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Presse, pouvoir et démocratie

Master 1 de sociologie parcours :
« Dynamiques sociales et vulnérabilités »

Directeur de mémoire: Stéphane Corbin
Année universitaire 2011-2012
Université de Caen Basse-Normandie

Elsa Pietrucci
1
Remerciements

En préambule à ce mémoire, je souhaitais adresser mes remerciements les plus sincères
aux personnes qui m'ont apporté leur aide et qui ont contribué à l'élaboration de ce
mémoire ainsi qu’à la réussite de cette formidable année universitaire.
Je tiens à remercier sincèrement Monsieur Stéphane Corbin, qui, en tant que Directeur de
mémoire, s'est toujours montré à l'écoute et très disponible tout au long de la réalisation de
ce mémoire, ainsi pour l'inspiration, l'aide et le temps qu'il a bien voulu me consacrer et
sans qui ce mémoire n'aurait jamais vu le jour.
Mes remerciements s’adressent également au membres de la rédaction de l'Hérault du Jour
et l'équipe de production du Fou du Roi pour leur aide et leur patience durant mes
observations participantes.
J'exprime ma gratitude à tous les consultants et internautes rencontrés lors des recherches
effectuées et qui ont accepté de répondre à mes questions avec gentillesse.
Je n'oublie pas mes parents pour leur contribution, leur soutien et leur patience. Je tiens à
exprimer ma reconnaissance envers Mlle Audrey Campagne qui a eu la gentillesse de lire
et corriger ce travail.
Enfin, j'adresse mes plus sincères remerciements à tous mes proches et amis, qui m'ont
toujours soutenue et encouragée au cours de la réalisation de ce mémoire.
Merci à tous et à toutes.

2
Table des matières

INTRODUCTION ................................................................................................................................................................ 4
A.SYNTHÈSE DE L’EXISTANT........................................................................................................................................................... 4
B.HYPOTHÈSES DE DÉPART............................................................................................................................................................ 6
PARTIE I : MÉDIAS ET DÉMOCRATIE............................................................................................................................. 7
A.LE CONCEPT D’ESPACE PUBLIC DE JÜRGEN HABERMAS.................................................................................................................... 7
B. JURGEN HABERMAS VU PAR ANNE-MARIE GINGRAS .................................................................................................................... 8
C. CRITIQUE DE LA TÉLÉVISION PAR PIERRE BOURDIEU..................................................................................................................... 9
D. JOURNALISME ET DÉMOCRATIE, UN RÉEL QUATRIÈME POUVOIR ?..................................................................................................... 10
PARTIE II : HISTOIRE DE LA PRESSE........................................................................................................................... 12
A.QUELQUES DATES CLEFS.......................................................................................................................................................... 12
B.L’AFFAIRE DREYFUS................................................................................................................................................................ 13
C.PRESSE ET RÉVOLUTION FRANÇAISE......................................................................................................................................... 14
PARTIE III : FONCTIONNEMENT ET CARACTÉRISTIQUES DU JOURNALISME................................................. 14
A.PRESSIONS ÉCONOMIQUES........................................................................................................................................................ 17
B.PRESSIONS POLITIQUES........................................................................................................................................................... 20
C.COUPLE JOURNALISTE-POLITIQUE.............................................................................................................................................. 23
D.VIE PRIVÉ DES POLITIQUES ET AFFAIRE DSK............................................................................................................................. 24
E.CONNIVENCES........................................................................................................................................................................ 25
PARTIE IV : COMMUNICATION ET POLITIQUES....................................................................................................... 27
A.SOCIOLOGIE DE LA COMMUNICATION POLITIQUE........................................................................................................................... 29
B.RELATIONS ENTRE PRESSE ET PRÉSIDENTS ................................................................................................................................. 30
C.CAMPAGNE PRÉSIDENTIELLE DE NICOLAS SARKOZY...................................................................................................................... 32
D.LE STORYTELLING.................................................................................................................................................................. 33
PARTIE V : OBSERVATIONS ET ENTRETIENS............................................................................................................ 35
A.OBSERVATIONS DIRECTES ........................................................................................................................................................ 35
B.OBSERVATIONS PARTICIPANTES ................................................................................................................................................ 36
C.ENTRETIENS ......................................................................................................................................................................... 39
CONCLUSION...................................................................................................................................................................... 43
A.OPINION PUBLIQUE ET INFLUENCES........................................................................................................................................... 43
B.DIFFICULTÉS RENCONTRÉES PENDANT LA RECHERCHE................................................................................................................... 44
C.VÉRIFICATION DES HYPOTHÈSES ............................................................................................................................................... 45
REFERENCES CITEES..........................................................................................................................................................47
BIBLIOGRAPHIE..................................................................................................................................................................50

3
Introduction

« La presse, vous êtes tout de même obligé de la lire. Non pas pour savoir ce qui se passe, mais pour
savoir ce que les médias veulent que les gens pensent. » (1)
Il n’y a pas de démocratie sans liberté de la presse, qu’en est-il dans les sociétés occidentales ?
Ce mémoire a pour but de déterminer la nature des relations entre presse et pouvoir, et si celles-ci
influencent l’État démocratique en tant que concept fondé sur la liberté de la presse. Cette recherche ne
prétend pas donner des réponses précises sur l’état de la démocratie aujourd’hui, mais simplement
permettre une meilleure compréhension des enjeux d’une presse en perte d’indépendance dans un monde
de plus en plus médiatisé où les rapports de domination entre politique, économie et journalisme se sont
accentués dans la course au pouvoir.
C’est dans cette optique que nous nous poserons cette question de départ :
De quelle nature sont les relations entre presse et pouvoir, journalistes et politiques, et de quelles façons
ces relations influencent-elles une société démocratique fondée sur la liberté de presse ?
Nous commencerons par tenter de définir, à travers la vision de Jürgen Habermas et de Pierre Bourdieu,
ce qu’est un état démocratique et en quoi une totale liberté de la presse lui est indispensable. Dans un
deuxième temps, nous reviendrons sur quelques événements qui ont marqué l’histoire de la presse et ont
montré de quelles façons le journalisme peut être un réel vecteur de démocratie. Nous en viendrons
ensuite, dans une troisième partie, à définir les caractéristiques de la sphère journalistique à travers les
pressions multiples qui ne cessent de l’influencer. Dans un quatrième temps, nous nous attarderons sur
l’essor de la communication politique en tentant de comprendre comment celle-ci a transformé le travail
journalistique. Nous terminerons par une partie consacrée aux différentes observations effectuées, tout en
essayant d’interpréter les résultats dans le but de mieux comprendre l’état du monde politicojournalistique aujourd’hui.
Mais avant toute chose, il semble nécessaire de revenir sur les recherches déjà effectuées sur le sujet.

A. Synthèse de l’existant
La sociologie des médias s’est développée à partir des années trente et traite d’un certain nombre de
questions récurrentes :
- Quelle est l’influence des médias sur l’opinion publique et sur la décision politique ? Les médias font-ils
les élections ?
- Assiste-t-on à une massification du public soumis à l’influence des médias, et serait-il ainsi privé de sa
capacité de réflexion critique ?
- Le mouvement de concentration économique des médias et la proximité des élites médiatiques,
politiques et économiques, conduisent-ils à une pensée unique qui met en péril la démocratie et le
pluralisme ?
La sociologie des médias s’est particulièrement intéressée à l’étude de la communication de masse et à
ses effets sur la vie sociale. Elle a connu trois grandes étapes dans son évolution :
La première met l’accent sur la puissance des médias. L’ouvrage emblématique est celui de Serge
Tchakhotine, Le Viol des foules par la propagande politique (1939). L’idée selon laquelle les médias de
masse façonnent l’opinion et contribuent à un processus de massification au sein duquel les individus
4
perdent leurs capacités de réflexion et de critique. Cette vision est également présente dans les analyses de
l’École de Francfort. La deuxième, dans les années soixante, met l’accent sur les effets limités des
médias. Cette approche est notamment développée par Paul Lazarsfeld (Influence personnelle : Ce que
les gens font des médias) qui met en avant le phénomène du two step flow, selon lequel il n’y aurait pas
d’influence directe des médias sur l’opinion. Cette influence s’exerce en réalité par l’intermédiaire de
leaders d’opinion et se déroule en deux étapes : des médias aux leaders d’opinion, puis de ces derniers
aux individus avec lesquels ils sont en contact. Il y a donc une exposition sélective à l’action des médias,
car les individus perçoivent les informations en fonction de leur position sociale, de leur âge, etc. La
troisième, depuis les années soixante-dix, voit se développer des études qui mettent à nouveau l’accent
sur l’influence des médias en insistant sur leur fonction d’agenda. Cette fonction consiste à déterminer la
liste des sujets qui font l’objet des préoccupations de l’opinion publique et les enjeux du débat public. A
travers leur fonction d’agenda, les médias ne disent pas ce qu’il faut penser, mais ce à quoi il faut penser.
Les moyens de communication de masse apparaissent désormais aux individus comme une source
légitime d’information, alors même que les phénomènes d’identification partisane s’affaiblissent et que
l’influence des variables sociologiques devient plus complexe (l’âge, le genre, la profession se combinent
pour influencer la réception des messages transmis par les médias).
En ce qui concerne ma recherche, je me suis penchée plus particulièrement sur ces six auteurs et leurs
études sur le monde médiatique :
1. Anne Marie Gingras Médias et démocratie, le grand malentendu
Anne-Marie Gingras analyse le rôle politique des médias privés et publics, des sondages et des
technologies médiatiques. Elle déconstruit l’idée qu’il s’agit là de "maillons de la démocratie", les
présentant plutôt en partie comme des outils permettant la reproduction du pouvoir. Elle identifie les liens
de dépendance entre les médias et les pouvoirs politiques. Elle définit la politique spectacle et explique le
code de communication des hommes et des femmes politiques. Elle expose aussi une série de malaises
liés à l’insertion des médias dans le système économique : incidences de la propriété sur les contenus,
conséquences de la concentration de la presse et enfin marchandisation de l’information. Elle critique les
sondages, qu’elle considère comme des instruments qui passent pour être des consultations populaires.
Les sondages récoltent ainsi la légitimité de l’opinion publique. Les effets des technologies médiatiques
sur les comportements politiques sont analysés, ainsi que le militantisme sur Internet et les blogs
politiques.
2. Cyril Lemieux La Subjectivité journalistique et Un président élu par les médias ? Regard sociologique
sur la présidentielle de 2007
Cyril Lemieux est un sociologue qui s’est particulièrement intéressé à cette problématique. Dans « La
subjectivité journalistique », par exemple, il s’attache à déterminer de quelles marches de manœuvre
disposent les journalistes face à leur hiérarchie, aux contraintes économiques et de l’ordre de la
communication politique. Il laisse, dans ce livre, la parole à des sociologues et historiens et s’appuie sur
des enquêtes menées dans différents médias. Il pose ainsi la question du libre arbitre dans le travail
journalistique et, particulièrement, il s’interroge sur la nécessité de fonder la critique des médias sur une
responsabilité personnelle présumée des journalistes.
Dans un deuxième ouvrage, Cyril Lemieux s’intéresse à la campagne présidentielle de 2007, et plus
précisément à la relation qu’entretient Nicolas Sarkozy avec la presse. Premier président
« hypermédiatique », il a su utiliser les médias pour faire passer ses opérations de communication et a
toujours entretenu un rapport particulier à ce monde. Cette réussite médiatique serait-elle le résultat d’un
jeu d’intimidation-séduction avec les journalistes, ou aussi de réseaux tissés de longue date avec les
patrons de presse ? Mise en scène de l’actualité, utilisation des sondages et démocratisation d’Internet, la
sociologie peut, grâce à ses connaissances sur le sujet, permettre aux citoyens de résister aux effets
d’imposition propres aux discours médiatiques aussi bien qu’aux amalgames trompeurs que véhicule la
critique des médias souvent caricaturale. Dans ce livre, Cyril Lemieux nous explique, d’un point de vue
inspiré par la sociologie, le traitement médiatique de la campagne présidentielle.

5
3. Pierre Bourdieu Sur la télévision
Bien entendu, je ne peux ignorer l’étude de Pierre Bourdieu sur la télévision. Ce média serait porteur et
créateur de manipulation, et donc dangereux pour la démocratie. La liberté de la presse est ainsi bloquée
par des enjeux économiques et politiques puissants, mais également par une concurrence interne au
champ journalistique lui-même. La télévision ne serait alors porteuse que de programmes dangereux pour
la culture et la démocratie.
La censure invisible qui s’opère est ainsi détaillée par Pierre Bourdieu qui décrit les outils utilisés à cette
fin, comme les images et les discours. Enfin il s’attarde sur l’évolution du champ journalistique depuis
l’apparition de la télévision qui s’impose aujourd’hui comme média dominant, et sur ses conséquences
sur la société.
4. Sarah Finger et Michel Moatti L’Effet-médias : pour une sociologie critique de l’information
La journaliste et le sociologue s’allient dans cet ouvrage pour décrypter un flux d’actualité de plus en plus
flou. Ils analysent la transformation de l’événement en information, la multiplication des supports et
l’influence croissante de la communication. Les médias proposeraient une vision falsifiée du monde ; les
auteurs s’interrogent alors sur le changement de statut des journalistes qui représentaient les révélateurs
d’un monde caché et qui, aujourd’hui, sont considérés par l’opinion publique comme des manipulateurs et
des complices des différents pouvoirs. A travers des entretiens avec des journalistes et des communicants,
ils analysent les diverses influences sur la sphère journalistique.
5. Erik Neveu Sociologie du journalisme
Dans cet ouvrage, l’auteur replace la sphère journalistique dans un contexte de relations avec différents
acteurs politiques, économiques ou avec leurs sources. Il analyse l’évolution de l’écriture de presse et
tente de repositionner le débat classique qui consiste à définir les médias comme porteurs d’un pouvoir
sur l’opinion. À travers des faits d’actualité et leur traitement médiatique, il pose la problématique de
l’émergence de la presse gratuite et d’une massification de l’information sur Internet. Enfin, il observe et
décrit les réponses de la profession à ces défis.
6. Serges Halimi Les Nouveaux Chiens de garde
Dans ce livre, le journaliste dénonce une connivence omniprésente entre journalistes et politiques.
Appartenant tous à des grands groupes dirigés par des proches du pouvoir, comment les journalistes
peuvent-ils conserver une certaine liberté ? De plus, ces groupes de presse sont parasités par un objectif
premier : le profit. Selon lui, ces groupes maintiendraient à distance certains sujets pour en mettre
d’autres en avant, mais tout cela ne serait pas fait dans un objectif de manipulation, mais davantage par
paresse et par intérêts économiques. Fragilisés par la crainte du chômage, les journalistes se laissent de
plus en plus influencer et fragilisent ainsi leur indépendance. Il dénonce une presse qui se proclame
« contre-pouvoir » mais qui n’est finalement que du journalisme de révérence. C’est dans ce contexte que
se multiplient les cas d’informations « oubliées », d’affrontements factices et de services réciproques. La
marchandisation de l’information a amené les journalistes à défendre un système économique à la
manière de « chiens de garde ».
Pour conclure cette synthèse de l’existant, on remarque que la pensée sociologique des médias a évolué
progressivement, en même temps que les nombreux changements survenus au sein de la société.
Cependant, aujourd’hui, une vision domine et, en règle générale, les travaux des sociologues conduisent à
relativiser la thèse de la toute puissance des médias.

6
B. Hypothèses de départ
−
La sphère journalistique est de plus en plus influencée par la communication gouvernementale et
les enjeux économiques.
−
Le journaliste conserve une marche de manœuvre par son choix de résistance aux différentes
formes de domination
−
La notion d’espace public tel que la définit Jürgen Habermas ne se vérifie que partiellement dans
les sociétés démocratiques basées sur l’idée de liberté d’expression et, de fait, de liberté de la presse
−
Des relations de connivences existent entre journalistes et hommes politiques, mais elles ne sont
pas pour autant devenues une norme
−
La sphère politique influe sur le monde journalistique qui peut participer à la construction d’une
opinion publique, toutefois, l’opinion publique elle-même en tant que lecteur, auditeur ou spectateur
conditionne une partie de l’information à travers les attentes économiques.

Partie I : Médias et démocratie
A. Le concept d’espace public de Jürgen Habermas
Habermas est un philosophe et sociologue allemand, auteur du livre L’Espace public publié en 1962. Cet
ouvrage a pour but de « déplier le type idéal de la sphère publique bourgeoise, à partir des contextes
historiques propres au développement anglais, français et allemands au XVIII e siècle et au début du
XIXe siècle ». (2)
Il tente de décrire « le processus au cours duquel le public constitué par les individus faisant usage de
leur raison publique s’approprie la sphère publique contrôlée par l’autorité et la transforme en une
sphère où la critique s’exerce contre le pouvoir de l’État ». (3)
Il est donc indispensable de distinguer la société de l’État pour que l’espace public comme l’entend
Jürgen Habermas soit possible.
La publicité décrite dans l’ouvrage est un mot employé pour définir la chose rendue publique et apparaît
comme indispensable dans l’exercice de la critique du pouvoir politique.
Ce terme apparaît au XVIIIe siècle et peut être comparé au droit à l’information.
Cet espace public est avant tout politique. Même s’il a été initialement littéraire, il permet de faire le lien
entre la société, l’opinion publique qui la représente et l’État, afin de renverser les rapports de
domination.
Habermas définit l’espace public comme « La sphère des personnes privées rassemblées en un public »
(4), dans le but de discuter et débattre sur des questions de société.
L’espace public de Jürgen Habermas apparaît donc comme un espace où les lois démocratiques sont
pleinement respectées, avec une discussion libre entre citoyens égaux, ils peuvent librement exprimer leur
pensée sans se voir inquiétés par des restrictions politiques ou religieuses.
Dans cet espace de discussion libre va se développer, selon Habermas, un esprit critique envers les
pouvoirs politiques en place. Ce lieu peut être également appelé « sphère publique ».
Dans le but d’une comparaison avec le sujet qui nous intéresse, nous allons commencer par nous
demander si l’on peut considérer cet espace public comme répondant à un phénomène démocratique.
Trois aspects principaux semblent confirmer le fonctionnement démocratique de la sphère publique :
D’abord, l’idée d’égalité entre les membres. Les discussions sont portées par des arguments qui ne
prennent en compte en aucun cas les particularités des participants.

7
Ensuite, la liberté d’expression totale. Dans la sphère publique, il est permis de discuter de tout, et même
de sujets transcendantaux comme la religion, par exemple. Dans cet espace, tout peut être remis en cause.
On comprend ainsi mieux la définition de cet espace donnée par Jurgen Habermas : « la sphère des
personnes privées rassemblées en un public faisant un libre usage de leur raison ». (5)
Enfin, les décisions et délibérations sont prises à la majorité unanime. On observe grâce à cette idée
l’émergence du concept d’opinion publique, qui représente l’idée la plus largement représentée lors des
débats. Ce concept fait donc déjà pleinement partie de la sphère publique.
C’est dans la première partie de son ouvrage que Jürgen Habermas explore le concept de délibération
collective. On sent dans sa pensée une forte influence de Karl Marx quant à l’idée principale selon
laquelle l’individu doit s’émanciper de ses dominations par une sorte de lutte des classes autorégulée et,
donc, autonome.
C’est un processus collectif où les individus s’expriment à travers leurs expériences personnelles et s’en
servent afin de mieux connaître leurs désirs. Autrement dit, à travers cette discussion collective, chaque
individu bâtit une conscience de lui-même.
« Autrefois, la publicité avait dû se frayer une voie en s’opposant à la politique du secret pratiquée par
l’absolutisme : elle s’efforçait de soumettre personnalités et problèmes à la discussion publique, et faisait
en sorte que les décisions politiques fussent révisables devant le tribunal de l’opinion publique. De nos
jours, en revanche, ce n’est qu’avec l’aide du politique du secret pratiquée par des groupements
d’intérêts que la publicité est imposée : elle confère à des personnalités ou à des choses un prestige
public et les rend par là susceptibles d’être adoptées, sans réserve ni discussion. » (6)

B. Jurgen Habermas vu par Anne-Marie Gingras
Selon Anne-Marie Gingras dans son ouvrage Médias et démocratie, le grand malentendu, le concept de
sphère publique élaboré par Jürgen Habermas correspond en tout point à l’idéal des lumières :
« valorisation de la rationalité, infinie confiance en l’être humain, croyance en la capacité des sociétés
de s’autogouverner » (7). De plus, elle met en relation la dégradation de la sphère publique décrite par
Habermas et la critique des médias privilégiée par la gauche : « cette sphère a été instrumentalisée par
l’Etat et les pouvoirs économiques et ne sert plus au débat public » (8).
Le concept de sphère publique cristallise tout à fait la conception occidentale des médias, elle est perçue
comme un lieu de délibération par excellence permettant au peuple de s’autogouverner ; celui-ci prendrait
donc connaissance des enjeux importants de sa société par le biais des médias, et il s’exprimerait ensuite
en toute connaissance de cause.
Dans son ouvrage, Habermas explique que la sphère publique est réglementée par l’autorité, mais utilisée
par des « personnes privées rassemblées en un public » « directement contre le pouvoir lui-même » pour
« discuter avec lui des règles générales de l’échange, sur le terrain de l’échange des marchandises et du
travail social ». (9) Domaine qui reste essentiellement privé, mais dont l’importance revêt désormais un
caractère public.
Pour Habermas, la sphère publique devient donc l’outil grâce auquel les sociétés peuvent
s’autogouverner. « Certaines forces sociales qui veulent être en mesure d’influencer les décisions du
pouvoir font appel à un public qui fait usage de sa raison afin de légitimer devant ce nouveau forum (la
sphère publique) certaines de leurs exigences. » (10)
La sphère publique contribue donc à une « répartition des pouvoirs », l’opinion publique étant « une
instance de contrôle des excès du gouvernement ». (11)
C’est donc à partir de ce concept qui exprime au mieux l’idée de démocratie dans son idéal, que nous
tenterons d’analyser le rôle des médias et leur influence positive ou négative sur ce raisonnement
démocratique à la base de nos sociétés occidentales.
Cependant, Jürgen Habermas consacre la dernière partie de son livre à l’affaiblissement de cet espace
8
publique. Il l’explique en grande partie par la disparition de la publicité comme moyen de critique et qui
s’est transformée depuis le début du XXe siècle en une publicité de « démonstration et de manipulation »
(12) qui se consacre alors aux intérêts privés plutôt qu’à un rôle social et politique dans l’espace public.

