Slides du séminaire séminaire du 28.05.2013 de Paola Tubaro, maître de conférences à l’Université de Greenwich (Londres) et chercheure au CMH-CNRS (Paris), dans le cadre de l'enseignement EHESS "Étudier les cultures du numérique : approches théoriques et empiriques"
4. Les communautés « pro-ana » et
« pro-mia »: un défi pour les
systèmes et les normes de santé ?
L'anorexie comme « style de vie »
Potentielles influences négatives
sur les comportements (surtout des
jeunes)
Polémiques autour des communautés « pro-ana »
5. S'interroger plus en profondeur :
provocation et risque, ou entraide et
soutien ?
Une nouvelle sociabilité pour rompre
l’ancien isolement ? Ou un
détachement de la « vie réelle » ?
Quel soutien trouve-t-on
spécifiquement en ligne ?
Quelle influence sur les
comportements ? Et sur la santé ?
Le statut ambigu des communautés en ligne
7. Le projet : ANAMIA ANR-09-ALIA-001
La sociabilité Ana-mia : une approche des troubles alimentaires
par les réseaux sociaux en ligne et hors-ligne.
Partenaires :
- EHESS
- CNRS
- UBO
- Institut Mines-Télécom
- Aix Marseille Université
ANR ANAMIA
8. Le pari du projet ANR ANAMIA :
regarder les réseaux sociaux des
usagers de sites Web liés aux TCA
Mettre en rapport leur structure de
relations avec leurs motivations et
leurs comportements
Connaître leurs relations en ligne, en
comparant avec leurs relations hors
ligne
Au delà de l’observation des sites,
interroger les personnes
La « sociabilité ana-mia »
9. 1. Réaliser une cartographie
des sites/blogs/forums,
dans la webosphère
francophone et anglophone
Une enquête en trois temps
10. 2. Inviter leurs membres
à répondre à un
questionnaire en
ligne
Une enquête en trois temps
12. Multiplicité de méthodes pour affiner le regard
Données web, données d'enquête quantitative, et données
d'entretiens qualitatifs
Méthodes d'analyse de réseaux, analyse de régression,
analyse textuelle, simulation informatique à base d'agents
Réflexion éthique et juridique
Dataviz
Différents types d'analyses
14. Littérature : soutien social et résultats de santé
mortalité (Berkman & Syme 1979)
vieillissement (Ashida & Heaney 2008)
santé mentale (Kawachi & Berkman 2001)
stress (Thoits 1995)
…..
Soutien social et santé
15. Réseaux et soutien
Companionship support: le bien-fait de ne pas se sentir seul
Plus généralement, le soutien se définit comme une aide
mutuelle, avec l'intention d'être utile:
• - Instrumental support
• - Informational support
• - Emotional support
Le soutien passe par les relations – les réseaux.
Connectivité et soutien
16. Le soutien social affecte le
déclenchement et la trajectoire
des TCA (Limbert 2010)
Le succès récent de services de
soutien en ligne (McCormack
2010)
Mais quid du soutien spontané
par les pairs sur Internet ?
Soutien social et TCA
18. Le lien social sur Internet
« Le paradoxe d'Internet » (Kraut et al 1998): une technologie
socialisante qui désocialise ?
Ou complementarité? Internet pour une sociabilité renforcée
(Wellman et al. 2001)
Les TCA et l'isolement (Levine 2012): Internet pour véhiculer
du companionship support?
Pour les personnes avec TCA, y a-t-il tension entre relations
en ligne et relations en présentiel?
Une approche par les réseaux : la connectivité
19. Les liens sur Internet et le capital social
Des formes de soutien différentes viennent de parties
différentes d'un réseau social (Fischer 1982)
Les interactions en ligne peuvent faciliter l'accès à certaines de
ces ressources (Ellison et al 2007)
Intermédiation et groupes fermés (Burt 2005) dans les réseaux
en ligne (Shen et al 2012)
Les relations en ligne offrent-elles des formes
spécifiques de soutien aux personnes avec des TCA?
Une approche par les réseaux : le capital social
20. Radicalisation par les relations sociales?
Creation de connaissance par le partage de l'expérience dans
les communautés web sur la santé (Akrich 2010)
Les effets de la structure des liens sur les attitudes et les
comportements de santé (Centola 2010)
La recherche de soutien en ligne indique-t-elle un rejet des
normes et des institutions médicales, par les personnes ayant
des TCA?
Une approche par les réseaux: les orientations de santé
22. Pour répondre à ces
questions:
utiliser les données de
l'enquête en ligne...
