que lʹimitation est un phénomène beaucoup plus complexe et ʹintimeʹ à lʹhomme: nous  nʹimitons pas tant des représentations ‐ ce quʹon voit faire un autre par exemple ‐ mais des intentions,  des désirs. Récemment Andrew Meltzoff (aujourdʹhui responsable de l’ Institute for Learning and Brain  Sciences à Washington) a façonné une série dʹexpériences où lʹimitation était employée pour  comprendre comment un enfant peut déchiffrer les intentions des adultes à travers leur comportement  (Garrels 2004).    Dans une première expérience un chercheur montrait à des petits dʹenviron 18 mois comment il  essayait dʹenlever le bout dʹun ʹmini‐haltèreʹ pour enfants. Au lieu dʹachever lʹaction il faisait semblant  quʹil nʹarrivait pas à enlever le bout du jouet. Les enfants ne voyaient donc jamais la représentation  exacte du but de lʹaction. En usant de différents groupes de contrôle les chercheurs ont remarqué que  les petits avaient saisi la visée de la démarche (ôter le bout du haltère) et quʹils imitaient cette intention  du chercheur et non ce quʹils avaient réellement vu. Les enfants imitent donc non pas une  représentation, mais un but, un dessein. Comme le résume Meltzoff : “Evidently, young toddlers can  understand our goals even if we fail to fulfill them. They choose to imitate what we meant to do,  rather than what we mistakenly do” (Meltzoff & Decety, 2003, p. 496). Les enfants comprennent donc  les intentions des adultes, même si ces adultes nʹarrivent pas à les accomplir. Ils imitent ce que les  chercheurs voulaient faire plus que ce quʹils faisaient concrètement.    
  • 5. La seconde expérience était conçue pour voir si les enfants attribuent des motifs à des objets. Pour ce  test les chercheurs avaient fabriqué une petite machine (avec bras et grappins) qui exécutait  exactement la même action avortée de la première expérience. Très vite il sʹest avéré que les bambins  qui avaient profité de cette démonstration nʹétaient pas mieux disposés pour attribuer une intention à  lʹappareil que dʹautres qui étaient confronté au petit haltère sans démonstration. Il semble donc que  les enfants nʹattribuent pas dʹintentions à des objets inanimés.     Une troisième expérience allait rendre plus visible encore combien lʹenfant prête attention aux motifs  de ses congénères et combien ces motifs, ces intentions sont importants pour lui. Dans ce test les bouts  du petit haltère étaient collés solidement à la barre. Ils ne pouvaient donc pas être enlevés. Le  chercheur répétait ici la même démonstration que dans les expériences précédentes: il essayait dʹôter  la part extérieure du jouet mais sa main glissait du bout sans le saisir. Chez les enfants la même chose  exactement se produisait nécessairement (les bouts étant collés), mais les bambins nʹétaient pas du  tout satisfaits par la pure reproduction de ce quʹils avaient vu faire lʹadulte. Ils répétaient leurs  tentatives dʹenlever le bout, mordaient dedans et lançaient des regards suppliants à maman et au  chercheur. Meltzoff écrit:  This work reinforces the idea that the toddlers are beginning to focus on the adultʹs goals, not simply their surface actions. It  provides developmental roots for the importance of goals in organizing imitation in older children and adults (Meltzoff, 2002,  p. 32 ‐ cité par Garrels).  Le travail de Meltzoff renforce donc lʹidée selon laquelle les bambins commencent à concentrer leur  attention sur les buts des adultes et pas simplement sur leurs actions. Plusieurs savants vont encore  plus loin et suggèrent que lʹimitation chez lʹhomme est toujours ‐ à un niveau fondamental ‐ lʹimitation  dʹintentions et de buts plutôt que dʹactions et de représentations. Cette hypothèse (en réalité une  déduction de nombreuses données empiriques qui vont toutes dans ce sens) a été baptisée la ʹgoal‐ directed theory of imitationʹ(5).  (Trevarthen, Kokkinaki, & Fiamenghi, 1999; Wohlschlager & Bekkering, 2002)  NEUROBIOLOGIE ET ANTHROPOLOGIE   Un dialogue approfondi entre sciences humaines et sciences ʹduresʹ est à souhaiter, la chose est claire.  