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Père JACQUES de JESUS
Lucien BUNEL
29 janvier 1900 – 2 juin 1945
I. ENFANT ET ADOLESCENT
1. Dans sa famille : 29 janvier 1900 – octobre 1912
2. Au Petit Séminaire de Rouen : 1912 – 1919
3. Au Grand Séminaire : octobre 1919 – mars 1920
II. JEUNE HOMME
1. Soldat à Montlignon : mars 1920 – mars 1922
2. Au Grand Séminaire de Rouen : mars 1922 – juillet 1924
III. MINISTÈRE AU HAVRE : octobre 1924 – juillet 1931
1. Éducateur à l’Institution Saint Joseph du Havre
2. En marche vers le sacerdoce
3. Prêtre, professeur, éducateur
4. Prédicateur dans les paroisses du Havre
et de Seine Inférieure
5. Sur la route du Carmel
IV. CARME : septembre 1931 – 2 juin 1945
1. Postulant et novice au Carmel de Lille :
août 1931 – avril 1934
2. Carme-éducateur au Petit-Collège d’Avon :
avril 1934 – 15 janvier 1944
3. Carme-soldat au front et prisonnier
durant la «drôle de guerre» :
septembre 1939 – 18 novembre 1940
4. Carme-résistant : 1941 – 15 janvier 1944
5. Carme-déporté : 15 janvier 1944 – 5 mai 1945
 Prison de Fontainebleau : 15 janvier – 6 mars 1944
 Camp de Compiègne : 6 mars – 28 mars 1944
 Camp de représailles de Sarrebruck :
29 mars – 21 avril 1944
 Camp de concentration de Mauthausen :
22 avril - mai 1944
 Camp de concentration de Gusen 1 :
mai 1944 – 28 avril 1945
 Libération : fin avril – 5 mai 1945
6. Pâque : 5 mai – 2 juin 1945
Cet homme au regard de feu dont la seule passion est de rayonner celui
dont il se sait aimé, cet homme à la main tendue et offerte, cet homme
au cœur sans frontières est un frère et un ami pour ceux qui l’ont
rencontré. Aujourd’hui il peut devenir un ami pour toi qui le rencontres !
La clarté de son regard,
la simplicité de son accueil,
la grandeur de son cœur,
la beauté de son intelligence,
la lucidité de son esprit,
la solidité de sa foi rayonnante et de son espérance invincible,
le don de soi jusqu’à l’extrême,
son amour tendre et fort pour le Christ et pour tout homme accueilli
comme un frère, font de lui ce témoin qui s’est consumé à la suite de son
Maître et Seigneur.
Toujours il a répondu aux appels successifs de Dieu dans sa vie, sans
hésiter.
Il a prié, non du bout des lèvres, mais avec toute sa chair et toute son
âme. Il a partagé, non du bout des doigts, mais il a donné tout ce qu’il
est et tout ce qu’il a.
Personne n’a étouffé en lui la flamme de la passion pour la vraie dignité
de l’homme.
La première réaction rapportée du petit Lucien Bunel est le sourire que le
bébé adresse à ses parents près de la mare St Germain, but de leur
pèlerinage. Sourire de bien-être d’un petit corps qui sent renaître en lui
une vie que tout le monde, y compris le médecin, croyait sur le point de
s’achever, sourire qui répond à la prière de Madame Bunel : « Mon Dieu,
laissez-le moi jusqu’à vingt ans, après prenez-le, il vous appartient, mais
donnez-moi la joie de vous l’offrir quand il sera grand. » Ce sourire est
l’expression de la ligne directrice de sa vie, cette vie qu’on pourrait
appeler « l’imitation de Jésus-Christ ».
Lucien est aussi surpris dans le grenier, monté sur
une chaise, s‘adressant sans doute à des fantômes
pour louer les beautés et les bontés de Dieu. À sa
mère qui l‘interroge, l‘enfant répond : « Il faut bien
que j‘apprenne à parler aux hommes.»
Marqué du sceau de Dieu, le petit Lucien est déjà
tourné vers l‘autre dans sa recherche de Dieu. Son
âme d‘enfant est déjà une âme d‘apôtre par la
parole.
Il parlera de Dieu aux hommes durant son ministère
de prêtre et d‘éducateur et jusque dans les camps.
À l‘autre extrémité de sa vie il continuera à
s‘adresser à des fantômes humains devenus tels par
la cruauté humaine et il louera encore et toujours «
les beautés et les bontés de Dieu ».
La première rencontre avec l’autre marquera profondément Lucien,
quatrième de huit enfants d’une famille ouvrière de Barentin. Il a neuf
ans. Il joue avec ses frères et sœur, lorsqu’un mendiant lui demande un
morceau de pain. Sans tenir compte du refus très net de la maman Bunel,
Lucien court à la cuisine, taille un gros morceau de pain, y met du
fromage et le tend au mendiant. Celui-ci pose la main sur la tête de
l‘enfant en disant :
« Je le savais, mon petit, que tu me donnerais mon pain ; je te remercie,
je n‘en ai pas besoin, que le Bon Dieu te protège ! »
Lucien insiste et le vieillard reprend : « Non, merci, petit, ton geste me
suffit ! » Il disparaît aussitôt.
Cet événement restera inscrit dans la mémoire de l’enfant comme un appel
à ne jamais se fermer à l’autre afin que tout geste de partage devienne
une rencontre des cœurs.
Toute sa vie pourrait se concentrer dans le signe du pain donné :
- le pain partagé au mendiant par l‘enfant,
- le pain sacré que le jeune prêtre tiendra bientôt entre ses mains et qu‘il
donnera à ses paroissiens et ses élèves,
- l’ultime morceau de pain toujours donné à plus affamé que lui dans les
camps,
- le pain eucharistique au risque de sa propre vie dans les camps de la
mort.
Sa vie portera l‘empreinte du don du pain.
Elle s‘accomplira dans le don du pain.
À l‘image de celle de Jésus.
1. MAROMME
La première expérience d’éducateur où le jeune séminariste Bunel fait ses
premières armes, s’ébauche à Maromme, petite ville industrielle près de
Rouen. Lucien a 22 ans. Il est au Grand Séminaire de Rouen depuis mars
1922 et y restera jusqu’en juillet 1924.
Pendant les vacances, il aide le curé et s’occupe avec ardeur d’une
centaine d’enfants d’ouvriers pour les garder jusqu’au soir. Il organise un
patronage, des jeux, des promenades, des séances récréatives, des temps
de prière et plus tard, même des colonies de vacances.
Les enfants sentent le rayonnement de ce séminariste peu ordinaire.
Merveilleux organisateur, parfait économe, aucun détail ne lui échappe.
Toujours il reconnaîtra le visage du
Créateur dans le regard d’un enfant.
Pour lui « le clair regard d‘un enfant de
huit à douze ans valait bien des heures de
méditation. »
2.
3.
2. LE HAVRE
La deuxième expérience survient dans la vie du séminariste comme une
surprise. A la rentrée scolaire de 1924 au Grand Séminaire de Rouen,
sans qu’il s’y soit attendu, Lucien est envoyé comme surveillant à
l’Institution Saint Joseph du Havre. Il devra y travailler seul sa dernière
année de théologie. Malgré le sacrifice que cette décision lui coûte, le
jeune abbé se met avec ardeur au service des jeunes.
Épris des méthodes actives en pédagogie - confiance, contacts
personnels, éducation positive et constructive - il est à l‘aise dans ce
courant de pensée assez innovateur à l‘époque. Il n‘est pas un professeur
ordinaire. « La classe ? » témoigne son ami Jacques Lefèvre, c‘était une
conversation à la manière de Socrate, une merveilleuse découverte. Les
murs de sa classe sont décorés de façon artistique. Quant aux élèves, ils
reconnaissent aussitôt en lui « un professeur d’exception, exigeant,
original, infatigable. »
Mais l’abbé Bunel n’était pas seulement un merveilleux pédagogue pendant
les heures de classe, il l’est toute la journée. Partageant la vie des
jeunes pensionnaires, il joue avec eux pendant les récréations, leur passe
parfois quelques films de Charlot pendant la récréation du soir, les
emmène dans sa chambre pour leur faire suivre la métamorphose en
grenouilles des têtards qu’il élève, ou leur montrer les insectes d’au-delà
des mers, que lui ont donnés les amis. Il organise des jeux en forêt et
leur apprend à admirer les beautés de la nature, surtout les couchers de
soleil sur la mer. Il organise des visites d‘usine et de port, d‘abbayes et
de sites historiques.
Même les moins doués ne sont pas laissés à l‘écart. Partout où il passe, il
a voulu « mettre le bon Dieu à notre portée » avoue un de ses élèves.
Les enfants se sentent compris et aimés. Beaucoup le recherchent comme
« l’ami auquel on aime à confier ses propres secrets. »
Ordonné prêtre le 11 juillet 1925 dans la cathédrale de
Rouen, à l’âge de 25 ans, Lucien Bunel connaît enfin le
bonheur sacerdotal auquel il aspire depuis longtemps.
D’emblée il entame un ministère haut en couleurs et riche
en rencontres qui élargissent son clavier d’expérience,
d’autant plus qu’il prend le pli de répondre à tous les
appels. Appelé souvent et toujours répondant, son style
étonne.
Son rayonnement fascine. Il est novateur, déjà prophétique quelque part.
Toutes ces qualités d’éducateur ne restent pas à l’intérieur des seuls murs
de l’Institution St Joseph. En février 1928, l’abbé Bunel devient aumônier
d’une troupe scoute du Havre.
L’été suivant, afin de pouvoir emmener ses scouts camper en Angleterre,
à Plymouth, il vend toute sa bibliothèque, acquise livre à livre depuis qu’il
gagne un peu d’argent. Cette générosité ainsi que la solution rapide qu’il
avait su apporter à des querelles de clocher autour de la troupe
aboutissent à ce résultat que tous apprécient ce jeune prêtre capable de
partager les rires, les chants et les jeux, de porter sur tout un regard à
la fois critique et compréhensif, de vivre sa foi avec simplicité et de
fasciner littéralement les enfants quand il leur parlait de Jésus.
Un ancien camarade-scout confie :
« Le Père Jacques m’a montré Dieu dans ce petit
brin d’herbe qui ploie sous la coccinelle. »
Ce professeur hors du commun, ce prêtre toujours à pied d’œuvre, ce
prédicateur infatigable attire et fascine.
« On écoute en le regardant, parce qu’il regarde au-dedans » dit de lui
une femme d’humble condition.