...en combinaison avec les
entretiens qualitatifs
Les données
23. Reconstituer des réseaux personnels : deux étapes
Deux étapes dans l'enquête en ligne
(Bidart & Charbonneau 2011):
1. Reconstituer son réseau personnel
en général, en deux sous-étapes:
1.1 en présentiel
1.2 assisté par ordinateur
2. Identifier son réseau de soutien
pour des enjeux de santé
24. Dans le questionnaire en ligne,
une application graphique
permettait aux participants de
dessiner leurs réseaux personnels
Insérer des connaissances, les
positionner autour de soi, les lier
entre elles, les grouper
Deux réseaux chacun, face-à-face
et en ligne
Etape 1 : Les réseaux personnels généraux
25. Deux scénarii
Pour identifier les réseaux de soutien, nous demandions aux
participants d'imaginer:
- Un cas grave (devoir se faire hospitaliser)
- Un cas plus banal (perte de cheveux)
A qui voudraient-ils parler dans chaque cas?
Ils pouvaient choisir entre les personnes déjà nommées (en
ligne et/ou en présentiel) ou en rajouter d'autres.
Etape 2: les réseaux de soutien
26. Les données empiriques: les participants
284 réponses au questionnaire (136 FR, 148 EN)
Majorité de femmes, 21 ans en moyenne, 65 % étudiants, 40%
travaillent
La majorité habite avec la famille, en colocation, ou en couple
40% ont un partenaire stable
Utilisation intense d’Internet
IMC moyen normal, avec plus de 30 % sous-poids
Dominance de troubles mixtes (environ 40 %), puis anorexie
mentale, boulimie mentale et compulsions alimentaires
27. Exemples de réseaux en présentiel
Les réseaux personnels des participants (1)
30. La majorité des connaissances citées
sont en présentiel
Internet enrichit la sociabilité des
personnes, mais ne se substitue pas
aux autres relations
Intersection (contacts hors ligne et en
ligne) indique continuité entre les deux
sphères relationnelles
Une sociabilité enrichie
« Je l’ai connue euh... sur un forum, il y a deux
ans et demi. Et euh... on s’est rencontré l’été
dernier, l’été 2010 et euh... c’est devenu ma
meilleure amie, maintenant, on se quitte plus »
31. Les contacts entretenus
seulement en ligne sont
généralement moins proches
En présentiel, on trouve un peu
plus de contacts très proches
Proximité relationnelle et modes d’interaction
32. Les connaissances très proches
et intimes sont entretenues à la
fois en présentiel et en ligne
Internet offre de moyens
additionnels de maintenir des
liens forts avec des proches et
très proches…
… tout en permettant d’en créer
de nouveaux, plus faibles, avec
des personnes moins proches
Proximité relationnelle
33. En général, on mobilise davantage
ses relations en présentiel
Une tendance un peu plus forte pour
les gros problèmes
A qui demander du soutien?
34. Face à des problèmes, on
se tourne davantage vers
des relations entretenues à
la fois en présentiel et en
ligne
On mobilise surtout les relations hors ligne ET en ligne!
Connaissances hors ligne et en ligne.
35. Petits soucis: soutien informationnel
(information, conseil, guide)
Gros problèmes: soutien non
seulement informationnel, mais aussi
émotionnel (sympathie,
encouragement, affection, confiance)
ou instrumental (aide concrète,
assistance matérielle).
Quel type de soutien, pour quel type de problèmes?
Perte de cheveux:
S. nomme une amie, dont la mère est
pharmacienne;
E. nomme une amie « qui connaît tout ce qui est
médical », son médecin et une infirmière
psychiatrique.