C. Critique de la télévision par Pierre Bourdieu
Dans son livre sur la télévision, Pierre Bourdieu part du principe selon lequel la télévision serait néfaste
pour toutes sortes de productions culturelles, la sphère politique et la démocratie. L’information devenue
dépendante du marché engendre une concurrence pour acquérir le plus d’audimat possible. Cependant,
Pierre Bourdieu ne critique pas directement les journalistes, mais propose cette analyse dans le but de
combattre un journalisme utilisé comme oppression symbolique, alors qu’il pourrait être un vecteur de
démocratie extrêmement efficace. Même s’il se concentre particulièrement sur les effets de la télévision,
l’on retrouve tout au long du livre une analyse de la presse et du journalisme extrêmement constructive
pour le sujet de ce mémoire, car elle met en avant les défaillances globales et les enjeux de ce métier
envers la démocratie.
Il identifie plusieurs causes à cet effet nuisible pour la démocratie, et nous allons en exposer quelquesunes afin de mieux comprendre le fonctionnement de la télévision dans nos sociétés modernes.
1. Le plateau et ses coulisses
Tout d’abord, il aborde le problème des restrictions imposées par la télévision lors d’émissions, par
exemple. Le temps de parole limité, les sujets de discussions imposés avec des interventions répétées afin
de contrôler le discours des invités créent un environnement peu favorable à un débat sain. Tout est fait
pour diriger et aiguiller l’invité vers ce que la télévision attend de lui.
2.Une censure invisible
La télévision apparaît pour Bourdieu comme un outil de censure invisible dans le sens où elle est bien
souvent utilisée comme outil de communication. Il existe, selon lui, une censure opérée sur les invités et
les journalistes. Elle se traduit par exemple par la nomination des patrons de chaînes, l’autocensure des
journalistes, en partie liée à la précarité grandissante de leur métier, et aux difficultés économiques
générales.La course à l’audimat engendre un choix particulier d’information ; ainsi, les faits divers sont
de plus en plus présents, prenant la place de faits d’actualité plus riches en informations. Cette forme de
télévision, qui a un important impact sur la population, engendre donc un type de pensée générale qui
écarte toute forme de conscience critique indispensable au bon déroulement de la démocratie. L’écart
entre ceux qui continuent de lire des quotidiens plus sérieux et les adeptes de la télévision ne cesse de se
creuser et apparaît comme l’une des causes qui expliquent qu’une grande partie de la nouvelle génération
soit peu politisée et mal équipée en termes de conscience politique et d’engagement citoyen.
3. Cacher en montrant
Une autre caractéristique de cette télévision consiste en une sorte de censure de l’information.
Souvent trafiquée pour être plus sensationnelle, l’information ne reflète plus une réalité, mais est utilisée à
des fins politiques et économiques. La sélection des informations effectuée par les journalistes ne permet
pas une information saine, car elle est faite en fonction des médias concurrents et en constante recherche
du « scoop ». Cela a pour effet une uniformisation de l’information qui perd, dès lors, de son intérêt.
4. La circulation circulaire de l’information
Un des problèmes les plus importants dans la production journalistique est l’effet de mimétisme.
Effectivement, lorsqu’une information est relayée par un organe de presse, les autres s’empressent de la
copier et de la publier à leur tour. Cet engrenage est dû en grande partie à des raisons économiques. Car
une chaîne ne peut se permettre de ne pas proposer une information alors que tous ses concurrents l’ont
déjà traitée, de peur de perdre des téléspectateurs. C’est ainsi que la logique financière s’impose aux
productions culturelles.

9
5. L’urgence et la « fast-thinking »
Une autre lacune répertoriée par Pierre Bourdieu sur la télévision est le fait que les intervenants invités
aux émissions de télévision sont toujours les mêmes. Les scientifiques ou spécialistes sont donc porteparole d’une pensée presque unique, qui monopolise les ondes télévisuelles et ne laisse aucune place à
d’autres visions d’un sujet donné. Habitués des médias, ces « fast-thinkers » ne perdent pas de temps et
répondent parfaitement aux exigences imposées par la télévision, à savoir les contraintes de temps et
l’exposition d’idées faciles à intégrer par les téléspectateurs.
6. Des débats vraiment faux ou faussement vrais
Cet aspect de la télévision est un des plus antidémocratiques, car il ne permet pas une réelle liberté
d’expression.
Soit les intervenants se connaissent déjà entre eux, ce qui fausse totalement la discussion, soit le débat est
régi par une série d’opérations de censure comme le temps de parole, les sujets imposés ou les
interventions des présentateurs.
6. L’emprise du journalisme
Selon Pierre Bourdieu et son concept de champ, le journalisme est un champ extrêmement influencé par
le champ politique et économique.
Ainsi le journalisme est de plus en plus soumis aux emprises économiques.
On peut d’ailleurs observer quelques propriétés du champ journalistique : il s’est constitué au XIXe siècle
et est composé de deux caractéristiques qui s’opposent l’une à l’autre, toutes deux liées à la légitimation.
La première est la reconnaissance par ses collègues journalistes, et la deuxième est la reconnaissance par
le plus grand nombre, c’est-à-dire en termes de part de marché et de profit financier. Ce poids du financier
sur la profession est un frein énorme à l’autonomie du journalisme, un aspect du métier pourtant
indispensable au maintien de la démocratie.

D. Journalisme et démocratie, un réel quatrième pouvoir ?
La presse et le journalisme apparaissent à l’esprit du plus grand nombre comme un outil de protection
contre les abus du pouvoir politique. Les journalistes permettent de faire le lien entre les pouvoirs en
place et les citoyens, en permettant à la population de développer un esprit critique face aux actions
politiques en tout genre. C’est ainsi que le premier point examiné afin de définir si une société est
démocratique est la capacité de la presse à être indépendante, comme le résume Anne-Marie Gringas:
« Une presse libre sert donc d’outil essentiel dans une société démocratique, et l’asservissement de la
presse dans les pays ayant des systèmes autoritaires de gouvernement sert d’exemple a contrario des liens
entre médias et démocratie. » (13)
De ce fait, la presse est porteuse d’une réelle responsabilité sociale et ne peut être corrompue ou
manipulée sans risquer de perdre son pouvoir d’équilibre essentiel à la démocratie. Cette responsabilité a
d’ailleurs été définie clairement en 1947 par la « Commission américaine sur la liberté de la presse,
aussi appelée commission Hutchins ». (14)
Les études de cette commission restent pourtant très idéalistes et reconnaissent cinq responsabilités à la
presse : « Présenter un compte rendu des événements véridique, complet et intelligible dans un contexte
qui leur donne un sens. » (14) Cette première responsabilité apparaît comme évidente ; cependant, à
travers ce mémoire, nous allons vite nous rendre compte qu’elle n’est plus réellement respectée par la
profession journalistique. En partie muselés par les contraintes de temps et d’argent ou par la course à
l’audimat, les journalistes ne prennent plus vraiment le temps de remettre une information dans son
contexte, et n’hésitent pas à la transformer, pour la rendre plus émotionnelle, par exemple.
La deuxième responsabilité proposée consiste à : « Être un forum d’échange ». (14) Celle-là aussi
n’apparaît pas vraiment comme d’actualité, car si, effectivement, durant la Révolution française, par
exemple, la presse a été un vrai lieu d’échanges et s’apparentait de près au concept de sphère publique de
10
Jurgen Habermas, de nos jours, elle se contente d’être une marchandise exploitée dans un but purement
économique.
La troisième est la suivante : « Projeter une image représentative des groupes constitutifs de la société ».
(14) C’est un dogme que la profession journalistique tente de respecter, et particulièrement en France, car
la pluralité politique y est très importante. Cela a d’ailleurs pu être constaté lors de l’observation
participante dans le petit quotidien régional l’Hérault du Jour où les journalistes mettaient un point
d’honneur à laisser la parole à chaque candidat durant les élections régionales. Cependant, en ce qui
concerne les différentes couches sociales, religions ou communautés, on peut se demander jusqu’à quel
point elles sont également représentées dans les médias français. Très souvent, on observe plutôt une
stigmatisation de certaines parties de la population, ce qui n’est pas porteur d’une réelle cohésion sociale.
Les deux derniers points concernent le fait de « présenter et clarifier les buts et les valeurs de la société »
et de « fournir un accès total aux informations du jour ». (14) Cela est également peu vrai de nos jours,
car les informations continuent d’apparaître biaisées par les enjeux économiques et politiques qui
contrôlent de plus en plus le milieu journalistique. Par exemple, par faute de temps, les journalistes
doivent faire des choix concernant les informations à traiter. Ils ne peuvent pas se permettre de ne pas
sortir une information déjà relayée par les médias concurrents de peur de perdre des lecteurs, auditeurs ou
téléspectateurs. La sélection se fait également en fonction de l’impact émotionnel et de l’intérêt que peut
porter l’opinion sur ces informations, et est bien souvent le reflet de l’influence politique sur la presse à
travers les communiqués de presse à disposition des journalistes.
Le terme de « quatrième pouvoir », apparaît en 1987, utilisé par l’écrivain britannique Edmund Burke. La
classification des pouvoirs a été également un des questionnements centraux d’Alexis de Tocqueville dans
De la démocratie en Amérique. Dans cet ouvrage, il repère quatre pouvoirs : le pouvoir central (exécutif,
législatif et judiciaire), le pouvoir local (les pouvoirs fédérés), le pouvoir associatif (les lobbys) et, enfin,
la presse écrite. Celle-ci apparaît donc comme un pouvoir important au sein de l’État démocratique, et est
d’ailleurs définie en ces termes par Marcel Gauchet, dans Contre-pouvoir, méta-pouvoir, anti-pouvoir :
Elle « n’a d’autre pouvoir que celui d’arrêter les pouvoirs ». (15)
Mais qu’en est-il aujourd’hui ? La presse a-t-elle toujours une influence réelle sur la population ?
Comme fonction première de la presse, on peut considérer un rôle d’arbitre ou de médiateur.
Par son biais, les informations de toutes sortes peuvent être communiquées au plus grand nombre et, ainsi,
permettre au citoyen d’agir en connaissance de cause. Marcel Gauchet décrit son rôle comme se bornant
« à créer des conditions d’une compétition loyale pour le pouvoir, de l’extérieur du jeu, et par des
moyens exclusivement d’une information à même de limiter l’emprise des puissance sociales diversement
intéressées à biaiser le jeu ». (15) Gardienne d’un tel pouvoir dans un espace politique et économique tel
que nos sociétés modernes semblent être un vrai danger pour le maintien de la démocratie. Si la presse
était contrôlée par d’autres sphères, elle pourrait devenir source de nombreux effets anti-démocratiques, à
l’opposé de son rôle initial.
Le rôle de la presse prend toute son ampleur pendant l’élection présidentielle, par exemple où elle doit
être garante de la pluralité des idées politiques en exposant les candidats et les partis à égalité.
Lors de l’observation participante à l’Hérault du Jour qui a eu lieu pendant les élections régionales, le
point d’honneur des conférences de rédaction était de respecter la pluralité en consacrant des articles de
même taille à chaque candidat. Cela est d’ailleurs apparu comme un vrai dilemme pour ce petit journal
inscrit fortement à gauche, mais les journalistes ont tenté de respecter cet engagement tout au long de la
campagne.
Cependant, d’après les études de P. Lazarsfeld et B. Berelson, décrites précédemment, on observe que
l’influence des médias sur les gens, en particulier en politique, n’est pas si importante, et que la presse ne
fait souvent que renforcer des idées déjà partagées par l’individu auparavant. De plus, le manque croissant
d’autonomie de la presse rend la population de plus en plus sceptique, et une perte de confiance envers
elle est observée dans l’opinion.

11
Toutefois, à travers l’histoire, de nombreux faits ont montré le pouvoir de la presse sur le comportement
des individus et sur leur façon de penser. L’on peut ainsi en citer deux exemples : l’affaire Dreyfus, qui a
pris toute son ampleur grâce à la presse, et la Révolution française, à travers laquelle s’est formé le
journalisme.

Partie II : Histoire de la presse
Nous commencerons cette partie par quelques dates clefs relatives à la construction de la presse en
France. Afin de mieux comprendre ce qu’elle est aujourd’hui, il est indispensable d’en analyser les
débuts. Pour ce faire, nous nous attarderons sur deux aspects de l’histoire bien spécifiques, qui mettent en
lumière le pouvoir de la presse sur l’opinion, ainsi que son rôle démocratique.

A. Quelques dates clefs
1631 La Gazette, le premier journal français
Le roi Louis XIII participe à de nombreux articles et le prix littéraire Renaudot sera instauré en mémoire
du fondateur du journal.
1777 Le premier quotidien paraît en France
Ce journal de quatre pages, appelé le Journal de Paris, connaît un succès important auprès des Parisiens
et relaiera les événements de la Révolution Française.
24 août 1789 La liberté de la presse
L’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen déclare : « la libre communication des
pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler,
écrire, imprimer librement (...) ».
La presse ne sera pourtant complètement libre qu’avec la loi du 29 juillet 1881 car, après 1792, elle sera
dépendante du gouvernement en place, qui la contrôlera sévèrement.
XVIIe siècle: Création de la presse
Liberté d’expression : articles 10 et 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (1789)
résultant de la Révolution française.
Article 10 : « nul ne doit être inquiété pour ses opinions (…) »
Article 11 : « la libre communication de ses pensées et de ses opinions est un des droits les plus précieux
de l’homme (SIC) ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus
de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».
31 mars 1820 : Premières restrictions de la liberté de la presse
En 1822, une loi est créée pour punir le délit d’opinion. Suite à cela, il sera légal de condamner un journal
pour son « esprit », et une autorisation officielle sera requise pour ouvrir et publier un journal.
22 octobre 1835 : Création de l’AFP
Le Français Charles-Louis Havas crée la première agence d’information mondiale sous le nom : Agence
des feuilles politiques, correspondance générale.
29 juillet 1881 : Loi sur la liberté de la presse
La IIIe République vote la loi sur la liberté de la presse, dont l’article Ier affirme : « L’imprimerie et la
librairie sont libres. »
1er novembre 1894 : Début de l’affaire Dreyfus
12
10 septembre 1915 : Création du Canard enchaîné
La propagande guerrière et la censure exaspèrent les pacifistes Maurice et Jeanne Maréchal, qui fondent
Le Canard enchaîné en signe de protestation.
Octobre 1945 : Fondation des Temps modernes
Avec l’aide de Simone de Beauvoir et de Maurice Merleau-Ponty, Jean-Paul Sartre publie le premier
numéro de la revue Les Temps modernes. Littéraire, culturel, politique et philosophique, ce mensuel
affiche clairement ses engagements politiques, et deviendra la revue privilégiée des intellectuels de
gauche.
19 novembre 1964 : Premier tirage du Nouvel Obs
Il conserve ses tendances socialistes et remporte un grand succès. Il parvient à s’adapter à une société en
pleine évolution, aux niveaux politique et culturel. Toujours dans un esprit contestataire, il publie
quelques années plus tard le « Manifeste des 343 », en faveur de l’avortement.
17 novembre 1970 : Hara-Kiri disparaît des kiosques
Le journal créé dix ans plus tôt par le professeur Choron subit une énième interdiction. Misant sur la
provocation, ce dernier s’est encore illustré dernièrement en titrant « Bal tragique à Colombey : 1 mort ».
Cette approche ironique de la mort de De Gaulle et de la tragédie du dancing de Saint-Laurent-du-Pont ne
plaît pas au pouvoir en place, qui active sa censure. Hara-Kiri disparaît ainsi en tant que quotidien, mais il
paraîtra encore jusqu’en 1985 comme mensuel.
18 février 2002 : Apparition de la presse gratuite d’information en France
Métro France distribue à Paris le premier quotidien national gratuit. Intitulé Métro, le journal est
largement rentabilisé par les annonceurs et mis à disposition de manière stratégique près des transports en
commun. Il couvrira peu à peu la quasi-totalité des grandes villes de France. Seulement un mois après son
lancement, il sera concurrencé par 20 minutes.
Les journaux gratuits transforment le paysage de la presse française et induisent de nombreux
questionnements sur l’avenir des journaux traditionnels payants.

B. L’affaire Dreyfus
L’affaire Dreyfus est un exemple explicite du rôle démocratique de la presse. Dans cette affaire, le rôle
principal de la presse a été représenté par la publication de l’article engagé « J’accuse », d’Émile Zola.
Cette affaire a été le premier événement ultramédiatisé en France.
Mais l’aspect le plus nouveau et le plus pertinent est bien l’impact que cet article a eu sur l’opinion
publique. C’est une presse d’opinion qui est à cette époque mise en avant, une presse utilisée pour
défendre un point de vue ou exprimer une idée dans le but de faire réfléchir la population.
L’affaire se déroule en 1894 et démarre avec l’arrestation du capitaine de l’armée française, un Juif
d’origine alsacienne, Alfred Dreyfus. Il est accusé d’avoir livré des informations confidentielles aux
Allemands et est condamné à la perpétuité pour cause de trahison. Au début et sans que cela ne devienne
une « affaire », la majorité de la population et de la presse était partisane de cette arrestation. Pourtant, la
famille du capitaine, convaincue de son innocence, tente de découvrir la vérité et, en 1896, le véritable
coupable est démasqué par le colonel Georges Picquart, chef du contre-espionnage. Cependant, l’étatmajor ne veut rien entendre et décide de ne pas revoir le jugement. Avec ces événements, le camp des
« dreyfusards » s’agrandit. L’affaire prend une envergure nationale après que le vrai coupable a été
acquitté et qu’Émile Zola publie le fameux « J’accuse... ! » dans le journal L’Aurore. La France se voit
alors divisée en deux parties, les partisans capitaine Dreyfus et les autres, persuadés de sa culpabilité.
13
Cette scission va créer un climat de tension énorme au sein de la République, des émeutes antisémites
éclateront même dans de nombreuses villes françaises.
Une révision du procès est finalement engagée, mais le capitaine est à nouveau reconnu coupable, et
condamné à dix ans de travaux forcés. Finalement, Dreyfus accepte la grâce présidentielle offerte par le
Président de l’époque, Émile Loubetet, et ne sera innocenté officiellement qu’en 1906.
La presse joue donc un rôle central dans cette affaire en faisant apparaître au grand jour une vérité cachée
par les pouvoirs publics. Cet événement représente bien le pouvoir démocratique de la presse et sa
capacité à rallier un grand nombre de personnes à une cause. La presse apparaît donc comme un pouvoir
puissant sur l’opinion publique et qui, employé dans ce sens, est un réel vecteur de démocratie.
De plus, c’est dans un contexte historique particulier que cette affaire s’est déroulée. Effectivement, elle
apparaît peut de temps après la loi sur la liberté de la presse de 1981, et cette idée de liberté journalistique
apparaît comme la ligne principale de la IIIe République.
Dans cette loi du 29 juillet 1981, l’article 1er affirme : « L’imprimerie et la librairie sont libres. »
Mais le grand changement réside dans le fait que l’État n’a plus de droit de regard sur la publication d’un
livre ou l’ouverture d’un organe de presse. Sans tomber dans la diffamation, l’idée politique est donc libre
de s’exprimer sans être réprimandée, même si elle est critique envers le pouvoir en place. La presse
s’installe peu à peu comme une institution incontournable de la démocratie française, et est encore
considérée comme un pouvoir essentiel et efficace dans le bon déroulement du système démocratique.
Pourtant, pour en arriver là, la presse a traversé plusieurs dates importantes qui ont contribué a faire d’elle
ce qu’elle est aujourd’hui. L’une des plus importantes est la Révolution française.

