Pascal Nicolle, Directeur du Cabinet-conseil ''La Suite dans les Idées'' et président de Débatlab, l'association des professionnels de la concertation et du débat public, répond à quelques questions pour le Cercle des communicants francophones (CCF).
Communication publique : les concertations publiques à l'ère du numérique
1. Cercle des communicants francophones
Itw #8
« Certains professionnels sont encore à la croisée des métiers de concer-
tant et de communicant mais la tendance est à la clarification »
Pascal Nicolle, Directeur du Cabinet-conseil ''La Suite dans les Idées'' et président de Débatlab,
l'association des professionnels de la concertation et du débat public, répond à quelques questions
pour le Cercle des communicants francophones (CCF).
Les expressions ''consultation publique'' et ''concertation publique'' sont sou-
vent utilisées comme synonymes. Pensez-vous que ce soit une bonne chose ou
faudrait-il les distinguer ?
Pascal Nicolle (PN) : Beaucoup de chercheurs et d'intellectuels se penchent sur
ces questions mais, pour nous, peu importe le vocabulaire utilisé. Notre expé-
rience et notre approche de professionnels nous poussent à penser que le plus im-
portant, ce serait que la consultation ou la concertation serve vraiment le projet,
pour l'améliorer, le critiquer, le modifier ou même le suspendre. La seule distinc-
tion à faire, dans un univers professionnel en pleine évolution, consiste à mieux
identifier ce qui relève de l'univers de l'écoute, de la co-construction, de la co-
opération autour d'un projet, de ce qui dépend de l'univers de la communication
voire de la manipulation ou de la propagande. Certains des professionnels que
nous regroupons sont encore à la croisée des métiers de concertant et de communicant mais la ten-
dance est à la clarification. C'est une demande des citoyens, tout à fait légitime, qui veulent toujours
plus de garanties sur la finalité d'une concertation, avant d'exprimer un point de vue.
A quoi servent selon vous les concertations publiques ? A quoi devraient-elles
servir ?
(PN) : La question est bien là ! Ces concertations ont-elles une simple vocation cosmétique,
cherchent-elles à valider un projet élaboré en petit comité, ou aboutiront-elles à modifier le projet
ou à le transformer en profondeur ? La plupart des "concertations" en France sont encore souvent
des moyens de s'approprier un projet ou de soutenir ses concepteurs. Dans un contexte de crise de la
démocratie et de la représentation, les modes de concertation existants à l'échelon local (il y a par
exemple plus de 10 000 enquêtes publiques en France) sont sans doute les derniers endroits où les
Français devraient pouvoir encore espérer avoir un poids dans les décisions. Cette refonte du débat
public est en cours après le drame de Sivens et nous voulons y contribuer fortement.
Quelle est la bonne méthode pour organiser une concertation publique ?
(PN) : Il n'y a pas de méthodes miracle ! Et il ne serait de toute façon pas facile d'uniformiser les
pratiques ou les outils en la matière. Il y a d'abord des enjeux très diversifiés en fonction des projets
et des acteurs dont le niveau d'appropriation non seulement du projet mais des règles du jeu du dé-
bat est très divers. Mon point de vue personnel (et républicain !) est d'abord de tout faire pour réta-
blir la confiance et l'espoir dans la capacité des citoyens à faire changer un projet : des règles
claires, des enjeux exposés dans un objectif de transparence, des méthodes et des outils qui per-
mettent réellement à toutes et tous de s'exprimer, qu'on soit riche ou pauvre, analphabète ou écri-
vain. Mais la crise de confiance est telle que le bonne méthode est sans doute d'abord de ne pas at-
tendre que les citoyens se déplacent pour se prononcer ou qu'ils participent à une réunion : que ce
2. soit avec du porte-à-porte ou via les réseaux sociaux et les outils numériques en général, il faut aller
vers les citoyens et leur montrer à quel point leur avis compte pour la réussite du projet collectif !
