Mairies communes du Pays de Fouesnant --phpcd5 ll5
Archéologie à fouesnant
1. Philippe Rivière
Le petit bloc
d’éternité
Clohars-Fouesnant,
1995..
août
Comment ne l’ai-je enfoui, avec ma pelle, sans même le voir ? A grands coups de pioches,
dix fois, cent fois j’aurais pu le briser, le réduire en miettes ! Pourquoi, dissimulé sous
l’éclatante lumière du soleil, perdu parmi tous ces gravats et dans la furie du terrassement, ce
fragment de roche a-t-il capté mon regard ?
Sans le quitter des yeux de peur de le perdre, lentement, j’ai posé mes outils et retiré mes
gants, un peu comme un guerrier dépose les armes, puis j’ai mis un genou à terre, pour
délicatement le prendre dans ma main…
Un grand silence m’a soudainement enveloppé, le temps s’est figé, comme si quelqu’un
avait bloqué le film, en appuyant sur pause. Longtemps je suis resté là, seul, à rouler ce petit
bloc d’éternité entre mes doigts, à le considérer sous toutes ses facettes. Petit à petit, un
curieux sentiment m’a envahi, une espèce de grande joie amalgamée de retenue, voire de
respect, car j’ai compris à la vue de cette pierre, (polie, longue d’une quinzaine de
centimètres, de forme allongée, effilée telle une hache) que je venais de ramasser dans ma
cour un morceau de préhistoire ! ..
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2. Je me sentais comme un coureur de relais, à qui l’on vient de passer le témoin. Le témoin
d’une course, celle de l’humanité, partie il y a des millions d’années ! Une course sans point
d’arrivée connu, et au point de départ incertain, mais dont la piste est jalonnée de traces de
passages, qui permettent, à défaut de vraiment savoir où l’on va, d’essayer de comprendre un
peu d’où l’on vient…
J’ai attrapé ma veste posée non loin, à même le sol. Avec d’infinies précautions, j’ai glissé
ma trouvaille dans la poche intérieure, un peu comme on remet un bijou dans son écrin. Je me
pris à rêver : « et si j’avais fait bâtir ma maison sur un site préhistorique ? Et si mon jardin
regorgeait de vestiges, de fossiles, de…» puis la raison chassa d’un coup mon état onirique !
Ne fallait-il pas, tout d’abord faire authentifier ma découverte ? Ce n’était pas mes
rudimentaires connaissances sur le Néolithique, (jusqu’à il n’y a pas si longtemps, lorsque
l’on me demandait si je connaissais l’Age de pierre, je donnais celui d’un petit camarade de
mon fils !) ou encore moins ma simple conviction personnelle, qui allaient faire autorité en la
matière ! C’est pourquoi, je me promis de montrer mon « caillou » à un expert, et ce, au plus
vite ! Que voilà une singulière situation, paradoxale et drôle! Pour un inventeur, être obligé
de prouver qu’il n’a rien inventé !