Les sciences humaines ne peuvent pas rester sourdes à ce qui est démontré ailleurs. Et lʹinverse est  peut‐être vrai aussi, dans certains cas. Dans ce cadre il faut noter que plusieurs décennies avant le  surcroît spectaculaire de lʹintérêt scientifique pour lʹimitation un critique littéraire (!) et anthropologue  franco‐américain avait déjà articulé une théorie autour de lʹimportance exceptionnelle de lʹimitation  dans lʹhomme. Son hypothèse était ‐ curieusement ‐ que lʹimitation nʹa pas tant trait aux phénomènes  extérieurs mais aux intentions, au désir. Ce théoricien de ce quʹil appelle lui‐même le désir mimétique  cʹest René Girard. La concordance entre ses études et les conclusions scientifiques récentes des  chercheurs empiriques sont surprenantes, ʹextraordinairesʹ comme le dit Scott Garrels (un chercheur  en psychologie clinique) :  The parallels between Girardʹs insights and the only recent conclusions made by empirical researchers concerning imitation  (in both development and the evolution of species) are extraordinary. (Garrels, 2004, p. 29).  Le contexte dans lequel Girard a développé ses théories est aussi remarquable :  What  makes  Girardʹs  insights  so  remarkable  is  that  he  not  only  discovered  and  developed  the  primordial  role  of  psychological  mimesis  during  a  time  when  imitation  was  quite  out  of  fashion,  but  he  did  so  through  investigation  in  literature, cultural anthropology, history,… (Garrels, 2004, p. 29).  (Ce qui rend les idées de Girard si remarquables cʹest non seulement le fait quʹil ait découvert le rôle primordial de la mimesis  psychologique  à  une  époque  où  lʹimitation  nʹétait  pas  à  la  mode,  mais  quʹil  a  fait  cela  à  travers  une  recherche  dans  la  littérature, lʹanthropologie culturelle, lʹhistoire…). 
  • 6. LES DANGERS DE LʹIMITATION  René Girard a non seulement fait le lien entre imitation et intention, mais aussi entre imitation et  violence. La recherche scientifique qui fait le lien entre imitation et violence est assez populaire  aujourdʹhui, mais les résultats vraiment intéressants ne sont pas encore là. On sʹest souvent posé la  question si lʹexposition de lʹenfant à la violence médiatisé influence son comportement. Est‐ce que le  (jeune) téléspectateur va imiter les représentations de violence à la télévision? Il nʹexiste pas de  réponses tout à fait claires à cette question (Bushman and Huesman, 2001). On a pu constater ‐ par  exemple ‐ que des jeux dʹordinateurs violents nʹincitent pas nécessairement à la violence. Ces jeux  peuvent même avoir des effets ʹcathartiquesʹ : au lieu de frapper la petite sœur ou le petit frère cʹest  sur des ennemis virtuels que le joueur se défoule.   René Girard, pour sa part, a vu dans lʹimitation non pas (seulement) ce qui communique la violence,  mais ce qui la génère: la cause de la violence. Avant dʹexpliquer comment cela est possible il faut  préciser pourquoi la question du lien entre violence et mimesis sʹimpose aujourdʹhui.  Mimesis et violence  Pourquoi cela devient pressant actuellement de questionner le lien entre mimesis et violence ? De  nombreuses recherches indépendantes il faut conclure que lʹimitation dynamique constitue la  condition première du développement humain et une des caractéristiques humaines les plus  importantes. Les chercheurs sont dʹaccord aujourdʹhui de définir le cerveau humain comme ʹune  énorme machine à imiterʹ qui fonctionne à un niveau bien plus élevé que chez les autres primates. De  tous les animaux lʹhomme est le plus ʹmimétiqueʹ. Une autre chose au sujet de lʹhumain sʹimpose aussi  avec évidence: de tous les animaux le plus violent cʹest sans aucun doute… lʹhomme.   Il faut se demander si, par hasard, ces deux observations élémentaires ne sont pas à mettre en rapport.  