Quels sont les outils qui ont fait leurs preuves ?
(PN) : Loïc Blondiaux, qui est un expert réputé en la matière, a l'habitude de rappeler que les outils
sont là et que la plupart fonctionnent mais que c'est la volonté politique qui manque le plus. Les en-
trepreneurs que nous regroupons dans notre association Débatlab savent s'adapter aux contextes
particuliers de tel ou tel projet, de tel ou tel public. En vérité, ces outils ont fait leur preuve quand ils
ont été accompagnés par des compétences professionnelles. Ces compétences existent et nous
sommes là pour les promouvoir. Mais elle ne sont pas encore pas assez répandues, même si des cur-
sus de formation émergent de plus en plus. Le master "Ingénierie de la concertation", qu'anime Loïc
Blondiaux à la Sorbonne en est justement un bon exemple. Comme pour l'apprentissage de la
conduite automobile, je crois que le meilleur moyen d'apprendre à animer la concertation, c'est de le
faire en conduite accompagnée.
Quelles sont les erreurs à éviter ?
(PN) : La principale serait de rompre le contrat de confiance énoncé au départ : si l'on se donne des
règles communes, c'est pour les respecter. Trop de maîtres d'ouvrage ne respectent pas les règles
qu'ils ont édictées et déçoivent les citoyens. Aux côtés de nombreux universitaires et praticiens,
nous défendons la notion de "tiers-garant", dont le rôle est de garantir à toutes celles et tous ceux
qui participent à la concertation ou à la consultation une indépendance suffisante vis-à-vis du maître
d'ouvrage pour prendre en compte tous les points de vue et les restituer fidèlement. Nous, nous pen-
sons que ce rôle de tiers de confiance peut être assuré par un professionnel de la concertation, dès
lors qu'il aura été assermenté, ou en tous cas qu'il se sera engagé sur le respect d'une éthique du ga-
rant. C'est le statut actuel du commissaire-enquêteur qui pourrait évoluer et s'appliquer à davantage
de situations, en ayant recours à des outils nouveaux, notamment numériques.
Comment envisagez-vous les concertations publiques dans les prochaines années
notamment avec l'avènement du numérique ?
(PN) : Avant de parler des prochaines années, on peut déjà parler des concertations qui s'appuient
d'ores et déjà sur le numérique. Vous l'aurez compris : pour nous, il n'y pas de numérique hors sol,
pas de réseau numérique sans réseau humain et donc notre approche de professionnels va le plus
souvent consister à accompagner les dispositifs numériques de dispositifs de terrain, de relais, de
rencontres… Le numérique va permettre - et permet déjà - de gérer des grandes masses de points de
vue, y compris des points de vue argumentés et développés, grâce aux outils d'analyse sémantique
qui commencent à être utilisés dans le cadre des grandes concertations.
Et puis le numérique, ce sera aussi la possibilité d'assurer une traçabilité complète des processus
participatifs : il faut que tout citoyen participant à une concertation puisse vérifier que son avis a
bien été pris en compte et puisse suivre la réalisation du projet jusqu'au bout c'est-à-dire en l'éva-
luant. Avec le numérique, on doit aussi pouvoir ouvrir davantage les données du débat public : ap-
porter des éclairages sur les projets grâce à la data-vision (c'est-à-dire à des infographies réalisées
sur la base de données ouvertes), permettre à chaque participant de faire évoluer son point de vue en
temps réel, faire émerger des compromis et des coopérations mais aussi clarifier les divergences ou
faire apparaître des questions émergentes. Tiers-garant, recours plus systématique aux consultations
numériques de grande ampleur, renforcement des moyens de mobilisation citoyenne, ouverture des
données... tels sont les grands enjeux sur lesquels Débatlab souhaite mobiliser les pouvoirs publics.
Dans cette perspective, nous avons besoin de l'appui de tous les professionnels.
Interview réalisée par Damien ARNAUD (@laCOMenchantier) – mars 2015
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