1. Certificat VSO Français oral – Nouvelles 100% - éd. Milan 1992 juin 2002
sur l'enveloppe, elle venait en tête de liste,
1
Adélaïde, suivie de Mylène et Ralph, les
parents, puis de Edith-Didi, Zoé-Zouzou, et
Adèle-Mortadelle. L'aîné des Schmitt était
en fugue; à côté de son prénom : un point
14, RUE MANSARD d'interrogation. Sous l'adresse de Louis
Breton qui rentrait d'un séjour à l'hôpital :
Anne Bechler un «Bon rétablissement» écrit avec des
Illustration : Thierry Christmann pleins et des déliés admirables. Même
Hercule N'Gueye, revenu, assez abattu, la
nuit même, du Sénégal (où son équipe de
foot avait raté de peu la Coupe d'Afrique),
trouva le message le lendemain, et se
passa plusieurs fois en le lisant les doigts
dans sa tignasse crépue.
AVIS DE PASSAGE Oui, le mystérieux épistolier semblait
redoutablement informé sur chaque fait et
geste des locataires. Preuve supplémentaire
Chers habitants du 14, et irréfutable : il SAVAIT que Mme Michel
avait un chat, en secret (croyait-elle), et
cela en dépit du règlement intérieur qui
J'ai le plaisir, l'honneur et l'avantage interdisait formellement la présence
de vous annoncer ma visite, chez vous, d'animaux dans la maison. Au dos de son
les 20, ou 21, ou 23 mars prochains. enveloppe était dessiné un matou sépia et
débonnaire, avec une sorte de bâillon
D'ores et déjà je me réjouis de notre
énigmatique autour du museau.
rencontre et j'ose espérer qu'il en est
un peu de même pour vous. Mme Michel, à l'instar d'autres
destinataires de l'étrange AVIS DE
A très bientôt, chers habitants du 14.
PASSAGE, se posa moult questions et se
perdit en suppositions incertaines. Comme
elle, ceux qui, à la seule vue de
Paul - Votre centenaire.
l'enveloppe, s'étaient sentis découverts,
repérés, l'examinèrent longuement, au
recto et au verso, la triturèrent, éprouvant
sous leurs doigts le grain du papier, la
V oici, dans son intégralité, le
message que découvrit dans sa
boîte aux lettres chaque résidant de
soupesant comme si elle renfermait une
menace, quelque chose qui pourrait leur
éclater à la figure. Les autres, les distraits,
l'immeuble sis au 14 de la rue Mansard, en les préoccupés, les blasés, les indifférents,
ce début du mois de mars 1991. Les lettres les effarés, les méfiants, les excédés,
étaient toutes écrites à la main, à l'encre ramassèrent leur courrier du jour,
couleur sépia, calligraphiées avec élégance déchiffrèrent le message en haussant les
et fermeté sur un beau papier très blanc dit épaules, en secouant la tête, avant de le
« toile de Saint-Louis ». Chaque enveloppe glisser dans leur poche, ou dans la poubelle
portait les noms, prénoms, sobriquets ou à gauche de l'entrée. Mais on vit certains
diminutifs exacts des cent neuf habitants faire quelques pas sur le trottoir, se raviser,
des vingt-huit appartements de l'immeuble. relever le col de leur pardessus et revenir
Et, visiblement, l'expéditeur était au farfouiller dans la poubelle afin d'y
courant de tout. retrouver leur lettre.
Il n'ignorait pas, par exemple, que Mme Curieusement, personne ne fit part à
Grondin avait quitté M. Grondin depuis un son voisin de l'arrivée du message du
mois, puisqu'il l'avait barrée, sur l'adresse centenaire. Ni dans l'ascenseur, ni près des
des Grondin. Il savait aussi que les Forest boîtes aux lettres, ni autour des poubelles,
avaient accueilli chez eux Mme Forest mère seuls endroits où, parfois, les habitants du
(la grand-mère des trois petites Forest) : 14 de la rue Mansard échangeaient
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quelques courtes impressions sur le temps, transportait dans la poche intérieure de ses
la repousse inégale des pelouses ou l'état vestons. Mais il ne pouvait s'agir là de
toujours dé-plo-ra-ble de la cage d'escalier. preuves, loin s'en faut, ni même d'indices.