C. Presse et Révolution Française
La Révolution française a été un tournant majeur pour l’avancée de la démocratie en France.
Effectivement, la révolte du peuple face à l’Etat royaliste en place a constitué, même si cela a pris
plusieurs années avant de voir apparaître un réel état démocratique, un important pas en avant pour tout
ce qui concerne les droits de l’homme, la liberté politique et d’expression. Cette révolution est en partie
due à un renouveau de la presse qui, durant cette période, s’est émancipée du pouvoir politique. De plus,
avec les avancées technologiques, il est plus facile de publier un journal et de le distribuer à grande
échelle. Les journaux se sont multipliés, libres d’exprimer différents points de vue. Ils ont été l’outil
principal de la Révolution, en permettant à un grand nombre de citoyens d’être informés des actions
prises par les révolutionnaires et des idées nouvelles proposées par les penseurs de l’époque. Cependant,
la liberté n’était pas totale et toujours contrôlée par le pouvoir en place ; mais, jouissant d’une liberté
d’expression plus ouverte, chaque parti politique utilisa cet outil en créant son journal pour y exposer ses
idées.
Jean-Paul Marat, figure de la Révolution française, rédacteur de L’Ami du peuple, fut réprimé car porteur
d’une violence trop importante à l’égard du pouvoir en place. On le pourchassa pour tenter de le faire
taire mais, grâce au soutien des partisans de la liberté d’écrire, inscrite dans la Déclaration des Droits de
l’Homme, il fut acquitté.
Ce vent de liberté pour la presse fut pourtant de courte durée car, en 1792 déjà, le Conseil général interdit
la publication de plusieurs journaux nés sous la Révolution, comme la Gazette de Paris ou la Feuille du
jour.
Cette période de liberté de la presse, bien que plutôt brève, reste un exemple parfait de l’outil
journalistique en tant que vecteur de la démocratie et, même si cette liberté retrouvée fût vite refreinée,
elle a permis de développer un état d’esprit citoyen au sein de la population française, laissant dans
l’opinion l’empreinte d’une réussite sociale qui sera érigée plus tard en tant que pilier de nos sociétés
démocratiques.

14
Partie III : Fonctionnement et caractéristiques du journalisme

« (…) La mission du journaliste consiste à rendre intéressant ce qui est important, pas important ce qui
est intéressant. »16
Dans cette partie, nous allons tenter de mieux comprendre le milieu journalistique et les pressions
diverses qu’il subit. Contraintes de temps dans le travail des journalistes, attentes économiques de plus en
plus importantes, influences politiques à travers les connivences et l’influence de la communication
politique : la sphère journalistique n’a cessé de se transformer et d’évoluer. Cette partie tentera de mieux
comprendre ce milieu et de déterminer si son rôle démocratique en tant que quatrième pouvoir est
toujours d’actualité.
« Durant le 20ème siècle, l’évolution du journalisme aura été marquée par les phénomènes suivants : le
recours abusif aux faits divers, information de faible coût et de moindre valeur ; l’omniprésence de la
propagande, surtout économique ; la perte de contrôle des journalistes sur les contenus d’information ;
le contrôle feutré des médias par des intérêts politiques ; l’incapacité des journalistes à résister aux
détournements de l’information ; la marginalisation des rédactions au sein des conglomérats ; la
fragilisation des titres indépendants et de la presse alternative ; la captation des revenus publicitaires par
des publications parasitaires ; l’impotence de l’État comme régulateur du marche médiatique. » (17)
Tout d’abord, nous allons aborder la socialisation du journaliste à travers sa formation très spécifique et
particulière. En effet, cette première étape dans la vie du jeune journaliste détermine en partie le
comportement des acteurs confirmés de la profession.
Avant toute chose, il est important d’expliquer que seules douze écoles en France sont reconnues par la
profession et n’ouvrent leurs portes qu’à un petit nombre de privilégiés à avoir réussi les concours
d’entrée. Cette réalité met en avant un des problèmes fondamentaux de la formation des journalistes
aujourd’hui : le manque de diversité. Effectivement, préparer des concours comme ceux-là coûte cher,
d’abord par le prix d’inscription au concours, puis par les « prépa journalisme » elles aussi extrêmement
onéreuses et par lesquelles la plupart des candidats sélectionnés ont transité. Un coût donc pas seulement
matériel mais aussi social, dans le sens où les plus aisés ont davantage de chances de réussir les concours
que ceux socialement moins bien lotis. Cette différence sociale est, ensuite, responsable d’un milieu
journalistique aux couches sociales homogènes, une réalité plutôt décevante pour un métier aux racines si
démocratiques.
Dans le livre de François Ruffin, Les petits Soldats du journalisme, de nombreuses anecdotes montrent
bien à quel point le journalisme est devenu un métier dirigé par les lois du marché. Le but principal du
journaliste étant de gagner le plus d’audience possible en laissant de côté le rôle principal de ce métier, à
savoir : informer avec objectivité.
Concernant le contenu d’une production journalistique par exemple, lors de la formation dans les écoles
de journalismes, dans ce livre, c’est le Centre de formation des journalistes (CFJ) qui est mis en cause.
L’on voit bien que l’audimat est la motivation principale. Voici ainsi ce que le rédacteur en chef adjoint de
LCI, lors d’une session télé, explique aux futurs journalistes : « Votre reportage était très bien. On
n’apprend rien, on aura tout oublié dans dix minutes, mais c’est bon pour Pernault. On l’achète pour le
13 heures. » (18)
De plus, l’un des plus gros handicaps du journalisme aujourd’hui est la précarité de l’emploi. Il est
devenu très difficile de trouver un emploi dans cette profession et, de ce fait, plus les futurs journalistes
sont formatés pour « entrer dans les cases », plus facilement ils trouveront du travail. S’il est tout à fait
honorable de vouloir défendre les fondements du rôle du journaliste pour de jeunes débutants, cependant,
moins ils sont malléables et prêts à faire certaines concessions sur leur façon de travailler, moins ils
15
auront de chances d’être embauchés. Sur le marché du travail, beaucoup sont en situation de précarité,
enchaînant les piges mal payées. C’est dans ce sens que l’on peut comprendre cette citation d’un ancien
élève du CFJ devenu journaliste à France Inter puis à France culture, dans CFJ notre journal :
« Ça ne me gêne pas que le CFJ formate ses élèves pour que, très vite, ils trouvent un emploi. » (19)
Malheureusement, d’un point de vu idéaliste du journalisme, cette phrase apparaît comme plutôt
choquante et démontre bien dans quel état d’esprit les journalistes se trouvent enfermés.
Mis à part trouver un emploi stable, les écoles de journalisme reconnues par la profession ont un autre
objectif plus caché : celui de former des journalistes pour endosser des rôle à responsabilités. C’est-à-dire
des emplois où ils devront côtoyer les hommes politiques, les grands chefs d’entreprise et être capable de
s’entendre avec eux. Comme l’explique François Ruffin dans son livre :
« Adoubant des journalistes bien cotés, qui siégeront à des postes influents dans des médias influents,
l’école détermine, certes, en partie, ce que sont et seront les médias. » (20)
Cette constatation permet d’expliquer en partie l’état du journalisme aujourd’hui et de quelle façon s’est
créé ce milieu bien particulier dominé par le journalisme parisien, ami fidèle du pouvoir politique et
économique du pays.
Un autre aspect de la formation des journalistes permet de mieux comprendre la relation entre journalistes
et politiques. La complicité entre ces deux côtés du pouvoir peut effectivement s’expliquer par le fait que,
depuis leur formation à Science-Po ou en école de journalisme, les deux milieux ne cessent de se côtoyer.
Il est donc ensuite plutôt difficile de garder la distance appropriée au métier de journaliste qui a pour but
premier, rappelons-le, d’être un médiateur objectif entre le pouvoir en place et la population.
Comme l’explique Patrick Champagne, septembre 2001, le premier problème concerne le concours
d’entrée aux écoles.
« Dès l’entrée, la sélection favorise ce profil. Le gros du bataillon (plus ou moins un tiers) est enrôlé à
Science-Po, où l’on a ajusté certains des enseignements pour les concours de journalisme. » (21)
Cette sélection n’est donc pas anodine et met en avant une envie de contrôler la profession dès l’entrée en
formation. La majorité des « élus » doit donc correspondre à une personnalité bien particulière et déjà en
partie formatée par des années Sciences Po. Le second problème dû à cette sélection est davantage en
rapport avec la mixité au sein des journalistes. En effet, il est tout à fait compréhensible que les étudiants
à Science politique sont souvent issus d’un même milieu plutôt favorisé, et leur permettre ensuite
d’intégrer les écoles de journalisme avec plus de facilités que les autres n’aide pas à augmenter la mixité
sociale dans la sphère journalistique. Ainsi :
« L’effet de ce cursus est de propulser vers les postes stratégiques du journalisme français une population
aux profils peu variés », « proche des élites politiques et économiques », sans « expériences d’autres
mondes sociaux ». « Car la mixité sociale elle non plus n’est pas au rendez-vous. » (22)
C’est ensuite une situation compliquée que d’être critique envers un ami de longue date connu sur les
bancs de l’école. Il est très difficile d’être objectif envers quelqu’un que l’on connaît bien et avec qui on
sort le vendredi soir. C’est pour cela que la formation liant politique et journalisme si étroitement ne peut
mener à exercer le métier de journaliste en toute objectivité. C’est un sentiment parfaitement décrit par
David Pujadas dans cette situation : « (…) La proximité sociale qui soude les enfants de la bourgeoisie
entre eux longtemps après qu’ils ont folâtré dans les mêmes amphithéâtres. « Regardez, plaida Pujadas,
je sais pas moi, j’ai des copains, ils étaient à Science-Po avec des hommes politiques. (…) L’un devient
journaliste, l’autre devient homme politique. Ils vont quoi, arrêter de se voir ? C’est dur aussi. » (23)
Pourtant, d’autres facteurs accentuent également la perte du rôle démocratique du journalisme. L’un
d’entre eux est afférent aux conditions matérielles des médias et du journalisme aujourd’hui. Anne-Marie
Gingras en résume quelques-uns dans cette citation tirée de son livre :
« (...) Les fondements de la routine médiatique, les liens personnels et institutionnels entre les
journalistes et leur source, les relations de travail, la structure décisionnelle des médias, leur assise
économique, leur statut juridique, l’impact de la publicité sur les contenus (...) » (24)
Dans ce mémoire, nous nous concentrerons sur les aspects économiques et politiques, mais il est tout de
16
même important de comprendre comment la relation entre le journaliste et sa source fonctionne, car la
source peut être économique comme politique, et c’est de cette relation bien particulière faite de
« tensions et de complicité » (24) que le travail du journaliste se définit.
La vraie question, dans ce cas, est « qui influence l’autre ? », et c’est là que s’effectue la bataille pour
dominer l’autre. Ce rapport de domination et le résultat à la fin de cette guerre détermine ensuite ce qui
apparaîtra ou non dans les journaux, ce qui sera révélé ou gardé secret pour un moment. C’est donc à
partir de cette relation que le journalisme détermine sa route, soit côte à côte avec sa source, qui fait bien
souvent partie des pouvoirs en place, ou en s’érigeant contre elle afin de dénoncer ou dévoiler une
information.
Le problème de la relation source/journaliste est qu’ils ont besoin l’un de l’autre, comme résumé dans
cette citation : « Dans le rapport journaliste/source, le premier est défavorisé par la nécessité de trouver
sa pitance quotidienne et l’obligation de rapporter la même information que celle de ses concurrents.
L’homme ou la femme politique dépend pour sa part des journalistes pour maintenir une bonne image et
faire passer son message. » (24)
Un autre pilier de l’organisation journalistique est la volonté de remplir à tout prix par de l’information
plus ou moins importante ou intéressante. Cette logique s’explique encore une fois par la course à
l’audimat qui a pris le dessus dans tous les organes de presse aujourd’hui.
L’une des conséquences de cette concurrence entre organes de presse est principalement le plagiat. Un
journal, par exemple, ne peut pas se permettre de manquer une information en ne la relayant pas si des
concurrents l’ont fait. Encore une fois, dans cette logique, la qualité de l’information est un critère
complètement secondaire. Toutes ces façons de « travailler » sont évidemment dues aux exigences du
marché, mais ce n’est pas toujours le résultat d’une tentative de manipulation économique ou politique.
Malheureusement, aujourd’hui, bon nombre de journalistes se limitent à un simple travail de recopiage
par pure paresse.
« Quand les journalistes se plagient, quand ils semblent se contenter de répéter la même dépêche
d’agence ou de la même nouvelle parue dans un journal “de référence”, c’est souvent par paresse, par
manque de compétence ou de culture, par absence de temps alloué au bon exercice de leur métier. La
volonté de manipuler n’est pas toujours l’explication d’une désinformation. » (25)
Ce fonctionnement, bien que présent partout, est encore plus flagrant dans la presse quotidienne régionale
car les actualités locales sont souvent moins riches. Les journalistes doivent donc souvent trouver des
solutions pour remplir leur journal. Par exemple, durant l’observation participante à L’Hérault du Jour, il
n’était pas rare de devoir trouver les moyens de remplir des pages en très peu de temps. Les journalistes
devaient donc se creuser la tête pour trouver des idées de reportage afin de « combler les trous ». Encore
une fois, dans l’urgence, la priorité n’est pas donnée au fond du sujet et à son importance, mais à la
facilité qu’il aura à être traité.« C’est dans la presse quotidienne régionale que cette logique de
remplissage domine le plus nettement. Ces journalistes fournissent chaque jour deux, trois, quatre
articles. À ces forçats de l’info, on demande de tout couvrir : braderies, faits divers, centres aérés,
réunions de quartier, départ en retraite d’un gendarme, décès d’un instituteur... (…) A eux aussi de
relayer les communiqués des mairies, des entreprises, des associations, des chambres de commerce.
Moins par connivence que par souci d’efficacité : remplir vite, quitte à remplir de vide. » (26)

A. Pressions économiques
« L’appétit de l’argent et l’indifférence aux choses de la grandeur avaient opéré en même temps pour
donner à la France une presse qui, à de rares exceptions près, n’avait d’autre but que de grandir la
puissance de quelques-uns et d’autre effet que d’avilir la moralité de tous. Il n’a donc pas été difficile à
cette presse de devenir ce qu’elle a été de 1940 à 1944, c’est-à-dire la honte du pays. » (27)

17
Dans ce mémoire, nous allons nous concentrer sur les deux pressions les plus palpables sur la sphère
journalistique, à savoir les pressions d’ordres politique et économique. Nous commencerons par la partie
économique, qui détient une place importante dans le fonctionnement journalistique aujourd’hui, de par,
notamment, l’organisation mondiale fondée sur le capital.
Le journalisme, et en particulier l’information, sont devenus de nos jours une marchandise comme les
autres, qui nécessite des moyens financiers afin de fonctionner. Dans l’idéal du journalisme, cet aspect ne
devrait pas poser de problème, car les pressions économiques semblent, au premier regard, ne pas
s’exercer directement sur les journalistes, leur laissant donc une liberté presque totale. C’est d’ailleurs
dans ce but que le CSA a été créé en France, en se portant garant de la neutralité de la presse télévisuelle
envers les actionnaires et les politiques :
« La convention avec le CSA signée avec TF1 stipule que l’opérateur de la chaîne doit veiller « à ce que
les émissions d’information politiques et générales qu’elle diffuse soient réalisées dans des conditions qui
garantissent l’indépendance de l’information, notamment à l’égard des intérêts économiques de ses
actionnaires ». (28)
Cependant, et c’est ce que nous allons voir dans cette partie, c’est par des moyens indirects que celle-ci
influe sur la sphère journalistique.
Le monde actuel est fondé sur une économie capitaliste qui met en avant la réussite économique. Peu à
peu, toutes les organisations sont devenues des entreprises à but lucratif, et les organes de presse n’ont pas
échappé à cette réalité. Lorsque l’on regarde les propriétaires des médias en France aujourd’hui (schéma
en annexe), on s’aperçoit rapidement que les plus grands patrons d’entreprises se partagent également les
plus grands médias. C’est donc entre ces trois grands groupes que sont répartis les principaux organes de
presse en France : Lagardère, Dassault, Bolloré et Bouygues.
Dans le film Les Nouveaux Chiens de garde, on découvre que, lors de la construction de l’EPR de
Flammanville, les conditions de travail des ouvriers critiquées par la CGT n’ont jamais été relayées sur
TF1 car le chantier était financé par Bouygues, également propriétaire de la chaîne.
« Ces organisations [médiatiques], dans leur majorité, appartiennent à des entreprises privées, et
fonctionnent en vertu d’un certain nombre de principes et de règles. »
« Tous les médias, même ceux qui n’appartiennent pas au secteur privé, doivent se plier aux logiques du
système économique auquel ils appartiennent (...). » (29)
L’incohérence principale est donc due au faible rapport entre le monde économique et le monde
médiatique.
« En théorie, les médias sont coincés entre la nécessaire rentabilité et une mission d’information
politique, deux objectifs étrangers l’un à l’autre; en effet, la qualité de l’information ne garantit en rien
le succès commercial, et la bonne santé financière n’est certes pas une mesure à l’aune de laquelle on
peut évaluer l’information. » (29)
Un des effets directs de cette emprise économique sur les organes de presse est donc la marchandisation
de l’information. Celle-ci, qui n’a pourtant aucune propriété économique et qui semble davantage
appartenir à l’ordre de l’abstrait, est utilisée en tant que moyen économique. Ainsi, l’information devient
un facteur d’enrichissement du capital d’une entreprise ; cependant, elle est, à la base, destinée à informer
dans un but non lucratif, avec un certain engagement politique et citoyen. Transformée en marchandise,
elle bouleverse alors le travail journalistique qui ne la verra plus comme un outil d’information, mais
comme un moyen de gagner de l’argent. Dès lors, la valeur d’une information est chiffrée en capacité à
rapporter ou non un bénéfice, elle n’est plus un outil citoyen. Les journalistes se soumettent donc à cette
nouvelle organisation et choisiront sans hésitation une nouvelle peu importante mais qui risque
d’intéresser les lecteurs, et ainsi gagner de l’argent, plutôt qu’une information enrichissante mais qui ne
parlera qu’à un très petit nombre de lecteurs, par exemple. Et encore une fois, les écoles de journalistes
participent à instaurer cette nouvelle organisation en formant des journalistes dans cet esprit capitaliste de
l’information.
«Si le CFJ a si bonne réputation, c’est qu’il fabrique des journalistes-techniciens à même de produire
une information-marchandise qui alimente l’industrie de la presse. » (30)
On observe d’ailleurs la multiplication d’informations avec « donnée émotionnelle », comme les faits
18
divers. Ils sont partout et prennent de plus en plus de place.
Au-delà de l’information elle-même, un autre rapprochement s’effectue entre le milieu économique et
journalistique. Un rapprochement humain qui concerne les représentants par excellence de l’économie
dans les médias, les publicitaires et les journalistes.
« Dans les année 1970, note Danièle Granet, quand on voyait un mec de la pub, on ne le saluait pas. On
changeait de couloir. Il y avait les journalistes et les connards. Aujourd’hui, c’est devenu plus
complexe. » « En effet : désormais, les mecs de la pub délivrent leurs leçons dans des écoles de
journalisme. (…) Voilà l’école du contre-pouvoir, pleinement intégrée au système économique
notamment. » (31)
Cette amitié affirmée ne choque plus personne ; une indifférence qui peut être dangereuse. Que cela soit
en rapport avec les connivences politico-journalistiques ou entre publicité et presse, de moins en moins de
personnes s’offusquent du rapprochement qui s’opère entre ces deux mondes supposés garder une
distance de « sécurité ». Pour des raisons démocratiques particulièrement, si ces amitiés apparaissent de
moins en moins choquantes, ne serait-ce pas le début d’une indifférence à des risques de dérives
importantes pour nos sociétés ? Ce manque d’intérêt pour une question démocratique importante peut
s’expliquer en partie par le comportement de la presse aujourd’hui qui ne joue plus son rôle de médiatrice
et d’informatrice.
Le temps est sûrement l’un des handicaps les plus marqués dans le travail journalistique. Pour faire un
bon article, il faut de nombreuses informations vérifiées et, pour cela, un temps relativement long est
nécessaire. Malheureusement : «Dès lors que time is money, l’investigation et le recoupement des
sources, qui prennent du temps, reculent. » (32)
Cette citation résume bien l’état d’esprit du métier aujourd’hui. C’est en partie à cause de cela que le
journalisme d’investigation, souvent étiqueté de « vrai journalisme », est en disparition totale dans la
presse. Nécessitant du temps, et donc de l’argent, un journalisme rapide et peu cher lui est donc souvent
préféré.
L’information se retrouve donc avec pour but principal de faire recette et non plus d’informer, l’audimat
étant le moyen de mesurer l’impact d’un sujet sur la population.
« L’audimat est devenu le thermomètre imposé et obligé de l’humeur rédactionnelle. Par lui, nous savons
qu’a 20 h 13, Nelson Mandela ne fait pas recette et que le fait divers (…) attire le chaland, quel que soit
le moment du journal. Nous déclinons donc plus facilement, anniversaire et exclusivité obligent, un sujet
sur le loto (…) que nous n’offrons un éclairage sur la nouvelle constitution sud-africaine. » (33)
Des sujets de plus en plus futiles sont donc mis en avant par la presse, mettant de côté les autres qui
pourraient pourtant être porteurs de réflexion et de développement de l’esprit critique de l’opinion
publique. Permettre au plus grand nombre de réfléchir sur des sujets d’actualité semble pourtant être le
rôle premier du journalisme.
En ce qui concerne les moyens économiques de la presse, la partie la plus importante de ses revenus
provient des annonceurs. Ces publicités que l’on retrouve dans tous les médias sont la base de l’économie
de la presse, car, à part le service public en partie subventionné par l’État, seules les publicités permettent
de payer les journalistes et les dépenses afférentes au métier. Cette situation met en avant un problème
d’objectivité important. Effectivement, on peut se demander si un journaliste est complètement libre
d’écrire un article critique sur l’un des plus importants annonceurs de son média. L’anecdote ci-dessous
permet de mieux comprendre comment cette relation est entretenue et comment se met en place
l’interdépendance des deux acteurs de ce jeu économico-médiatique.
« Lors de son stage en PQR à L’Echo du port, “Ce soir, là appareil photo en bandoulière, je me rendais
à la résidence Les Erables, un ‘logement modèle’ en construction, bâti et vendu par la société Pacorna.
Surprise en arrivant : le responsable publicité de L’Echo se trouvait à cette pré-pendaison de
crémaillère. Je l’interrogeais, candide : ‘vous allez acheter un appartement ?
- Non je travaille’. Je n’ai compris qu’après : Pacorna était un gros annonceur.” (…) Dans leur toast,
ces responsables ont bien remercié L’Echo “pour sa présence et son article”. » (34)
Cette anecdote n’en est qu’une parmi tant d’autres et les journalistes sont régulièrement témoins de ce
genre de choses. C’est un aspect qui ne semble d’ailleurs pas choquer le journaliste Franz-Olivier
19
Giesbert lorsqu’il donne son avis sur le sujet :
« En 1989, Franz-Olivier Giesbert, alors directeur de la rédaction du Figaro, fut interrogé sur le pouvoir
de l’actionnaire du titre (Robert Hersant, à l’époque) d’interdire “certains articles”, “certains titres” qui
lui déplairaient. Giesbert répondit sans détours : “Ce sont des choses qui arrivent dans tous les
journaux. Et ça me paraît tout à fait normal. Tout propriétaire a des droits sur son journal. D’une
certaine manière, il a les pouvoirs. Vous me parlez de mon pouvoir, c’est une vaste rigolade. Le vrai
pouvoir stable, c’est celui du capital.” »35
A L’Hérault du jour, par exemple, il n’était pas rare de se subir des critiques de la part des annonceurs sur
différents articles oubliés dans le journal, mais nous y reviendrons dans la partie 5.
Les médias sont donc détenus par de grands groupes industriels qui ont transformé la presse et
l’information en marchandise dans le but de grossir un capital. Ces grands patrons ont donc une influence
certaine sur le contenu des médias, mais jusqu’à quel point ? Noam Chomsky propose une réponse : «Un
jour, un étudiant américain l’interroge : “J’aimerais savoir comment, au juste, l’élite contrôle-t-elle les
médias ?” Il réplique : “Comment contrôle-t-elle General Motors ? La question ne se pose pas. L’élite
n’a pas à contrôler General Motors. Ça lui appartient.” » (37)
Il est impossible de dire aujourd’hui que l’aspect économique n’ait aucune influence sur le travail
journalistique et son contenu, mais est-il possible de mesurer à quel point cette censure, ou très souvent
autocensure, est pratiquée ?
Par exemple lors du scandale du Médiator, produit par un très puissant laboratoire pharmaceutique, un
journaliste de La République du Centre semblerait avoir été mis à pied après un article incisif sur le
groupe. Sébastien Duval aurait conservé un « paragraphe critique sur les habitudes de recrutement du
groupe Servier » (37), et cela aurait fortement déplu à la direction.
Bien entendu, la relation entre cette mise à pied et l’affaire du Médiator reste une supposition, mais la
bizarrerie de l’affaire a tout de même éveillé les soupçons de ce journaliste de Libération, qui a sûrement
l’habitude de ce genre de méthodes.
Face à ces nombreux exemples, il est impossible de nier l’influence de la sphère économique sur la sphère
journalistique. La recherche de l’argent, le manque de temps, le rapprochement entre journalistes et
annonceurs et la marchandisation de l’information sont autant de causes qui expliquent un journalisme de
complaisance de plus en plus répandu de nos jours. Cependant, une anecdote permet de relativiser
l’influence des patrons de presse et actionnaires sur les journalistes. Pierre Bergé, président du conseil de
surveillance du Monde, a déclaré dans un article paru dans Libération : « Je regrette d’avoir investi dans
le quotidien après avoir été indigné par le traitement réservé à François Mitterrand à l’occasion de
l’anniversaire du 10 mai ». Il ajoute ensuite : « Je regrette de m’être embarqué dans cette aventure. Payer
sans avoir de pouvoir est une drôle de formule à laquelle j’aurais dû réfléchir. » (38)
Ce n’est pas seulement la complaisance économique des journalistes qui transforme l’organisation de
cette sphère ; il y a également une pression politique qui s’opère en parallèle. C’est sur ce point que nous
allons nous concentrer dans la partie qui suit. Nous tenterons de déterminer de quelle façon les pressions
politiques s’opèrent sur le champ journalistique.