Ce « sourire inoubliable », « ce regard d’au-delà », dont parle un ami
d’enfance, ce « radium surnaturel rayonnant sans cesse autour de lui »,
selon un camarade de régiment devenu un ami intime, le jeune prêtre en
montre la source en faisant imprimer au dos de l’image souvenir de son
ordination : « Oh ! oui, mon Dieu, m’unir si profondément à Toi que je Te
rayonne toujours autour de moi ! »
Ce jeune prêtre pas tout à fait comme les autres cherche son équilibre
humain et son épanouissement spirituel ailleurs que dans cet apostolat
multiforme pourtant couronné de succès. Il est lucide sur le danger d’un
activisme démesuré. Il se sait habité par le regard de Dieu qui semble
l’appeler ailleurs. Un absolu le fascine.
Le jeune soldat de Montlignon rêvait de devenir trappiste.
L’infatigable prêtre du Havre aspire à devenir carme.
Mais la montée vers le Carmel est rude et décapante.
La trajectoire d'un appel est une aventure de longue haleine. Les
différentes étapes se répondent, se complètent et interfèrent dans un
processus vital. Ce qu'on appelle « l'avant » au niveau du temps
chronologique, est inséparable de la réponse que l'appelé donnera à Dieu,
non pas une fois pour toutes, mais de multiples et toujours neuves
manières. Cette réponse est suscitée par des rencontres et des
événements. Elle se clarifie et se purifie surtout dans le don de soi.
Peu à peu il découvre avec enthousiasme qu’il est possible d’être moine et
apôtre par cette secrète alchimie entre contemplation et action, l’une
agissant sur l’autre, mais jamais sans l’autre. La voie qui lui permet
d’incarner son appel dans l’Ordre du Carmel, s’ouvre enfin après trois
années d’une attente douloureuse imposées par la médiation officielle de
l’Église qu’est l’évêque du diocèse qui hésite à laisser partir ce prêtre hors
du commun.
Le 1er
septembre 1931, le jeune prêtre du Havre franchit enfin la porte
du couvent des carmes de Lille. Courageusement il quitte le monde de
relations multiples pour s’ouvrir à un autre dont il ignore encore les
contours, les défis, les enjeux. Il entre les yeux fermés mais le regard
du cœur en éveil, pour faire face lucidement à la réalité qu’aucune illusion
ne vient enjoliver. « Je suis entré au cloître bouleversé de luttes
extrêmement pénibles et le cœur en lambeaux », avoue-t-il. Déchiré
intérieurement, il est sûr cependant que c’est là son chemin à lui et qu’il
doit le suivre, quoi qu’il lui en coûte.
Il revêt l’habit du Carmel le 14 septembre 1931 et
reçoit le nom de Jacques de Jésus. Dans l’épreuve
de ce paradoxe, Dieu demande à ce cœur de chair
qui est le sien, de marcher courageusement sur ce
chemin de foi nue et d’amour aveugle d’où jaillira
une double passion : la passion pour Dieu inséparable
de la passion pour l’homme à qui il communiquera ce
qu’il a contemplé. « L’âme carmélitaine est brûlante
de désirs apostoliques et quand elle s’enferme à
l’ombre du cloître, ce n’est pas pour déserter, mais
pour travailler à meilleur rendement » dit-il dans un
sermon.
« Le Carme déchaux est à la source de la vie.
Par nos temps de disette, c’est ce cœur même de la vie que le Carmel
offre au monde et c’est ce qui fait sa vivante actualité. (…)
Les Carmes sont des chercheurs de Dieu. Comme Elie, ils s’enfoncent dans
le silence et comme lui, à longueur de jour, à longueur de nuit, ils
contemplent Dieu, d’une contemplation vivante où le cœur mange Dieu dans
l’obscure communion de la vie mystique. (…)
Ne nous y trompons pas. Ce n’est pas la solitude de la stérilité, ni le
silence de l’oisiveté ! Cette solitude est peuplée de la riche vie de Dieu.
Le silence est plein de l’immense voix de Dieu. (…)
Le Carme doit les faire descendre en lui pour que la cellule qui abrite ses
années de formation se reconstitue mystérieusement dans l’intimité de son
âme et qu’il puisse l’emporter partout où l’obéissance lui ordonnera
d’aller »
(Père Jacques de Jésus, La vivante actualité des Carmes Déchaux).
Le Père Jacques n’hésitera pas à aller là
où l’obéissance ne tarde pas à l’envoyer !
3. AVON
La troisième expérience du carme-éducateur au Petit-Collège d’Avon est
la plus importante tant au niveau de la durée, qui s’étend d’avril 1934 au
15 janvier 1944, qu’au niveau de la maturation de sa personnalité.
En entrant au Carmel, Dieu demande au Père Jacques de renoncer au don
qu‘il a lui-même semé en lui. Dire oui à cette mort-là est sa plus belle
réponse à Dieu. Mais à peine enraciné dans l’Ordre, voilà que celui-ci, par
la voix des supérieurs, lui confie la création de toutes pièces et la
direction d’une école secondaire à mettre en route en quelques mois.
L’idéal carmélitain ne se définit pas par l’éducation et il en a conscience :
il n’est pas entré au Carmel pour diriger un collège. La fondation du
Petit-Collège d‘Avon représente à la fois un accomplissement et un
sacrifice. Accomplissement pour l‘éducateur qu’il est et qu’il reste,
renoncement pour le carme qu’il demeure.
Les débuts sont difficiles. C’est une véritable création : il part de rien
pour donner une « âme » à cette maison caractérisée par un véritable
esprit de famille fait de simplicité et de confiance.
Au terme de la visite des locaux avec une famille, l’un des professeurs
s’est écrié :
« Somme toute, collège moderne, eau, gaz, électricité… et le Père
Jacques à tous les étages. »
Matériellement, moralement, intellectuellement et spirituellement, il est
l’âme de la maison. Il travaille et il fait travailler.
Il est à tous, il se donne à tous.
Éveilleur, meneur de jeunes, éducateur de l’intelligence et de la liberté, le
Père Jacques forme des jeunes responsables, ouverts et accueillants aux
autres et à Dieu. Son objectif pédagogique s’énonce clairement : « Former
des hommes… des hommes libres… des saints. »
Point de course au diplôme, mais de la bonne formation « humaine »,
complète, jusqu’à la sainteté inclusivement.
Il reconnaît l’enfant comme une
personne à part entière engageant
avec lui un dialogue de personne à
personne. Il sait poser sur chacun
d’eux un regard d’estime et de
confiance. Il réveille le « plus » qui
est en chacun.
Pour en faire un homme capable d’épanouir toutes ses
aptitudes, le Père Jacques a le souci de former l’esprit du
jeune au goût du beau par une formation littéraire, artistique
et musicale.
Pour aider chacun à trouver sa propre voie à travers ses capacités
personnelles, il organise des conférences d’orientation professionnelle ou
de culture générale.
Il a le même souci de veiller sur l’éducation affective des jeunes en les
initiant au « mystère de la transmission de la vie ».
Il éduque aussi ses élèves à la relation personnelle avec Dieu.
Pour atteindre ces objectifs, le Père Jacques se montre inventif dans ses
méthodes pédagogiques et il met en œuvre des moyens avant-gardistes à
l’époque, tels que la lecture spirituelle, le soir, à la fin de l’étude, le
système des groupes et les jeux de nuit.
Par son regard il exprime tous les langages du cœur passant de
l’approbation confiante à la réprobation muette, de l’étonnement complice
à l’émerveillement gratuit, de l’attention perspicace à la compassion
encourageante. Rien ne parle plus fort que son regard et ce langage est
compris par tous.
« Les yeux du Père Jacques, c’est un résumé
suggestif des dix premières années d’Avon.
Ce regard est d’une mobilité extraordinaire.
C’est que toute l’affectivité du Père Jacques passe par ses yeux.
Il ne lui reste que ses yeux et ses oreilles.
Or les oreilles lui servent bien moins que ses yeux.
Et comme il possède une affectivité puissante,
il passe par ses yeux toute une richesse d’impressions,
de sensations qui en fait un artiste des yeux.
C'est l'homme qui peint les murs de couleurs choisies,
qui accroche des tableaux de maîtres, visite les salons de peinture,
collectionne les images en plan et en relief,
recherche partout la couleur jusque dans les foulards de jeu.
Par ses yeux passe tout son jugement. Que
ce soit pour diriger une tactique de jeu,
indiquer un schéma mnémotechnique,
organiser un chœur, juger une physionomie,
le Père Jacques est maître.
Ses yeux sont donc le couloir de
l’affectivité et de l’intelligence, de l’art et
du jugement.
Quoi d’étonnant qu’ils aient aussi la puissance de faire trembler les
enfants et les hommes, et comme le dit la légende, de foudroyer les
adversaires du combat »
(Louis Massé, élève au Petit-Collège de 1934 à 1942, cité par le Père
Philippe dans Le Père Jacques, Martyr de la Charité, DDB, p. 229).
Le jeune professeur à l’Institution Saint Joseph du Havre ne se
contentait pas de son travail de surveillance et d’enseignement. De même
le carme-éducateur du Petit-Collège d’Avon ne se contente pas de sa
responsabilité de directeur et de professeur. Il refuse rarement une
demande de ministère. Il ne craint pas les longs déplacements pour dire la
messe, prononcer un sermon, réconforter par sa présence. Il déploie sa
mission de carme par les prédications dans des Carmels et d’autres
communautés religieuses et dans les paroisses les plus diverses, par
l’animation de retraites, l’accompagnement spirituel, la confession. Son
apostolat auprès des laïcs est aussi variable qu’intense. Il est disponible à
tous les appels et à tous.
À côté de son apostolat par la parole, il y a
sa correspondance vaste et variée. Son
langage clair, simple, direct, sans aucune
recherche d’effet de style, est le langage
du frère, de l’ami, du confident qui laisse
parler son cœur et qui vibre, lui aussi, avec
tout son être sensible.
Sa façon d’être carme, sa manière de vivre, d’enseigner, de parler,
d’écrire incarne le charisme carmélitain authentique et rayonnant.
La présence de « l’autre » court comme un fil rouge à travers toute
l’existence du Père Jacques, qu’il s’agisse de celui qui est « autre » au
niveau social, éducatif ou religieux. Il est attiré par celui qui est
différent. Tout au long de sa vie, il se retrouve ainsi, par le choix de ses
actes, comme prêtre et comme carme, aux côtés des hommes de toute
catégorie sociale, politique et religieuse.
Dans le tracé de la vie du Père Jacques, trois étapes relativement
courtes mais lourdes de sens, contribuent à forger sa personnalité
humaine et spirituelle. Sa mission personnelle de carme s’épanouit dans un
« cloître » aux dimensions toujours plus larges. Ces trois étapes
représentent quatre ans et demi de sa vie et lui permettent d’approfondir
aussi bien le sens de l’essentiel et le sens de l’humain.