Il nʹy a pas cent ans cette idée quʹil pourrait exister une corrélation encore mal connue entre la mimesis  et lʹorigine, la genèse de la violence humaine aurait sans doute semblé incongrue. Le grand théoricien  de lʹimitation de lʹépoque, Gabriel Tarde, auteur du fameux livre Les Lois de Lʹimitation (publié en 1890)  voyait en lʹimitation la cause première de lʹharmonie sociale. Sans être totalement fausse on voit  aujourdʹhui que cette idée est du moins incomplète :  • Lʹimitation  est  dʹune  importance  cruciale  pour  tout  ce  qui  est  typiquement  humain  dans  un  sens que nous commençons quʹà découvrir. (Hurley & Chater, 2002)   • Selon Tarde lʹimitation humaine est la cause de lʹharmonie sociale.   Des  deux  propositions  précédentes  il  sʹensuivrait  que  lʹharmonie,  la  paix  seraient  typiquement,  caractéristiquement  humaines.  Lʹhomme  serait  lʹanimal  le  moins  violent.  Qui  oserait  cependant  défendre une telle conclusion? Ou bien lʹimitation nʹest pas si importante, ce qui va à lʹencontre dʹune  masse  de  données  empiriques  récentes,  ou  bien  la  vision  de  Gabriel  Tarde  est  fausse  ou  du  moins  incomplète. La seconde conclusion semble la meilleure. Mais quʹavons‐nous pu ne pas voir au sujet de  lʹimitation ?   Rivalité mimétique  Si deux hommes désirent la même chose alors quʹil nʹest pas possible quʹils en jouissent tous les deux, ils  deviennent ennemis.‐HOBBES (Léviathan)   Dans  une  interview  récente  Rizzolati  (le  directeur  du  groupe  de  chercheurs  qui  a  découvert  les  neurones  miroirs)  a  dit  :  « Le  processus  dʹimitation  est  limité  chez  les  singes,  et  cʹest  souvent  dangereux  pour  eux  dʹimiter »  (5  février  2005  dans  Le  Figaro).  Dʹoù  vient  ce  danger  de  lʹimitation?  Rappelons que les neurones dans le cortex pré moteur des singes étudiés par Rizzolati étaient activés  quand lʹanimal effectuait un mouvement avec but précis, le plus souvent ʹsaisir un objetʹ. Imaginons  maintenant  un  singe  qui  tente  de  sʹemparer  dʹun  objet  et  un  autre  qui  lʹimite  aveuglément,  ʹinconsciemmentʹ.  Ces  deux  mains  également  avides  qui  convergent  vers  un  seul  objet  ne  peuvent 
  • 7. manquer de provoquer un … conflit. Voilà que la mimésis peut être la source de conflits, de violence,  si  lʹon  voit  que  les  comportements  dʹacquisition  et  dʹappropriation  (le  fait  de  prendre  un  objet  pour  soi) sont aussi susceptibles dʹêtre imités. Là chose est claire et pourtant ‐ chose étrange et remarquable  ‐ ce type de comportement fort important pour les primates et pour les humains nʹa pas été incorporé  dans la recherche sur lʹimitation :  Ce  nʹest  pas  un  hasard,  sans  doute,  si  le  type  de  comportement  systématiquement  exclu  par  toutes  les  problématiques  de  lʹimitation, de Platon jusquʹà nos jours, est celui auquel on ne peut pas songer sans découvrir aussitôt lʹinexactitude flagrante  de la conception quʹon se fait toujours de cette ʹfacultéʹ, le caractère proprement mythique des effets uniformément grégaires  et lénifiants quʹon ne cesse de lui attribuer. Si le mimétique chez lʹhomme joue bien le rôle fondamental que tout désigne pour  lui,  il  doit  forcément  exister  une  imitation  acquisitive  ou,  si  lʹon  préfère,  une  mimésis  dʹappropriation  dont  il  importe  dʹétudier les effets et de peser les conséquences. (Girard 1978)  Cette remarque pourtant évidente a dʹénormes conséquences pour notre compréhension de lʹhomme.  La  mimesis  devient  ‐  du  coup  ‐  fort  paradoxale:  elle  peut  être  source  dʹempathie,  de  conformisme,  mais aussi de rivalité. Donnons encore un exemple simple, même banal, dʹune rivalité qui naît de la  mimésis. Imaginons deux bambins dans une pièce pleine de jouets identiques. Le premier prend un  jouet, mais il ne semble pas fort intéressé par lʹobjet. Le second lʹobserve et essaie dʹarracher le jouet à  son petit camarade. Celui‐là nʹétait pas fort captivé par la babiole, mais ‐ soudain ‐ parce que lʹautre est  intéressé  cela  change  et  il  ne  veut  plus  le  lâcher.  Des  larmes,  des  frustrations  et  de  la  violence  sʹensuivent. Dans un laps de temps très court un objet pour lequel aucun des deux nʹavait un intérêt  particulier est devenu lʹenjeu dʹune rivalité obstinée. Il faut noter que tout dans ce désir trop partagé  pour un objet impartageable est imitation, même lʹintensité du désir dépendra de celui dʹautrui. Cʹest  ce  que  Girard  appelle  la  rivalité  mimétique,  étrange  processus  de  ʹfeedback  positifʹ  qui  sécrète  en  grandes quantités la jalousie, lʹenvie et la haine.  