B. Pressions politiques
Dans la relation qui se crée entre les journalistes et les politiques, l’aspect le plus important concerne
l’interdépendance entre les deux sphères. Effectivement, les journalistes ont besoin des politiques afin de
recueillir un maximum d’informations, et les politiques savent pertinemment que les journalistes sont la
clé d’une image publique contrôlée et le meilleur moyen de faire passer leurs idées au plus grand nombre.
C’est ainsi que le résume Anne-Marie Gringas dans son ouvrage :
«Les journalistes ont besoin de recourir à des sources fiables, régulières et crédibles comme les
institutions ou les personnage politiques, et ceux-ci cherchent à construire ou entretenir une bonne image
publique. » (39)
20
Cependant, plus cette relation apparaît comme évidente et teintée de connivence, plus l’opinion publique
se sent trahie. La population qui a, durant l’histoire française, plutôt considéré que les journalistes étaient
du côté du peuple, se sentent actuellement de plus en plus manipulés. On observe d’ailleurs, selon Alain
Duhamel, que : « Les journalistes sont de moins en moins influents et globalement, la météo des Français
est de plus en plus autonome, voire allergique aux médias.
En ce qui concerne en revanche les rapports entre les hommes politiques et les journalistes, c’est
l’inverse : les élus ont tous intégré l’idée que l’univers médiatique et l’univers politique cohabitaient
complètement. (…) Car ils savent que si le message ne passe pas, la sanction immédiate sera celle du
monde médiatique et la sanction ultérieure sera celle des électeurs français. » (40)
Les journalistes ont-ils sérieusement perdu une partie de leur indépendance face au pouvoir politique ?
C’est une des questions auxquelles nous allons tenter de répondre dans cette partie. Plusieurs
changements effectués ces derniers temps dans le milieu médiatique laissent penser que le rapprochement
entre le politique et le médiatique est un réel danger démocratique. Par exemple, lorsque Nicolas Sarkozy
a changé le mode de nomination des patrons des chaînes publiques, il a relancé le questionnement sur le
contrôle des médias par l’État.
A partir du moment où un patron de chaîne de télévision est également un ami du président de la
République, nous sommes en droit de nous demander si cela a été fait dans le but de contrôler les médias
plus facilement en ayant la mainmise sur les médias publics.
« (…) Les patrons de chaînes proposent, l’État dispose. La capacité d’innovation et, a fortiori,
d’indépendance, de l’audiovisuel public est fonction de la bonne volonté de hauts fonctionnaires, de
l’humeur des ministres et du bon vouloir du chef de l’État. France télévision est du coup une entreprise
vulnérable dirigée par des hommes dont la liberté de manœuvre est entravée. » (41)
Alain Duhamel, présent sur la scène médiatique depuis de nombreuses années et pourtant considéré
comme étant un journaliste de complaisance, reconnaît bien là le danger d’un tel rapprochement entre
pouvoir politique et organe de presse public.
C’est surtout en observant le nouveau mode de nomination des patrons de presse que l’on s’aperçoit du
risque de dérive démocratique. Plus la séparation des « pouvoirs » – en considérant la presse comme le
quatrième – est faible, plus le risque d’une régression de la démocratie est grand.
« S’agissant des relations entre l’État actionnaire et la télévision publique, nous avons, à trente ans de
distance, tout simplement le recto et le verso. En reformant comme il l’a fait le mode de nomination des
patrons de chaînes de service public, Nicolas Sarkozy a détricoté ce que les socialistes avaient instauré
en 1981 avec la création de la Haute Autorité. Ce que Mitterrand avait institué, de manière certes
imparfaite, et parfois partisane, Sarkozy l’a défait : c’est là pour moi le symbole d’un vrai retour en
arrière. » (42)
Cela semble bien être un « retour en arrière », comme le décrit PD. Effectivement, cette réforme apparaît
comme une vraie régression dans la liberté de la presse après les lois tant attendues par la profession de
1981. Même si, à cette époque déjà, la presse utilisait régulièrement des procédés douteux révélant une
forte collusion politico-médiatique, comme en témoigne cette anecdote :
En 1984, Jérôme Clément, président d’Arte, souhaite organiser un entretient conjoint avec François
Mitterrand et le chancelier allemand de l’époque, et décide de leur soumettre à l’avance les questions.
«En Allemagne, le procédé choqua. Mais M. Clément expliqua avec une louable franchise : “En France,
il est tout à fait normal de discuter avec l’Élysée du choix du journaliste qui pose les questions. Les
relations que ceux-ci entretiennent avec le pouvoir politique, mais également avec le monde culturel, sont
beaucoup plus étroites.» (43)
Malheureusement, aujourd’hui encore, les modes d’interview télévisée sont marqués par une organisation
étroite entre les journalistes et la personnalité politique interrogée. En France particulièrement, les
politiques sont quasiment au courant de tous les sujets abordés avant le début de l’interview. Ainsi, ils
peuvent préparer leurs réponses et ne sont donc pas pris au dépourvu par une question imprévue qui
pourrait les déstabiliser. Il est même parfois de coutume d’aborder des sujets précisément car ils ont été
demandés par le politique interviewé. Il existe une vidéo plus que probante à ce sujet lors d’un JT de
France 3 avec Nicolas Sarkozy. Dans cette séquence, on voit très clairement Nicolas Sarkozy demander
21
au journaliste : « Vous ne voulez pas me poser une question d’actualité sur Carcassonne ? » (44), car il y
était le jour même. Le journaliste, quant à lui, se contente de répondre : « Donc, on parlera de
Carcassonne avec le président. » (44) Cette soumission évidente et extrêmement rapide montre bien l’état
de la télévision aujourd’hui. Mus par la peur de se faire évincer de leur poste, les journalistes de
télévision, particulièrement, n’ont pas d’autre choix que de se soumettre aux demandes des puissants. Ce
rapport de domination est très bien illustré dans cette vidéo particulièrement au moment où Sarkozy
s’adresse au journaliste Gérard Leclerc en ces termes : « Ça fait plaisir de voir M. Leclerc à l’antenne...
Tu es resté combien de temps au placard ? » « J’avais protesté quand on l’avait mis au placard ! » (44)
Une façon tout à fait explicite de lui faire comprendre que si l’interview ne correspondait pas à ses
attentes, il n’hésiterait pas à le renvoyer au « placard ».
Le cas le plus important concernant les interviews politiques concerne les périodes présidentielles. Ces
débats sont souvent sans grand intérêt médiatique car aucun problème réel n’est soulevé. Et les
journalistes se contentent de survoler les questions de société et les grandes lignes des programmes des
candidats.
« Ce qui pose un problème récurrent dans le déroulement des débats présidentiels à la télévision en
France (…) : la tradition dans ce pays, à l’inverse de ce que l’on peu observer en Allemagne ou aux
États-Unis, veut en effet que les journalistes qui animent ce type de rencontre ne relèvent jamais les
erreurs des politiques. » (45)
Pour en revenir aux pressions exercées sur les journalistes directement par les politiques, et en particulier
la menace de se retrouver au chômage dans un corps de métier où il est de plus en plus difficile de trouver
du travail, différentes anecdotes rendent parfaitement compte de la situation. Ainsi Patrick Poivre
D’Arvor qui, après une carrière sans faute, s’est vu retirer le JT de TF1 pour avoir déplu à Nicolas
Sarkozy, ou encore, sur la même chaîne, Laurence Ferrari poussée à la démission après plusieurs erreurs
de « jugement », comme le 12 mars 2012 lors de Parole de candidat ou elle a osé poser une question à
Nicolas Sarkozy sur les accusations de financements libyens lancées contre lui par le fils du colonel
Kadhafi. Mais cette façon d’agir n’est pas nouvelle et propre à Nicolas Sarkozy. Elle a malheureusement
été utilisée par de nombreux présidents et hommes politiques durant la Ve République. Comme en 1995
avec Jacques Chirac :
« A défaut d’un coup de sonnette, c’est sans doute un coup de téléphone qui, en 1995, notifia a Christine
Ockrent que, pour avoir déplu au nouveau président de la République dont l’un des amis venait de
devenir propriétaire de L’Express (Pierre Dauzier, PDG de Havas), elle se verrait sans délai congédiée
de son poste de directrice de la rédaction de ce magazine. » (46)
Même avec tant de situations de ce genre, certains journalistes refusent de reconnaître une quelconque
influence du pouvoir en place sur les médias. Tel Alain Duhamel qui affirme : « On a souvent dit (...) que
la profession de journaliste était sous influence, composée de chapelles, traversée de réseaux : c’est une
idiotie. » (47)
Alors que son frère, apparemment plus partagé, offre un discours contradictoire en soutenant d’abord le
fait que : « (...) France Télévision est parfois considérée aujourd’hui par l’État (…) comme un simple
établissement d’État, une administration dont les responsables n’ont pas réellement de marche de
manœuvre. » (48)
Suivi d’une précision quelques pages plus loin :
« (...) Il est illusoire d’imaginer que l’on peut de l’Élysée ou d’ailleurs avoir une quelconque emprise sur
les journalistes qui les composent. L’époque a changé, (…) Sarkozy l’a parfaitement compris et intégré. »
(49)
Cette confusion exprime bien l’état d’esprit des journalistes politiques qui, tiraillés entre ce qu’ils savent
être une réalité de leur métier, c’est-à-dire un contrôle réel s’exerçant sur leur travail au quotidien, et ce
qu’ils préfèrent mettre en avant, sûrement par honte et peur d’être remis à leur place. Il est évidement plus
facile pour ces journalistes de nier leurs faiblesses en se persuadant que leur autonomie est totale, mais ils
ne peuvent en même temps pas occulter complètement les évidences auxquelles ils sont confrontés
chaque jour. Cette frustration réelle dans le métier de journaliste politique est un handicap de plus à ce
métier au rôle démocratique et à son pouvoir sur la liberté en général qui, de par toutes ces pressions et
22
autocensures, ne cesse de se brider de plus en plus.
Encore une fois, cette façon d’agir est très française et, comme l’explique Patrick Duhamel :
« L’idée qu’un président américain qui convoque le patron d’un grand quotidien dans le but de peser sur
la refonte de son actionnariat, ce que Nicolas Sarkozy a fait à la fin du printemps 2010 avec le directeur
du Monde, Éric Fottorino, est absolument impensable aux États-Unis. » (50)
Pourtant, et nous le verrons plus loin, d’autres méthodes sont employées par le gouvernement américain
pour tenter de contrôler les médias. Plus discrètement, car la presse là-bas dispose d’un statut légal la
plaçant en tant que quatrième pouvoir, ce qui en France n’est pas reconnu par la loi.
Le plus important des moyens utilisés est la communication politique, et cela devient de nos jours l’une
des dépenses les plus importantes pour les hommes politiques qui cherchent par tout les moyens à
contrôler leur image. L’interdépendance entre les deux sphères est également la réponse au succès de se
nouveaux procédé. Effectivement, elle n’arrange pas que les hommes politiques.
« Dans un quotidien, le rubricard « éducation » téléphone en début de semaine à “son” ministère : “vous
n’auriez pas un sujet à me proposer ? On est un peu à court d’actu et j’ai pris une demi page pour aprèsdemain.” Une scène classique qui se répète d’ailleurs, un peu partout, pour la “santé”, l’“économie”, le
“logement”... ». (51)
L’image du politique est donc la priorité de celui-ci, et la meilleure façon d’influencer les journalistes est
de bénéficier d’une bonne communication. Jean-Luc Mélenchon, par exemple, a carrément préféré utiliser
la censure lors de la campagne présidentielle afin d’éviter la propagation d’une image caricaturée de sa
personne. Effectivement, il est souvent pris pour cible par l’émission Le Petit Journal (52) de Canal+ qui
n’hésite pas à se moquer des hommes politiques français et en a d’ailleurs fait son fond de commerce.
Jean-Luc Mélenchon n’appréciant pas vraiment cet humour, a tout simplement décidé d’empêcher les
journalistes du Petit Journal d’assister à sa conférence de presse du 19 janvier 2012.
Cet épisode est très inquiétant quant à la situation de la liberté de la presse. Il semble pourtant, à première
vue, totalement impensable de censurer des journalistes de nos jours. Et pourtant, cela a été fait, filmé
mais peu relayé par les autres médias. Alors que c’est un sujet de taille que de voir en 2012, dans une
société démocratique comme la France, un tel acte de censure.
Nous reviendrons sur la communication politique dans la partie suivante mais, avant cela, nous allons
nous intéresser à un aspect plutôt déroutant de la relation politico-journalistique, les couples entre un
journaliste et un politique, et le traitement de l’affaire DSK par la presse.

C. Couple journaliste-politique
C’est une bien étrange tradition française que de voir se former des couples entre journalistes et
politiques. Effectivement, dans de nombreux pays, et particulièrement anglo-saxons, un tel
rapprochement serait extrêmement mal interprété par l’opinion. Cette vision est d’ailleurs tout à fait
compréhensible lorsque que l’on regarde les objectifs opposés et les rapports de domination qui existent
entre ces deux métiers. Le journaliste étant le garde-fou de la population face aux manigances politiques,
et cela depuis la création de la presse. Pourtant, en France, cela ne semble pas déranger, et c’est ainsi que
l’on peut voir de nombreux couples, comme celui du nouveau président de la République, François
Hollande, et sa compagne devenue Première Dame, Valérie Trierweiler, journaliste politique à Paris
Match. Mais on peut également nommer Audrey Pulvar et Arnaud Montebourg, Marie Drucker et
François Baroin, Christine Ockrent et Bernard Kouchner ou encore Dominique Strauss-Khan et Anne
Sinclair.
Cette proximité peut s’expliquer, premièrement, par la proximité, durant leur formation, des journalistes
et politiques, comme nous l’avons vu plus haut. Ayant fait les mêmes écoles, ils se connaissent, côtoient
les mêmes milieux sociaux et évoluent dans une sphère professionnelle qui s’entrecroise. « Le politique
dévore la presse, le son et les écrans. C’est son miroir du matin au soir, il s’y regarde, scrute ses points
23
forts, ses points faibles, sa courbe de popularité, ce qu’il dit, ce qu’on dit de lui. » (53)
La deuxième raison peut être le fait, tout simplement, que les opposés s’attirent, par un « jeu d’attractionrépulsion », et que ces hommes et femmes ont un objectif commun : le pouvoir.
Pour l’homme politique, « (…) son pouvoir dans son parti passe aussi par la place qu’il occupe ou
l’empreinte qu’il laisse dans les médias. » (53)
Le journaliste, lui, « sera qualifié de bon dès lors qu’il aura accès à l’homme politique, à ses
confidences, à l’envers du décor. » (53)
La première évidence, lorsque l’on regarde ces couples, est le fait qu’en majorité se sont femmes
journalistes avec des hommes politiques. Pourquoi donc ce schéma se reproduit-il ? A notre époque, où
l’égalité des sexes est une question d’importance nationale, peut-on reconnaître le fait que ces femmes se
retrouvent souvent face à des portes fermées lorsqu’il est question de pouvoir politique et que le moyen le
plus simple serait d’être la compagne de l’homme qui y accède ? C’est une question intéressante qui
reflète l’organisation patriarcale de la société française où, encore de nos jours, très peu de place est faite
aux femmes pour les postes à responsabilités.
Lorsque, dans les années soixante, les premières femmes journalistes firent leur apparition, l’une d’elles,
Michèle Cotta, se souvient de Jean-Jacques Servan-Shreiber affirmant : « Vous êtes un bataillon de
charme, vous allez les faire parler.» (53) Et d’ailleurs, leurs premières missions ont été d’aller à la
rencontre des politiques : « On leur confiait toujours les couloirs plutôt que les éditos. Munies de
crayons, de micros ou escortées d’une caméra, elles se mirent à arpenter les congrès des partis, la salle
des Quatre Colonnes à l’Assemblée nationale. » (53) Quoi de mieux pour rencontrer son compagnon ou
futur mari que son milieu professionnel. Surtout dans un monde d’hommes, comme l’est toujours la
politique. Un environnement masculin voyant apparaître des femmes intelligentes qui n’ont pour but que
de les piéger, rien de mieux pour créer une attirance physique et émotionnelle.
Le problème qui se pose aujourd’hui à ces couples atypiques est la capacité à séparer sa vie privée de sa
vie professionnelle sans laisser les émotions interférer sur leur travail. Pourtant il est vrai, « (...) rien ne
permet d’affirmer que la relation sexuelle entraîne une plus grande connivence qu’une longue amitié
(...) » (54)
Pourtant, aux yeux de l’opinion, les couples entre journalistes et politiques représentent une trahison par
excellence et, en perte de confiance totale envers les médias, l’affichage au grand jour de ces couples
n’arrange rien. « (...) Le discrédit qui frappe les médias se nourrit aussi de l’affichage public de ces
couples journalistes/élus qui sont devenus le signe le plus visible de la collusion supposée entre presse et
pouvoir. » (55)
Les premiers à briser la glace et à s’afficher ouvertement ont été Dominique Strauss-Khan et Anne
Sinclair. Ce premier couple a ensuite ouvert la voix à de nombreux autres, ce qui a d’ailleurs mené à des
situations cocasses, comme par exemple en avril 1992 où le Président de l’époque, François Mitterrand,
s’est vu interviewer par deux femmes journalistes et compagnes de deux de ses ministres, Anne Sinclair et
Christine Ockrent.
Pourtant, pour apaiser les accusations de connivence, Anne Sinclair n’hésita pas à arrêter son émission 7
sur 7 lorsque son mari devint ministre pour la seconde fois. En ce qui concerne la nouvelle première
dame, Valérie Trierweiler, il était convenu avec son employeur Paris Match que, durant la campagne
présidentielle, elle ne pourrait pas assister aux conférences de rédaction et bouclages du journal. La même
restriction a été imposée à Audrey Pulvar, qui a dû renoncer à son interview politique de la matinale de
France Inter et a été suspendue d’antenne par iTélé.
Les points de vue divergent quant aux restrictions professionnelles de ces femmes journalistes, et certains,
comme Julien Dray s’offusquent : « C’est la réduire à son compagnon ! » (54)
Cependant, l’on ne peut pas faire abstraction du fait que « la tentation peut être grande alors pour celle
dont le métier était de savoir ce qui se disait dans les réunions, de franchir la porte, de se mêler du
pouvoir, des décisions, voire de maîtriser la communication de son mari ou de son compagnon. » (54)