1. MONTLIGNON : soldat
Pourvu de son baccalauréat, Lucien entre au Grand Séminaire pour
quelques mois seulement, puisqu’il devra le quitter pour accomplir ses deux
ans de service militaire au fort de Montlignon près de Paris. Il y montre
déjà son sens du devoir, du service et de la relation. Il sait aussi bien se
faire apprécier des jeunes les plus anticléricaux que gagner ses galons de
maréchal-des-logis chef. Il continue aussi d’étudier le soir dans une pièce
qu’une famille a mise à sa disposition et où il a apporté ses livres.
Sans renier en rien le séminariste qu’il est, il veut donner sens à ce qu’il
est contraint de vivre. Il ne se contente pas de subir les événements, il
les interprète pour mettre à profit sa formation humaine. Il s’y lance
avec sa générosité habituelle, son élan juvénile et son ardeur réfléchie. Il
lie rapidement amitié avec les jeunes soldats prêts à malmener ce «curé»
en soutane qui, très vite, leur en impose tout simplement par ce qu’il est.
Il ne se contente pas seulement de veiller sur leur bien-être physique,
mais il éveille leur intelligence en stimulant leur esprit. Il crée une
atmosphère familiale, reçoit des confidences et est atteint lui-même par
des situations de vie orageuse de ses camarades.
« Son action était discrète, c’était un "catalyseur" agissant par sa seule
présence ou comme je lui disais en le taquinant "du radium surnaturel"
rayonnant sans cesse autour de lui », confie son fidèle ami Antoine
Thouvenin.
2. « DRÔLE DE GUERRE » : soldat et prisonnier
La deuxième étape surprend le Père Jacques dans sa vie de carme et
d’éducateur à Avon lorsqu’il est appelé sous les drapeaux durant la « drôle
de guerre ». Il est moblisé dans l’Est de la France du 3 septembre 1939
à juin 1940, puis fait prisonnier à Lunéville de juin au 18 novembre 1940.
L’attitude du Père Jacques est une réplique et un approfondissement de
celle qu’il avait déjà à Montlignon. Elle est préliminaire d’une autre bien
plus cruelle encore. La guerre, toujours, importune. Mais il l’intègre
comme processus de maturation et l’accueille, lui trouvant une sorte
d’aventure où il se sent appelé à donner le meilleur de lui-même.
Il fait l’expérience tant de la misère que de la grandeur de l’homme. La
guerre est pour le Père Jacques une grande expérience humaine auprès de
ces hommes dont il partage la vie, la souffrance, l’espoir. Il a pour eux
un cœur de mère. Il est vraiment l’un d’eux.
Avec son sens pédagogique, il réussit à
faire de la batterie une grande famille.
Il lutte contre la décadence morale
causée par l’inactivité.
Il mobilise l’esprit de groupe de ses
camarades en éditant avec eux un journal
à la batterie, appelé « Central-Ecoute ».
Il écrit lui-même les éditoriaux et une
série d’articles concernant la manière de
vivre la guerre en hommes.
Il y a aussi les veillées, les causeries
familières diffusées par les ondes, les
réunions traitant de théologie, de
sociologie et de spiritualité, les messes
célébrées dans cette paroisse improvisée.
Pour son propre compte, il utilise ce temps pour lire et nourrir sa vie
spirituelle en s’adonnant à la prière silencieuse et en s’échappant dans la
beauté de la nature malgré la rudesse de l’hiver.
Au verso de cette photographie, on peut lire ces mots manuscrits :
A mon ami, le Père Philippe
de la frontière belgo-luxembourgeoise 26 oct.1939
fr. Jacques de Jésus o.c.d.
De retour au Petit-Collège d’Avon en novembre 1940, le Père
Jacques reprend son travail d’éducateur.
Si le directeur d’avant la
guerre a pu avoir comme
leitmotiv pédagogique
« Confiance et Liberté »,
celui d’après 1940 préfère
dire :
« Culture et volonté ».
D’emblée il refuse les accords de Munich violentant les droits du peuple
de Tchécoslovaquie et adopte une position de résistance spirituelle face
aux principes nazis basés sur des fondements philosophiques néo-païens
bien avant d’entrer dans la Résistance française organisée avec l’accord
de son supérieur. Les faits réels sont là et il lui est difficile d’admettre
la zone occupée depuis mai 1942, le port obligatoire de l’étoile jaune qui
prive du droit de vie tous ces hommes, ces femmes et ces enfants qui
comptent trois ascendants d’origine juive, l’envoi des jeunes au STO.
Ce qui lui est intolérable, c’est l’injustice sous toutes ses formes : qu’elle
s’exprime par le refus d’un élève de partager ses provisions personnelles
avec un camarade ou qu’elle se traduise par des discriminations officielles
de la part des autorités. Pour le Père Jacques, il s’agit de morale bien
plus que de visée politique.
Pendant des mois, il cherche et trouve des cachettes dans des familles
pour des jeunes recherchés par les Allemands.
Pendant des mois il s’ingénue à équiper de faux papiers de nombreux
réfractaires au travail obligatoire en Allemagne.
Pendant des mois il fournit des pistes menant au maquis à ceux qui veulent
se battre ou des relais vers l’Espagne.
Le reflet le plus visible de cette action souterraine de résistance à
l’idéologie nazie, c’est l’hébergement des trois enfants juifs au Petit-
Collège d’Avon au cours de l’année scolaire 1942- 1943.
En toute lucidité il sait le danger qu’il court et il a l’accord de son
Provincial, le Père Philippe.
La journée du 15 janvier 1944 commence dans le calme routinier d’une
journée de collège lorsque des bruits de bottes dans les couloirs donnent
l’alerte. Policiers nazis munis d’un plan des locaux, du nom des enfants et
de l’horaire exact arrivent en force et bouclent le Collège. Ils savent
exactement ce qu’ils doivent faire. Ils vont directement dans les classes
où se trouvent les trois enfants juifs.
Le Père Jacques lui-même est arrêté au
milieu du cours de français aux grands
élèves.
Les enfants avec les professeurs sont
rassemblés dans la cour, pour un
interminable appel.
Les Allemands sont partout, le collège est
mis sous scellés.
Les trois petits juifs, terrorisés, encadrés
de nazis, quittent le collège et mourront
quelques semaines plus tard dans la
chambre à gaz d’Auschwitz.
Lorsque le Père Jacques apparaît en haut de
l’escalier entre deux hommes de la Gestapo,
un béret brun sur la tête, une valise à la
main, calme, serein et souriant, il regarde les
enfants, s’arrête en haut du perron et leur
crie :
« Au revoir, les enfants,
à bientôt !
Continuez sans moi ! »
3. CARME-DEPORTE : 15 janvier 1944 – 2 juin 1945
La troisième étape est celle du carme-déporté par les nazis.
À partir du 15 janvier 1944 jusqu’au 2 juin 1945,
les stations du chemin de croix du Père Jacques
s’appellent :
la prison de Fontainebleau
et le camp de Royal Lieu, près de Compiègne en
France,
le camp de représailles de Neue Breme, près de
Sarrebrück en Allemagne,
le camp de concentration de Mauthausen et de
Gusen en Autriche
et finalement l’hôpital de Linz où il mourra quelques
semaines après la libération des camps par les
Américains.
Le Père Jacques découvrira
un « cloître à ses propres dimensions ».
Dans la prison de Fontainebleau, le Père Jacques naît à son véritable
apostolat.
« Il faut des prêtres dans les prisons, si vous saviez… ! »
A un compagnon de captivité, il confie :
« Je ne veux pas partir, il y a trop de malheureux, trop de souffrances,
je le sens, il faut que je reste. Pauvre Charles, toi, tu as de la famille,
moi je suis sans attache, c’est mon métier de souffrir… Pourvu qu’ils me
laissent ma bure et mon autel. »
De sa cellule de prisonnier, il fait un oratoire personnel mais aussi un
centre de charité et de fraternité. Jusque dans la petite cour
triangulaire des promenades, il organise des causeries, comme s’il était
encore au Petit-Collège, au Havre, à Montlignon ou à Remenoncourt.
Le 6 mars 1944, avec une trentaine de prisonniers, il est amené en
camion vers le camp de Royal Lieu, près de Compiègne. Là aussi, il
organise des réunions de prière et des conférences pour tous, catholiques
et communistes.
« Cela ne m’intéresse pas de ne rencontrer que des chrétiens. Ce sont les
autres que je veux rencontrer. »
Les communistes applaudissent frénétiquement ce religieux juché sur un
tabouret qui leur fait des cours de catéchisme. Il parle de l’éducation des
enfants, du mariage, du respect du corps, du sens de la famille, du rôle
de l’État, de l’enseignement, de la loi suprême : l’amour de Dieu et
l’amour du prochain. Une centaine de détenus de Compiègne se joignent à
lui tous les soirs pour réciter le chapelet.
Il est alors classé dans la catégorie N.N. (Nacht und Nebel), ces deux
initiales qui indiquent l’anonymat définitif auquel les nazis vouaient ceux
qu’il fallait faire disparaître à tout prix.
Fin mars, le Père Jacques est transféré dans le camp de représailles de
Neue-Breme près de Sarrebrück, ce camp de mort d’où personne ne
devait sortir vivant. Là l’horreur de la torture sadique défie toute
imagination : procession infernale autour d’un bassin durant de longues
heures, promenade sur les murets chargé d’une poutre de six mètres sur
l’épaule, complètement nu, interdiction de parler.
Le « Revier » des malades est transformé dès que le Père Jacques en
reçoit la responsabilité. Les malades reçoivent ce qu’il attendent : un peu
plus de nourriture et un peu de réconfort moral. Le Père Jacques les leur
prodigue avec une telle générosité et un tel oubli de soi-même que même
Hornetz, sous-officier du camp célèbre pour ses crimes, en est comme
subjugué.
Après trois semaines, il est déporté dans un autre monde de baraques
surpeuplées, au camp de concentration de Mauthausen en Autriche, puis
au camp de Gusen 1, l’un des camps satellites de Mauthausen. On lui
arrache son habit de carme, qu’il ne revêtira qu’après sa mort, et il
endosse la tenue rayée des bagnards. Il ne baisse pas les bras. Il donne
tout : sa nourriture déjà insuffisante, son temps, son sommeil, son
écoute.
Il se donne lui-même jusqu’au bout.
À l’image du Christ.
Le Père Jacques de Jésus est le « prophète du Sens » qui aide à tenir
debout et à rester libre intérieurement, même si le corps est enchaîné,
annihilé. En prison et dans les camps, il montre le sens du combat pour la
dignité de tout homme, car il a compris depuis longtemps que l’enjeu de la
seconde guerre mondiale est la conception même de l’homme.
