2. Bibliographie :
Ouvrages généraux sur le néo-impressionnisme et la couleur :
- Félix FÉNÉON, « Le néo-impressionnisme », revue l’Art moderne, 1er mai 1887.
- Félix FÉNÉON, « La peinture optique : Paul Signac », revue Les Hommes d’aujourd’hui, n°373, mai 1890.
- Charles HENRY, « Introduction à une esthétique scientifique », Paris, 1885.
- Paul SIGNAC, « D’Eugène Delacroix au néo-impressionnisme », 1899.
- Maurice ELIE (universitaire, philosophe, auteur d’ouvrages sur la théorie des couleurs), « Couleurs & Théories, une
anthologie commentée des théoriciens de la couleur », Nice, Éditions Ovadia, 2010.
Ouvrages sur Paul Signac et Félix Fénéon :
- Françoise CACHIN (historienne de l’art et conservateur de musée), « Signac, catalogue raisonné de l’œuvre peint
», Paris, Gallimard, 2000.
- Anne DISTEL, John LEIGHTON et Susan STEIN (dir, conservateurs du patrimoine), « Signac 1863-1935 », édition
Réunion des musées nationaux, Paris, 2001.
- Erich FRANZ (dir, historien de l’art), « Signac et la libération de la couleur, de Matisse à Mondrian », édition
Réunion des musées nationaux, Paris, 1997.
- Joan U. HALPERIN (historien de l’art), « Félix Fénéon », Paris, Gallimard, 1991, édition française de « Félix
Fénéon, Aesthete and Anarchist in Fin-de-siècle Paris », Yale University Press, 1988.
Ouvrage spécialisé sur l’oeuvre :
- Françoise CACHIN, « Le portrait de Fénéon par P. Signac, une source inédite », La revue de l’art n°6, pages 90-
91, 1969.
3. Paul Signac (1863-
1935)
- Naissance à Paris le 11 novembre 1863.
- En 1880, il quitte le lycée, s’installe à Montmartre et commence
à peindre. Il est doté d’un esprit anticonformiste, ce qui le lance
dans une carrière d’artiste-bohême sans grande perspective, son
père étant décédé alors qu’il était jeune et sa mère respectant ses
choix.
- Début d’une grande amitié avec Georges Seurat à partir de 1883
et jusqu’à la mort de ce-dernier en 1891. Il devient le disciple de
Seurat et perfectionne le « pointillisme » ou « néo-
impressionnisme » initié par Seurat lui-même quelques années
plus tôt.
- Il cofonde le 19 juillet 1884 avec plusieurs autres artistes dont
Seurat la Société des artistes indépendants.
- Signac perfectionne également la technique dite
« divisionniste », qui avait été abordée par Seurat en 1884 sous le
nom de « chromo-luminarisme », mais que Signac a complexifié
en essayant de prendre en compte tous les aspects de l’impact de
la lumière sur la rétine.
- Il publie « D’Eugène Delacroix au néo-impressionnisme » en
1899, que Delauney qualifiera de plus pertinent ouvrage
théorique sur la lumière et les couleurs publié jusqu’alors. Signac
voit en Delacroix et sa technique du flochetage le précurseur du
« divisionnisme ».
- Il a une expérience difficile de la Première Guerre Mondiale, Il
est nommé peintre officiel de la Marine en 1915.
- La dernière partie de sa carrière est avant tout consacrée à
l’aquarelle et à représenter les ports de France, il meurt en 1935
à l’âge de 72 ans.
Portrait de Paul Signac, par Georges
Seurat, couverture de la revue Les Hommes
d’aujourd’hui, n°373, mai 1890.
4. Félix Fénéon (1861-1944).
Félix Fénéon est avant tout connu pour être un
critique d’art avisé et avant-gardiste, apprécié
pour ses collaborations très riches à de
nombreuses revues de son époque (Le Chat
noir, La Revue Blanche, Les Hommes
d’aujourd’hui etc...). Découvreur de
Rimbaud, ami de Mirbeau et Mallarmé, il
prophétisera le succès littéraire d’Apollinaire.
Critique souvent ironique, subtil, malicieux, il
est le premier à employer le terme de peinture
« néo-impressionniste » en 1886. De tendance
vaguement anarchiste, il sera l’ami
inconditionnel et le soutien appuyé des
peintres avant-gardistes, qu’il s’agisse des
derniers impressionnistes (Pissarro), de Van
Gogh, des néo-impressionnistes (Signac et
Seurat), des symbolistes ou même de Matisse.