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Presse, pouvoir et démocratie
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Presse, pouvoir et démocratie

  • 1. Presse, pouvoir et démocratie Master 1 de sociologie parcours : « Dynamiques sociales et vulnérabilités » Directeur de mémoire: Stéphane Corbin Année universitaire 2011-2012 Université de Caen Basse-Normandie Elsa Pietrucci 1
  • 2. Remerciements En préambule à ce mémoire, je souhaitais adresser mes remerciements les plus sincères aux personnes qui m'ont apporté leur aide et qui ont contribué à l'élaboration de ce mémoire ainsi qu’à la réussite de cette formidable année universitaire. Je tiens à remercier sincèrement Monsieur Stéphane Corbin, qui, en tant que Directeur de mémoire, s'est toujours montré à l'écoute et très disponible tout au long de la réalisation de ce mémoire, ainsi pour l'inspiration, l'aide et le temps qu'il a bien voulu me consacrer et sans qui ce mémoire n'aurait jamais vu le jour. Mes remerciements s’adressent également au membres de la rédaction de l'Hérault du Jour et l'équipe de production du Fou du Roi pour leur aide et leur patience durant mes observations participantes. J'exprime ma gratitude à tous les consultants et internautes rencontrés lors des recherches effectuées et qui ont accepté de répondre à mes questions avec gentillesse. Je n'oublie pas mes parents pour leur contribution, leur soutien et leur patience. Je tiens à exprimer ma reconnaissance envers Mlle Audrey Campagne qui a eu la gentillesse de lire et corriger ce travail. Enfin, j'adresse mes plus sincères remerciements à tous mes proches et amis, qui m'ont toujours soutenue et encouragée au cours de la réalisation de ce mémoire. Merci à tous et à toutes. 2
  • 3. Table des matières INTRODUCTION ................................................................................................................................................................ 4 A.SYNTHÈSE DE L’EXISTANT........................................................................................................................................................... 4 B.HYPOTHÈSES DE DÉPART............................................................................................................................................................ 6 PARTIE I : MÉDIAS ET DÉMOCRATIE............................................................................................................................. 7 A.LE CONCEPT D’ESPACE PUBLIC DE JÜRGEN HABERMAS.................................................................................................................... 7 B. JURGEN HABERMAS VU PAR ANNE-MARIE GINGRAS .................................................................................................................... 8 C. CRITIQUE DE LA TÉLÉVISION PAR PIERRE BOURDIEU..................................................................................................................... 9 D. JOURNALISME ET DÉMOCRATIE, UN RÉEL QUATRIÈME POUVOIR ?..................................................................................................... 10 PARTIE II : HISTOIRE DE LA PRESSE........................................................................................................................... 12 A.QUELQUES DATES CLEFS.......................................................................................................................................................... 12 B.L’AFFAIRE DREYFUS................................................................................................................................................................ 13 C.PRESSE ET RÉVOLUTION FRANÇAISE......................................................................................................................................... 14 PARTIE III : FONCTIONNEMENT ET CARACTÉRISTIQUES DU JOURNALISME................................................. 14 A.PRESSIONS ÉCONOMIQUES........................................................................................................................................................ 17 B.PRESSIONS POLITIQUES........................................................................................................................................................... 20 C.COUPLE JOURNALISTE-POLITIQUE.............................................................................................................................................. 23 D.VIE PRIVÉ DES POLITIQUES ET AFFAIRE DSK............................................................................................................................. 24 E.CONNIVENCES........................................................................................................................................................................ 25 PARTIE IV : COMMUNICATION ET POLITIQUES....................................................................................................... 27 A.SOCIOLOGIE DE LA COMMUNICATION POLITIQUE........................................................................................................................... 29 B.RELATIONS ENTRE PRESSE ET PRÉSIDENTS ................................................................................................................................. 30 C.CAMPAGNE PRÉSIDENTIELLE DE NICOLAS SARKOZY...................................................................................................................... 32 D.LE STORYTELLING.................................................................................................................................................................. 33 PARTIE V : OBSERVATIONS ET ENTRETIENS............................................................................................................ 35 A.OBSERVATIONS DIRECTES ........................................................................................................................................................ 35 B.OBSERVATIONS PARTICIPANTES ................................................................................................................................................ 36 C.ENTRETIENS ......................................................................................................................................................................... 39 CONCLUSION...................................................................................................................................................................... 43 A.OPINION PUBLIQUE ET INFLUENCES........................................................................................................................................... 43 B.DIFFICULTÉS RENCONTRÉES PENDANT LA RECHERCHE................................................................................................................... 44 C.VÉRIFICATION DES HYPOTHÈSES ............................................................................................................................................... 45 REFERENCES CITEES..........................................................................................................................................................47 BIBLIOGRAPHIE..................................................................................................................................................................50 3
  • 4. Introduction « La presse, vous êtes tout de même obligé de la lire. Non pas pour savoir ce qui se passe, mais pour savoir ce que les médias veulent que les gens pensent. » (1) Il n’y a pas de démocratie sans liberté de la presse, qu’en est-il dans les sociétés occidentales ? Ce mémoire a pour but de déterminer la nature des relations entre presse et pouvoir, et si celles-ci influencent l’État démocratique en tant que concept fondé sur la liberté de la presse. Cette recherche ne prétend pas donner des réponses précises sur l’état de la démocratie aujourd’hui, mais simplement permettre une meilleure compréhension des enjeux d’une presse en perte d’indépendance dans un monde de plus en plus médiatisé où les rapports de domination entre politique, économie et journalisme se sont accentués dans la course au pouvoir. C’est dans cette optique que nous nous poserons cette question de départ : De quelle nature sont les relations entre presse et pouvoir, journalistes et politiques, et de quelles façons ces relations influencent-elles une société démocratique fondée sur la liberté de presse ? Nous commencerons par tenter de définir, à travers la vision de Jürgen Habermas et de Pierre Bourdieu, ce qu’est un état démocratique et en quoi une totale liberté de la presse lui est indispensable. Dans un deuxième temps, nous reviendrons sur quelques événements qui ont marqué l’histoire de la presse et ont montré de quelles façons le journalisme peut être un réel vecteur de démocratie. Nous en viendrons ensuite, dans une troisième partie, à définir les caractéristiques de la sphère journalistique à travers les pressions multiples qui ne cessent de l’influencer. Dans un quatrième temps, nous nous attarderons sur l’essor de la communication politique en tentant de comprendre comment celle-ci a transformé le travail journalistique. Nous terminerons par une partie consacrée aux différentes observations effectuées, tout en essayant d’interpréter les résultats dans le but de mieux comprendre l’état du monde politicojournalistique aujourd’hui. Mais avant toute chose, il semble nécessaire de revenir sur les recherches déjà effectuées sur le sujet. A. Synthèse de l’existant La sociologie des médias s’est développée à partir des années trente et traite d’un certain nombre de questions récurrentes : - Quelle est l’influence des médias sur l’opinion publique et sur la décision politique ? Les médias font-ils les élections ? - Assiste-t-on à une massification du public soumis à l’influence des médias, et serait-il ainsi privé de sa capacité de réflexion critique ? - Le mouvement de concentration économique des médias et la proximité des élites médiatiques, politiques et économiques, conduisent-ils à une pensée unique qui met en péril la démocratie et le pluralisme ? La sociologie des médias s’est particulièrement intéressée à l’étude de la communication de masse et à ses effets sur la vie sociale. Elle a connu trois grandes étapes dans son évolution : La première met l’accent sur la puissance des médias. L’ouvrage emblématique est celui de Serge Tchakhotine, Le Viol des foules par la propagande politique (1939). L’idée selon laquelle les médias de masse façonnent l’opinion et contribuent à un processus de massification au sein duquel les individus 4
  • 5. perdent leurs capacités de réflexion et de critique. Cette vision est également présente dans les analyses de l’École de Francfort. La deuxième, dans les années soixante, met l’accent sur les effets limités des médias. Cette approche est notamment développée par Paul Lazarsfeld (Influence personnelle : Ce que les gens font des médias) qui met en avant le phénomène du two step flow, selon lequel il n’y aurait pas d’influence directe des médias sur l’opinion. Cette influence s’exerce en réalité par l’intermédiaire de leaders d’opinion et se déroule en deux étapes : des médias aux leaders d’opinion, puis de ces derniers aux individus avec lesquels ils sont en contact. Il y a donc une exposition sélective à l’action des médias, car les individus perçoivent les informations en fonction de leur position sociale, de leur âge, etc. La troisième, depuis les années soixante-dix, voit se développer des études qui mettent à nouveau l’accent sur l’influence des médias en insistant sur leur fonction d’agenda. Cette fonction consiste à déterminer la liste des sujets qui font l’objet des préoccupations de l’opinion publique et les enjeux du débat public. A travers leur fonction d’agenda, les médias ne disent pas ce qu’il faut penser, mais ce à quoi il faut penser. Les moyens de communication de masse apparaissent désormais aux individus comme une source légitime d’information, alors même que les phénomènes d’identification partisane s’affaiblissent et que l’influence des variables sociologiques devient plus complexe (l’âge, le genre, la profession se combinent pour influencer la réception des messages transmis par les médias). En ce qui concerne ma recherche, je me suis penchée plus particulièrement sur ces six auteurs et leurs études sur le monde médiatique : 1. Anne Marie Gingras Médias et démocratie, le grand malentendu Anne-Marie Gingras analyse le rôle politique des médias privés et publics, des sondages et des technologies médiatiques. Elle déconstruit l’idée qu’il s’agit là de "maillons de la démocratie", les présentant plutôt en partie comme des outils permettant la reproduction du pouvoir. Elle identifie les liens de dépendance entre les médias et les pouvoirs politiques. Elle définit la politique spectacle et explique le code de communication des hommes et des femmes politiques. Elle expose aussi une série de malaises liés à l’insertion des médias dans le système économique : incidences de la propriété sur les contenus, conséquences de la concentration de la presse et enfin marchandisation de l’information. Elle critique les sondages, qu’elle considère comme des instruments qui passent pour être des consultations populaires. Les sondages récoltent ainsi la légitimité de l’opinion publique. Les effets des technologies médiatiques sur les comportements politiques sont analysés, ainsi que le militantisme sur Internet et les blogs politiques. 2. Cyril Lemieux La Subjectivité journalistique et Un président élu par les médias ? Regard sociologique sur la présidentielle de 2007 Cyril Lemieux est un sociologue qui s’est particulièrement intéressé à cette problématique. Dans « La subjectivité journalistique », par exemple, il s’attache à déterminer de quelles marches de manœuvre disposent les journalistes face à leur hiérarchie, aux contraintes économiques et de l’ordre de la communication politique. Il laisse, dans ce livre, la parole à des sociologues et historiens et s’appuie sur des enquêtes menées dans différents médias. Il pose ainsi la question du libre arbitre dans le travail journalistique et, particulièrement, il s’interroge sur la nécessité de fonder la critique des médias sur une responsabilité personnelle présumée des journalistes. Dans un deuxième ouvrage, Cyril Lemieux s’intéresse à la campagne présidentielle de 2007, et plus précisément à la relation qu’entretient Nicolas Sarkozy avec la presse. Premier président « hypermédiatique », il a su utiliser les médias pour faire passer ses opérations de communication et a toujours entretenu un rapport particulier à ce monde. Cette réussite médiatique serait-elle le résultat d’un jeu d’intimidation-séduction avec les journalistes, ou aussi de réseaux tissés de longue date avec les patrons de presse ? Mise en scène de l’actualité, utilisation des sondages et démocratisation d’Internet, la sociologie peut, grâce à ses connaissances sur le sujet, permettre aux citoyens de résister aux effets d’imposition propres aux discours médiatiques aussi bien qu’aux amalgames trompeurs que véhicule la critique des médias souvent caricaturale. Dans ce livre, Cyril Lemieux nous explique, d’un point de vue inspiré par la sociologie, le traitement médiatique de la campagne présidentielle. 5
  • 6. 3. Pierre Bourdieu Sur la télévision Bien entendu, je ne peux ignorer l’étude de Pierre Bourdieu sur la télévision. Ce média serait porteur et créateur de manipulation, et donc dangereux pour la démocratie. La liberté de la presse est ainsi bloquée par des enjeux économiques et politiques puissants, mais également par une concurrence interne au champ journalistique lui-même. La télévision ne serait alors porteuse que de programmes dangereux pour la culture et la démocratie. La censure invisible qui s’opère est ainsi détaillée par Pierre Bourdieu qui décrit les outils utilisés à cette fin, comme les images et les discours. Enfin il s’attarde sur l’évolution du champ journalistique depuis l’apparition de la télévision qui s’impose aujourd’hui comme média dominant, et sur ses conséquences sur la société. 4. Sarah Finger et Michel Moatti L’Effet-médias : pour une sociologie critique de l’information La journaliste et le sociologue s’allient dans cet ouvrage pour décrypter un flux d’actualité de plus en plus flou. Ils analysent la transformation de l’événement en information, la multiplication des supports et l’influence croissante de la communication. Les médias proposeraient une vision falsifiée du monde ; les auteurs s’interrogent alors sur le changement de statut des journalistes qui représentaient les révélateurs d’un monde caché et qui, aujourd’hui, sont considérés par l’opinion publique comme des manipulateurs et des complices des différents pouvoirs. A travers des entretiens avec des journalistes et des communicants, ils analysent les diverses influences sur la sphère journalistique. 5. Erik Neveu Sociologie du journalisme Dans cet ouvrage, l’auteur replace la sphère journalistique dans un contexte de relations avec différents acteurs politiques, économiques ou avec leurs sources. Il analyse l’évolution de l’écriture de presse et tente de repositionner le débat classique qui consiste à définir les médias comme porteurs d’un pouvoir sur l’opinion. À travers des faits d’actualité et leur traitement médiatique, il pose la problématique de l’émergence de la presse gratuite et d’une massification de l’information sur Internet. Enfin, il observe et décrit les réponses de la profession à ces défis. 6. Serges Halimi Les Nouveaux Chiens de garde Dans ce livre, le journaliste dénonce une connivence omniprésente entre journalistes et politiques. Appartenant tous à des grands groupes dirigés par des proches du pouvoir, comment les journalistes peuvent-ils conserver une certaine liberté ? De plus, ces groupes de presse sont parasités par un objectif premier : le profit. Selon lui, ces groupes maintiendraient à distance certains sujets pour en mettre d’autres en avant, mais tout cela ne serait pas fait dans un objectif de manipulation, mais davantage par paresse et par intérêts économiques. Fragilisés par la crainte du chômage, les journalistes se laissent de plus en plus influencer et fragilisent ainsi leur indépendance. Il dénonce une presse qui se proclame « contre-pouvoir » mais qui n’est finalement que du journalisme de révérence. C’est dans ce contexte que se multiplient les cas d’informations « oubliées », d’affrontements factices et de services réciproques. La marchandisation de l’information a amené les journalistes à défendre un système économique à la manière de « chiens de garde ». Pour conclure cette synthèse de l’existant, on remarque que la pensée sociologique des médias a évolué progressivement, en même temps que les nombreux changements survenus au sein de la société. Cependant, aujourd’hui, une vision domine et, en règle générale, les travaux des sociologues conduisent à relativiser la thèse de la toute puissance des médias. 6
  • 7. B. Hypothèses de départ − La sphère journalistique est de plus en plus influencée par la communication gouvernementale et les enjeux économiques. − Le journaliste conserve une marche de manœuvre par son choix de résistance aux différentes formes de domination − La notion d’espace public tel que la définit Jürgen Habermas ne se vérifie que partiellement dans les sociétés démocratiques basées sur l’idée de liberté d’expression et, de fait, de liberté de la presse − Des relations de connivences existent entre journalistes et hommes politiques, mais elles ne sont pas pour autant devenues une norme − La sphère politique influe sur le monde journalistique qui peut participer à la construction d’une opinion publique, toutefois, l’opinion publique elle-même en tant que lecteur, auditeur ou spectateur conditionne une partie de l’information à travers les attentes économiques. Partie I : Médias et démocratie A. Le concept d’espace public de Jürgen Habermas Habermas est un philosophe et sociologue allemand, auteur du livre L’Espace public publié en 1962. Cet ouvrage a pour but de « déplier le type idéal de la sphère publique bourgeoise, à partir des contextes historiques propres au développement anglais, français et allemands au XVIII e siècle et au début du XIXe siècle ». (2) Il tente de décrire « le processus au cours duquel le public constitué par les individus faisant usage de leur raison publique s’approprie la sphère publique contrôlée par l’autorité et la transforme en une sphère où la critique s’exerce contre le pouvoir de l’État ». (3) Il est donc indispensable de distinguer la société de l’État pour que l’espace public comme l’entend Jürgen Habermas soit possible. La publicité décrite dans l’ouvrage est un mot employé pour définir la chose rendue publique et apparaît comme indispensable dans l’exercice de la critique du pouvoir politique. Ce terme apparaît au XVIIIe siècle et peut être comparé au droit à l’information. Cet espace public est avant tout politique. Même s’il a été initialement littéraire, il permet de faire le lien entre la société, l’opinion publique qui la représente et l’État, afin de renverser les rapports de domination. Habermas définit l’espace public comme « La sphère des personnes privées rassemblées en un public » (4), dans le but de discuter et débattre sur des questions de société. L’espace public de Jürgen Habermas apparaît donc comme un espace où les lois démocratiques sont pleinement respectées, avec une discussion libre entre citoyens égaux, ils peuvent librement exprimer leur pensée sans se voir inquiétés par des restrictions politiques ou religieuses. Dans cet espace de discussion libre va se développer, selon Habermas, un esprit critique envers les pouvoirs politiques en place. Ce lieu peut être également appelé « sphère publique ». Dans le but d’une comparaison avec le sujet qui nous intéresse, nous allons commencer par nous demander si l’on peut considérer cet espace public comme répondant à un phénomène démocratique. Trois aspects principaux semblent confirmer le fonctionnement démocratique de la sphère publique : D’abord, l’idée d’égalité entre les membres. Les discussions sont portées par des arguments qui ne prennent en compte en aucun cas les particularités des participants. 7