Comme en 1928, lorsqu'au cours d'un séjour avec ses scouts en
Angleterre, le Père Jacques avait pressenti l'urgence de l'œcuménisme, il
transforme les baraques en véritable laboratoire d’œcuménisme. Sous son
regard de compassion, les codétenus deviennent un grand corps fraternel.
Il n’y a plus ni Juif ni Espagnol,
ni Français ni Polonais, ni
communiste ni catholique au
regard de ce carme qui sillonne
ces baraques où se concentrent
toutes races, langues, peuples
et nations et où la faim, la
solitude, l’exclusion creusent
des traces indélébiles dans les
corps et dans les esprits.
Les différences raciales sont comme pulvérisées par ce souffle de justice
qui le fait courir de l’un à l’autre, inlassablement. Il les rencontre tous,
dans leur diversité, sans préjugé, sans a priori. Il est une figure de
réconciliation entre Juifs et catholiques, entre Français et Polonais, entre
communistes et chrétiens.
Avec tous, indistinctement, il parle, il écoute ce langage de cris étouffés
et de soupirs exhalés. Il sait qu’ils appartiennent tous à la même patrie :
tu souffres, donc nous sommes de la même race.
Cet homme a accepté, sans se plaindre, avec résignation et même humour,
les coups de pied et de poing, les coups de matraque et toutes sortes
d’humiliations sordides, aussi bien à Sarrebrück qu’à Gusen.
Cet homme a eu la force d’âme de se priver des maigres rations
alimentaires pour permettre à plus faible et à plus jeune que lui de rester
quelques heures de plus en vie. Que de Français, d’Italiens, de Polonais,
de Juifs, de communistes lui doivent une portion de pain et la grâce de
sortir vivants de cet enfer.
C’est aussi l’éducateur qui arrive dans les camps. Ses yeux tombent
d’emblée sur les plus jeunes, les plus fragilisés. Il réussit à éveiller la
pensée et la réflexion dans ce lieu démentiel où l’homme est ravalé à un
objet. Il parle et discute de tout, sauf de la mort omniprésente.
Oublier où l’on était ! C’est ce que le Père Jacques a réussi à faire avec
certains compagnons de Gusen. Imperturbablement, il continue son métier
de professeur et au risque de sa vie, se procure même des livres de
lecture par les Polonais ou les Espagnols. Dans cette Babel infernale, à
peine nourri, revêtu de loques, il discute la pensée de Leibnitz avec un
jeune Français au End Kontroll, le hall où il doit vérifier les pièces de
fusils durant onze heures par jour. La lutte pour la culture intellectuelle
est un acte de résistance aussi nécessaire que celui de manger.
Cet homme a eu la force spirituelle de se priver des maigres temps de
repos en les employant à écouter, à consoler, à réconforter, à confesser
après douze heures d’un travail exténuant à l’usine Steyr.
Cet homme n’a pas hésité, malgré la hantise de la corde, de la potence,
de la chambre à gaz, à célébrer plusieurs fois l’Eucharistie en présence
de ses camarades croyants et de faire descendre le Christ dans ce lieu
de misère en bravant tous les interdits, protégé par ses compagnons
communistes qui montaient la garde pour échapper à la surveillance des
SS.
C'est dans les camps qu'il a répondu du plus profond de lui-même à sa
vocation d'homme de prière.
On a dit que « sa présence était la preuve du Dieu Vivant ».
Cet homme a jeté des ponts entre l’Évangile et l’actualité de l’enfer
concentrationnaire par la qualité de son regard et du don de soi sans
faille. Cet homme a transformé les autres. Il a donné la réponse de
l’Évangile, la réponse du Christ qui se donne jusqu’au bout.
Il sauve la foi en Dieu en sauvegardant envers et contre tout la foi en
l’homme.
Le Père Jacques a sauvé tout l’homme.
Dans cette société concentrationnaire bâtie sur des fausses valeurs, le
Père Jacques est resté aussi grand à l’intérieur qu’il était décharné dans
son corps. Nombreux sont les codétenus qui témoignent de sa force
prophétique. Relevons un des très nombreux témoignages :
« Il s’était attiré l’estime et la confiance, non seulement des croyants,
mais aussi des adversaires qui ne parlaient de lui qu’avec un profond
respect bien qu’il y en eût de tous les milieux sociaux. Il aimait de toute
son âme compatir à la misère de son prochain, être bon à l’égard de tous,
amis ou adversaires ; populaire il le fut, vu l’hommage rendu par tous,
lorsqu’il tomba malade » (M. Passagez).
Le 5 mai 1945, les Américains libèrent le camp de Mauthausen et de
Gusen. Mais la libération reste à organiser dans l’anarchie. Le Père
Jacques est requis pour l’organisation des secours. Brûlant de fièvre, il
continue vaillamment sa tâche comme président du Comité français de
Mauthausen et il travaille pendant dix-huit heures par jour. Pressé par
ses amis, il consent enfin à s’aliter à l’infirmerie de Mauthausen. C’est là
que les deux infirmières de l’Armée française qui se dévouent pour
rapatrier les 1250 Français rescapés de Mauthausen et de Gusen le
rencontrent. Elles relèvent ce cri unanime des codétenus : « Sauvez le
Père Jacques ! »
Elles feront tout ce qui est en leur pouvoir. Lui, il se veut solidaire de
tous jusqu’au bout et ainsi il refuse de rentrer en France grâce à un
régime d’exception dû à sa situation de prêtre.
A cinq reprises en l’espace d’à peine un mois, le Père Jacques est
transféré de l’infirmerie du camp en appartement privé, du camp français
de Linz à l’hôpital autrichien des sœurs de Ste Elisabeth, de la chambre
commune en une chambre tranquille où il supplie : « Pour les derniers
moments, qu’on me laisse seul ! »
La tuberculose très avancée gagne rapidement du terrain dans ce corps
affaibli à l’extrême. Au soir du 2 juin 1945, le Père Jacques remet son
dernier souffle entre les mains du Créateur.
Jusqu’à l’ultime instant et jusque dans la manière dont il regarda en face
la maladie qui devait l’emporter, il a donné une leçon de grandeur, une
leçon de dignité, une leçon d’humanité.
Tous ses engagements antérieurs trouvent leur accomplissement dans les
camps de l‘horreur.
Ce qu‘il a été, il l‘est pleinement : frère, ami, prêtre, infirmier,
éducateur, rassembleur, apôtre, homme de prière.
Le 26 juin 1945, par une radieuse journée d’été, le Père Jacques
retrouve son Petit-Collège et les habitants du Petit-Collège retrouvent
leur directeur qui, dix-sept mois plus tôt, les avait quittés par une
journée glaciale d’hiver.
Après la cérémonie religieuse, les Pères Carmes en manteaux blancs, les
élèves, et les parents d’élèves, les professeurs, ses camarades de
déportation, de nombreux prêtres, les autorités et les habitants de
Fontainebleau-Avon accompagnent le cercueil du Père Jacques à travers la
cour pour rejoindre le petit cimetière du couvent blotti contre le mur du
parc du château de Fontainebleau. Comme chant d’adieu sous ce soleil
éblouissant, on entonne l’Hymne à la Joie de Beethoven.
Le Père Philippe, devenu provincial, prononce une brève allocution. Au
moment précis où il dit : « Le Père Jacques parlait de la mort comme d’un
jour de lumière égayé du chant des oiseaux » on voit plusieurs rossignols
tournoyer tout près, au-dessus du cercueil, en gazouillant frénétiquement.
Ce chant d’espérance remontant d’une multitude de cœurs brisés et ce
chant de joie des oiseaux, ne serait-ce pas là aussi la signature du Père
Jacques de Jésus ?
L’enfant qui exprime déjà la vérité du don de soi dans les petites choses,
l’adolescent qui cherche le sens de sa vie et de sa voie,
le séminariste qui cherche la vérité à travers ses études comme à
travers les visages d'enfants, vraie école de prière pour lui,
l’adulte qui laisse là sa vocation d’éducateur et de prédicateur pour
entrer au Carmel où il lui sera finalement demandé de fonder un collège,
l’éducateur qui libère le jeune en lui faisant confiance,
le carme contemplatif assoiffé du visage de Dieu cherché dans la foi
obscure,
toutes ces facettes de sa personnalité laissent entrevoir cet homme
habité par deux passions :
la passion de Dieu et la passion du frère.
Le Père Jacques est un être passionné de Dieu et de l’homme.
Il a vécu dans le don de soi jusqu’à l’extrême à l’écoute de la présence de
Dieu et à l’écoute de la souffrance de tout homme.
Il a tout partagé :
le pain quotidien pour le corps,
le pain de la connaissance pour l’esprit,
le pain de la parole humaine et le pain de la Parole de Dieu.
D’une foule affamée de pain et de sens, qu’elle soit composée d’enfants,
de jeunes, de paroissiens, de soldats, d’élèves, de résistants ou de
déportés, le Père Jacques a réussi à en faire une communauté de table et
de vie.
Le Père Jacques est habité par des visages et des noms, innombrables.
Il est habité par des cris et des silences, innommables.
Pour tous il a rayonné ce bonheur de se donner en donnant sa vie,
son temps,
son écoute,
son énergie,
son intelligence,
son pain,
son souffle.
Une force prophétique rayonne du Père Jacques de Jésus,
pleinement homme parmi ses frères en humanité,
pleinement carme à la suite de ceux qui l’ont précédé sur la montée du
Carmel,
pleinement témoin à l’image du Christ.
BIBLIOGRAPHIE
 Père PHILIPPE de la Trinité, Le Père Jacques, Martyr de la
Charité, (DDB, Études carmélitaines, 1947)
 Michel CARROUGES, Le Père Jacques : «Au Revoir, les enfants»
(Cerf)
 Roger HEIM, La Sombre Route (Librairie José Corti, Paris 1947)
 Père Camilo MACCISE, Préposé Général, o.c.d., Une contemplation
engagée, le Message du Père Jacques de Jésus, 1900-1945,
Réflexions pour le 50e
anniversaire de sa mort.
 Revue CARMEL N° 110, décembre 2003 : Père Jacques de Jésus,
Un éducateur, un apôtre, un témoin.
Prière pour demander la béatification
du Père Jacques de Jésus
Père d’infinie bonté
Tu as donné au Père Jacques de Jésus, dès son enfance,
Le désir de t’aimer et d’aimer les hommes
D’un cœur sans partage.
Tu l’as comblé de dons pour l’éducation des jeunes,
Tu l’as choisi comme prêtre
Tu l’as appelé dans l’Ordre du Carmel.