Derrière ses lorgnons, Paul le centenaire Et pourtant... Dès 1912, on surprenait cette
jubilait. Il occupait depuis une petite conversation, à propos de Paul, dans un
trentaine d'années un appartement petit village de l'Oise où il avait exercé le
minuscule au rez-de-chaussée de métier de ramasseur de quilles :
l'immeuble. (L'ancienne loge du concierge,
- Moi j'te l'dis, Fredo : c'te gars-là, pour
que les locataires croyaient affectée à un
sûr, il a un secret !
vague service administratif.) L'une des
fenêtres donnait sur l'alignement des vingt- - Non ?
huit boîtes aux lettres, l'autre presque à ras
- Si !
du gazon, sur les premières pâquerettes et
le trottoir. Pour qui voulait saisir le moindre Ce qui était absolument sûr, c'était que
mouvement de la maisonnée, c'était le Secret de Paul n'avait rien à voir avec les
l'appartement idéal. «secrets de centenaires» que les journaux
livrent de temps à autre à leurs lecteurs.
Paul avait toujours été myope. Ce qui
ne l'avait pas empêché d'exercer au cours • De notre envoyé spécial à Doudinka, en
de son siècle de vie des activités très Sibérie septentrionale :
diverses, comme, entre autres, souffleur de
- Cher monsieur Piotr Ivanovitch,
verre, artiste de variété, hussard,
pour nos lecteurs français,
feuilletoniste dans un quotidien de
acceptez-vous de nous révéler le
province, marchand de bois précieux au
secret de votre étonnante longévité
Congo, peintre sur verre... Doté d'une belle
?
voix de baryton, il fut même un chanteur
d'opérette très en vogue dans les années - DA, DA ! MATIN : LAIT CAILLE,
trente. Cependant, en 1937, une chute BEAUCOUP LAIT CAILLE; MIDI :
malencontreuse dans la fosse d'orchestre, BISON FUME; SOIR VODKA,
au cours d'une représentation des Cloches BEAUCOUP VODKA...
de Corneville, où il chantait sans lunettes,
• De notre envoyé spécial à Kyoto, au
l'obligea à faire ses adieux à la scène.
Japon
C'est alors qu'il entama une autre
- Chère madame Keiko Iamasura,
tranche de sa vie de centenaire en
pour nos lecteurs français,
embarquant, en février 1938, sur le
acceptez-vous... etc., etc.
paquebot Sirius en partance pour l'Afrique.
- HAI, HAI, MATIN : ALGUES
Était-ce là-bas qu'il fut initié au
FRAICHES, BEAUCOUP ALGUES
Secret ? Ou peut-être le Secret aurait-il été
FRAICHES; MIDI : POISSON CRU;
l'unique but de son voyage ? Il aurait donc
SOIR SAKE, BEAUCOUP SAKE.
trouvé cet emploi de négociant en bois
précieux à seule fin de pouvoir payer sa • De notre envoyé spécial EN
traversée et son séjour ? Or, dans ce cas, CALIFORNIE, en direct de la résidence
cela signifiait qu'il avait eu connaissance du des célèbres jumeaux centenaires :
Secret bien avant son départ. Comment ?
- Chers messieurs William et Owen
Par qui ? Hélas, tout ce qui se rapportait au
Irving, pour nos lecteurs français,
Secret dans la vie de Paul était
acceptez-vous... etc., etc.
indéchiffrable. C'était posé comme un voile
translucide et léger. De loin, on ne - OH YES, YES ! MATIN : CORN
remarquait rien. Rien ne distinguait Paul FLAKES, BEAUCOUP CORN FLAKES;
des autres humains. Sinon ses goûts un MIDI : CORNED BEEF; SOIR :
peu voyants en matière d'habillement et BOURBON, BEAUCOUP BOURBON.
son penchant immodéré pour les tubes de
(On le voit, non seulement ces
lait concentré sucré. Dès leurs premières
«révélations» sont bien maigres, mais elles
apparitions à l'étal des épiceries fines, juste
ont des retentissements désastreux sur la
après la Grande Guerre, il en fit un usage
santé des lecteurs de faible constitution.)
intensif et régulier, et ne sépara plus jamais
de son fameux tube blanc et bleu qu'il
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Non, le secret de Paul était d'une tout - 100 printemps ! On y est, Paul, on y est !
autre nature. Il ne tenait ni dans une Oh, mais on ne va pas y aller tout seul.
assiette, ni dans un verre, ni dans un tube Que nenni ! On va aller voir les autres là-
de lait concentré sucré. Ce n'était pas un haut et... tiens, on va leur offrir... LE
secret de longévité. Paul lui-même CADEAU DU SIÈCLE ! Voyons... comment
s'étonnait chaque jour de son âge et de son procéder, hmm ? Voyons un peu.