  • 8. Ensuite, la liberté d’expression totale. Dans la sphère publique, il est permis de discuter de tout, et même de sujets transcendantaux comme la religion, par exemple. Dans cet espace, tout peut être remis en cause. On comprend ainsi mieux la définition de cet espace donnée par Jurgen Habermas : « la sphère des personnes privées rassemblées en un public faisant un libre usage de leur raison ». (5) Enfin, les décisions et délibérations sont prises à la majorité unanime. On observe grâce à cette idée l’émergence du concept d’opinion publique, qui représente l’idée la plus largement représentée lors des débats. Ce concept fait donc déjà pleinement partie de la sphère publique. C’est dans la première partie de son ouvrage que Jürgen Habermas explore le concept de délibération collective. On sent dans sa pensée une forte influence de Karl Marx quant à l’idée principale selon laquelle l’individu doit s’émanciper de ses dominations par une sorte de lutte des classes autorégulée et, donc, autonome. C’est un processus collectif où les individus s’expriment à travers leurs expériences personnelles et s’en servent afin de mieux connaître leurs désirs. Autrement dit, à travers cette discussion collective, chaque individu bâtit une conscience de lui-même. « Autrefois, la publicité avait dû se frayer une voie en s’opposant à la politique du secret pratiquée par l’absolutisme : elle s’efforçait de soumettre personnalités et problèmes à la discussion publique, et faisait en sorte que les décisions politiques fussent révisables devant le tribunal de l’opinion publique. De nos jours, en revanche, ce n’est qu’avec l’aide du politique du secret pratiquée par des groupements d’intérêts que la publicité est imposée : elle confère à des personnalités ou à des choses un prestige public et les rend par là susceptibles d’être adoptées, sans réserve ni discussion. » (6) B. Jurgen Habermas vu par Anne-Marie Gingras Selon Anne-Marie Gingras dans son ouvrage Médias et démocratie, le grand malentendu, le concept de sphère publique élaboré par Jürgen Habermas correspond en tout point à l’idéal des lumières : « valorisation de la rationalité, infinie confiance en l’être humain, croyance en la capacité des sociétés de s’autogouverner » (7). De plus, elle met en relation la dégradation de la sphère publique décrite par Habermas et la critique des médias privilégiée par la gauche : « cette sphère a été instrumentalisée par l’Etat et les pouvoirs économiques et ne sert plus au débat public » (8). Le concept de sphère publique cristallise tout à fait la conception occidentale des médias, elle est perçue comme un lieu de délibération par excellence permettant au peuple de s’autogouverner ; celui-ci prendrait donc connaissance des enjeux importants de sa société par le biais des médias, et il s’exprimerait ensuite en toute connaissance de cause. Dans son ouvrage, Habermas explique que la sphère publique est réglementée par l’autorité, mais utilisée par des « personnes privées rassemblées en un public » « directement contre le pouvoir lui-même » pour « discuter avec lui des règles générales de l’échange, sur le terrain de l’échange des marchandises et du travail social ». (9) Domaine qui reste essentiellement privé, mais dont l’importance revêt désormais un caractère public. Pour Habermas, la sphère publique devient donc l’outil grâce auquel les sociétés peuvent s’autogouverner. « Certaines forces sociales qui veulent être en mesure d’influencer les décisions du pouvoir font appel à un public qui fait usage de sa raison afin de légitimer devant ce nouveau forum (la sphère publique) certaines de leurs exigences. » (10) La sphère publique contribue donc à une « répartition des pouvoirs », l’opinion publique étant « une instance de contrôle des excès du gouvernement ». (11) C’est donc à partir de ce concept qui exprime au mieux l’idée de démocratie dans son idéal, que nous tenterons d’analyser le rôle des médias et leur influence positive ou négative sur ce raisonnement démocratique à la base de nos sociétés occidentales. Cependant, Jürgen Habermas consacre la dernière partie de son livre à l’affaiblissement de cet espace 8
  • 9. publique. Il l’explique en grande partie par la disparition de la publicité comme moyen de critique et qui s’est transformée depuis le début du XXe siècle en une publicité de « démonstration et de manipulation » (12) qui se consacre alors aux intérêts privés plutôt qu’à un rôle social et politique dans l’espace public. C. Critique de la télévision par Pierre Bourdieu Dans son livre sur la télévision, Pierre Bourdieu part du principe selon lequel la télévision serait néfaste pour toutes sortes de productions culturelles, la sphère politique et la démocratie. L’information devenue dépendante du marché engendre une concurrence pour acquérir le plus d’audimat possible. Cependant, Pierre Bourdieu ne critique pas directement les journalistes, mais propose cette analyse dans le but de combattre un journalisme utilisé comme oppression symbolique, alors qu’il pourrait être un vecteur de démocratie extrêmement efficace. Même s’il se concentre particulièrement sur les effets de la télévision, l’on retrouve tout au long du livre une analyse de la presse et du journalisme extrêmement constructive pour le sujet de ce mémoire, car elle met en avant les défaillances globales et les enjeux de ce métier envers la démocratie. Il identifie plusieurs causes à cet effet nuisible pour la démocratie, et nous allons en exposer quelquesunes afin de mieux comprendre le fonctionnement de la télévision dans nos sociétés modernes. 1. Le plateau et ses coulisses Tout d’abord, il aborde le problème des restrictions imposées par la télévision lors d’émissions, par exemple. Le temps de parole limité, les sujets de discussions imposés avec des interventions répétées afin de contrôler le discours des invités créent un environnement peu favorable à un débat sain. Tout est fait pour diriger et aiguiller l’invité vers ce que la télévision attend de lui. 2.Une censure invisible La télévision apparaît pour Bourdieu comme un outil de censure invisible dans le sens où elle est bien souvent utilisée comme outil de communication. Il existe, selon lui, une censure opérée sur les invités et les journalistes. Elle se traduit par exemple par la nomination des patrons de chaînes, l’autocensure des journalistes, en partie liée à la précarité grandissante de leur métier, et aux difficultés économiques générales.La course à l’audimat engendre un choix particulier d’information ; ainsi, les faits divers sont de plus en plus présents, prenant la place de faits d’actualité plus riches en informations. Cette forme de télévision, qui a un important impact sur la population, engendre donc un type de pensée générale qui écarte toute forme de conscience critique indispensable au bon déroulement de la démocratie. L’écart entre ceux qui continuent de lire des quotidiens plus sérieux et les adeptes de la télévision ne cesse de se creuser et apparaît comme l’une des causes qui expliquent qu’une grande partie de la nouvelle génération soit peu politisée et mal équipée en termes de conscience politique et d’engagement citoyen. 3. Cacher en montrant Une autre caractéristique de cette télévision consiste en une sorte de censure de l’information. Souvent trafiquée pour être plus sensationnelle, l’information ne reflète plus une réalité, mais est utilisée à des fins politiques et économiques. La sélection des informations effectuée par les journalistes ne permet pas une information saine, car elle est faite en fonction des médias concurrents et en constante recherche du « scoop ». Cela a pour effet une uniformisation de l’information qui perd, dès lors, de son intérêt. 4. La circulation circulaire de l’information Un des problèmes les plus importants dans la production journalistique est l’effet de mimétisme. Effectivement, lorsqu’une information est relayée par un organe de presse, les autres s’empressent de la copier et de la publier à leur tour. Cet engrenage est dû en grande partie à des raisons économiques. Car une chaîne ne peut se permettre de ne pas proposer une information alors que tous ses concurrents l’ont déjà traitée, de peur de perdre des téléspectateurs. C’est ainsi que la logique financière s’impose aux productions culturelles. 9
  • 10. 5. L’urgence et la « fast-thinking » Une autre lacune répertoriée par Pierre Bourdieu sur la télévision est le fait que les intervenants invités aux émissions de télévision sont toujours les mêmes. Les scientifiques ou spécialistes sont donc porteparole d’une pensée presque unique, qui monopolise les ondes télévisuelles et ne laisse aucune place à d’autres visions d’un sujet donné. Habitués des médias, ces « fast-thinkers » ne perdent pas de temps et répondent parfaitement aux exigences imposées par la télévision, à savoir les contraintes de temps et l’exposition d’idées faciles à intégrer par les téléspectateurs. 6. Des débats vraiment faux ou faussement vrais Cet aspect de la télévision est un des plus antidémocratiques, car il ne permet pas une réelle liberté d’expression. Soit les intervenants se connaissent déjà entre eux, ce qui fausse totalement la discussion, soit le débat est régi par une série d’opérations de censure comme le temps de parole, les sujets imposés ou les interventions des présentateurs. 6. L’emprise du journalisme Selon Pierre Bourdieu et son concept de champ, le journalisme est un champ extrêmement influencé par le champ politique et économique. Ainsi le journalisme est de plus en plus soumis aux emprises économiques. On peut d’ailleurs observer quelques propriétés du champ journalistique : il s’est constitué au XIXe siècle et est composé de deux caractéristiques qui s’opposent l’une à l’autre, toutes deux liées à la légitimation. La première est la reconnaissance par ses collègues journalistes, et la deuxième est la reconnaissance par le plus grand nombre, c’est-à-dire en termes de part de marché et de profit financier. Ce poids du financier sur la profession est un frein énorme à l’autonomie du journalisme, un aspect du métier pourtant indispensable au maintien de la démocratie. D. Journalisme et démocratie, un réel quatrième pouvoir ? La presse et le journalisme apparaissent à l’esprit du plus grand nombre comme un outil de protection contre les abus du pouvoir politique. Les journalistes permettent de faire le lien entre les pouvoirs en place et les citoyens, en permettant à la population de développer un esprit critique face aux actions politiques en tout genre. C’est ainsi que le premier point examiné afin de définir si une société est démocratique est la capacité de la presse à être indépendante, comme le résume Anne-Marie Gringas: « Une presse libre sert donc d’outil essentiel dans une société démocratique, et l’asservissement de la presse dans les pays ayant des systèmes autoritaires de gouvernement sert d’exemple a contrario des liens entre médias et démocratie. » (13) De ce fait, la presse est porteuse d’une réelle responsabilité sociale et ne peut être corrompue ou manipulée sans risquer de perdre son pouvoir d’équilibre essentiel à la démocratie. Cette responsabilité a d’ailleurs été définie clairement en 1947 par la « Commission américaine sur la liberté de la presse, aussi appelée commission Hutchins ». (14) Les études de cette commission restent pourtant très idéalistes et reconnaissent cinq responsabilités à la presse : « Présenter un compte rendu des événements véridique, complet et intelligible dans un contexte qui leur donne un sens. » (14) Cette première responsabilité apparaît comme évidente ; cependant, à travers ce mémoire, nous allons vite nous rendre compte qu’elle n’est plus réellement respectée par la profession journalistique. En partie muselés par les contraintes de temps et d’argent ou par la course à l’audimat, les journalistes ne prennent plus vraiment le temps de remettre une information dans son contexte, et n’hésitent pas à la transformer, pour la rendre plus émotionnelle, par exemple. La deuxième responsabilité proposée consiste à : « Être un forum d’échange ». (14) Celle-là aussi n’apparaît pas vraiment comme d’actualité, car si, effectivement, durant la Révolution française, par exemple, la presse a été un vrai lieu d’échanges et s’apparentait de près au concept de sphère publique de 10
  • 11. Jurgen Habermas, de nos jours, elle se contente d’être une marchandise exploitée dans un but purement économique. La troisième est la suivante : « Projeter une image représentative des groupes constitutifs de la société ». (14) C’est un dogme que la profession journalistique tente de respecter, et particulièrement en France, car la pluralité politique y est très importante. Cela a d’ailleurs pu être constaté lors de l’observation participante dans le petit quotidien régional l’Hérault du Jour où les journalistes mettaient un point d’honneur à laisser la parole à chaque candidat durant les élections régionales. Cependant, en ce qui concerne les différentes couches sociales, religions ou communautés, on peut se demander jusqu’à quel point elles sont également représentées dans les médias français. Très souvent, on observe plutôt une stigmatisation de certaines parties de la population, ce qui n’est pas porteur d’une réelle cohésion sociale. Les deux derniers points concernent le fait de « présenter et clarifier les buts et les valeurs de la société » et de « fournir un accès total aux informations du jour ». (14) Cela est également peu vrai de nos jours, car les informations continuent d’apparaître biaisées par les enjeux économiques et politiques qui contrôlent de plus en plus le milieu journalistique. Par exemple, par faute de temps, les journalistes doivent faire des choix concernant les informations à traiter. Ils ne peuvent pas se permettre de ne pas sortir une information déjà relayée par les médias concurrents de peur de perdre des lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs. La sélection se fait également en fonction de l’impact émotionnel et de l’intérêt que peut porter l’opinion sur ces informations, et est bien souvent le reflet de l’influence politique sur la presse à travers les communiqués de presse à disposition des journalistes. Le terme de « quatrième pouvoir », apparaît en 1987, utilisé par l’écrivain britannique Edmund Burke. La classification des pouvoirs a été également un des questionnements centraux d’Alexis de Tocqueville dans De la démocratie en Amérique. Dans cet ouvrage, il repère quatre pouvoirs : le pouvoir central (exécutif, législatif et judiciaire), le pouvoir local (les pouvoirs fédérés), le pouvoir associatif (les lobbys) et, enfin, la presse écrite. Celle-ci apparaît donc comme un pouvoir important au sein de l’État démocratique, et est d’ailleurs définie en ces termes par Marcel Gauchet, dans Contre-pouvoir, méta-pouvoir, anti-pouvoir : Elle « n’a d’autre pouvoir que celui d’arrêter les pouvoirs ». (15) Mais qu’en est-il aujourd’hui ? La presse a-t-elle toujours une influence réelle sur la population ? Comme fonction première de la presse, on peut considérer un rôle d’arbitre ou de médiateur. Par son biais, les informations de toutes sortes peuvent être communiquées au plus grand nombre et, ainsi, permettre au citoyen d’agir en connaissance de cause. Marcel Gauchet décrit son rôle comme se bornant « à créer des conditions d’une compétition loyale pour le pouvoir, de l’extérieur du jeu, et par des moyens exclusivement d’une information à même de limiter l’emprise des puissance sociales diversement intéressées à biaiser le jeu ». (15) Gardienne d’un tel pouvoir dans un espace politique et économique tel que nos sociétés modernes semblent être un vrai danger pour le maintien de la démocratie. Si la presse était contrôlée par d’autres sphères, elle pourrait devenir source de nombreux effets anti-démocratiques, à l’opposé de son rôle initial. Le rôle de la presse prend toute son ampleur pendant l’élection présidentielle, par exemple où elle doit être garante de la pluralité des idées politiques en exposant les candidats et les partis à égalité. Lors de l’observation participante à l’Hérault du Jour qui a eu lieu pendant les élections régionales, le point d’honneur des conférences de rédaction était de respecter la pluralité en consacrant des articles de même taille à chaque candidat. Cela est d’ailleurs apparu comme un vrai dilemme pour ce petit journal inscrit fortement à gauche, mais les journalistes ont tenté de respecter cet engagement tout au long de la campagne. Cependant, d’après les études de P. Lazarsfeld et B. Berelson, décrites précédemment, on observe que l’influence des médias sur les gens, en particulier en politique, n’est pas si importante, et que la presse ne fait souvent que renforcer des idées déjà partagées par l’individu auparavant. De plus, le manque croissant d’autonomie de la presse rend la population de plus en plus sceptique, et une perte de confiance envers elle est observée dans l’opinion. 11
  • 12. Toutefois, à travers l’histoire, de nombreux faits ont montré le pouvoir de la presse sur le comportement des individus et sur leur façon de penser. L’on peut ainsi en citer deux exemples : l’affaire Dreyfus, qui a pris toute son ampleur grâce à la presse, et la Révolution française, à travers laquelle s’est formé le journalisme. Partie II : Histoire de la presse Nous commencerons cette partie par quelques dates clefs relatives à la construction de la presse en France. Afin de mieux comprendre ce qu’elle est aujourd’hui, il est indispensable d’en analyser les débuts. Pour ce faire, nous nous attarderons sur deux aspects de l’histoire bien spécifiques, qui mettent en lumière le pouvoir de la presse sur l’opinion, ainsi que son rôle démocratique. A. Quelques dates clefs 1631 La Gazette, le premier journal français Le roi Louis XIII participe à de nombreux articles et le prix littéraire Renaudot sera instauré en mémoire du fondateur du journal. 1777 Le premier quotidien paraît en France Ce journal de quatre pages, appelé le Journal de Paris, connaît un succès important auprès des Parisiens et relaiera les événements de la Révolution Française. 24 août 1789 La liberté de la presse L’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen déclare : « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement (...) ». La presse ne sera pourtant complètement libre qu’avec la loi du 29 juillet 1881 car, après 1792, elle sera dépendante du gouvernement en place, qui la contrôlera sévèrement. XVIIe siècle: Création de la presse Liberté d’expression : articles 10 et 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (1789) résultant de la Révolution française. Article 10 : « nul ne doit être inquiété pour ses opinions (…) » Article 11 : « la libre communication de ses pensées et de ses opinions est un des droits les plus précieux de l’homme (SIC) ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». 31 mars 1820 : Premières restrictions de la liberté de la presse En 1822, une loi est créée pour punir le délit d’opinion. Suite à cela, il sera légal de condamner un journal pour son « esprit », et une autorisation officielle sera requise pour ouvrir et publier un journal. 22 octobre 1835 : Création de l’AFP Le Français Charles-Louis Havas crée la première agence d’information mondiale sous le nom : Agence des feuilles politiques, correspondance générale. 29 juillet 1881 : Loi sur la liberté de la presse La IIIe République vote la loi sur la liberté de la presse, dont l’article Ier affirme : « L’imprimerie et la librairie sont libres. » 1er novembre 1894 : Début de l’affaire Dreyfus 12
  • 13. 10 septembre 1915 : Création du Canard enchaîné La propagande guerrière et la censure exaspèrent les pacifistes Maurice et Jeanne Maréchal, qui fondent Le Canard enchaîné en signe de protestation. Octobre 1945 : Fondation des Temps modernes Avec l’aide de Simone de Beauvoir et de Maurice Merleau-Ponty, Jean-Paul Sartre publie le premier numéro de la revue Les Temps modernes. Littéraire, culturel, politique et philosophique, ce mensuel affiche clairement ses engagements politiques, et deviendra la revue privilégiée des intellectuels de gauche. 19 novembre 1964 : Premier tirage du Nouvel Obs Il conserve ses tendances socialistes et remporte un grand succès. Il parvient à s’adapter à une société en pleine évolution, aux niveaux politique et culturel. Toujours dans un esprit contestataire, il publie quelques années plus tard le « Manifeste des 343 », en faveur de l’avortement. 17 novembre 1970 : Hara-Kiri disparaît des kiosques Le journal créé dix ans plus tôt par le professeur Choron subit une énième interdiction. Misant sur la provocation, ce dernier s’est encore illustré dernièrement en titrant « Bal tragique à Colombey : 1 mort ». Cette approche ironique de la mort de De Gaulle et de la tragédie du dancing de Saint-Laurent-du-Pont ne plaît pas au pouvoir en place, qui active sa censure. Hara-Kiri disparaît ainsi en tant que quotidien, mais il paraîtra encore jusqu’en 1985 comme mensuel. 18 février 2002 : Apparition de la presse gratuite d’information en France Métro France distribue à Paris le premier quotidien national gratuit. Intitulé Métro, le journal est largement rentabilisé par les annonceurs et mis à disposition de manière stratégique près des transports en commun. Il couvrira peu à peu la quasi-totalité des grandes villes de France. Seulement un mois après son lancement, il sera concurrencé par 20 minutes. Les journaux gratuits transforment le paysage de la presse française et induisent de nombreux questionnements sur l’avenir des journaux traditionnels payants. B. L’affaire Dreyfus L’affaire Dreyfus est un exemple explicite du rôle démocratique de la presse. Dans cette affaire, le rôle principal de la presse a été représenté par la publication de l’article engagé « J’accuse », d’Émile Zola. Cette affaire a été le premier événement ultramédiatisé en France. Mais l’aspect le plus nouveau et le plus pertinent est bien l’impact que cet article a eu sur l’opinion publique. C’est une presse d’opinion qui est à cette époque mise en avant, une presse utilisée pour défendre un point de vue ou exprimer une idée dans le but de faire réfléchir la population. L’affaire se déroule en 1894 et démarre avec l’arrestation du capitaine de l’armée française, un Juif d’origine alsacienne, Alfred Dreyfus. Il est accusé d’avoir livré des informations confidentielles aux Allemands et est condamné à la perpétuité pour cause de trahison. Au début et sans que cela ne devienne une « affaire », la majorité de la population et de la presse était partisane de cette arrestation. Pourtant, la famille du capitaine, convaincue de son innocence, tente de découvrir la vérité et, en 1896, le véritable coupable est démasqué par le colonel Georges Picquart, chef du contre-espionnage. Cependant, l’étatmajor ne veut rien entendre et décide de ne pas revoir le jugement. Avec ces événements, le camp des « dreyfusards » s’agrandit. L’affaire prend une envergure nationale après que le vrai coupable a été acquitté et qu’Émile Zola publie le fameux « J’accuse... ! » dans le journal L’Aurore. La France se voit alors divisée en deux parties, les partisans capitaine Dreyfus et les autres, persuadés de sa culpabilité. 13