Dans la détresse inhumaine des camps de déportation,
Tu as fait de lui un témoin de foi et d’amour
Jusqu’au don total de sa vie.
Accorde-nous les grâces que nous te demandons
Par son intercession et, si telle est ta volonté,
Glorifie-le dans ton Eglise
Par ton Fils Jésus-Christ, notre Sauveur.
Amen.
MERCI d’envoyer la relation de toutes les grâces et faveurs obtenues à :
Vice-Postulation de la cause du Père Jacques
1, rue Père Jacques
F – 77215 AVON CEDEX

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Lettre de nouvelles, décembre 2017
 

Viens découvrir un être de feu

  • 1. Père JACQUES de JESUS Lucien BUNEL 29 janvier 1900 – 2 juin 1945 I. ENFANT ET ADOLESCENT 1. Dans sa famille : 29 janvier 1900 – octobre 1912 2. Au Petit Séminaire de Rouen : 1912 – 1919 3. Au Grand Séminaire : octobre 1919 – mars 1920 II. JEUNE HOMME 1. Soldat à Montlignon : mars 1920 – mars 1922 2. Au Grand Séminaire de Rouen : mars 1922 – juillet 1924 III. MINISTÈRE AU HAVRE : octobre 1924 – juillet 1931 1. Éducateur à l’Institution Saint Joseph du Havre 2. En marche vers le sacerdoce 3. Prêtre, professeur, éducateur 4. Prédicateur dans les paroisses du Havre et de Seine Inférieure 5. Sur la route du Carmel
  • 2. IV. CARME : septembre 1931 – 2 juin 1945 1. Postulant et novice au Carmel de Lille : août 1931 – avril 1934 2. Carme-éducateur au Petit-Collège d’Avon : avril 1934 – 15 janvier 1944 3. Carme-soldat au front et prisonnier durant la «drôle de guerre» : septembre 1939 – 18 novembre 1940 4. Carme-résistant : 1941 – 15 janvier 1944 5. Carme-déporté : 15 janvier 1944 – 5 mai 1945  Prison de Fontainebleau : 15 janvier – 6 mars 1944  Camp de Compiègne : 6 mars – 28 mars 1944  Camp de représailles de Sarrebruck : 29 mars – 21 avril 1944  Camp de concentration de Mauthausen : 22 avril - mai 1944  Camp de concentration de Gusen 1 : mai 1944 – 28 avril 1945  Libération : fin avril – 5 mai 1945 6. Pâque : 5 mai – 2 juin 1945 Cet homme au regard de feu dont la seule passion est de rayonner celui dont il se sait aimé, cet homme à la main tendue et offerte, cet homme au cœur sans frontières est un frère et un ami pour ceux qui l’ont rencontré. Aujourd’hui il peut devenir un ami pour toi qui le rencontres ! La clarté de son regard, la simplicité de son accueil, la grandeur de son cœur, la beauté de son intelligence, la lucidité de son esprit, la solidité de sa foi rayonnante et de son espérance invincible, le don de soi jusqu’à l’extrême, son amour tendre et fort pour le Christ et pour tout homme accueilli comme un frère, font de lui ce témoin qui s’est consumé à la suite de son Maître et Seigneur. Toujours il a répondu aux appels successifs de Dieu dans sa vie, sans hésiter. Il a prié, non du bout des lèvres, mais avec toute sa chair et toute son âme. Il a partagé, non du bout des doigts, mais il a donné tout ce qu’il est et tout ce qu’il a. Personne n’a étouffé en lui la flamme de la passion pour la vraie dignité de l’homme.
  • 3. La première réaction rapportée du petit Lucien Bunel est le sourire que le bébé adresse à ses parents près de la mare St Germain, but de leur pèlerinage. Sourire de bien-être d’un petit corps qui sent renaître en lui une vie que tout le monde, y compris le médecin, croyait sur le point de s’achever, sourire qui répond à la prière de Madame Bunel : « Mon Dieu, laissez-le moi jusqu’à vingt ans, après prenez-le, il vous appartient, mais donnez-moi la joie de vous l’offrir quand il sera grand. » Ce sourire est l’expression de la ligne directrice de sa vie, cette vie qu’on pourrait appeler « l’imitation de Jésus-Christ ». Lucien est aussi surpris dans le grenier, monté sur une chaise, s‘adressant sans doute à des fantômes pour louer les beautés et les bontés de Dieu. À sa mère qui l‘interroge, l‘enfant répond : « Il faut bien que j‘apprenne à parler aux hommes.» Marqué du sceau de Dieu, le petit Lucien est déjà tourné vers l‘autre dans sa recherche de Dieu. Son âme d‘enfant est déjà une âme d‘apôtre par la parole. Il parlera de Dieu aux hommes durant son ministère de prêtre et d‘éducateur et jusque dans les camps. À l‘autre extrémité de sa vie il continuera à s‘adresser à des fantômes humains devenus tels par la cruauté humaine et il louera encore et toujours « les beautés et les bontés de Dieu ».
  • 4. La première rencontre avec l’autre marquera profondément Lucien, quatrième de huit enfants d’une famille ouvrière de Barentin. Il a neuf ans. Il joue avec ses frères et sœur, lorsqu’un mendiant lui demande un morceau de pain. Sans tenir compte du refus très net de la maman Bunel, Lucien court à la cuisine, taille un gros morceau de pain, y met du fromage et le tend au mendiant. Celui-ci pose la main sur la tête de l‘enfant en disant : « Je le savais, mon petit, que tu me donnerais mon pain ; je te remercie, je n‘en ai pas besoin, que le Bon Dieu te protège ! » Lucien insiste et le vieillard reprend : « Non, merci, petit, ton geste me suffit ! » Il disparaît aussitôt. Cet événement restera inscrit dans la mémoire de l’enfant comme un appel à ne jamais se fermer à l’autre afin que tout geste de partage devienne une rencontre des cœurs. Toute sa vie pourrait se concentrer dans le signe du pain donné : - le pain partagé au mendiant par l‘enfant, - le pain sacré que le jeune prêtre tiendra bientôt entre ses mains et qu‘il donnera à ses paroissiens et ses élèves, - l’ultime morceau de pain toujours donné à plus affamé que lui dans les camps, - le pain eucharistique au risque de sa propre vie dans les camps de la mort. Sa vie portera l‘empreinte du don du pain. Elle s‘accomplira dans le don du pain. À l‘image de celle de Jésus.
  • 5. 1. MAROMME La première expérience d’éducateur où le jeune séminariste Bunel fait ses premières armes, s’ébauche à Maromme, petite ville industrielle près de Rouen. Lucien a 22 ans. Il est au Grand Séminaire de Rouen depuis mars 1922 et y restera jusqu’en juillet 1924. Pendant les vacances, il aide le curé et s’occupe avec ardeur d’une centaine d’enfants d’ouvriers pour les garder jusqu’au soir. Il organise un patronage, des jeux, des promenades, des séances récréatives, des temps de prière et plus tard, même des colonies de vacances. Les enfants sentent le rayonnement de ce séminariste peu ordinaire. Merveilleux organisateur, parfait économe, aucun détail ne lui échappe. Toujours il reconnaîtra le visage du Créateur dans le regard d’un enfant. Pour lui « le clair regard d‘un enfant de huit à douze ans valait bien des heures de méditation. » 2. 3.
  • 6. 2. LE HAVRE La deuxième expérience survient dans la vie du séminariste comme une surprise. A la rentrée scolaire de 1924 au Grand Séminaire de Rouen, sans qu’il s’y soit attendu, Lucien est envoyé comme surveillant à l’Institution Saint Joseph du Havre. Il devra y travailler seul sa dernière année de théologie. Malgré le sacrifice que cette décision lui coûte, le jeune abbé se met avec ardeur au service des jeunes. Épris des méthodes actives en pédagogie - confiance, contacts personnels, éducation positive et constructive - il est à l‘aise dans ce courant de pensée assez innovateur à l‘époque. Il n‘est pas un professeur ordinaire. « La classe ? » témoigne son ami Jacques Lefèvre, c‘était une conversation à la manière de Socrate, une merveilleuse découverte. Les murs de sa classe sont décorés de façon artistique. Quant aux élèves, ils reconnaissent aussitôt en lui « un professeur d’exception, exigeant, original, infatigable. » Mais l’abbé Bunel n’était pas seulement un merveilleux pédagogue pendant les heures de classe, il l’est toute la journée. Partageant la vie des jeunes pensionnaires, il joue avec eux pendant les récréations, leur passe parfois quelques films de Charlot pendant la récréation du soir, les emmène dans sa chambre pour leur faire suivre la métamorphose en grenouilles des têtards qu’il élève, ou leur montrer les insectes d’au-delà des mers, que lui ont donnés les amis. Il organise des jeux en forêt et leur apprend à admirer les beautés de la nature, surtout les couchers de soleil sur la mer. Il organise des visites d‘usine et de port, d‘abbayes et de sites historiques. Même les moins doués ne sont pas laissés à l‘écart. Partout où il passe, il a voulu « mettre le bon Dieu à notre portée » avoue un de ses élèves. Les enfants se sentent compris et aimés. Beaucoup le recherchent comme « l’ami auquel on aime à confier ses propres secrets. » Ordonné prêtre le 11 juillet 1925 dans la cathédrale de Rouen, à l’âge de 25 ans, Lucien Bunel connaît enfin le bonheur sacerdotal auquel il aspire depuis longtemps. D’emblée il entame un ministère haut en couleurs et riche en rencontres qui élargissent son clavier d’expérience, d’autant plus qu’il prend le pli de répondre à tous les appels. Appelé souvent et toujours répondant, son style étonne. Son rayonnement fascine. Il est novateur, déjà prophétique quelque part.