Penmarc’h, mai 2004…
Neuf années se sont écoulées, presque une décennie, un tout petit rien de temps dans
l’histoire de l’humanité, mais suffisant, quand même, pour nous faire basculer dans un autre
siècle et, avec lui, dans un nouveau millénaire ! Nous voici, les vivants, à exister à cheval sur
deux siècles et en même temps sur deux millénaires (ce qui pour moi, n’ayant jamais fait
d’équitation, ne manque pas de sel !). Cela peut paraître désuet, sans importance, mais je
pense au contraire que nous sommes privilégiés, et vue la prolifération des centenaires, les
plus jeunes d’entre nous peuvent même espérer accrocher le 22ème siècle ! Pour ce qui est du
4ème millénaire, et malgré les progrès de la science, je serai plus réservé…
L’an 2000 n’a pas vu la fin du monde, (mais aura sonné le glas de bon nombre de carrières
de prédicateurs ! Oracle, ô désespoir !) Le « Bug » informatique, tant redouté, n’a pas eu lieu,
et l’Homo sapiens, sapiens continue son bonhomme de chemin…
Durant tout ce temps « ma pierre », bien que vénérée, a trôné en différents endroits de mon
salon, sans que je fasse quoique ce soit pour elle ! Emportée par les tourbillons de l’existence,
l’excitation du début a fait place à un certain attentisme passif, genre « faudra que j’y pense
un de ces jours ! », j’attendais sans doute qu’un archéologue vienne dîner à la maison, pour lui
présenter ma pierre entre la poire et le fromage, (et encore j’aurai été capable de le laisser
repartir en oubliant de lui en parler !) ; mais pour autant, jamais pendant cette période
« léthargique » (que l’on pourrait qualifier de période Homo sapiens sapionce), mes certitudes
n’ont été ébranlées, à aucun moment je n’ai douté de la valeur de ma découverte…
Il faudra le hasard d’une balade, dominicale et familiale, du côté du phare d’Eckmühl, pour
réveiller mon intérêt et qu’enfin ma lanterne soit éclairée ! Un peu comme Fouesnant est
réputé pour son cidre, Douarnenez pour son kouing-amann, ou encore Pont-Aven pour ses
galettes, Penmarc’h est célèbre pour son phare ! Mais, chose plus méconnue, la ville abrite
aussi en son sein, (ou plus exactement le long de ses côtes) le « Musée de Préhistoire
Finistérienne ».
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3. Erigé face à la plage de Pors-Carn, c’est un bâtiment tout en longueur, couvert d’ardoises,
avec des fenêtres grillagées, qui lui donnent un aspect extérieur austère ; pourtant c’est un
authentique joyau, renfermant un véritable trésor archéologique, issu de fouilles et de
trouvailles faites, sur tout le département, depuis plus d’un siècle.
Emerveillé, j’ai redécouvert le lieu, (dans ma mémoire flotte un vague et lointain souvenir
d’une précédente visite, faite lors d’une sortie scolaire..) avec ses deux salles contiguës,
séparées par une cloison dans laquelle a été pratiquée une large ouverture voûtée ; les murs
sont enduits de ciment ; à hauteur de plafond, de longues poutres de bois traversent l’édifice ;
dans sa largeur, à intervalles réguliers, la charpente, apparente, est percée de panneaux
translucides, laissant passer la lumière du jour. Le mobilier date des années 1960 ; les
principales collections sont présentées derrière des vitrines éclairées, aux cadres de bois
vernis, plus larges en haut qu’en bas (cette inclinaison de la vitre permet de limiter le dépôt de
poussière), ce qui confère à l’endroit un charme d’antan des plus agréables (un côté rétro,
pour un espace dédié à la préhistoire, je trouve cela d’un chic fou !). L’ensemble de
l’exposition est impressionnant, aussi bien en quantité qu’en qualité. Ici je reprendrai une
description donnée dans un fascicule (aujourd’hui épuisé) qui était vendu aux visiteurs du
musée, il y a quelques années :
« L’essentiel des objets archéologiques présentés est constitué de superbes outils en pierre
taillée ou polie (bifaces, racloirs etc. du Paléolithique inférieur, moyen et supérieur, flèches
en silex du Mésolithique, haches polies du Néolithique, extraordinaires pointes de flèches
de l’Age du Bronze à caractères typiquement armoricains), d’un magnifique ensemble de
céramiques préhistoriques et protohistoriques (vases du Néolithique à l’Age du Fer, la
plupart très complets et souvent porteurs de beaux décors), d’armes, pointes de lances,
outils divers de l’Age du Bronze). Des inhumations sont reconstituées : tombes en coffre de
l’Age du Bronze, avec leurs squelettes, cimetière à incinération… »
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4. Si, en terme de représentativité, le Nord Finistère et l’Ouest de la Cornouaille dominent, le
pays fouesnantais, très riche en la matière, y fait également bonne figure. Dans l’imposante
vitrine des Bronzes, notamment, où Gouesnac’h tient la vedette ; non-loin, dans le même Age,
Fouesnant pointe son nez avec un beau poignard, St-Evarzec et La Forêt Fouesnant ne sont
pas en reste, et nous offrent poteries et vases trouvés dans des sépultures…
Tout en parcourant l’exposition, j’écoutais, amusé, notre guide expliquer à mes enfants,
perplexes, qu’Obélix livre sur son dos, non pas des menhirs, mais des stèles ! Ce qui, pour
eux, était une révélation… de taille !