état général exceptionnels. De temps en
C'est ainsi que Paul en arriva à la
temps, (mais de temps en temps
rédaction de l'AVIS DE PASSAGE.
seulement) lui montait une grosse bouffée
d'orgueil. «Cent ans, tu te rends compte, Ensuite, son grand sujet de
Paul ! Tu m'épateras toujours, va !» Ainsi préoccupation fut sa tenue. Il voulait (et
se parlait-il, Paul, en se contemplant dans c'était bien normal) ne négliger aucun
le miroir de la salle de bains, certains jours. détail, pour apparaître sous son meilleur
jour, les 20, 21, 22 et 23 mars. Il songea à
Le Secret n'avait pas épargné à Paul les
louer un frac, glisser un brin de muguet à
épreuves, et ne l'avait pas mis à l'abri des
sa boutonnière et rouler ses cheveux en
peines. Mais sans lui, aucun des instants de
toupet sur le devant, à la façon des
sa vie n'aurait eu cet éclat spécial, cette
chansonniers des années vingt. Mais «trop
rondeur, cette intensité, cette lumière, ce
cabotin», trouva-t-il. Il chercha autre chose
nacre, que le Secret donnait aux choses.
(et... il n'avait plus que sept cheveux, qui
Toutefois, depuis son installation au se cramponnaient vaille que vaille, sur le
numéro 14, Paul ne s'était lié avec sommet de son crâne; pour le toupet, cela
personne. Il menait une vie de n'aurait pas suffi). Et s'il sortait de la
précentenaire discrète, inaperçue. Les seuls naphtaline un des grands boubous de
à s'interroger à son sujet étaient les cérémonie que lui avait offerts le chef
facteurs préposés à la distribution du Adekunla ? «Trop exotique.» Alors, quoi ?
courrier de la rue Mansard. «Mais il reçoit Un costume de scène ? Celui du cardinal,
un vrai courrier de ministre, celui-là !» dans Les Mousquetaires au couvent ? «Trop
s'étonnaient-ils chaque semaine. A ceci ecclésiastique».
près qu'aucun ministre au monde ne
recevait de colis, de lettres, de cartes, aussi
disparates que ceux de Paul. Quelles lettres
! Quelles cartes ! des papiers de toutes les
couleurs, de toutes les textures, des
formats insensés, en désaccord total avec
les normes réglementaires de La Poste.
Paul répondait à tous les envois,
confiant chaque jour au facteur plusieurs
échantillons de sa belle écriture sur ses
beaux papiers blancs.
Mais son courrier aux habitants du 14,
il s'était chargé de le glisser lui-même dans
les boîtes, l'après-midi, peu après quatorze
heures, à «l'heure des repasseuses»
(comme on dit à la radio).
L'idée du «passage» lui était venue
quelques jours auparavant, au moment
précis où il soulevait la feuille de FÉVRIER»,
pour la faire basculer de l'autre côté du
calendrier et qu'apparaissaient, rangés en
ordre impeccable, les trente et un jours de
MARS. En face du 20 mars étaient inscrits
côte à côte les mots «printemps» et «cent
ans».
Cette fois, Paul mon petit, se dit-il
tendrement à voix haute, c'est pour de bon
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J'AI SONNÉ, PERSONNE N'A OUVERT.
QUEL DOMMAGE. REGRET. PAUL - VOTRE
CENTENAIRE.
Il faut dire qu'il ne sonna pas à toutes
les portes. («Mais alors il a triché !»
s'écrieront quelques esprits chagrins). A
quoi bon, s'était dit Paul, à quoi bon forcer
ces portes-là. Derrière, tout est déjà éteint.
Il faudrait des forces neuves pour remettre
une étincelle de vie derrière ces portes.