Conclusion    Si  lʹimitation  est  souvent  dangereuse  pour  les  singes  il  ne  doit  pas  y  en  aller  autrement  pour  les  humains.  Souvent  les  singes  ne  risquent  pas  de  se  bagarrer  à  mort  pour  de  la  nourriture,  des  partenaires,  un  territoire,  etc.  parce  quʹil  existe  chez  eux  des  freins  instinctifs  à  la  violence,  des  rapports  de  domination  (des  ʹdominance  patternsʹ).  Chez  les  hommes,  nous  le  savons,  ces  freins  instinctuels nʹexistent plus. La violence intraspécifique, la ʹguerre de tous contre tousʹ pour reprendre  le  mot  de  Hobbes,  a  du  jouer  un  rôle  important  dans  lʹhominisation.  Comme  le  disait  déjà  Jacques  Monod :   « Dominant  désormais  son  environnement,  lʹHomme  nʹavait  devant  soi  dʹadversaire  sérieux  que  lui‐même.  La  lutte  intraspécifique  directe,  la  lutte  à  mort,  devenait  des  lors  lʹun  des  principaux  facteurs  de  sélection  dans  lʹespèce  humaine.  Phénomène  extrêmement  rare  dans  lʹévolution  des  animaux.  […]  Dans  quel  sens  cette  pression  de  sélection  devait‐elle  pousser lʹévolution humaine ? » (Monod, 1970).  Comment cet obstacle formidable quʹoppose la violence intraspécifique à la création de toute société  humaine  a  été  soulevé?  Voilà  une  question  importante.  Voilà  la  question  qu’a  dû  affronter  René  Girard  après  avoir  découvert  l’ambiguïté  de  la  mimésis.  Il  faut  espérer  que  les  recherches  interdisciplinaires sur lʹhomme vont scruter le problème. Et on ne peut pas ne pas le rencontrer sur sa  route  si  lʹon  contemple  vraiment  la  nature  extrêmement  paradoxale  de  lʹimitation  humaine:  source  dʹintelligence, dʹempathie, mais aussi de rivalité, de destruction.     Notes  (1) Aujourdʹhui cela nʹest plus une question. On se demande désormais comment les neurones miroirs opèrent  chez lʹhomme et en quoi cela est différent des autres animaux. Voir entre autres : Buccino, G., Lui, F., Canessa,  N., Patteri, I., Lagravinese, G., Benuzzi, F., Porro, C.A., and Rizzolatti, G. (2004) Neural circuits involved in  the recognition of actions performed by nonconspecifics: An fMRI study. J Cogn. Neurosci. 16: 114‐126.   
  • 8. (2) ʺThe human mind demonstrates a greater development of imitative phenomena throughout the lifespan, both  quantitatively and qualitatively.ʺ (Garrels, 2004)  Shirley Fecteau: ʺCeci montre que le mécanisme des neurones miroirs est actif dans le cerveau immature.  Lʹactivation est toutefois plus réduite que celle observée chez les adultes, ce qui indique que ces réseaux,  probablement en place dès la naissance, continuent de se développer dans des stades ultérieurs de lʹenfance.ʺ   Interview sur le forum ʹonlineʹ de lʹUniversité de Montréal :  http://www.iforum.umontreal.ca/Forum/ArchivesForum/2004‐2005/041213/article4195.htm    (3) ʺIt is clear that there is no place in Freudʹs theory of early infancy for imitative self‐other reciprocity.ʺ  (Trevarthen, Kokinaki, & Fiamenghi, 1999, p. 155).    (4) Voir René Girard (1978, p. 17).    (5) Voici ce que disent Wohlschlager et Bekkering :  The goal‐directed theory of imitation allows imitators to learn from models even if the differences in motor skills  or in body proportions are so huge that the imitator is physically unable to make the same movement as the  model. Whatever movement the imitator uses, the purpose of learning by imitation can be regarded as being  fulfilled as soon as he reaches the same goal as the model. (Wohlschlager & Bekkering, 2002, p. 104).  Il est aussi intéressant de noter ‐ entre parenthèses ‐ que cette hypothèse récente semble aller un peu à lʹencontre  de  la  théorie  ʹmémétiqueʹ  de  Richard  Dawkins  (1976  The  Selfish  Gene).  