Scenario type de guerre révolutionnaire lacheroy 1955
1. CENTRE MILITAIRE D’INFORMATION
ET DE SPECIALISATION
POUR L’OUTRE-MER
Charles LACHEROY
Colonel d’Infanterie Coloniale
SCENARIO – TYPE
DE GUERRE REVOLUTIONNAIRE
- SECTION DE DOCUMENTATION MILITAIRE -
DE L’OUTRE-MER
1
2. Charles LACHEROY
Colonel d’Infanterie Coloniale
SCENARIO – TYPE
DE GUERRE REVOLUTIONNAIRE
- S.D.M.O.M. 4° TRIMESTRE 1955 -
188 G
2
3. CHAPITRE I
PARTICULARITES DE L’ EXPERIENCE INDOCHINOISE
Au cours des conférences précédentes sur la « Guerre Révolutionnaire », nous avons
essayé de dégager les caractères spécifiques et les lois d’une telle guerre et d’en suivre les
applications dans les deux grandes expériences d’Extrême-Orient :
- La Conquête de la Chine par Mao Tse Tung,
- et la Guerre d’Indochine.
Cette forme de guerre a prouvé son efficacité et en fait sa supériorité sur la guerre de
style classique, au moins sur des théâtres d’opérations coloniaux ou semi-coloniaux.
Avant la dernière guerre mondiale, dans un monde encore tolérant à l’égard du fait
colonial, l’Empire français – comme les vieilles Ford – était une mécanique simple et robuste
qui encaissait les fautes et pardonnait les erreurs. Depuis, l’Union Française qui a succédé à
l’Empire s’est diversifiée, est devenue une mécanique délicate et comme les moteurs
poussés, elle ne s’accommode plus des néophytes et sanctionne durement les maladresses
d’où qu’elles viennent.
Ses différentes composantes touchées par le virus nationaliste, accueillantes aux
idéologies explosives ou sensibles aux propagandes financées, sont soumises à des
influences centrifuges visant à les soustraire à l’attraction du noyau métropolitain.
Or ces influences et ces propagandes sont et seront d’autant plus dangereuses que nous
serons plus lents à les découvrir. C’est dans l’œuf qu’il faut les déceler pour les combattre
efficacement et sans inutiles fanfares.
Cependant, si la vigilance d’élites militaires et administratives spécialisées peut permettre
d’arrêter à temps la majorité des mouvements dangereux elle n’empêchera pas que sur un
territoire donné une situation puisse brusquement se dégrader au point d’amener le
gouvernement à demander au Commandement de reprendre la situation en mains. C’est
une hypothèse que l’on n’a pas le droit d’écarter à priori mais que l’on doit au contraire
regarder en face et étudier avec soin.
3
4. Le cas de l’Indochine a été très particulier et ne peut pas sans sérieuses retouches
servir de base à nos raisonnements.
En effet, si jusqu’au 9 mars 1945, l’administration française et une force militaire de
souveraineté sont restées en place dans la Fédération Indochinoise, il ne faut tout de même
pas négliger le fait que depuis 1940, le Japon contrôlait militairement cette Fédération et qu’il
ne nous tolérait que pour bénéficier de l’ordre français. Cette position, humiliante à certains
égards, n’avait pas échappé aux élites vietnamiennes qui nous en tenaient rigueur.
Par la suite, après le coup de force du 9 mars 1945, la France ayant été balayée de
la péninsule par le Japon, ce sont des gouvernements locaux à la dévotion de l’occupant qui
ont remplacé partout les autorités françaises et cela aussi se traduisit pour nous par une
irréparable perte de prestige.
Enfin, profitant du hiatus d’un mois qui s’était produit entre la capitulation japonaise et
l’arrivée des troupes d’occupation anglaises et chinoises, Ho Chi Minh avec la passive
complicité du maréchal japonais Terauchi, avait eu le temps de proclamer la République au
Viet Nam et de coiffer le pays.
En revenant en Indochine, la France se trouvait donc en présence d’une situation
particulièrement compromise.
Ce n’est pas en face d’une telle situation que l’on risque de se trouver demain dans
tel ou tel territoire de l’Union Française. Dans l’état actuel des choses, seule la Tunisie, en
jouant contre nous de son autonomie interne récemment accordée, pourrait nous poser dans
quelques années un problème du même ordre.
Partout ailleurs, la France est présente par son administration directe ou indirecte et
par ses forces militaires.
°
° °
4
5. CHAPITRE II
SCENARIO TYPE EN CINQ PHASES
C’est donc sur un scénario différent qu’il est logique de travailler et une constance
certaine des méthodes révolutionnaires en usage dans le monde permet de l’esquisser avec
une précision suffisante.
1ère Phase
Dans une période calme, seuls les services spécialisés décèlent les signes
précurseurs d’un orage et, en général, les signalent aux autorités responsables. Mais
l’expérience prouve qu’ils sont rarement écoutés. Et brusquement des bombes éclatent, des
attentats sont commis, des mots d’ordre se mettent à circuler et tout cela de façon
spectaculaire. Dans le même temps, les « incidents » sont montés en épingle par certaines
puissances étrangères qui commencent à alerter l’opinion et les grands organismes
internationaux.
On voit alors la presse et plus généralement tous ceux qui n’ont pas encore réalisé
de quoi il s’agissait, épiloguer sur les raisons qui ont pu motiver ou qui peuvent expliquer tel
attentat dans un lieu public ou tel autre contre une personnalité honorablement connue.
En fait, si les hommes et les lieux auxquels s’appliquent les premières manifestations
insurrectionnelles ne sont pas tout à fait choisis au hasard ce n’est cependant pas ce choix
qui revêt une importance majeure.