  • 7. Toutes ces qualités d’éducateur ne restent pas à l’intérieur des seuls murs de l’Institution St Joseph. En février 1928, l’abbé Bunel devient aumônier d’une troupe scoute du Havre. L’été suivant, afin de pouvoir emmener ses scouts camper en Angleterre, à Plymouth, il vend toute sa bibliothèque, acquise livre à livre depuis qu’il gagne un peu d’argent. Cette générosité ainsi que la solution rapide qu’il avait su apporter à des querelles de clocher autour de la troupe aboutissent à ce résultat que tous apprécient ce jeune prêtre capable de partager les rires, les chants et les jeux, de porter sur tout un regard à la fois critique et compréhensif, de vivre sa foi avec simplicité et de fasciner littéralement les enfants quand il leur parlait de Jésus. Un ancien camarade-scout confie : « Le Père Jacques m’a montré Dieu dans ce petit brin d’herbe qui ploie sous la coccinelle. »
  • 8. Ce professeur hors du commun, ce prêtre toujours à pied d’œuvre, ce prédicateur infatigable attire et fascine. « On écoute en le regardant, parce qu’il regarde au-dedans » dit de lui une femme d’humble condition. Ce « sourire inoubliable », « ce regard d’au-delà », dont parle un ami d’enfance, ce « radium surnaturel rayonnant sans cesse autour de lui », selon un camarade de régiment devenu un ami intime, le jeune prêtre en montre la source en faisant imprimer au dos de l’image souvenir de son ordination : « Oh ! oui, mon Dieu, m’unir si profondément à Toi que je Te rayonne toujours autour de moi ! » Ce jeune prêtre pas tout à fait comme les autres cherche son équilibre humain et son épanouissement spirituel ailleurs que dans cet apostolat multiforme pourtant couronné de succès. Il est lucide sur le danger d’un activisme démesuré. Il se sait habité par le regard de Dieu qui semble l’appeler ailleurs. Un absolu le fascine. Le jeune soldat de Montlignon rêvait de devenir trappiste. L’infatigable prêtre du Havre aspire à devenir carme. Mais la montée vers le Carmel est rude et décapante. La trajectoire d'un appel est une aventure de longue haleine. Les différentes étapes se répondent, se complètent et interfèrent dans un processus vital. Ce qu'on appelle « l'avant » au niveau du temps chronologique, est inséparable de la réponse que l'appelé donnera à Dieu, non pas une fois pour toutes, mais de multiples et toujours neuves manières. Cette réponse est suscitée par des rencontres et des événements. Elle se clarifie et se purifie surtout dans le don de soi. Peu à peu il découvre avec enthousiasme qu’il est possible d’être moine et apôtre par cette secrète alchimie entre contemplation et action, l’une agissant sur l’autre, mais jamais sans l’autre. La voie qui lui permet d’incarner son appel dans l’Ordre du Carmel, s’ouvre enfin après trois années d’une attente douloureuse imposées par la médiation officielle de l’Église qu’est l’évêque du diocèse qui hésite à laisser partir ce prêtre hors du commun. Le 1er septembre 1931, le jeune prêtre du Havre franchit enfin la porte du couvent des carmes de Lille. Courageusement il quitte le monde de relations multiples pour s’ouvrir à un autre dont il ignore encore les contours, les défis, les enjeux. Il entre les yeux fermés mais le regard du cœur en éveil, pour faire face lucidement à la réalité qu’aucune illusion ne vient enjoliver. « Je suis entré au cloître bouleversé de luttes extrêmement pénibles et le cœur en lambeaux », avoue-t-il. Déchiré intérieurement, il est sûr cependant que c’est là son chemin à lui et qu’il doit le suivre, quoi qu’il lui en coûte.
  • 9. Il revêt l’habit du Carmel le 14 septembre 1931 et reçoit le nom de Jacques de Jésus. Dans l’épreuve de ce paradoxe, Dieu demande à ce cœur de chair qui est le sien, de marcher courageusement sur ce chemin de foi nue et d’amour aveugle d’où jaillira une double passion : la passion pour Dieu inséparable de la passion pour l’homme à qui il communiquera ce qu’il a contemplé. « L’âme carmélitaine est brûlante de désirs apostoliques et quand elle s’enferme à l’ombre du cloître, ce n’est pas pour déserter, mais pour travailler à meilleur rendement » dit-il dans un sermon. « Le Carme déchaux est à la source de la vie. Par nos temps de disette, c’est ce cœur même de la vie que le Carmel offre au monde et c’est ce qui fait sa vivante actualité. (…) Les Carmes sont des chercheurs de Dieu. Comme Elie, ils s’enfoncent dans le silence et comme lui, à longueur de jour, à longueur de nuit, ils contemplent Dieu, d’une contemplation vivante où le cœur mange Dieu dans l’obscure communion de la vie mystique. (…) Ne nous y trompons pas. Ce n’est pas la solitude de la stérilité, ni le silence de l’oisiveté ! Cette solitude est peuplée de la riche vie de Dieu. Le silence est plein de l’immense voix de Dieu. (…) Le Carme doit les faire descendre en lui pour que la cellule qui abrite ses années de formation se reconstitue mystérieusement dans l’intimité de son âme et qu’il puisse l’emporter partout où l’obéissance lui ordonnera d’aller » (Père Jacques de Jésus, La vivante actualité des Carmes Déchaux). Le Père Jacques n’hésitera pas à aller là où l’obéissance ne tarde pas à l’envoyer !
  • 10. 3. AVON La troisième expérience du carme-éducateur au Petit-Collège d’Avon est la plus importante tant au niveau de la durée, qui s’étend d’avril 1934 au 15 janvier 1944, qu’au niveau de la maturation de sa personnalité. En entrant au Carmel, Dieu demande au Père Jacques de renoncer au don qu‘il a lui-même semé en lui. Dire oui à cette mort-là est sa plus belle réponse à Dieu. Mais à peine enraciné dans l’Ordre, voilà que celui-ci, par la voix des supérieurs, lui confie la création de toutes pièces et la direction d’une école secondaire à mettre en route en quelques mois. L’idéal carmélitain ne se définit pas par l’éducation et il en a conscience : il n’est pas entré au Carmel pour diriger un collège. La fondation du Petit-Collège d‘Avon représente à la fois un accomplissement et un sacrifice. Accomplissement pour l‘éducateur qu’il est et qu’il reste, renoncement pour le carme qu’il demeure. Les débuts sont difficiles. C’est une véritable création : il part de rien pour donner une « âme » à cette maison caractérisée par un véritable esprit de famille fait de simplicité et de confiance. Au terme de la visite des locaux avec une famille, l’un des professeurs s’est écrié : « Somme toute, collège moderne, eau, gaz, électricité… et le Père Jacques à tous les étages. » Matériellement, moralement, intellectuellement et spirituellement, il est l’âme de la maison. Il travaille et il fait travailler. Il est à tous, il se donne à tous.
  • 11. Éveilleur, meneur de jeunes, éducateur de l’intelligence et de la liberté, le Père Jacques forme des jeunes responsables, ouverts et accueillants aux autres et à Dieu. Son objectif pédagogique s’énonce clairement : « Former des hommes… des hommes libres… des saints. » Point de course au diplôme, mais de la bonne formation « humaine », complète, jusqu’à la sainteté inclusivement. Il reconnaît l’enfant comme une personne à part entière engageant avec lui un dialogue de personne à personne. Il sait poser sur chacun d’eux un regard d’estime et de confiance. Il réveille le « plus » qui est en chacun. Pour en faire un homme capable d’épanouir toutes ses aptitudes, le Père Jacques a le souci de former l’esprit du jeune au goût du beau par une formation littéraire, artistique et musicale. Pour aider chacun à trouver sa propre voie à travers ses capacités personnelles, il organise des conférences d’orientation professionnelle ou de culture générale. Il a le même souci de veiller sur l’éducation affective des jeunes en les initiant au « mystère de la transmission de la vie ». Il éduque aussi ses élèves à la relation personnelle avec Dieu. Pour atteindre ces objectifs, le Père Jacques se montre inventif dans ses méthodes pédagogiques et il met en œuvre des moyens avant-gardistes à l’époque, tels que la lecture spirituelle, le soir, à la fin de l’étude, le système des groupes et les jeux de nuit.
  • 12. Par son regard il exprime tous les langages du cœur passant de l’approbation confiante à la réprobation muette, de l’étonnement complice à l’émerveillement gratuit, de l’attention perspicace à la compassion encourageante. Rien ne parle plus fort que son regard et ce langage est compris par tous. « Les yeux du Père Jacques, c’est un résumé suggestif des dix premières années d’Avon. Ce regard est d’une mobilité extraordinaire. C’est que toute l’affectivité du Père Jacques passe par ses yeux. Il ne lui reste que ses yeux et ses oreilles. Or les oreilles lui servent bien moins que ses yeux. Et comme il possède une affectivité puissante, il passe par ses yeux toute une richesse d’impressions, de sensations qui en fait un artiste des yeux. C'est l'homme qui peint les murs de couleurs choisies, qui accroche des tableaux de maîtres, visite les salons de peinture, collectionne les images en plan et en relief, recherche partout la couleur jusque dans les foulards de jeu.
  • 13. Par ses yeux passe tout son jugement. Que ce soit pour diriger une tactique de jeu, indiquer un schéma mnémotechnique, organiser un chœur, juger une physionomie, le Père Jacques est maître. Ses yeux sont donc le couloir de l’affectivité et de l’intelligence, de l’art et du jugement. Quoi d’étonnant qu’ils aient aussi la puissance de faire trembler les enfants et les hommes, et comme le dit la légende, de foudroyer les adversaires du combat » (Louis Massé, élève au Petit-Collège de 1934 à 1942, cité par le Père Philippe dans Le Père Jacques, Martyr de la Charité, DDB, p. 229). Le jeune professeur à l’Institution Saint Joseph du Havre ne se contentait pas de son travail de surveillance et d’enseignement. De même le carme-éducateur du Petit-Collège d’Avon ne se contente pas de sa responsabilité de directeur et de professeur. Il refuse rarement une demande de ministère. Il ne craint pas les longs déplacements pour dire la messe, prononcer un sermon, réconforter par sa présence. Il déploie sa mission de carme par les prédications dans des Carmels et d’autres communautés religieuses et dans les paroisses les plus diverses, par l’animation de retraites, l’accompagnement spirituel, la confession. Son apostolat auprès des laïcs est aussi variable qu’intense. Il est disponible à tous les appels et à tous. À côté de son apostolat par la parole, il y a sa correspondance vaste et variée. Son langage clair, simple, direct, sans aucune recherche d’effet de style, est le langage du frère, de l’ami, du confident qui laisse parler son cœur et qui vibre, lui aussi, avec tout son être sensible. Sa façon d’être carme, sa manière de vivre, d’enseigner, de parler, d’écrire incarne le charisme carmélitain authentique et rayonnant.