Son amitié avec Paul Signac est
particulièrement forte, instaurant une sorte de
complicité entre les deux hommes, qui sont
relativement marginalisés par rapport aux
expositions officielles et à l’art académique.
Un prix à son nom sera créé pour lui rendre
Portrait de Félix Fénéon, dessin par
Jeanne Picq.
Portrait de Félix Fénéon, dessin par
Félix Valloton, 1898.
5. Eugène Delacroix est une inspiration pour les néo-
impressionnistes, relevons quelques-unes de ses
citations :
« L’ennemi de toute peinture est le gris ! »
« Il faut bannir toutes couleurs terreuses. »
« Ce qu'il y a de plus réel pour moi, ce sont les illusions
que je crée avec ma peinture. Le reste est un sable
mouvant. »
« La couleur est par excellence la partie de l'art qui
détient le don magique. Alors que le sujet, la forme, la
ligne s'adressent d'abord à la pensée, la couleur n'a aucun
sens pour l'intelligence, mais elle a tous les pouvoirs sur la
sensibilité. »
« Le premier mérite d'un tableau est d'être une fête pour
l’œil. »
Autoportrait au
gilet vert, Eugène
Delacroix, 1837.
6. Le divisionnisme
- Les couleurs primaires sont les couleurs obtenues par la
synthèse soustractive (cyan, magenta, jaune). Elles
donnent la forme au matériau plastique, elles
façonnent l’essence des corps.
- Pour toucher la rétine du spectateur, il faut cependant
ajouter la touche lumineuse, autrement dit la couleur
opposée, obtenue d’après la synthèse additive
(rouge, bleu, vert), car c’est la lumière qui atteint
l’œil, et lui permet une contemplation totale, une
contemplation émotive.
- Comme le dit Odgen N. Rood dans Chromatics : « le fait
essentiel de cette théorie réside dans la distinction
entre couleurs-lumière et couleurs-matière : la
luminosité du mélange optique est toujours supérieure
à celle du mélange matériel des pigments. »
- Le peintre doit composer une habile harmonie entre
l’utilisation de tons et de teintes. C’est-à-dire de couleur
brutes d’une part sans adjonction de blanc ou de noir
(les teintes), et des formes déclinées des couleurs (les
tons) c’est-à-dire principalement chauds ou froids selon
l’intensité de la saturation lumineuse.
Ces différents points constituent le fondement de cette
technique. L’équilibre des éléments en est le point central. Il
faut diviser pour mieux recomposer et ainsi s’assurer de
tous les bénéfices de la luminosité, de la coloration et de
l’harmonie. Paul Signac sera un farouche défenseur de ce
courant pictural, qu’il portera à son degré d’aboutissement
maximal. Si lui et Seurat avouent d’ailleurs s’être inspirés en
matière picturale de Delacroix, il ne faut pas également
oublier l’influence de Turner et son travail précurseur sur la
lumière, influençant presque tous les courants picturaux de
la seconde moitié du XIXème siècle (voir le tableau servant
d’arrière-plan, Lumière et couleur, de son nom original Light
and Colour (Goethe's Theory) – The Morning after the
Deluge – Moses Writing the Book of Genesis ).
L'étoile des couleurs d’après
Charles Blanc.
7. « Cette idée d’un portrait, ah, mon cher Paul, je suis trop volontiers
votre complice. Si un de ces hivers ma performance est à peu près
satisfaisante, j’aimerais bien qu’elle fût éternisée pour les cimaises de
pinacothèques futures dont le catalogue dira : Paul Signac, Portrait
d’un jeune homme inconnu. Concevez-vous déjà la pose, le
costume, le décor ? Et pourrai-je garder le carreau que vous ne me
connaissez pas encore à l’œil droit ? Mais je crains que ce projet ne
soit pas réalisable pour la difficulté de concilier la Peinture et la
Guerre, divines toutes deux. Eh bien vous me ferez à la plume en
portrait grand comme la main, et je serai enchanté. »
Félix Fénéon.
8.
9. Le Portrait de Félix
Fénéon tel qu’il est visible
dans son accrochage au
Museum of Modern Art
de la ville de New-York.
Le musée l’a acquis après
un don de David et Peggy
Rockefeller.