Dans la première phase, l’important est d’obtenir de grands titres dans les premières pages
des journaux, de créer puis d’entretenir un climat d’insécurité et de faire en sorte qu’en
quelques semaines ou en quelques mois les opinions locales, nationales et mondiales se
trouvent en face d’un problème.
Qu’aux observateurs sérieux les données profondes de ce problème paraissent peu
établies, ou très artificiellement gonflées, peu importe ; - nous sommes en présence de la
Phase Publicité et ce n’est que lorsqu’elle aura joué son rôle que sera abordée la suivante.
5
6. 2ème Phase
En face de la situation créée par les attentats et leurs manifestations annexes les
autorités sont amenées à prendre des mesures de caractère policier dans un climat de
nervosité que la presse et la Métropole contribuent à entretenir. Les populations deviennent
inquiètes et craintives. Elles ont une tendance instinctive à se replier sur elles-mêmes et à se
tenir à l’écart. C’est sur elles et compte-tenu de l’ambiance créée par la première phase de
son action, que le mouvement révolutionnaire va passer à la seconde phase.
Choisissant dans la masse autochtone des individualités connues pour leur
attachement traditionnel à la France ou des humbles qui viennent de donner des gages de
fidélité à l’occasion des évènements récents, il en fait assassiner un certain nombre. Chaque
attentat est immédiatement exploité par la propagande sous la forme « voilà le sort réservé
aux traitres ».
De plus en plus les populations sont terrorisées et les autorités légales ou non,
amenées à commettre des maladresses, jusqu’au jour où il n’est plus possible d’obtenir des
habitants la moindre collaboration confiante, le moindre témoignage. Quoi qu’il arrive, ils
n’ont jamais rien vu, rien entendu.
La seconde phase est terminée : L’adversaire a gagné la bataille pour la complicité du
silence.
Il suffira par la suite d’entretenir cette complicité du silence par quelques attentats
beaucoup moins nombreux mais bien choisis et bien exploités.
3ème Phase
Alors peut intervenir la 3ème Phase – à partir de laquelle commencent à se différencier les
actions de caractère militaire et celles qui sont essentiellement politiques.
a) Puisque la masse autochtone rendue muette à l’égard des autorités est acquise à la
complicité du silence les premiers éléments rebelles armés peuvent apparaître et
travailler. Il leur suffit pour cela d’échapper aux vues des « Forces de l’ordre » soit en
revêtant le costume local, soit en circulant de nuit.
Ces premiers éléments armés opèrent suivant les formules de guérilla. Ils peuvent
exceptionnellement apparaître avant la 3ème phase lorsque les circonstances ethniques et
géographiques très favorables le permettent.
b) Sur le plan politico-populaire l’adversaire au cours de la 3ème phase introduit des
« noyaux actifs » dans la masse rendue amorphe au cours des 2 phases
précédentes. Ces noyaux actifs agissant comme un ferment s’efforcent de
transformer peu à peu la complicité passive du silence en une « complicité active »,
les spectateurs en acteurs les neutres en sympathisants puis en fanatiques. Les
techniques d’action sont nombreuses mais la plus efficace est celle qui consiste à
« compromettre » le plus de gens possible en les amenant à accepter des missions
mêmes modestes.
6
7. 4ème Phase
La 4ème Phase est essentiellement une phase de transition.
Le recrutement s’intensifie, les éléments armés se différencient peu à peu pour
donner naissance à des forces semi régulières opérant en liaison avec des formations de
guérilla toujours plus nombreuses.
Par ailleurs l’adversaire s’efforce d’accroître son emprise sur les populations en
augmentant le « nombre et la qualité de ses noyaux actifs. Eux aussi commencent à se
différencier. Tandis que les uns s’adaptent aux questions territoriales, d’autres se
spécialisent dans la justice, les organisations de jeunesse…etc….
5ème Phase
De véritables troupes régulières apparaîtront enfin et viendront s’ajouter aux troupes
semi régulières et aux formations de guérilla quand seront réunies les conditions suivantes :
- un commandement rebelle indiscuté, ayant réalisé sa cohésion interne par
élimination, ou assimilation, des alliés occasionnels de la première heure ;
- un territoire assez vaste (isolé ou zone frontière) avec des ressources suffisantes
pour « supporter » la troupe régulière ;
- des hiérarchies parallèles coiffant le territoire en cause et permettant de soumettre
les populations aux techniques du moral » dans les meilleures conditions d’efficacité.
Sur le plan politique, les autorités légales sont progressivement doublées par des
autorités rebelles de moins en moins secrètes au fur et à mesure que s’affirme leur
influence. Ces autorités rebelles appuyées sans faiblesse par l’organisation populo-politico-
militaire mise en place parviennent à vider la hiérarchie légale de son autorité en rendant
inopérantes toutes ses décisions.
Pratiquement la légalité et la Force ont changé de camp.
°
° °
7
8. CHAPITRE III
TRAVAIL PROPOSE
Rechercher les formules à opposer au déroulement de ce scénario type dans les deux
hypothèses suivantes :
A. - Tant qu’on se trouve en présence des deux premières phases, c’est-à-dire de
l’action insurrectionnelle ;
B. - A partir du moment où la seconde phase est dépassée et où l’action fait place peu à
peu à la guerre révolutionnaire.
Pour faciliter l’exposé des formules et leur discussion, envisager successivement dans
chaque cas :
1° L’action administrative et policière ;
)
2° Le point de vue psychologique et l’action de p ropagande ;
)
3° L’emploi tactique des forces de pacification.
)
Il est par ailleurs demandé aux stagiaires de ne pas se perdre dans des
considérations trop élevées mais de rester autant que possible dans le plan qui est le leur et
dans le cadre de la constitution, des lois et des réglementations de la République et de
l’Union Française.
°
° °
° °
8