Si Bénodet et Clohars-Fouesnant sont curieusement absents, j’ai retrouvé Pleuven, au beau
milieu de la collection de haches polies, devant laquelle je suis resté en arrêt ! Là, s’est
volatilisée l’once de doute qui pouvait subsister concernant l’authenticité de la mienne ; elle
avait tout à fait sa place parmi les pièces étalées dans la vitrine ! Pour le coup, j’ai amèrement
regretté de ne pas l’avoir apportée avec moi, mais je décidai d’interpeller le guide, (qui n’était
autre que le régisseur du musée) sur la marche à suivre pour la faire expertiser.
Passionné (et passionnant), notre homme est intarissable, autant sur l’évolution de l’espèce
humaine que sur la petite histoire du musée et de ses fondateurs. Ne voulant pas le couper,
(avec ma hache, cela n’aurait pas été poli !) j’ai donc attendu la fin de la visite pour lui en
parler…
Celle-ci s’achève à l’extérieur, où le musée devient lapidaire. Là, souvent à la suite de
découvertes faites lors de fouilles dans la région, ont été reconstitués grandeur nature et dans
les matériaux d’origine, de nombreuses stèles de toutes tailles, des dolmens, des caveaux
funéraires, et l’on y retrouve le Pays Fouesnantais avec la tombe de Kerhuel, en StEvarzec,.…L’ensemble est d’une richesse et d’une diversité impressionnantes.
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5. Après m’avoir écouté avec intérêt, notre cicérone m’invitait à lui confier l’objet de toutes
mes interrogations, afin qu’il le fasse voir à un archéologue, seule façon d’être fixé. Cette
proposition m’emplit de joie autant que d’inquiétude, étais-je sûr de le récupérer après ?
« Ne vous inquiétez pas, les haches préhistoriques ne sont pas une denrée rare dans la
région, vous savez les musées en possèdent suffisamment, se sera peut-être un peu
long, mais elle vous sera restituée. »
Du coup je me suis senti rassuré, et aussi, au fond de moi, un peu déçu de voir banaliser
ainsi ma découverte.
Peu de temps après, je repassais le pont de Cornouaille, avec ma « précieuse » bien
emballée dans une boite à chaussures, accompagnée d’un petit mot, relatant l’historique de sa
découverte. Je bouillais déjà, de connaître le « verdict » de l’expert !..
Trois mois après…
Nous étions rendus au terme du mois d’août (ainsi que de ma patience) lorsque je pus
récupérer ma pierre et apprendre, enfin, les conclusions de l’archéologue :
« Hache polie Néolithique (4500-2000 av J.C) type peu courant, très allongé à talon
pointu. Roche à identifier pour connaître sa provenance »
M. Le Goffic.
Même si, depuis toujours, j’étais sûr qu’elle « en était une », le fait de lire les conclusions
manuscrites que Monsieur Le Goffic (archéologue du Conseil Général du Finistère) avait
rajoutées sur ma petite note explicative, m’a transporté de joie ! De cet instant je n’ai plus eu
le même regard sur « ma hache », que je connaissais maintenant un peu mieux.
Pour ce qui est de sa provenance, comme je l’avais mentionné à Monsieur Le Goffic, il
m’est difficile d’affirmer qu’elle provient bien de mon terrain, certes je l’y ai bien ramassée,
mais il n’est pas impossible qu’elle n’y soit venue que tout récemment…en camion !
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6. En effet, durant la construction de ma maison, j’ai fait venir plusieurs chargements de
pierres de la carrière de St-Evarzec. Il est vrai que malgré moult travaux de terrassement ou de
jardinage, je n’ai plus rien « remonté » depuis. Si je n’ai jamais vraiment penser pouvoir
mettre à jour quelques ossements d’Homo habilis (en plantant des iris), ou d’Homo érectus
(en binant mes éléagnus), j’ai toujours gardé une petite part d’espoir, au fond de moi, de
« trouver quelque chose ». Mais jusqu'à ce jour, aucune autre pierre digne d’intérêt, pas le
moindre fragment de céramique (pas de bol) ; si j’ai bien cru, une fois ou deux, tomber sur
des vestiges de l’Age du Fer, j’ai vite déchanté (un enjoliveur de phare et des poignées de
portières de Renault 4 cv, quelques fers à cheval, des bouts de chaîne, des maillons, mais pas
le chaînon manquant !.. ), en bref, dans ma quête, à domicile, du Néandertal, c’est surtout le
néant qui domine !