C'est un trop gros morceau pour moi. Hé,
qui sait ? L'une des jeunesses de la maison
se chargera-t-elle du travail ? Paul songeait
surtout à Adèle-Mortadelle, en qui il plaçait
beaucoup d'espoir, bien qu'elle n'eût que
six ans et vingt jours.
Débarqué sur le palier du septième, il
glissa deux bristols glacés sous les portes
de part et d'autres de l'ascenseur, et réjoui,
sonna chez les Forest. Adèle-Mortadelle vint
lui ouvrir.
- Qui c'est ? demanda quelqu'un la
bouche pleine.
- C'est PAS un vieux bonhomme avec un
joli gilet.
Paul ne broncha pas; il connaissait l'oisillon.
- Eh bien, fais-le entrer, et surtout, ne
claque pas la porte ! dit une autre voix,
une voix d'homme.
Paul pénétra dans l'appartement. Mme
Finalement, il opta pour une tenue Forest mère trottina à sa rencontre et le
sobre et de bon goût : pantalon de velours guida vers la cuisine. Elle s'enquit d'une
beige, pull noir à col roulé, le tout égayé voix douce :
par un magnifique gilet aux impressions - Vous êtes Paul, n'est-ce pas ? Vous
cachemire, très chaudes, doublé de soie avez cent ans vraiment ? Oh ! vous ne
rouge, et rehaussé sur le devant de les faites pas du tout, mais alors là, pas
brandebourgs de passementerie noirs. du tout; et je ne dis pas ça pour vous
Cette question essentielle de vêture flatter, vous savez. N'est-ce pas Ralph,
réglée, il occupa beaucoup du temps qui qu'il est étonnant, cet homme ?
restait jusqu'au 20 mars à observer ses - J'aime beaucoup votre gilet, Paul. Où
colocataires avec encore plus d'attention l'avez-vous trouvé ? intervint Mylène.
que d'habitude. Durant cette période, ses
échanges postaux s'intensifièrent de façon - Vous déjeunerez bien avec nous ? Nous
notoire. On avait dû adjoindre au facteur avons de la flamiche aux poireaux.
titulaire, surmené, un facteur stagiaire, J'espère que vous aimez ?
uniquement chargé du courrier de Paul. S'il aimait la FLAMMICHE AUX
Enfin, le 20 mars à onze heures trente, POIREAUX ! Paul glissa sa main gauche
Paul s'engouffra dans l'ascenseur et dans sa poche, resserra ses doigts autour
s'envola jusqu'au septième. Il savait bien d'un petit galet gris et ferma les yeux :
que sur les vingt-huit portes de l'immeuble, J'ai cent ans, c'est le printemps, et là
certaines resteraient closes. pour celles-ci, dans quelques secondes, je vais porter à
il avait préparé un mot, sur un bristol ma bouche un bout de FLAMMICHE AUX
glacé :
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5. Certificat VSO Français oral – Nouvelles 100% - éd. Milan 1992 juin 2002
POIREAUX. Paul, mon petit, ceci est un un peu de tout ce qui retenait son regard
moment parfait. entre le 14 de la rue Mansard et son école.
A cet instant, la porte d'entrée claqua Paul répondait. Pas que Paul, du reste :
avec une violence telle que tout le palier elle recevait des réponses du monde entier.
sembla vaciller. Réponses qui contenaient des éléments
aussi intéressants que les siens, bien que
- Adèèèle ! gémirent cinq voix en chœur.
fort différents. Par exemple, une certaine
Paul quitta l'appartement des Forest en Naïssa, âgée de huit ans, lui envoya
fin d'après-midi. Il s'apprêtait à appeler d'Égypte une peau de serpent et des
l'ascenseur lorsque la porte de gauche coquillages.
s'entrouvrit. La triste et pâle figure de M.