  • 14. La présence de « l’autre » court comme un fil rouge à travers toute l’existence du Père Jacques, qu’il s’agisse de celui qui est « autre » au niveau social, éducatif ou religieux. Il est attiré par celui qui est différent. Tout au long de sa vie, il se retrouve ainsi, par le choix de ses actes, comme prêtre et comme carme, aux côtés des hommes de toute catégorie sociale, politique et religieuse. Dans le tracé de la vie du Père Jacques, trois étapes relativement courtes mais lourdes de sens, contribuent à forger sa personnalité humaine et spirituelle. Sa mission personnelle de carme s’épanouit dans un « cloître » aux dimensions toujours plus larges. Ces trois étapes représentent quatre ans et demi de sa vie et lui permettent d’approfondir aussi bien le sens de l’essentiel et le sens de l’humain. 1. MONTLIGNON : soldat Pourvu de son baccalauréat, Lucien entre au Grand Séminaire pour quelques mois seulement, puisqu’il devra le quitter pour accomplir ses deux ans de service militaire au fort de Montlignon près de Paris. Il y montre déjà son sens du devoir, du service et de la relation. Il sait aussi bien se faire apprécier des jeunes les plus anticléricaux que gagner ses galons de maréchal-des-logis chef. Il continue aussi d’étudier le soir dans une pièce qu’une famille a mise à sa disposition et où il a apporté ses livres. Sans renier en rien le séminariste qu’il est, il veut donner sens à ce qu’il est contraint de vivre. Il ne se contente pas de subir les événements, il les interprète pour mettre à profit sa formation humaine. Il s’y lance avec sa générosité habituelle, son élan juvénile et son ardeur réfléchie. Il lie rapidement amitié avec les jeunes soldats prêts à malmener ce «curé» en soutane qui, très vite, leur en impose tout simplement par ce qu’il est. Il ne se contente pas seulement de veiller sur leur bien-être physique, mais il éveille leur intelligence en stimulant leur esprit. Il crée une atmosphère familiale, reçoit des confidences et est atteint lui-même par des situations de vie orageuse de ses camarades. « Son action était discrète, c’était un "catalyseur" agissant par sa seule présence ou comme je lui disais en le taquinant "du radium surnaturel" rayonnant sans cesse autour de lui », confie son fidèle ami Antoine Thouvenin.
  • 15. 2. « DRÔLE DE GUERRE » : soldat et prisonnier La deuxième étape surprend le Père Jacques dans sa vie de carme et d’éducateur à Avon lorsqu’il est appelé sous les drapeaux durant la « drôle de guerre ». Il est moblisé dans l’Est de la France du 3 septembre 1939 à juin 1940, puis fait prisonnier à Lunéville de juin au 18 novembre 1940. L’attitude du Père Jacques est une réplique et un approfondissement de celle qu’il avait déjà à Montlignon. Elle est préliminaire d’une autre bien plus cruelle encore. La guerre, toujours, importune. Mais il l’intègre comme processus de maturation et l’accueille, lui trouvant une sorte d’aventure où il se sent appelé à donner le meilleur de lui-même. Il fait l’expérience tant de la misère que de la grandeur de l’homme. La guerre est pour le Père Jacques une grande expérience humaine auprès de ces hommes dont il partage la vie, la souffrance, l’espoir. Il a pour eux un cœur de mère. Il est vraiment l’un d’eux. Avec son sens pédagogique, il réussit à faire de la batterie une grande famille. Il lutte contre la décadence morale causée par l’inactivité. Il mobilise l’esprit de groupe de ses camarades en éditant avec eux un journal à la batterie, appelé « Central-Ecoute ». Il écrit lui-même les éditoriaux et une série d’articles concernant la manière de vivre la guerre en hommes. Il y a aussi les veillées, les causeries familières diffusées par les ondes, les réunions traitant de théologie, de sociologie et de spiritualité, les messes célébrées dans cette paroisse improvisée. Pour son propre compte, il utilise ce temps pour lire et nourrir sa vie spirituelle en s’adonnant à la prière silencieuse et en s’échappant dans la beauté de la nature malgré la rudesse de l’hiver.
  • 16. Au verso de cette photographie, on peut lire ces mots manuscrits : A mon ami, le Père Philippe de la frontière belgo-luxembourgeoise 26 oct.1939 fr. Jacques de Jésus o.c.d. De retour au Petit-Collège d’Avon en novembre 1940, le Père Jacques reprend son travail d’éducateur. Si le directeur d’avant la guerre a pu avoir comme leitmotiv pédagogique « Confiance et Liberté », celui d’après 1940 préfère dire : « Culture et volonté ».
  • 17. D’emblée il refuse les accords de Munich violentant les droits du peuple de Tchécoslovaquie et adopte une position de résistance spirituelle face aux principes nazis basés sur des fondements philosophiques néo-païens bien avant d’entrer dans la Résistance française organisée avec l’accord de son supérieur. Les faits réels sont là et il lui est difficile d’admettre la zone occupée depuis mai 1942, le port obligatoire de l’étoile jaune qui prive du droit de vie tous ces hommes, ces femmes et ces enfants qui comptent trois ascendants d’origine juive, l’envoi des jeunes au STO. Ce qui lui est intolérable, c’est l’injustice sous toutes ses formes : qu’elle s’exprime par le refus d’un élève de partager ses provisions personnelles avec un camarade ou qu’elle se traduise par des discriminations officielles de la part des autorités. Pour le Père Jacques, il s’agit de morale bien plus que de visée politique. Pendant des mois, il cherche et trouve des cachettes dans des familles pour des jeunes recherchés par les Allemands. Pendant des mois il s’ingénue à équiper de faux papiers de nombreux réfractaires au travail obligatoire en Allemagne. Pendant des mois il fournit des pistes menant au maquis à ceux qui veulent se battre ou des relais vers l’Espagne. Le reflet le plus visible de cette action souterraine de résistance à l’idéologie nazie, c’est l’hébergement des trois enfants juifs au Petit- Collège d’Avon au cours de l’année scolaire 1942- 1943. En toute lucidité il sait le danger qu’il court et il a l’accord de son Provincial, le Père Philippe.
  • 18. La journée du 15 janvier 1944 commence dans le calme routinier d’une journée de collège lorsque des bruits de bottes dans les couloirs donnent l’alerte. Policiers nazis munis d’un plan des locaux, du nom des enfants et de l’horaire exact arrivent en force et bouclent le Collège. Ils savent exactement ce qu’ils doivent faire. Ils vont directement dans les classes où se trouvent les trois enfants juifs. Le Père Jacques lui-même est arrêté au milieu du cours de français aux grands élèves. Les enfants avec les professeurs sont rassemblés dans la cour, pour un interminable appel. Les Allemands sont partout, le collège est mis sous scellés. Les trois petits juifs, terrorisés, encadrés de nazis, quittent le collège et mourront quelques semaines plus tard dans la chambre à gaz d’Auschwitz. Lorsque le Père Jacques apparaît en haut de l’escalier entre deux hommes de la Gestapo, un béret brun sur la tête, une valise à la main, calme, serein et souriant, il regarde les enfants, s’arrête en haut du perron et leur crie : « Au revoir, les enfants, à bientôt ! Continuez sans moi ! »
  • 19. 3. CARME-DEPORTE : 15 janvier 1944 – 2 juin 1945 La troisième étape est celle du carme-déporté par les nazis. À partir du 15 janvier 1944 jusqu’au 2 juin 1945, les stations du chemin de croix du Père Jacques s’appellent : la prison de Fontainebleau et le camp de Royal Lieu, près de Compiègne en France, le camp de représailles de Neue Breme, près de Sarrebrück en Allemagne, le camp de concentration de Mauthausen et de Gusen en Autriche et finalement l’hôpital de Linz où il mourra quelques semaines après la libération des camps par les Américains. Le Père Jacques découvrira un « cloître à ses propres dimensions ».
  • 20. Dans la prison de Fontainebleau, le Père Jacques naît à son véritable apostolat. « Il faut des prêtres dans les prisons, si vous saviez… ! » A un compagnon de captivité, il confie : « Je ne veux pas partir, il y a trop de malheureux, trop de souffrances, je le sens, il faut que je reste. Pauvre Charles, toi, tu as de la famille, moi je suis sans attache, c’est mon métier de souffrir… Pourvu qu’ils me laissent ma bure et mon autel. » De sa cellule de prisonnier, il fait un oratoire personnel mais aussi un centre de charité et de fraternité. Jusque dans la petite cour triangulaire des promenades, il organise des causeries, comme s’il était encore au Petit-Collège, au Havre, à Montlignon ou à Remenoncourt. Le 6 mars 1944, avec une trentaine de prisonniers, il est amené en camion vers le camp de Royal Lieu, près de Compiègne. Là aussi, il organise des réunions de prière et des conférences pour tous, catholiques et communistes. « Cela ne m’intéresse pas de ne rencontrer que des chrétiens. Ce sont les autres que je veux rencontrer. » Les communistes applaudissent frénétiquement ce religieux juché sur un tabouret qui leur fait des cours de catéchisme. Il parle de l’éducation des enfants, du mariage, du respect du corps, du sens de la famille, du rôle de l’État, de l’enseignement, de la loi suprême : l’amour de Dieu et l’amour du prochain. Une centaine de détenus de Compiègne se joignent à lui tous les soirs pour réciter le chapelet. Il est alors classé dans la catégorie N.N. (Nacht und Nebel), ces deux initiales qui indiquent l’anonymat définitif auquel les nazis vouaient ceux qu’il fallait faire disparaître à tout prix.
  • 21. Fin mars, le Père Jacques est transféré dans le camp de représailles de Neue-Breme près de Sarrebrück, ce camp de mort d’où personne ne devait sortir vivant. Là l’horreur de la torture sadique défie toute imagination : procession infernale autour d’un bassin durant de longues heures, promenade sur les murets chargé d’une poutre de six mètres sur l’épaule, complètement nu, interdiction de parler. Le « Revier » des malades est transformé dès que le Père Jacques en reçoit la responsabilité. Les malades reçoivent ce qu’il attendent : un peu plus de nourriture et un peu de réconfort moral. Le Père Jacques les leur prodigue avec une telle générosité et un tel oubli de soi-même que même Hornetz, sous-officier du camp célèbre pour ses crimes, en est comme subjugué. Après trois semaines, il est déporté dans un autre monde de baraques surpeuplées, au camp de concentration de Mauthausen en Autriche, puis au camp de Gusen 1, l’un des camps satellites de Mauthausen. On lui arrache son habit de carme, qu’il ne revêtira qu’après sa mort, et il endosse la tenue rayée des bagnards. Il ne baisse pas les bras. Il donne tout : sa nourriture déjà insuffisante, son temps, son sommeil, son écoute. Il se donne lui-même jusqu’au bout. À l’image du Christ.