A contrario, voici une description, reprise dans un article de Foën Izella, sur les haches de
pierres polies retrouvées à Pleuven (dans le numéro « spécial Pleuven ») :
«Les découvertes de haches en pierre polie sont assez courantes dans le sud du Finistère.
Plusieurs sont en hornblendite, roche gris-verdâtre avec des inclusions noires, ce matériau
est de nature exceptionnelle, il n’en existe qu’un gisement connu, qui se trouve précisément
dans la commune de Pleuven, près de la ferme de Kerlévot,.. »
Lorsque je regarde « ma hache », et en repensant aux spécimens exposés à Pernmarc’h, nul
besoin d’être un minéralogiste patenté pour le dire, c’est exactement ça ! Ce serait très
exactement, pour reprendre les termes scientifiques, une amphibolite ultrabasique, une
horneblendite polymétamorphique (appelez-moi Docteur).
Le Néolithique est la période où l’homme passe de prédateur uniquement, à producteur
(début de l’agriculture organisée) ; il va commencer à se sédentariser, donnant naissance aux
premières communautés villageoises. Avec les outils en pierre polie, vont s’implanter
également les premiers ateliers de fabrication et avec eux, malgré un mode de vie relativement
autarcique, de véritables circuits d’échanges. Le site de Kerlévot est reconnu comme étant un
de ces lieux de production (début de l’air industriel ?) ; de plus il est situé à trois battements
d’ailes de chez moi ! Alors ma pierre aurait toujours été là ? Peut être a-t-elle été perdue lors
d’un défrichement ou encore égarée pendant une livraison ? Voilà le débat relancé…
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7. Clohars, Pleuven, St Evarzec, impossible de trancher (un comble pour une hache !), trois
communes où ma pierre a pu circuler il y à des milliers d’années.
Les villages de l’époque étaient plutôt des fortifications, destinées à protéger des clans, et si
la notion de territoire devait commencer à prendre forme, ces « microsociétés » étaient sans
aucun rapport avec nos agglomérations modernes.
Ceci dit, avec ma hache, qui se trouve des origines sur au moins trois des sept communes
que compte le canton de Fouesnant de nos jours, il est amusant de penser que l’une des
premières pierres de l’intercommunalité a été posée dans mon jardin…
Aujourd’hui, cet outil d’un autre âge fait un peu partie de ma famille. Mes enfants ne sont
pas peu fiers d’apporter à l’école « la hache », pour étoffer un cours sur la préhistoire, et la
montrer à toute la classe !
Cela me fait l’effet de posséder un de ces objets fétiches, que l’on se transmet de père en
fils, de génération en génération, sauf qu’ici il semble avoir fait l’impasse sur quelques
milliers d’entre elles, pour d’un coup, arriver jusqu’à moi !
Je me plais à penser qu’il a pu être façonné par les mains habiles d’un lointain ascendant.
Totalement improbable, et surtout parfaitement indémontrable, diront tous les spécialistes en
généalogie ! Certes, mais ces mêmes spécialistes, ne disent-ils pas, également, que nous
sommes tous un peu cousins ? Alors, laissez-moi croire que cette hache m’a été léguée par un
très, très vieux cousin. Mon cousin d’Armorique…
P.S : Pendant que j’achevais cet article, mon fils aîné m’a rapporté un autre superbe
spécimen de hache (de taille inférieure à celle évoquée ci-dessus et plus plate, probablement
de la même roche) qu’il a trouvé à Pleuven, non-loin de Kerlévot (non, je n’ai pas dressé mes
enfants à la chasse aux haches préhistoriques!). A ce rythme là, je ne vais pas tarder à ouvrir
une quincaillerie Outil-Age !
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