  • 14. Cette scission va créer un climat de tension énorme au sein de la République, des émeutes antisémites éclateront même dans de nombreuses villes françaises. Une révision du procès est finalement engagée, mais le capitaine est à nouveau reconnu coupable, et condamné à dix ans de travaux forcés. Finalement, Dreyfus accepte la grâce présidentielle offerte par le Président de l’époque, Émile Loubetet, et ne sera innocenté officiellement qu’en 1906. La presse joue donc un rôle central dans cette affaire en faisant apparaître au grand jour une vérité cachée par les pouvoirs publics. Cet événement représente bien le pouvoir démocratique de la presse et sa capacité à rallier un grand nombre de personnes à une cause. La presse apparaît donc comme un pouvoir puissant sur l’opinion publique et qui, employé dans ce sens, est un réel vecteur de démocratie. De plus, c’est dans un contexte historique particulier que cette affaire s’est déroulée. Effectivement, elle apparaît peut de temps après la loi sur la liberté de la presse de 1981, et cette idée de liberté journalistique apparaît comme la ligne principale de la IIIe République. Dans cette loi du 29 juillet 1981, l’article 1er affirme : « L’imprimerie et la librairie sont libres. » Mais le grand changement réside dans le fait que l’État n’a plus de droit de regard sur la publication d’un livre ou l’ouverture d’un organe de presse. Sans tomber dans la diffamation, l’idée politique est donc libre de s’exprimer sans être réprimandée, même si elle est critique envers le pouvoir en place. La presse s’installe peu à peu comme une institution incontournable de la démocratie française, et est encore considérée comme un pouvoir essentiel et efficace dans le bon déroulement du système démocratique. Pourtant, pour en arriver là, la presse a traversé plusieurs dates importantes qui ont contribué a faire d’elle ce qu’elle est aujourd’hui. L’une des plus importantes est la Révolution française. C. Presse et Révolution Française La Révolution française a été un tournant majeur pour l’avancée de la démocratie en France. Effectivement, la révolte du peuple face à l’Etat royaliste en place a constitué, même si cela a pris plusieurs années avant de voir apparaître un réel état démocratique, un important pas en avant pour tout ce qui concerne les droits de l’homme, la liberté politique et d’expression. Cette révolution est en partie due à un renouveau de la presse qui, durant cette période, s’est émancipée du pouvoir politique. De plus, avec les avancées technologiques, il est plus facile de publier un journal et de le distribuer à grande échelle. Les journaux se sont multipliés, libres d’exprimer différents points de vue. Ils ont été l’outil principal de la Révolution, en permettant à un grand nombre de citoyens d’être informés des actions prises par les révolutionnaires et des idées nouvelles proposées par les penseurs de l’époque. Cependant, la liberté n’était pas totale et toujours contrôlée par le pouvoir en place ; mais, jouissant d’une liberté d’expression plus ouverte, chaque parti politique utilisa cet outil en créant son journal pour y exposer ses idées. Jean-Paul Marat, figure de la Révolution française, rédacteur de L’Ami du peuple, fut réprimé car porteur d’une violence trop importante à l’égard du pouvoir en place. On le pourchassa pour tenter de le faire taire mais, grâce au soutien des partisans de la liberté d’écrire, inscrite dans la Déclaration des Droits de l’Homme, il fut acquitté. Ce vent de liberté pour la presse fut pourtant de courte durée car, en 1792 déjà, le Conseil général interdit la publication de plusieurs journaux nés sous la Révolution, comme la Gazette de Paris ou la Feuille du jour. Cette période de liberté de la presse, bien que plutôt brève, reste un exemple parfait de l’outil journalistique en tant que vecteur de la démocratie et, même si cette liberté retrouvée fût vite refreinée, elle a permis de développer un état d’esprit citoyen au sein de la population française, laissant dans l’opinion l’empreinte d’une réussite sociale qui sera érigée plus tard en tant que pilier de nos sociétés démocratiques. 14
  • 15. Partie III : Fonctionnement et caractéristiques du journalisme « (…) La mission du journaliste consiste à rendre intéressant ce qui est important, pas important ce qui est intéressant. »16 Dans cette partie, nous allons tenter de mieux comprendre le milieu journalistique et les pressions diverses qu’il subit. Contraintes de temps dans le travail des journalistes, attentes économiques de plus en plus importantes, influences politiques à travers les connivences et l’influence de la communication politique : la sphère journalistique n’a cessé de se transformer et d’évoluer. Cette partie tentera de mieux comprendre ce milieu et de déterminer si son rôle démocratique en tant que quatrième pouvoir est toujours d’actualité. « Durant le 20ème siècle, l’évolution du journalisme aura été marquée par les phénomènes suivants : le recours abusif aux faits divers, information de faible coût et de moindre valeur ; l’omniprésence de la propagande, surtout économique ; la perte de contrôle des journalistes sur les contenus d’information ; le contrôle feutré des médias par des intérêts politiques ; l’incapacité des journalistes à résister aux détournements de l’information ; la marginalisation des rédactions au sein des conglomérats ; la fragilisation des titres indépendants et de la presse alternative ; la captation des revenus publicitaires par des publications parasitaires ; l’impotence de l’État comme régulateur du marche médiatique. » (17) Tout d’abord, nous allons aborder la socialisation du journaliste à travers sa formation très spécifique et particulière. En effet, cette première étape dans la vie du jeune journaliste détermine en partie le comportement des acteurs confirmés de la profession. Avant toute chose, il est important d’expliquer que seules douze écoles en France sont reconnues par la profession et n’ouvrent leurs portes qu’à un petit nombre de privilégiés à avoir réussi les concours d’entrée. Cette réalité met en avant un des problèmes fondamentaux de la formation des journalistes aujourd’hui : le manque de diversité. Effectivement, préparer des concours comme ceux-là coûte cher, d’abord par le prix d’inscription au concours, puis par les « prépa journalisme » elles aussi extrêmement onéreuses et par lesquelles la plupart des candidats sélectionnés ont transité. Un coût donc pas seulement matériel mais aussi social, dans le sens où les plus aisés ont davantage de chances de réussir les concours que ceux socialement moins bien lotis. Cette différence sociale est, ensuite, responsable d’un milieu journalistique aux couches sociales homogènes, une réalité plutôt décevante pour un métier aux racines si démocratiques. Dans le livre de François Ruffin, Les petits Soldats du journalisme, de nombreuses anecdotes montrent bien à quel point le journalisme est devenu un métier dirigé par les lois du marché. Le but principal du journaliste étant de gagner le plus d’audience possible en laissant de côté le rôle principal de ce métier, à savoir : informer avec objectivité. Concernant le contenu d’une production journalistique par exemple, lors de la formation dans les écoles de journalismes, dans ce livre, c’est le Centre de formation des journalistes (CFJ) qui est mis en cause. L’on voit bien que l’audimat est la motivation principale. Voici ainsi ce que le rédacteur en chef adjoint de LCI, lors d’une session télé, explique aux futurs journalistes : « Votre reportage était très bien. On n’apprend rien, on aura tout oublié dans dix minutes, mais c’est bon pour Pernault. On l’achète pour le 13 heures. » (18) De plus, l’un des plus gros handicaps du journalisme aujourd’hui est la précarité de l’emploi. Il est devenu très difficile de trouver un emploi dans cette profession et, de ce fait, plus les futurs journalistes sont formatés pour « entrer dans les cases », plus facilement ils trouveront du travail. S’il est tout à fait honorable de vouloir défendre les fondements du rôle du journaliste pour de jeunes débutants, cependant, moins ils sont malléables et prêts à faire certaines concessions sur leur façon de travailler, moins ils 15
  • 16. auront de chances d’être embauchés. Sur le marché du travail, beaucoup sont en situation de précarité, enchaînant les piges mal payées. C’est dans ce sens que l’on peut comprendre cette citation d’un ancien élève du CFJ devenu journaliste à France Inter puis à France culture, dans CFJ notre journal : « Ça ne me gêne pas que le CFJ formate ses élèves pour que, très vite, ils trouvent un emploi. » (19) Malheureusement, d’un point de vu idéaliste du journalisme, cette phrase apparaît comme plutôt choquante et démontre bien dans quel état d’esprit les journalistes se trouvent enfermés. Mis à part trouver un emploi stable, les écoles de journalisme reconnues par la profession ont un autre objectif plus caché : celui de former des journalistes pour endosser des rôle à responsabilités. C’est-à-dire des emplois où ils devront côtoyer les hommes politiques, les grands chefs d’entreprise et être capable de s’entendre avec eux. Comme l’explique François Ruffin dans son livre : « Adoubant des journalistes bien cotés, qui siégeront à des postes influents dans des médias influents, l’école détermine, certes, en partie, ce que sont et seront les médias. » (20) Cette constatation permet d’expliquer en partie l’état du journalisme aujourd’hui et de quelle façon s’est créé ce milieu bien particulier dominé par le journalisme parisien, ami fidèle du pouvoir politique et économique du pays. Un autre aspect de la formation des journalistes permet de mieux comprendre la relation entre journalistes et politiques. La complicité entre ces deux côtés du pouvoir peut effectivement s’expliquer par le fait que, depuis leur formation à Science-Po ou en école de journalisme, les deux milieux ne cessent de se côtoyer. Il est donc ensuite plutôt difficile de garder la distance appropriée au métier de journaliste qui a pour but premier, rappelons-le, d’être un médiateur objectif entre le pouvoir en place et la population. Comme l’explique Patrick Champagne, septembre 2001, le premier problème concerne le concours d’entrée aux écoles. « Dès l’entrée, la sélection favorise ce profil. Le gros du bataillon (plus ou moins un tiers) est enrôlé à Science-Po, où l’on a ajusté certains des enseignements pour les concours de journalisme. » (21) Cette sélection n’est donc pas anodine et met en avant une envie de contrôler la profession dès l’entrée en formation. La majorité des « élus » doit donc correspondre à une personnalité bien particulière et déjà en partie formatée par des années Sciences Po. Le second problème dû à cette sélection est davantage en rapport avec la mixité au sein des journalistes. En effet, il est tout à fait compréhensible que les étudiants à Science politique sont souvent issus d’un même milieu plutôt favorisé, et leur permettre ensuite d’intégrer les écoles de journalisme avec plus de facilités que les autres n’aide pas à augmenter la mixité sociale dans la sphère journalistique. Ainsi : « L’effet de ce cursus est de propulser vers les postes stratégiques du journalisme français une population aux profils peu variés », « proche des élites politiques et économiques », sans « expériences d’autres mondes sociaux ». « Car la mixité sociale elle non plus n’est pas au rendez-vous. » (22) C’est ensuite une situation compliquée que d’être critique envers un ami de longue date connu sur les bancs de l’école. Il est très difficile d’être objectif envers quelqu’un que l’on connaît bien et avec qui on sort le vendredi soir. C’est pour cela que la formation liant politique et journalisme si étroitement ne peut mener à exercer le métier de journaliste en toute objectivité. C’est un sentiment parfaitement décrit par David Pujadas dans cette situation : « (…) La proximité sociale qui soude les enfants de la bourgeoisie entre eux longtemps après qu’ils ont folâtré dans les mêmes amphithéâtres. « Regardez, plaida Pujadas, je sais pas moi, j’ai des copains, ils étaient à Science-Po avec des hommes politiques. (…) L’un devient journaliste, l’autre devient homme politique. Ils vont quoi, arrêter de se voir ? C’est dur aussi. » (23) Pourtant, d’autres facteurs accentuent également la perte du rôle démocratique du journalisme. L’un d’entre eux est afférent aux conditions matérielles des médias et du journalisme aujourd’hui. Anne-Marie Gingras en résume quelques-uns dans cette citation tirée de son livre : « (...) Les fondements de la routine médiatique, les liens personnels et institutionnels entre les journalistes et leur source, les relations de travail, la structure décisionnelle des médias, leur assise économique, leur statut juridique, l’impact de la publicité sur les contenus (...) » (24) Dans ce mémoire, nous nous concentrerons sur les aspects économiques et politiques, mais il est tout de 16
  • 17. même important de comprendre comment la relation entre le journaliste et sa source fonctionne, car la source peut être économique comme politique, et c’est de cette relation bien particulière faite de « tensions et de complicité » (24) que le travail du journaliste se définit. La vraie question, dans ce cas, est « qui influence l’autre ? », et c’est là que s’effectue la bataille pour dominer l’autre. Ce rapport de domination et le résultat à la fin de cette guerre détermine ensuite ce qui apparaîtra ou non dans les journaux, ce qui sera révélé ou gardé secret pour un moment. C’est donc à partir de cette relation que le journalisme détermine sa route, soit côte à côte avec sa source, qui fait bien souvent partie des pouvoirs en place, ou en s’érigeant contre elle afin de dénoncer ou dévoiler une information. Le problème de la relation source/journaliste est qu’ils ont besoin l’un de l’autre, comme résumé dans cette citation : « Dans le rapport journaliste/source, le premier est défavorisé par la nécessité de trouver sa pitance quotidienne et l’obligation de rapporter la même information que celle de ses concurrents. L’homme ou la femme politique dépend pour sa part des journalistes pour maintenir une bonne image et faire passer son message. » (24) Un autre pilier de l’organisation journalistique est la volonté de remplir à tout prix par de l’information plus ou moins importante ou intéressante. Cette logique s’explique encore une fois par la course à l’audimat qui a pris le dessus dans tous les organes de presse aujourd’hui. L’une des conséquences de cette concurrence entre organes de presse est principalement le plagiat. Un journal, par exemple, ne peut pas se permettre de manquer une information en ne la relayant pas si des concurrents l’ont fait. Encore une fois, dans cette logique, la qualité de l’information est un critère complètement secondaire. Toutes ces façons de « travailler » sont évidemment dues aux exigences du marché, mais ce n’est pas toujours le résultat d’une tentative de manipulation économique ou politique. Malheureusement, aujourd’hui, bon nombre de journalistes se limitent à un simple travail de recopiage par pure paresse. « Quand les journalistes se plagient, quand ils semblent se contenter de répéter la même dépêche d’agence ou de la même nouvelle parue dans un journal “de référence”, c’est souvent par paresse, par manque de compétence ou de culture, par absence de temps alloué au bon exercice de leur métier. La volonté de manipuler n’est pas toujours l’explication d’une désinformation. » (25) Ce fonctionnement, bien que présent partout, est encore plus flagrant dans la presse quotidienne régionale car les actualités locales sont souvent moins riches. Les journalistes doivent donc souvent trouver des solutions pour remplir leur journal. Par exemple, durant l’observation participante à L’Hérault du Jour, il n’était pas rare de devoir trouver les moyens de remplir des pages en très peu de temps. Les journalistes devaient donc se creuser la tête pour trouver des idées de reportage afin de « combler les trous ». Encore une fois, dans l’urgence, la priorité n’est pas donnée au fond du sujet et à son importance, mais à la facilité qu’il aura à être traité.« C’est dans la presse quotidienne régionale que cette logique de remplissage domine le plus nettement. Ces journalistes fournissent chaque jour deux, trois, quatre articles. À ces forçats de l’info, on demande de tout couvrir : braderies, faits divers, centres aérés, réunions de quartier, départ en retraite d’un gendarme, décès d’un instituteur... (…) A eux aussi de relayer les communiqués des mairies, des entreprises, des associations, des chambres de commerce. Moins par connivence que par souci d’efficacité : remplir vite, quitte à remplir de vide. » (26) A. Pressions économiques « L’appétit de l’argent et l’indifférence aux choses de la grandeur avaient opéré en même temps pour donner à la France une presse qui, à de rares exceptions près, n’avait d’autre but que de grandir la puissance de quelques-uns et d’autre effet que d’avilir la moralité de tous. Il n’a donc pas été difficile à cette presse de devenir ce qu’elle a été de 1940 à 1944, c’est-à-dire la honte du pays. » (27) 17
  • 18. Dans ce mémoire, nous allons nous concentrer sur les deux pressions les plus palpables sur la sphère journalistique, à savoir les pressions d’ordres politique et économique. Nous commencerons par la partie économique, qui détient une place importante dans le fonctionnement journalistique aujourd’hui, de par, notamment, l’organisation mondiale fondée sur le capital. Le journalisme, et en particulier l’information, sont devenus de nos jours une marchandise comme les autres, qui nécessite des moyens financiers afin de fonctionner. Dans l’idéal du journalisme, cet aspect ne devrait pas poser de problème, car les pressions économiques semblent, au premier regard, ne pas s’exercer directement sur les journalistes, leur laissant donc une liberté presque totale. C’est d’ailleurs dans ce but que le CSA a été créé en France, en se portant garant de la neutralité de la presse télévisuelle envers les actionnaires et les politiques : « La convention avec le CSA signée avec TF1 stipule que l’opérateur de la chaîne doit veiller « à ce que les émissions d’information politiques et générales qu’elle diffuse soient réalisées dans des conditions qui garantissent l’indépendance de l’information, notamment à l’égard des intérêts économiques de ses actionnaires ». (28) Cependant, et c’est ce que nous allons voir dans cette partie, c’est par des moyens indirects que celle-ci influe sur la sphère journalistique. Le monde actuel est fondé sur une économie capitaliste qui met en avant la réussite économique. Peu à peu, toutes les organisations sont devenues des entreprises à but lucratif, et les organes de presse n’ont pas échappé à cette réalité. Lorsque l’on regarde les propriétaires des médias en France aujourd’hui (schéma en annexe), on s’aperçoit rapidement que les plus grands patrons d’entreprises se partagent également les plus grands médias. C’est donc entre ces trois grands groupes que sont répartis les principaux organes de presse en France : Lagardère, Dassault, Bolloré et Bouygues. Dans le film Les Nouveaux Chiens de garde, on découvre que, lors de la construction de l’EPR de Flammanville, les conditions de travail des ouvriers critiquées par la CGT n’ont jamais été relayées sur TF1 car le chantier était financé par Bouygues, également propriétaire de la chaîne. « Ces organisations [médiatiques], dans leur majorité, appartiennent à des entreprises privées, et fonctionnent en vertu d’un certain nombre de principes et de règles. » « Tous les médias, même ceux qui n’appartiennent pas au secteur privé, doivent se plier aux logiques du système économique auquel ils appartiennent (...). » (29) L’incohérence principale est donc due au faible rapport entre le monde économique et le monde médiatique. « En théorie, les médias sont coincés entre la nécessaire rentabilité et une mission d’information politique, deux objectifs étrangers l’un à l’autre; en effet, la qualité de l’information ne garantit en rien le succès commercial, et la bonne santé financière n’est certes pas une mesure à l’aune de laquelle on peut évaluer l’information. » (29) Un des effets directs de cette emprise économique sur les organes de presse est donc la marchandisation de l’information. Celle-ci, qui n’a pourtant aucune propriété économique et qui semble davantage appartenir à l’ordre de l’abstrait, est utilisée en tant que moyen économique. Ainsi, l’information devient un facteur d’enrichissement du capital d’une entreprise ; cependant, elle est, à la base, destinée à informer dans un but non lucratif, avec un certain engagement politique et citoyen. Transformée en marchandise, elle bouleverse alors le travail journalistique qui ne la verra plus comme un outil d’information, mais comme un moyen de gagner de l’argent. Dès lors, la valeur d’une information est chiffrée en capacité à rapporter ou non un bénéfice, elle n’est plus un outil citoyen. Les journalistes se soumettent donc à cette nouvelle organisation et choisiront sans hésitation une nouvelle peu importante mais qui risque d’intéresser les lecteurs, et ainsi gagner de l’argent, plutôt qu’une information enrichissante mais qui ne parlera qu’à un très petit nombre de lecteurs, par exemple. Et encore une fois, les écoles de journalistes participent à instaurer cette nouvelle organisation en formant des journalistes dans cet esprit capitaliste de l’information. «Si le CFJ a si bonne réputation, c’est qu’il fabrique des journalistes-techniciens à même de produire une information-marchandise qui alimente l’industrie de la presse. » (30) On observe d’ailleurs la multiplication d’informations avec « donnée émotionnelle », comme les faits 18
  • 19. divers. Ils sont partout et prennent de plus en plus de place. Au-delà de l’information elle-même, un autre rapprochement s’effectue entre le milieu économique et journalistique. Un rapprochement humain qui concerne les représentants par excellence de l’économie dans les médias, les publicitaires et les journalistes. « Dans les année 1970, note Danièle Granet, quand on voyait un mec de la pub, on ne le saluait pas. On changeait de couloir. Il y avait les journalistes et les connards. Aujourd’hui, c’est devenu plus complexe. » « En effet : désormais, les mecs de la pub délivrent leurs leçons dans des écoles de journalisme. (…) Voilà l’école du contre-pouvoir, pleinement intégrée au système économique notamment. » (31) Cette amitié affirmée ne choque plus personne ; une indifférence qui peut être dangereuse. Que cela soit en rapport avec les connivences politico-journalistiques ou entre publicité et presse, de moins en moins de personnes s’offusquent du rapprochement qui s’opère entre ces deux mondes supposés garder une distance de « sécurité ». Pour des raisons démocratiques particulièrement, si ces amitiés apparaissent de moins en moins choquantes, ne serait-ce pas le début d’une indifférence à des risques de dérives importantes pour nos sociétés ? Ce manque d’intérêt pour une question démocratique importante peut s’expliquer en partie par le comportement de la presse aujourd’hui qui ne joue plus son rôle de médiatrice et d’informatrice. Le temps est sûrement l’un des handicaps les plus marqués dans le travail journalistique. Pour faire un bon article, il faut de nombreuses informations vérifiées et, pour cela, un temps relativement long est nécessaire. Malheureusement : «Dès lors que time is money, l’investigation et le recoupement des sources, qui prennent du temps, reculent. » (32) Cette citation résume bien l’état d’esprit du métier aujourd’hui. C’est en partie à cause de cela que le journalisme d’investigation, souvent étiqueté de « vrai journalisme », est en disparition totale dans la presse. Nécessitant du temps, et donc de l’argent, un journalisme rapide et peu cher lui est donc souvent préféré. L’information se retrouve donc avec pour but principal de faire recette et non plus d’informer, l’audimat étant le moyen de mesurer l’impact d’un sujet sur la population. « L’audimat est devenu le thermomètre imposé et obligé de l’humeur rédactionnelle. Par lui, nous savons qu’a 20 h 13, Nelson Mandela ne fait pas recette et que le fait divers (…) attire le chaland, quel que soit le moment du journal. Nous déclinons donc plus facilement, anniversaire et exclusivité obligent, un sujet sur le loto (…) que nous n’offrons un éclairage sur la nouvelle constitution sud-africaine. » (33) Des sujets de plus en plus futiles sont donc mis en avant par la presse, mettant de côté les autres qui pourraient pourtant être porteurs de réflexion et de développement de l’esprit critique de l’opinion publique. Permettre au plus grand nombre de réfléchir sur des sujets d’actualité semble pourtant être le rôle premier du journalisme. En ce qui concerne les moyens économiques de la presse, la partie la plus importante de ses revenus provient des annonceurs. Ces publicités que l’on retrouve dans tous les médias sont la base de l’économie de la presse, car, à part le service public en partie subventionné par l’État, seules les publicités permettent de payer les journalistes et les dépenses afférentes au métier. Cette situation met en avant un problème d’objectivité important. Effectivement, on peut se demander si un journaliste est complètement libre d’écrire un article critique sur l’un des plus importants annonceurs de son média. L’anecdote ci-dessous permet de mieux comprendre comment cette relation est entretenue et comment se met en place l’interdépendance des deux acteurs de ce jeu économico-médiatique. « Lors de son stage en PQR à L’Echo du port, “Ce soir, là appareil photo en bandoulière, je me rendais à la résidence Les Erables, un ‘logement modèle’ en construction, bâti et vendu par la société Pacorna. Surprise en arrivant : le responsable publicité de L’Echo se trouvait à cette pré-pendaison de crémaillère. Je l’interrogeais, candide : ‘vous allez acheter un appartement ? - Non je travaille’. Je n’ai compris qu’après : Pacorna était un gros annonceur.” (…) Dans leur toast, ces responsables ont bien remercié L’Echo “pour sa présence et son article”. » (34) Cette anecdote n’en est qu’une parmi tant d’autres et les journalistes sont régulièrement témoins de ce genre de choses. C’est un aspect qui ne semble d’ailleurs pas choquer le journaliste Franz-Olivier 19