  • 22. Le Père Jacques de Jésus est le « prophète du Sens » qui aide à tenir debout et à rester libre intérieurement, même si le corps est enchaîné, annihilé. En prison et dans les camps, il montre le sens du combat pour la dignité de tout homme, car il a compris depuis longtemps que l’enjeu de la seconde guerre mondiale est la conception même de l’homme. Comme en 1928, lorsqu'au cours d'un séjour avec ses scouts en Angleterre, le Père Jacques avait pressenti l'urgence de l'œcuménisme, il transforme les baraques en véritable laboratoire d’œcuménisme. Sous son regard de compassion, les codétenus deviennent un grand corps fraternel. Il n’y a plus ni Juif ni Espagnol, ni Français ni Polonais, ni communiste ni catholique au regard de ce carme qui sillonne ces baraques où se concentrent toutes races, langues, peuples et nations et où la faim, la solitude, l’exclusion creusent des traces indélébiles dans les corps et dans les esprits. Les différences raciales sont comme pulvérisées par ce souffle de justice qui le fait courir de l’un à l’autre, inlassablement. Il les rencontre tous, dans leur diversité, sans préjugé, sans a priori. Il est une figure de réconciliation entre Juifs et catholiques, entre Français et Polonais, entre communistes et chrétiens. Avec tous, indistinctement, il parle, il écoute ce langage de cris étouffés et de soupirs exhalés. Il sait qu’ils appartiennent tous à la même patrie : tu souffres, donc nous sommes de la même race. Cet homme a accepté, sans se plaindre, avec résignation et même humour, les coups de pied et de poing, les coups de matraque et toutes sortes d’humiliations sordides, aussi bien à Sarrebrück qu’à Gusen. Cet homme a eu la force d’âme de se priver des maigres rations alimentaires pour permettre à plus faible et à plus jeune que lui de rester quelques heures de plus en vie. Que de Français, d’Italiens, de Polonais, de Juifs, de communistes lui doivent une portion de pain et la grâce de sortir vivants de cet enfer.
  • 23. C’est aussi l’éducateur qui arrive dans les camps. Ses yeux tombent d’emblée sur les plus jeunes, les plus fragilisés. Il réussit à éveiller la pensée et la réflexion dans ce lieu démentiel où l’homme est ravalé à un objet. Il parle et discute de tout, sauf de la mort omniprésente. Oublier où l’on était ! C’est ce que le Père Jacques a réussi à faire avec certains compagnons de Gusen. Imperturbablement, il continue son métier de professeur et au risque de sa vie, se procure même des livres de lecture par les Polonais ou les Espagnols. Dans cette Babel infernale, à peine nourri, revêtu de loques, il discute la pensée de Leibnitz avec un jeune Français au End Kontroll, le hall où il doit vérifier les pièces de fusils durant onze heures par jour. La lutte pour la culture intellectuelle est un acte de résistance aussi nécessaire que celui de manger. Cet homme a eu la force spirituelle de se priver des maigres temps de repos en les employant à écouter, à consoler, à réconforter, à confesser après douze heures d’un travail exténuant à l’usine Steyr. Cet homme n’a pas hésité, malgré la hantise de la corde, de la potence, de la chambre à gaz, à célébrer plusieurs fois l’Eucharistie en présence de ses camarades croyants et de faire descendre le Christ dans ce lieu de misère en bravant tous les interdits, protégé par ses compagnons communistes qui montaient la garde pour échapper à la surveillance des SS. C'est dans les camps qu'il a répondu du plus profond de lui-même à sa vocation d'homme de prière. On a dit que « sa présence était la preuve du Dieu Vivant ». Cet homme a jeté des ponts entre l’Évangile et l’actualité de l’enfer concentrationnaire par la qualité de son regard et du don de soi sans faille. Cet homme a transformé les autres. Il a donné la réponse de l’Évangile, la réponse du Christ qui se donne jusqu’au bout. Il sauve la foi en Dieu en sauvegardant envers et contre tout la foi en l’homme. Le Père Jacques a sauvé tout l’homme. Dans cette société concentrationnaire bâtie sur des fausses valeurs, le Père Jacques est resté aussi grand à l’intérieur qu’il était décharné dans son corps. Nombreux sont les codétenus qui témoignent de sa force prophétique. Relevons un des très nombreux témoignages : « Il s’était attiré l’estime et la confiance, non seulement des croyants, mais aussi des adversaires qui ne parlaient de lui qu’avec un profond respect bien qu’il y en eût de tous les milieux sociaux. Il aimait de toute son âme compatir à la misère de son prochain, être bon à l’égard de tous,
  • 24. amis ou adversaires ; populaire il le fut, vu l’hommage rendu par tous, lorsqu’il tomba malade » (M. Passagez). Le 5 mai 1945, les Américains libèrent le camp de Mauthausen et de Gusen. Mais la libération reste à organiser dans l’anarchie. Le Père Jacques est requis pour l’organisation des secours. Brûlant de fièvre, il continue vaillamment sa tâche comme président du Comité français de Mauthausen et il travaille pendant dix-huit heures par jour. Pressé par ses amis, il consent enfin à s’aliter à l’infirmerie de Mauthausen. C’est là que les deux infirmières de l’Armée française qui se dévouent pour rapatrier les 1250 Français rescapés de Mauthausen et de Gusen le rencontrent. Elles relèvent ce cri unanime des codétenus : « Sauvez le Père Jacques ! » Elles feront tout ce qui est en leur pouvoir. Lui, il se veut solidaire de tous jusqu’au bout et ainsi il refuse de rentrer en France grâce à un régime d’exception dû à sa situation de prêtre. A cinq reprises en l’espace d’à peine un mois, le Père Jacques est transféré de l’infirmerie du camp en appartement privé, du camp français de Linz à l’hôpital autrichien des sœurs de Ste Elisabeth, de la chambre commune en une chambre tranquille où il supplie : « Pour les derniers moments, qu’on me laisse seul ! » La tuberculose très avancée gagne rapidement du terrain dans ce corps affaibli à l’extrême. Au soir du 2 juin 1945, le Père Jacques remet son dernier souffle entre les mains du Créateur. Jusqu’à l’ultime instant et jusque dans la manière dont il regarda en face la maladie qui devait l’emporter, il a donné une leçon de grandeur, une leçon de dignité, une leçon d’humanité. Tous ses engagements antérieurs trouvent leur accomplissement dans les camps de l‘horreur. Ce qu‘il a été, il l‘est pleinement : frère, ami, prêtre, infirmier, éducateur, rassembleur, apôtre, homme de prière.
  • 25. Le 26 juin 1945, par une radieuse journée d’été, le Père Jacques retrouve son Petit-Collège et les habitants du Petit-Collège retrouvent leur directeur qui, dix-sept mois plus tôt, les avait quittés par une journée glaciale d’hiver. Après la cérémonie religieuse, les Pères Carmes en manteaux blancs, les élèves, et les parents d’élèves, les professeurs, ses camarades de déportation, de nombreux prêtres, les autorités et les habitants de Fontainebleau-Avon accompagnent le cercueil du Père Jacques à travers la cour pour rejoindre le petit cimetière du couvent blotti contre le mur du parc du château de Fontainebleau. Comme chant d’adieu sous ce soleil éblouissant, on entonne l’Hymne à la Joie de Beethoven. Le Père Philippe, devenu provincial, prononce une brève allocution. Au moment précis où il dit : « Le Père Jacques parlait de la mort comme d’un jour de lumière égayé du chant des oiseaux » on voit plusieurs rossignols tournoyer tout près, au-dessus du cercueil, en gazouillant frénétiquement. Ce chant d’espérance remontant d’une multitude de cœurs brisés et ce chant de joie des oiseaux, ne serait-ce pas là aussi la signature du Père Jacques de Jésus ?
  • 26. L’enfant qui exprime déjà la vérité du don de soi dans les petites choses, l’adolescent qui cherche le sens de sa vie et de sa voie, le séminariste qui cherche la vérité à travers ses études comme à travers les visages d'enfants, vraie école de prière pour lui, l’adulte qui laisse là sa vocation d’éducateur et de prédicateur pour entrer au Carmel où il lui sera finalement demandé de fonder un collège, l’éducateur qui libère le jeune en lui faisant confiance, le carme contemplatif assoiffé du visage de Dieu cherché dans la foi obscure, toutes ces facettes de sa personnalité laissent entrevoir cet homme habité par deux passions : la passion de Dieu et la passion du frère. Le Père Jacques est un être passionné de Dieu et de l’homme. Il a vécu dans le don de soi jusqu’à l’extrême à l’écoute de la présence de Dieu et à l’écoute de la souffrance de tout homme. Il a tout partagé : le pain quotidien pour le corps, le pain de la connaissance pour l’esprit, le pain de la parole humaine et le pain de la Parole de Dieu. D’une foule affamée de pain et de sens, qu’elle soit composée d’enfants, de jeunes, de paroissiens, de soldats, d’élèves, de résistants ou de déportés, le Père Jacques a réussi à en faire une communauté de table et de vie. Le Père Jacques est habité par des visages et des noms, innombrables. Il est habité par des cris et des silences, innommables. Pour tous il a rayonné ce bonheur de se donner en donnant sa vie, son temps, son écoute, son énergie, son intelligence, son pain, son souffle. Une force prophétique rayonne du Père Jacques de Jésus, pleinement homme parmi ses frères en humanité, pleinement carme à la suite de ceux qui l’ont précédé sur la montée du Carmel, pleinement témoin à l’image du Christ.
  • 27. BIBLIOGRAPHIE  Père PHILIPPE de la Trinité, Le Père Jacques, Martyr de la Charité, (DDB, Études carmélitaines, 1947)  Michel CARROUGES, Le Père Jacques : «Au Revoir, les enfants» (Cerf)  Roger HEIM, La Sombre Route (Librairie José Corti, Paris 1947)  Père Camilo MACCISE, Préposé Général, o.c.d., Une contemplation engagée, le Message du Père Jacques de Jésus, 1900-1945, Réflexions pour le 50e anniversaire de sa mort.  Revue CARMEL N° 110, décembre 2003 : Père Jacques de Jésus, Un éducateur, un apôtre, un témoin. Prière pour demander la béatification du Père Jacques de Jésus Père d’infinie bonté Tu as donné au Père Jacques de Jésus, dès son enfance, Le désir de t’aimer et d’aimer les hommes D’un cœur sans partage. Tu l’as comblé de dons pour l’éducation des jeunes, Tu l’as choisi comme prêtre Tu l’as appelé dans l’Ordre du Carmel. Dans la détresse inhumaine des camps de déportation, Tu as fait de lui un témoin de foi et d’amour Jusqu’au don total de sa vie. Accorde-nous les grâces que nous te demandons Par son intercession et, si telle est ta volonté, Glorifie-le dans ton Eglise Par ton Fils Jésus-Christ, notre Sauveur. Amen. MERCI d’envoyer la relation de toutes les grâces et faveurs obtenues à : Vice-Postulation de la cause du Père Jacques 1, rue Père Jacques F – 77215 AVON CEDEX