« Sur l'émail d'un fond
rythmique de mesures et
d'angles, de tons et de
teintes, Portrait de M. Félix
Fénéon en 1890, Opus
217. »
10. I Analyse formelle
Un tableau audacieux, tout à la fois fantaisiste et maîtrisé, qui parachève le néo-
impressionnisme, lui permettant d’atteindre son apogée en adaptant la modernité
scientifique à l’estampe japonaise.
II Analyse iconographique
Une vision décalée et vaguement parodique des conceptions scientifiques dogmatiques de la
couleur et un pastiche de la théorie des couleurs de Charles Henry.
En quoi ce tableau, tout en présentant le portrait d’un critique d’avant-garde, est-il une
illustration détournée et ironique de la théorie sur les couleurs de Charles Henry ?
12. - La pose est de profil, contrairement au vœu explicite
formulé par Fénéon.
- Signac s’est visiblement inspiré pour peindre ce portrait
de la pose de celui qu’avait peint Seurat pour lui-
même, avec la canne, le haut-de-forme et la posture de
profil, sauf que Fénéon est tourné dans l’autre sens.
- On voit Fénéon tenant un cyclamen disproportionné de
la main droite et le tendant à un destinataire
invisible, tenant son haut-de-forme et sa canne de la
main gauche. Rigide et hiératique, il contraste avec le
fond abstrait, véritable kaléidoscope de couleurs.
- Le portrait semble être une illustration assez libre des
thèses de Charles Henry. Tout en rendant hommage aux
conceptions de ce-dernier, il témoigne aussi d’une
distance ironique face à ses explications tatillonnes. Ces
conceptions sont interprétées avec une liberté
certaine, l’allusion se teinte d’une distanciation
moqueuse.
- L’autre grande thématique d’inspiration pour ce portrait
sont les estampes japonaise, que Signac, tout comme
Fénéon, collectionnaient. C’est ce qui donne l’aspect
floral au décors, comme un jeu de pétales multicolores
lancées dans le mouvement circulaire d’un praxinoscope
vu du dessus.
13.
14. Etude pour le
Portrait de Félix
Fénéon, mine de
plomb et huile sur
bois, (23,5 x 34
cm), 1890, collection
particulière.
15. Etude pour le Portrait de
Félix Fénéon, dessin
rehaussé
d’aquarelle, papiers
collés, (31,8 x 44,2
cm), 1890-
1891, annotations de
l’auteur sur la marge de
droite, collection
particulière.
16. Estampe japonaise
en noir et
blanc, modèle pour
l’arrière-plan du
Portrait de Félix
Fénéon, vers
1860, collection de
Paul Signac.
18. Synthèse additive, obtenue par
l’association du vert, du rouge et du
bleu.
Synthèse soustractive obtenue par
l’association du jaune, du cyan et du
magenta.
19. Le cercle chromatique du
chimiste et physicien Michel-
Eugène Chevreul intègre
l’idée de stratification
chromatique et la notion de
découpage simultané, de
division, ce qui est essentiel
pour les néo-
impressionnistes.
Notons que le disque du
physicien est mis en
mouvement de rotation et
fait appel au phénomène de
la persistance rétienne, allant
en cela plus loin que les
peintres.
20. Comparaison entre les théories de Charles Henry
et l’application faite par Signac.
« Application du cercle chromatique de M. Ch. Henry
», Paul Signac, 1889.
« Cercle chromatique », par Charles Henry, 1889.
21. Réception de l’œuvre : Au printemps 1891, le portrait est
exposé au Salon des Indépendants où il est globalement mal
accueilli.
ÉmileVerhaeren le trouve « froid et sec ».
Le titre complet, justement parodique, agace certaines personnes. Le
poèteAdolphe Retté se demande ce que signifie le sens de ce « fond
rythmique de mesures et d’angles ».
D’autres estimeront que Signac a trop sacrifié le modèle initial, c’est-à-
dire Fénéon, par rapport au fond du tableau.
Cependant, Fénéon semble avoir apprécié ce portrait, puisqu’il l’a
gardé toute sa vie. Ce tableau est tout à la fois un manifeste abouti du
néo-impressionnisme, mais également une sorte de plaisanterie
codée, jeu malicieux entre Fénéon et Signac lui-même.
Il scelle une amitié qui ne se démentira pas, la complicité née d’un
combat commun, et prend part à un dialogue amical entre les deux
hommes.
22. Félix Fénéon à la Revue
blanche, Félix Vallotton
(1865-1925), vers 1896
Huile sur carton – (52,5 x 66
cm).
23. Portrait de Félix Fénéon par
Maximilien Luce (1858-
1941), huile sur toile, 1901.