Dawkins  a  forgé  une  théorie  assez  fascinante de la culture en tenant compte de lʹimportance de lʹimitation et en extrapolant le schème Darwinien  vers le domaine des idées. La tentation est grande, en effet, pour un biologiste de comparer la sélection des idées à  lʹévolution  Darwinienne.  Six  ans  avant  le  fameux  livre  de  Dawkins  le  prix  Nobel  français  Jacques  Monod  écrivait déjà à la fin de son livre Le Hasard et la Nécessité sous le titre ʹla sélection des idéesʹ:   Il  est  tentant,  pour  un  biologiste,  de  comparer  lʹévolution  des  idées  à  celle  de  la  biosphère.  Car  si  le  Royaume  abstrait  transcende  la  biosphère  plus  encore  que  celle‐ci  lʹunivers  non  vivant,  les  idées  ont  conservé  certaines  des  propriétés  des  organismes.  Comme  eux  elles  tendent  à  perpétuer  leur  structure  et  à  la  multiplier,  comme  eux  elles  peuvent  fusionner,  recombiner, ségréger leur contenu, comme eux enfin elles évoluent et dans cette évolution la sélection, sans aucun doute, joue  un grand rôle. (p. 181).  Mais ajoute Monod : « Je ne me hasarderai pas à proposer une théorie de la sélection des idées. ʺ Chez Dawkins  lʹimitation, la reproduction porte sur les ʹidéesʹ sur des unités dʹinformation (ʹmèmesʹ), des représentations en  somme. Les recherches toutes récentes nous montrent ‐ au contraire ‐ que lʹimitation humaine porte dʹabord sur  des  intentions.  Dans  un  cadre  philosophique  on  peut  dire  que  Meltzoff  et  autres  dégagent  définitivement  la  mimesis  de  son  ancien  contexte  dʹidéalisme  platonicien  (et  ce  platonisme  ‐  dʹaucuns  ont  pu  le  remarquer  ‐  semble  toujours  là  chez  un  Dawkins  qui  parle  dʹidéosphère,  un  peu  comme  Monod  qui  parlait  du  ʹRoyaume  abstrait  des  idéesʹ,  ce  qui  implique  toujours  la  vieille  conception  platonicienne  ‐  un  peu  mythique,  il  faut  lʹavouer ‐ selon laquelle les idées ont une existence indépendante des hommes).    Sources  Bushman, B. and Huesmann, L. (2001) ʺEffects of televised violence on aggressionʺ, in D.G. Singer & J.L.  Singer (ed.) Handbook of children and the media, Thousand Oaks: Sage, pp. 223‐254  Dawkins, Richard, (1976) The Selfish Gene, Oxford University Press.  Garrells, Scott R., (2004) ʹImitation, Mirror Neurons, & Mimetic desireʹ  http://www.covr2004.org/garrelspaper.pdf   Girard, René, (1961) Mensonge Romantique et Vérité Romanesque (Paris : Grasset), 1972) La violence et le  sacré (Paris: Grasset),  (1978) Des Choses cachées depuis la fondation du monde avec Jean‐Michel Oughourlian et Guy Lefort  (Paris: Grasset).   Hurley, S. & Chater, N. (2002). Perspectives on imitation: from cognitive neuroscience to social science.  Royaumont Abbey, France, 24‐26 May.   Nadel, J. & Butterworth, G. (1999). Imitation in Infancy. Cambridge University Press. ‐ Meltzoff, A. &  Decety, J. (2003). What imitation tells us about social cognition: a rapprochement between developmental 
  • 9. psychology and cognitive neuroscience. Philos. Trans. R. Soc. Lond. B Biol. Sci. 358, 491‐500.  Meltzoff, A. & Moore, K. (1977). Imitatoin of facial and manual gestures by human neonates. Science, 198,  75‐78   ‐ Meltzoff, A. & Moore, K. (1983). Newborn infants imitate adult facial gestures. Child Development, 54,  702‐709  Meltzoff. A. & Moore, K. (1989). Imitation in newborn infants: exploring the range of gestures imitated and  the underlying mechanisms. Developmental Psychology, 25, 945‐962.  Monod, Jacques, (1970) Le hasard et la nécessité, Seuil.  Ramachandran, V. (2000). Mirror neurons and imitation learning as the driving force behind ʺthe great leap  forwardʺ in human evolution. http://www.edge.org/documents/archive/edge69.html  Rizzolati, G., Fadiga, L., Fogassi, L., & Gallese, V. (1996a). Premotor cortex and the Recognition of motor  actions. Cognitive Brain Research, 3, 131‐141  Tarde, Gabriel, Les lois de lʹimitation, Paris 3ème éd. revue et augmentée 1900.  Trevarthen, C. Kokkinaki, T., & Fiamenghi Jr., G. (1999). What infantsʹ imitations communicate: with  mothers, with fathers, with peers. In Imitation in Infancy (ed. Nadel, J. & ‐ Butterworth, G.) pp. 9‐35.  Cambridge University Press