Hospitalisation:
R. a été réellement hospitalisée, et s’est adressée
à sa mère et sa soeur, parce que « c’était un
moment où j’étais vraiment très isolée » ;
B. chercherait « mes proches, ma famille, mon
copain, mes amis les plus proches ... puisqu’ils me
connaissent, ils sauront me comprendre... je leur
ferais confiance »
36. C’est surtout face à des
problèmes sérieux, que l’on
s’appuie sur des relations intimes
et très proches
Ce sont en effet les plus proches
qui peuvent offrir du soutien
émotionnel ou instrumental
Par exemple, le soutien du
partenaire n’est recherché que
pour les gros problèmes
Proximixité relationnelle et soutien émotionnel
37. Pour les petits soucis, cette
tendance est attenuée
Le soutien informationnel n’exige
pas nécessairement la proximité
Proximité relationnelle et soutien informationnel
38. En dehors d'Internet, on s’appuie sur
des relations individualisées, dans
des espaces moins cohésifs
En revanche sur Internet, les
connaissances mobilisées sont
plus souvent en relation entre
elles
Elles tendent toutefois à former des
structures de relations séparées
les unes des autres
Séparer ses sources de soutien
39. Des groupes non reliés entre
eux, ne peuvent pas
s’entendre pour imposer
des contraintes fortes sur
une personne :
– se sentir jugé
– se voir obligé
d’entreprendre des soins
contre son gré
– subir du contrôle sur son
alimentation
L’hypothèse de la contrainte
« j’ai pas envie que tout le monde soit au courant
non plus, parce qu’après on sent épiée pendant les
soirées »
« [mes] amis trop proches, j’ai pas trop
envie de trop les embêter avec ça. »
« et il y a cette réserve euh... qu’on a quand
on connaît les... gens, en fait. »
« la personne réelle, avec qui je peux parler de ça
[l’alimentation], c’est personne. Il y a personne. »
40. S’appuyer sur des relations
individualisées – des groupes
et des contextes sociaux
n'interagissant pas les uns
avec les autres
Séparer ses sources de soutien
je chercherais certainement celles euh... qui
l’ont déjà vécu et. . . voir euh... comment ça
c’était passé pour elles. Parce qu’autour de
moi, ils auraient pas vécu ça et ils
comprendraient pas forcément
41. En ligne, on s’adresse à des
groupes spécialisés, souvent
séparés des autres contextes
sociaux (un forum en ligne)
La contrainte et le soutien informationnel
je suis une tout autre personne par rapport à mon
blog que par rapport à Facebook. Facebook, je suis
celle que tout le monde connaît et puis le blog, c’est
celle dont personne ne doute
c’est deux mondes différents, il y a les gens du forum
et euh... le reste. Le reste est sur Facebook. [...]
qu’est-ce qui sépare ces deux mondes ? Le fait que...
ils ne soient pas au courant [...] deux mondes
différents et... qui n’ont pas à se côtoyer
42. La recherche de soutien en
ligne indique-t-elle un rejet
des institutions de santé ?
Un premier indicateur : plus de
la moitié de nos
participants ayant un
trouble sont suivis
médicalement (plus que
dans des estimations
précédentes).
Quel rôle pour les professionnels de santé?
[Pour accueillir une nouvelle personne dans un
forum] déjà, je vérifierais qu’elle est suivie.
Parce que... parce que le problème, en fait,
euh... quand on accueille des personnes qui ne
sont pas suivies sur un forum, c’est qu’on se
sent responsable d’elles et c’est pas notre rôle
43. Un deuxième indicateur: les
professionnels de santé sont
toujours très recherchés quand on
a un problème !
Effet un peu plus fort avec petits
soucis (soutien informationnel)
Rejet de l’hypothèse d’une
opposition nette entre les
communautés ana-mia et les
normes et institutions médicales.
Professionnels de santé et soutien
Doctor
44. Les communautés en ligne et des besoins à satisfaire
L’écoute, la compréhension : s’il y a un message qu’il faudrait faire passer, ce serait de dire aux médecins d’écouter
les anorexiques et les boulimiques, ce sont pas des personnes futiles qui ne s’attachent qu’aux apparences et euh...
ça cache un vrai mal-être
L’information : on avait créé un forum… enfin un blog euh... sur ça euh... pour essayer de… de mettre toutes les
études américaines qui… qui sortaient là-dessus. [...] Parce qu’on avait mis un mot sur un mal et il y a beaucoup de
personnes qui disaient ‘ah, c’est donc ça dont je souffre et personne me prend au sérieux’. Donc, ça a permis de
recueillir des… des témoignages. Malheureusement, comme on n’était pas médecins, bon, voilà, on n’avait pas de
solutions
L’aide concrète : c’est quand même nécessaire de faire savoir que… même les personnes qui ne sont pas… qui sont
pas maigres ou qui ont pas besoin d’une hospitalisation en urgence sont tout aussi mal et il y a beaucoup aussi de…
de tentatives de suicide à cause de ça
... je pense que, enfin… déjà, on devrait pouvoir accéder aux services anorexie, boulimie des hôpitaux, sans devoir
atteindre des poids extrêmement dangereux ou avoir des problèmes de santé graves. Si euh... quand… on commence
à aller mal, on nous aidait vraiment au lieu de nous dire ‘écoute, maintenant, tu vas voir un psy, tu manges mieux
et puis basta’, je pense que ça pourrait aller mieux.
Pas de rejet, mais de nombreuses demandes
46. Revoir des idées reçues sur le phénomène « pro-ana »?
Conclusions
Les relations en ligne ne se substituent pas aux relations
hors ligne, mais les complètent ;
Différents types de soutien sont recherchés, en fonction des
types de problèmes rencontrés ;
Le poids de la « contrainte » : séparer les groupes (en
ligne), séparer les contacts individuels (en ligne et hors
ligne) ;
La recherche de soutien en ligne n’indique pas un rejet des
institutions médicales.