  • 20. Giesbert lorsqu’il donne son avis sur le sujet : « En 1989, Franz-Olivier Giesbert, alors directeur de la rédaction du Figaro, fut interrogé sur le pouvoir de l’actionnaire du titre (Robert Hersant, à l’époque) d’interdire “certains articles”, “certains titres” qui lui déplairaient. Giesbert répondit sans détours : “Ce sont des choses qui arrivent dans tous les journaux. Et ça me paraît tout à fait normal. Tout propriétaire a des droits sur son journal. D’une certaine manière, il a les pouvoirs. Vous me parlez de mon pouvoir, c’est une vaste rigolade. Le vrai pouvoir stable, c’est celui du capital.” »35 A L’Hérault du jour, par exemple, il n’était pas rare de se subir des critiques de la part des annonceurs sur différents articles oubliés dans le journal, mais nous y reviendrons dans la partie 5. Les médias sont donc détenus par de grands groupes industriels qui ont transformé la presse et l’information en marchandise dans le but de grossir un capital. Ces grands patrons ont donc une influence certaine sur le contenu des médias, mais jusqu’à quel point ? Noam Chomsky propose une réponse : «Un jour, un étudiant américain l’interroge : “J’aimerais savoir comment, au juste, l’élite contrôle-t-elle les médias ?” Il réplique : “Comment contrôle-t-elle General Motors ? La question ne se pose pas. L’élite n’a pas à contrôler General Motors. Ça lui appartient.” » (37) Il est impossible de dire aujourd’hui que l’aspect économique n’ait aucune influence sur le travail journalistique et son contenu, mais est-il possible de mesurer à quel point cette censure, ou très souvent autocensure, est pratiquée ? Par exemple lors du scandale du Médiator, produit par un très puissant laboratoire pharmaceutique, un journaliste de La République du Centre semblerait avoir été mis à pied après un article incisif sur le groupe. Sébastien Duval aurait conservé un « paragraphe critique sur les habitudes de recrutement du groupe Servier » (37), et cela aurait fortement déplu à la direction. Bien entendu, la relation entre cette mise à pied et l’affaire du Médiator reste une supposition, mais la bizarrerie de l’affaire a tout de même éveillé les soupçons de ce journaliste de Libération, qui a sûrement l’habitude de ce genre de méthodes. Face à ces nombreux exemples, il est impossible de nier l’influence de la sphère économique sur la sphère journalistique. La recherche de l’argent, le manque de temps, le rapprochement entre journalistes et annonceurs et la marchandisation de l’information sont autant de causes qui expliquent un journalisme de complaisance de plus en plus répandu de nos jours. Cependant, une anecdote permet de relativiser l’influence des patrons de presse et actionnaires sur les journalistes. Pierre Bergé, président du conseil de surveillance du Monde, a déclaré dans un article paru dans Libération : « Je regrette d’avoir investi dans le quotidien après avoir été indigné par le traitement réservé à François Mitterrand à l’occasion de l’anniversaire du 10 mai ». Il ajoute ensuite : « Je regrette de m’être embarqué dans cette aventure. Payer sans avoir de pouvoir est une drôle de formule à laquelle j’aurais dû réfléchir. » (38) Ce n’est pas seulement la complaisance économique des journalistes qui transforme l’organisation de cette sphère ; il y a également une pression politique qui s’opère en parallèle. C’est sur ce point que nous allons nous concentrer dans la partie qui suit. Nous tenterons de déterminer de quelle façon les pressions politiques s’opèrent sur le champ journalistique. B. Pressions politiques Dans la relation qui se crée entre les journalistes et les politiques, l’aspect le plus important concerne l’interdépendance entre les deux sphères. Effectivement, les journalistes ont besoin des politiques afin de recueillir un maximum d’informations, et les politiques savent pertinemment que les journalistes sont la clé d’une image publique contrôlée et le meilleur moyen de faire passer leurs idées au plus grand nombre. C’est ainsi que le résume Anne-Marie Gringas dans son ouvrage : «Les journalistes ont besoin de recourir à des sources fiables, régulières et crédibles comme les institutions ou les personnage politiques, et ceux-ci cherchent à construire ou entretenir une bonne image publique. » (39) 20
  • 21. Cependant, plus cette relation apparaît comme évidente et teintée de connivence, plus l’opinion publique se sent trahie. La population qui a, durant l’histoire française, plutôt considéré que les journalistes étaient du côté du peuple, se sentent actuellement de plus en plus manipulés. On observe d’ailleurs, selon Alain Duhamel, que : « Les journalistes sont de moins en moins influents et globalement, la météo des Français est de plus en plus autonome, voire allergique aux médias. En ce qui concerne en revanche les rapports entre les hommes politiques et les journalistes, c’est l’inverse : les élus ont tous intégré l’idée que l’univers médiatique et l’univers politique cohabitaient complètement. (…) Car ils savent que si le message ne passe pas, la sanction immédiate sera celle du monde médiatique et la sanction ultérieure sera celle des électeurs français. » (40) Les journalistes ont-ils sérieusement perdu une partie de leur indépendance face au pouvoir politique ? C’est une des questions auxquelles nous allons tenter de répondre dans cette partie. Plusieurs changements effectués ces derniers temps dans le milieu médiatique laissent penser que le rapprochement entre le politique et le médiatique est un réel danger démocratique. Par exemple, lorsque Nicolas Sarkozy a changé le mode de nomination des patrons des chaînes publiques, il a relancé le questionnement sur le contrôle des médias par l’État. A partir du moment où un patron de chaîne de télévision est également un ami du président de la République, nous sommes en droit de nous demander si cela a été fait dans le but de contrôler les médias plus facilement en ayant la mainmise sur les médias publics. « (…) Les patrons de chaînes proposent, l’État dispose. La capacité d’innovation et, a fortiori, d’indépendance, de l’audiovisuel public est fonction de la bonne volonté de hauts fonctionnaires, de l’humeur des ministres et du bon vouloir du chef de l’État. France télévision est du coup une entreprise vulnérable dirigée par des hommes dont la liberté de manœuvre est entravée. » (41) Alain Duhamel, présent sur la scène médiatique depuis de nombreuses années et pourtant considéré comme étant un journaliste de complaisance, reconnaît bien là le danger d’un tel rapprochement entre pouvoir politique et organe de presse public. C’est surtout en observant le nouveau mode de nomination des patrons de presse que l’on s’aperçoit du risque de dérive démocratique. Plus la séparation des « pouvoirs » – en considérant la presse comme le quatrième – est faible, plus le risque d’une régression de la démocratie est grand. « S’agissant des relations entre l’État actionnaire et la télévision publique, nous avons, à trente ans de distance, tout simplement le recto et le verso. En reformant comme il l’a fait le mode de nomination des patrons de chaînes de service public, Nicolas Sarkozy a détricoté ce que les socialistes avaient instauré en 1981 avec la création de la Haute Autorité. Ce que Mitterrand avait institué, de manière certes imparfaite, et parfois partisane, Sarkozy l’a défait : c’est là pour moi le symbole d’un vrai retour en arrière. » (42) Cela semble bien être un « retour en arrière », comme le décrit PD. Effectivement, cette réforme apparaît comme une vraie régression dans la liberté de la presse après les lois tant attendues par la profession de 1981. Même si, à cette époque déjà, la presse utilisait régulièrement des procédés douteux révélant une forte collusion politico-médiatique, comme en témoigne cette anecdote : En 1984, Jérôme Clément, président d’Arte, souhaite organiser un entretient conjoint avec François Mitterrand et le chancelier allemand de l’époque, et décide de leur soumettre à l’avance les questions. «En Allemagne, le procédé choqua. Mais M. Clément expliqua avec une louable franchise : “En France, il est tout à fait normal de discuter avec l’Élysée du choix du journaliste qui pose les questions. Les relations que ceux-ci entretiennent avec le pouvoir politique, mais également avec le monde culturel, sont beaucoup plus étroites.» (43) Malheureusement, aujourd’hui encore, les modes d’interview télévisée sont marqués par une organisation étroite entre les journalistes et la personnalité politique interrogée. En France particulièrement, les politiques sont quasiment au courant de tous les sujets abordés avant le début de l’interview. Ainsi, ils peuvent préparer leurs réponses et ne sont donc pas pris au dépourvu par une question imprévue qui pourrait les déstabiliser. Il est même parfois de coutume d’aborder des sujets précisément car ils ont été demandés par le politique interviewé. Il existe une vidéo plus que probante à ce sujet lors d’un JT de France 3 avec Nicolas Sarkozy. Dans cette séquence, on voit très clairement Nicolas Sarkozy demander 21
  • 22. au journaliste : « Vous ne voulez pas me poser une question d’actualité sur Carcassonne ? » (44), car il y était le jour même. Le journaliste, quant à lui, se contente de répondre : « Donc, on parlera de Carcassonne avec le président. » (44) Cette soumission évidente et extrêmement rapide montre bien l’état de la télévision aujourd’hui. Mus par la peur de se faire évincer de leur poste, les journalistes de télévision, particulièrement, n’ont pas d’autre choix que de se soumettre aux demandes des puissants. Ce rapport de domination est très bien illustré dans cette vidéo particulièrement au moment où Sarkozy s’adresse au journaliste Gérard Leclerc en ces termes : « Ça fait plaisir de voir M. Leclerc à l’antenne... Tu es resté combien de temps au placard ? » « J’avais protesté quand on l’avait mis au placard ! » (44) Une façon tout à fait explicite de lui faire comprendre que si l’interview ne correspondait pas à ses attentes, il n’hésiterait pas à le renvoyer au « placard ». Le cas le plus important concernant les interviews politiques concerne les périodes présidentielles. Ces débats sont souvent sans grand intérêt médiatique car aucun problème réel n’est soulevé. Et les journalistes se contentent de survoler les questions de société et les grandes lignes des programmes des candidats. « Ce qui pose un problème récurrent dans le déroulement des débats présidentiels à la télévision en France (…) : la tradition dans ce pays, à l’inverse de ce que l’on peu observer en Allemagne ou aux États-Unis, veut en effet que les journalistes qui animent ce type de rencontre ne relèvent jamais les erreurs des politiques. » (45) Pour en revenir aux pressions exercées sur les journalistes directement par les politiques, et en particulier la menace de se retrouver au chômage dans un corps de métier où il est de plus en plus difficile de trouver du travail, différentes anecdotes rendent parfaitement compte de la situation. Ainsi Patrick Poivre D’Arvor qui, après une carrière sans faute, s’est vu retirer le JT de TF1 pour avoir déplu à Nicolas Sarkozy, ou encore, sur la même chaîne, Laurence Ferrari poussée à la démission après plusieurs erreurs de « jugement », comme le 12 mars 2012 lors de Parole de candidat ou elle a osé poser une question à Nicolas Sarkozy sur les accusations de financements libyens lancées contre lui par le fils du colonel Kadhafi. Mais cette façon d’agir n’est pas nouvelle et propre à Nicolas Sarkozy. Elle a malheureusement été utilisée par de nombreux présidents et hommes politiques durant la Ve République. Comme en 1995 avec Jacques Chirac : « A défaut d’un coup de sonnette, c’est sans doute un coup de téléphone qui, en 1995, notifia a Christine Ockrent que, pour avoir déplu au nouveau président de la République dont l’un des amis venait de devenir propriétaire de L’Express (Pierre Dauzier, PDG de Havas), elle se verrait sans délai congédiée de son poste de directrice de la rédaction de ce magazine. » (46) Même avec tant de situations de ce genre, certains journalistes refusent de reconnaître une quelconque influence du pouvoir en place sur les médias. Tel Alain Duhamel qui affirme : « On a souvent dit (...) que la profession de journaliste était sous influence, composée de chapelles, traversée de réseaux : c’est une idiotie. » (47) Alors que son frère, apparemment plus partagé, offre un discours contradictoire en soutenant d’abord le fait que : « (...) France Télévision est parfois considérée aujourd’hui par l’État (…) comme un simple établissement d’État, une administration dont les responsables n’ont pas réellement de marche de manœuvre. » (48) Suivi d’une précision quelques pages plus loin : « (...) Il est illusoire d’imaginer que l’on peut de l’Élysée ou d’ailleurs avoir une quelconque emprise sur les journalistes qui les composent. L’époque a changé, (…) Sarkozy l’a parfaitement compris et intégré. » (49) Cette confusion exprime bien l’état d’esprit des journalistes politiques qui, tiraillés entre ce qu’ils savent être une réalité de leur métier, c’est-à-dire un contrôle réel s’exerçant sur leur travail au quotidien, et ce qu’ils préfèrent mettre en avant, sûrement par honte et peur d’être remis à leur place. Il est évidement plus facile pour ces journalistes de nier leurs faiblesses en se persuadant que leur autonomie est totale, mais ils ne peuvent en même temps pas occulter complètement les évidences auxquelles ils sont confrontés chaque jour. Cette frustration réelle dans le métier de journaliste politique est un handicap de plus à ce métier au rôle démocratique et à son pouvoir sur la liberté en général qui, de par toutes ces pressions et 22
  • 23. autocensures, ne cesse de se brider de plus en plus. Encore une fois, cette façon d’agir est très française et, comme l’explique Patrick Duhamel : « L’idée qu’un président américain qui convoque le patron d’un grand quotidien dans le but de peser sur la refonte de son actionnariat, ce que Nicolas Sarkozy a fait à la fin du printemps 2010 avec le directeur du Monde, Éric Fottorino, est absolument impensable aux États-Unis. » (50) Pourtant, et nous le verrons plus loin, d’autres méthodes sont employées par le gouvernement américain pour tenter de contrôler les médias. Plus discrètement, car la presse là-bas dispose d’un statut légal la plaçant en tant que quatrième pouvoir, ce qui en France n’est pas reconnu par la loi. Le plus important des moyens utilisés est la communication politique, et cela devient de nos jours l’une des dépenses les plus importantes pour les hommes politiques qui cherchent par tout les moyens à contrôler leur image. L’interdépendance entre les deux sphères est également la réponse au succès de se nouveaux procédé. Effectivement, elle n’arrange pas que les hommes politiques. « Dans un quotidien, le rubricard « éducation » téléphone en début de semaine à “son” ministère : “vous n’auriez pas un sujet à me proposer ? On est un peu à court d’actu et j’ai pris une demi page pour aprèsdemain.” Une scène classique qui se répète d’ailleurs, un peu partout, pour la “santé”, l’“économie”, le “logement”... ». (51) L’image du politique est donc la priorité de celui-ci, et la meilleure façon d’influencer les journalistes est de bénéficier d’une bonne communication. Jean-Luc Mélenchon, par exemple, a carrément préféré utiliser la censure lors de la campagne présidentielle afin d’éviter la propagation d’une image caricaturée de sa personne. Effectivement, il est souvent pris pour cible par l’émission Le Petit Journal (52) de Canal+ qui n’hésite pas à se moquer des hommes politiques français et en a d’ailleurs fait son fond de commerce. Jean-Luc Mélenchon n’appréciant pas vraiment cet humour, a tout simplement décidé d’empêcher les journalistes du Petit Journal d’assister à sa conférence de presse du 19 janvier 2012. Cet épisode est très inquiétant quant à la situation de la liberté de la presse. Il semble pourtant, à première vue, totalement impensable de censurer des journalistes de nos jours. Et pourtant, cela a été fait, filmé mais peu relayé par les autres médias. Alors que c’est un sujet de taille que de voir en 2012, dans une société démocratique comme la France, un tel acte de censure. Nous reviendrons sur la communication politique dans la partie suivante mais, avant cela, nous allons nous intéresser à un aspect plutôt déroutant de la relation politico-journalistique, les couples entre un journaliste et un politique, et le traitement de l’affaire DSK par la presse. C. Couple journaliste-politique C’est une bien étrange tradition française que de voir se former des couples entre journalistes et politiques. Effectivement, dans de nombreux pays, et particulièrement anglo-saxons, un tel rapprochement serait extrêmement mal interprété par l’opinion. Cette vision est d’ailleurs tout à fait compréhensible lorsque que l’on regarde les objectifs opposés et les rapports de domination qui existent entre ces deux métiers. Le journaliste étant le garde-fou de la population face aux manigances politiques, et cela depuis la création de la presse. Pourtant, en France, cela ne semble pas déranger, et c’est ainsi que l’on peut voir de nombreux couples, comme celui du nouveau président de la République, François Hollande, et sa compagne devenue Première Dame, Valérie Trierweiler, journaliste politique à Paris Match. Mais on peut également nommer Audrey Pulvar et Arnaud Montebourg, Marie Drucker et François Baroin, Christine Ockrent et Bernard Kouchner ou encore Dominique Strauss-Khan et Anne Sinclair. Cette proximité peut s’expliquer, premièrement, par la proximité, durant leur formation, des journalistes et politiques, comme nous l’avons vu plus haut. Ayant fait les mêmes écoles, ils se connaissent, côtoient les mêmes milieux sociaux et évoluent dans une sphère professionnelle qui s’entrecroise. « Le politique dévore la presse, le son et les écrans. C’est son miroir du matin au soir, il s’y regarde, scrute ses points 23
  • 24. forts, ses points faibles, sa courbe de popularité, ce qu’il dit, ce qu’on dit de lui. » (53) La deuxième raison peut être le fait, tout simplement, que les opposés s’attirent, par un « jeu d’attractionrépulsion », et que ces hommes et femmes ont un objectif commun : le pouvoir. Pour l’homme politique, « (…) son pouvoir dans son parti passe aussi par la place qu’il occupe ou l’empreinte qu’il laisse dans les médias. » (53) Le journaliste, lui, « sera qualifié de bon dès lors qu’il aura accès à l’homme politique, à ses confidences, à l’envers du décor. » (53) La première évidence, lorsque l’on regarde ces couples, est le fait qu’en majorité se sont femmes journalistes avec des hommes politiques. Pourquoi donc ce schéma se reproduit-il ? A notre époque, où l’égalité des sexes est une question d’importance nationale, peut-on reconnaître le fait que ces femmes se retrouvent souvent face à des portes fermées lorsqu’il est question de pouvoir politique et que le moyen le plus simple serait d’être la compagne de l’homme qui y accède ? C’est une question intéressante qui reflète l’organisation patriarcale de la société française où, encore de nos jours, très peu de place est faite aux femmes pour les postes à responsabilités. Lorsque, dans les années soixante, les premières femmes journalistes firent leur apparition, l’une d’elles, Michèle Cotta, se souvient de Jean-Jacques Servan-Shreiber affirmant : « Vous êtes un bataillon de charme, vous allez les faire parler.» (53) Et d’ailleurs, leurs premières missions ont été d’aller à la rencontre des politiques : « On leur confiait toujours les couloirs plutôt que les éditos. Munies de crayons, de micros ou escortées d’une caméra, elles se mirent à arpenter les congrès des partis, la salle des Quatre Colonnes à l’Assemblée nationale. » (53) Quoi de mieux pour rencontrer son compagnon ou futur mari que son milieu professionnel. Surtout dans un monde d’hommes, comme l’est toujours la politique. Un environnement masculin voyant apparaître des femmes intelligentes qui n’ont pour but que de les piéger, rien de mieux pour créer une attirance physique et émotionnelle. Le problème qui se pose aujourd’hui à ces couples atypiques est la capacité à séparer sa vie privée de sa vie professionnelle sans laisser les émotions interférer sur leur travail. Pourtant il est vrai, « (...) rien ne permet d’affirmer que la relation sexuelle entraîne une plus grande connivence qu’une longue amitié (...) » (54) Pourtant, aux yeux de l’opinion, les couples entre journalistes et politiques représentent une trahison par excellence et, en perte de confiance totale envers les médias, l’affichage au grand jour de ces couples n’arrange rien. « (...) Le discrédit qui frappe les médias se nourrit aussi de l’affichage public de ces couples journalistes/élus qui sont devenus le signe le plus visible de la collusion supposée entre presse et pouvoir. » (55) Les premiers à briser la glace et à s’afficher ouvertement ont été Dominique Strauss-Khan et Anne Sinclair. Ce premier couple a ensuite ouvert la voix à de nombreux autres, ce qui a d’ailleurs mené à des situations cocasses, comme par exemple en avril 1992 où le Président de l’époque, François Mitterrand, s’est vu interviewer par deux femmes journalistes et compagnes de deux de ses ministres, Anne Sinclair et Christine Ockrent. Pourtant, pour apaiser les accusations de connivence, Anne Sinclair n’hésita pas à arrêter son émission 7 sur 7 lorsque son mari devint ministre pour la seconde fois. En ce qui concerne la nouvelle première dame, Valérie Trierweiler, il était convenu avec son employeur Paris Match que, durant la campagne présidentielle, elle ne pourrait pas assister aux conférences de rédaction et bouclages du journal. La même restriction a été imposée à Audrey Pulvar, qui a dû renoncer à son interview politique de la matinale de France Inter et a été suspendue d’antenne par iTélé. Les points de vue divergent quant aux restrictions professionnelles de ces femmes journalistes, et certains, comme Julien Dray s’offusquent : « C’est la réduire à son compagnon ! » (54) Cependant, l’on ne peut pas faire abstraction du fait que « la tentation peut être grande alors pour celle dont le métier était de savoir ce qui se disait dans les réunions, de franchir la porte, de se mêler du pouvoir, des décisions, voire de maîtriser la communication de son mari ou de son compagnon. » (54) 24