Le 14 de la rue Mansard connut de
Grondin parut dans l'entrebâillement. Il
profonds bouleversements. M. Fayet, du
tenait à la main le bristol de Paul.
quatrième, organisa dans le hall d'entrée
- Excusez-moi, vous ne seriez pas... des expositions photos dont la première
Paul ? Je suis désolé de ne pas avoir s'intitula : «Exposez vos portraits de
entendu votre coup de sonnette. Mais, famille». Il y eut des concerts sur la
venez, je vous en prie, entrez Paul, pelouse, et des chœurs spécialement
entrez. composés pour être chantés de balcon fleuri
à balcon fleuri. Hercule lâchait dans la cage
Paul fit encore une autre visite ce soir-
d'escalier des bouffées d'ylang-ylang, de
là puis, fatigué, descendit se coucher. Le
jasmin, de santal, de citronnelle, selon les
lendemain, il commença plus tôt. Au cours
jours. Les Forest donnèrent sur le palier du
de la journée, il fit la connaissance de
septième des «soirées poireaux»
Minguette, le chat tigré de Mme Michel,
fastueuses. Mme Michel se mit à
d'Hercule, qui lui fit sentir sa collection
s'intéresser au fonctionnement de la
d'huiles parfumées, du petit Vincent,
chaudière, et aux installations électriques.
inconsolable à cause de la disparition de
M. Grondin reprit des couleurs. Il y eut
son vélo bleu. Il parla peinture avec un
quelques déménagements (très peu). L'aîné
locataire du troisième et chanta à tue-tête
des Schmitt revint de fugue sur le vélo bleu
Le tango des fauvettes avec Julien, du
du petit Vincent. Il se révéla un excellent
premier. Les visites se poursuivirent deux
mime et fut chaudement applaudi à
jours encore. Paul connut quelques
chacune des représentation. Adèle exigea -
déconvenues : des gens, pour qui il n'avait
et obtint - la suppression du «Mortadelle»
pas préparé de bristol, refusèrent tout net
qui lui pesait sur l'estomac depuis quelque
de lui ouvrir la porte, ou la lui refermèrent
temps déjà. Le bureau de poste du quartier
sèchement au nez. Mais l'inverse aussi se
dut affréter une fourgonnette jaune La
produisit, trois fois : des portes inattendues
Poste spécialement pour venir déverser
s'ouvrirent en grand. Chaque visite fut
tous les matins l'ahurissant courrier du 14,
différente, unique. Chez certains, Paul parla
rue Mansard.
beaucoup, chanta, récita, commenta; chez
d'autres, il ne fit qu'écouter, ou regarder, Comme Adèle, chaque locataire qui
ou caresser. Mais tous ceux qui l'avaient envoyait un petit mot à Paul recevait des
reçu se trouvaient désormais en possession dizaines de réponses. Que s'échangeaient-
du Secret. ils donc, tous ces expéditeurs et tous ces
destinataires ? Des «petits riens». Ces
La fatigue et les émotions accumulées
centaines de «petits riens» qui se déroulent
au cours de ces quatre jours obligèrent Paul
sans arrêts, sans qu'on y prenne garde, à
à prendre du repos. Quelqu'un vint le
chaque instant. Avec le Secret de Paul, les
chercher dans une voiture verte pour
«petits riens» devinrent autant
l'emmener en Bourgogne.
d'événements passionnants, palpitants, ils
Adèle-Mortadelle fut très affectée par se détachaient les uns des autres, comme
ce départ. Elle décida d'envoyer chaque des bulles de savon irisées et chacun
jour à Paul une lettre, sur laquelle elle pouvait les admirer. Il y en avait tant qu'on
collait des bouts de feuilles, des herbes, des ne pouvait les voir tous, mais on trouvait
fleurs, des morceaux de tissu ou d'écorce, toujours quelqu'un pour vous raconter ceux
des traînées de pollen, des petites plumes, que vous aviez raté.
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Ainsi, au 14, rue Mansard, chaque saisissant les cailloux. Tu viens de
journée devint une affaire extrêmement trouver des «petits riens».
importante. Il fallait une vigilance sans
- Des petits riens ? avait demandé Paul
faille pour ne laisser perdre aucun «petit
étonné.
rien»; il fallait, en outre, de l'imagination et
de l'énergie pour faire connaître à son
entourage ses «petits riens» préférés.
Des «petits riens», c'était là le nom du
Secret de Paul. Alors qu'il était enfant, il
avait trouvé dans le lit d'un ruisseau des
petits galets gris très plats, ovales, et très
doux au toucher. Fier de sa découverte, il
les avait apportés à sa grand-mère que l'on
disait un peu sorcière (on ne les avait pas
encore toutes brûlées à cette époque).
- Paul, mon petit, comme tu es
chanceux ! s'était-elle écriée en
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